Passioniste de Polynésie

Communion

Saint François de Sales 

Petit Traité sur la sainte Communion

rédigé pour Mme Rose Bourgeois, Abbesse du Püits-D'Orbe, vers décembre 1604

(OEA, XXVI, 211; voir XII,393)

Tous les docteurs spirituelz sont d'accord que deux choses sont principalement nécessaires avant la Communion, a sçavoir, le bon estat de l'ame et le bon desir. Mais parce que le bon desir est une piece du bon estat, on peut dire qu'une seule chose est requise, a sçavoir, le bon estat de l'arne. Voyons donques en quelle disposition nous devons mettre nostre ame, pour, autant qu'il nous sera possible, dignement cornmunier. Et pour le sujet duquel nous parlons, considérons les facultés principales de l'ame.

Quant a l'entendement, il le faut espurer d'une chose et le parer d'une autre. Il le faut premièrement purger de toute curiosité, en sorte qu'il ne s'enquiers point comme il se peut faire que le propre cors de Nostre Seigneur, avec son sang, son ame et sa Divinité, soit tout entièrement en la sainte hostie et en chaque partie d'icelle ; ni comme il se peut faire qu'estant au Ciel, il soit en terre ; ni comme il peut estre vray que n'estant qu'un seul cors, il soit neanmoins en tant de lieux et sur tant d'autelz et en tant de bouches. Non, il faut tenir nostre entendement clos et couvert a telles vaynes et sottes questions et curiosités, car nous n'avons que faire de sçavoir comme ce divin Sacrement se fait : il suffit que nous sçachions qu'il se fait. C'est a Dieu d'avoir le soin de le faire, nous n'avons pas besoin de nous en empescher ; c'est a nous seulement d'avoir le soin de le bien croire et de nous en prevaloir.

Ce poinct est commun a tous les misteres de la sainte foy et a plusieurs autres choses, comme a la création du monde, duquel nous ne sçaurions dire comme Dieu fit quand il le crea, ni comme il fit quand il crea nostre ame et la mit dans nostre cors. Qu'est-il donques besoin de sçavoir comme il met son tressaint cors, son sang et son ame en ce Sacrement ? C'est a luy de le faire, c'est a nous de le croire. En figure dequoy la céleste manne tomboit jadis au désert, non de jour, mays de nuit, si que nul ne sçavoit comme elle se faisoit, ni comme elle descendait ; mais le matin estant venu, on la voyoit toute faite et descendue(1) : ainsy cette surceleste et divine manne de l'Eucharistie se fait en une façon et maniere qui nous est secrette et cachée ; nul ne peut dire comme elle se fait et vient a nous, mais par la lumiere de la foy nous la voyons toute faitte.

Que si contre cette pureté d'entendement le malin esprit nous donne des tentations, il s'y faut opposer, s'humiliant devant la toute puissance de Dieu, disant, ou de coeur, ou de bouche : 0 sainte et immense toute puissance de mon Dieu, mon entendement vous adore, trop honnoré de vous reconnoistre, et de.vous faire l'hommage de son obéissance et sousmission. 0 que vous.estes incomprehensible, et que je suis joyeuse dequoy vous l'estes ! Non, je ne voudrois pas vous pouvoir comprendre, car vous seriés trop petit si une si petite et chetifve capacité vous comprenait. Puis, se retournant a son propre entendement : Et quoy, petit mouscheron, nourri parmi la pourritures de ma chair, voules vous brusler vos aisles a cest immense feu de la puissance divine, laquelle consumerait et devoreroit les Seraphins, s'ilz se vouloyent fourrer en telles curiosités ? Non, petit papillon, il vous appartient seulement d'adorer cet abisme, et non pas de le sonder. Et quelquefois on peut repartir au tentateur : 0 malheureux, ton outrecuydance de vouloir voler trop haut t'a précipité en l'enfer ; je m'empescheray bien de faire un tel sault, moyennant la, grace de mon Dieu. Tu trompas ainsy la pauvre Eve, luy voulant apprendre a sçavoir autant que Dieu ; mais tu ne m'attrapperas pas : je veux croire, et ne rien sçavoir. Il est aussi bon quelquefois de mespriser ces pointilles et tentations, et n'en tenir conte quelcomque, laisser japper et clabauder ce matin et passer outre en son chemin ; car encor qu'il est enragé, si est ce qu'il ne mord que ceux qui le veulent , et partant, tenant la volonté constante en la foy, qu'il aboye tant qu'il voudra, nous ne craignons rien.

