Passioniste de Polynésie

St Paul de la Croix / pauvreté

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(Vie de Saint Paul de la Croix par Saint Vincent Marie Strambi)

 CHAPITRE 28. DE LA PAUVRETÉ DU SERVITEUR DE DIEU.

Une âme qui a goûté véritablement Dieu et qui, éclairée de la lumière de la foi, apprécie les immenses trésors qu’on trouve en lui, abhorre tout ce qui n’est pas lui, et se détache d’autant plus des créatures, qu’elle s’unit davantage au Créateur. Le père Paul ayant commencé dès sa jeunesse à avoir d’intimes communications avec le ciel, conçut dès lors un profond mépris des choses de la terre, et abandonna généreusement tout ce qui pouvait l’empêcher de jouir d’une liberté parfaite.

Content des richesses qu’il trouvait en Dieu, il voulut vivre dans une parfaite pauvreté des biens de la terre, afin d’honorer et d’imiter la pauvreté de notre divin Rédempteur, qui a voulu naître pauvre, vivre pauvre, et mourir sur la croix, nu et dépouillé de tout. Jeune encore, il renonça à la succession de son oncle, et protesta du fond du cœur qu’il ne voulait pour son héritage que Jésus crucifié. Il prit ensuite un vêtement très pauvre, dont la vue excitait à la componction, comme le rapporte un témoin oculaire. En effet, c’était plutôt une couverture qu’un vêtement ; l’étoffe en était commune et de couleur foncée. Il allait ainsi pieds nus, tête découverte, sans manteau, pendant les chaleurs de l’été et pendant les pluies, les gelées et les neiges de l’hiver. Dès lors, il se réduisait au pur nécessaire, et Dieu l’affermissait de plus en plus dans ses saintes résolutions. Un jour qu’il était en retraite pour se préparer par la prière et le silence à la rédaction de sa règle, il ressentit une gêne tout à fait singulière, parce qu’il avait dans son cabinet une fort belle pomme qu’une personne charitable lui avait donnée. Il se hâta de la jeter loin de lui ; et prit la résolution de vivre uniquement d’aumônes ; aussi, quand on lui offrait de l’argent dans ses voyages, d’ordinaire il le refusait humblement. Retiré au mont Argentario, il y vécut aussi très pauvrement. Il n’avait pour tout lit, lui et son frère Jean-Baptiste, que des planches. C’est ainsi qu’ils furent logés d’abord à l’ermitage Saint-Antoine. Quand il pleuvait, la pluie tombait sur la place occupée par Jean-Baptiste qui, sans doute, avait cédé la moins incommode à son frère. D’ailleurs les rats y faisaient tant de bruit, que ni l’un ni l’autre n’avaient guère de repos. Ce séjour fut donc pour eux un excellent moyen de continuer, même la nuit, les exercices de leur vie pénitente et de mortifier jusqu’aux penchants les plus innocents de la nature. Ils portèrent le même esprit de pauvreté à l’ermitage de Sainte Marie de la Chaîne ; leur généreux détachement y fit l’édification de tous les alentours. Voici ce qu’a déposé un témoin qui les y avait vus : « Les deux frères, dit-il, aimaient extrêmement leur pauvreté ; ils ne portaient point de chemise, mais une simple tunique d’une étoffe rude et grossière, qu’ils devaient ôter et faire sécher, lorsqu’elle était baignée de sueur ou de pluie. Alors ils en mettaient une vieille toute déchirée, en attendant que la première fût sèche. Ils allaient tête et pieds nus, dormaient sur le sol et n’avaient dans leur chambre que quelques images de papier. Chaque jour ils me faisaient distribuer en aumônes ce qui leur restait, sans rien réserver pour le lendemain. Ils avaient une grande aversion pour l’argent ; jamais ils n’en acceptaient en aumône. »

