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Passioniste de Polynésie

Sainte Thérèse Bénédicte de la CROIX

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 (Edith Stein)  Carmélite déchaussée, martyre (1891-1942)
Copatronne de l'Europe 

       « Inclinons-nous profondément devant ce témoignage de vie et de mort livré par Edith Stein, cette remarquable fille d'Israël, qui fut en même temps fille du Carmel et sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, une personnalité qui réunit pathétiquement, au cours de sa vie si riche, les drames de notre siècle. Elle est la synthèse d'une histoire affligée de blessures profondes et encore douloureuses, pour la guérison desquelles s'engagent, aujourd'hui encore, des hommes et des femmes conscients de leurs responsabilités ; elle est en même temps la synthèse de la pleine vérité sur les hommes, par son cœur qui resta si longtemps inquiet et insatisfait, " jusqu'à ce qu'enfin il trouvât le repos dans le Seigneur " ».

        Ces paroles furent prononcées par le Pape Jean-Paul II à l'occasion de la béatification d'Édith Stein à Cologne, le 1er mai 1987. Qui fut cette femme ? Quand, le 12 octobre 1891, Édith Stein naquit à Wroclaw (à l'époque Breslau), la dernière de onze enfants, sa famille fêtait le Yom Kippour, la plus grande fête juive, le jour de l'expiation. « Plus que toute autre chose cela a contribué à rendre particulièrement chère à la mère sa plus jeune fille ». Cette date de naissance fut pour la carmélite presque une prédiction. Son père, commerçant en bois, mourut quand Édith n'avait pas encore trois ans. Sa mère, femme très religieuse, active et volontaire, personne vraiment admirable, restée seule, devait vaquer aux soins de sa famille et diriger sa grande entreprise ; cependant elle ne réussit pas à maintenir chez ses enfants une foi vivante. Édith perdit la foi en Dieu ; « En pleine conscience et dans un choix libre je cessai de prier ». Elle obtint brillamment son diplôme de fin d'études secondaires en 1911 et commença des cours d'allemand et d'histoire à l'Université de Wroclaw, plus pour assurer sa subsistance à l'avenir que par passion. La philosophie était en réalité son véritable intérêt. Elle s'intéressait également beaucoup aux questions concernant les femmes. Elle entra dans l'organisation « Association Prussienne pour le Droit des Femmes au Vote ». Plus tard elle écrira : « Jeune étudiante, je fus une féministe radicale. Puis cette question perdit tout intérêt pour moi. Maintenant je suis à la recherche de solutions purement objectives ».

        En 1913, l'étudiante Édith Stein se rendit à Göttingen pour fréquenter les cours d'Edmund Husserl à l'université ; elle devint son disciple et son assistante et elle passa aussi avec lui sa thèse. À l'époque Edmund Husserl fascinait le public avec son nouveau concept de vérité : le monde perçu existait non seulement à la manière kantienne de la perception subjective. Ses disciples comprenaient sa philosophie comme un retour vers le concret. « Retour à l'objectivisme ». La phénoménologie conduisit plusieurs de ses étudiants et étudiantes à la foi chrétienne, sans qu'il en ait eu l'intention. À Göttingen, Édith Stein rencontra aussi le philosophe Max Scheler. Cette rencontre attira son attention sur le catholicisme. Cependant elle n'oublia pas l'étude qui devait lui procurer du pain dans l'avenir.

        En janvier 1915, elle réussit avec distinction son examen d'État. Elle ne commença pas cependant sa période de formation professionnelle. Alors qu'éclatait la première guerre mondiale, elle écrivit : « Maintenant je n'ai plus de vie propre ». Elle fréquenta un cours d'infirmière et travailla dans un hôpital militaire autrichien. Pour elle ce furent des temps difficiles. Elle soigna les malades du service des maladies infectieuses, travailla en salle opératoire, vit mourir des hommes dans la fleur de l'âge. À la fermeture de l'hôpital militaire en 1916, elle suivit Husserl à Fribourg-en-Brisgau, elle y obtint en 1917 sa thèse « summa cum laudae » dont le titre était : « Sur le problème de l'empathie ».

        Il arriva qu'un jour elle put observer comment une femme du peuple, avec son panier à provisions, entra dans la cathédrale de Francfort et s'arrêta pour une brève prière. « Ce fut pour moi quelque chose de complètement nouveau. Dans les synagogues et les églises protestantes que j'ai fréquentées, les croyants se rendent à des offices. En cette circonstance cependant, une personne entre dans une église déserte, comme si elle se rendait à un colloque intime. Je n'ai jamais pu oublier ce qui est arrivé ». Dans les dernières pages de sa thèse elle écrit : « Il y a eu des individus qui, suite à un changement imprévu de leur personnalité, ont cru rencontrer la miséricorde divine ». Comment est-elle arrivée à cette affirmation ? Édith Stein était liée par des liens d'amitié profonde avec l'assistant de Husserl à Göttingen, Adolph Reinach, et avec son épouse. Adolf Reinach mourut en Flandres en novembre 1917. Édith se rendit à Göttingen. Le couple Reinach s'était converti à la foi évangélique. Édith avait une certaine réticence à l'idée de rencontrer la jeune veuve. Avec beaucoup d'étonnement elle rencontra une croyante. « Ce fut ma première rencontre avec la croix et avec la force divine qu'elle transmet à ceux qui la portent [...] Ce fut le moment pendant lequel mon irréligiosité s'écroula et le Christ resplendit ». Plus tard elle écrivit : « Ce qui n'était pas dans mes plans était dans les plans de Dieu. En moi prit vie la profonde conviction que -vu du côté de Dieu- le hasard n'existe pas ; toute ma vie, jusque dans ses moindres détails, est déjà tracée selon les plans de la providence divine et, devant le regard absolument clair de Dieu, elle présente une unité parfaitement accomplie ».

