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Passioniste de Polynésie

Paul de la croix / méditation de la Passion

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(Vie de Saint Paul de la Croix par Saint Vincent Marie Strambi)

 CHAPITRE 16.DÉVOTION DU BIENHEUREUX POUR LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.

« A Dieu ne plaise, dit l’Apôtre, que je me glorifie sinon en la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ, par qui le monde est crucifié pour moi et moi pour le monde. » (Galat. VI.) Toute la vie du bienheureux Paul de la Croix est une preuve manifeste qu’il avait gravé ces grandes paroles dans son cœur, ou pour mieux dire, que Dieu lui-même les y avait imprimées par sa grâce. Il eut toujours le plus ardent désir de conformer sa vie à celle de Jésus crucifié, et de ranimer parmi les chrétiens le souvenir de la croix et de la mort de notre divin Rédempteur. C’était là le terme de toutes ses pensées, de tous ses désirs, de toutes ses actions, de ses voyages, de ses prédications, de ses missions. C’est dans le même but qu’il établit par une inspiration du ciel cette pauvre et humble congrégation de la Passion, dont tout l’emploi est de méditer la passion et la mort du Sauveur, et d’engager les chrétiens à se rappeler les tourments, les douleurs, les tortures où le Fils unique de Dieu a été pour ainsi dire submergé et anéanti. Renonçant à toute pensée du siècle pour vivre caché avec Jésus-Christ, il abandonna son nom de famille pour prendre celui de la Croix, de sorte qu’il pouvait dire avec l’Apôtre dont il portait le nom : A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon en la croix. Ensuite tout occupé à réveiller parmi les peuples la mémoire trop affaiblie des souffrances du Rédempteur, il put aussi ajouter avec le même Apôtre : Nous prêchons Jésus-Christ crucifié. » (I. Cor. 1.) C’était là toute sa science ; il faisait profession de ne savoir et de n’aimer que Jésus crucifié ; science vraiment sublime, vraiment profonde ; en effet tous les trésors de la sagesse et de la science de Dieu ne sont-ils pas renfermés dans le Rédempteur ? Science non pas spéculative, sèche et stérile, mais féconde, mais pleine de délices, qui fait trouver l’aliment de la vie et du salut éternel. « Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé. » (Jean. X.)

Dès sa première jeunesse, Dieu voulut qu’il commençât à propager la dévotion à la passion de Jésus-Christ ; Par obéissance à son évêque, dans la personne de qui il regardait Dieu lui-même, il faisait des sermons au peuple de Castellazzo et lui enseignait la manière de méditer sur les souffrances de Jésus-Christ ; ses discours touchaient tellement ses auditeurs qu’on les entendait implorer la miséricorde de Dieu par des pleurs et des cris. Ce début émerveilla tout le monde. Lors qu’ensuite le serviteur de Dieu se mit à donner des missions, là où il était invité par les évêques, son plus ardent désir ne fut-il pas d’imprimer la passion de Jésus-Christ dans tous les cœurs ? Il faudrait avoir son cœur et sa langue pour exprimer dans quels sentiments il la méditait et quels fruits il savait en tirer. Personne, au témoignage de plusieurs de ses auditeurs, n’en parlait comme le père Paul. Il représentait si vivement les diverses scènes de la passion, comme l’agonie au jardin des oliviers, les affronts devant les tribunaux, la flagellation barbare, le cruel crucifiement, qu’il excitait dans son auditoire une émotion indicible. Il ne pouvait en parler sans verser des larmes d’attendrissement et de compassion et il en tirait des yeux de tous les assistants. Tout pénétré de la grandeur de cet amour qui a porté le Fils de Dieu à nous donner son sang et sa vie, il répétait souvent avec une émotion extraordinaire : Un Dieu enchaîné pour moi ! Un Dieu flagellé pour moi ! Un Dieu mourir pour moi ! A l’expression qu’il donnait à ces paroles, on voyait qu’il avait pénétré dans le sanctuaire de la Divinité, dans cet océan immense de bonté et de perfection ; l’étonnement et l’amour le mettaient comme hors de lui-même. A ce propos il dit un jour : Dans le principe de ma conversion, il me semblait aisé de méditer sur la passion de Jésus-Christ ; mais à présent quand j’ai dit : un Dieu flagellé ! Un Dieu crucifié ! Je ne sais ce qu’on peut dire de plus. »

