Passioniste de Polynésie

EXTRAITS DE L'HOMÉLIE SUR LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Jacques de sarougEXTRAITS DE L'HOMÉLIE SUR
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE (1)

 

LES CONVIVES D'HÉRODE

 

Tandis qu'en son cachot, grâce aux monstres d'Hérode,

Jean, astre en la nuit noire, allait sa période,

Du monarque arriva l'anniversaire, alors :

Grand jour, royal festin, éblouissants décors !

Hérode convia pour célébrer sa fête

De son royaume tous ceux qui venaient en tête :

Les corps constitués, les chefs, les généraux,

Les princes, les seigneurs, les grands, les commensaux.

Tous les Galiléens d'élite et la noblesse

Accoururent du roi partager l'allégresse.

L'Hypocrisie y vint parader sous le dais :

Chacun, fût-il en deuil, s'y donna des airs gais!

La basse flatterie ayant l'enthousiasme

Facile, chacun rit, mais d'un rire de spasme.

Leurs compliments au roi et leurs vœux précieux

Se traduisirent par : « Quel vin délicieux ! »

 

Le démon, la Luxure et le Vin, chez Hérode,

De tout sentiment noble abolissant le code,

L'ombre s'enfuit de là de toute gravité,

Laissant la place libre à l'impudicité !

Table rase on y fit de toute bienséance :

Et de la dignité seule y brilla l'absence ;

L'insolence épuisant la gamme de l'affront,

L'ivrognerie y vint empourprer chaque front !

Boire, boire toujours, boire encore une jarre,

C'était pour chacun d'eux des exploits le plus rare !

Ainsi, le vin, à tort et à travers versé,

 

(1) Voir édition chaldéenne de Bedjan, tome III, p. 604 à 687.

 

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Dans les coupes tombait, trouble, bouleversé;

Le bon sens y sombra, fondant au fond des verres,

Dotant l'air ambiant de germes délétères !

Présage d'un forfait, l'orgie alla son train

Tant que l'auguste chef de Jean n'y mit un frein !

 

LE CONSEILLER D'HÉRODIADE

 

Satan, qu'avait chassé du Juste la voix mâle,

Vint se glisser, sournois, dessous la bacchanale :

Attisant des déments les malsaines fureurs,

La débauche avivant en tous ces lâches cœurs.

Il jeta le délire en leurs chansons bachiques

Et leurs sens il souilla par des danses lubriques.

De là, tel un serpent sous des volubilis,

Le Démon fait un saut et tombe dans les plis

Du cœur trop dépravé de son Hérodiade,

Et lui siffle sa plus perfide sérénade :

 

« Debout ! Hérodiade, écoute mon conseil :

« Va de ton ennemi, par moi, piquer l'orteil !

« Debout pour la vengeance et sus droit à ce Juste !

« Fais tomber sans pitié son chef de bronze aduste!

« Que l'homme du désert tombe ! c'est le moment ;

« Il te dessert auprès de ton royal amant.

« Jean, voilà l'ennemi ! que ton arme le touche !

 

« Et que son propre sang ferme à jamais sa bouche !

« Pourquoi faut-il qu'il vive un semblable insulteur,

« Puisque son invective a fait ta défaveur?

« Apôtre intempestif, de sa langue emballée

« Il te diffame, amie, en pleine Galilée !

« Assez ton déshonneur partout il a prôné :

« Son accusation honteuse a trop tonné !

 

« A mort ton ennemi ! à bas ton adversaire !

« Que de son sang ton sabre aille rougir la terre !

« Jean n'a point ménagé sa langue à ton endroit ;

« Debout! Hérodiade, en avant! C'est ton droit!

« Si Jean est supprimé, tu seras reine, en somme ;

« Lui seul te brouille avec le Maître du royaume ! »

 

CONSEIL TROP BIEN SUIVI

 

Et l'âme dissolue, accueillant en son sein

Le levain du Démon, appelé e mauvais grain »,

Se mit à concevoir, dans ses tragiques trames,

Le plus monstrueux plan du plus sombre des drames :

 

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Elle saisit sa fille, épée entre ses mains,

Digne d'exécuter ses perfides desseins !

Pour que le sabre sût perpétrer son noir crime,

Pour que Jean succombât, innocente victime,

Là Louve au Louveteau désigna le poison

Sûr d'abattre l'Agneau naïf en sa prison !

 

Elle mit sur ses reins une robe indiscrète,

A ses pieds des chaussons blessants pour l'étiquette ;

Son visage elle orna et de kohl et de fards ;

Ses tempes elle arma d'accroche-cœurs criards.

 

Ainsi, dans ses atours de galante tournure,

Parée en courtisane en quête de luxure,

Elle allait son carquois plein de traits incisifs

Décharger, au banquet, sur tous ces cœurs lascifs !

 

De la sorte stylée, ayant le vrai mot d'ordre,

Elle entra dans la fête, y jeta le désordre.

Ce chausson, qu'à ses pieds mit un geste haineux,

Aviva de chacun l'instinct libidineux.

