Passioniste de Polynésie

Lettre à Sainte Jeanne de Chantal

Avis de Saint François de Sales 


Baronne de Chantal Sales 15-20 avril 1610 ( " Escrit sur mes tablettes en avril 1610 ") (XXVI, 241)

Ne pas faire de réflexions sur les choses qui arrivent. - Dans les sécheresses, s'humilier. - Comment reprendre le prochain.- Le voyageur dans un na vire et le soin du pilote.

Pour toutes les choses qui vous arriveront, n'alles point [en] rechercher la cause (il suffit que Dieu la sçait), mais simplement humilies vous devant Dieu, supportant la contradiction avec douceur, sans réflexions.

Au tems des sécheresses, humilies vous, et au tems des sentimens et veüe de vostre misere, jettes vous au plus profond des entrailles de la miséricorde divine.

Mortifies vous en ces petites saillies contre les imperfections du prochain, les reprenant avec l'esprit de douceur.

N'ayes point soin de vous mesme, non plus qu'un voyageur qui s'est embarqué de bonne foy sur un navire, qui ne prend garde qu'a se tenir et vivre dans iceluy, laissant le soin de prendre le vent, tendre les voiles et faire voguer, au pilote sous la conduitte duquel il s'est mis.  

Mère de Chantal : 1613-1615 (XXVI, 269)

Confiance et abandon - Garder son âme ferme - Simplicité des enfants - Pas d'empressement - Toute à Dieu  

Prosterné, ce me semble, en quelque petit recoin du mont de Calvaire ou Nostre Seigneur me voit, je vous escris ces lignes, ma tres chere Mere, pour vostre soulagement, comme un abbregé des résolutions plus convenables a vostre advancement devant Dieu.

Je repete ce que si souvent je vous ay dit : que, non seulement en l'orayson, mays en la conduitte de vostre vie, vous deves marcher en l'esprit d'une tres parfaitte et tres simple confiance en Dieu, entièrement remise et abandonnée a son bon playsir, comme un enfant innocent qui se laisse aller a la conduitte et direction de sa mere.

Secondement : Et pour bien marcher ainsy a la mercy de l'amour et du soin de ce cher souverainement aimable Pere, tenes souëfvement et paysiblement vostre ame ferme, sans permettre qu'elle se divertisse a se retourner sur elle mesme, ni a vouloir voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaitte ; car, ma chere Mere, nos satisfactions ne sont point aymables devant les yeux de Dieu, ains seulement elles aggreent a nostre propre amour. Le Sauveur de nostreame inculque si souvent la simplicité des petitz enfans (Mt 18,2), que nous la devons aymer tres particulièrement. Or, ces petitz enfans innocens ayment leurs meres qui les portent, avec une extreme simplicité : ilz ne regardent nullement ce qu'elles font, ni ne font point de retours sur eux mesmes ni sur leurs satisfactions, ilz les prennent sans les regarder ; ilz tetent avec avidité et ne regardent point si ce lait est meilleur une fois que l'autre, car tandis qu'il y en a, ilz le prennent tout de bon, sans autre curiosité. En cela donq nous devons ressembler aux petitz enfans. Comme encor en cette douce oysiveté par laquelle ilz ne se soucient point d'aller, ains ayment mieux estre portés ; et quand ilz commencent a vouloir aller, ilz commencent aussi a souvent tomber et trebuscher es choses qu'ilz rencontrent. Bienheureux sont ceux qui ne veulent pas tous-jours faire, voir, considérer, discourir !

Ma tres chere Fille, il faut accoyser nostre activité d'esprit, puisque nous voyons manifestement que Dieu nous appelle a cette unique, tres simple attention de confiance. De cette activité d'esprit et du soin que nostre amour nous suggere d'avoir de nostre coeur et de ce qu'il fait, provient l'inquiétude de nostre coeur lhors que nous appercevons soit de loin, soit de pres, quelques tentations ou de la foy ou de quelques autres vertus que nous chérissons fort, ou mesme quand nous craignons de perdre la douceur et consolation : c'est pourquoy il faut simplifier nostre esprit, et ayant abandonné et quitté tout ce qui desplaist a Dieu, demeurer en paix dans nostre barque, c'est a dire faire en paix les exercices de nostre vocation. Et ne nous empressons point de nostre advancement ; car, comme ceux qui sont en une barque ou il y a bon vent, sans remuer tirent au port, aussi ceux qui sont en une vocation bonne, sans s'embe- soigner de leur prouffit, prouffitent et s'advancent perpetuellement. Que s'ilz n'ont pas la satisfaction de voir leurs progres, ilz ne doivent pas pour cela s'alangourir, car ilz sont certains qu'ilz ne laissent pas de s'advancer.