Il opérait des conversions étonnantes par ce moyen. Il ne se contentait pas d’exciter de la compassion et des larmes, mais profitant de l’empire que Dieu lui donnait alors sur les cœurs, il portait ses auditeurs à espérer en la miséricorde divine, à la vue de tant de bonté, de tant de plaies, de tant de sang ; il les enflammait d’amour pour correspondre à l’amour immense d’un Dieu qui a sacrifié pour nous son sang et sa vie sur un gibet infâme. Très souvent dans le cours de son sermon, il mettait Jésus crucifié sous les yeux de ses auditeurs ; mais afin d’inspirer plus efficacement la dévotion à sa passion, il terminait toujours par une méditation sur ce sujet. De cette façon, autant il avait terrifié au début, autant il encourageait à la fin ; sa conclusion consistait dans des actes fervents de contrition. Vers la fin de la mission, il avait coutume de faire un sermon plus solennel sur la mort de Jésus-Christ. Ce soir là, oh ! Vraiment l’amour et la douleur semblaient le transformer en ce bon Sauveur qui par un excès de charité a voulu mourir sur la croix. L’émotion de l’auditoire allait au comble ; ce n’étaient que pleurs et sanglots. On pouvait dire avec le prophète qu’il y avait là un grand deuil et qu’on y gémissait comme à la mort d’un fils unique. (Zachar. XII.) Le serviteur de Dieu eût désiré, et il demanda même instamment à Dieu de mourir dans un de ces moments, en tenant le crucifix entre ses bras. Le Seigneur lui fit cette grâce, mais d’une manière différente. S’il ne mourut pas en chaire en méditant la mort de Jésus-Christ et en tenant son image entre les bras, il mourut en l’embrassant de cœur, dans un état tout semblable à celui de Jésus, l’homme des douleurs, étant lui-même accablé de douleurs et tout occupé jusqu’à sa dernière heure à faire honorer la passion de Jésus.

Outre le temps des missions, il profitait encore dans ce même but des exercices spirituels qu’il donnait, soit dans les paroisses, soit dans les monastères. Ainsi chaque jour, il avait soin de consacrer une de ses méditations à la passion du Sauveur, n’ayant rien plus à cœur que d’en pénétrer tous ceux qui l’écoutaient. Très souvent aussi il en faisait la matière de ses exhortations à la communauté où il se trouvait. Ses paroles répandaient le baume de la dévotion parmi ses enfants et les enflammaient d’un amour toujours plus vif envers notre aimable rédempteur. Pendant même les deux dernières années de sa vie, qu’il passa, comme nous avons dit, à la retraite des Saints Jean et Paul, bien qu’il fût accablé d’infirmités, il s’efforçait encore pour animer ses religieux à la ferveur de faire les discours que nous appelons examens et qu’il accompagnait toujours d’une onction merveilleuse. Nous ferons sans doute chose agréable et utile de rapporter ici les sentiments qui sortirent de ce cœur béni dans l’un de ces discours. Nous empruntons cet extrait au procès de canonisation. « Le 14 septembre 1774, fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, malgré qu’il fût indisposé, il fit une exhortation à la communauté dans laquelle il commenta ces paroles de l’Apôtre : Pour nous, il faut nous glorifier en la croix de Notre Seigneur Jésus-Christ. Tout brûlant du désir d’imprimer ces paroles célestes dans nos cœurs, il nous exhorta avec un feu extraordinaire à vivre crucifiés au monde, comme l’exigeait tout particulièrement notre sainte profession : « Vous, mes enfants, disait-il, vous devez être crucifiés au monde, c’est-à-dire, avoir en horreur tout ce qu’aime le monde. » Sa dévotion et son amour s’enflammant de plus en plus à mesure qu’il parlait : « O croix chérie ! s’écria-t-il les larmes aux yeux : O la plus amère de mes amertumes, vous êtes toute pleine de grâce ! » Telles étaient sa ferveur et son émotion en répétant ces paroles que tous ses auditeurs fondaient en larmes. Comme conclusion pratique de son discours, il dit et répéta jusqu’à deux fois avec un sentiment profond : « Pour obtenir ce grand bien, voici deux maximes que je vous prie de graver dans votre mémoire ; première maxime : ne jamais se plaindre, ne jamais se justifier ; seconde maxime : travailler, souffrir et se taire. Mettez-les en pratique, et vous serez des saints. » Après un colloque très touchant avec le crucifix, il le prit pour nous bénir et nous congédia. Nous partîmes de là, le visage mouillé de pleurs. » Voilà ce que rapporte un témoin oculaire.