Si dès lors les deux frères avaient déjà tant d’amour et d’estime pour la pauvreté, on peut juger avec quelle perfection ils pratiquèrent cette vertu, lorsqu’ils y furent obligés par vœu. Nous laissons à d’autres le soin de raconter les vertus du père Jean-Baptiste, pour ne nous occuper que du père Paul. On peut dire qu’en toutes choses il se distinguait par son grand esprit de pauvreté. Pauvre dans sa nourriture, pauvre dans son vêtement, pauvre dans sa cellule, pauvre en tout ce qui était à son usage. Aussi longtemps que vécut le père Jean-Baptiste, il se faisait un devoir de dépendre de lui et de lui demander toutes les permissions, bien qu’il fût supérieur et qu’il n’eût pas besoin d’autorisation pour agir. Il voulait de plus que la pauvreté fût l’inséparable compagne de sa vie. Il se nourrissait très pauvrement et prenait plaisir à recevoir les aliments à titre d’aumône. Quelquefois pendant les repas communs, il allait de table en table demander en aumône un peu de pain ; puis il allait s’agenouiller à la porte du réfectoire pour le manger, attendant dans cette humble posture que le repas fût terminé. Dans ses maladies même, il voulait que ses aliments fussent pauvres. Il défendait d’acheter du poisson pour lui et se contentait d’un morceau de thon ou de morue. L’infirmier aurait désiré lui procurer un peu de poisson en place d’autres aliments plus communs et nuisibles à sa santé ; mais le père Paul l’en empêchait, regardant comme un mauvais exemple, une dispense réclamée par ses graves incommodités ; tel était son amour pour la pauvreté. L’infirmier ayant dû un jour se présenter au pape Clément XIV, et le Saint-Père s’étant informé de la santé du serviteur de Dieu, il dit à sa Sainteté que le père Paul était sans appétit et hors d’état de manger ; il ajouta qu’il prenait seulement un peu de morue. Le Saint-Père versant des larmes d’attendrissement : « Pauvre père ! dit-il, ô Dieu ! il est si malade et il mange de la morue ! » Il recommanda ensuite à l’infirmier d’en avoir grand soin. Mais le père Paul ne faisait que répéter : « Ne faites aucune dépense ou bien peu à mon sujet. » Il demandait que les médicaments fussent ceux des pauvres et non de grand prix : « Nous sommes pauvres, disait-il, il faut nous traiter en pauvres. » Il l’était en réalité dans les vêtements à son usage. Il aimait à porter les plus vieux et les plus usés, surtout à la maison, et il les recevait à titre d’aumône. Un supérieur de maison oublia une fois de lui procurer un vêtement pour l’hiver. Le bon père était déjà avancé en âge et tout malade. Comme son vêtement était fort léger, il souffrit beaucoup du froid, ce qui augmenta ses maux de reins. Malgré cela, il refusa un vêtement neuf et en accepta seulement un déjà tout usé par un frère laïque.
Il eut l’occasion d’exercer sa chère pauvreté d’une manière plus parfaite encore. Voici ce qu’il écrivait confidentiellement à l’un de nos pères : « Mon très cher père, je vous écris le Vendredi Saint, et me confiant dans la mort de Jésus-Christ, je dis à votre Révérence que je lui renverrai un ou deux des vêtements qu’elle doit m’envoyer, bien que nous en manquions ici. Il y a deux ou trois ans que je n’en ai point pour l’été, et je vais à Viterbe pour commencer la mission le lundi de Quasimodo avec mon gros habit n’en ayant point d’autre. Il m’a été donné en aumône à la retraite de Saint-Eutice ; je compte le porter tout l’été, si je vis. » C’était sa coutume de ne garder d’autre vêtement dans sa cellule que celui qu’il portait. Quand on lui en donnait un nouveau, il remettait l’ancien. Pour l’emblème que nous portons sur la poitrine, d’ordinaire il n’en avait qu’un seul. La pauvreté reluisait également dans tous les autres petits objets à son usage. Quoique de peu de valeur, il ne voulait pas qu’on les renouvelât, prétendant toujours qu’il était suffisamment muni.

Pour voir la pauvreté peinte au naturel, il suffisait de voir le père Paul dans sa cellule : une petite table de bois sans couverture, quelques chaises de paille, une paillasse soutenue par des planches sur des tréteaux de bois, une couverture de laine, un crucifix, quelques images le plus souvent de papier, tel était le précieux ameublement de ce vrai pauvre de Jésus-Christ. Sa paillasse était ordinairement si dure, qu’au dire de son infirmier, on était aussi brisé après une nuit, que si on avait couché sur des cailloux. Quand il pouvait, il choisissait pour lui la chambre la moins commode. A Rome, lorsque nous eûmes l’hospice du Saint-Crucifix, il prit pour sa demeure la chambre la plus petite, une chambre tellement étroite que le lit touchait aux deux murs. Étant tombé malade, il dut en changer, mais il ne resta pas longtemps dans la nouvelle, et à la fin il en prit une autre si exiguë, qu’à peine on pouvait passer d’un côté du lit à l’autre. Il y recevait la visite de grands personnages, même de princes et de cardinaux qui daignaient venir le voir dans sa maladie. Il s’estimait plus heureux dans sa pauvre cellule que s’il eût habité un palais magnifique. Lorsqu’ensuite Clément XIV nous accorda l’église et la maison des Saints Jean et Paul, le serviteur de Dieu dit à son infirmier de lui choisir ce qu’il y avait de moindre, et se plaignit de ce qu’il ne l’avait point placé au rez-de-chaussée à l’infirmerie. C’était justement un lieu peu commode. On le plaça dans la chambre destinée au supérieur, mais il supplia et insista tellement pour qu’on lui trouvât une chambre à l’infirmerie, qu’il fallut le satisfaire. Son but était d’empêcher que ses visiteurs ne troublassent le repos et le recueillement de la communauté. Le cardinal Pallotta, alors trésorier général, connaissant sa délicatesse, désigna lui-même la chambre qu’il devait occuper, afin qu’il ne réclamât point en la voyant plus grande que les autres. On y transporta le serviteur de Dieu. Parmi toutes les cellules qu’il habita, celle où il vécut le plus longtemps et avec le plus de plaisir, se voit encore au flanc de l’église de l’ermitage Saint-Ange à Mont-Fogliano. Elle est de toutes la plus pauvre ; c’est pourquoi elle lui était si agréable. C’est plutôt une prison qu’une cellule ; elle est basse, n’a qu’une petite fenêtre, fermée par une grille de fer. Quoique très ami de la propreté, et bien que ce fût sa devise d’être pauvre, mais propre, il ne voulut jamais permettre qu’on la blanchît et refusa d’en changer, malgré qu’il y fît une chaleur excessive en été. Il ne pouvait souffrir dans sa chambre ni meuble distingué, ni objet qui ne fût pas aussi à l’usage de ses religieux. Le cardinal-vicaire, monseigneur Colonna, ce véritable père des pauvres, le visitant un jour, fut frappé de la pauvreté de son lit ; il lui envoya donc une couverture blanche fort bonne ; mais le père Paul affectionnait trop la sainte pauvreté pour se permettre d’en faire usage. Plusieurs fois un chanoine vint l’y engager de la part de son Éminence, sans pouvoir l’y déterminer. Enfin, le frère qui le servait, sachant que son Éminence devait venir, lui fit remarquer qu’elle aurait pu être blessée de ne pas voir la couverture sur son lit. Il fallut donc passer par là, mais le bon père en fut aussi confus que le serait un voleur pris en flagrant délit ; aussi dès que le cardinal fut parti, il la fit ôter, et la fit donner ensuite à un ami de la maison en échange d’une couverture commune.