Consideration dont il faut parer l'entendement

Voyla dequoy il faut purger l'entendement. Mais cela ne suffit pas ; car il le faut encor parer et orner d'une autre chose : il le faut tapisser de considérations. Et qu'est ce qu'il faut considérer ? Il ne faut pas considérer comme ce Sacrement se peut faire, car ce seroit nous perdre; mais il faut bien considérer ce que c'est que ce Sacrement. En figure dequoy les Israelites ne demanderont pas comme la manne se faysoit, mais la voyant toute faitte, ilz demandoyent ce que c'estoit. Qu'est cecy, disoyent-ilz,(2) qu'est cecy ? Considerons donq ce que c'est que ce divin Sacrement, et nous trouverons que c'est le vray cors de Nostre Seigneur, son sang, son ame, sa Divinité. C'est le mistere de la plus intime union que nostre Redempteur pouvoit faire avec nous. C'est la plus entiere communication qu'il pouvoit faire de luy mesme, par laquelle il se joint a nous d'une façon merveilleuse et toute pleine d'amour. En fin ce Sacrement, c'est Jesus Christ luy mesme qui, d'une façon nompareille, vient a nous et nous tire a soy.

Comment il faut purger la memoyre

Quant a la memoyre, il la faut aussi purger d'une chose et la parer d'une autre. Il la faut purger de la souvenance des choses caduques et affaires mondaines en figure dequoy, la manne ne tomboit qu'au.desert et solitude(3), hors du commerce du monde, et non point es villes et bourgades, et ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal retroussoyent leurs robbes, (4)affin que rien ne traisnast et flottast sur la terre. Il faut donques pour un tems oublier les choses materielles et temporelles, quoy que bonnes et utiles, pour se preparer a la sainte Communion, et faire comme le bon Abraham, qui, voulant aller sacrifier son filz, laissa l'asne et les serviteurs au pied de la montagne jusques a ce qu'il eust fait(5) ; car tout de mesme faut il retirer sa memoyre du souvenir des affaires domestiques et temporelles, jusques apres la Communion, toutes choses ayant leur tems.(6)

Il faut, apres cest oubli volontaire, parer la memoire d'une sainte souvenance de tous les bienfaits dont Dieu nous a gratifiés : la creation, conservation, rédemption et plusieurs autres, mais sur tout de sa sainte Passion, en memoyre de laquelle il a voulu nous laisser le propre cors qui souffrit pour nous, en ce divin Sacrement, n'ayant peu nous en laisser une plus vive et expresse représentation. Quand on vous demandera (dit la sainte Parolle traittant de l'observation de l'aigneau paschal (7)) ce que c'est que vous faittes, dites a la postérité que c'est en memoyre de ce que Dieu vous delivra de l'Egipte, vous passant par le milieu de la Mer Rouge. Ainsy, en ce divin Sacrement, nous devons nous reduire en memoire la journee en laquelle Dieu, par son amere Passion, nous delivra de la damnation.

Comment il taut purger la volonté et de quoy il la taut parer

Quant a la volonté, il la faut aussi purger d'une chose et la parer d'une autre. Il la faut purger des affections desreglees et desordonnees, mesme des choses bonnes ; c'est pourquoy ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal devoyent avoir des souliers en leurs piedz (8), affin qu'ilz ne touchassent point la terre des piedz ; car " les piedz de l'ame sont ses affections ", qui la portent par tout ou elle va, dit saint Augustin, et ses affections ne doivent pas toucher la terre ni estre a l'abandon, mais doivent estre resserrees et couvertes en mangeant le vray Aigneau paschal, qui est le tressaint Sacrement. Ainsy Nostre Seigneur lava les piedz a ses Apostres avant l'institution d'iceluy (9), pour monstrer que les affections des communians doivent estre fort pures ; et la manne devoit estre cueillie a la fraischeur, avant le lever du soleil, parce que les chaleurs naturelles, les amours et affections desmesurees des enfans, des parens, amis, biens, commodités empeschent qu'on ne puisse cueillir cette celeste viande. Il y faut venir avec une ame et une volonté fraische, non eschauffee, ni affectionnes a aucune autre chose qu'a la cueillette de cette manne.