Conseils à la même : [1613-1616 ] (XXVI, 271)

Les petites vertus. - Tout faire pour Dieu. - Garder la paix et reposer dans le sein de la Providence.

Je desire que vous soyes extrêmement humble et petite a vos yeux, douce, condescendante et simple comme une colombe (Mt 10,16) ; que vous aymies vostre abjection et la prattiquies fidellement, employant de bon coeur toutes les occasions qui vous arriveront pour cela.

Dites beaucoup en vous taisant, par la modestie et esgalité.

Supportés et excusés fort le prochain, et avec une grande douceur de coeur.

Faites toutes choses pour Dieu, unissant ou continuant vostre union par de simples regards ou escoulemens de vostre coeur en luy.

Ne vous empresses de rien, faites toutes choses tranquillement, en esprit de repos. Pour chose que ce soit, ne perdes vostre paix intérieure, quand bien tout bouleverserait ; car, qu'est ce que toutes les choses de cette vie en comparaison de la paix du coeur ?

Recommandes toutes choses du tout a Dieu, et vous tenes coye et en repos dans le sein de sa paternelle Providence.

Prenés bon courage et vous tenes humble devant la divine Providence.

Ne desires rien que le pur amour de Nostre Seigneur.  

SIMPLICITÉ, ABANDON ET AMOUR DU PROCHAIN jeudi-Saint, 31 mars 1616 (XXVI, 272)

Le P.de la Rivière est le premier à avoir publié cet écrit dans sa Vie de notre Saint (liv III, ch.32, p.351, 1625) ; il l'adresse aux Visitandines avec ce titre : "Exercice de l'abandonnement de soy-même entre les mains de Dieu, donné aux mesmes Dames." On le trouve également dans les Vrays Entretiens Spirituels (1629), intercalé dans le 12e Entretien : De la Simplicité (VI,217)

Comment marcher en esprit de simplicité. - Ne pas faire des retours sur soi-même. - Exemple des petits enfants. - Les " amantes spirituelles " se " purifient et ornent " pour plaire à I'Epoux céleste. - Leur préparation n'est pas longue ni empressée, mais fidèle et amoureuse. - Avis de saint François d'Assise. - Imiter le Sauveur sur la croix. - Les inquiétudes de notre coeur et l'avancement dans la perfection. - Rien ne peut ébranler celui qui se remet au bon plaisir de Dieu. - Regarder le prochain dans la poitrine du Sauveur. - La présence ne peut rien ajouter " a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ". - Vivre et mourir comme il plaira au " coeur souverain " de Notre-Seigneur. - Arrêter l'inconstance de l'esprit humain par la force des anciennes résolutions.

En ce saint jour anniversaire auquel nous celebrons la memoire de nostre Redemption, je vous escris ces lignes, ma tres chere Fille, comme un abbregé des résolutions plus convenables a vostre advancement au pur amour de Nostre Seigneur crucifié.

Non seulement en l'orayson, mays encor en la conduitte de vostre vie, marches invariablement en esprit de simplicité, abandonnant et remettant toute vostre ame, vos actions et vos succes au bon playsir de Dieu, par un amour de parfaitte et tres absolue confiance, vous delaissant au soin et a la mercy de l'amour eternel que la divine Providence a pour vous. Et pour cela, tenes vostre ame ferme en ce train, sans permettre qu'elle se divertisse a faire des retours sur elle mesme pour voir ce qu'elle fait ou si elle est satisfaite. Helas ! nos satisfactions et consolations ne satisfont pas aux yeux de Dieu, ains elles contentent seulement ce misérable amour et soin que nous avons de nous mesme, hors de Dieu et de sa considération.