La bouche parle de l’abondance du cœur, et quand le cœur brûle, les paroles sont des flammes; aussi peut-on dire que le père Paul faisait ressentir aux autres le feu intérieur dont il était consumé pour Jésus crucifié. Dans ses entretiens particuliers, dans ses conférences spirituelles, partout, il recommandait la méditation de la passion de Jésus-Christ. A son avis, c’était là la porte qui donne entrée dans les pâturages délicieux de l’âme. « Ego sum ostium, répétait-il d’un ton pénétré, ego sum ostium. Une âme qui entre par cette porte, marche sûrement. Dans la passion, disait-il encore, point d’illusion, non, point d’illusion dans la passion. » Pour donner une grande idée des mystères augustes de la passion, il recourait à diverses allégories fort ingénieuses : « Figurez-vous que vous êtes gravement indisposé ; moi qui vous aime tendrement, je viens vous faire visite. Il est sûr qu’après vous avoir exprimé mes sentiments et dit quelques paroles de consolation, je me mettrais à vous regarder d’un œil de compassion et à m’approprier vos souffrances par amour ; ainsi, quand nous méditons la passion de Jésus, en le voyant plongé dans les douleurs, nous devons compatir à ses peines, puis le contempler avec amour dans cet état et nous approprier par amour et par compassion les souffrances qu’il endure. – Supposez, disait-il une autre fois, que vous soyez tombé dans une profonde rivière et qu’une personne charitable se soit jetée à la nage pour vous sauver ; que diriez-vous d’une telle bonté ? Ce n’est pas assez. Supposez de plus qu’à peine tiré de l’eau, vous ayez été attaqué par des assassins et que cette même personne, par amour pour vous, se soit mise entre deux et qu’elle ait reçu des coups et des blessures pour vous sauver la vie ; que feriez-vous en retour d’un si grand amour ? Il est certain que vous regarderiez ses douleurs comme les vôtres, que vous vous empresseriez de lui témoigner votre compassion, de guérir ses plaies, etc. Ainsi devons-nous en agir à l’égard de Jésus souffrant : il faut le contempler abîmé dans un océan de douleurs pour nous tirer de l’abîme éternel, le considérer tout couvert de plaies et de blessures pour nous donner la vie et le salut, puis nous approprier ses peines par amour, compatir à ses douleurs et lui consacrer toutes nos affections. » Ces discours touchaient tous ses auditeurs, au point de leur faire souvent verser des larmes. Il suffisait même de l’entendre lire quelque livre qui traitât de ce sujet pour éprouver de l’attendrissement. C’est ce arrivait quelquefois au réfectoire, pendant le repas, où le bon vieillard voulait lire à son tour. Si le livre parlait de la passion, il mettait dans sa lecture une telle expression de piété, qu’il ne pouvait retenir ses larmes, et les religieux qui l’entendaient, mêlaient leurs larmes aux siennes.

Persuadé que le souvenir de la passion est une armure puissante et impénétrable pour nous garantir des coups de nos cruels et implacables ennemis, il exhortait tout le monde à méditer la passion de Jésus-Christ ; il y engageait les séculiers et les religieux, les personnes spirituelles et les gens mariés. C’était chez lui une conviction intime que cette méditation éloigne efficacement du péché. « Comment serait-il possible, disait-il, d’offenser un Dieu flagellé, un Dieu couronné d’épines, un Dieu crucifié pour nous ? Et comment serait-il possible qu’en méditant profondément aujourd’hui et demain ces vérités de la foi, on pût encore offenser Dieu ? Cela n’est pas possible. Pour moi, disait-il souvent, j’ai converti par ce moyen les pécheurs les plus endurcis, des brigands et toute sorte de personnes, tellement que, lorsque je les confessais dans la suite, je ne trouvais plus en eux matière d’absolution, tant ils étaient changés, et cela, parce qu’ils avaient été fidèles à l’avis que je leur avais donné de méditer les souffrances de Jésus-Christ. » Pour ceux qui n’avaient pas encore expérimenté combien il est doux de s’approcher des plaies du Sauveur, ces fontaines de douceur et de vie, il avait coutume de s’accommoder à leur faiblesse : « Commencez par méditer le matin un quart d’heure, leur disait-il ; faites votre oraison avant de sortir de votre chambre, et vous verrez que tout ira bien et que vous vivrez éloignés du péché. »