        À l'automne 1918, Édith Stein cessa d'être l'assistante d'Edmund Husserl. Ceci parce qu'elle désirait travailler de manière indépendante. Pour la première fois depuis sa conversion, Édith Stein rendit visite à Husserl en 1930. Elle eut avec lui une discussion sur sa nouvelle foi à laquelle elle aurait volontiers voulu qu'il participe. Puis elle écrit de manière surprenante : « Après chaque rencontre qui me fait sentir l'impossibilité de l'influencer directement, s'avive en moi le caractère pressant de mon propre holocauste ». Édith Stein désirait obtenir l'habilitation à l'enseignement. À l'époque, c'était une chose impossible pour une femme. Husserl se prononça au moment de sa candidature : « Si la carrière universitaire était rendue accessible aux femmes, je pourrais alors la recommander chaleureusement plus que n'importe quelle autre personne pour l'admission à l'examen d'habilitation ». Plus tard on lui interdira l'habilitation à cause de ses origines juives. Édith Stein retourna à Wroclaw. Elle écrivit des articles sur la psychologie et sur d'autres disciplines humanistes. Elle lit cependant le Nouveau Testament, Kierkegaard et le livre des exercices de saint Ignace de Loyola. Elle s'aperçoit qu'on ne peut seulement lire un tel écrit, il faut le mettre en pratique. Pendant l'été 1921, elle se rendit pour quelques semaines à Bergzabern (Palatinat), dans la propriété de Madame Hedwig Conrad-Martius, une disciple de Husserl. Cette dame s'était convertie, en même temps que son époux, à la foi évangélique. Un soir, Édith trouva dans la bibliothèque l'autobiographie de Thérèse d'Avila. Elle la lut toute la nuit. « Quand je refermai le livre, je me dis : ceci est la vérité ». Considérant rétrospectivement sa propre vie, elle écrira plus tard : « Ma quête de vérité était mon unique prière ».

        Le 1er janvier 1922, Édith Stein se fit baptiser. C'était le jour de la circoncision de Jésus, de l'accueil de Jésus dans la descendance d'Abraham. Édith Stein était debout devant les fonds baptismaux, vêtue du manteau nuptial blanc de Hedwig Conrad-Martius qui fut sa marraine. « J'avais cessé de pratiquer la religion juive et je me sentis de nouveau juive seulement après mon retour à Dieu ». Maintenant elle sera toujours consciente, non seulement intellectuellement mais aussi concrètement, d'appartenir à la lignée du Christ. À la fête de la Chandeleur, qui est également un jour dont l'origine remonte à l'Ancien Testament, elle reçut la confirmation de l'évêque de Spire dans sa chapelle privée. Après sa conversion, elle se rendit tout d'abord à Wroclaw. « Maman, je suis catholique ». Les deux se mirent à pleurer. Hedwig Conrad-Martius écrivit : « Je vis deux israélites et aucune ne manque de sincérité » (cf Jn 1, 47). Immédiatement après sa conversion, Édith aspira au Carmel, mais ses interlocuteurs spirituels, le Vicaire général de Spire et le Père Erich Przywara, S.J., l'empêchèrent de faire ce pas. Jusqu'à pâques 1931 elle assura alors un enseignement en allemand et en histoire au lycée et séminaire pour enseignants du couvent dominicain de la Madeleine de Spire. Sur l'insistance de l'archiabbé Raphaël Walzer du couvent de Beuron, elle entreprend de longs voyages pour donner des conférences, surtout sur des thèmes concernant les femmes. « Pendant la période qui précède immédiatement et aussi pendant longtemps après ma conversion [... ] je croyais que mener une vie religieuse signifiait renoncer à toutes les choses terrestres et vivre seulement dans la pensée de Dieu. Progressivement cependant, je me suis rendue compte que ce monde requiert bien autre chose de nous [...] ; je crois même que plus on se sent attiré par Dieu et plus on doit « sortir de soi-même », dans le sens de se tourner vers le monde pour lui porter une raison divine de vivre ». Son programme de travail est énorme. Elle traduit les lettres et le journal de la période pré-catholique de Newman et l'œuvre « Questiones disputatae de veritate » de Thomas d'Aquin et ce dans une version très libre, par amour du dialogue avec la philosophie moderne. Le Père Erich Przywara S.J. l'encouragea à écrire aussi des œuvres philosophiques propres. Elle apprit qu'il est possible « de pratiquer la science au service de Dieu [... ]  ; c'est seulement pour une telle raison que j'ai pu me décider à commencer une série d'œuvres scientifiques ». Pour sa vie et pour son travail elle trouve toujours les forces nécessaires au couvent des bénédictins de Beuron où elle se rend pour passer les grandes fêtes de l'année liturgique. En 1931, elle termina son activité à Spire. Elle tenta de nouveau d'obtenir l'habilitation pour enseigner librement à Wroclaw et à Fribourg. En vain. À partir de ce moment, elle écrivit une œuvre sur les principaux concepts de Thomas d'Aquin : "Puissance et action". Plus tard, elle fera de cet essai son œuvre majeure en l'élaborant sous le titre « Être fini et Être éternel », et ce dans le couvent des Carmélites à Cologne. L'impression de l'œuvre ne fut pas possible pendant sa vie. En 1932, on lui donna une chaire dans une institution catholique, l'Institut de Pédagogie scientifique de Münster, où elle put développer son anthropologie. Ici elle eut la possibilité d'unir science et foi et de porter à la compréhension des autres cette union. Durant toute sa vie, elle ne veut être qu'un « instrument de Dieu ». « Qui vient à moi, je désire le conduire à Lui ».