Les enfans, certes, que Nostre Seigneur nous inculque devoir estre le modelle de nostre perfection (Mt 18,3), n'ont ordinairement aucun soin, sur tout en la presence de leurs pere et mere ; ilz se tiennent attachés a eux, sans se retourner a regarder ni leurs satisfactions ni leurs consolations, qu'ilz prennent a la bonne foy et en jouissent en simplicité, sans curiosité quelconque d'en considérer les causes ni les effectz, l'amour les occupant asses sans faire autre chose. Qui est bien attentif a plaire amoureusement a l'Amant celeste n'a ni le coeur ni le loysir de se retourner sur soy mesme, son esprit tendant continuellement du costé ou l'amour le porte.

Cet exercice d'abandonnement continuel de soy mesme es mains de Dieu comprend excellemment toute la perfection des autres exercices, en sa tres parfaitte simplicité et pureté, et tandis que Dieu nous en laisse l'usage, nous ne devons point le changer.

Les amantes spirituelles, espouses du Roy celeste, se mirent voyrernent de tems en tems comme des colombes qui sont aupres des eaux (Ct 5,12) tres pures, pour voir si elles sont bien ageancees au gré de leur Amant ; et cela se fait es examens de conscience, par lesquelz elles se lavent, se purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent, non pour se satisfaire, non pour desir de leur progres au bien, non pour estre parfaittes, mais pour obeir a l'Espoux, pour la reverence qu'elles luy portent, pour l'extreme desir qu'elles ont de luy donner contentement, elles se lavent, se nettoyant purifient et ornent au mieux qu'elles peuvent. Mays n'est ce pas un amour bien pur, bien net et bien simple, puisque elles ne se purifient pas pour estre pures, elles ne se parent pas pour estre belles, ains seulement pour plaire a leur Amant, auquel si la laydeur estoit aussi aggreable, elles l'aymeroyent autant que la beauté. Et si, ces simples colombes n'employent pas un soin ni fort long, ni aucunement empressé a se laver et parer ; car la confiance que leur amour leur donne d'estre grandement aymees, quoy qu'indignes (je dis la confiance que leur amour leur donne en l'amour et en la bonté de leur Amant), leur oste tout empressement et desfiance de ne pas estre asses belles ; outre que le desir d'aymer, plustost que de se parer et praeparer a l'amour, leur retranche toute curieuse sollicitude et les fait contenter d'une douce et fidele préparation faite amoureusement et de bon coeur.

Et pour conclure ce premier point, saint François envoyant ses enfans aux chams, en voyage, leur donnoit cet advis en lieu d'argent et pour toute provision : jettes vostre soin en Nostre Seigneur et il vous nourrira (Ps 54,23). Je vous en dis de mesme, ma tres chere Fille, ma Mere : jettes bien tout vostre coeur, vos prétentions, vos sollicitudes et vos affections dans le sein paternel de Dieu, et il vous conduira, ains portera ou son amour vous veut.

Oyons et imitons le divin Sauveur qui, comme tres parfait Psalmiste, chante les souverains traitz de son amour sur l'arbre de [la] croix; il les conclud tous : Mon Pere, je remetz et recommande mon esprit entre vos mains ( Lc 23,46). Apres que nous aurons dit cela, ma tres chere Mere, que reste-il, sinon d'expirer et mourir de la mort de l'amour, ne vivant plus a nous mesme, mais Jesuschrist vivant en nous (Ga 2,19)

Alhors cesseront toutes les inquiétudes de nostre coeur, provenantes du desir que l'amour propre nous suggere et des tendretés que nous avons en nous et pour nous, qui nous fait secrettement empresser a la queste des satisfactions et perfections de nous mesme ; et, embarqués dans les exercices de nostre vocation, sous le vent de cette simple amoureuse confiance, sans nous appercevoir de nostre progres nous le ferons grandement, et sans aller nous avancerons; sans nous remuer de nostre place, nous tirerons païs, comme font ceux qui singlent en haute mer sous un vent propice.

Alhors tous les evenemens et varietés d'accidens qui surviennent sont receuz doucement et souefvement : car, qui est entre les mains de Dieu et qui repose dans son sein, qui s'est abandonné a son amour et qui s'est remis a son bon playsir, qu'est ce qui le peut esbransler et mouvoir ? Certes, en toutes occurrences, sans s'amuser a philosopher sur les causes, raysons et motifz des evenemens, il prononce de coeur ce saint acquiescement du Sauveur : Ouy, mon Pere, car ainsy a il esté aggreé devant vous( Mt 11,26).