S’il était si délicat, quand il s’agissait d’objets qui sortaient de l’ordinaire, il s’opposait encore plus à ce qu’il y eût du superflu dans sa chambre. Entre les pauvres, il voulait être le plus pauvre. On l’attendait un jour à la retraite de la Présentation. Le frère chargé du soin des chambres, mit dans celle qui lui était destinée quelque objet qui n’était pas absolument nécessaire. Le serviteur de Dieu s’en aperçut, et en témoigna un vif déplaisir ; il se mit à crier qu’on emportât cet objet, sinon qu’il ne serait pas resté ; enfin il exprima si énergiquement sa volonté, qu’il fallut obéir sur-le-champ et le contenter.

Une autre fois, il avait commandé un secrétaire modeste pour renfermer les archives de la congrégation ; mais le frère menuisier y ayant mis une certaine élégance, fort ordinaire du reste, le père Paul, en vrai ami de la pauvreté, n’en voulut pas.

De cette grande affection pour la sainte pauvreté provenaient les fréquentes recommandations qu’il faisait à son infirmier de ne rien laisser dans sa chambre qui ne fût absolument nécessaire. « Ne m’apportez rien ici, lui disait-il, de ce que m’envoient nos bienfaiteurs ; servez-vous-en pour la communauté. » Chaque fois même qu’on lui envoyait quelque chose, il protestait cent fois qu’il n’en était nullement propriétaire, qu’il était pauvre et ne recevait qu’à titre d’aumône les dons et les services. Il demandait en aumône les moindres choses dont il avait besoin ; en usait avec beaucoup d’économie, en qualité de pauvre ; il en vint jusqu’à se servir de petits carrés de papier, quand il écrivait à des connaissances, imitant en cela de grands saints qui ont laissé sur de petits fragments de papier des lettres très édifiantes et qui renferment des trésors de doctrine. Il lui répugnait beaucoup de tenir de l’argent et même de le compter. Ne pouvant se dispenser dans ses visites de s’informer de l’entrée et de la sortie des aumônes, il voulait que l’argent fût compté, mais d’ordinaire il en chargeait les autres ; la vue seule de l’argent lui semblait insupportable, bien qu’il fût très reconnaissant des charités qu’on faisait à la congrégation : « Voilà, disait-il, comment sans que nous ne possédions rien, le Seigneur nous fournit le nécessaire. » Quand on lui offrait de l’argent en aumône, il ne le prenait pas lui-même, et le faisait prendre par son compagnon, et s’il était à la maison, il le faisait remettre au père recteur ou à quelque religieux prêtre, disant par esprit de pauvreté : « Je ne garde, ni ne veux garder d’argent. » S’il était question d’une somme considérable, il la faisait passer entre les mains du syndic apostolique, comme l’exigeait la prudence.

On ne connaît point les trésors cachés dans la pauvreté, à moins de l’aimer beaucoup. Le père Paul qui l’avait toujours pratiquée, en eut toujours une estime et un amour extraordinaire ; aussi s’efforça-t-il par tous moyens d’en inspirer la pratique à ses enfants. Son zèle pour la sainte pauvreté éclatait en toute occasion ; sa grande maxime était que l’esprit religieux se maintiendrait dans la congrégation, aussi longtemps qu’on y aimerait et observerait la pauvreté volontaire ; que l’esprit de pauvreté une fois éteint, la cupidité ne manquerait pas d’y mettre le trouble, et que l’amour d’une régularité parfaite s’évanouirait pour faire place au relâchement. La sainte pauvreté, disait-il, c’est le mur inexpugnable de la congrégation ; aussi longtemps que la pauvreté sera en vigueur, ne craignez rien pour l’édifice. Il parlait avec une tendre affection de cette vertu chérie. « Oh ! quel bonheur, s’écriait-il, on trouve dans la vie commune ! – Un trésor précieux, disait-il encore, est renfermé dans la vie commune et parfaite. » Il exhortait ses religieux en des termes qui venaient du fond de son cœur : « Je vous recommande la sainte pauvreté, leur disait-il ; si vous restez pauvres, vous serez saints ; au contraire, si vous cherchez à vous enrichir, vous perdrez l’esprit religieux, et l’observance régulière disparaîtra du milieu de vous. – Les enfants de la passion de Jésus-Christ, ajoutait-il, doivent être dépouillés de tout bien créé, et notre congrégation doit se distinguer par la pauvreté d’esprit, par le détachement complet de toutes choses. – Si les religieux de la congrégation conservent le véritable esprit de pauvreté, elle se maintiendra dans sa vigueur ; je ne cesserai jamais de le répéter. Si j’étais à l’article de la mort, je ferais trois recommandations : de conserver l’esprit d’oraison, l’esprit de solitude, et l’esprit de pauvreté. S’il en est ainsi, la congrégation répandra une vive lumière devant Dieu et devant les hommes. » Il veillait avec un soin extrême à ce qu’il ne s’introduisît aucune ombre d’abus, relativement à la pauvreté. Il ne permit jamais d’accepter aucun legs sous quelque prétexte que ce fût. Voici ce qu’il écrivait à ce propos : « La parente de monsieur N… se disposait à faire un legs de mille écus à l’une de nos maisons, à charge qu’on célébrerait une messe quotidienne. Nous n’avons pu accepter cette offre, parce qu’elle est contre la règle et le vœu de pauvreté ; c’est donc une affaire terminée ; le bon Dieu nous donnera d’autres moyens pour achever l’entreprise commencée. » Il décidait de la même manière dans tous les cas semblables. Le recteur de Saint-Eutice l’informa qu’une personne charitable voulait laisser à la congrégation une maison située à Soriano, à la seule condition qu’on dirait chaque année une messe. Cette maison paraissait très convenable pour servir d’hospice à la retraite précitée ; mais le bon père avertit le recteur de ne point s’engager par une convention de ce genre, ne voulant pas que la congrégation possédât aucune espèce de revenu.

