Passioniste de Polynésie

Réflexions sur l’esprit missionnaire du Bienheureux Dominique Barberi

Newman barberi

L E T T R E   C I R C U L A I R E

Réflexions sur l’esprit missionnaire du Bienheureux Dominique Barberi

- à l’occasion de la canonisation de John Henry Newman -

Le 13 octobre 2019, le pape François va canoniser le Bienheureux John Henry Newman (1801–1890) sur la Place St Pierre à Rome. Si l’Église entière est appelée à s’en réjouir, cet évènement revêt une signification toute spéciale dans notre Congrégation. Car Newman, qui était un pasteur et un théologien anglican célèbre, professeur à l’Université d’Oxford, a choisi en 1845 d’être reçu dans l’Église Catholique par notre frère passioniste le bienheureux Dominique Barberi (1792-1849). Dominique,  premier apôtre et missionnaire de l’Angleterre, a eu un rôle important à jouer dans la conversion de Newman et de très nombreux autres.

Je voudrais saisir l’occasion de cet évènement spécial de la canonisation de John Henry Newman pour partager avec vous quelques réflexions sur le Bienheureux Dominique Barberi : sur sa personne, ses convictions, son combat pour poursuivre la mission en Angleterre, sa relation avec Newman, le rôle qu’il a joué dans sa conversion, et surtout son témoignage d’une authentique sainteté. Par ces réflexions, j’espère que nous laisserons quelques intuitions nous inspirer dans notre appel à « renouveler notre mission » en ce temps particulier de l’histoire de notre Congrégation.

Il est clair que Dieu avait une mission particulière pour Dominique au sein de la congrégation de la Passion. Toutefois, pour que Dominique en vienne à discerner ce plan de Dieu, il était essentiel qu’il commence par écouter la « voix de Dieu » dans sa vie de prière. Nous savons que Dominique reçut un appel intérieur qui le conduisit à croire qu’il était destiné à prêcher l’Évangile dans des contrées lointaines. Apparemment, vers la fin de 1813, lorsqu’il n’avait que 21 ans, Dominique entendit « la voix de Dieu » lui dire qu’il était destiné à ramener des brebis égarées sur le chemin du salut. Mais comment et où cette prophétie allait-elle se réaliser ? C’est presque un an plus tard, lors qu’il priait devant l’autel de la Vierge Marie* que Dieu lui a de nouveau parlé : sa mission aurait lieu en Angleterre. Il vaut la peine d’écouter la description que John Henry Newman donne de Dominique Barberi dans son roman philosophique Perte et gain : l’histoire d’un converti écrit en 1848, car ceci nous donne une bonne compréhension de l’œuvre de la Providence a    vec laquelle Dominique dut lutter pour comprendre, et finalement pour parvenir - par cette écoute dans la prière - à la solide conviction que c’était la mission à laquelle Dieu l’appelait :

Dans les Apennins, près de Viterbe, dans les premières années de ce siècle, vivait un petit berger dont l’esprit avait été attiré très tôt vers le ciel. Un jour, tandis qu’il priait devant une statue de la Madonne, il sentit une vive intimation qu’il était destiné à prêcher l’Évangile sous le ciel du nord. Il n’y avait aucun moyen possible pour qu’un petit paysan romain puisse devenir un missionnaire ; il n’y avait pas non plus de place pour une telle perspective lorsque ce jeune devint frère convers puis prêtre dans la Congrégation de la Passion. Néanmoins, bien qu’aucun moyen extérieur n’apparût, cette certitude intérieure ne s’effaçait pas ; au contraire, elle se précisa, elle continua et, avec le temps, au lieu du vague nord, c’est l’Angleterre qui se trouva imprimée dans son cœur. Et, aussi étrange que cela paraisse, au fur et à mesure que les années passaient et sans qu’il n’y fut pour rien, car il vivait dans l’obéissance, notre paysan se trouva enfin sur le rivage de la tempétueuse Mer du Nord d’où César avait jadis tourné ses regards vers un nouveau monde à conquérir ; cependant, qu’il puisse traverser le détroit était toujours aussi peu probable.  Néanmoins, c’était aussi improbable que le fait de se trouver déjà là; il contemplait les vagues incessantes et impétueuses et se demandait si arriverait  jamais le jour où il serait porté par elles. Et il arriva, non par quelque détermination de sa part, mais par la même Providence qui lui en avait donné l’avant-goût quelques trente ans plus tôt. 