Alhors nous serons tout destrempés en douceur, en suavité envers les Seurs et les autres prochains, car nous verrons ces ames la dans la poitrine du Sauveur. Helas ! qui regarde le prochain hors de la, il court fortune de ne l'aymer ni purement, ni constamment, ni esgalement ; mays la, qui ne l'aymeroit ? qui ne le supporterait ? qui ne souffrirait ses imperfections ? qui le treuveroit de mauvaise grace ? qui le treuveroit ennuyeux ? Or, il y est ce cher prochain, ma tres chere Fille, dans le sein et dans la poitrine du Sauveur ; il y est comme tres aymé et tant aymable, que l'Amant meurt d'amour pour luy. Quand sera ce que cet amour naturel du sang, des contenances, des bienséances, des correspondances, des sympathies, des graces, sera purifié et reduit a la parfaitte obeissance de l'amour tout pur du bon playsir de Dieu ? Quand sera ce que cet amour de nous mesme ne desirera plus les présences, les tesmoignages et significations exterieures, ains demeurera pleinement assouvi de l'invariable et immuable asseurance que Dieu luy donne de sa perpetuité ? Que peut adjouster la presence a un amour que Dieu a fait, soustient et maintient ? Quelles marques peut on requerir de perseverance en une unité que Dieu a creé ? La distance et la presence n'apportera ni n'ostera jamais rien a la solidité d'un amour que Dieu a luy mesme formé.

Sur ces fondemens, abandonnons et delaissons-nous nous mesmes dans le fond du coeur percé de Nostre Seigneur. Soit fait de nous et en nous selon le bon playsir royal de ce coeur souverain, auquel, par lequel et pour lequel nous voulons vivre et mourir ainsy et comme il luy plaira, sans reserve et sans exception quelcomque.

Fait le jeudi Saint, l'an 1616.

VIVE Jesus qui est mort pour nostre coeur ! et qu'a jamais nostre coeur meure pour revivre éternellement de la mort de son amour.

Il faut arrester l'inconstance de l'esprit humain en l'instabilité et changement de nos sentimens et imaginations par la force de nos premières résolutions, puisque Dieu a establi une invariable et indissoluble fermeté.

Revu en partie sur le Manuscrit de Nancy et en partie sur l'Autographe conservé à Turin, Bibliothèque royale.  

Conseils à la même 1615-1616 (XXVI, 277)

Excellence du sommeil amoureux entre les bras du Sauveur. - La Mère de Chantai doit demeurer en la remise de tout elle-même à Notre-Seigneur et coopérer à sa grâce. - Que faire à l'oraison. - Délaisser sa vie et ses affaires au bon plaisir de Dieu.

Cet amour simple de confiance et cet endormissement amoureux de vostre esprit entre les bras de ce Sauveur comprend excellemment tout ce que vous alles cherchant ça et la pour vostre goust.

Demeures en la tranquille résignation et remise de vous mesme entre les mains de Nostre Seigneur, sans toutesfois laisser de cooperer courageusement et diligemment a sa sainte grace par l'exercice des vertus es occasions qui s'en présenteront. Demeures en cette simple et pure confiance filiale aupres de Nostre Seigneur, sans vous remuer nullement pour faire des actions sensibles ni de l'entendement, ni de la volonté.

 

Demeures la en repos, en esprit de tres simple et amoureuse confiance. Et ceci se doit prattiquer non seulement a l'orayson, ou il faut aller avec une grande douceur d'esprit, sans dessein d'y faire autre chose quelconque, ains seulement pour estre a la veuë de Dieu dans cette simple remise et repos en luy et comme il luy plaira ; se contenter d'estre en sa presence, encor que vous ne le voyies, ni senties, ni sçauries représenter, et ne vous enqueres de luy de chose quelconque sinon a mesure qu'il vous excitera. Ne retournes nullement sur vous mesme, ains soyes la pres de luy ; non seulement, dis je, il faut prattiquer cette simplicité et abandonnement en l'orayson, mays en la conduite de toute la vie, rejettant et delaissant toute vostre ame, vos actions, vos succes, vos affaires au bon playsir de Dieu et a la mercy de son soin. Il faut tenir l'ame ferme en ce train.   

Derniers avis : Annecy, 6 juin 1616 (XXVI, 278)

Simplicité de l'amour, remise de soi-même eu Dieu. - Tout recevoir de sa main et ne vouloir que lui.