Ni les maladies ni les souffrances ne l’empêchaient de veiller à la garde de son trésor chéri. Benoît XIV ayant député une congrégation particulière pour l’examen des règles, un des cardinaux parut d’avis d’accorder à nos maisons d’études la faculté de posséder. Le père Paul, quoique malade en ce moment, écrivit une lettre très pressante à ce cardinal pour le supplier d’empêcher qu’on n’accordât cette faculté à la congrégation des Passionnistes. C’est dans le même esprit que, sous Clément XIV, il s’opposa de tout son pouvoir à ce qu’on permît à la congrégation d’accepter en legs des immeubles qui seraient ensuite vendus à son profit. Les prélats députés par Sa Sainteté pour la nouvelle révision des règles, penchaient pour cet avis ; mais le père Paul insista et supplia si bien, qu’on se rendit à ses désirs.

Sa vigilance s’étendait sur la manière de construire les retraites. Il exigeait que tout y fût conforme à la sainte pauvreté, et lorsqu’il remarquait le moindre excès, il fallait absolument le retrancher. Quand on bâtit la retraite de Saint Sosie, une personne charitable qui dirigeait les travaux, eut la fantaisie d’y faire une porte cochère assez grande. Le serviteur de Dieu trouva que c’était une infraction à la pauvreté, il s’en plaignit beaucoup et ne se donna point de repos qu’elle n’eût été changée. Le changement devait défigurer l’ordonnance du bâtiment ; mais il préféra la pauvreté à la symétrie. Il est vrai qu’il accepta la maison des Saint Jean et Paul, où les dortoirs et les places ont des proportions plus larges que dans nos autres retraites ; mais il l’accepta, parce que c’était un don du Souverain Pontife, et il prit ses mesures pour que les retraites à venir ne fussent point établies d’après ce modèle.

Celui qui aime est craintif. Le serviteur de Dieu qui aimait singulièrement la sainte pauvreté, redoutait jusqu’aux moindres atteintes qu’on pouvait y porter, et il s’efforça de les prévenir. Il défendit sévèrement à ses religieux de tenir aucun objet superflu dans leurs chambres. Il veillait surtout à ce qu’ils n’y gardassent absolument rien à manger ; on ne peut dire combien il recommandait aux supérieurs d’être attentifs sur ce point. Pour confirmer cette pratique, il fit une défense expresse dans la règle, même aux supérieurs majeurs, de garder quelqu’objet semblable dans leur cellule. « Oh ! disait-il, il faut que les supérieurs veillent beaucoup là-dessus ; beaucoup de choses dépendent de ce point. On peut juger par là combien il était sensible au moindre manquement contre la sainte pauvreté ; il ne dissimulait pas ces sortes de fautes, mais il élevait courageusement la voix, quand le temps en était venu, et il réprimandait avec force, pour empêcher des abus qui semblent petits, mais qui sont capables, comme les petits renards, de ravager la vigne. Comme nous l’avons dit, il voulait que pour la nourriture, les pauvres religieux fussent traités avec toute la charité possible, mais en même temps, il veillait pour qu’il ne se commît à cet égard aucun abus. Il avertissait souvent le cuisinier d’user de l’économie convenable et le reprenait, quand il le voyait excéder. Jusque dans les nourritures les plus communes, il exigeait une sage mesure ; son amour de la pauvreté lui  faisait découvrir de la délicatesse dans ce qu’il y avait de plus commun.

