Passioniste de Polynésie

Avis spirituel 2

Saint François de Sales 


AUTRES AVIS A UNE RELIGIEUSE DE LA VISITATION SUR L'OBÉISSANCE
ET L'EXAMEN QUI DOIT SUIVRE L'ORAISON
(INÉDIT) 1612-1618 (XXVI,327)

DE L'OBEYSSANCF-

1er Point de l'obeyssance est que nous devons croire et tenir pour asseuré que Dieu a establi toute sorte de Superieures et que ce ne sont pas les hommes qui les eslisent, c'est Dieu mesme.

2. C'est que Dieu a establi les Superieures comme ses lieutenantes en terre, affin que nous leur obeyssions comme a luy mesme, et tient estre fait a luy ce qui est fait aux Superieures, comme il le tesrnoigne par ces parolles : Celuy qui vous obeit m'obeit, et celuy qui vous mesprise me mesprise (Lc 10,16).

3. C'est que Dieu ne permettra jamais que vous perissies tandis que vous obeyres fidellement vous confiant en luy ; car si Dieu vous a mise sous une Superieure affin que vous luy obeyssies, croyes qu'il vous protegera de sa providence divine pour parvenir a vostre derniere fin, qui est vostre perfection.

4. C'est qu'il ne faut jamais regarder au visage des Superieurs ni dire : Sont ilz propres pour nous ? commanderont ilz bien ? ains obeyr a l'aveugle en tout ce qu'ilz nous commandent, car ce ne seront pas les Superieures qui nous rendront parfaittes, mais la sonsmission et obeyssance quenous leur rendrons. Et l'on voit beaucoup d'inférieurs qui sont saintz sous des supérieurs fort imparfaits, et des inferieurs imparfaitz sous des Superieurs qui sont saintz, tellement qu'il n'y a point d'excuse en l'obeyssance sinon la grande, qui est d'offenser Dieu. Toutes les autres sont suspectes et ne viennent que d'une vayne recherche de nous mesmes. Nostre Seigneur priant au jardin des Olives dit a son Pere : Que vostre volonté soit taire et non la mienne Qu'il soit fait ce que vous voules et non ce que je veux ; comme [vous] voules et non comme je veux. Amen. (Mt 26,42; Lc 22,42 ; Mc 14,36)

Examen sur l'orayson qui se doit taire apres icelle, se pourmenant ou faisant son ouvrage

Si vous aves esté bien preparee ; si vous aves donné entree a quelque pensee impertinente ou infructueuse.

Si vous vous estes laissé aller au sommeil ou a la pesanteur de cors et d'esprit.

Si vous vous estes trop laissé aller aux spéculations de l'entendement et considérations.

Si vous aves esté lasche ; si vous n'aves tasché de mouvoir l'affection et la volonté.

Si vous aves eu autre intention que de chercher le bon playsir de Dieu.

Si vous aves eu de la curiosité en l'intelligence ; si vous aves eu de la propre volonté en l'affection ; si vous aves eu de la propre complaysance en la considération.

Si vous aves eu de la négligence a correspondre a la grace.

De plus, rernarques les illustrations que Dieu donne en l'orayson, nous faisant voir . . . . . . . . . . . . .

Revu sur le texte inséré dans un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° 113.
 

AUTRES AVIS A UNE VISITANDINE (XXVI,360)

Marcher dans la vertu sinon toujours avec joie, du moins avec courage. - La statue dans sa niche. - Ne soyons pas des anges, mais de petits poussins. - Nous n'avons pas à craindre le jugement du monde. - Nos misères ne nous doivent pas accabler ni étonner.- Quel est, parmi les pauvres, " le plus advantagé"? - Parlons à Dieu de nos misères. - Ne pas insulter notre coeur et ne pas trop le presser. - Dieu seul doit y régner. - Le réjouir et le consoler. - La couche de l'Epoux, et l'agneau de l'holocauste. - Recevoir Jésus- Christ : le plus grand moyen d'arriver à la perfection. - Ne pas quitter la sainte Communion pour les distractions et aridités. - Le divin Maître est Roi, soleil, fournaise, baume, trésor, gage de la gloire. - Aspirer à l'éternité qui approche.

Ma Fille, demeures en paix devant Nostre Seigneur, ne vous embarrasses pas. Pourveu que vous marchies dans le chemin de la vertu, quoy que lentement, vous ne laissées pas d'arriver a vostre but. Alles donq avec joye ; mais si vous ne pouves marcher dans la carriere tous-jours avec joye, faites le au moins avec courage, et confies vous en Dieu. Faites comme ces enfans qui veulent marcher; mais des aussi tost qu'ilz font quelque faux pas, ilz courent a leurs meres, ilz se jettent entre leurs bras et sur leur sein et s'y tiennent attachés.

Travailles a l'acquisition des vertus de bonne foy, sans vous embarrasser; laisses vous gouverner a Dieu, serves le selon son goust et non selon le vostre, regardes que c'est luy qui vous a placee ou vous estes. Tenes vous donq comme une statue dans sa niche ; vous estes la pour luv plaire, cela vous doit suffire ( TAD liv 6 ch 11). Nostre divin Maistre, de tems en tems, vous regardera et jettera les yeux sur vous. Ne desires point estre autre que vous estes, car si vostre soleil semble s'ecclipser, il reviendra bien tost et vous esclairera de nouveau.

Tasches d'acquérir la perfection qui est propre a cette vie. Ne veuillons pas estre trop tost des anges ; soyons de petitz poussins sous l'aisle de nostre mere, car nous ne sçaurions pas encores voler. Prattiquons les petites vertus qui nous sont propres et qui n'ont pas tant d'esclat ; res- jouissons nous de nostre propre abjection. Il faut treuver bon que nostre parfum sente mauvais au nez du monde ; ne craignons point le jugement qu'il fait de nous, ne nous abbattons point, car tant que Dieu nous voudra bien faire la grace de nous tenir de sa main en nous conservant le desir que nous avons de l'aymer, nous n'avons rien a craindre.

Il ne faut pas aymer nos imperfections, ouy bien l'humiliation qu'elles nous causent. Il ne faut pas se laisser troubler et accabler dans nos miseres, il faut tascher d'en sortir avec paix. Cher mespris, que mes imperfections et defautz m'apportent, je vous ayme; je deteste le mal, et me res- jouis de la honte. Il faut, en cette vie, se porter, et avec tranquillité. Mais qu'est ce que nous portons quand nous nous portons nous mesme ? C'est rien qui vaille ; il ne faut pas que cela nous estonne.

Dieu ayme les misérables, il regarde ceux qui ne sont rien ; les chetifz et personnes abjectes deviennent le throsne de Dieu (Ps 112,6) ; il establit son siege sur une ame qui est vile. Confessons donq nostre pauvreté. Res-jouisses vous, ma Fille, de n'estre rien, monstres luy vos playes, exposes luy vostre indigence. Parmi les pauvres du monde, celuy qui n'a que des haillons a faire paroistre et des playes a monstrer s'estime le plus advantagé, esperant que, par la descouverte de sa pauvreté, il recevra de plus grandes aumosnes. Tenons nous dans cette disposition devant Dieu ; ne luy parlons que de nos miseres, allons a son temple sacré luy exposer ce que nous sommes (Ac 3,2), mais ne nous abbattons pas.

Releves vostre pauvre coeur quand il tombe, gardes vous d'insulter en son endroit ; prenes nouveau courage, car si vous tombes souvent, vous vous releves aussi souvent sans vous en appercevoir. Ne presses pas vostre coeur, tenes le au large, puisqu'il aymeroit mieux mourir que d'offenser son Dieu. Il faut aussi plustost perdre toutes choses que la paix. Marches donq simplement, et vous marcheres avec joye et confiance (Pr 10,9); tenes vostre coeur au large, et ne le presses pas trop. Soyes juste envers vostre ame, pour ne la pas accuser ni excuser trop legerement : l'un pourroit la rendre orgueilleuse, et l'autre la faire devenir pusillanime.

Tant que nous serons ferme dans nostre résolution que Dieu regne dans nostre coeur, ne craignons point. Ouv, ma Fille, ou la mort ou l'amour ; il faut aymer ou mourir : que Dieu seul y vive, ou rien du tout. Et tant que ce sentiment sera bien gravé dans nostre coeur, pourquoy nous tourmenter ? Ne voyes vous pas que c'est l'amour propre qui se mesle subtilement de nous donner la torture ? Je vous exhorte encor une fois de tenir vostre coeur au large ; Dieu mercy, il se porte bien, puisque l'amour l'anime et quil veut tous-jours aymer.

