Passioniste de Polynésie

EXTRAITS DE L'HOMÉLIE SUR L'AMOUR DE L'ARGENT

Jacques de sarougEXTRAITS DE L'HOMÉLIE SUR L'AMOUR DE L'ARGENT (1)

 

PROLOGUE

 

O Christ, Verbe divin, ô lumière profonde,

Parle en moi, pour chasser les ténèbres du monde!

Aveugle est l'univers : Jésus, viens l'éclairer

Et que, par Toi rouvert, son œil puisse admirer

En Toi seul son trésor immense, impérissable

Et voir en Toi son bien vrai, solide et durable !

 

L'amour de l'or au monde est une sombre nuit ;

Le monde est un Timée : il lui faut ton enduit :

Daigne illuter pour lui, Seigneur, un peu de terre

Et que sa cécité par ton geste s'éclaire !

Puisses-tu, le comblant de ton charme divin.

Lui montrer ta beauté, dégager son chemin !

Pour l'aveugle, ton doigt sut enchanter la fange :

Que ton verbe aux humains soit sublime mélange :

De rayons dévoilant à leurs yeux aveuglés

L'éclat de tes trésors aux cieux accumulés !

Que seule ta parole excite en nous l'envie

De rechercher en Toi bonheur, richesse et vie !

 

L'UNIVERSELLE CUPIDITÉ ET LA MORAL

 

La passion de l'or englobe l'Univers :

L'ordre de toute chose elle met à l'envers.

 

(1) Voir édition chaldéenne de Bedjan, tome III, p. 842 à 858.

 

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La clameur monte haut sous les portes des princes ;

Elle commande aux bourgs et s'impose aux provinces.

Tout le monde en étouffe, elle envahit chacun;

Près d'elle tout précepte est nul, inopportun.

Malheur à qui la prend pour thème de sa glose !

Son pied heurte des dards, il peine et perd sa cause!

Le vide autour de la Morale étant complet,

L'effort de ses soutiens passe pour vain sujet !

L'or étant trop chéri, la Morale est en baisse

Et les puissants du jour la raillent tous sans cesse !

Oh ! le Verbe de vie en nos cercles s'est tu;

Et notre lâche temps de dire :

« Que veux-tu?

« Silence ! Ta parole est banale, inutile !

« Incurable est le mal, à tout remède hostile !

« Pourquoi parler si nul n'écoute ton sermon?

« Au profit de quel homme attaques-tu Mammon?

« Quel homme de Mammon n'est-il enthousiaste?

« Devant tes griefs seuls, l'indifférence est vaste !

« Le monde entier se plie à son joug arrogant :

« A l'univers entier peux-tu jeter le gant? » .

 

Oh! si l'amour de l'or était un chancre rare,

Si les pauvres du moins n'avaient point cette tare,

La Morale, en honneur sur places et parvis,

Pourrait à haute voix formuler ses avis,

Forte des partisans acquis à son école !

Si les riches l'avaient, eux seuls, pour monopole,

Les pauvres flétriraient la convoitise en bloc.

Mais à tel point chacun chancelle sous le choc

De cette épidémie affreuse, universelle,

Que du Flambeau sacré la dernière étincelle

Tombe, faute d'appui, dessous son piédestal!

 

Vienne, dès maintenant, lugubre et glacial,

Le silence voiler l'auguste Moribonde,

Pour que l'indifférence, en nos centres, profonde,

N'en accentue encor l'humiliation !

 

De qui jamais l'audace ou la prétention

Masqua le front du Jour avec de l'étamine,

Interceptant ses traits dardés sur la colline ?

De qui donc, s'appliquant sur l'orbe du soleil,

La toile en put capter tout le globe vermeil?

Voile son Verbe qui sous les ténèbres traîne !

Ouvre sa bouche qui dessus les astres peine !

Le Verbe souverain affronte tout dédain :

La gloire et la beauté gonflent son chaste sein!

 

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« A la bouche lépreuse un voile ! » dit Moïse,

De crainte que ce mal ne se généralise.

 

Ma parole est sans tare, irai-je me draper

La bouche et mes pensers de silence frapper?

De mes lèvres le verbe est clair comme une étoile :

Sa belle nudité nul défaut ne la voile !

Oui, le Verbe de vie a corps immaculé :

Dans l'ombre il ne peut point être dissimulé !