         En 1933, les ténèbres descendent sur l'Allemagne. « J'avais déjà entendu parler des mesures sévères contres les juifs. Mais maintenant je commençai à comprendre soudainement que Dieu avait encore une fois posé lourdement sa main sur son peuple et que le destin de ce peuple était aussi mon destin ». L'article de loi sur la descendance arienne des nazis rendit impossible la continuation de son activité d'enseignante. « Si ici je ne peux continuer, en Allemagne il n'y a plus de possibilité pour moi ». « J'étais devenue une étrangère dans le monde ». L'archiabbé Walzer de Beuron ne l'empêcha plus d'entrer dans un couvent des Carmélites. Déjà au temps où elle se trouvait à Spire, elle avait fait les vœux de pauvreté, de chasteté et d'obéissance. En 1933 elle se présenta à la Mère Prieure du monastère des Carmélites de Cologne. « Ce n'est pas l'activité humaine qui peut nous aider, mais seulement la passion du Christ. J'aspire à y participer ». Encore une fois Édith Stein se rendit à Wroclaw pour prendre congé de sa mère et de sa famille. Le dernier jour qu'elle passa chez elle fut le 12 octobre, le jour de son anniversaire et en même temps celui de la fête juive des Tabernacles. Édith accompagna sa mère à la Synagogue. Pour les deux femmes ce ne fut pas une journée facile. « Pourquoi l'as-tu connu (Jésus Christ) ? Je ne veux rien dire contre Lui. Il aura été un homme bon. Mais pourquoi s'est-il fait Dieu ? » Sa mère pleure. Le lendemain matin Édith prend le train pour Cologne. « Je ne pouvais entrer dans une joie profonde. Ce que je laissais derrière moi était trop terrible. Mais j'étais très calme - dans l'intime de la volonté de Dieu ». Par la suite elle écrira chaque semaine une lettre à sa mère. Elle ne recevra pas de réponses. Sa sœur Rose lui enverra des nouvelles de la maison.

        Le 14 octobre, Édith Stein entre au monastère des Carmélites de Cologne. En 1934, le 14 avril, ce sera la cérémonie de sa prise d'habit. L'archiabbé de Beuron célébra la messe. À partir de ce moment Édith Stein portera le nom de sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix. En 1938, elle écrivit : « Sous la Croix je compris le destin du peuple de Dieu qui alors (1933) commençait à s'annoncer. Je pensais qu'il comprenait qu'il s'agissait de la Croix du Christ, qu'il devait l'accepter au nom de tous les autres peuples. Il est certain qu'aujourd'hui je comprends davantage ces choses, ce que signifie être épouse du Seigneur sous le signe de la Croix. Cependant il ne sera jamais possible de comprendre tout cela, parce que c'est un mystère ».

        Le 21 avril 1935, elle fit des vœux temporaires. Le 14 septembre 1936, au moment du renouvellement des vœux, sa mère meurt à Wroclaw. « Jusqu'au dernier moment ma mère est restée fidèle à sa religion. Mais puisque sa foi et sa grande confiance en Dieu [...] furent l'ultime chose qui demeura vivante dans son agonie, j'ai confiance qu'elle a trouvé un juge très clément et que maintenant elle est ma plus fidèle assistante, en sorte que moi aussi je puisse arriver au but ». Sur l'image de sa profession perpétuelle du 21 avril 1938, elle fit imprimer les paroles de saint Jean de la Croix auquel elle consacrera sa dernière œuvre : « Désormais ma seule tâche sera l'amour ». L'entrée d'Édith Stein au couvent du Carmel n'a pas été une fuite. « Qui entre au Carmel n'est pas perdu pour les siens, mais ils sont encore plus proches ; il en est ainsi parce que c'est notre tâche de rendre compte à Dieu pour tous ». Surtout elle rend compte à Dieu pour son peuple. « Je dois continuellement penser à la reine Esther qui a été enlevée à son peuple pour en rendre compte devant le roi. Je suis une petite et faible Esther mais le Roi qui m'a appelée est infiniment grand et miséricordieux. C'est là ma grande consolation ». (31-10-1938) Le 9 novembre 1938, la haine des nazis envers les juifs fut révélée au monde entier. Les synagogues brûlèrent. La terreur se répandit parmi les juifs. La Mère Prieure des Carmélites de Cologne fait tout son possible pour conduire sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix à l'étranger.