Res-jouisses donq, ma Fille, vostre pauvre coeur ; consoles le dans ses tristesses, fortifies le dans ses travaux, recrees le dans ses ennuis, consoles le dans ses angoisses, affin que n'estant point abbattu, il ressente un nouveau courage pour servir Dieu. C'est en cette considération que je vous prie de le tenir le plus joyeux que vous pourres ; mesnages le, affin quil fasse de grans progres. Songes que l'Espoux a choysi ce coeur pour en faire son lit de repos; il faut qu'il soit fleuri (Ct 1,15). Ce doit estre aussi l'aigneau que vous deves offrir en holocauste et que vous deves aussi immoler a Nostre Seigneur ; il faut qu'il soit gras et en bon point. Vous sçaves que Dieu reçoit avec playsir l'offrande qu'on luy fait d'une franche volonté (Ecl 35,11 ; 2 Co 9,7).

Alles librement, ma chere Fille, vous consacrer a nostre divin Sauveur ; donnes luy le sacré bayser de la charité (Ct 1,1), et continues tous-jours a vous humilier profondément, affin que vous l'approchies sans crainte ; car je croy que le plus grand moyen pour arriver a la perfection est de recevoir Jesuschrist, pourveu qu'on ayt soin de destruire tout ce qui peut luy desplaire. Croyes moy, ma Fille, rien ne me fortifie plus l'estomac que de ne manger que d'une viande qui soit excellente ; nourrisses vous donq de la viande des Anges. Il vous fera faire une bonne digestion de luy mesme, il.se communiquera a toutes vos puissances, il agira en vous, il y operera ; ce sera luy qui esclairera vostre esprit, qui eschauffera vostre volonté, et ne sera plus vous qui vivres, ce sera Jesuschrist en vous (Ga 2,20). Et pour recevoir cette grace, il faut nous repaistre de Jesuschrist crucifié ; c'est luy qui eschauffera et fortifiera l'estomac de nostre ame, et qui nous preparera et rendra dignes de le recevoir souvent.

Ne quitteg donq pas vos Communions pour les peynes et faiblesses que vous sentes, quoy que vous soyes distraitte et que vous soyes en sécheresse. Tout cela n'est que dans la partie inférieure, car je sçai que la supérieure est unie a Dieu et ne souspire que pour luy. Et puisque vous cherches nostre divin Maistre, ou le pouves vous mieux treuver que dans le throsne de son amour ? Il veut estre nostre Roy : et ainsy il nous donnera la paix, il fera cesser la guerre, il mettra le calme dans nos puissances et nous fera recueillir.

Ne vous esloignes pas de vostre Soleil si vous voules estre esclairee. C'est une fournaise d'amour ou nos tiedeurs seront consumées, c'est un bausme pretieux qui guerira nos blesseures, c'est en fin un thresor de toutes les graces qui vous enrichira. Si vous estes dure, vous seres amollie ; si vous estes seche, vous seres arrousee ; si vous estes en tristesse, il sera vostre joye. Bref, Jesuschrist, dans ce divin Sacrement, vous veut estre toutes choses : c'est cette tablette cordiale que vous deves prendre, affin de vous conforter et de vous préserver de la corruption. En fin, ce divin Sauveur veut bien estre le gage de la gloire qu'il nous a promise.

Hastons nous d'aspirer a cette bienheureuse eternité ; elle s'approche, le tems passe. Hé, quil importe peu, ma Fille, que les momens de cette vie soyent fascheux, pourveu qu'a jamais nous louions et bénissions Nostre Seigneur.

Tasches ma chere Fille, de faire une bonne provision de sousrnission a la sainte volonté de Dieu. Amen

Revu sur une copie conservée à la Visitation d'Annecy. 

AUTRES AVIS SPIRITUELS A UNE VISITANDINE (INÉDIT) (XXVI,364)

Trésor de l'abandon total à Dieu. - Bonheur d'une âme petite et humble. - Les emplois dans la maison du Seigneur. - Tout est indifférent au coeur qui ne veut que Dieu. - Dans les choses qui ne sont pas clairement manifestées, interroger nos Supérieurs et suivre leurs avis. - Suavité des inspirations divines ; trouble et inquiétude en celles qui viennent du démon. - L'humilité change en or le plomb de nos infirmités. - " Mesnager les petites rencontres ". - Bienheureuse est l'âme dépouillée de toutes choses. - Ce qui nous empêche de nous jeter à corps perdu entre les bras de la providence. - Dieu n'est pas comme les hommes. - " Ayrner sans mesure l'Amour eternel."

Ma chere Fille, si vous connoissies le thresor qui est enfermé dans l'abandon total que I'ame fait de tout elle mesme entre les mains de Dieu pour ne plus vouloir que ce qui luy plaist, vous souspireries apres cet estat, et vous ne souhaitteries rien que d'estre ce que Dieu veut que vous soyes. Que les autres soyent eslevés comme des Seraphins ; mon partage est de me tenir petite et humble aux pieds de mon Sauveur ; hé bien, je veux m'y tenir contente. Laissés la tous les raysonnemens et tous les desirs que vostre pauvre coeur voudroit vous suggerer pour sortir de cet estat. Croyes moy, que dans la mayson du Seigneur les emplois les plus vilz ne sont pas les moins advantageux ; mais le coeur qui est indifférent dit mesme qu'il ne peut pas envi- sager les advantages qui s'y treuvent. Je sçay que c'est mon Dieu, qui m'ayme, qui m'a choysi cest employ et cette maniere de vie ; je ne veux plus envier l'excellence des autres, mais je veux me perfectionner sans empressement et sans inquiétude. Si je tombe, je ne m'abattray pas, car le Tout Puyssant me peut relever ; si je suis dans l'obscurité, le Seigneur est ma lumiere, que craindray- ie ?(Ps 26,1) En fin, ni le ciel, ni la terre, ni mesme l'enfer ne me peuvent oster mon Dieu (Rm 8,38). Je ne souhaitte que luy : tout m'est indifférent ; je veux aymer toutes choses en Dieu et pour Dieu ; j'iray avec luy a la bonne foy, sans trop critiquer. Je veux luy obeir dans ce qu'il me demande, mais pour connoistre sa volonté dans une infinité de choses qui ne me sont pas clairement manifestées, je ne veux point donner la torture a mon pauvre coeur, ni les examiner avec scrupulosité ; je m'en tiendray a ce que me diront ceux que Dieu a establis pour me conduire et, en paix, je tascheray a suyvre ses inspirations.

Remarqués que lhors qu'elles viennent du Seigneur, c'est avec douceur et suavité qu'elles nous portent au bien, et nous sommes indifferens du succes, parce que, pourveu que nous ayons fait de nostre costé ce qu'il demande de nous, nous demeurons en paix. Au contraire, le malin esprit nous suggere des desirs des vertus avec aspreté, inquiétude, chagrin et empressement ; si nous treuvons quelqu'obstacle, tout a l'heure nous sommes troublés, nous nous empressons. Ne sçaves vous pas, ma Fille, que nostre Dieu est le véritable Salomon qui veut se reposer dans nostre coeur ? Il est bon ; si nous pouvons le placer dans le Ciel, nous ne nous troublerons pas des accidens de cette vie.

Ne nous affligeons pas si nous sommes appesantis par le poids de nos mauvaises inclinations; aymons l'abjection qui nous en revient. Vous ne sçaves pas la force de l'humilité qui change en or tres pur le plomb de nos infirmités, laquelle sainte métamorphose opere dans l'ame cette vertu. Faites que ce bausme salutaire nage tous-jours dans vostre ame.

Ayes tous-jours une grande douceur et affabilité ; vous sçaves que l'affabilité est la cresme de la charité. Ayes soin de mesnager les petites rencontres que Dieu vous presente, mettes en cela vostre vertu, et non pas a desirer de grans travaux ; car souvent on se laisse abbattre par un mouscheron quand on combat des monstres par imagination.

Ne vous inquietes point dans la veuë des maux et des peynes qui vous peuvent arriver ; car le Seigneur ne permettra pas qu'ilz vous arrivent, ou il vous donnera la force de les porter, s'il vous les envoye. Laisses vostre ame et vostre cors entre ses benites mains, abandonnes vous a luy, perdes vous en luy, n'aymes que luy, ne veuilles que luy, et que toutes choses hors de luy vous soyent indifférentes ; et vous connoistres dans le Ciel que bienheureuse est l'ame qui a vescu dans ce monde despouillee de toutes choses, et qui a rendu hommage au grand despouillement et a la nudité de son Espoux attaché a la croix, et mourant, affin d'enrichir et de revestir ses espouses bienaymees.

Pour affermir nostre amour pour nostre souverain Bien, resveillons nostre foy ; car la prudence de la chair et les raysonnemens de nostre esprit nous nuysent souvent et nous empeschent de nous jetter a cors perdu entre les bras de la divine Providence. Nous croyons, parce que nous ne valons rien, que le Seigneur n'aura point soin de nous : ne voyes vous pas la finesse de la prudence humaine qui nous trompe en nous faysant sortir de l'estat, d'une parfaitte confiance ? Ne faysons point ce [ tort ] a sa divine Majesté de raysonner si bassement ; Dieu n'est pas comme les hommes, qui ne font cas que de ce qui peut leur estre utile. Je sçay, dira une ame fidele, que la foy m'enseigne que le Seigneur supporte et reçoit les foibles et les misérables qui se confient en luy : je veux donq m'y confier et abandonner.