 

L'AMOUR DE L'ARGENT ET LE CLERGÉ

 

J'irai jusqu'à clamer, dussé-je en perdre haleine,

Que ce Serpent d'Éden, noir monstre de Géhenne

Jusqu'au centre rampant de notre paradis,

Vient sous l'Arbre de Vie ériger son logis !

Les prêtres harassant, Mammon l'incendiaire

A, dans sa rage, mis à feu le sanctuaire,

Et sa flamme s'attaque aux ministres de Dieu !

 

Où de la Trinité le culte saint a lieu,

Lucre, cupidité, affreuses convoitises !

Le Christ institua, sur terre, en ses églises

Des séraphins de chair, pour chanter le Sanctus ;

Mais la soif du Mammon fausse leurs nobles us!

Ouvrir son gousset d'or, fermer, sceller sa bourse,

Pour venir, ô stupeur, consacrer quelle Source !

Du Baptême la porte ouvrant et refermant.

Le prêtre a-t-il besoin d'un autre émolument?

Tant au ciel qu'ici-bas, sa main lie et délie :

Faut-il que l'or à son rôle divin s'allie?

Il tient les clés de Pierre et Mammon en sa main.

Lui qui devait filer sans bâton son chemin !

Il immole, à l'Autel, le Fils devant son Père,

Capital et produit il compte en numéraire !

 

Abomination lamentable en tel lieu !

Le Reptile occupant du Jardin le milieu,

Sans que sévisse un bras, sans qu'une main le chasse !

La Flamme est embourbée et sa couleur s'encrasse !

Qui sans brûler rendra propre le Feu sali ?

Le soleil est dissous, la lune a trop pâli,

Les astres sont éteints, plus rien ne nous éclaire !

Au monde sans clarté qui rendra la lumière?

Si les disciples sont gorgés d'or, c'en est fait !

La Morale est en bas, l'Enseignement défait!

Qu'inventer si le sel s'évente de la Terre?

 

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Et pour rendre aux saveurs leur goût perdu, que faire?

Le monde putrescent veut du sel; point de sel!

Que faire si le sel affadi reste tel ?

 

Le mot d'ordre, pour qui jalonnerait la route

Royale de la Croix, fut, sans le moindre doute,

Celui de « n'acquérir nul or et nul argent » !

Et précisément c'est ce même contingent

De disciples d'élite auquel, comme ressources

Suprêmes, Jésus dit : « Point de cuivre en vos bourses ! »

Qui s'empare de l'or de notre globe entier

Et jouit de l'argent, en vulgaire rentier !

Oui, du haut de la chaire, ils clament le principe

Qui n'admet, pour trousseau, la moindre double nippe!

Mais qu'importe ! on dépit du précepte sacré,

Ils ont en tout le double au simple préféré !

Point de médecins pour la purulente plaie !

Nul remède à cela, nul simple qui l'enraie !

Quand souffrent les docteurs, où chercher un secours?

Quand les chirurgiens sont brisés, le concours

De quelles sommités réduira la fracture?

Et le bandage, enfin, sinon pas la suture,

A quelle autorité sera-t-il confié?

 

LE TRIOMPHE DE L'OR

 

A ce mal en songeant, soucieux, indigné ,

Ému, bouleversé, plein de juste colère,

J'apercevais sa flamme incendier la Terre !

Je voyais sa fumée aveugler les humains !

Je vis l'or colossal corrompre tous chemins,

Comme si nul mortel n'eût aucune espérance !

Je vis les riches tous valets de sa puissance !

Les pauvres y courir avec avidité ;

Les pasteurs y puiser prestige, autorité;

Les Prélats le palper, à ses soucis en proie!

 

Tel dans un lourd sommeil un noir rêve tournoie,

Une lugubre angoisse au fond de mon esprit

Mes pensers égara, mes élans engourdit !

Je crus que toute vie était enfin perdue:

Que nulle âme vers Dieu n'était plus attendue !

Que voire, au monde, nul n'avilissait le prix

De l'or, pour demeurer fidèle au Crucifix !

Qu'aucun riche, ici-bas, n'était jamais capable

De tendre aux malheureux une main secourable !

 

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LA BEAUTÉ DE LA CHARITÉ

 

Tandis que m'étreignait, lancinante douleur,

La triste vision et me serrait le cœur,

Un sage en action vint confondre mes gloses :

 

Je vis sa main, prodigue en excellentes choses,

Empoigner l'amas d'or de sa provision

Et le semer au vent avec profusion,

Comme s'il eût voulu combattre un incendie !