Comme nous le savons, notre fondateur St Paul de la Croix avait aussi un grand désir de la conversion de l’Angleterre, pour laquelle il priait chaque jour. Ceci avait un grand impact sur Dominique ; il savait  que St Paul de la Croix avait prédit que ses fils iraient un jour en Angleterre. Comme Newman l’écrit dans Perte et gain, la pensée de l’Angleterre revenait dans les prières quotidiennes de St Paul de la Croix ; et dans ses dernières années, après une vision pendant la Messe, comme s’il avait été Augustin ou Mellitus, il se mit à parler de « ses fils en Angleterre ».

Cette connaissance de l’espérance du fondateur dût être pour Dominique une confirmation supplémentaire que  le mouvement intérieur et le désir qu’il ressentait était authentique  et de  Dieu. Mais, aussi convaincu que fût Dominique que c’était un appel et une mission venant de Dieu, il n’avait pas l’autorité pour agir de lui-même ; il avait besoin de la permission du Supérieur Général pour l’envoyer - avec d’autres - au nom de la Congrégation … et ceci demandait un discernement communautaire supplémentaire qui, nécessairement, allait prendre du temps. Cela signifiait établir une présence et une communauté passioniste, avec tous les soucis entourant un tel projet.

En fait, ce fut une longue période d’attente de 28 ans, jalonnée de nombreuses déceptions et de revers que Dominique appelait ses « croix ». Mais après coup nous comprenons que ce fut un temps de préparation pendant lequel il accumulait de l’expérience et découvrit le potentiel qu’il avait et les ressources qui allaient le soutenir pour faire face aux défis qui l’attendaient dans la si grande adversité dans laquelle il se trouverait plus tard en Angleterre. Nous pouvons deviner les défis de Dominique lorsqu’il décrit ainsi ses expériences en Angleterre :

Il y avait d’innombrables croix et difficultés, et telles que je me voyais parfois au bout et sur le point de repartir (en Italie). Je suis certain que beaucoup de gens souhaiteraient venir ici ; mais s’ils voyaient ce que j’ai vu et devaient souffrir ce que j’ai souffert, presque tous changeraient d’avis. Oh, mon Dieu ! Mon Dieu ! Combien  j’ai à souffrir ! Je me suis préparé à cela pendant 28 ans et je vois que cette préparation est insuffisante. Seule la Divine Volonté me soutient : je suis ici parce que Dieu l’a voulu de toute éternité. Béni soit son saint Nom. C’est ma seule  force.

Ce temps d’attente du “temps favorable” ne fut pas vain. Il se trouve - était-ce prévu ? - que c’est durant ce temps que Dominique enseigna à Rome et qu’il fit la connaissance de trois anglais, convertis de l’anglicanisme, qui y poursuivaient des études pour se préparer au sacerdoce : Sir Harry Trelawney, l’Honorable George Spencer (qui devint passioniste par la suite) et Ambrose de Lisle Philipps. Ces trois hommes jouèrent plus tard un rôle important dans la vie de Dominique, pour sa rencontre avec Newman et le développement du catholicisme en Angleterre. Nous pouvons dire qu’un « signe des temps » manifesté pendant cette période fut la vision de l’unité chrétienne, qui demandait un esprit œcuménique et une disponibilité à s’engager dans le dialogue interreligieux. Et Dominique sut répondre à cet appel de l’Esprit.

Nous devons aussi prendre la mesure de la nouveauté totale que les supérieurs de l’époque se sont trouvés appelés  à discerner : une activité missionnaire hors de l’Italie, dans des pays étrangers. De plus, il apparaît dans maints documents que Dominique Barberi était loin d’être considéré le candidat adéquat pour une mission à l’étranger et que, de toutes façons, on avait beaucoup plus besoin de lui en Italie en raison de ses capacités intellectuelles et de ses qualités de direction. De fait, lorsque le Chapitre Général de 1839 accepta l’invitation de faire une fondation en Belgique, Dominique ne fut pas sélectionné pour faire partie de cette première équipe de missionnaires. Au lieu de cela, il fut réélu Provincial de l’Italie du sud pour un second mandat. C’est alors que, par une suite d’événements extraordinaires, le religieux qui avait été désigné comme supérieur de la mission en Belgique demanda à en être dispensé. Et, par une décision sans précédent, le Supérieur Général demanda à Dominique de renoncer à son poste de Provincial et de diriger le groupe de cette première mission hors d’Italie. Ce fut ainsi que, le  26 mai 1840, Dominique et trois autres religieux quittèrent l’Italie pour la Belgique. Au fond de lui-même, Dominique savait que la Belgique était la première étape pour sa mission en Angleterre. Au regard de la foi, il n’est pas difficile d’y reconnaître la main de Dieu à l’œuvre dans le déploiement d’un plan plus grand.