S’il recommandait cette méditation à tout le monde, à plus forte raison y engageait-il les ecclésiastiques ; il leur rappelait le mot de saint Bonaventure : je croirais manquer à un devoir, si je passais un jour sans penser à la passion de mon Sauveur. C’était le conseil qu’il donnait aux époux, afin de se porter réciproquement à la vertu : « Votre plus importante affaire, leur disait-il, c’est le soin de votre âme ; c’est pourquoi, avant de sortir le matin de votre chambre, faites un quart d’heure d’oraison sur la vie, la passion et la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ. Oh ! quelle joie pour le ciel et quelle satisfaction pour les anges gardiens de voir mari et femme faire oraison ensemble ! N’omettez donc jamais ce saint exercice. » Il mêlait tant de grâce et d’onction à ses avis qu’il charmait et persuadait en même temps.
Comme ses lettres sont l’écho permanent et fidèle de ses sentiments, nous en donnons quelques extraits. Le lecteur verra mieux par là avec quel zèle le père Paul travailla toute sa vie à étendre la dévotion à la passion du Sauveur. « Priez, disait-il, pour notre pauvre congrégation, dont l’emploi est de pleurer sans cesse les douleurs et la mort du Bien-aimé. Dieu veuille qu’elle produise un grand nombre de bons ouvriers, capables d’être les trompettes du Saint-Esprit pour prêcher dans le monde et détruire le péché. – Je vois de plus en plus, dit-il dans une autre lettre, que le moyen le plus efficace pour convertir les âmes même les plus endurcies, c’est la passion de Jésus-Christ prêchée selon la méthode que la Bonté divine, cette bonté incréée et infaillible, a fait approuver par son vicaire sur la terre. »

« Notre doux Jésus, écrit-il à une personne spirituelle, a poussé de plus profondes racines dans votre cœur, si bien que vous direz désormais : souffrir et non mourir, ou bien, ou souffrir ou mourir, ou mieux encore, ni souffrir ni mourir, mais une transformation totale dans le bon plaisir de Dieu… L’amour a une vertu unitive et fait siennes les souffrances du Bien-aimé. Si vous vous sentez toute pénétrée au dedans et au dehors des souffrances de l’Époux, réjouissez-vous ; mais je puis dire que cette joie ne se trouve que dans la fournaise de l’amour divin, car le feu qui pénètre jusqu’à la moelle des os, transforme l’amante en celui qu’elle aime ; et comme l’amour s’y mêle d’une façon sublime à la douleur, et la douleur à l’amour, il en résulte un mélange amoureux et douloureux, mais si parfait qu’on ne distingue plus l’amour de la douleur, ni la douleur de l’amour, d’autant plus que l’âme aimante jouit dans sa douleur et trouve du bonheur dans son amour douloureux. Persistez dans la connaissance de votre néant et soyez fidèle à pratiquer les vertus, surtout à imiter le doux Sauveur dans sa atience, car c’est là le point capital du pur amour. Vous ne devez jamais négliger de vous offrir vous-même en holocauste à la Bonté infinie de Dieu ; ce sacrifice doit se faire dans le feu de la divine charité ; allumez-le avec un bouquet de myrrhe, je veux dire, au moyen des souffrances du Sauveur. Tout cela veut être fait à portes closes, c’est-à-dire, dans l’éloignement de tout ce qui est sensible, dans la foi pure et simple. » …..

C’était la coutume du serviteur de Dieu d’avoir toujours le crucifix sous les yeux, lorsqu’il était occupé dans sa chambre à prier, à lire, ou à écrire ; il le portait sur sa poitrine chaque fois qu’il sortait de la maison, afin d’avoir toujours présent à l’esprit le souvenir des souffrances et de la mort de Jésus-Christ. Son expérience lui ayant appris les grands avantages de cette pratique, il la conseillait beaucoup aux autres et leur apprenait à en tirer du profit. « Lorsque vous êtes seul dans votre chambre, écrivait-il, prenez votre crucifix en main, baisez ses plaies avec un grand amour, dites-lui de vous faire un petit sermon, et écoutez les paroles de vie éternelle qu’il vous dit au cœur ; écoutez ce que disent les épines, les clous, le sang divin. Oh ! quel sermon ! »

Il apprenait encore aux âmes qu’il dirigeait à trouver jusque dans les choses profanes un souvenir de la passion du Sauveur. Voici ce qu’il écrivait à une dame du monde : « Portez, si vous voulez, un collier de perles, quand vous sortez ; mais quand vous le mettez, souvenez-vous que Jésus a eu la corde et la chaîne au cou ; portez cet ornement uniquement pour plaire à Dieu et soyez confuse de vous-même, en pensant : Jésus a été chargé de cordes et de chaînes dans le temps de sa passion, et moi je porte des perles. Enseignez la même pratique à vos filles. »