En ce jour de saint Claude, mémorable a nostre Congregation(1), je ramasse ainsy tout ce que je vous ay dit, pour l'abbreger : Soyes fidèlement invariable en cette resolution, de demeurer en une tres simple unité et unique simplicité de la presence de Dieu, par un entier abandonnement de vous mesme en sa tressainte volonté, et toutes les fois que vous treuveres vostre esprit hors de la, ramenes l'y doucement, sans faire pour cela des actes sensibles de l'entendement, ni de la volonté ; car cet amour simple de confiance et cette remise et repos de vostre esprit dans le sein paternel de Nostre Seigneur et de sa Providence, comprend excellemment tout ce que l'on peut desirer pour s'unir a Dieu. Demeures donq ainsy, sans vous en divertir pour regarder ce que vous faites ou feres, ou ce qui vous adviendra, en toute occurrence et en tout evenement.

Ne philosophes point sur vos contradictions et afflictions, mais receves tout de la main de Dieu, sans exception, demeurant douce, patiente et acquiesçant en tout tres simplement a sa sainte volonté.Que toutes vos paroles et actions soyent accompaignees de douceur et simplicité. Quand vous appercevres que quelque soin ou desir naistra en vous, remettes le en Dieu, ne voulant seulement que luy et l'accomplissement de sa sainte volonté, luy laissant le soin de tout le reste.

Demeures en la tressainte solitude et nudité avec Nostre Seigneur Jesus Christ crucifié.

Faites bien cecy, ma tres chere Mere, ma Fille. Mon ame, mon esprit vous benit de toute son affection, et Jesus soit Celuy qui face de vous, par vous et pour luy sa tres adorable volonté. Amen, amen

Baronne de Chantal 3 mai 1604 (XXVI, 188)

La perfection n'est autre chose que la charité. - Qu'est-ce qui la produit. - La prière, les Sacrernents, l'exercice des vertus : moyens pour l'acquérir. - Les trois vertus de Religion, quoique non vouées, rendent parfait. - Les degrés de l'obéissance par rapport à ceux à qui on la rend. - Exemple de Jésus-Christ. - Obéir aux commandements de Dieu et des supérieurs, aux conseils évangéliques suivant sa vocation, aux inspirations de la grâce. - L'obéissance dans les choses agréables, dans les indifférentes et dans les difficiles.

Nostre Dieu nous commande d'estre Partaitz (Mt 5,48); mais en quoy consiste la perfection ? C'est chose asseuree quelle n'est autre chose que la charité, qui comprend l'amour de Dieu et du prochain. Neanmoins, selon la commune façon d'entendre, on n'appelle pas parfaitz tous ceux qui ont la charité, ains seulement ceux qui l'ont en un degré sublime et eminent ; c'est a dire ceux qui ont un amour de Dieu et du prochain fort excellent.

Puis donq que nous sommes obligés d'aspirer a la perfection, il est requis de connoistre les moyens propres pour l'acquérir, et tout ensemble les actions qu'elle produit en nous, qui n'est qu'une mesme chose ; car tout ainsy que le grain du froment produit la plante et la plante produit le grain, ainsy les saintz exercices produisent la perfection et la perfection fait naistre les saintz exercices. Puisque la perfection de l'ame consiste en la charité, et la charité est le don principal du Saint Esprit, le premier moyen pour obtenir la perfection, c'est de la demander humblement, instamment et continuellement a Dieu par prieres et meditations ; le deuxiesme, c'est l'usage des Sacremens, car ilz sont les canaux par lesquelz Dieu distille en nous la grace, charité et perfection ; le troisiesme, c'est l'exercice des vertus en general.

Mais parce que ce troisiesme moyen est si ample, je le reduiray en cette sorte : Les trois vertus des Religieux sont les trois plus signalés instrumens pour acquerir la perfection et les trois plus grans effectz d'icelle. Or, ces trois vertus ou voeux estant gardees, quoy que non vouees, elles rendent l'homme parfait ; il faut donq tascher a les acquerir en tous les degrés qu'elles ont.

EXEMPLE DE L'OBEYSSANCE

L'obeyssance a trois degrés en ce qui concerne les personnes a qui nous rendons obéissance. Le premier degré, c'est d'obeyr aux Superieurs et [à ceux] qui ont du pouvoir sur nous, comme peres, meres, maris, Prelatz : donq le filz doit obeyr a son pere avec la mesme souplesse qu'un Novice d'une Religion fort reglee feroit a son Superieur ; et est une niayserie de s'imaginer qu'on obeyroit bien a un Superieur de la Religion qu'on auroit choisie, si on ne peut obeyr aux Superieurs que Dieu mesme et la nature nous a donnés.