         Dans la nuit du 1er janvier 1938, elle traversa la frontière des Pays-Bas et fut emmenée dans le monastère des Carmélites de Echt, en Hollande. C'est dans ce lieu qu'elle écrivit son testament, le 9 juin 1939 : « Déjà maintenant j'accepte avec joie, en totale soumission et selon sa très sainte volonté, la mort que Dieu m'a destinée. Je prie le Seigneur qu'Il accepte ma vie et ma mort [...] en sorte que le Seigneur en vienne à être reconnu par les siens et que son règne se manifeste dans toute sa grandeur pour le salut de l'Allemagne et la paix dans le monde ». Déjà au monastère des Carmélites de Cologne on avait permis à Édith Stein de se consacrer à ses œuvres scientifiques. Entre autres elle écrivit dans ce lieu « De la vie d'une famille juive ». « Je désire simplement raconter ce que j'ai vécu en tant que juive ». Face à « la jeunesse qui aujourd'hui est éduquée depuis l'âge le plus tendre à haïr les juifs [...] nous, qui avons été éduqués dans la communauté juive, nous avons le devoir de rendre témoignage ». En toute hâte, Édith Stein écrira à Echt son essai sur « Jean de la Croix, le Docteur mystique de l'Église, à l'occasion du quatre centième anniversaire de sa naissance, 1542-1942 ». En 1941, elle écrivit à une religieuse avec laquelle elle avait des liens d'amitié : « Une scientia crucis (la science de la croix) peut être apprise seulement si l'on ressent tout le poids de la croix. De cela j'étais convaincue depuis le premier instant et c'est de tout cœur que j'ai dit : Ave Crux, Spes unica (je te salue Croix, notre unique espérance) ». Son essai sur Jean de la Croix porta le sous-titre : « La Science de la Croix ».

        Le 2 août 1942, la Gestapo arriva. Édith Stein se trouvait dans la chapelle, avec les autres sœurs. En moins de 5 minutes elle dut se présenter, avec sa sœur Rose qui avait été baptisée dans l'Église catholique et qui travaillait chez les Carmélites de Echt. Les dernières paroles d'Édith Stein que l'on entendit à Echt s'adressèrent à sa sœur : « Viens, nous partons pour notre peuple ». Avec de nombreux autres juifs convertis au christianisme, les deux femmes furent conduites au camp de rassemblement de Westerbork. Il s'agissait d'une vengeance contre le message de protestation des évêques catholiques des Pays-Bas contre le pogrom et les déportations de juifs. « Que les êtres humains puissent en arriver à être ainsi, je ne l'ai jamais compris et que mes sœurs et mes frères dussent tant souffrir, cela aussi je ne l'ai jamais vraiment compris [...] ; à chaque heure je prie pour eux. Est-ce que Dieu entend ma prière ? Avec certitude cependant il entend leurs pleurs ». Le professeur Jan Nota, qui lui était lié, écrira plus tard : « Pour moi elle est, dans un monde de négation de Dieu, un témoin de la présence de Dieu ». À l'aube du 7 août, un convoi de 987 juifs partit en direction d'Auschwitz.

        Ce fut le 9 août 1942, que sœur Thérèse-Bénédicte de la Croix, avec sa sœur Rose et de nombreux autres membres de son peuple, mourut dans les chambres à gaz d'Auschwitz. Avec sa béatification dans la Cathédrale de Cologne, le 1er mai 1987, l'Église honorait, comme l'a dit le Pape Jean-Paul II, « une fille d'Israël, qui pendant les persécutions des nazis est demeurée unie avec foi et amour au Seigneur Crucifié, Jésus Christ, telle une catholique, et à son peuple telle une juive ». 

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Bien cher Ami de l'Abbaye Saint-Joseph,Abbaye saint joseph de clairval 21150

La Croix du Christ! Dans sa constante floraison, l'arbre de la Croix porte toujours des fruits renouvelés de salut. C'est pourquoi les croyants se tournent vers la Croix avec confiance, tirant de son mystère d'amour le courage et la force pour marcher sur les traces du Christ crucifié et ressuscité. Le message de la Croix est ainsi entré dans le coeur de tant d'hommes et de tant de femmes, transformant leur existence.

Un exemple éloquent de cet extraordinaire renouveau intérieur est le parcours spirituel d'Édith Stein. Une jeune femme en quête de la vérité, grâce au travail silencieux de la grâce divine, est devenue une sainte et une martyre: il s'agit de Thérèse-Bénédicte de la Croix, qui répète aujourd'hui à tous, du haut des Cieux, les paroles qui ont marqué son existence: Pour moi, que jamais je ne me glorifie, sinon dans la Croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (Ga 6, 14)» (Homélie du Pape Jean-Paul II, lors de la canonisation de sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, le 11 octobre 1998).