Plus la pauvreté est exacte, plus elle est agréable à Dieu. De là vient que le serviteur de Dieu entrait dans les plus petits détails. Il ne manquait pas de reprendre, quand on usait trop d’huile, trop de papier ou trop d’autres choses semblables, quand on faisait un trop grand feu, quand on laissait les lumières trop longtemps allumées ; il allait jusqu’à observer si les mèches des lampes n’étaient pas trop épaisses, disant d’un ton pénétré, que c’était contraire à la sainte pauvreté. Quand on brisait quelque objet par négligence, comme il arrive, il donnait une réprimande et imposait une pénitence pour réparer de la sorte le tort fait à la pauvreté. Ce sont là, semble-t-il, de petites choses, mais en réalité, ce sont des soins indispensables pour écarter les abus qui insensiblement défigureraient la sainte pauvreté, cette pauvreté dont les charmes ont touché les Saints et même le Saint des Saints, puisqu’il n’a pas dédaigné de mener une vie très pauvre sur la terre. Par un effet de l’amour qu’il avait pour cette vertu si peu connue du monde, le père Paul ne savait point demander de présents ; mais il savait très bien les refuser. A la fin d’une mission qu’il donna à Camérino, les commissaires députés pour le maintien du bon ordre, voulurent lui témoigner leur reconnaissance en lui offrant un présent digne de leur munificence et de leur charité ; mais le père le refusa constamment, et se contenta d’accepter une brique de chocolat, pour marquer sa satisfaction. C’est ainsi encore qu’il remercia humblement une dame qui lui offrait quelques mouchoirs blancs de toile fine pour ses fluxions ; il fut impossible de le déterminer à les accepter. Il usa de la même liberté à l’égard d’un éminent personnage, toujours par amour pour la pauvreté. Le cardinal Porto Carrero lui ayant présenté une bourse pleine d’argent, à titre de reconnaissance et d’aumône pour les missions que le père Paul avait données dans son diocèse de Sabine, le serviteur de Dieu ne voulut pas même accepter une pièce de monnaie, et cependant les maisons de la congrégation étaient dans un fort grand besoin. Son désintéressement éclata encore davantage dans la réserve avec laquelle il demandait des faveurs au Souverain Pontife. On sait avec quelle bienveillance plusieurs papes le traitaient ; il n’abusa jamais de leurs bontés, et ses demandes furent toujours pleines de retenue. Il n’a jamais sollicité d’eux, qu’on sache, ni pour lui-même, ni pour sa famille, sinon des faveurs spirituelles. Les Souverains Pontifes semblaient parfois l’encourager et l’inviter à demander ; mais autant il appréciait leur libéralité souveraine, autant il était éloigné d’en profiter, heureux de sa pauvreté, comme du trésor le plus riche. Benoît XIV l’ayant admis à une audience secrète, daigna lui demander s’il n’avait besoin de rien et l’engagea à parler franchement. Le père Paul se borna à lui demander de pouvoir par privilège célébrer la messe une heure plus tôt que de coutume, privilège fort utile pour les missions et pour les cas de voyage. Une autre fois, ayant obtenu la retraite des Saints Jean et Paul, le serviteur de Dieu se rendit à l’audience de Clément XIV avec le recteur de la retraite. Comme les besoins étaient grands, celui-ci recommanda au bon père, si l’occasion s’en présentait, d’exposer à Sa Sainteté l’état de la maison et les grandes dépenses indispensables dans les commencements. Le père parut convaincu et persuadé. Le pape les ayant admis à son audience, entra presqu’aussitôt en matière sur la situation de la retraite, demanda ce qui s’y trouvait et ce qui manquait ; l’occasion était donc belle pour lui faire connaître l’indigence où on était. Le serviteur de Dieu répondit qu’on s’y trouvait beaucoup trop bien, et ne dit pas un mot de plus. En retournant à la maison, le recteur lui demanda pourquoi il n’avait pas révélé à Sa Sainteté les besoins de la communauté. « Ce que nous avons, suffit, répondit-il, nous sommes pauvres. » C’est comme s’il avait dit : la pauvreté à laquelle rien ne manque n’a que le nom et l’honneur de la pauvreté. Clément XIV qui s’était bien aperçu du désintéressement et de la réserve du serviteur de Dieu, finit par lui en faire des plaintes aimables : « J’admire votre modestie, lui dit-il, mais c’en est vraiment trop. » Quelquefois, il est vrai, il était contraint à cause de notre pauvreté, de demander quelque assistance, mais c’était toujours avec tant de ménagement, de discrétion et d’humilité, qu’au témoignage d’un de nos bienfaiteurs, il fallait l’exciter pour qu’il demandât, même dans le cas de nécessité. Il exigeait la même réserve de la part de tous ses religieux et blâmait beaucoup les importunités et les indiscrétions. Il ne désapprouvait pas cependant qu’on fît des quêtes extraordinaires, en cas de besoin, et cela, afin de trouver moyen de pourvoir au nécessaire. Pour tout dire en peu de mots, le père Paul était pauvre en réalité et beaucoup plus encore de désir et d’affection ; il aimait à ressentir les effets de la sainte pauvreté et trouvait ses délices à se considérer comme un pauvre de Jésus-Christ.

Telle était l’estime et l’affection qu’il avait pour cette vertu qu’il se réjouissait saintement en apprenant que ses parents étaient réduits presque à l’indigence. Quoique très sensible aux disgrâces du prochain, il semblait ne pouvoir s’attrister dans cette occasion, parce qu’à ses yeux, la pauvreté, soufferte avec une résignation et une patience parfaite, était un vrai trésor. Voici les lettres qu’il leur faisait écrire par le père Jean-Baptiste. Nous les rapportons d’autant plus volontiers qu’elles font voir les sentiments de ce dernier, dont un post-scriptum du père Paul fait l’éloge. « Le père Paul a lu et m’a fait lire votre bonne lettre. Comme c’est le jour de la poste et que ses occupations l’en empêchent, il m’a chargé de vous répondre. Je vous dirai donc avec une pleine conviction que le chemin par où le bon Dieu continue de vous faire marcher, est la voie qu’a choisie Jésus-Christ Notre Seigneur, la Sagesse et la Vérité incréée. Étant infiniment riche, et maître de tous les biens de la nature, de la grâce et de la gloire, il s’est fait pauvre, comme dit saint Paul, il est né, il a vécu et il est mort dépouillé de tout et toujours pauvre. Vous serez donc heureux si vous savez faire de nécessité vertu, et vous réjouir de cœur et d’esprit de ce que la pauvreté vous rend conformes à ce grand Maître qui dit dans l’Évangile : Bienheureux les pauvres, parce que le royaume des cieux est à eux ! Oh ! de combien de fautes et de remords vous êtes préservés par suite de l’indigence que vous souffrez ! Vos besoins doivent vous exciter toujours davantage à soupirer vers la félicité éternelle. Je crois que Dieu a regardé Catherine d’un œil de miséricorde, en empêchant la réussite de son projet d’établissement ; il n’a pas voulu la voir dans un monde si rempli d’abominations, mais la garder pour lui-même dans l’état du célibat. Si notre frère Joseph soigne bien sa conscience et les affaires de famille, il est impossible que Dieu, qui est la Bonté infinie et qui ne nous abandonne jamais dans nos besoins, vous laisse manquer du nécessaire pour vivre dans l’état de pauvreté et d’humilité où il vous veut, afin que vous mouriez riches de grâces. Comptez sur nos prières ; demain, jour du Mercredi-Saint, je dirai la messe pour vous tous. Nous allons bien ; nous irons en mission après les fêtes de Pâques. Persistez donc toujours dans les bons sentiments que je vois exprimés dans votre lettre. Que le Seigneur Dieu vous bénisse ; je vous salue tous dans le Seigneur.   Jean-Baptiste de Saint-Michel. »