C'est dans la sainte dilection, ma chere Fille, quil faut bastir nostre demeure ou tabernacle, car il n'y a rien de bon pour nous que d'aymer sans mesure l'Amour eternel. Presses fort, mùa chère Fille, cedivin Sauveur sur votre coeur : c'est luy qui l'a scellé et cachetté (Ct 8,6), affin qu'il soit tout sien. Amen   

FRAGMENTS SUR LA PAUVRETE (INEDIT) (XXVI,367)

En quoi consiste la parfaite pauvreté intérieure. - Comment regarder les biens de la Communauté. - Accepter avec amour les disettes. - Trois degrés de la pauvreté spirituelle. - La grande et sainte pauvreté-. Quel en est le dernier degré. - Celui qui n'a aucune confiance en soi-même est vraiment fidèle.

La parfaitte pauvreté intérieure consiste a avoir le coeur destaché et disjoint de toutes les choses dont il se sert, ne les tenant que par emprunt, estant prest de les quitter sans fascherie, toutes fois et quantes que les Superieurs l'ordonneront. Ainsy, ceux qui ont le vray amour divin sont contens des choses nécessaires ; et encor en sont ilz destachés non seulement d'affection, mais aussi en la façon d'en parler, n'usant point du mot de mien, mais nostre. [C'est] avec la mesme modération qu'il faut aymer les biens de la Communauté, les regardant non avec une affectionpropriétaire qui nous oste la paix du coeur ou nous desregle en la prétention, conservation ou distribution d'iceux, ains avec un esprit religieux, comme choses consacrées a Dieu, lesquelles il ne faut aymer que selon le goust du Seigneur a qui elles sont consacrées.

La pauvreté religieuse engendre pauvre table, pauvre lict, pauvres habitz et pauvre cellule. Cela doit sembler nécessaire, dont nous ne sçaurions nous passer commodement; tout le reste doit estre retranché, autant que nous pourrons. Il se faut mesme retrancher quelquefois des choses mesme nécessaires ; mays sur tout accepter avec amour tous les manquemens des choses nécessaires qui nous arriveront, de quelque part qu'ilz viennent, recevant aussi de bon coeur les choses pauvres qui nous arriveront, en quoy que ce soit.

Par dessus toute pauvreté, il nous faut avoir celle du coeur, qui nous rend humbles et petitz a nos yeux. La pauvreté spirituelle, c'est l'abandonnement de toutes choses, le mespris de soy mesme et la renonciation de toutes choses et de la propre volonté en toutes choses :. ces trois degrés sont les enseignemens de la vraye Religion. Ne se vanter jamais de ce que l'on a esté au monde, n'en vouloir estre loüé ni estimé ; fuir cela tant qu'il se peut, craignant que nostre pauvreté n'en soit plus prisee, c'est imiter la souveraine humilité de Nostre Seigneur. Il faut fuir tout ce qui est d'honnorable.

La grande et sainte pauvreté est de reconnoistre que nous n'avons rien [et] ne pouvons rien de nous mesme que misere. Je suis mendiant et pauvre : mon Dieu, aydes moy (Ps 39,18 ; 69,6). Il est bon de regarder nostre bassesse en comparayson de la sainteté des Saintz, qui se tenoyent pour rien.

Le dernier degré de la pauvreté c'est l'absolu renoncement de sa propre volonté, se conformant en toutes choses a celle du prochain, et ne vouloir chose quelconque sinon Dieu et l'accomplissement de son bon playsir.

Bienheureux le pauvre, car il se reposera au sein de Dieu. Ayes fiance en Dieu ( Ecl 11,22), mettes vous en sa garde, dresses vers luy vostre pensee, et il vous nourrira (Ps 54,23 ; 1 P 5,7). Affin qu'en fidelité vous puissies dire : Le Seigneur a soin de moy (Ps 39,18), mettes tout vostre soin vers luy, car il a soin de vous.

Se fier en soy mesme n'est point le propre de la foy, mays de la perfidie. Celuy la est vrayement fidele qui ne se fie ni a aucune confiance en soy, qui s'est rendu comme un vaysseau corrompu et qui perd tellement son ame, qu'il la veut conserver pour la vie éternelle (Mt 10,39 ; Lc 9,24 ; 17,33). La seule humilité de coeur est cause que l'ame ne se fie pas en elle mesme ; mais la tenant en abandon, se retire au desert, se reposant toute sur son Bienaymé (Ct 8,5).

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Nancy. 

FRAGMENTS SUR L'OBÉISSANCE (Inédit) (XXVI, 369).

L'obéissance religieuse est un holocauste. - Devoir du Supérieur et de l'inférieur. - Qu'est-ce que le propre jugement ? - L'indifférence du parfait obéissant.

Saint Pierre dit (1 P 2,13) : Sousmettes vous a toutes créatures humaines pour I'amour de Dieu. L'obeissance religieuse est un holocauste qu'on offre a Dieu, sans se rien reserver de sa propre volonté. L'obeissance est la supresme et unique vertu. Saint Bernard dit: : " Que le Prelat ne commande a sa poste, ains selon la Regle ;... qu'il n'accroisse les voeux sans la volonté du sujet, qu'il ne les diminue aussi que par nécessité ; " mais " que le sujet sçache que l'obéissance est imparfaite qui se renferme dans les bornes des voeux, car la parfaite s'estend a toutes choses auxquelles la charité se treuve. " Saint Bernard dit : " Celuy que nous avons pour Superieur au lieu de Dieu, nous le devons ouyr comme Dieu mesme, es choses qui ne sont apertement contre Dieu. "

Il faut obeir par la sousmission du jugement. L'on appelle jugement propre celuy qui se separe du sens de l'Église, des Prelatz et Superieurs ; celuy qui se despart du sens de l'Église, des Prelatz, des Superieurs est en erreur.

L'indifference consiste a n'incliner pas plus d'un costé que d'autre ; de sorte que le parfait obéissant, encor qu'il soit resolu d'accomplir tout ce qui sera de precepte, de Regle, d'ordonnance, il est indifférent a tout le reste, ayant tous- jours au coeur et en la bouche : Seigneur, que voules vous que je lace ( Ac 9,6).

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Visitation de Nancy.

VOCATION A VIE RELIGIEUSE (XXVI,371) Jean Marc de Monthoux, de Duingt ? Cf XIX,377

Bonté de Dieu qui se contente de nous obliger à garder ses Commandements. - Ce qu'il nous conseille. - Toujours nous aurons à combattre. - Consolations de la vie religieuse et de la " vie commune ". - Examiner ses dispositions et attendre.

0 que Dieu est bon a son Israël ! Qu'il est bon a ceux qui sont droitz de coeur (Ps 72,1) ! Consideres premièrement, que Nostre Seigneur ayant peu obliger ses créatures a toutes sortes de services et obeissances envers luy, il ne l'a pas néanmoins voulu faire, ains s'est contenté de nous obliger a l'observation de ses Commandemens ; de maniere que s'il luy eust pleu d'ordonner que nous jeusnassions toute nostre vie, que nous fissions tous vie d'hermites, de Chartreux, de Capucins, encor ne seroit ce rien au respect du grand devoir que nous luy avons : et néanmoins, il s'est contenté que nous gardassions simplement ses Commandemens.

Consideres secondement, qu'encor qu'il ne nous aye point obligé a plus grand service qu'a celuy que nous luy rendons en gardant ses Commandemens, si est ce qu'il nous a invités et conseillés a faire une vie tres parfaite, et observer l'entier renoncement des vanités et convoytises du monde.

Consideres troysiesmement, que, soit que nous embrassions les conseilz de Nostre Seigneur nous rangeant a une vie plus estroitte, soit que nous demeurions en la vie commune et en l'observance seule des Commandemens, nous aurons en tout de la difficulté : car si nous nous retirons du monde, nous aurons de la peyne de tenir perpétuellement bridés et sujetz nos appetitz, renoncer a nous mesmes, re- signer nostre propre volonté et vivre en une tres absolue sujettion sous les loix de l'obéissance, chasteté et pauvreté ; si nous demeurons au chemin commun, nous aurons une peyne perpétuelle a combattre le monde qui nous environnera, a resister aux fréquentes occasions de pecher qui nous arrivent, et a tenir nostre barque sauve parmi tant de tempestes.

Consideres quatriesmement, qu'en l'une et en l'autre vie, servant bien Nostre Seigneur nous aurons mille consolations. Hors du monde, le seul contentement d'avoir tout quitté pour Dieu vaut mieux que mille mondes ; la douceur d'estre conduit par l'obeyssance, d'estre conservé par les loix, et d'estre comme a couvert des plus grandes embusches, sont de grandes suavités : layssant a part la paix et tranquillité qu'on y treuve, le playsir d'estre occupé nuit et jour a l'orayson et choses divines, et mille telles delices. Et quant a la vie commune, la liberté, la varieté du service qu'on peut rendre a Nostre Seigneur, l'aysance de n'avoir a observer que les Commandemens de Dieu, et cent autres telles considérations la rendent fort délectable.