Édith Stein est née le 12 octobre 1891 à Breslau (aujourd'hui Wroclaw, en Pologne), dans une famille juive. Elle a trois ans lorsque son père meurt subitement. Sa mère assume alors avec courage la direction d'une grosse entreprise de commerce de bois, en même temps que l'éducation de ses sept enfants. Très observante des pratiques de la Synagogue, elle est le modèle indiscuté de toute la famille. «Nous pouvions lire dans l'exemple de notre mère, écrira Édith, la vraie manière de nous comporter. Quand elle disait: cela est un péché, ce terme exprimait le comble de la laideur et de la méchanceté et nous en demeurions bouleversés». Cependant les enfants de cette femme exemplaire ne partageront pas son profond attachement au Judaïsme. Bientôt les frères aînés d'Édith ne participent plus que par piété filiale aux fêtes religieuses familiales.

Illusion d'autonomie

À partir de l'adolescence, Édith devient athée. Elle dira avoir «consciemment et intentionnellement perdu l'habitude de prier» à quatorze ans, ne voulant compter que sur elle-même, soucieuse d'affirmer sa propre liberté dans les choix de la vie. Cette illusion d'une indépendance totale de l'homme vis-à-vis de Dieu est aujourd'hui très répandue. Le Saint-Père en découvre l'origine chez nos premiers parents: «Le Livre de la Genèse décrit de manière très expressive la condition de l'homme, quand il relate que Dieu le plaça dans le jardin d'Eden, au centre duquel était situé l'arbre de la connaissance du bien et du mal(2, 17). Le symbole est clair: l'homme n'était pas en mesure de discerner et de décider par lui-même ce qui était bien et ce qui était mal, mais il devait se référer à un principe supérieur. L'aveuglement de l'orgueil donna à nos premiers parents l'illusion d'être souverains et autonomes, et de pouvoir faire abstraction de la connaissance qui vient de Dieu» (Encyclique Fides et ratio, 14 septembre 1998, n. 22). Une telle illusion d'autonomie est erronée car l'homme, créé par Dieu, dépend sans cesse de Lui. Reconnaître la dépendance complète de la créature par rapport au Créateur est une source de sagesse et de liberté, de joie et de confiance. Au terme d'une longue recherche, Édith Stein reconnaîtra que seul celui qui se lie à l'amour du Christ devient vraiment libre.

La soif du Vrai

C'est à travers des études de philosophie et un culte exigeant pour la vérité qu'Édith s'achemine peu à peu vers la pleine lumière. «La soif de la vérité, dit-elle, resta chez moi l'unique prière». Elle écrira: «Qui cherche la vérité, consciemment ou inconsciemment cherche Dieu». En quête de la vérité sur l'homme, Édith se lance dans l'étude de la psychologie. Déçue par le scepticisme régnant, elle se met à l'école du philosophe Husserl. Celui-ci pose en principe que la vérité est nécessaire, immuable, éternelle; elle s'impose à toute intelligence. L'opinion contraire, qui voudrait faire dépendre la vérité de celui qui pense, lui paraît une tendance malsaine, voisine de la folie. De nos jours, le Concile Vatican II rappelle que «l'intelligence est capable d'atteindre la réalité intelligible, avec une vraie certitude, même si, par suite du péché, elle est en partie obscurcie et affaiblie» (Gaudium et spes, 15). Mais, en dépit de la haute estime qu'elle éprouve pour la science, Édith, convertie, reconnaîtra que «le coeur de l'existence chrétienne n'est pas dans la science mais dans l'amour» (cf. Jean-Paul II, homélie pour la béatification d'Édith Stein, le ²er mai 1987).

Dans sa recherche de la vérité, Édith est aidée par des événements providentiels. En novembre 1917, un de ses amis, le professeur Reinach, collaborateur d'Husserl, meurt à la guerre. Israélite d'origine, il a reçu le baptême dans une confession protestante un an plus tôt, avec son épouse, qui deviendra catholique quelques années après. Madame Reinach fait appel à Édith pour classer les écrits philosophiques de son mari. Témoin de l'intimité et du bonheur des époux Reinach, la jeune fille redoute de trouver son amie écrasée par la douleur. Mais, soutenue par sa foi au Christ, celle-ci a bientôt accepté de partager les souffrances du Sauveur dans sa Passion, et une paix profonde l'a envahie. La Croix, pénétrant au plus intime de son être, l'a en même temps blessée et guérie. Édith, qui la trouve transformée par l'épreuve, ne laisse rien paraître des sentiments qui l'agitent, mais elle en reçoit une impression ineffaçable. Devenue carmélite, elle confiera à un prêtre: «Ce fut ma première rencontre avec la Croix, avec cette force divine qu'elle confère à ceux qui la portent. Pour la première fois, l'Église, née de la Passion du Christ et victorieuse de la mort, m'apparut visiblement. Au moment même, mon incrédulité céda, le Judaïsme pâlit à mes yeux, tandis que la lumière du Christ se levait en mon coeur: la lumière du Christ saisie dans le mystère de la Croix. C'est la raison pour laquelle, prenant l'habit du Carmel, je voulus ajouter à mon nom celui de la Croix».