Mais il faut parer la volonté d'une affection et desir extreme de cette viande celeste, de cette manne secrette; c'est pourquoy il estoit commandé a ceux qui mangeoyent l'aigneau paschal, de le manger avidement et vistement (10), et à ceux qui cueilloyent la manne, de se lever fort matin (11) ; et Nostre Seigneur mesme, avant que d'instituer ce saint Sacrement, l'avoit extrêmement souhaité : J'ay desiré, disoit il, d'un grand desir de manger cette Pasque, avec vous. (12)

L'ame. estant ainsy disposee en ses trois principales facultés, fait un fruit admirable en la sainte Communion. Mais parce que cette préparation est deduitte en termes generaux, je mettray icy les advertissemens particuliers a la prattique d'icelle.

Advis particuliers pour reduire en prattique la preparation a la sainte Communion

1- Si vous n'estes point agitee des tentations de curiosité, vous n'aves que faire de penser a ce que j'en ay dit ; car, en y pensant, vous luy pourries ouvrir la porte pour la faire entrer chez vous ; mais vous devés seulement remercier Dieu de ce qu'il vous donne la simplicité de la foy, qui est un don tres pretieux et desirable, et prier sa divine Majesté de vous le continuer.

2. Que si vous estes agitee de cet esprit de curiosité, faittes ce que j'ay dit, mais faittes le briefvement, par forme de simple rejet et detestation, sans vous amuser a disputer et contester avec l'ennemy, lequel doit estre combattu par abomination, non par rayson, selon l'exemple de Nostre Seigneur, qui ne le fit fuir qu'en luy disant : Arriere, Satan, tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu.(13)

3. Combien que la tentation ne cesserait point, ne laissés pas de communier ; car si vous laissies pour cela, vous donneries gain de bataille a vostre adversaire. Alles donques vigoureusement et, sans avoir esgard aux tentations, receves le Pain de vie (14); et ainsy faisant, vous demeureres victorieuse de vostre ennemy. Qui la quitte la perd.

4. Pour vaincre la curiosité en ce poinct, vainques la en toutes choses, pour petites qu'elles soyent, ne cherchant autre science que celle des Saintz, qui est Jesus Christ crucifié (15) et ce qui vous conduit a luy.

5. Touchant la considération, il sera bon que le jour avant la Communion, aux heures de vostre orayson mentale ou recueillement (16), vous dressies quelque peu vostre esprit a Nostre Seigneur en ce saint Sacrement, et mesme en l'examen de conscience a la fin, et ce par quelque briefve pensee de l'amour du Sauveur en l'endroit de vous ; et mesme vous pourrés user de quelques eslancemens de priere vocale, lesquelz vous repeteres souvent, sur tout despuis Vespres, comme seroit celuy de saint François : " Qui suis je, Seigneur, et qui estes-vous ? " ou celuy de sainte Elizabeth : D'ou me vient ce bonheur que mon Seigneur vient a moy (17)? ou celuy de saint Jean l'Evangeliste (18) : Ouy, venés Seigneur Jesus ! ou celuy de l'Espouse sacree : Que mon Espoux me bayse d'un bayser de sa bouche.(19)

6. Que si vous voulies par fois faire vostre meditation sur la Communion le jour precedent, vous pourres aysement y accommoder les misteres de la vie de Nostre Seigneur qui se rencontreroyent en la suitte de vostre crayson mentale, les appliquant comme a exercer en vostre endroit a l'heure de vostre Communion: : car, qui vous empeschera de vous représenter que Nostre Seigneur vous y presente les benefices qu'il a faitz, ou vous donne intérieurement les enseignemens qu'il a donnés ? Et ainsy des autres ; et il y a peu de misteres qui ne soyent propres a cela.

7. Pour la memoire, il est bon de donner ordre le plus qu'il se pourra, que sur tout despuis souper vous ne soyes occupee ni d'esprit ni de cors a aucune affaire esloignee du dessein de la Communion, mais que vous fassies une particuliers retraitte de vostre esprit et de tous vos sens en vostre intérieur, pour attendre l'Espoux avec les lampes en main, et que l'huile n'y'manque pas (20) ; et pour cest effect, que la recreation de l'apres souper soit un peu plus devote et de propos de charité, et le souper plus sobre, sans tristesse néanmoins, ni trop d'austérité.