« Lisez attentivement cette lettre, ajoute le père Paul ; elle est écrite par une lumière d’en-haut et de la main d’un homme qui n’a pas son semblable dans la congrégation pour l’assiduité à l’oraison. N’ayez aucun sentiment de défiance. Dieu veut que vous soyez très riches de grâces en cette vie et puis dans la gloire éternelle ; c’est pour cela qu’il permet que vous soyez dans le besoin ; il n’y a pas de moyen plus sûr pour le salut éternel. Moi aussi, je célébrerai demain la sainte messe pour vous tous. Ne vous défiez jamais du secours divin ; vous feriez une trop grande injure au Père des miséricordes. Continuez de vivre saintement ; pratiquez les sacrements, l’oraison et la méditation de la passion de Jésus-Christ, la lecture de bons livres, la fuite des mondains. Si vous en agissez ainsi, vous verrez des prodiges. Et puisque la pauvreté dont nous avons fait vœu nous empêche de vous procurer du secours, soyez sûrs que vous l’obtiendrez directement du bon Dieu. Je suis charmé que le frère Joseph se porte bien. Heureux s’il continue ! Il chantera à jamais les divines miséricordes. »

« J’ai adoré la volonté de Dieu, écrit-il une autre fois, dans la nouvelle que vous me donnez de la mort de notre sœur Catherine par votre lettre du premier septembre dernier. J’espère que Dieu l’a reçue dans le sein de sa divine miséricorde, d’autant plus que le Seigneur l’a prise étant bien préparée et munie des sacrements, surtout après avoir fait sa confession générale, non seulement en santé, mais encore dans sa dernière maladie. Ce sont là des signes très clairs de son salut éternel ; il ne faut point demander de révélation, pour en être assuré, parce que cela ne plaît pas à Dieu. La vérité est que la pauvreté si grande dans laquelle elle a vécu avec vous deux, et le besoin extrême pour ainsi dire qu’elle a souffert dans ses derniers jours, sont de grandes marques de sa prédestination ; vous avez donc bien sujet de vous consoler et de vous animer toujours davantage à souffrir vos peines ; après des souffrances d’un moment, la miséricorde divine vous réserve une éternité de joie. J’ai grande confiance que par les mérites infinis de la passion de Jésus-Christ et les douleurs de la sainte Vierge, tous ensemble nous chanterons à jamais les miséricordes du très Haut et que nous dirons avec le prophète : Laetati sumus pro diebus quibus nos humiliasti, annis quibus vidimus mala. » Dans une seconde lettre qu’il adressa à sa famille, le père Paul, revenant sur les sentiments exprimés dans celle du père Jean-Baptiste, leur parle en ces termes : « La pauvreté que le monde a tant en horreur, est une grande joie et une source de richesses devant Dieu. Je vous écris en toute hâte et je vous souhaite les bénédictions les plus abondantes du ciel. » Des hommes qui parlent avec tant d’affection, de zèle et d’onction des avantages de la sainte pauvreté ; des hommes qui l’ont pratiquée si fidèlement pendant toute leur vie, montrent bien qu’en se dépouillant de toutes choses, ils ont trouvé le vrai bien, seul capable de remplir l’étendue du cœur humain, parce qu’il est infiniment plus vaste que lui : major est corde nostro