Quand l'heure sonne

Un jour, elle achète le livre des Exercices spirituels de saint Ignace de Loyola, par pur intérêt intellectuel. Fortement marquée par cette lecture, elle est proche de la conversion mais ne se décide pas encore à faire le pas décisif. «Le message de la foi est adressé à beaucoup de personnes qui ne l'accueillent pas», écrira-t-elle à la fin de sa vie, comme si elle ne parvenait toujours pas à comprendre sa longue période d'hésitation.

L'«heure de la grâce» sonne lors de vacances chez des amis, durant l'été de 1921: «Un jour, écrit-elle, je m'emparai, au hasard, d'un ouvrage assez imposant. Il s'intitulait: Vie de sainte Thérèse (d'Avila), écrite par elle-même. Je commençai à lire. Tout de suite je fus captivée, et ne m'interrompis plus jusqu'à la fin. Lorsque je refermai le livre, je me dis: ceci est la vérité!» Aussitôt, elle achète un catéchisme catholique et un missel. Elle les étudie et les assimile en peu de temps. Voici ses impressions, la première fois où elle pénétra dans une église: «Rien ne me parut étranger: grâce à l'étude que j'avais faite, je comprenais les cérémonies jusque dans les détails. Un prêtre d'aspect vénérable monta à l'autel et célébra le Saint-Sacrifice avec une profonde ferveur. Après la Messe, j'attendis que le célébrant eût terminé son action de grâces... Je le suivis au presbytère et lui demandai le baptême».

Le curé, un peu troublé, répond qu'une certaine préparation est requise pour l'admission dans l'Église. Édith insiste: il faut qu'il teste sur-le-champ sa connaissance de la foi. Il s'ensuit une conversation prolongée au terme de laquelle, le prêtre, rempli d'admiration pour le travail de la grâce en cette âme, fixe sans attendre la date du baptême pour le jour du Nouvel An 1922. En souvenir de la lecture qui a décidé sa conversion, Édith choisit comme nom de baptême celui de Thérèse.

Que va dire son admirable mère, israélite exemplaire? Édith tient à lui annoncer elle-même la nouvelle; tombant à genoux, elle dit simplement: «Maman, je suis catholique». Pour la première fois de sa vie, la jeune fille voit sa mère pleurer; toutes deux ont le coeur déchiré, mais elles restent profondément unies. Par piété filiale, Édith reste six mois chez sa mère, continuant à l'accompagner à la synagogue, où elle comprend de mieux en mieux que l'Ancien Testament atteint sa pleine signification dans le Nouveau. Son recueillement profond émeut Madame Stein qui dira: «Je n'ai jamais vu quelqu'un prier comme Édith».

La vraie sécurité

Au moment de l'instauration du Troisième Reich, en 1933, Édith est devenue professeur agrégé à Münster. Un soir, reçue chez des amis, elle entend parler de persécutions massives des Juifs allemands. «Soudain, écrit-elle, il m'apparut clairement que la main du Seigneur s'abattait lourdement sur son peuple (le peuple juif), et que la destinée de ce peuple devenait mon partage». Quelques jours plus tard, elle participe à une cérémonie dans la chapelle du Carmel de Cologne. Un prêtre commente la Passion du Sauveur. «Je m'adressais intérieurement au Seigneur, raconte Édith, lui disant que je savais que c'était Sa Croix qui maintenant était posée sur le peuple juif. La plupart des Juifs ne le comprenaient pas, mais ceux qui le comprenaient devaient volontairement, au nom de tous, la prendre sur eux. C'est ce que je désirais faire. Je lui demandais seulement de me montrer comment. Lorsque la méditation prit fin, je reçus la certitude intime que j'étais exaucée. J'ignorais cependant sous quel mode la Croix me serait donnée». Elle dira plus tard à la Mère Prieure du Carmel: «Ce n'est pas l'activité humaine qui peut nous aider, mais les souffrances du Christ. J'aspire à les partager».

La persécution rend désormais impossible à Édith l'enseignement en Allemagne. «Je fus presque soulagée d'être touchée par le sort commun, écrira-t-elle, mais évidemment je devais réfléchir à ce que je devais faire». On lui propose un poste en Amérique du Sud afin de poursuivre là-bas ses travaux de recherche. Mais elle a décidé de réaliser son vieux rêve: «Le temps n'était-il finalement pas venu d'entrer au Carmel? Voilà presque douze ans que le Carmel était mon but... À la fin, il m'était très pénible de continuer à attendre. J'étais devenue une étrangère dans le monde». Déjà, quelques années plus tôt, elle avait demandé à son directeur de conscience la permission d'entrer dans l'Ordre du Carmel. Par égard pour sa mère et à cause de l'importance de ses activités d'enseignement, le prêtre avait refusé. Mais, en 1933, les difficultés qui s'opposaient à la vocation d'Édith ont disparu: «Je ne pouvais plus être utile, écrit-elle. Et ma mère ne préférerait-elle pas me savoir dans un couvent en Allemagne plutôt que dans une école en Amérique du Sud?» Une lettre de 1931 montre qu'elle ne prit pas sa décision à la légère et qu'elle dut lutter pour trouver la bonne voie: «Il est dans la nature des choses qu'avant de faire un pas décisif on étale une dernière fois devant soi tout ce qu'on abandonne en considérant le risque qu'on prend. Sans aucune assurance humaine, on doit se remettre totalement entre les mains de Dieu. Nous sommes alors d'autant mieux et d'autant plus profondément en sécurité».

