Vénérable Anne-Madeleine Rémuzat
Sœur Anne-Madeleine Rémuzat est née à Marseille le 29 novembre 1696. Elle manifeste très tôt le désir de devenir religieuse et vit dans l’intimité du Christ. Un jour en 1708, Jésus lui demande : « Je veux que tu me sois fidèle », un peu plus tard : « C’est toi que je choisis pour ma victime. » Il lui apparaît souvent, lui parle et pourtant, elle éprouvera toujours la nuit spirituelle. Elle se met sous la direction d’un Jésuite le P. Milley qui la fait triompher de ses peines intérieures par le goût du service des pauvres. A leur contact, sa vocation religieuse s’affermit.
Le 2 octobre 1711, elle entre au postulat du Premier Monastère de la Visitation de Marseille. Mgr de Belsunce, son directeur et évêque de Marseille reçoit ses Vœux, le 17 octobre 1713 anniversaire de la mort de sainte Marguerite-Marie, Jésus lui révèle alors qu’il lui appartient de continuer sa mission pour la gloire de son Cœur. Apôtre et victime, elle est aussi médiatrice pour la conversion des pécheurs. Beaucoup de personnes la consultent au parloir ou par courrier, il ne lui reste plus que les nuits pour prier.
En 1716, Mgr de Belsunce fait célébrer solennellement la première Messe du Sacré-Cœur à Marseille, au cours de la cérémonie Sœur Anne-Madeleine a une vision de la Très Sainte Trinité, après cette extase elle se trouve comme une créature nouvelle. Peu après elle reçoit l’inspiration de fonder l’Archiconfrérie de l’Adoration perpétuelle du Sacré-Cœur de Jésus comme il en existait déjà dans certaines Visitations. Mgr de Belsunce lui demande d’en rédiger les statuts. Les adhésions se comptent par dizaines de milliers et nombreux sont les Monastères de la Visitation qui font ériger cette Association dans leurs églises.
Malgré l’énergie déployée par Mgr de Belsunce, immoralité et Jansénisme se répandent. Un jour de Carême 1718, Sœur Anne-Madeleine reçoit la connaissance d’un miracle qui se produit dans l’église des Cordeliers : le visage du Christ se fait voir dans le Saint-Sacrement exposé, le Seigneur lui dit d’annoncer à Mgr de Belsunce que, si Marseille ne s’amende pas, un terrible fléau s’abattra sur la ville. L’évêque appelle à la pénitence, mais en juillet 1720, la peste se déclare. En octobre, Jésus demande une Fête solennelle en l’honneur de son Cœur et la consécration de chaque fidèle. Aussitôt, le saint Evêque établit cette Fête et le 1er novembre consacre, les premiers au monde, Marseille et le diocèse au Sacré-Cœur. La peste semble disparaître, mais revient en 1722, ce n’est qu’après le vœu des Échevins de participer à cette Fête que le fléau disparaîtra.
En 1724, Sœur Anne-Madeleine est stigmatisée, les marques sont invisibles mais les douleurs extrêmes. Elle prie et souffre dans son corps et dans son âme pour les pécheurs. En mai 1728, Elle est nommée économe, tâche qu’elle accomplit parfaitement le coeur toujours en prière.
Soeur Anne-Madeleine avait annoncé : « Je mourrai à 33 ans. » Elle tombe gravement malade et meurt le 15 février 1730. Mgr de Belsunce procède à l’inhumation au milieu du peuple de Marseille qui se presse autour de « La Sainte ». De nombreux miracles lui ont été attribués.
Anne-Madeleine Rémuzat a succédé à Sainte Marguerite-Marie comme apôtre du Sacré-Cœur. L’Église l’a déclarée Vénérable, sa cause de béatification a été introduite en 1891, reprise en 1921, sans résultat. Le 9 avril 2009, Mgr Pontier, archevêque de Marseille a nommé Mgr Ellul, recteur de la Basilique du Sacré-Cœur, Postulateur de la cause de canonisation.
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«Madeleine, soyez sage ! Ne courez pas ainsi ! » C’est l’appel répété d’une maman, au sortir de l’église des Accoules à Marseille, en ce début du xviiie siècle. La fillette remuante, qui s’était tenue tranquille durant toute la Messe, revient alors essoufflée. Certes, la mère parvient généralement à tenir son enfant à peu près tranquille, mais elle se demande souvent comment calmer cette petite Madeleine au caractère vif et impétueux, qui n’écoute personne, ne se fixe à rien, va et vient sans répit. En définitive, ce sera l’amour brûlant de Jésus qui parviendra à fixer pleinement en Lui celle qui se fera l’ardente propagatrice du culte rendu à son divin Cœur.