 

L'homme rapace a moins fiévreuse maladie

A tout accaparer, que n'a de noble orgueil

Ce riche à voir son or désencombrer son seuil !

 

Il sait vivre et, son âme étant sérénissime,

Tirer du vil métal amitié, joie, estime!

Et, ce faisant, le but de son superbe effort

C'est que son bien au ciel le précède d'abord !

Il veut sans coup férir qu'arrive sa pécune

A l'ultime étape, où grossit toute fortune.

 

Un tel homme, qu'on doit saluer, applaudir,

Mon esprit abattu de joie a fait bondir !

Ravi, j'ai poussé des vivats enthousiastes

Et flétri les amis de l'or, esprits néfastes !

 

Arraché donc au bras d'un sommeil odieux,

Je sautai de l'angoisse au sein d'un radieux

Bonheur, en contemplant des choses aussi belles !

Alors, lui dis-je : « Ami, tes pensers ont des ailes :

« Un éclair de génie inspire tes desseins,

« Puisque ton âme seule est l'objet de tes gains !

« Tu voudrais acquérir la perle rarissime

« Et, parmi les rentiers, briller en richissime !

« Loin de vouloir rester indigent, miséreux,

« Tu tiens à devenir suprêmement heureux ! »

 

C'est qu'en l'homme est inné l'amour de la richesse :

Le genre humain n'est point épris de la détresse !

Qui laisse profiter de ses biens l'indigent,

S'assure une fortune au prix de peu d'argent :

Ne voulant de son or se séparer sur Terre,

Il le transfère au Ciel, pour qu'il l'y récupère!

 

Ainsi l'agriculteur aux champs vanne ses grains,

Sachant que les rendront multiples ses terrains.

Sans nul ménagement, sa maison il en vide,

Et sur monts et coteaux il les disperse avide.

 

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Sûr que plus son geste en semaille est libéral,

Plus sur l'aire sera son produit colossal !

Si tu ne mets au sein des guérets ta semence,

Ton champ peut-il avoir sa meule d'abondance?

 

HONNEUR AUX ENNEMIS DE MAMMON!

 

L'amour de l'or le cède à l'amour du Seigneur :

Qui sait Mammon combattre est un triomphateur !

Qui sait au Lucre immonde infliger la défaite,

En écrasant à la Cupidité sa tête,    

A le geste plus beau que l'intrépidité

De celui qui, dans son anfractuosité,

Écrase la vipère !

 

En la présente époque,

Cette calamité grandit tant, qu'elle évoque,

Bien que plus qu'eux hostile à la conversion,

Les temps où Jean prêchait sa grande mission.

Qui commet un bel acte, en cette époque lâche,

Sera félicité, puisque sa noble tâche

D'une lambruche aura récolté du raisin

Aussi beau que celui d'un cep parfait et sain !

 

MALHEUR AUX RAPACES!

 

Tout disciple épris d'or lance à son maître outrage :

Il veut rompre son joug, lui refuser hommage!

Oui, le sang d'Ananie aux prêtres clame encor,

Si le parti du Christ est le parti de l'or !

Celui-là, de son bien propre usant en rapace,

Fut, par Pierre, aussitôt étendu mort sur place (1).

Il peut servir ainsi de fidèle miroir

Où tout homme véreux doit son image voir !

Si la mort d'Ananie est une mort typique,

Que le Clergé l'imite, est-ce vraiment logique?

Ou blâme Pierre, enfin, qui lui donna la mort,

Ou bien, cupide, avoue et reconnais ton tort !

 

Tout avare s'insurge et soutient double guerre

Contre l'ordre du Christ et le geste de Pierre :

Le Messie ayant dit à tous les siens : « Point d'or ! »

Pierre a su se passer de ce clinquant décor.

Et lorsque Ananie eut commis son vol inepte,

Pierre en fit un cadavre, afin que le Précepte

De son Maître échappât à l'insulte, à l'affront.

Le cupide est en bas, Pierre lève le front!

 

(1) Voir Actes des Apôtres, ch. V, V. 5-10.

 

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PÉRORAISON

 

Trésor toujours prospère et fortune suprême,

Seigneur, sois seul le bien florissant de qui T'aime !

Heureux qui trouve en Toi son véritable avoir !

Par Toi seul étant riche, il ne peut point déchoir.

Fais que Ta pauvreté, richesse sans déboire,

Seule nous rende heureux ici-bas !

A Toi gloire!

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/jacquesaroug/005.htm