Sur tout cela : Helas ! dires vous a Dieu, Seigneur, en quelle condition vous serviray-je ? Ah ! mon ame, ou que ton Dieu t'appelle, tu luy seras fidele : mais de quel costé t'est il advis que tu ferois mieux ? Examinés un peu vostre esprit pour sçavoir s'il sent point aucune inclination plustost d'un costé que d'autre, et l'ayant descouvert, ne faites encor point de résolution, ains attendes jusques a ce qu'on vous le dise.

L'arrivée de Marie et Joseph à Bethléem; ils reçoivent le mépris avec une douceur incomparable. - Le moindre oubli excite notre arrogance. - L' " establerie " pour le Sauveur, et " les superbes edifices " pour les pécheurs. - Tout est pauvre dans cette naissance et nous ne cherchons qu'à nous satisfaire.

Imagines vous de voir saint Joseph avec la sainte Vierge, sur le point de son accouchement, arriver en Bethleem et chercher par tout a loger, sans treuver aucun qui les veuille recevoir (Lc 2,7,12). 0 Dieu, quel mespris et rejet le monde fait des gens celestes et saintz, et comme ces deux saintes ames embrassent volontier cette abjection ! Ilz ne s'eslevent point, ilz ne font point de remonstrances de leur qualité, mais tout simplement reçoivent ces refus et aspretés avec une douceur nompareille. Ah ! misérable que je suis ! le moindre oubli que l'on fait de l'honneur pointilleux qui m'est deu, ou que je m'imagine m'estre deu, me trouble, m'inquiete, excite mon arrogance et ma fierté ; par tout je me pousse a vive force es premiers rangs. Helas ! quand auray je cette vertu, le mespris de rnoy mesme et des vanités?

Consideres comme saint Joseph et Nostre Dame entrent dans l'entree et porche qui servoit par fois d'establerie aux estrangers, pour y faire le glorieux enfantement du Sauveur. Ou sont les superbes edifices que l'ambition du monde esleve pour l'habitation des vilz et détestables pecheurs ? Ah ! quel mespris des grandeurs du monde nous a enseigné ce divin Sauveur ! Que bienheureux sont ceux qui sçavent aymer la sainte simplicité et rnoderation ! Miserable que je suis, il me faut des palais, encor n'est ce pas asses ; et voyla mon Sauveur sous un toit tout percé, et sur du foin, pauvrement et piteusement logé.

Consideres ce divin petit Enfançon né nud, frileux, dans une cresche, enveloppé de bandelettes. Helas ! que tout est pauvre, que tout est vil et abject en cet accouchement, et que nous sommes doüilletz et sujetz a nos commodités, amoureux des sensualités ! Il faut grandement exciter en nous le mespris du monde et le desir de souffrir pour Nostre Seigneur les abjections, mesayses, pauvretés et manquemens.  

TRISTESSE, INQUIÉTUDE : Rose Bourgeois mai 1605 (XXVI, 224) cf XIII,25 et IVD part.IV, ch.11

La tristesse et l'inquiétude s'engendrent l'une l'autre, et pourquoi. - L'âme peut chercher à être délivrée d'un mal ou pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : effets contraires de ces deux amours. - Grand mal de l'inquiétude ; d'où elle vient. - Quand on tombe en quelque imperfection, rasseoir d'abord l'esprit et puis y mettre ordre. - La sentinelle de l'âme. - Notre " edification spirituelle " doit se faire dans une grande paix. - La tristesse peut être bonne ou mauvaise, mais elle est plus souvent mauvaise. - Ses productions. - Marques de la mauvaise tristesse et de la bonne. - D'où vient la différence qui existe entre elles : le Saint-Esprit est " l'unique Consolateur "; le malin esprit, " un vray desolateur ". - Remèdes contre la mauvaise tristesse : avoir patience; contrarier ses inclinations ; chanter des cantiques spirituels ; s'employer aux oeuvres extérieures ; faire souvent des actes extérieurs de ferveur ; la discipline modérée ; la prière et s'adresser à Dieu avec des mots de confiance ; la sainte Communion ; l'ouverture de coeur.

La tristesse engendre l'inquiétude, et l'inquiétude engendre aussi la tristesse. C'est pourquoy il faut traitter de l'une et de l'autre ensemble, et les remedes de l'une sont prouffitables pour l'autre. Et affin que vous entendies comme la tristesse et l'inquietude s'engendrent l'une l'autre, sçaches que la tristesse

n'est autre chose que la douleur d'esprit que nous avons du mal qui est en nous contre nostre gré, soit que le mal soit intérieur ou qu'il soit extérieur, comme pauvreté, maladie, infamie, mespris ; intérieur, comme ignorance, sécheresse, mauvaise inclination, peché, imperfection, répugnance au bien.

Quand donq l'ame sent quelque mal en soy, elle se desplaist premièrement de l'avoir, et voyla la tristesse. Secondement, elle voudroit et desire en estre quitte, cherchant les moyens de s'en desfaire ; et jusques la il n'y a point de mal, et ces deux actes sont louables. Mais, troisiesmernent, l'ame cherchant les moyens d'estre delivree du mal qu'elle sent, peut les chercher pour l'amour de Dieu ou pour l'amour propre : si c'est pour l'amour de Dieu, elle les cherchera avec patience, humilité et douceur, attendant le bien non tant de soy mesme et de sa propre diligence, comme de la miséricorde de Dieu ; mays si elle les cherche pour l'amour propre, elle s'empressera a la queste des moyens de sa délivrance, comme si ce bonheur dependoit d'elle plus que de Dieu. Je ne dis pas qu'elle pense cela, mais je dis qu'elle s'empresse comme si elle le pensoit, et cela provient de ce que, ne rencontrant pas de premier abord la delivrance de son mal, elle entre en de grandes inquiétudes et impatiences. Voyla donques l'inquiétude arrivee, et peu apres arrive, quatriesmement, une extreme tristesse, parce que l'inquiétude n'ostant pas le mal, ains au contraire l'empirant, l'on tumbe en une angoisse desmesuree, avec une défaillance de force et troublement d'esprit si grand, qu'il luy semble ne pouvoir jamais en estre quitte ; et de la elle passe a un abisme de tristesse qui luy fait abandonner l'espérance et le soin de mieux faire. Vous voyes donques que la tristesse, qui de soy n'est pas mauvaise en son commencement, engendre l'inquiétude, et que, réciproquement, l'inquiétude engendre une autre tristesse, qui de soy est tres dangereuse.

De l'inquiétude

Je ne diray que peu de chose de cette inquiétude, pour ce que ses remedes sont presque pareilz a ceux que je donne pour la tristesse, et aussi parce que je vous renvoye aux 14, 15, 16 chapitres du Combat spirituel. Je diray seulement ces deux ou trois motz.

L'inquietude, mere de la mauvaise tristesse, est le plus grand mal qui puisse arriver a l'ame, excepté le peché ; car il n'y a aucun defaut qui empesche plus le progres en la vertu et l'expulsion du vice que l'inquietiide. Et comme les seditions en une république la ruynent entièrement et empeschent qu'on ne puisse combattre l'ennemy, ainsy nostre coeur estant.troublé en soy mesme, perd la force d'acquérir les vertus et de se servir des moyens qu'il devroit employer contre ses ennemis, lesquelz ont, comme l'on dit, la commodité de pescher en eau trouble.

2. L'inquietude provient d'un ardent et desreglé desir d'estre delivré du mal que l'on sent ou en l'esprit ou au cors ; et néanmoins, tant s'en faut que cette inquiétude serve a la délivrance, qu'au contraire elle ne sert qu'a la retarder. Qu'est ce qui fait que les oyseaux ou autres animaux demeurent pris dans les filetz, sinon qu'y estans entrés, ilz se desbattent et remuent dereglement pour en vistement sortir, et ce faysant ilz s'embarrassent et empeschent tant plus. Ceux qui sont parmi les halliers et buissons, s'ilz veulent courir et s'empresser a cheminer, ilz se piquent et deschirent ; mais s'ilz vont tout bellement, des- tournant les espines de part et d'autre, ilz passent plus vistement et sans piqueure.