Le père de Madeleine, Hyacinte Rémuzat, appartient à la haute bourgeoisie marseillaise. Il s’adonne au commerce maritime. Son épouse Anne, née Coustan, est également issue d’une vieille famille provençale pétrie de sentiments d’honneur et de probité, dont le principal titre de noblesse est son caractère profondément chrétien. Septième de leurs douze enfants, Madeleine reçoit le Baptême le 29 novembre 1696, jour même de sa naissance. Dès que l’enfant commence à parler, on lui apprend à prononcer les noms de Jésus et de Marie. La mère s’adapte au caractère de chacun des siens, punissant au besoin, sans raideur mais sans faiblesse. Madeleine, pourtant, donne du fil à retordre. Sa famille l’aime beaucoup, mais la petite fille se dérobe à toute manifestation de tendresse ; de plus, elle cherche spontanément à contourner les interdictions. Seule, sa mère parvient à lui parler au cœur, et quand elle lui a dit “non”, la fillette n’insiste plus. Au fil des années, on observe de façon inattendue un changement dans le comportement de Madeleine. Elle se surveille de plus en plus, évitant de mal faire. « Je veux devenir religieuse ! », explique-t-elle un jour. Ses frères et sœurs lui rétorquent : « Toi ? si vive et capricieuse ! » Mais pour lui faire plaisir, ses parents lui promettent de la confier bientôt aux religieuses visitandines afin de parfaire son éducation.
Tomber, pleurer, se relever
Vers l’âge de neuf ans, Madeleine entre donc en pension au monastère de la Visitation des “Petites-Maries”. Elle revêt avec joie le petit habit réservé aux pensionnaires et affirme avec assurance que Dieu l’appelle à la vie religieuse. Mais bientôt, en dépit de sa bonne volonté et de son attrait pour cette vie qu’elle a choisie, son naturel remuant refait surface. Elle tombe même dans une faute qu’elle racontera, plus tard, aux novices qui lui seront confiées : « Avez-vous rangé vos affaires de broderie ? demande un jour une sœur aux élèves. – Oui, ma sœur ! – Et toi Madeleine ? » La réponse donnée d’une voix mal assurée ne convainc pas la religieuse. « Tu n’as rien pris qui ne soit à toi ? Qu’as-tu dans ton tablier ? – Mais rien ! – Comment rien ? Et ça ? Ce ne sont pas des pelotes de soie ? Regrette ta faute et avoue sans mentir ! Ce n’est pas bien de mentir, tu le sais. » La cloche sonne alors et Madeleine se dirige vers le réfectoire. En chemin, elle perçoit la malice de son attitude et se rend à l’église pour donner libre cours à ses larmes. Là, Jésus lui apparaît chargé de sa Croix et, l’enveloppant d’un regard de tristesse et de miséricordieuse bonté, Il lui dit : « C’est vous, ma fille, qui m’avez mis dans cet état ! » La paix revient alors dans son âme. Elle va demander pardon à la maîtresse pour son larcin et son mensonge, promettant de ne plus recommencer. Cette faiblesse devient pour elle l’occasion d’un nouveau départ. Dès cette époque, elle médite de préférence la Passion de Jésus. Pour Lui prouver son amour, elle s’efforce de dépasser ses répugnances, comme d’aller vers une de ses compagnes qu’elle négligeait auparavant, de vaincre sa peur des insectes, ou celle de l’obscurité en allant, le soir, éteindre une bougie dans une classe qui lui est confiée.