8. J'appreuverois que pour ayder la compaignie a se resouvenir des bienfaits de Dieu au jour de la Communion, chaque Religieuse sceut le jour de sa réception et des autres graces plus signalees receues de Dieu ; et qu'autant que l'humilité et la simplicité chrestienne le peut permettre, le soir avant la Communion, elle en resouvint les Seurs en l'heure de la recreation, et sur la fin les priast d'en remercier Dieu avec elle. Cela s'entend du jour anniversaire cela ne se rencontrerait pas tousjours, mais quelquefois.

9. Quant a la purgation de la volonté, il la faut tenir nette en tout tems de toutes affections desreglees, mais sur tout allant a la Communion, et regarder a quoy et a qui nos affections tiennent en ce monde, et si c'est point trop tendrement, trop ardemment ; et si nous y voyons du trop, il faut peu a peu le retrancher pour pouvoir dire a Nostre Seigneur avec David (21) : Qu'est ce qu'il y a au Ciel pour moy, ou que veux je en la terre sinon vous ? Vous estes le Dieu de mon coeur et mon Partage eternel. Car a cette intention Nostre Seigneur vient a nous, affin que nous soyons tous en luy et a luy ; ce que nous ne sommes pas si nous nourrissons des affections desordonnees, voire es choses de soy bonnes et légitimes.

Et quant au desir du saint Sacrement, il le faut exciter par l'amour de l'Espoux et par la considération de l'honneur et du bien que nous recevons de sa venue : a quoy serviront les eslancemens spirituels desquelz j'ay parlé ci dessus, et les considérations que je mettray ci dessous, avec les imaginations que j'y depeindray.

10. Si la nuict on s'esveille, il faut remplir sa bouche de quelque bonn'aspiration, comme du nom de Jesus et Marie, qui sont propres a parfumer la bouche en laquelle Nostre Seigneur veut entrer; ou bien les parolles de l'Espouse (22): Je dors, et mon coeur bienaymé veille, et semblables.

11. Le mattin il se faut lever avec joÿe extraordinaire pour le bien qu'on doit recevoir ce jour-la; et ainsy se préparer a la Communion.

12. Il faut, s'approchant de la Communion, y aller les yeux baysés (sic) et en posture tres humble. Je n'approuve pas que sur le point on die aucun'orayson vocale, sinon le : Seigneur, je ne suis pas digne (23)et le Confiteor. Je n'appreuve pas nomplus le souspir en cet instant, car il peut faire du scandale remuant les hosties qui sont dans la petene ou vase de Communion. Je n'appreuve pas aussi que l'on estende la langue hors des levres, ni que l'on ouvre si peu la bouche quil soit malaisé d'y mettre la sainte hostie, ni que l'on s'avance en quelle façon que ce soit pour la prendre, puisque celuy qui la presente ne se rencontrant pas avec la bouche de celuy qui s'avance, il se pourroit faire de l'irreverence. Il faut donques ouvrir la bouche et dresser la teste, et attendre que le prestre mette la sainte hostie dans la bouche, sans faire autre mouvement jusques a ce qu'elle soit logee. J'appreuve de tenir les mains sous la nappe et non dessus. La retraitte doit estre de mesme façon.

13. Le jour qu'on a communié il faut autant qu'il se peut caresser le saint Hoste qu'on a receu chez soy, et partant se divertir des autres occupations ; car c'est en ce tems-la quil a accoustumé de parler plus souaifvement a nostre coeur et luy departir plus favorablement ses graces par la presence reelle de son Humanité. C'est pourquoy il faut l'entretenir de nos nécessités, impuissances et imperfections ; il faut en ce tems-la traitter avec luy de nos desseins, intentions et prétentions que nous avons a son amour, de l'espérance que nous avons en luy, et bref, nous donner a luy comm'il s'est donné a nous. Or, tout cela se doit faire par eslancemens de coeur et de voix, par regars intérieurs de Celuy que nous possédons et par l'orayson mentale, selon que nous aurons commodité d'en faire un peu apres la Communion.

14. Je m'en vay maintenant proposer plusieurs points desquelz vous pourres vous servir tant pour aller a la Communion que pour rendre graces a Dieu apres icelle.