3. Quand nous cherchons trop ardemrnent une chose, nous la passons souvent sans la voir, et jamais besoigne que l'on fait a la haste ne fut bien faite. C'est pourquoy, estans turnbés dans les filetz de quelques imperfections, nous n'en sortirons pas par l'inquiétude, au contraire nous nous embarrasserons tous-jours davantage. Il faut donq rasseoir nostre esprit et jugement, et puis tout bellement y mettre ordre; je ne veux pas dire négligemment, mais sans empressement, trouble, ni inquiétude. Et pour parvenir a cela, il faut lire et relire les 14, 15 et 16 chapitres du Combat spirituel. Il faut surtout tenir la sentinelle de laquelle parle le Combat spirituel, laquelle nous advertira de tout ce qui voudra esmouvoir aucun trouble ou empressement en nostre coeur, sous quelque pretexte que ce soit . Cette sentinelle qui doit estre entree en l'ame, peut estre signifiee en ce que le mont de Sion estoit enclos ën Hierusalem, qui veut dire Vision de paix ; et Sion, selon plusieurs, veut dire sentinelle et eschauguette. Or, cette sentinelle ne doit estre autre chose qu'un soin tres particulier de la conservation du repos intérieur, lequel nous devons spécialement renouveller au commencement de tous nos exercices, au soir, au matin, au midi.

4- Nostre Seigneur ne voulut point que son Temple fust edifié par David (3 R 5,3), roy tressaint, mais belliqueux, ni qu'en l'édification fust ouy aucun marteau, ni aucun fer (3 R 6,7) ; mais par Salomon, roy pacifique (2 R 5,3 ;6,7;7,13) : signe qu'il ne veut pas que nostre édification spirituelle se fasse sinon en tres grande paix et tranquillité, laquelle il faut tous-jours demander a Dieu, comme enseigne le roy David ( Ps 121,6) : Demandes, dit il, ce qu'il faut pour la paix de Hierusalem. Aussi Nostre Seigneur renvoyait tous-jours les penitens en paix Allez en paix, disoit il (Lc 7,50).

De la tristesse

La tristesse peut estre bonne ou mauvaise (IVD part IV, ch 12), selon le dire de saint Paul (2 Co 7,10) - La tristesse qui est selon Dieu opere la penitence pour le salut, la tristesse du monde, la mort.

2. L'ennemy se sert de la tristesse pour exercer ses tentations a l'endroit des bons ; car, comme il tasche de faire res-jouir les mauvais au mal, aussi tasche il de faire attrister les bons au bien. Et comme il ne peut procurer le mal qu'en le faysant treuver aggreable, aussi ne peut il destourner du bien qu'en le faysant treuver desaggreable. Mays outre cela, le malin se plaist en la tristesse et melancholie, parce qu'il est luy mesme triste et melancholique, et le sera éternellement, dont il voudroit qu'un chacun fust comme luy.

3. La tristesse est presque ordinairement mauvaise et rarement bonne ; car, selon les Docteurs, l'arbre de tristesse produit huit branches, sçavoir: miséricorde, penitence, angoisse, paresse, indignation, jalousie, envie et impatience ; entre lesquelles, comme vous voyes, il n'y a que les deux premières qui soyent purement bonnes. Ce qui a fait dire au Sage, en l'Ecclesiast. (30,25), que la tristesse en tue beau- coup, et qu'il n'y a point de prouffit en elle ; parce que pour deux bons ruisseaux qui en proviennent, il y en a six tres mauvais.

Signes de la mauvaise tristesse

La mauvaise tristesse trouble l'esprit, agite l'ame et la met en inquiétude. Dont le roy David ne se plaint pas seulement de la tristesse, disant : Pourquoy es tu triste, o mon ame ? mais encores du troublement et inquiétude, adjoustant: Et pourquoy me troubles-tu ? (Ps 42,5) Mais la bonne tristesse laysse une grande paix et tranquillité en l'esprit ; c'est pourquoy Nostre Seigneur, apres avoir predit a ses Apostres : Vous seres tristes (Jn 16,20 ;14,27), il adjouste : Et que vostre coeur ne soit point troublé, et n'ayes Point de crainte, etc. Voicy que ma tres amere amertume est en paix ( Is 38,17).

La mauvaise tristesse vient comme une gresle, avec un changement inopiné et des terreurs et impétuosités bien grandes, et tout a coup, sans que l'on puisse dire d'ou elle vient, car elle n'a point de fondement ni de rayson ; ains, apres qu'elle est arrivee, elle en cherche de tous costés pour se parer. Mays la bonne tristesse vient doucement en l'ame, comme une pluye douce qui attrempe les chaleurs des consolations, et avec quelque rayson precedente.

La mauvaise tristesse perd coeur, s'endort, s'assoupit et rend inutile, faysant abandonner le soin et I'oeuvre, comme dit le Psalmiste (Pr 15,13 ; Gn 21,15), et comme Agar, qui laissa son filz sous l'arbre pour pleurer. La bonne tristesse donne force et courage, et ne laisse point, ni n'abandonne un bon dessein ; comme fit la tristesse de Nostre Seigneur, laquelle, quoy que si grande qu'il n'en fust jamais de telle, ne l'empescha pas de prier et d'avoir soin de ses Apostres (Mt 26,38 ; Jn 18,8). Et Nostre Dame ayant perdu son Filz fut bien triste, mais elle ne laissa pas de le chercher diligemment (Lc 2,41 ; Mc 16,1 ; Jn 20,1) ; comme fit aussi la Magdeleyne, sans s'arrester a lamenter et pleurer inutilement.

La mauvaise tristesse obscurcit l'entendement, prive l'ame de conseil, de résolution et de jugement, comme elle fit ceux desquelz parlant le Psalmiste (Ps 106,27), il dit qu'ilz lurent troublés et esbranslés comme un homme qui est ivre, et toute leur sagesse fut devoree ; on cherche les remedes ça et la confusément, sans dessein et comme a tastons. La bonne ouvre l'esprit, le rend clair et lumineux, et, comme dit le Psalmiste (Is 28,19), sa vexation donne l'entendement.

La mauvaise empesche la priere, degouste de l'orayson, et donne desfiance de la bonté de Dieu ; la bonne, au contraire, est de Dieu, asseure la personne, accroist la confiance en Dieu, fait prier et invoquer sa miséricorde : La tribulation et l'angoisse m'ont troublé, mais vos commandemens ont esté ma meditation (Ps 118,143), disoit David.

Bref, ceux qui sont occupés de la mauvaise tristesse ont une infinité d'horreurs, d'erreurs et de craintes inutiles, de peynes et de peurs d'estre abandonnés de Dieu, d'estre en sa disgrace, de ne devoir plus se présenter a luy pour luy demander pardon, que tout leur est contraire et a leur salut, et sont comme Caïn, qui pensoit que tous ceux qui le rencontreroyent le voudroyent tuer (Gn 4,14). Ilz pensent que Dieu soit inéquitable en leur endroit, et severe jusqu'a l'éternité, et le tout pour leur particulier seulement, estimant tous les autres asses heureux au pris d'eux : ce qui provient d'une secrette superbe qui leur persuade qu'ilz devroyent estre plus fervens et meilleurs que les autres, plus parfaitz que nul autre. Bref, s'ilz y pensent bien, ilz trouveront que ce qu'ilz pensent leur faute plus considerable, c'est parce qu'ilz se pensent eux mesmes plus considerables.

Mais la bonne tristesse fait ce discours : Je suis misérable, vile et abjecte creature, et partant, Dieu exercera en moy sa miséricorde ; car la vertu se parfait dans l'infirmité ( 2 Co 12,9), et ne s'estonne point d'estre pauvre et misérable.

Or, le fondement de ces différences qui sont entre la bonne et la mauvaise tristesse, c'est que le Saint Esprit est Autheur de la bonne tristesse ; et parce qu'il est l'unique Consolateur (Jn 14,16 ; 16,7), ses opérations ne peuvent estre separees de consolation ; parce qu'il est la vraye Lumiere, elles ne peuvent estre separees de clairté ; bref, parce qu'il est le vray Bien, ses opérations ne peuvent estre separees du vray bien : si que les fruitz d'iceluy, dit saint Paul (Ga 5,22), sont charité, joye, paix, patience, benignité, longanimité. Au contraire, le malin esprit, autheur de la mauvaise tristesse (car je ne parle point de la tristesse naturelle, qui a plus besoin de medecins que de théologiens), c'est un vray desolateur, tenebreux et embarrasseur ; et ses fruitz ne peuvent estre que hayne, tristesse, inquiétude, chagrin, malice, défaillance. Or, toutes les marques de la mauvaise tristesse sont les mesmes pour la mauvaise timidité.

Quelques remedes

1. Il la faut recevoir avec patience (IVD part IV, ch 12), comme une juste, punition de nos vaynes joyes et allégresses ; car le malin, voyant que nous en ferons nostre prouffit, ne nous en pressera pas tant; bien qu'il ne faille pas avoir cette patience pour en estre delivré, mais pour le bon playsir de Dieu, et la prenant pour le bon playsir de Dieu, elle ne layssera pas de servir de remede.