À l’approche de sa première Communion, on la voit souvent en pleurs ; lors de la retraite préparatoire, une religieuse l’interroge. « J’aurai bientôt le bonheur de recevoir mon Dieu, lui répond Madeleine. Je ne puis y penser sans verser des torrents de larmes. » Éprouvant fréquemment une mystérieuse douleur intérieure, elle interroge le Seigneur dans la prière. Le 2 juillet 1708, alors fête de la Visitation de Notre-Dame, Madeleine entend distinctement, après la Communion, une voix intérieure : « Je veux que tu me sois fidèle ! » Le visage de Jésus qui la regarde lui apparaît longuement. Le Seigneur lui dit : « Je cherche une victime. » Pour chasser cette vision, elle ferme les yeux, mais Jésus est toujours là ! Il finit par lui préciser : « C’est toi, ma fille, que je choisis pour être ma victime ! » Jésus, en effet, choisit certaines personnes et leur demande de partager avec Lui, comme victimes, moyennant le secours de grâces proportionnées, les souffrances à travers lesquelles Il a opéré la Rédemption. Lui-même est en effet victime, comme l’affirme saint Jean : Voici à quoi se reconnaît l’amour : ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est lui qui nous a aimés, et il a envoyé son Fils qui est la victime offerte pour nos péchés (1 Jn 4, 10).
« C’est bien Jésus ! »
Les visites du Seigneur à Madeleine se font de plus en plus fréquentes. Mais, vers la fin de l’année 1708, elle traverse une période de sevrage spirituel : tout sentiment lui est enlevé dans la prière. Le diable lui suggère alors que l’union au Christ qu’elle a vécue n’était qu’illusion, fruit de sa vanité : rien de tout cela ne vient de Dieu ! Troublée, Madeleine se confie à sa maîtresse, qui, après l’avoir écoutée, lui montre que ces doutes viennent du mauvais esprit ; il faut les rejeter dès qu’ils se présentent. « Croyez-moi, lui déclare-t-elle, c’est bien Jésus qui vous parle, c’est bien Lui qui vous a appelée. » Madeleine demande alors de pouvoir recourir habituellement à un Père jésuite dont on lui a parlé. Devant le refus de la supérieure, elle décide, en ce mois de janvier 1709, de rentrer chez ses parents. L’évêque lui-même, Mgr de Belsunce, pourvoit alors à sa direction spirituelle en l’adressant au Père Milley, jésuite. Elle établit un programme de vie comprenant la sainte Messe, des temps de prière, mais aussi des visites aux malades et l’aide aux plus pauvres. Deux années s’écoulent. Belle et douée, la jeune fille est plusieurs fois demandée en mariage ; elle refuse constamment, malgré l’insistance de ses parents. Âgée de quinze ans, et décidée à entrer au monastère de la Visitation des “Grandes-Maries”, elle sollicite et obtient l’accord de l’évêque. Le 2 octobre 1711 au matin, sans prévenir personne, elle entre au couvent. Ses parents, furieux, viennent pour la reprendre. Mais la postulante plaide si calmement sa cause que, non sans douleur, ils finissent par donner leur consentement.
La nouvelle recrue édifie d’emblée les religieuses, tant par son observance que par ses vertus et qualités de cœur. Lors de sa vêture monastique, elle ajoute à son prénom celui d’Anne, porté par sa mère et l’une de ses sœurs. Bientôt, elle est nommée assistante du noviciat. Pourtant sa santé donnant des signes de défaillance, la Mère supérieure lui interdit le jeûne et l’abstinence. « En voilà une qui mange les bons morceaux, s’exclame alors une novice, pendant que les autres font carême ! » Sœur Anne-Madeleine ne répond rien. « Pourquoi n’avez-vous rien dit ? lui demande une religieuse plus ancienne. – Parce que je sais qu’on a toujours raison de me blâmer et que je ne puis rien faire de mieux que de me taire, en continuant d’obéir. » Sœur Anne-Madeleine reçoit aussi la mission d’accueillir les personnes qui demandent à rencontrer des religieuses pour des conseils spirituels. Elle les écoute inlassablement et les oriente vers la réception du sacrement de Pénitence. En janvier 1713, elle prononce ses vœux. Mgr de Belsunce lui remet le nouveau voile : « Ceci sera un voile sur vos yeux contre tous les regards des hommes, et un signe sacré, afin que vous ne receviez jamais aucun autre signe d’amour que celui de Jésus-Christ. »
Un trouble profond
À cette époque, l’erreur janséniste est propagée en France par un parti influent qui trouble la vie de l’Église et de la société. Selon cette doctrine, le Christ n’aurait pas versé son Sang pour tous les hommes, mais seulement pour une petite partie d’entre eux ; quant aux autres, l’accès aux fruits de la Rédemption leur serait à jamais fermé, quoi qu’ils fassent. D’autre part, pour l’accès à la Communion eucharistique, les jansénistes ne demandent pas seulement la conscience d’être en état de grâce (cf. Catéchisme de l’Église Catholique, CEC, n° 1415), mais aussi une disposition de pur amour de Dieu, sans aucun mélange de défauts. Ce rigorisme éloigne les fidèles de la sainte Communion. Le 8 septembre 1713, le Pape Clément XI condamne les erreurs jansénistes par la bulle Unigenitus Dei Filius. En France, ce texte rencontre de grandes résistances. La situation politique et religieuse devient extrêmement tendue.
