Saint Bruno de Segni (v. 1045-1123), évêque
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« Qui s'abaisse sera élevé »
« Tu prépares une table pour moi devant mes ennemis » (Ps 22,5)... Que pourrions-nous donc désirer de plus ? Pourquoi choisirions-nous les premières places ? Quelle que soit la place que nous occupions, nous avons tout en abondance et ne manquons de rien. Mais toi qui cherches à avoir la première place, qui que tu sois, va t'asseoir à la dernière place. Ne permets pas que ton savoir te gonfle d'orgueil ; ne te laisse pas exalter par la renommée. Mais plus tu es grand, plus il faut t'humilier en toute chose et « tu trouveras grâce auprès de Dieu » (Lc 1,30), si bien qu'au moment favorable il te dira : « Mon ami, avance plus haut », et « ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi ».
Assurément, pour autant que cela dépendait de lui, Moïse occupait la dernière place. Lorsque le Seigneur voulait l'envoyer vers les fils d'Israël et l'a invité à accéder à un rang plus élevé, il lui a répondu : « Je t'en prie, Seigneur, envoie qui tu voudras envoyer, car je n'ai pas la parole facile. » (Ex 4,13) C'est comme s'il avait dit : « Je ne suis pas digne d'une fonction aussi haute. » Saül aussi se considérait comme un homme d'humble condition, quand le Seigneur a fait de lui un roi. Et de même Jérémie, craignant de monter à la première place, disait : « Oh ! Seigneur mon Dieu, vois donc : je ne sais pas parler, je ne suis qu'un enfant. » (1,6) C'est donc par l'humilité, non par l'orgueil, par les vertus, non par l'argent, que nous devons chercher à occuper la première place.
Commentaire sur l'évangile de Luc, 2,14 ; PL 165,406 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 435)
« Le Seigneur travaillait avec eux et confirmait la Parole »
Le Seigneur dit aux Onze : « Voici les signes qui accompagneront ceux qui croient : en mon nom, ils chasseront les esprits mauvais ; ils parleront un langage nouveau ; ils prendront des serpents dans leurs mains et, s'ils boivent un poison mortel, il ne leur fera pas de mal ; ils imposeront les mains aux malades, et les malades s'en trouveront bien ». Dans l'Église primitive, tous ces signes que le Seigneur énumère ici, non seulement les apôtres, mais bien d'autres saints les ont accomplis à la lettre. Les païens n'auraient pas abandonné le culte des idoles si la prédication évangélique n'avait pas reçu confirmation de tant de signes et de miracles. En effet, les disciples du Christ ne prêchaient-ils pas « un Messie crucifié, scandale pour les juifs et folie pour les païens », selon l'expression de saint Paul ? (1Co 1,23)...
Quant à nous désormais, signes et prodiges ne nous sont plus nécessaires : il nous suffit de lire ou d'écouter le récit de ceux qui ont eu lieu. Car nous croyons à l'Évangile, nous croyons aux Écritures qui les racontent. Et cependant, des signes, il s'en produit encore tous les jours ; et, si l'on veut bien y prêter attention, on reconnaîtra qu'ils ont bien plus de valeur que les miracles matériels d'autrefois.
Chaque jour, les prêtres administrent le baptême et appellent à la conversion : n'est-ce pas là chasser les démons ? Chaque jour ils parlent un langage nouveau, lorsqu'ils expliquent la sainte Écriture en remplaçant la lettre vieillie par la nouveauté du sens spirituel. Ils mettent en fuite les serpents, lorsqu'ils débarrassent les cœurs des pécheurs de leurs attaches au mal par une douce exhortation...; ils guérissent les malades, lorsqu'ils réconcilient à Dieu par leurs prières les âmes infirmes. Tels étaient les signes que le Seigneur avait promis à ses saints : tels ils les réalisent encore aujourd'hui.
Commentaire sur l'évangile de Marc (trad. Solesmes, Lectionnaire, t. 3, p. 881)
La foi qui purifie
Que représentent les dix lépreux sinon l'ensemble des pécheurs ? ... Lorsque vint le Christ notre Seigneur, tous les hommes souffraient de la lèpre de l'âme, même s'ils n'étaient pas tous atteints de celle du corps... Or la lèpre de l'âme est bien pire que celle du corps.