 

Coquettement chaussée, apparut sur la scène

La fille qu'enfanta la proxénète obscène !

Devant Hérode, aux yeux de tous ses invités,

Promenant de son corps les charmes frelatés,

Elle accomplit de suite une valse effrénée.

Déchaînant les instincts de la tourbe avinée,

Incendiant les cœurs des ignobles amants,

Accélérant ses sauts, hâtant ses tournoiements,

Satan vint ébranler les volants de ses jupes,

Afin de foudroyer les convives, ses dupes.

Cotillons, basques, pans, ses pièges amorcés

D'appâts luxurieux furent si bien dressés

Que la Cour, à la fin, conquise et polluée,

A tout rompre applaudit cette prostituée !

 

LE PATRIOTISME D'HÉRODE

 

Quelle dérision ! d'une fille les sauts

Lubriques piétinant tous ces géants royaux !

Voici qu'en brandissant sa chaussure d'aimée

Une femme a battu roi, légion, armée!

Ses frontières laissant aux guets de l'étranger,

Ce chef à ses soldats grand bal sait ménager!

L'exercice de ses troupes ne l'inquiète ;

La Courtisane est là, sa plus belle conquête !

L'élan patriotique est pour lui mot si vain !

Sa raison a sombré dans l'orgiaque vin !

 

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Vétérans, généraux, inspectez votre empire!

Voyez si contre lui nulle âme ne conspire !

Dégradant est votre acte, hommes efféminés,

Une fille en dansant vous a désarçonnés !

Une fille, au combat, vos rangs serrés décime,

Leur enlevant des mains une Perle sublime !

A vos barbes lançant son rictus pointilleux,

Elle vous a matés, soyez donc orgueilleux !

Où sont vos conseillers, vos grands rêveurs d'empire?

L'État, vilipendé, dans une orgie expire !

Où sont vos sages? où vos intellectuels?

Tandis qu'en des ébats crapuleux, sensuels,

La Cour est aux genoux d'une prostituée !

Ne te sens-tu meurtrie et sans gloire tuée,

Galilée, ô toi la vaillante région,

En voyant ton monarque avec sa légion

Se faire plat valet au-devant d'une femme !

 

 

LE PRIX D'UNE DANSE

 

Le vin, que n'avait point limité le programme

De la fête, achevant d'abêtir les cerveaux,

Chacun, depuis le roi jusqu'aux moindres prévôts,

Follement acclama l'impudique héroïne.

Et, pour royalement payer sa ballerine,

Le Souverain daigna, sans se faire prier,

Savoir son prix avant de la congédier.

Comme il aimait beaucoup cette âme saturnale.

Sa main allait, hélas ! être trop libérale :

Tant pour sa passion qu'aux yeux de son Sénat,

C'eût été, n'est-ce pas? honteux qu'il lésinât!

Il jura qu'il irait jusques de son empire

Lui donner la moitié, car on l'entendit dire

A l'enfant digne en tout de sa mère l'aspic :

« Que veux-tu, dis-le-moi, car devant ce public,

« Je prends l'engagement solennel et je jure

« De te récompenser avec comble mesure. »

— « Sire, dit-elle alors, pour unique présent,

« Offre-moi, sans tarder, le chef même de Jean,

« Ici, sur un plateau, devant tous les convives! »...

 

UN POINT DE DROIT

 

Oh! j'entends l'argument des âmes trop naïves :

«  Comme il le lui promit, il dut s'exécuter! »

 

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Qui le lui fit promettre ou vint l'assermenter?

S'il ne l'eût point voulu, l'eût-on forcé, ce lâche !

Son serment volontaire aiguisa seul la hache !

Plût à Dieu qu'il mentit, restât vil spadassin

Et non pas roi fidèle au serment assassin !

Menteur, il eût été fourbe ou bien fourbissime ;

Sincère, il fut l'auteur d'un effroyable crime !

Certe, il eût mieux valu qu'il fût un roturier

Loyal et non monarque odieux, meurtrier !

Engagé d'octroyer, par sa veule promesse,

La moitié du royaume à l'immonde maîtresse,

De quel droit mêlait-il, pour sa damnation,

Le chef sacré du Saint à sa donation?

Quelle loi lui donnait l'Ascète pour aubaine?

Jean n'était point le fief de son royal domaine !

La peine capitale atteint les scélérats

Et non la pauvreté du plus saint des Oblats :

Le sort du solitaire exempt de tare échappe

Au pouvoir absolu du plus puissant satrape !

Un roi peut confisquer toutes possessions,

Démolir, s'il lui plaît, toutes constructions,

Spolier les terrains des gros propriétaires,

Massacrer sans pitié les âmes sanguinaires,

Livrer de l'adultère au bûcher les fureurs,

Forcer à rendre gorge et brigands et voleurs ;

Mais dès lors qu'il s'agit d'un homme au monde seul,

D'un fils que n'enrichit le legs d'aucun aïeul,

Sans terre, sans maison, sans l'ombre d'une plante,

Sans habits, sans le pain du jour qui le sustente,

Vierge, sobre, loyal, vertueux, continent,

De célestes beautés type suréminent,

Quel souverain pourrait légalement prétendre

Contre un tel innocent un arrêt de mort rendre,

Eût-il pour sa défense un maladroit serment,

Monstrueuse est l'excuse invoquée indûment !