De nos jours, des erreurs opposées sont souvent professées. Certes, on reçoit bien la vérité enseignée par l’Église, selon laquelle le Christ a offert sa vie pour tous les hommes sans exception, mais on en déduit que “tout le monde va au Royaume”, quelle que soit la manière de vivre. Or, selon la remarque de saint Augustin (citée par CEC, n° 1847), « Dieu, qui nous a créés sans nous, n’a pas voulu nous sauver sans nous ». La foi et les bonnes œuvres sont nécessaires au salut éternel. La foi, puisque Notre-Seigneur affirme la nécessité de croire à sa Parole pour être sauvé : Qui croira et sera baptisé sera sauvé, qui ne croira pas sera condamné (Mc 16, 16) ; les œuvres, car, au jeune homme riche qui pose la question : Que dois-je faire de bon pour avoir la vie éternelle, Jésus répond : Si tu veux entrer dans la vie, observe les commandements (Mt 19, 16-17). D’ailleurs, ce n’est pas en disant “Seigneur, Seigneur” que l’on entrera dans le Royaume des cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est dans les cieux (Mt 7, 21).
Mais le ministère d’écoute et d’accompagnement lui pesant de plus en plus, sœur Anne-Madeleine obtient d’en être déchargée. Elle donne alors plus de temps à Jésus dans l’adoration du Saint-Sacrement, pour consoler son Cœur. Malgré les apparences extérieures, elle souffre beaucoup dans son âme. « Quelque sévère que Dieu se montre à mon égard, confie-t-elle à sa supérieure, je ne me lasserai pas de compter sur Lui. Il me suffit de savoir qu’Il est infiniment aimable, pour que je fasse tous mes efforts pour L’aimer. C’est Lui que je cherche, et non ses récompenses… Je souffre volontiers, parce qu’Il le veut, et je sacrifie avec plaisir ma satisfaction à l’accomplissement de sa volonté. »
Dans sa lutte contre le jansénisme, Mgr de Belsunce rencontre l’opposition de certains prêtres mais aussi du parlement d’Aix-en-Provence. Consciente des dons que sœur Anne-Madeleine a reçus de Dieu, la supérieure lui demande de reprendre le ministère auprès de ceux qui viennent la consulter. Face à l’orgueil qui pousse les jansénistes à s’élever contre l’Église et contre le Pape, l’humble sœur enseigne à se tenir chacun à sa place de créature entre les mains de Dieu : « Soyons ce que nous sommes, et soyons-le bien, pour faire honneur au Maître ouvrier dont nous sommes la besogne… Soyons ce que Dieu veut, pourvu que nous soyons siens, et ne soyons pas ce que nous voulons contre son intention. » Touchée par les malheurs de l’Église, elle joint à la parole prière et sacrifices. Grâce à elle, beaucoup de personnes passent de la tiédeur et de l’indifférence à l’égard des autres, à une vie accordée à l’Évangile et à l’enseignement de l’Église.