Mais voyons la suite. « Ils s'arrêtèrent à distance et lui crièrent : Jésus, Maître, prends pitié de nous ». Ces hommes se tenaient à distance car ils n'osaient pas, étant donné leur état, s'avancer plus près de lui. Il en va de même pour nous : tant que nous demeurons dans nos péchés, nous nous tenons à l'écart. Donc, pour recouvrer la santé et guérir de la lèpre de nos péchés, supplions d'une voix forte et disons : « Jésus, Maître, prends pitié de nous ». Cette supplication ne doit toutefois pas venir de notre bouche, mais de notre cœur, car le cœur parle d'une voix plus forte. La prière du cœur pénètre dans les cieux et s'élève très haut, jusqu'au trône de Dieu.
Commentaire sur l'évangile de Luc, 2, 40 ; PL 165, 426-428 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 449)
L'or, l'encens et la myrrhe
Guidés par l'étoile, les mages venant d'Orient jusqu'à Bethléem sont entrés dans la maison où la bienheureuse Vierge Marie demeurait avec l'enfant ; ouvrant leurs trésors, ils ont offert trois dons au Seigneur : l'or, l'encens et la myrrhe, par lesquels ils l'ont confessé vrai Dieu, vrai homme et vrai roi.
Ce sont bien les dons que la sainte Eglise ne cesse d'offrir à Dieu son Sauveur. Elle offre l'encens lorsqu'elle le confesse et croit en lui comme étant le véritable Seigneur, créateur de l'univers ; elle offre la myrrhe lorsqu'elle affirme qu'il a pris la substance de notre chair, dans laquelle il a voulu souffrir et mourir pour notre salut ; elle offre l'or quand elle n'hésite pas à proclamer qu'il règne éternellement avec le Père et l'Esprit Saint...
Cette offrande peut recevoir un autre sens mystique. Selon Salomon, l'or signifie la sagesse céleste : « Le trésor le plus désirable se trouve dans la bouche du sage » (cf Pr 21,20)... Selon le psalmiste, l'encens symbolise la prière pure : « Que ma prière, Seigneur, s'élève devant toi comme un encens » (Ps 140,2). Car, si notre prière est pure, elle exhale vers Dieu un parfum plus pur que la fumée de l'encens ; et de même que cette fumée monte vers le ciel, ainsi notre prière se dirige vers le Seigneur. La myrrhe symbolise la mortification de notre chair. Donc nous offrons l'or au Seigneur lorsque nous resplendissons devant lui par la lumière de la sagesse céleste... Nous lui offrons de l'encens lorsque nous élevons vers lui une prière pure. Et de la myrrhe lorsque, par l'abstinence, « mortifiant notre chair avec ses vices et ses convoitises » (Ga 5,24), nous portons la croix à la suite de Jésus.
1er sermon sur l'Épiphanie ; PL 165, 863 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 334)
« Croyez ce que je vous dis : je suis dans le Père et le Père est en moi »
« Je suis le chemin. » Pourquoi ? Parce que « personne ne va au Père sans passer par moi ». « Je suis la vérité. » Comment cela ? Parce que personne ne connaît le Père, sinon par moi : « personne ne connaît le Père, sinon le Fils et celui à qui le Fils veut le révéler » (Mt 11,27)... « Je suis la vie », parce que personne n'a la vie, sinon par moi. « Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père. Dès maintenant vous le connaissez, et vous l'avez vu. »
Jésus nous dit : « Vous voulez venir au Père ? Vous voulez le connaître ? Connaissez-moi d'abord, moi que vous voyez, et ainsi vous connaîtrez ensuite celui que vous ne voyez pas encore. Déjà vous l'avez vu, mais non en lui-même ; vous l'avez vu en moi. Vous l'avez vu, mais en esprit et par la foi. C'est lui qui parle en moi, car je ne parle pas de moi-même. Quand vous m'écoutez, vous le voyez ; car, lorsqu'il s'agit des réalités spirituelles, il n'y a pas de différence entre voir et entendre : celui qui entend, voit ce qu'il entend. Ainsi, vous voyez le Père lorsque vous l'écoutez parler en moi. Et dès maintenant vous le connaissez, parce qu'il demeure en vous, et qu'il est en vous ».
« Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père ; cela nous suffit ». Philippe désirait voir le Père non seulement en esprit, par les yeux de la foi, mais encore avec ses yeux de chair. Moïse, lui aussi, avait dit : « Si j'ai trouvé grâce à tes yeux, montre-moi ta face pour que je te connaisse ». Et le Seigneur avait répondu : « Personne ne peut me voir sans mourir » (Ex 33,18-20). Ici Jésus dit à Philippe : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ! Philippe, celui qui m'a vu a vu le Père ». Philippe parlait de la vision des sens ; le Christ l'appelle à la vision intérieure, il l'invite à saisir avec les yeux de l'âme. « Il y a si longtemps que je suis avec vous ; il y a si longtemps que je vis avec vous ; il y a si longtemps que je vous révèle ma divinité et ma puissance par mes paroles, par les signes et les miracles, et tu ne me connais pas ? Philippe, celui qui me voit, non pas avec ses yeux de chair, comme tu le crois, mais avec les yeux de son cœur, comme je te le dis, celui-là voit le Père. »
Commentaire sur l'évangile de Jean ; PL 165, 562 (trad. Solesmes, Lectionnaire, t. 3, p. 957s rev.)
Purifiés de la lèpre du péché
« En cours de route, ils furent purifiés. » Il faut que les pécheurs entendent cette parole et fassent l'effort de la comprendre. Il est facile au Seigneur de remettre les péchés. Souvent, en effet, le pécheur est pardonné avant de venir trouver le prêtre. En réalité, il est guéri à l'instant même où il se repent. En effet, quel que soit le moment où il se convertit, il passe de la mort à la vie... Qu'il se rappelle cependant de quelle conversion il s'agit. Qu'il écoute ce que dit le Seigneur : « Revenez à moi de tout votre cœur, dans le jeûne, les larmes et le deuil ! Déchirez vos cœurs et non pas vos vêtements » (Jl 2,12s). Toute conversion doit donc s'opérer dans le cœur, au-dedans.
« L'un d'eux, voyant qu'il était guéri, revint sur ses pas, en glorifiant Dieu à pleine voix. » En réalité, cet homme représente tous ceux qui ont été purifiés dans l'eau du baptême ou guéris par le sacrement de pénitence. Ils ne suivent plus le démon, mais imitent le Christ, ils marchent à sa suite en le glorifiant et en lui rendant grâce, et ils n'abandonnent pas son service... « Jésus lui dit : ' Relève-toi et va ; ta foi t'a sauvé '. » Grande est donc la puissance de la foi, car « sans elle, selon la parole de l'apôtre, il est impossible d'être agréable à Dieu » (He 11,6). « Abraham eut foi en Dieu, et, de ce fait, Dieu estima qu'il était juste » (Rm 4,3). C'est donc la foi qui sauve, la foi qui justifie, la foi qui guérit l'homme dans son âme et dans son corps.
Commentaire sur l'évangile de Luc, 2, 40 ; PL 165, 428 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 450)
« Voilà, mon banquet est prêt…, tout est prêt : venez au repas de noces » (Mt 22,4)
Le Seigneur avait été invité à un banquet de noces. En observant les convives, il a remarqué que tous choisissaient les premières places…, chacun désirant se placer avant tous les autres et s’élever au-dessus de tous. Il leur a raconté une parabole (Lc 14,16s) qui, même prise en son sens littéral, est bien utile et nécessaire à tous ceux qui aiment jouir de la considération des gens et qui ont peur d'être rabaissés...
Mais comme cette histoire est une parabole, elle renferme une signification qui dépasse le sens littéral. Voyons donc quelles sont ces noces et qui sont les invités aux noces. Celles-ci s'accomplissent quotidiennement dans l'Église. Chaque jour le Seigneur célèbre des noces, car chaque jour il s'unit les âmes fidèles lors de leur baptême ou de leur passage de ce monde-ci au Royaume céleste. Et nous qui avons reçu la foi en Jésus Christ et le sceau du baptême, nous sommes tous invités à ces noces. Une table y est dressée pour nous, dont l'Écriture dit : « Tu prépares la table pour moi devant mes ennemis » (Ps 22,5). Nous y trouvons les pains de l'offrande, le veau gras, l'Agneau qui enlève les péchés du monde (Ex 25,30; Lc 15,23; Jn 1,29). Ici nous sont offerts le pain vivant descendu du ciel et la coupe de l'Alliance nouvelle (Jn 6,51; 1Co 11,25). Ici nous sont présentés les évangiles et les épîtres des apôtres, les livres de Moïse et des prophètes, qui sont comme des mets extrêmement délicieux.
Que pourrions-nous donc désirer de plus ? Pourquoi choisirions-nous les premières places ? Quelle que soit la place que nous occupons, nous avons tout en abondance et nous ne manquons de rien.
Commentaire sur l'évangile de Luc, 2, 14 ; PL 165, 406 (trad. Delhougne, Les Pères commentent, p. 435 rev.)