Comme tout le monde a plus ou moins à souffrir, pour fournir à tous le vrai remède, le père Paul aurait voulu convaincre chacun de la vérité de cette maxime qu’on rencontre dans une de ses lettres : « La méditation de la passion de Jésus-Christ est un baume précieux qui adoucit toutes les peines. »

Les fêtes de la Sainte Croix ayant été instituées pour célébrer le triomphe que le Rédempteur a remporté par sa passion, le père Paul les solennisait avec la plus grande dévotion. Il chantait la messe, donnait la communion aux clercs et aux frères, accomplissant les diverses cérémonies au milieu d’une abondance de larmes et de sentiments pieux. Il enseignait aux autres une méthode sublime et fort dévote pour les célébrer avec de grands fruits. « Et vous, que faites-vous ? écrivait-il à une personne de grande oraison. Avez-vous célébré avec grande solennité la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix, qui eut lieu avant hier ? Vous me répondez que oui ; mais qui sait si vous m’avez bien compris. La fête de la Croix peut être célébrée à tout moment dans le sanctuaire intérieur des vrais amants du crucifix, et comment se célèbre-t-elle ? Je vais vous l’expliquer le mieux possible ; savez-vous comment ? On célèbre spirituellement cette fête en souffrant en silence, sans s’appuyer sur aucune créature ; et comme toute fête demande de l’allégresse, ainsi la fête de la Croix veut être célébrée par les amants du crucifix en souffrant en silence, avec un visage gai et serein, pour qu’elle soit plus cachée aux créatures et connue seulement de Dieu. Cette fête a toujours un banquet solennel ; on s’y nourrit de la volonté divine à l’exemple de l’Amour crucifié. Oh ! quelle douce nourriture ! Elle se compose de diverses substances, tantôt ce sont des souffrances de corps ou d’esprit, tantôt ce sont des contradictions, des calomnies, des mépris, etc. Oh ! Quelle douce saveur il y a là pour le palais spirituel qui goûte tout cela dans la foi pure et dans le saint amour, en silence et avec confiance ! »

Il célébrait de même fort dévotement et dans les sentiments de la plus tendre compassion la fête des douleurs de la sainte Vierge, à l’occasion de la passion et de la mort très cruelles de Jésus-Christ. Ecrivant à pareil jour à une personne de piété, il s’exprimait ainsi : « Vendredi est le jour de la passion de ma très sainte Mère, la Vierge des douleurs ; recommandez-moi beaucoup à elle pour que ses douleurs et la passion de mon Jésus demeurent gravées dans mon cœur. Je le désire de toute l’ardeur de mon âme. Je voudrais pouvoir les imprimer dans celui de tous les hommes ; alors le monde entier brûlerait du saint amour. »

Pendant les fêtes de Pâques, il était dans la joie à cause de la résurrection de son Bien-aimé ; néanmoins il se rappelait encore sa passion, comme un encouragement très puissant à souffrir avec lui, afin de mériter une part à ses joies ……

Bien que le serviteur de Dieu recommandât instamment de méditer la passion et de regarder les souffrances du Sauveur comme le trésor de l’âme, il laissait cependant à chacun la liberté de suivre son attrait particulier dans l’oraison. C’est ainsi qu’il écrivait à une personne pieuse : « J’aime que l’objet de votre oraison soit la passion de Jésus-Christ et que votre cœur s’abîme en Dieu dans ces entretiens amoureux ; mais comprenez-moi bien : je veux que vous laissiez votre âme en liberté, que vous la laissiez, dis-je, seconder les attraits amoureux de l’Esprit-Saint. Je vous répète donc qu’il faut faire oraison non à notre guise, mais selon que Dieu veut. Oui, ma fille, quand l’âme trouve du goût à être seule à seul avec Dieu, avec une attention pure, sainte, amoureuse en Dieu, dans une foi simple et vive, se reposant dans le sein délicieux du Bien-aimé dans un sacré silence d’amour, silence où l’âme parle à Dieu bien mieux que par des paroles ; dans ce cas là, il faut la laisser tranquille et ne pas la troubler par d’autres exercices. Dieu alors la porte entre les bras de son amour et la fait entré dans son cellier pour lui donner à boire ce vin délicieux qui fait germer les vierges. Oh ! quel magnifique entretien il y a là ! » …….