Avant que d'y aller on peut exciter le desir par la comparaison du cerf lancé et malmené, comme fait David au Psalme 41, qui est bon a lire puisque vous les aves en françois, et par l'exemple de Magdeleyne qui par tout le cherche avec ardeur : chez Simon le Lepreux, au sepulchre (24), au jardin, qui pleure en le cherchant, et qui dit a luy mesme qu'il luy enseigne le lieu ou il s'est mis : Si tu l'as enlevé, dit elle, dis le moy et je l'iray reprendre (25). Tantost comme l'enfant prodigue, nous excitans a nous aller jetter entre les bras de nostre Pere et luy demander de rentrer en son service.(26) Tantost comme la Cananee, (27) nous excitans a courir apres luy et demander la guerison de nostr'ame. Tantost comme Rebecca, laquelle estant interrogee si ell'iroit treuver Isaac pour estre son espouse, elle respondit tout court : J'y iray. Nous aussi devons considerer qu'en ce coeleste banquet nous unissons nostr'ame par une liayson indissoluble avec Nostre Seigneur ; c'est pourquoy nous avons rayson de dire : Vadam, J'y iray.(28) Et ainsy nous exciterons en nous le desir, l'amour et la confiance, avec une grande reverence.

Apres la Communion (29), nous devons semondre nostre ame a plusieurs affections, comme par exemple : a la crainte de contrister et perdre ce saint Hoste, comme faysoit David, disant (30): Seigneur, ne vous departes point de moy ou comme les deux pelerins d'Emaüs qui luy disoyent : Demeures avec nous, car il se lait tard (31). A la confiance et force d'esprit, avec David . Je ne craindras nul mal, par ce, Seigneur, que vous estes avec moy.(32) A la joÿe d'esprit, a l'exemple de la bonne Lia, laquelle voyant qu'ell'avoit conceu un enfant en son ventre, s'escrioit tout par tout de joye : Ce sera maintenant que ton mari m'aymera (33); car ainsy, ayans en nous-mesme le Filz de Dieu, nous pouvons bien dire : C'est maintenant que Dieu le Pere m'ayme. Ou bien comme Sara, laquelle ayant Isaac disoit : Maintenant Dieu m'a lait une joye, et quicomque l'entendra s'en resjouira avec moy (34). Et il est vray aussy que les Anges font feste autour de ce saint Sacrement et de ceux qui l'ont receu, comme dit saint Chrisostome. A l'amour, comme l'Espouse, laquelle en cette considération disoit : Mon Bienaymé est a moy et moy je suis a luy ; il demeurera entre mes mamelles (35), c'est a dire, sur mon coeur. J'ay treuvé celle que mon ame cherit, je le conserveray soigneusement.

A l'action de graces, par les paroles que Dieu mesme dit a Abraham quand il luy eüt voüé le sacrifice de son filz ; car nous pouvons les addresser a Dieu le Pere qui nous donne son propre Filz en viande : 0 Seigneur, par ce que vous m'aves faitte cette grande grace, je vous beniray de benedictions immortelles et multiplieray vos louanges comme les estoiles du ciel. (36)

A la résolution de le servir, par les paroles de Jacob apres qu'il eüt veü la sainte eschelle : Dieu me sera mon Dieu, et la pierre de mon coeur, ci devant endurci, sera sa mayson (37). Et ainsy on peut tirer mill'affections de la sainte Communion.

15. Encor se faut il servir de l'imagination pour nous ayder a bien festoyer nostre Hoste. Or, nous les pouvons faire diverses ; les plus utiles sont de Nostre Dame et de saint Joseph. Combien de goustz et consolations pendant l'enfance de Nostre Seigneur, quand ilz le portoyent en leurs bras et sur leur poitrine, quand ilz le baysoyent et que de ses divins bras il les accoloit souaifvement ! et puis, considérer que nous sommes faitz semblables a eux par la Communion, en laquelle Nostre Seigneur s'unit bien plus, a nous que sil nous baysoit et accoloit.