2. Il faut contrevenir vivement aux inclinations de la tristesse et forcer ses suggestions ; et bien qu'il semble que tout ce qui se fait en ce tems-la se face tristement, il ne faut pas laisser de le faire, car l'ennemy, qui pretend de nous allentir aux bonnes oeuvres par la tristesse, voyant qu'il ne gaigne rien et qu'au contraire nos oeuvres sont meilleures estans faites avec résistance, il cesse de nous plus affliger.

3. Il n'est pas mauvais, quand il se peut, de chanter des cantiques spirituels ; car le malin a souvent cessé son opération par ce moyen, pour quelque cause que ce soit : tesmoin l'esprit qui agitoit Saül, duquel la violence estoit attrempee par la psalmodie (1 R16,23).

4. Il est bon de s'employer a I'oeuvre extérieure et la diversifier le plus que l'on peut, pour divertir la vehemente application de l'esprit de l'objet triste, purifier et eschauffer les espritz ; la tristesse estant une passion de [la] complexion froide et humide.

5. Il est bon de faire souvent des actions extérieures de ferveur, quoy que sans goust: comme d'embrasser le Crucifix, le serrer sur son coeur et sur sa poitrine, luy bayser les pieds et les mains, lever les yeux au Ciel.avec des propos d'espérance, comme : Mon Bienaymé est a moy, et moy a luy (Ct 2,16). Mon Bienaymé m'est un bouquet de mirrhe, il demeurera entre mes mammelles ( Ct 1,12). Mes yeux se fondent sur vous, o mon Dieu, disant : Quand me consoleres- vous ? ( Ps 118,82). Si Dieu est pour moy, qui sera contre moy (Rm 8,31) ? Jesus, soyes moy Jesus. Vive mon Dieu, et mon ame vivra. Qui me separera de la Croix de mon Dieu et semblables.

6. La discipline moderee y est quelquefois bonne, parce que la volontaire affliction extérieure impetre la consolation intérieure de l'ame, et s'appliquant au cors des douleurs extérieures, on sent moins l'effort des intérieures ; dont le Psalmiste disoit (Ps 34,13 ; 22,3) : Mais quant a moy, quand ilz me ' molestoyent, je me revestois de haire. Et ailleurs, peut estre tout a propos : Ta verge et ton baston m'ont consolé.

7. La priere y est souveraine, suivant l'advis de saint Jacques (5,13) : Quelqu'un est il triste, qu'il prie. Je ne veux pas dire qu'il faille faire en ce tems-la de plus longues meditations, mais je veux dire qu'il faut faire de fréquentes demandes et repetitions a Dieu. Il faut tous-jours s'addresser en ce tems-la a sa divine bonté par des invocations pleines de confiance, ce que l'on ne fait pas quand on est dans le tems de la joye et hors de la tristesse, ou l'on peut croire que l'on a plus de besoin d'exciter en son coeur les sentimens de crainte ; par exemple, ceux ci : 0 Seigneur tres juste et terrible, o que vostre souveraine Majesté me fait trembler ! et semblables. Mais dans le tems de tristesse, il faut employer des paroles de douceur; par exemple : 0 Dieu de miséricorde, tres bon et tres benin, vous estes mon coeur, ma joye, mon espérance, le cher Espoux de mon ame ; et semblables. Et les faut employer bon gré malgré la tristesse, a laquelle il ne faut point donner d'audience ni de credit, pour vous empescher de proferer et eslancer ces parolles de confiance et d'amour ; et bien qu'il semble que ce soit sans fruit, il ne faut pas laisser de continuer, et attendre le fruit qui ne laissera pas de paroistre apres un peu de contention.

8. La fréquentation de la Communion a cette intention est excellente, car elle nous donne le Maistre des consolations.

9. L'un des plus asseurés remedes est de desployer et ouvrir son coeur, sans y rien cacher, a quelque personne spirituelle et prudente, et luy declairer tous les ressentimens, affections et suggestions qui arrivent de nostre tristesse, et les raysons avec lesquelles nous les nourrissons ; et cela il le faut faire humblement et fidellement.

Et notes que la premiere condition que le malin met en l'ame qu'il veut affliger et seduire c'est le silence, comme font les séditieux dans les conspirations et fascheux evenemens ; car ilz demandent sur tout que leurs entreprinses et résolutions soyent secrettes. Dieu, au contraire, demande pour la premiere condition, la discrétion ; ne voulant pas a la verité que l'on descouvre indiscrettement ses graces et faveurs, mais bien que l'on les descouvre avec prudence et selon les regles d'une humble discrétion aux personnes de qualités requises.

Ces regles sont grossières, et seulement bonnes a combattre la tristesse et inquiétude desmesuree, Ceux qui ont plus de discernement aux choses spirituelles se pourront guider par d'autres voyes que Nostre Seigneur leur suggerera ; ce pendant, si celles cy peuvent servir, employes-les soigneusement, et pries pour celuy qui vous les a marquees.
 

POUR AVOIR LA PAIX INTÉRIEURE ET EXTÉRIEURE 1609-1610 (XXVI, 242)

Voules vous que rien ne traverse vostre vie ? Ne souhaites point de réputation ni de gloire du monde.

Ne vous attaches point trop aux consolations et amitiés humaines.

N'aymes point vostre vie, et mesprises tout ce qui sera sensible a vos inclinations naturelles. Supportes genereusement les douleurs du cors et les plus violentes maladies, avec acquiescement a la volonté de Dieu.

Ne vous soucies point des jugemens humains.

Taises vous de toutes choses, et vous aures la paix interieure ; car, pour vous et pour moy, il n'y a point d'autre secret pour acquerir cette paix que de souffrir a la rigueur les jugemens des hommes.

Ne vous inquietes point de ce que le monde dira de vous ; attendes le jugement de Dieu, et vostre patience jugera alhors ceux qui vous auront jugé. Ceux qui courent la bague ne pensent pas a la compaignie qui les regarde, mais a bien courre pour l'emporter. Considerés pour qui vous travailles, et ceux qui vous voudront donner de la peyne ne vous travailleront gueres.  

AMOUR PROPRE - TENTATIONS novembre 1619-1622 (XXVI,348)

Les satisfactions de l'amour-propre et l'exercice de l'amour de Dieu. - Craindre la tentation, c'est ouvrir la porte à l'ennemi ; la confiance en Dieu lui fait peur. - Mépriser les tentations et recourir à la prière. - Pourquoi le démon donne quelqu'apparence de vertu à ceux qui le servent. - " Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement. " - Le Sauveur est père par sa providence et mère par son amour. - Un effet de la dévotion qui est selon Dieu. - Exemple du bienheureux Amédée de Savoie et de sainte Paule. - L'amour de Dieu ne trouve jamais qu'on fait trop pour lui.

C'est es choses difficiles, malaysees et desaggreables que nous devons prattiquer la fidelité envers Dieu, laquelle sera d'autant plus excellente que nous aurons moins de choix a ce qui nous sert d'exercice. L'amour propre se contente aucunement entre les souffrances, quand elles sont de son eslection ; l'amour de Dieu s'exerce plus heureusement es sujetz que la Providence divine permet ou ordonne sans nous, mais sur nous et pour nous.

La divine Escriture dit : Celuy qui n'est point esprouvé que sçait il (Ecl 34,9) ? Bienheureux est l'homme qui endure l'essay de la tentation, car apres avoir esté esprouvé par l'Esprit, il recevra la couronne de gloire que Dieu a promise a ceux qui l'aiment (Jc 1,12). Si vostre coeur craint plus la tentation qu'il ne faut, il donne l'ouverture a son ennemy ; comme au contraire, si nous avons une confiance filiale en Dieu et que nous nous retournions de son costé prenant asseurance en sa bonté, l'ennemy craindra de nous tenter, voyant que sa tentation nous donne sujet de nous jetter entre les bras de Nostre Seigneur. Et pour l'ordinaire, la meilleure methode de resister a la tentation, c'est de ne point disputer avec elle, ni mesme s'amuser a regarder les sujetz ; ains il faut, aussi tost qu'on la sent, parler d'autre chose avec Nostre Seigneur ou avec sa sainte Mere, ou avec les Anges et les Saintz, ou avec son ame mesme. Bref, si la tentation est d'une rose, il faut parler d'une violette, et ne point s'estonner de la varieté des pensees, puisqu'il n'est pas requis de les combattre l'une apres [l'autre], ains seulement de les maistriser et desdaigner toutes par un simple retour du coeur a Dieu, a la Majesté duquel on recourt par prieres ; par exemple, de luy dire, en se retournant vers luy : je suis vostre (Ps 118,94), mon Dieu; hé, que vous estes aymable ! Jesus est bon ; VIVE JESUS ! et semblables paroles. En somme, c'est un bon moyen de vaincre que de ne point regarder l'ennemy, mais tous-jours se retourner devers le bienaymé Amy celeste ; et quoy que nostre ennemy crie et tempeste, il suffit pour le rejetter de ne point respondre, ne point s'amuser a luy et ne point faire semblant de luy. Tandis que l'on dit : Non, on n'est jamais vaincu. N'estimer rien de soy mesme, sinon seulement parce que nous appartenons a Dieu et sommes a luy, et s'aneantir soy mesme. Helas ! tandis que les ames servent au peché, l'ennemy leur donne quelque apparence de vertu pour quelque particulier sujet, affin de nourrir en elles quelque sorte de presomption et une vayne complaysance en elles mesmes, sans laquelle on ne pourroit gueres demeurer en peché ; car, comme l'on ne peut gueres ressentir de perfection sans humilité, aussi ne peut on long tems demeurer en peché sans la vanité, c'est a dire sans presomption... , nous confions en ce grand Salutaire, esperans qu'en sa sayson elle le rendra multiplié. Confions nos bons desirs a Dieu et ne soyons point en anxieté s'ilz fructifieront, car Celuy qui nous a donné la fleur du desir nous donnera aussi le fruit de l'accomplissement pour sa gloire, si nous avons une fidelle et amoureuse confiance en luy.