Ce Cœur qui a tant aimé
En 1716, lors de sa retraite annuelle, sœur Anne-Madeleine reçoit du Seigneur une grâce mystique extraordinaire qui l’unit plus intimement à la Sainte Trinité. Une quarantaine d’années auparavant, Jésus avait révélé à une autre visitandine, sainte Marguerite-Marie Alacoque, combien il désire être honoré en son Cœur, qui a tant aimé les hommes. Cette dévotion, honnie par les jansénistes, s’était répandue dans de nombreux couvents de la Visitation, dont ceux de Marseille. Jésus inspire maintenant à sœur Anne-Madeleine de continuer l’œuvre commencée à Paray-le-Monial en fondant une association dédiée à son Sacré-Cœur et ayant pour but « d’abord de Le remercier pour l’amour et les sentiments de tendresse qu’il a actuellement pour nous dans l’adorable Eucharistie, puis de réparer autant qu’il est en notre pouvoir, les indignités et les outrages auxquels l’amour l’a exposé, durant tout le cours de sa vie mortelle, et auxquels le même amour l’expose encore tous les jours sur nos autels ». Le moyen principal consiste dans l’adoration du Saint-Sacrement au tabernacle de jour comme de nuit. La Mère supérieure approuve ce projet, et recommande à la sœur de s’adresser à Mgr de Belsunce, qui, non content d’accorder toutes les autorisations nécessaires, veut être le premier inscrit dans la nouvelle association. « La vue principale que j’ai eue, écrit sœur Anne-Madeleine, a été de procurer au Cœur Sacré de notre bon Maître des âmes qui puissent le dédommager de l’ingratitude qu’il trouve dans la plupart des cœurs qui lui sont consacrés, aux injures desquelles il est plus sensible… Il se plaint par son prophète, que personne ne vienne le consoler, dans la douleur que lui causent ceux qui l’abandonnent, et que personne ne se présente pour s’affliger avec lui (cf. Ps 68, 21). Mais désormais il en trouvera qui entendront ses plaintes et qui partageront son affliction. » L’approbation de Rome arrive en août 1717, et les adorateurs ne tardent pas à s’inscrire nombreux dans cette nouvelle confrérie. Toutefois, la visitandine désire ardemment que le Sacré-Cœur soit honoré dans l’Église universelle.
En février 1718, plus de soixante personnes réunies dans l’église des Cordeliers pour l’adoration eucharistique constatent l’apparition, sur l’Hostie, de la figure de Notre-Seigneur. Ce prodige dure plus d’une demi-heure. Dieu fait connaître à sœur Anne-Madeleine que si la ville de Marseille n’a pas recours à la pénitence, Il devra appesantir son bras sur elle (car, comme toute la France de l’époque, Marseille connaît un profond relâchement des mœurs). En mai 1720, entre dans le port de Marseille un navire en provenance du Levant, porteur de la peste. En juillet, l’épidémie commence ses ravages. Le monastère des Grandes-Maries est épargné. Début août, un cordon sanitaire est établi autour de Marseille. Dans cette ville de 90 000 habitants, l’épidémie fera 40 000 victimes, parmi lesquelles le Père Milley, directeur spirituel de sœur Anne-Madeleine. Mgr de Belsunce parcourt les rues avec quelques prêtres pour administrer les sacrements. « Ayant reçu ordre de ma supérieure, rapporte sœur Anne-Madeleine, de demander à Dieu qu’il me fît connaître par quel moyen il voulait qu’on honorât son Sacré-Cœur, pour obtenir la cessation du fléau qui afflige cette ville…, j’ai compris qu’il demandait une fête solennelle pour honorer son Sacré-Cœur. »
La première consécration publique
L’évêque de Marseille institue donc cette fête dans son diocèse, et prévoit une cérémonie publique pour le 1er novembre, en vue de consacrer la ville et le diocèse au Sacré-Cœur. Ce jour-là, le mistral souffle si fort qu’il semble impossible de procéder à la procession. L’évêque ne perd pourtant pas confiance. À huit heures, toutes les cloches de la ville sonnent ensemble. Le vent cesse brusquement. Accompagné de son clergé, le prélat prend la tête de la procession, pieds nus et tête couverte. La population oublie sa peur de la contagion, et la place où se trouve dressé un autel est remplie de monde. Plusieurs cependant murmurent : une telle témérité est catastrophique et Marseille sera redevable de sa perte à son évêque. Celui-ci n’en exhorte pas moins longtemps le peuple, et consacre au Cœur de Jésus la ville et le diocèse. C’est la première consécration publique au Sacré-Cœur dans l’histoire. Puis, le prélat célèbre la Messe, et donne lui-même la Communion à tous ceux qui se présentent, malades et bien portants. Dès la fin de la Messe, le mistral reprend avec violence. Dès lors, le mal diminue peu à peu, mais la vie insouciante reprend son cours. En 1722, des hosties consacrées ayant été volées et profanées, la peste réapparaît. Malgré le fléau, Mgr de Belsunce ordonne de maintenir les processions de la Fête-Dieu et du Sacré-Cœur. Sur ses instances, les échevins (le conseil municipal) finissent par consentir à y participer en corps. Au mois de septembre, le mal aura définitivement cessé.
De nos jours encore, chaque année, à l’occasion de la fête de Sacré-Cœur, la Messe des échevins est célébrée dans la basilique du Sacré-Cœur de Marseille, et la consécration de la ville et du diocèse au Cœur de Jésus est renouvelée.