Nous voyons clairement par-là que l’obéissance - en tant qu’écoute de Dieu et des supérieurs -, le dialogue, la prière, le discernement, la patience, la persévérance, la conviction, la confiance et le courage d’avancer en eau profonde furent les marques qui caractérisèrent Dominique Barberi, cet apôtre missionnaire qui, comme Jésus crucifié, était préparé à suivre la volonté de Dieu dans sa vie et sa mission, quel qu’en soit le coût.

Nous ne pouvons qu’imaginer les pensées et les émotions qui durent virevolter dans la tête et le cœur de Dominique lorsque, pour la toute première fois, il posa le pied sur le sol anglais, d’autant qu’il fut accueilli avec des regards soupçonneux, non seulement comme prêtre catholique mais aussi à cause de son étrange vêtement, l’habit passioniste. C’est là qu’il a dû puiser dans toutes les expériences et ressources de sa vie. Il était vraiment un étranger : par sa nationalité, sa culture, sa langue, sa religiosité et sa spiritualité. Il a dû sûrement tirer sa force et son courage de la Croix de Jésus et rechercher réconfort et protection auprès de sa patronne, Marie Mère de Dieu**.

Rien n’aurait pu préparer Dominique à ce qu’il allait trouver en Angleterre. Les gens y étaient divisés en deux groupes : la majorité protestante qui était violemment anticatholique et anti-étrangers, et la petite minorité catholique qui était accusée de trahir la nation et sujette à la persécution. C’est alors qu’il lui fallut se souvenir que sa mission était celle de Dieu et non la sienne, et qu’il devait donc y répondre  avec amour et compréhension, paix et dialogue, et confiance et courage, comme Jésus l’avait fait.

Dans son ouvrage sur le “second printemps” du catholicisme en Angleterre,  J. Brodrick SJ écrit ceci : Le second printemps n’a pas commencé quand Newman s’est converti ou quand la hiérarchie catholique fut restaurée. Elle commença un jour gris d’octobre 1841, lorsqu’un petit prêtre italien, dans un accoutrement qui prêtait à rire, débarqua de la passerelle d’un bateau à Folkestone. Magnifique éloge d’un saint et humble passioniste !

Après 28 années d’attente patiente et d’efforts persévérants, les Passionistes s’établirent finalement à Aston Hall, dans le Staffordshire, en février 1842. Il faut préciser qu’à l’époque, Dominique avait déjà cinquante ans. Comme il l’écrivit à l’époque : Après 28 ans de désir, Sa Divine Majesté a daigné exaucer mes prières. Je ne remercierai jamais assez la Bonté Divine pour une si grande faveur. Mon devoir est de faire tout ce que je peux ; je vais donc m’efforcer d’employer toutes mes faibles forces pour la gloire de Dieu et pour le salut de mes frères en Jésus-Christ.

Tandis que Dominique voyait en tout cela l’œuvre et le signe de la Providence et chantait les louanges de Dieu, la mission en Angleterre était loin d’être un point d’arrivée, c’était le début d’un nouveau voyage, avec encore beaucoup d’obstacles à surmonter. Une fois de plus, cela demandait d’avoir une foi persévérante pour chercher et suivre les chemins du Seigneur qui feraient finalement éclore des fruits d’unité et de communauté, mais seulement après de nombreux sacrifices et une réponse d’amour souffrant et de réconciliation, et non de vengeance et de violence.  

L’accueil de Dominique et de ses compagnons passionistes à Aston fut tout sauf chaleureux. Les catholiques locaux craignaient que l’arrivée de ces étrangers ne cause de nouvelles persécutions. On se moquait aussi de Dominique à cause de son mauvais anglais ; ses tentatives pour parler et pour lire des prières en anglais suscitaient le rire de ses fidèles. Néanmoins le nombre de ceux-ci augmenta, et lorsque les habitants d’Aston commencèrent à  mieux connaître Dominique, ils se mirent à l’aimer et il commença à recevoir un flux régulier de convertis.