Soyes toute a Dieu, ma tres chere Fille, penses en luy et il pensera en vous. Il vous a tiree a soy affin que vous fussies sienne, et il aura soin de vous. Ne craignes rien, car si les petitz poussins se tiennent asseurés quand ilz sont sous les aisles de leur mere, combien doivent estre asseiirés les enfans de Dieu sous sa paternelle protection ! Derneures donq en paix, ma Fille, puisque vous estes de ces enfans ; et reposes vostre coeur et toutes les lassitudes et langueurs qui vous arriveront, sur la sacree et tres aymable poitrine de ce Sauveur, qui sert a ses enfans de pere par sa providence et de rnere par son doux et tendre et cordial amour. .

La devotion nous aydera beaucoup et nous servira grandement a la vraye perfection. Tout ainsy comme nous aydons aux malades, quand nous les allons visiter, a supporter leur mal en le regrettant et lamentant, de mesme aussi la devotion nous ayde, quand elle est simple et selon Dieu, a supporter plus patiemment les afflictions et tribulations quand elles nous arrivent.

Nous.lisons en la Vie du bienheureux Amedee, que ceux qui le voyoyent en devotion [disaient qu'il] falloit qu n'eussent point de coeur ou bien [qu'] ilz l'avoyent de roche s'ilz ne l'amollissoyent, a l'heure particulièrement que l'on le voyoit a la Messe ou aux Offices divins, " ou jamais il ne parloit a personne [qu'] a Dieu. La douceur de ses yeux, et ses larmes coulant si doucement sur sa face angelique, les ardens souspirs qui entrecoupoyent ses innocentes prieres, sa modestie en toute sa personne donnoyent de la devotion a tous ceux qui avoyent l'honneur de le voir en ce saint exercice. " Le monde disoit qu' " il pleuroit trop. Ouy certes, mais je vous diray de luy ce que disoit saint Hierosme de sainte Paule : elle pleuroit trop pour une grande dame," il est " vray, mais les pechés de sainte Paule eussent esté de bien grandes vertus " a d'aucune. " Ainsy le bienheureux Amedee pleuroit trop, donnoit trop aux pauvres, s'humilioit trop, aymoit la solitude trop : soit ainsy, puisque vous le voulés ; mais trois fois et trois fois heureux trop ! et 0 sacrés excès.! ces pechés mortelz eussent esté de grandes vertus aux autres princes.

L' " homme qui ayme Dieu et qui a le coeur vivement frappé " de l'amour de Dieu " ne treuve rien de trop, hormis " le peché, et " Iuy semble de faire tous-jours trop peu pour Dieu qui a fait tant d'exces d'amour et de souffrance pour nous ; " mais nous autres, pour peu que nous fassions, nous pensons encor " avoir fait trop et que Dieu " nous en " doit de reste. " Miserables que nous sommes ! Oh, a Dieu ne playse que cette presomption si vayne nous entre dans la cervelle. Il faut tous-jours bien faire de mieux en mieux, car quand [nous] vivrions les siecles entiers en souffrance et peyne, nous ne pourrions trop faire pour un si bon Dieu qui nous a fait tant de graces et tant de biens. Servons le donq de bon coeur, avec amour ; courons a luy, affin qu'il nous donne sa gloire et la consolation de son Saint Esprit (Ac 9,31), laquelle soit a jamais au milieu de nos coeurs. Amen.

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, no 113  

IDEM 1609-1612 (XXVI, 352)

En quoi consiste la simplicité. - Qui ne cherche que Dieu le trouve toujours. - Il faut le chercher par le chemin qu'il nous a marqué. - Ce n'est pas " nostre mal qui nous fait mal ", c'est l'amour-propre. - L'homme simple ne se trouble point. - Exercice d'union à la volonté de Dieu pour le matin, et " acte de reunion " à multiplier dans la journée. - Ne faire aucun acte de piété par manière d'acquit. - Mieux vaut n'entendre qu'une Messe, mais avec attention, que plusieurs avec irrévérence. - Conseil de saint François de Sales aux personnes très occupées. - L'égalité d'esprit est l'un des plus beaux ornements de la vie chrétienne. - Tâcher de l'acquérir en demandant le secours du Saint-Esprit et en se tenant en garde contre la langue.

Nostre Seigneur desire de vous, ma tres chere Fille, une grande simplicité spirituelle et une grande prudence : la simplicité de la colombe et la prudence du serpent (Mt 10,16). Or, la simplicité de la colombe consiste a ne vouloir qu'une seule chose, comme fit cette corneille changee en blanche colombe, je veux dire Magdeleine convertie, qui pour tout ne cherche que son Maistre. Tout ce qui n'est pas Dieu ne luy est rien ; son coeur n'est point sujet au change, car elle rencontre les Anges, elle les quitte sans s'arrester avec eux, pour chercher son Bienaymé crucifié (Jn 20,12). Helas, mais helas ! que faites vous, ma chere Magdeleine ? vous laisses des Anges glorieux pour chercher un mort crucifié, En somme, elle ne cherche que son Maistre.

Ma tres chere Fille, le premier point de la simplicité de l'ame amante gist a ne chercher, a ne vouloir que Dieu. 0 si nous ne cherchions que cela, que nous serions heureux, car nous le trouverions tous-jours en le cherchant et le chercherions en le treuvant ; nous croiserions d'heure en heure au desir de le treuver, et le trouverions en la perseverance de le desirer. Mais, ce me dires vous, que desiray je sinon luy ? - Escoutes, ma Fille, et consideres le premier point de la simplicité celeste, qui consiste a ne chercher Dieu que par le chemin qu'il nous a marqué ; car qui ne veut pas aller par ou Dieu le conduit ne le treuvera jamais, d'autant qu'il ne le cherche pas simplement. - Et quel est le chemin qu'il vous a marqué, ma tres chere Fille ? Celuy auquel vous estes ; et croyes moy, Dieu conduisit les enfans d'Israel par la voye du desert pierreux, espineux et raboteux. 0 qu'heureux furent ceux qui ne murmurerent point, car jamais rien ne leur manqua ! 0 que malheureux furent ceux qui murmurerent, car ilz furent piqués du serpent (Nb 21,5) et eurent, mille angoisses.

Ne gromellons point dans nos coeurs, disant que nostre condition est insupportable. 0 combien de gens changeroyent volontier la leur a la nostre ! Ce n'est pas tant nostre mal qui nous fait mal, comme c'est nostre amour propre qui s'aigrit et inquiete a tout ce qu'il a a contre coeur. Le saint homme Job est moins inquiet entre les incomparables travaux sur son fumier (Jb 2,7), que le roy Achab sur son lit au milieu de son palais (3 R21,4), et que les mauvais Israelites entre les delices de la manne (Nb 11,4). L'hiver nous nous plaignons du froid et l'esté du chaud ; les mouches nous mettent en peyne sur le chemin ; en fin il n'y a que l'homme simple qui ne se trouble point, car il ne cherche que Dieu par le chemin auquel il est. Nous avons passé plusieurs jours d'extreme ennuy du tems que nous n'estions pas tant a Dieu que nous devions estre, mays nous y remédierons, moyennant son ayde, et commencerons ainsy : Premierement, le matin, prosternee devant. sa face et l'adorant profondément, vous jetteres vostre pensee a luy et considereres l'éternelle volonté qu'il a d'estre aymé de vous et d'estre uni par charité a vostre coeur, lequel donq vous eslanceres en cette souveraine Bonté et entre les bras aymables de cette sainte volonté. Vous unires la vostre avec icelle de toutes vos forces, par telles ou semblables protestations intérieures : Ouy, mon Dieu, mon ame se sousmet a vostre volonté et veut a jamais demeurer inseparablement unie et sujette a vostre intention. 0 Seigneur, que je sois donq sauvee, puisque telle est vostre volonté. Que je face a jamais vostre volonté et non la mienne (Lc 22,42). Vous estes le Dieu de mon coeur (Ps 72,26): qu'a jamais mon coeur soit dedié a l'obéissance du vostre, mon Dieu !