Et quand a Nostre Dame, imaginons quelle fut son ardeur intérieure, sa devotion, son humilité, sa confiance, son courage quand l'Ange luy dit : Le Saint Esprit surviendra en toy et la vertu du Tres Haut t'enombrera, et partant, ce qui naistra de toy sera nommé Filz de Dieu ; car il ni a rien qui soit impossible envers Dieu.(38). Il ne faut point douter que son beni coeur ne s'espanoüit tout entierement aux rayons de ses paroles, quil ne s'aprofondit dessous tant de benedictions, et qu'a mesme quil entendait que Dieu luy donnoit son coeur propre, qui est son Filz, il ne se donnast réciproquement a Dieu; et qu'alhors cette supersainte ame ne fondit en charité, et pouvoit dire : Mon ame s'est liquefiee ou fondue quand mon Bienaymé m'a parlé.(39) Or, quant a nous, nous recevons une pareille grace en la Communion, [car] non un Ange, mais bien Jesus Christ mesme nous asseure qu'en icelle le Saint Esprit vient en nous et la vertu celeste nous enombre, et le Filz de Dieu vient reelleinent en nous, et, par maniere de dire, il naist en nous et y est conceu. 0 Dieu, que de suavités et douceurs ! Et partant, l'ame peut bien dire comme Nostre Dame, apres cette considération : Voyci la servante du Seigneur, me soit fait selon sa parole.(40) Et quelle parole ? Selon la parole quil a dite de sa sacree bouche, que qui le mange, il demeure en luy, et luy demeure en celuy qui le mange ; qui le mange vivra pour luy, par luy et en luy, et ne mourra point éternellement.(41) C'est pourquoy il est mesmement bon de dire, apres la Communion, le saint cantique de Nostre Dame, appellé le Magnilicat, et le bien considérer et peser; et pour ce faire, il est requis d'en sçavoir la signification en françois.

Je n'ay rien dit du nettoyement de la conscience qui se fait par la confession, parce que chacun sçait qu'il le faut faire ou le soir devant, ou le matin, et ce avec un grand soin et humilité.

Vous treuveres peut estre aussi bien longue cette instruction, mais il faut que vous sçachies deux choses : l'une, que vous ne deves pas faire tout ceci tout a coup, mays seulement vous en servir a mesure que vous connoistres en avoir besoin, et en prendre ce qui vous aydera ; l'autre, c'est que je vous ay couché cette préparation si au long, affin que vous en puissies ayder les autres qui en auront nécessité. Au demeurant, parce que le plus grand moyen de prouffiter en la vie spirituelle, c'est la devote Communion, je vous la recommande ; et ayés soin que nulle ne la fasse par maniere d'acquit ou de coustume, mais tousjours pour glorifier Dieu en icelle et s'unir a luy, et prendre force a le servir et supporter toutes afflictions et tentations. Ainsy soit il.

Et s'il vous survient quelque doute et que vous n'entendies pas bien ce que j'ay dit, vostre Pere Confesseur extraordinaire vous esclarcira, ou moy, si vous me l'envoyes. J'avois oublié de vous resouvenir que ce Sacrement ne nous unit pas seulement avec Nostre Seigneur, mais avec nos prochains, avec lesquelz, participant a mesme viande, nous sommes rendus une mesme chose. Et l'un de ses principaux fruitz c'est la charité mutuelle et la douceur de coeur les uns envers les autres ; car nous nous tenons tous a un mesme Seigneur, et en luy nous nous devons entretenir coeur a coeur les uns avec les autres.   

1. - Ex 16,14 ; Nb 11,9

2. - Ex 16,15

3. -Ex 16,14

4. - Ex 12,11

5. - Gn 22,5

6. - Eccl 3,1

7. -Ex 12,26

8. - Ex 12,11

9. - Jn 13,3

10. - Ex 12,11

11. - Ex 16,21

12. - Lc 22,15

13. - Mt 4,10

14. - Jn 6,35

15. - 1 Co 2,2

16. - cf Directoire Spirituel

17. - Lc 1,43

18. - Ap 22,20

19. - Ct 1,1

20. - Mt 25,1 sq

21. - Ps 72,25

22. - Ct 5,2

23. - Mt 8,8

24. - Mt 26,6 ; 28,1 ;Mc 14,2 ;16,1 ; Lc 7,36 ; Jn 20,1

25. - Jn 20,11

26. - Lc 15,18

27. - My 15,22

28. - Gn 24,58

29. - cf Directoire spirituel

30. - Ps 37,22

31. - Lc 24,29

32. - Ps 22,4

33. -Gn 29,32

34. -Gn 21,5

35. - Ct 2,16 ; 3,4

36. - Gn 22,16

37. - Gn 28,21

38. - Lc 1,35

39. - Ct 5,6

40. - Lc 1,38

41. - Jn 6,50-59 

 

Date de dernière mise à jour : 2021-07-04