La famille d'Édith ignore tout de sa décision. Peu à peu, Édith s'ouvre à ses frères et soeurs, les priant de ne rien révéler à leur mère; elle-même attend un moment favorable pour lui parler. Le premier dimanche de septembre, l'occasion attendue se présente. Voici l'émouvant récit tracé par Édith elle-même: «J'étais seule à la maison, auprès de ma mère, assise à tricoter près de la fenêtre. Soudain, elle me posa la question si longtemps attendue: "Que vas-tu faire à Cologne chez les religieuses? - Vivre avec elles!" Maman ne cessa pas de tricoter. Sa pelote de laine s'embrouilla. De ses mains tremblantes, elle essaya de la remettre en ordre. Je l'y aidais pendant que notre conversation se poursuivait. Dès cet instant, la paix avait fui de la famille. Une lourde oppression planait sur la maison. De temps en temps, ma mère essayait encore une question ou une autre. Un silence suivait. Mes frères et soeurs pensaient comme ma mère, mais ne voulaient pas augmenter sa peine... La décision (d'entrer au Carmel) était si grave, si lourde de conséquences, que personne ne pouvait dire avec certitude, quel était le bon chemin... Je devais faire ce pas dans la totale obscurité de la foi».

Pourquoi a-t-il voulu se faire Dieu?

Édith accompagne une dernière fois sa mère à la synagogue le 12 octobre. Pendant leur retour, sa mère lui demande: «Le sermon n'était-il pas beau? - Bien sûr, maman. - On peut donc être pieux aussi chez les Juifs? - Assurément, si l'on n'a pas appris à connaître autre chose. - Pourquoi donc as-tu appris autre chose? Je ne veux rien reprocher à Jésus. Il peut avoir été un être fort bon. Mais pourquoi a-t-il voulu se faire Dieu?» Édith comprend, au ton de la conversation, que le moment de répondre à cette question n'est pas venu: elle préfère garder le silence. «Ce jour-là, ajoute-t-elle, il y avait foule à la maison. L'un après l'autre, nos hôtes prirent congé. Enfin, je demeurai seule dans la chambre avec maman. Posant ses mains sur son visage, elle se mit à pleurer. Je me plaçai à côté d'elle et pressai doucement sur ma poitrine, cette vénérable tête aux cheveux gris. Nous restâmes ainsi longtemps, jusqu'à ce qu'elle voulût se mettre au lit. Mais cette nuit-là, nous n'avons pas fermé les yeux un seul instant».

Le 15 octobre 1933, fête de sainte Thérèse, Édith Stein entre au Carmel de Cologne, où elle prend le nom de Soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix. Longtemps ses lettres à sa mère restent sans réponse... Puis les échanges réguliers reprennent. Le 14 septembre 1936, fête de l'Exaltation de la Sainte Croix, au moment où Thérèse-Bénédicte de la Croix renouvelle ses voeux, elle a soudain une intuition très nette: «Ma mère est auprès de moi». Le jour même, un télégramme lui apprend la mort de celle-ci, survenue à l'heure même de la cérémonie. Peu de temps après, Soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix a la joie d'accueillir sa soeur Rosa qui vient à Cologne et reçoit enfin le Baptême, longtemps différé de crainte de blesser davantage la vieille maman. Rosa rejoindra Édith au Carmel en 1938.

Les ailes des anges

Peu après, les deux soeurs sont envoyées au Carmel d'Echt en Hollande, pour éviter d'être arrêtées comme Juives et envoyées dans un camp de déportation. Le danger n'est pas complètement écarté. Soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix écrit à ce sujet: «Il est bon de nous souvenir en ces jours que la pauvreté consiste même à nous voir privées de notre clôture. Nous nous sommes engagées à demeurer cloîtrées, mais Dieu ne s'est pas engagé, Lui, à nous laisser toujours à l'intérieur de nos murs. Il n'en a pas besoin, car Il possède d'autres murailles pour nous protéger... Si nous sommes fidèles à nos règles de clôture, serions-nous jetées à la rue, que Dieu enverrait ses anges pour nous garder, et leurs ailes nous environneraient plus sûrement que les murailles les plus épaisses et les plus hautes».

Le 11 juillet 1942, les dirigeants religieux des confessions chrétiennes de Hollande envoient au commissaire du Reich un télégramme dans lequel ils s'élèvent contre la déportation des familles juives. Le 26 juillet, une vive protestation dans le même sens est lue dans toutes les églises du pays. Les occupants nationaux-socialistes réagissent violemment. Ils arrêtent tous les Juifs catholiques des Pays-Bas, religieux et religieuses compris. Le représentant d'Hitler ne laisse planer aucun doute sur le fait qu'il s'agit là d'une mesure de répression: «Les évêques catholiques s'étant mêlés d'une affaire qui ne les regardait pas, tous les Juifs catholiques seront expulsés dès cette semaine. Toute protestation sera inutile». Le 2 août 1942, Édith et Rosa Stein sont arrêtées et internées au camp de Westerbork (Hollande). Cette halte à Westerbork semble avoir duré du 5 au 6 août. Le camp compte mille deux cents Juifs catholiques dont une quinzaine de religieux. Environ un millier sont déportés avec Soeur Thérèse-Bénédicte dans la nuit du 6 au 7.