Secondement. Cet acte d'union a la volonté de Dieu estant fait au commencement de la journee, il faut souvent faire l'acte de reunion. Je dis de tems en tems, ou plustost de moment en moment, par des fréquentes eslevations de coeur en Dieu et par maniere de repetitions et confirmations de l'union des-ja faitte, comme disant interieurement - Ouy, Seigneur, je demeureray a jamais jointe et unie a vostre sainte volonté. 0 Seigneur, de grace, que ma volonté soit éternellement et inseparablement vostre. Mesme on peut repeter cet acte de reunion sans rien dire, faysant le signe de la Croix sur le coeur, ou levant les yeux au ciel, ou bien prononçant le sacré nom de JESUS. Et semble bon encores de faire cet acte de reunion au commencement de toutes les prieres qui se prattiquent parmy la journee, comme oyant la sainte Messe, au Benedicite et Graces de table, aux Ave de midi et du soir, apres l'examen, et particulièrement avant la confession, parce qu'il faut prendre soigneusement garde de ne faire aucun acte de pieté par maniere d'acquit, ains avec une serieuse et veritable affection.

Et en suite de cela, il est a noter que nous ne sommes pas obligés sous peyne de peché mortel ni mesme veniel d'ouyr la Messe, si ce n'est les jours de festes et Dimanche, non plus que d'ouyr les prieres extraordinaires du soir ; nous ne sommes point obligés d'ouyr Vespres ni de dire le Benedicite entrant a table, ni Graces en sortant, sous peyne de peché , et pourtant, quand nous faysons ces actes de religion et de devotion, nous sommes obligés de les faire sérieusement et avec reverence. Il vaudroit mieux n'ouyr qu'une Messe et l'ouyr reveremment, que d'en ouyr plusieurs ayant l'esprit distrait, sans attention ni reverence, n'estant pas loysible d'omettre le respect es exercices de religion, pour petitz qu'ilz soyent. C'est pourquoy, ceux qui sont sujetz a beaucoup d'occupations, je leur conseille de faire leurs exercices spirituels courtement, affin qu'ilz les puissent faire plus attentivement, s'y adonnant avec l'esgalité de l'esprit, qui est un des plus illustres ornemens de la vie chrestienne et un des plus aymables moyens pour acquerir et conserver la grace de Dieu, et mesme de bien edifier le prochain ; n'y ayant rien aussi qui detraque tant le bon estat du coeur, ni qui rende plus malaysee la conversation humaine que la bigearrerie de l'ame.

C'est une des plus blasmables conditions des créatures que d'estre immortifiees, c'est a dire d'estre sujettes a estre de différente humeur : tantost chagrine, melancholique, tantost colere, tantost rieux, tantost serieux, tantost censeur ; comme au contraire, c'est une inestimable perfection que d'avoir une humeur douce, esgale et qui face bon rencontre a quelqu'heure et a quelque tems que ce soit. Bien qu'il soit vray qu'il est presque impossible de conserver tous-jours si exactement cet advis parmy l'embarras de cette vie mortelle ; mais du moins il faut tascher d'acquérir ce bien nompareil de l'esgalité, et quand on s'apperçoit d'estre hors du train de la tranquillité, il faut avant toutes choses se mettre en devoir de corriger l'humeur et action contraire, s'humiliant devant le Saint Esprit et demandant son secours, ernpeschant du moinsque, pendant le trouble, la passion ne s'evapore par la langue, ni par les assautz extérieurs.

L'esprit de paix et de tranquillité, suavité et d'esgalité, c'est l'esprit de Dieu et d'édification que je vous souhaite de tout mon coeur, et qu'il demeure a jamais avec vous. Ainsy soit il.

Revu sur un ancien Manuscrit conservé à la Bibliothèque publique de Bourges, A, n° Il 3. 

MADAME DE LA FOREST, soeur de Mme de la Fléchère, ABBAYE DE BONS, octobre 1608-1610 (XXVI,486)

Une excommunication qui, peut-être, reste sans effet. - Quand nous commettons des fautes, les réparer par l'humilité, et nous abîmer dans la confiance en Dieu et la défiance de nous-mêmes. - Soumission amoureuse à l'Abbesse du monastère ; ne pas la regarder " comme mauvaise, mais comme malade ". - Nos Supérieurs sont les officiers de Dieu. - Vaincre ses répugnances en témoignant à l'Abbesse une vraie charité.

Madame,

Je suis marry que je ne puis vous escrire plus souvent et qu'encor, quand je le fay, mes lettres tardent tant en chemin. La derniere que j'ay receu de vostre part me fait voir vostr'esprit en estonnement pour l'excommunication jettee contre vous de la part de M. vostre Superieur ; sur quoy j'ay a vous dire deux choses. L'une, que vostre droitt'intention et la bonté de vostre cause rend la faute, sil y en a, bien fort legere; l'excommunication aussi n'a peut estre pas esté effectuelle. L'autre, que quand en vraye verité vous auries fait la plus grande faute du monde, il faudroit s'en resoudre et accoyser par une grande humilité et sousmission a la miséricorde de Dieu, sans se descourager nullement, ni entrer en aucune sorte de regret. Car enfin, ma chere Fille, ce n'est pas grand merveille que nous facions des fautes ou bien que nous n'en facions pas. Mon Dieu, il me semble que c'est alhors que nous devons nous abismer tant plus en une entiere et [très] soüefve... (?)... confiance en sa divine bonté, et en [une] douce et paysible desfiance de nous mesme. C'est pourquoy je vous prie de ne plus permettre a ces tristes suggestions de l'ennemi qu'elles troublent vostre coeur, lequel ayant imploré la miséricorde de Dieu, ne doit pas moins estre asseuré et consolé qu'auparavant.

Quant a la difficulté que vous aves de vous humilier et sousmettre a vostre Abbesse ( cf XIV,204,206), je vous conseille de la vaincre en toutes les façons quil vous sera possible. Ouy, tandis qu'elle tient cette place-la, ou dignement ou indignement que ce soit, il faut luy rendre le devoir non seulement exactement, mais encor amoureusement. Et en cela il se faut surmonter et domter vostre coeur, lequel sans doute est incliné a l'indignation, et faut l'incliner a la compassion ; et tant plus vostre Abbesse aura de misere, tant plus faut il luy avoir de commisération. Ce n'est rien, ma chere Fille, d'obeir a des Superieurs aggreables; le fait de la vraye obéissance c'est d'obeir aux desaggreables et, comme dit l'Apostre (1 P 2,18), aux discoles. Dieu aura infiniment aggreable cette violence que vous vous feres pour faire le tout amoureusement, car c'est l'importance. Il vous faut regarder cette Abbesse non point comme mauvaise, mais comme malade, et comme saint François, sainte Catherine de Sienne et plusieurs autres Saintz baysans et servant les ladres, ne les ont pas baysé comme ladres, mais comme membres de Nostre Seigneur, en les considérant en luy et luy en eux, aussi ne devons nous pas considérer nos Superieurs comme pecheurs, mais comm'officiers de Dieu, re- gardant Dieu en eux et eux en Dieu, car encor que leur personne ne fut pas en Dieu, leur office néanmoins y est. Ma chere Fille, vous voyla en une occasion laquelle vous doit estre plus pretieuse que l'or, car en icelle vous pouves exercer les grandes résignations, les fortz renoncemens et les vives douceurs si souvent promises et desirees pour l'amour de Dieu.

Mais sur ce que vous me demandes de la hantise et familiarité que vous deves rendre a vostre Abbesse, je respons qu'attendu le peu de proffit que vous y pouves faire, ainsy que vous me dites, il suffira que vous luy rendies franche ment, humblement, promptement et amoureusement les devoirs communs. Mais néanmoins, par ce que vous n'aves pas tant de difficulté a cette conversation la pour l'inutilité qui y est que pour la répugnance intérieure, je vous conseille de vous violenter le plus que vous pourres a la voir quelquefois sans nécessité et luy tesmoigner une vraye charité, d'autant qu'encor que tout cela luy fut inutile, il ne le sera pas a vous qui domteres vostre courage et mangeres le pain cuit sous la cendre (3 R 17,13 ; 19,6) et bayseres la croix.

Madame vostre Seur, ma chere fille, rn'escrivit hier que Monsieur de Cisteaux (XIV,81) vous avoit envoyé quelque sorte de consolation sur ce sujet, en quoy j'ay eu ma part.

J'ay receu le poulet d'Inde, lequel vous ne devies nullement m'envoyer.

Nostre Seigneur soit tous-jours au milieu de vostre esprit, et je suis en luy, Madame, Vostre tres affectionné et tres [asseuré serviteur.

F. E. de Geneve.

Revu sur une copie de l'Autographe conservé chez les Révérendes Mères Ursulines de Québec (Canada).

 

Date de dernière mise à jour : 2021-07-04