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  Dans la règle

CHAPITRE XIII De la pauvreté

14 La pauvreté est l'étendard sous lequel combat toute la Congrégation. En vertu de ce vœu, il ne nous est jamais permis de posséder, à n'importe quel titre, des biens stables, excepté les fonds annexés à nos maisons pour l'usage domestique: jardin, prairie et bois, avec ce qui est nécessaire à leur culture. Que l'on ne vende jamais les produits que l'on aurait de trop. Il n'est pas permis non plus d'avoir en commun ou en particulier des revenus assurés et permanents, sinon conformément à la Constitution apostolique «Supremi Apostolatus». Il sera cependant permis à chaque religieux de se réserver le regrès à ses propres biens, pour le cas où, selon la susdite Constitution apostolique faite spécialement pour nous, il sortirait de la Congrégation et retournerait à la vie séculière. Aussi, avant l'émission des vœux simples on renoncera, pour tout le temps de leur durée, à l'usufruit de ses biens et on en fera bénéficier un parent, un allié ou toute autre personne, suivant l'inspiration de la piété ou de la charité. De par la Règle les religieux ne doivent avoir dans leurs cellules rien de singulier et n'y garder que des choses nécessaires, avec l'autorisation du Supérieur. Il n'est permis à personne, pas même aux Supérieurs, d'y tenir des comestibles ou des boissons quelconques. Les provisions de cette sorte seront conservées dans un endroit particulier fermant à clef; et c'est le Recteur, ou tout autre délégué par lui, qui subviendra aux besoins de chacun. Ordinairement nos religieux ne quêteront pas de porte en porte; mais au temps de la moisson, de la vendange, de la récolte des olives et des différents légumes, on pourra faire la collecte de ce dont on a besoin, avec la seule autorisation de nos Supérieurs dans les diocèses où nous sommes établis, avec le consentement de l'Evêque ou de l'ordinaire dans les autres. Que l'on ne fasse pas des quêtes d'une autre nature sans l'autorisation du Prévôt général ou du Provincial. L'argent offert pour la chapelle, pour la célébration de messes et à toute autre pieuse intention sera reçu par le Supérieur ou le religieux désigne par lui. On pourra le garder à la maison dans une caisse fermant à deux clefs dont l'une sera tenue par le Recteur, l’autre par le Vicaire et, en son absence, par un prêtre profès désigné à cet effet. Que le Vicaire ou son remplaçant soit toujours présent lorsque le Supérieur dépose de l'argent dans la caisse ou en retire. Les dépenses journalières seront faites par le Vicaire avec l'autorisation du Supérieur. Chaque fois il en rendra compte à celui-ci, et elles seront consignées sur un livre de comptes qui doit également porter toutes les entrées et sorties d'argent, avec la signature de l'un et de l'autre. Que le Recteur de la maison ne fasse pas de dépenses extraordinaires, qu'il ne prête pas de l'argent ni des livres de la bibliothèque sans le consentement du chapitre local. S'il arrive que quelqu'une de ces dépenses excède la somme de dix écus, l’approbation du Supérieur Majeur est nécessaire.

15 Afin que toutes les maisons de la Congrégation demeurent unies par les liens d'une mutuelle charité, tous les biens de chacune seront communs aux autres, en sorte que le Général ou le Provincial pourrait disposer, dans la limite de la prudence et des besoins, des biens d'une maison pour venir en aide à d'autres, pourvu qu'il ne s'agisse pas d'objets de grande valeur ou d'une somme d'argent qui nécessiterait, selon les Constitutions Pontificales, I'autorisation du Saint-Siège. Aussi est-il interdit à tout Supérieur local de rien aliéner, de n'importe quelle manière, sans le consentement des Supérieurs majeurs. Lorsqu'on aura pourvu toutes les maisons et les chapelles de notre Congrégation, le reste ira aux pauvres. Ceci regarde surtout les fruits du jardin, lesquels, ne pouvant être vendus, seront distribués aux indigents et aussi aux bienfaiteurs. On n'accepte jamais la charge de messes à perpétuité. Il sera permis cependant de célébrer des messes de fondation ou d'autres qui seraient offertes, et d'en percevoir des honoraires convenables. Il est loisible à tout prêtre d'offrir le divin Sacrifice une fois la semaine pour lui-même ou pour d'autres, à condition de n'en pas recevoir d'honoraires. Aux religieux qui entreprennent un long voyage, le Supérieur local peut donner une certaine somme qui leur permette de pourvoir à leurs nécessités ou à leurs besoins immédiats avec une prudente réserve et l'esprit d'économie qui convient aux pauvres. De retour à la Retraite, ils rendront compte à leur Supérieur de l'usage qu'ils en ont fait. Personne ne peut, sous aucun prétexte, se procurer une aumône particulière sans la permission du Supérieur. Si une aumône est spontanément offerte et acceptée, elle doit être employée aux besoins de la communauté. Que tous observent scrupuleusement ce point obligatoire et en informent à l'occasion les donateurs, afin qu'il ne se produise aucune déception, aucune méprise, mais que dans tous les détails de leur conduite apparaissent l'amour et le culte sincère de la pauvreté religieuse. S'il arrivait à un religieux d'enfreindre cette prescription, qu'il soit puni sitôt découvert, en proportion de la gravité de sa faute, et qu'on distribue aux pauvres ce qu'il aura reçu. On ne peut en douter, tant que l'amour et le culte de la pauvreté volontaire resteront intacts, l'esprit de la perfection religieuse régnera dans la Congrégation; s'ils disparaissent, une folle cupidité mettrait partout le trouble et on verrait s'évanouir la vigueur et le zèle de la discipline religieuse.