À cette occasion, le Pape Pie XII prépare d'abord une lettre d'énergique protestation contre la persécution des Juifs. Puis, réfléchissant aux répressions encore plus dures que son message risque de provoquer, il y renonce et explique à une personne intime: «Il vaut mieux se taire en public et faire en silence, comme auparavant, tout ce qu'il est possible de faire pour ces pauvres gens» (cf. Pie XII, par Pascalina Lehnert, éd. Téqui, 1985). Le Pape mit effectivement tout en oeuvre pour sauver les Juifs (cf. Pie XII et la deuxième guerre mondiale, par Pierre Blet sj, éd. Perrin 1997). Après la guerre, d'éminentes personnalités israélites témoignèrent que son action avait sauvé la vie à des dizaines de milliers de personnes.

«Je suis contente de tout»

Soeur Thérèse-Bénédicte de la Croix réussit à envoyer deux messages au Carmel d'Echt. Le premier ne porte ni date, ni indication de lieu. On y lit: «Je suis contente de tout... La science de la Croix ne peut s'acquérir que si l'on sent réellement la Croix peser sur ses épaules. Dès le premier instant j'en étais convaincue et, en moi-même, j'ai dit: "Ave Crux, Spes unica: Je te salue, ô Croix, unique espérance!"»

Le second message, daté du 6 août, expédié de Westerbork, baraque 36, mentionne: «C'est demain matin que part le premier transport vers la Silésie ou la Tchécoslovaquie... Jusqu'à présent, j'ai pu prier magnifiquement».

Un témoin, qui eut la chance d'échapper à la déportation, a écrit: «Parmi ces prisonniers qui sont arrivés le 5 août au camp de Westerbork, Soeur Bénédicte tranchait nettement sur l'ensemble par son attitude paisible et calme. Les cris, les plaintes, l'état de surexcitation angoissée des nouveaux venus étaient indescriptibles! Soeur Bénédicte allait parmi les femmes comme un ange de consolation, apaisant les unes, soignant les autres. Beaucoup de mères paraissaient tombées dans un état de prostration, voisin de la folie; elles restaient là à gémir, comme hébétées, délaissant leurs enfants. Soeur Bénédicte s'occupa des petits enfants, elle les lava, les peigna, leur procura la nourriture et les soins indispensables. Aussi longtemps qu'elle fut dans le camp, elle dispensa autour d'elle une aide si charitable qu'on en demeure tout bouleversé». Le Pape Jean-Paul II explique l'origine de cette grande charité lorsqu'il dit: «L'amour du Christ fut le feu qui incendia la vie de Thérèse-Bénédicte de la Croix... Le Verbe incarné fut tout pour elle» (Homélie de la canonisation, 11 octobre 1998). La sainte avait écrit: «Notre amour envers le prochain est la mesure de notre amour pour Dieu. Pour les chrétiens - et pas seulement pour eux - personne n'est "étranger". L'amour du Christ ne connaît pas de frontières».

Le calvaire d'Édith Stein et de sa soeur Rosa qui l'accompagne jusqu'à la fin, se termine au camp d'Auschwitz. Toutes deux y trouvent la mort le 9 août 1942, dans un drame déchirant connu de Dieu seul. On en apprendra la date d'une manière certaine par le journal officiel de Hollande du 16 février 1950, publiant les listes des victimes mortes en déportation. On sait seulement qu'avant le départ du convoi pour Auschwitz, les déportés avaient dû subir de fréquents interrogatoires et de multiples vexations. Le 9 août 1942, les yeux de la sainte se ferment à la lumière du jour, et son âme s'ouvre toute grande aux splendeurs de la vie éternelle.

Sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix, maintenant rassasiée de la gloire divine, a su se laisser conduire par la main du Père céleste. Dans son entière confiance en Dieu, elle avait composé cette belle prière: «Laissez-moi, Seigneur, marcher sans voir sur les chemins qui sont les vôtres. Je ne veux pas savoir où vous me conduisez. Ne suis-je pas votre enfant? Vous êtes le père de la Sagesse et aussi mon père. Même si vous me conduisez à travers la nuit, c'est vers vous. Seigneur, qu'il advienne ce que vous voulez: je suis prête, même si jamais vous ne me rassasiez en cette vie. Vous êtes le Seigneur du Temps. Faites tout selon les plans de votre Sagesse. Quand doucement vous appelez au sacrifice, aidez-moi, oui, à l'accomplir. Laissez-moi dépasser totalement mon petit "moi", pour que morte à moi-même, je ne vive plus que pour vous!»

C'est aussi la grâce que nous demandons à la Très Sainte Vierge Marie et à saint Joseph pour vous et pour tous ceux qui vous sont chers, vivants et défunts, en ces jours où nous célébrons le mystère de la Mort et de la Résurrection de Notre-Seigneur. 

Dom Antoine Marie osb, abbé

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Date de dernière mise à jour : 2018-08-15

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