Un centre fut aussi ouvert dans la ville voisine de Stone où Dominique disait la messe et prêchait à la population locale. Là encore, Dominique eut à souffrir de leur opposition : les jeunes lui jetaient des pierres. Mais deux d’entre eux, édifiés de voir comment Dominique embrassait et mettait dans sa poche chacune des pierres qui le frappaient, prirent la décision de devenir catholiques. On rapporte que pendant ces fréquentes attaques Dominique échappa souvent de peu à la mort. En plus de cela, les ministres protestants de l’endroit faisaient fréquemment des conférences et des sermons anticatholiques pour détourner les gens de Dominique et des catholiques.

On peut dire que les difficultés et épreuves que Dominique et les missionnaires passionistes subirent en Angleterre - et en Belgique - fut un temps de « taille » par lequel ils furent conduits, dans leur vie et leur mission, à garder les yeux sur Jésus crucifié et à mener d’autres autour d’eux à regarder vers la Croix et à méditer sur la Passion de Jésus par laquelle eux aussi allaient être renouvelés dans l’amour et la miséricorde divines.

Ce ne sont pas ses capacités et ses réussites qui forment la caractéristique et l’efficacité ultimes d’un « missionaire du Christ »,  c’est le témoignage qu’il donne d’une authentique sainteté. Nous avons déjà vu cela clairement dans la vie personnelle et pastorale de Dominique Barberi. Bien qu’étant quelqu’un de capable, et hautement intellectuel, Dominique est connu pour avoir été une personne humble, doué d’humour, de tendresse et de simplicité, un enfant dans la simplicité de son cœur, comme le disait le Cardinal Wiseman. C’était, écrivait Newman, un homme astucieux et intelligent, et cependant simple et spontané comme un enfant ; et il avait une douceur spéciale lorsqu’il traitait avec les fidèles de notre communion (anglicane). Je souhaite que tous aient autant de charité que lui.

Après des années de prière, de jeûne et d’études en quête  de la vérité, le prêtre, théologien et poète anglican John Henry Newman - l’ecclésiastique le plus cultivé d’Angleterre, disait de lui Dominique Barberi - comprit que l’Église Catholique Romaine était la même que celle des Apôtres et des premiers chrétiens. Mais cette perception intellectuelle n’était pas suffisante pour que Newman se décide à demander la pleine communion avec l’Église Catholique. Il comprenait bien que l’Église était une, catholique (universelle) et apostolique, comme le proclame le Credo, mais il ne voyait aucun signe du fait qu’elle était sainte. Il avait besoin de voir des actes concrets de sainteté de la part des membres de l’Église Catholique, et d’en faire l’expérience. Et c’est en la personne de Dominique Barberi, prêtre catholique, qu’il trouva ce témoignage vécu d’authentique sainteté. En reconnaissant sa stature spirituelle, Newman partage ainsi ses sentiments intimes : Lorsque j’aperçus cette silhouette (Dominique), je fus touché jusqu’à l’intime de la manière la plus étrange. Rien que son aspect avait quelque chose de saint.

Mais ce qui impressionna surtout Newman, ce fut l’exemple de cet humble passioniste (et de ses compagnons) supportant les moqueries à cause de son mauvais anglais, recevant des pierres dans les rues et persistant quand-même à apporter le Christ aux gens d’Angleterre malgré le danger. Plus tôt, Newman avait écrit :

S’ils (les catholiques) veulent convertir l’Angleterre, qu’ils aillent pieds nus dans nos villes industrielles, qu’ils prêchent aux gens comme St François Xavier, qu’on les écorche et qu’on marche sur eux, alors je croirai qu’ils peuvent faire ce que nous ne pouvons pas … Quel jour ce sera, lorsque Dieu suscitera parmi eux des saints tels que Bernard et Charles Borromée … Les anglais ne seront jamais attirés par une bande de conspirateurs et d’instigateurs ; seules la foi et la sainteté sont irrésistibles.

C’est à cause du témoignage missionnaire courageux de Dominique, qu’il vit de ses propres yeux, que Newman le choisit pour être le prêtre catholique qui le recevrait dans l’Église. Et ce fut en octobre 1845, tandis que Dominique traversait Oxford pour aller en Belgique, que Newman demanda à l’un de ses élèves d’inviter Dominique à passer chez lui à Littlemore. Il ne connaît pas mes intentions, écrivit-il, mais je vais lui demander de me recevoir dans l’unique vrai troupeau du Rédempteur.