CHAPITRE XIV De la pauvreté à observer dans les églises et les maisons de la Congrégation

16 Nos églises, bâties sans frais considérables, seront tenues dans une parfaite propreté, et ornées d'une manière religieuse, sans rien de somptueux, rien qui sente la vanité, rien d'extraordinaire qui distrairait la piété. Les objets et les ornements sacrés doivent être propres, convenables, bien rangés et, autant que le permettra notre condition, dignes des divins mystères et du saint Sacrifice. On n'y défend pas cependant l'or, I'argent, ni d'autres ornements précieux qui donneraient plus de convenance et de majesté au culte divin. Les cellules de la Retraite seront petites et modestes, ornées de quelques pieuses images que ne distingue ni le travail ni la matière, pourvues de deux ou trois chaises pauvres et d'une petite table de bois. Le lit, de la longueur voulue, ne dépassera pas les cinq palmes en largeur; les planches, en bois comme leurs supports, s'élèveront du parquet d'une palme environ; la paillasse et l'oreiller seront garnis de paille; et les couvertures, proportionnées aux besoins de la saison, seront conformes à la pauvreté. Les infirmeries seront spacieuses et en rapport avec le nombre des malades, bien situées, d'aspect agréable et commodément aménagées. Que le réfectoire soit pauvre; les tables et les sièges, sans sculptures et de matière commune; les nappes et les serviettes, en toile ordinaire, mais bien convenables et propres; toute la vaisselle, conforme à la pauvreté; les-cuillères et les fourchettes, en bois ou en os. A la cuisine tout doit se préparer avec charité et propreté, pour que la nourriture ne provoque ni dégoût, ni dérangements d'estomac. Outre la dépense où l'on conserve toutes les provisions de bouche, il y aura une chambre particulière pour les vêtements des religieux et divers effets de la communauté Dans la bibliothèque on tiendra, pour l'usage commun des religieux, des plumes, du papier, de l'encre, des ciseaux, un canif, des pains à cacheter. Le Recteur pourra permettre à chacun d'avoir dans sa cellule ces divers objets et d'autres nécessaires, ainsi que les livres qui seraient utiles et parfois même indispensables; mais il sera plus méritoire et plus parfait si les religieux, toutes les fois qu'ils auront besoin de quelque chose, le demandent comme une aumône et à genoux à leur Supérieur. En toute circonstance, en effet, ils doivent avoir uniquement en vue de se montrer pauvres de coeur et de fait, en véritables imitateurs de Jésus-Christ. Et afin d'y parvenir heureusement, il leur sera souverainement utile d'avoir sans cesse devant les yeux les exemples de notre Sauveur, qui pour nous a daigné naître pauvre, vivre en indigent et mourir nu sur la Croix.

 Dans constitutions

9 10 Le Christ nous a manifesté son amour en se faisant pauvre pour nous (2Co 8,9).En réponse à cet amour, nous entendons vivre une authentique pauvreté évangélique? en cherchant, individuellement et communautairement, à la faire entrer dans notre manière de vivre par une attitude de sincère détachement et de bon usage des biens de la terre.Nous savons bien que cela peut nous conduire à l'insécurité et parfois au manque du nécessaire, mais nous nous confions totalement à Dieu et au soutien de sa grâce, acceptant chaque jour comme un don du Père (Mt 6,34) sans nous préoccuper d'accumuler des richesses pour le lendemain (Mt 6,19).

Cet esprit de pauvreté, fruit de la grâce du Christ en nous, nous rend davantage disponibles au service de tous.

12 11. A l'exemple de la première communauté chrétienne qui n'avait qu'un seul coeur, une seule âme, et mettait tout en commun (Ac 4,32) nous ne considérons pas comme nôtres les biens que nous avons. Nous choisissons de vivre ensemble, partageant toutes choses en une vie simple et modeste. Nous renonçons à disposer librement de nos biens, et nous nous mettons tout entiers, talents, travail, réalisations, au service de la communauté et de sa mission. Aussi bien individuellement que collectivement, nous devons éviter ce qui ne correspond pas à un réel besoin de notre vie et de notre apostolat. Nous cherchons à partager ce que nous possédons avec d'autres communautés de la Congrégation et de l'Église et avec les pauvres.Volontairement soumis à la loi commune du travail, chacun de nous participe à la vie quotidienne de tous selon ses propres capacités (2Th 3,10-12).

13 12. Tout ce que nos religieux acquièrent par leur travail ou pour la Congrégation, de même que les dons des bienfaiteurs à quelque titre que ce soit, les gratifications et pensions personnelles accordées ou perçues après la Profession, tout cela revient à la Congrégation. Mais les biens hérités des parents ou des proches échoient en propriété aux religieux euxmêmes.

14 13. Dans un monde où l'injuste distribution des richesses est une des principales sources de division, de haine et de souffrances, nous souhaitons que notre pauvreté soit témoignage de la vraie valeur des biens de ce monde et de leur destination. Autant que possible, nous voulons partager notre vie et nous servir de nos biens pour le soulagement de la souffrance et la promotion de la justice et de la paix entre les hommes (2Co

9,7-9).La Congrégation, les Provinces, les Communautés locales et chaque religieux personnellement doivent se demander ce qu'ils peuvent faire pour satisfaire à de telles exigences. Nous manifesterons ainsi notre solidarité avec les pauvres.

15 14. Dans cet esprit de pauvreté, nous renonçons par vœu à la libre disposition de nos biens personnels.Pour accomplir ce que requiert une pauvreté effective et manifeste, nous promettons aussi, en vertu de ce vœu, de dépendre de l'autorité compétente dans l'usage et la disposition des biens temporels.

Participant de la sorte à la pauvreté du Christ qui a tout donné pour nous, même sa vie (Mc 10,45), nous nous efforçons de réaliser fidèlement la parole de notre fondateur: «La pauvreté est l'étendard sous lequel milite toute la Congrégation» (RetC p. 42-43).

16 15. Les religieux de voeux perpétuels peuvent renoncer totalement à la propriété de leurs biens personnels, selon les normes opportunes de l'Autorité Provinciale et avec l'autorisation du Supérieur Général. (Const. n. 10 15)

Date de dernière mise à jour : 2015-11-24