En somme, nous pouvons dire que le serviteur de Dieu ne cessait pas, soit qu’il prêchât, soit qu’il parlât ou écrivît, d’accomplir la grande résolution qu’il avait formée de prêcher Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié. Il l’avait toujours devant les yeux, dans le cœur, sur les lèvres ; il commençait par lui chacune de ses actions ; en tête de chacune de ses lettres, il mettait cette grande devise : Jesu Christi Passio ; enfin il terminait heureusement par lui chacune de ses entreprises. Propager, inculquer la dévotion à la passion de Jésus-Christ, telle fut donc l’occupation continuelle du père Paul. Jusque dans les dernières semaines de sa vie, alors qu’il était épuisé au point de pouvoir à peine se faire entendre, il profitait des visites charitables qu’on lui faisait, pour parler de Jésus-Christ et de sa passion. Le jour même de sa mort, un gentilhomme de Ravenne ayant été introduit auprès de lui par un religieux Camaldule, comme il ne pouvait s’exprimer sans une extrême difficulté, il prit en main un petit crucifix et il faisait de la main et du regard des gestes très expressifs, pour faire entendre à ce gentilhomme qu’il fallait toujours avoir devant les yeux la passion de Jésus-Christ, et afin qu’il en eût toujours souvenance, il lui fit présent de ce petit crucifix, comme il en agissait d’ordinaire en pareille occasion.

Tous les jours du père Paul étaient sans doute consacrés à cette contemplation ; cependant on peut dire qu’il entrait plus profondément encore dans l’abîme des souffrances du Sauveur, aux jours où l’Église en fait une mémoire plus particulière. Le vendredi qui est, comme on sait, le jour de la mort de Jésus-Christ, on le voyait changer de couleur ; il devenait pâle et languissant ; il souffrait beaucoup plus de ses palpitations, alors parfois si violentes qu’il n’avait plus de pouls. Qu’on juge par là de l’impression que produisaient sur son cœur les souffrances du Fils de Dieu. Lorsqu’il faisait, ce jour là, le chemin de la Croix, il était visible qu’il suivait le Seigneur dans ce pénible et douloureux voyage, tout pénétré de compassion. Pendant la semaine sainte qui est l’époque principalement consacrée par l’Église en l’honneur de la mort du Rédempteur, on ne saurait dire combien le serviteur de Dieu se montrait sensible à ce grand événement. A l’approche de ces saints jours, il témoignait un vif désir de faire les offices de la passion, et bien qu’il fût en proie à de violentes douleurs, il priait Dieu de lui donner la force de les faire, et le Seigneur se plaisait à l’exaucer, de manière cependant à ce qu’il lui en coûtât beaucoup de peine, pour qu’il en eût plus de mérite. Les cérémonies terminées, son corps n’étant plus soutenu par la vivacité de sa dévotion, retombait dans sa première faiblesse, et il était contraint de se remettre au lit. L’esprit de piété dont il accompagnait ces saintes cérémonies était extraordinaire. Lorsqu’il faisait la bénédiction des rameaux, c’était avec un tel sentiment de foi, qu’on le voyait ordinairement fondre en larmes et changer plusieurs fois de couleur. Le Jeudi-Saint, il avait coutume de faire à la communauté une pieuse exhortation ou bien une méditation pour la préparer à la Pâque ; …..