Ce qui arriva ensuite, c’est cette scène mémorable par laquelle ces deux saintes figures sont le mieux connues : Dominique chez Newman, se séchant devant le feu de cheminée, après avoir été trempé par une averse durant son trajet en calèche, et Newman entrant dans la pièce, se jetant à genoux sans hésiter devant Dominique et lui demandant à être reçu dans l’Église après avoir fait une longue confession générale de plusieurs heures. Quel sommet dans l’histoire de cet appel divin à la mission et de cette aventure humaine faite d’efforts, de coopération et de réponses pour réaliser ce mystérieux plan de Dieu !

Nous ne pouvons qu’imaginer la joie extraordinaire, le soulagement et l’espérance pour l’avenir de l’Église et la mission de la Congrégation qu’exprime Dominique : Quel spectacle ce fut pour moi de voir Newman à mes pieds ! Tout ce que j’ai souffert depuis que j’ai quitté l’Italie a été bien compensé par cet évènement. J’espère que les effets d’une telle conversion seront grands.

Le témoignage qu’écrivit Newman au Cardinal Parocchi - Vicaire Général de Rome - pour la cause de béatification de Dominique Barberi résume l’essentiel  de ce qui est requis pour la fécondité de toute mission :

Cher Monseigneur Cardinal, merci pour l’intérêt que vous exprimez pour un cas qui m’est très cher, un cas bien reconnu par les Pères Passionistes. Le Père Dominique de la Mère de Dieu fut un missionnaire et un prêcheur des plus remarquables, et joua un grand rôle dans ma propre conversion et dans celle d’autres personnes. Déjà son apparence avait un air de sainteté qui, lorsqu’il apparût à ma vue, me toucha de manière unique ; et sa remarquable « bonhommie », au milieu de sa sainteté, était en elle-même une sainte prédication. Bien évidemment, alors, je devins son converti et son pénitent. Il était un grand amoureux de l’Angleterre. J’ai pleuré sa mort soudaine, et j’ai pensé et espéré qu’il recevrait un jour de Rome l’auréole d’un Saint, ainsi que cela va arriver.

J’espère que ces réflexions sur la vie personnelle, religieuse, spirituelle, apostolique et missionnaire de Dominique Barberi vont renouveler notre enthousiasme au sein de notre vie de communauté passioniste apostolique. Dominique a beaucoup plus pour nous inspirer - comme ce fut le cas pour Newman et pour d’autres - que sa seule réputation d’avoir reçu Newman dans l’Église Catholique, quel que significatif que soit cet événement pour l’Église entière au moment de célébrer la canonisation de John Henry Newman. J’espère ainsi que l’exemple et le témoignage du Bienheureux Dominique sera pour nous une source d’inspiration pour la Congrégation entière et un défi pour chaque membre pour jouer avec zèle son rôle dans les efforts apostoliques demandés par notre temps (Constitutions § 62).

Dominique Barberi est peu connu et pas assez aimé, même dans notre Congrégation. Pourtant, sans son zèle missionnaire, son esprit apostolique et sa conviction persévérante, la vision du Fondateur et ses espérances pour la Congrégation n’auraient sans doute jamais été réalisées. En tant que missionnaire passioniste pionnier hors de l’Italie - avec ses compagnons - les efforts de Dominique en Belgique et en Italie devinrent les premiers pas pour l’implantation et le déploiement  du charisme passioniste dans 63 pays et cultures du monde d’aujourd’hui.

À notre époque, la nature missionnaire de l’Église à travers les nouvelles formes de ses activités évangélisatrices en réponse aux « signes des temps » nous est proposée comme but et comme perspective et ce de manière spéciale sous ce pontificat du Pape François. Dominique Barberi a été lui aussi attentif à la dimension missionnaire de la Congrégation issue de la vision de St Paul de la Croix, et qui nous a été également rappelée lors de notre dernier Chapitre Général. Je crois profondément que la « perspective missionnaire » de Dominique peut grandement nous aider tandis que nous engageons dans les « appels à l’action » issus du 47ème Chapitre Général et en préparation à la commémoration en 2020 du Tricentenaire de la fondation de la Congrégation avec le thème : Renouveler notre Mission - Gratitude, prophétie, espérance.

La « perspective missionnaire » de Dominique nous aide à garder le juste équilibre, dans notre mission, entre la prière, la vie communautaire et l’apostolat. Comme je l‘avais mentionné dans mon rapport au Chapitre Général, « renouveler notre mission consiste d’abord à nous renouveler nous-mêmes » (conversion personnelle), à travers notre appel à une vie communautaire, mais toujours avec une dimension missionnaire. « Notre mission est intégralement connectée avec notre vie en communauté … comme les deux faces d’une même pièce. Notre vie est notre mission - par notre témoignage - et notre mission est notre vie - par notre action -.