Le 2. degré, c'est d'obeyr a nos compaignons et a ceux qui nous sont esgaux ; et ce degré se prattique en se rendant doux et facile a la volonté de nos compaignons. Contre ce degré pechent tous les espritz opiniastres, contentieux et sujetz a leurs volontés.

Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inférieurs, s'accommodant aucunement a leurs desirs entant qu'ilz ne sont point mauvais, avec une [douce] condescendance; et a ce degré est contraire l'authorité impérieuse et desdaigneuse que l'on prend sur les inférieurs. La prattique de ce degré rend nostre coeur doux, humble et gratieux aux commandemens des supérieurs, aux volontés des compaignons et aux desirs et prieres des inférieurs. L'exemple de cette obeyssance est en Jesus Christ, qui obeit non seulement a son Pere eternel et a sa sainte Mere, mais aussi a saint joseph et aux statutz et coustumes de l'Eglise (Lc 2,22). Nostre Dame obeit a saint Joseph et aux autres. Et cela est ordonné par l'Apostre (Rm 13,5), qui veut que nous soyons sujetz a un chacun pour 1'amour de Dieu.

Cette mesme obédience a troys autres degrés, selon les choses esquelles il faut exercer l'obeyssance. Le 1. est d'obeyr aux commandemens de Dieu et des supérieurs; et ce degré d'obeyssance est nécessaire a un chacun, car qui ne l'observe peche mortellement, quand il s'agit de quelque chose d'importance. Et a ce degré est formellement contraire la desobeyssance.

Le 2. degré, c'est d'obeyr aux conseilz, chacun selon sa vocation : comme de demeurer vefve quand on l'est; de rechercher celuy qui nous a offencés, par caresses et courtoysies; d'ayder ceux qui en ont quelque besoin, encores qu'ilz ne soyent pas en grande nécessité. Et a ce degré est grandement contraire la tepidité et froideur.

Le 3. degré, c'est d'obeyr aux inspirations et mouvemens intérieurs que l'on reconnoist tendre a la plus grande gloire de Dieu, et ce, apres les avoir examinés ou fait examiner. Et a ce degré est contraire l'inadvertance et mespris de nostre intérieur. La prattique de ce troisiesme degré fait qu'en tout et par tout nous nous conformons a Dieu et a sa sainte volonté. L'exemple en est en Nostre Seigneur qui fit toute sa vie tout ce qui visoit plus a la gloire de son Pere eternel ( Jn 8,50), de la glorieuse Vierge Marie, sa Mere, et de tous les Saintz.

L'obedience a encores troys autres degrés, prins de la facilité ou difficulté que nous avons en l'obeyssance. Le1. est lhors qu'on nous commande quelque chose aggreable, comme seroit de ne point travailler les festes, de chanter en musique, ou quelque autre chose semblable, laquelle de soy mesme nous est aggreable ; et en cela il n'y a pas grande vertu en obeyssant, mais il y a bien du grand vice en des-obeyssant.

Le 2. c'est quand on nous commande des choses indifferentes, c'est a dire choses qui de soy mesme ne sont ni aggreables ni desaggreables, comme seroit de se promener, de porter tel ou tel habit; et lhors la vertu de l'obeyssance est grande, et le vice aussi de la des-obeyssance bien grand.

Le 3. est quand on nous ordonne de faire des choses aspres et difficiles, comme de pardonner aux ennemis, souffrir patiemment les afflictions, ou faire quelque autre chose qui soit fort contraire a nostre inclination ; et lhors le merite est extrêmement grand en obeyssant, et le peché moins grand en des-obeyssant. La prattique de ces trois degrés fait que nous obeyssons entièrement, soit en choses grandes, soit en choses petites. L'exemple en est en Nostre Seigneur, qui en tout a voulu que le vouloir de son Pere se fist, mesme en la Passion (Jn 4,34; 5,30; 6,38; Mt 26,39; Ph 2,8).

1. - Le 6 juin 1610, en la fête de Saint Claude, l'Institut de la Visitation a commencé dans la petite maison de la Galerie.  

 

Date de dernière mise à jour : 2021-07-04