 Il commençait la sainte messe en versant un torrent de larmes ; il la poursuivait recueilli en Dieu et concentré dans nos sublimes mystères. Arrivé à la consécration et à la communion, on le voyait de nouveau tout baigné de larmes et le visage enflammé comme un brasier. Il donnait ensuite la communion aux religieux, et quand il prononçait ces paroles : Ecce agnus Dei, c’était avec une telle piété et une telle abondance de larmes, qu’elles semblaient plutôt un gémissement de dévotion que des sons articulés. A la procession du Jeudi Saint, lorsqu’il portait la sainte hostie au sépulcre, ce n’était non plus que des larmes, au point que le voile et le corporal en étaient mouillés. Quand le diacre avait fermé le tabernacle, il voulait en garder la clef qu’il se mettait au cou et baisait avec dévotion, en disant : c’est la clef qui renferme mon trésor, mon bien, mon Dieu ! Pendant que son cœur était ainsi transpercé de douleur, le corps souffrait aussi un plus grand abattement que de coutume, de sorte qu’il ne pouvait prendre sa réfection ordinaire, mais tout au plus, un peu de potage. Le jour du Vendredi Saint, nouveaux pleurs, nouveaux sanglots pendant les cérémonies sacrées. C’était surtout au moment où l’on découvre la croix qu’éclataient les sentiments de son âme. Sa piété dans cette cérémonie était vraiment ineffable ; il faut en avoir été témoin : il chantait, les larmes aux yeux, le visage en feu, d’un ton à remuer et à émouvoir tous les cœurs, Ecce lignum crucis. Quoique estropié, il voulait s’agenouiller, et y réussissait après bien des efforts, afin d’adorer la croix ; parvenu aux pieds de la croix, il semblait vouloir expirer et déposer son âme dans les plaies du Sauveur. De retour à sa cellule, on se figure l’impression profonde qu’il gardait de la longue série des outrages, des souffrances, des agonies du Sauveur. …… Chaque année, pour ainsi dire, il renouvelait ces scènes attendrissantes, et bien que pendant très longtemps Dieu l’ait tenu dans l’aridité et la désolation, comme on passe l’or au creuset, il semble cependant qu’en ces jours la partie supérieure n’aurait su contenir l’abondance de ses sentiments, sans qu’ils rejaillissent sur l’extérieur ; aussi le voyait-on baigné de larmes avec un visage tantôt pâle comme un mort, tantôt tout en feu, et on l’entendait éclater de temps en temps en sanglots. Il a exprimé les sentiments qui l’animaient alors dans une lettre écrite un de ces saints jours : « Ce n’est pas le moment maintenant d’écrire, mais de pleurer. Jésus est mort pour nous donner la vie ; toutes les créatures sont en deuil, le soleil s’obscurcit, la terre tremble, les rochers se fendent et le voile du temple se déchire ; il n’y a que mon cœur qui demeure plus dur qu’un rocher. Je ne vous dis autre chose à présent, sinon de faire bonne compagnie à la pauvre Mère de Jésus. Elle ne meurt pas, par miracle, elle est toute plongée dans les souffrances de Jésus. Imitez-la et demandez à la bonne Madeleine et au bien-aimé Jean quels sont leurs sentiments. Laissez-vous donc inonder de cet océan des souffrances de Jésus et de Marie. Je demeure aux pieds de la croix. » Cette lettre était signée : Paul, le meurtrier de Jésus-Christ. Il avait encore coutume de dire : « Ce sont ici des jours où les pierres elles-mêmes pleurent. Eh quoi ! le grand prêtre est mort, et l’on ne devrait pas pleurer ? Il faudrait manquer de foi. O Dieu ! » …..Il ne faut donc plus s’étonner si le bienheureux Paul a tant travaillé et tant souffert : la pensée de la passion de Jésus-Christ lui servait d’aiguillon, d’encouragement et de consolation. Voici ce qu’a déposé à ce sujet un de ses bons amis : « Je me souviens qu’en causant un jour avec le père Paul, et lui témoignant de l’étonnement à cause de son genre de vie, je lui dis : Mais comment faites-vous, père Paul, pour mener cette vie ? – Ah ! me répondit-il, Dieu a tant souffert pour moi ; est-ce trop que je fasse quelque chose pour son amour ? Il répondit plusieurs fois de la même manière à des questions semblables que je lui fis. » Paul avait toujours son amour crucifié devant les yeux et dans son cœur ; c’est là qu’il puisait sans cesse de nouvelles forces pour se soutenir au milieu de ses travaux et ne pas succomber aux attaques, ne pas reculer devant les obstacles. Il exécutait fidèlement les desseins de la divine Sagesse. Uni au divin Rédempteur et les regards constamment fixés sur lui, il vivait d’une vie de foi et d’amour, d’une vie de compassion pour le Fils de Dieu fait homme qui nous a tant aimés et qui a pris plaisir à endurer de si cruelles souffrances pour nous. 

 Dans la règle

 

CHAPITRE XVI

Du voeu de propager parmi les fidèles la pieuse vénération et le souvenir reconnaissant de la Passion et de la mort de Notre Seigneur Jésus-Christ