En outre, Benoît XVI rappelait, le 25 juin 2006, qu’il est traditionnel de consacrer les familles au Sacré-Cœur, par l’exposition d’une de ses images dans les maisons. « Les racines de cette dévotion plongent dans le mystère de l’Incarnation ; c’est précisément à travers le Cœur de Jésus que s’est manifesté de manière sublime l’Amour de Dieu envers l’humanité. C’est pourquoi le culte authentique du Sacré-Cœur conserve toute sa validité et attire en particulier les âmes assoiffées de la miséricorde de Dieu, qui y trouvent la source intarissable à laquelle puiser l’eau de la Vie, capable d’irriguer les déserts de l’âme et de faire refleurir l’espérance. »
« Mon occupation, c’est Dieu ! »
Au cours de sa retraite de 1723, sœur Anne-Madeleine reçoit une grâce mystique qui la dispose à passer les six dernières années de sa vie en union spéciale à la Passion de Jésus, notamment par des stigmates, qui demeurent toutefois invisibles. En 1728, sa supérieure la nomme économe et conseillère. « On espère que Dieu fera des miracles, commente sœur Anne-Madeleine, et que je trouverai de la santé, dans ce qui devrait naturellement me détruire… Mais mon occupation intérieure est toujours la même. Elle semble même se fortifier, dans la dissipation inséparable d’un pareil emploi… Ma lumière, mon occupation, ma vie, c’est Dieu… L’esprit de Dieu m’avertit à propos de tous mes devoirs, et me les fait remplir avec une étendue de perfection qui ôte tout sujet de crainte. » De fait, dans le monastère et au-dehors, on admire la précision, la netteté d’esprit, jointes à l’ampleur de vue et à l’intelligence de la jeune économe, quelles que soient les affaires qu’elle traite.
Les visitandines du monastère de Castellane, en Haute-Provence, entraînées par leur évêque dans l’erreur janséniste, sont dispersées dans d’autres communautés. Plusieurs sont accueillies à Marseille, et sœur Anne-Madeleine est chargée de l’une d’elles. Ces religieuses reconnaîtront peu à peu leur erreur, et rentreront dans leur maison d’origine avec une nouvelle ferveur. Sœur Rémuzat ne verra pas ici-bas l’heureuse conclusion de cette affaire car ses forces déclinent. Elle se maintient cependant dans un parfait abandon : « Je n’ai nulle sorte de désirs, écrit-elle, ni pour la vie, ni pour la mort… Il me tarde de voir arriver le moment de la consommation, mais c’est sans inquiétude, et s’il fallait languir encore cinquante ans, je dirais : Amen ! » Sa mission est toutefois accomplie : la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus s’est considérablement propagée. Suivant l’exemple donné à Marseille, d’autres diocèses se sont voués à ce Cœur miséricordieux. « Cette dévotion, affirme sœur Anne-Madeleine, prendra bientôt de plus grands accroissements, mais je ne le verrai pas ! » La fête liturgique du Sacré-Cœur sera autorisée par le Saint-Siège en 1765.
Vers la fin du mois de janvier 1730, sœur Anne-Madeleine est subitement prise d’un crachement de sang qui l’oblige à s’aliter. Le 14 février, un prêtre vient entendre sa confession. La nuit suivante, elle se sent mourir et on appelle l’aumônier. Tandis qu’il présente le Viatique, elle s’écrie : « Il est donc vrai que c’est ici le moment heureux où je vais m’abîmer dans le Sacré-Cœur de Jésus ?… Je ne suis qu’une pécheresse, mais j’espère qu’il me fera miséricorde. Réjouissez-vous, mes chères sœurs, de mon bonheur ! » Peu après, elle sollicite comme une dernière grâce de sa supérieure qu’on récite les litanies du Cœur de Jésus aussitôt après sa mort. Il est cinq heures du matin, le 15 février 1730, quand elle rend son âme à Dieu. Le procès de sa béatification, terminé à Marseille en 2015, se poursuit à Rome.
En répondant pleinement à sa vocation, sœur Anne-Madeleine s’est faite l’écho de l’appel pressant du Cœur de Jésus à l’amour, afin que nous aussi reconnaissions sa souveraineté dans nos vies, nos foyers et nos sociétés, et qu’en toutes choses, Il tienne la première place (Col 1, 18-20).
Dom Antoine Marie osb
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Date de dernière mise à jour : 2017-03-02
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