Si l’appel personnel de Dominique était l’évangélisation dans des pays étrangers, avec tous les défis particuliers que cela entraîne -, chacun de nous est appelé à avoir une « perspective missionnaire » dans son apostolat, où que nous soyons,  de la même manière que Dominique et aussi comme le Cardinal Jorge Bergoglio, avant de devenir pape, l’expliquait dans sa vision pour l’Église devant les cardinaux réunis à Rome pour le Conclave d’avril 2013 : L’Eglise doit sortir d’elle-même et aller vers les périphéries, non seulement géographiques, mais aussi existentielles, qui se manifestent dans le « mystère du péché, de la souffrance, de l’injustice et de l’ignorance, de l'absence de religion, des courants intellectuels et de toute misère.

Dominique nous rappelle clairement, aussi, que la mission est l’initiative de Dieu, pas la nôtre. En tant que telle, elle demande donc une profonde écoute qui doit, personnellement et communautairement, être discernée dans la prière avant de donner notre réponse. Néanmoins, comme nous l’avons vu dans la vie de Dominique,  un discernement dans la prière est un combat et peut prendre du temps car il implique d’autres personnes dans la communauté et demande de la persévérance et de la patience. En outre, un discernement dans la prière doit nécessairement mener à l’action … et parfois cela implique de prendre des risques parce que nous n’avons pas toujours la clarté et la certitude que nous aimerions avoir. Suivre l’appel de Dieu et vivre l’Évangile est risqué ! Mais comme nous le voyons dans la vie de Dominique, il y a toujours la promesse de la présence de Dieu - « Je serai avec toi » (Ex 3,12) - lorsque nous répondons avec confiance et courage en obéissance à la volonté de Dieu : « Qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1,38).

Bien-sûr, comme nous le savons bien, il est plus facile de choisir l’option « soft », c’est-à-dire de nous contenter de continuer et de faire ce que nous avons toujours fait sans répondre aux « signes des temps » et sans faire de vagues ; ou de nous accrocher à nos conforts dans la sécurité et la familiarité de ce que nous connaissons déjà, c’est-à-dire les gens qui nous aiment et nous soutiennent, notre longue histoire dans tel ou tel endroit, etc. ; ou de laisser nos bâtiments et nos fondations nous dicter notre mission et nous maintenir enfermés, plutôt que de nous en détacher et de nous libérer pour être au service de notre mission. Cette option « soft » risque de nous rendre autoréférentiels, stériles et en sécurité, au lieu de tendre la main, d’être créatifs dans l’Esprit et de générer une vie nouvelle. Comme l’exprime le Pape François si clairement dans Evangelii Gaudium § 49 : Je préfère une Église accidentée, blessée et sale pour être sortie par les chemins, plutôt qu’une Église malade de la fermeture et du confort de s’accrocher à ses propres sécurités.

L’expérience de Dominique nous montre que ceux qui sont au service de la mission de Dieu ne peuvent pas se satisfaire  de « dresser des tentes » (Mt 17,4) et de créer des « zones de confort ». Au contraire, ils doivent descendre des hauteurs du pouvoir et de la possession et être libres d’aller « au lieu que Dieu montrera » (cf. Gn 12,1). « Laissant là leurs barques » (Mt 4,22 et Lc 5,11), ils sont appelés à prendre des risques dans la foi, à faire confiance à Dieu, à agir avec courage et à dépendre de la Providence et du bon vouloir des autres.

Nous devons croire et espérer

que la rencontre de ces deux saintes figures,

le Bienheureux Père Dominique et le Cardinal John Henry Newman,

laissera sa trace dans notre esprit,

et que nous allons continuer à méditer

sur le sens mystérieux de leur rencontre

avec une grande espérance

et une prière prolongée.

(Discours de Paul VI sur le Bienheureux Dominique de la Mère de Dieu

à l’occasion de sa béatification solennelle, le 27 octobre 1963)

 

Fr. Joachim Rego, C.P. Supérieur Général
Sts Jean et Paul, Rome
Mémoire du Bx Dominique Barberi
26 août 2019

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*          À Vetralla.

**        Il avait pris comme nom religieux : Dominique de la Mère de Dieu.

Date de dernière mise à jour : 2019-09-26