18     Nos religieux qui annoncent l'Évangile mettront tout leur zèle, dans les missions, à faire aimer aux fidèles la méditation des saints mystères de la vivifiante Passion et de la mort de Jésus-Christ, et les presseront de s'en rappeler fréquemment avec piété le souvenir. Ils s'acquitteront de ce devoir le soir de préférence, après le sermon d'usage. Eux-mêmes feront alors de vive voix une pieuse méditation qui ne dépassera pas la demi-heure et qu'ils auront soigneusement préparée. Dans l'instruction catéchistique du matin, ils diront quelques mots sur ce même sujet. Qu'on donne avec clarté et concision des règles pratiques pour se remémorer d'une manière sainte et fructueuse de si grands mystères; et qu'on n'omette rien pour obtenir que cette méditation devienne familière et continuelle. Quant aux gens simples et sans culture, inaptes à la méditation, comme on en trouve à la campagne, qu'on leur apprenne à y suppléer par de brèves réflexions, des sentiments affectueux ou des oraisons jaculatoires. On se servira, pour les instruire utilement, d'une méthode facile, simple, bien à la portée de semblables personnes. Qu'on les exhorte à offrir chaque jour quelque souffrance à notre Sauveur, en leur montrant que tel est leur devoir, que cela est très méritoire et digne d'une grande récompense; qu'on diminue les difficultés de cette sainte pratique, les faisant même disparaître. On fera la même recommandation au confessionnal, suivant les circonstances de temps et de lieux et de la qualité des personnes. Les prêtres qui ne sont pas employés à la prédication s'ingénieront à inspirer aux fidèles, de quelque autre manière, les mêmes bienfaisantes pratiques, quand s'en présentera une occasion propice, spécialement lorsqu'ils entendront les confessions, feront le catéchisme, auront des entretiens de piété en d'autres circonstances favorables de ce genre. Les religieux qui n'exercent pas le saint ministère, comme aussi les frères convers, pour satisfaire à l'obligation de leur quatrième voeu, réciteront pieusement chaque jour cinq fois l'oraison dominicale et la salutation angélique, en mémoire et en l'honneur de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ; et en même temps, ils le prieront avec ferveur d'assister de sa grâce ceux qui propagent cette salutaire dévotion. Les événements eux-mêmes leur fourniront fréquemment d'autres moyens de coopérer à une si grande oeuvre, d'exercer leur zèle, de réaliser leurs désirs, pour leur grand profit spirituel et celui du prochain; car l'amour de Dieu est très ingénieux, et c'est moins par des paroles que par des actes et des exemples qu'on en donne des preuves.

Dans constitutions

6 5. Nous cherchons l'unité de notre vie et de notre apostolat dans la Passion de Jésus. Révélation de la puissance de Dieu, elle pénètre le monde pour détruire le pouvoir du mal et construire le Royaume de Dieu.

Appelés à nous unir à la vie et à la mission de celui qui «s'est dépouillé lui-même, prenant la condition d'esclave» (7), nous contemplons dans une prière assidue le Christ qui, en donnant sa vie pour nous, révèle l'amour que Dieu porte aux hommes et le chemin qu'ils doivent parcourir pour s'élever vers le Père. Cette contemplation nous rend toujours plus capables de manifester son amour et nous dispose à aider les autres à offrir leur vie dans le Christ au Père.

……..

65 64. De par notre mission particulière dans l'Église, nous faisons nôtres les paroles de St Paul: «Nous prêchons, nous, un Christ crucifié» (1Co 1,23), et nous proclamons aussi: «Il est ressuscité» (Mt 28,6).

La joie de la Résurrection du Christ implique nécessairement l'acceptation de la place centrale que le mystère de la Croix occupe dans sa vie.

Les hommes, pour communier à la vie du Christ ressuscité, doivent participer à sa mort en mourant au péché et à l'égoïsme, car «le Christ aussi a souffert pour vous, vous laissant un modèle, afin que vous suiviez ses traces (1P 2,21).

66 65. Passionistes, nous faisons du Mystère Pascal le centre de notre vie. Nous nous engageons avec amour à la suite de Jésus Crucifié. En esprit de foi et de charité, nous nous préparons à annoncer sa Passion et sa mort, non seulement comme un fait historique du passé, mais comme une réalité actuellement présente dans la vie des hommes, dans les «crucifiés» d'aujourd'hui par l'injustice et le manque du sens profond de la vie humaine, par la faim de paix, de vérité et de vie.

Notre vocation nous oblige à devenir compétents dans la connaissance de la Passion du Christ et de la passion des hommes - qui constituent un unique mystère de salut: celui de la Passion du Christ mystique - pour que nous soyons capables d'amener les fidèles à la méditation et à une expérience profonde de ce mystère et de les conduire à une union plus intime avec Dieu, à une connaissance plus profonde d'eux-mêmes et à une conscience plus vive des besoins de leurs contemporains.

67 66. Notre Fondateur nous exhorta à enseigner inlassablement aux gens à méditer de la façon la meilleure et la plus simple la Passion du Christ (TetC 58-59). Sensibles à la mentalité de nos contemporains et reconnaissant la valeur de la «religiosité» ou «piété populaire» (EN 48), la charité nous rendra ingénieux dans la recherche de méthodes nouvelles et créatives pour développer en nous et dans les autres la contemplation du Christ crucifié. Dans ce but, notre Fondateur s'appliqua avec zèle au ministère de la direction Spirituelle: c'est un ministère fructueux pour lequel, aujourd'hui encore, nous sommes sollicités.    (Const. n. 5 et 64)

Date de dernière mise à jour : 2015-11-24

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