La moitié de l'Etat ne pouvait lui suffire :

Elle exigea la Tête étrangère à l'empire !

Or, en la lui cédant, le plus abject des rois

Se couvrit de mensonge et de sang à la fois !

Esclave de l'amour d'une infâme maman,

A la fille eût-il pu refuser ce firman?

Sa passion était, certe, à tel point extrême,

Que, fût-il sans serment, il eût cédé quand même !

Ce fut par pur respect humain que l'imposteur

Parut triste et feignit un semblant de douleur !

 

 

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LE TRIOMPHE DE L'INFAME

 

 

Le Chef, sur un plateau, comparut dans la salle :

Gloire au grand roi qui tient sa promesse royale !

 

Comment, devant ce Chef, ce cercle de damnés

Ne fut saisi d'horreur, de frissons spontanés?

De chaque main comment la coupe débordante

Ne tomba se briser de crainte et d'épouvante ?

Comment nul en ce jour, en passant outre aux lois

Du protocole, enfin, n'éleva point la voix,

Pour déplorer tout haut l'abominable crime?

Que ne fut atterré ce roi pusillanime

De honte et de frayeur du Saint en contemplant

La bouche close avec son sang encor brûlant !

Que ne frémit la fille, aliment pour la flamme,

En posant le plateau devant sa mère infâme?

L'infâme, sans effroi, le vit donc palpitant

Ce Chef au sang tout chaud encore dégouttant !

 

Peut-être, en cet instant, cette dégénérée,

Raillant d'un rire affreux la Tête vénérée,

Poussa-t-elle un soupir immense de bonheur !

Oui, peut-être serrant alors contre son cœur

Sa fille, rugit-elle :

« A nous l'apothéose !

« De l'insulteur la bouche avec son sang est close !

« A nous la joie! à nous l'implacable frondeur

« Dont nous vilipendait l'inextinguible ardeur !

« A nous notre insulteur! à nous la Tête forte

« Qui nous fermait au nez du souverain la porte !

« Nous le tenons enfin, ce cauchemar du roi

« Dont l'enfer retenait Hérode loin de moi !

«  Aux yeux de ses Hébreux, tant il m'a conspuée,

« Que les Juives me croient une prostituée !

« Silence à l'ennemi qui fut si méprisant !

« Trop il nous dénigra : qu'il se taise à présent ! »

 

HONNEUR AU GRAND MARTYR!

 

Un tel juste sabré par un pervers de taille !

Un tel saint immolé pour plaire à la canaille !

Un tel vierge égorgé par un lâche dîneur,

Pour qu'une concubine échappe au déshonneur !

Lampe d'or, où brûlait une aromatique huile.

Et que souffla l'affreux sifflement d'un reptile !

Magnifique olivier surgi du saint giron

 

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Du torrent du Baptême et qu'un vil bûcheron,

Dans son aveugle rage, abattit pour que l'homme

Ne pût se parfumer avec son divin baume !

Voix puissante annonçant le royaume de Dieu

Qu'étouffa l'aboiement des chiens d'un mauvais lieu!

Uue flûte enchantée, aux notes légendaires,

Que brisèrent des sourds les fureurs sanguinaires !

Un luth exorciseur, qu'écumante émietta

Celle que le Démon, ravi, complimenta!

Trompette à l'Univers sonnant l'hymne céleste

Qu'obstrua, suffoquée, une exécrable inceste:

Lyre unique ébranlant des peuples la torpeur

Et que désaccorda ce stupide sapeur !

Arbre aux suaves fruits, ayant la Foi pour souche,

Extirpé pour ne plus délecter nulle bouche !

De l'Epousée autant que de l'Époux Royal

Parrain d'honneur frustré, par un sort peu banal,

De son chef, au moment de la cérémonie !

 

Sa mort originale est en pleine harmonie

Avec la fleur naissante au sein d'Elisabeth,

Avec le lis poignant du sillon d'un guéret !

Un gai sursaut l'avait dans le sein fait éclore ;

Au festin, un ballet devait ses deux yeux clore !

Au sein de la Vieillesse, il louangea Jésus;

La Jeunesse, en dansant, acheva son Sanctus !

Et sa carrière, ainsi commencée en sa mère,

Finit où tournoya la jeune bayadère.

Que sa tragique mort bouleverse nos cœurs !

 

De qui jamais le chef, pourpre bouquet de fleurs

Dressé sur un plateau, rehaussa d'une fête

L'éclat, sinon de Jean la sainte silhouette?

En croyant le honnir, hommage on lui rendit!

Tel l'insigne d'un grand Ordre, il y resplendit !

Tel un sautoir d'or pur, en cet anniversaire,

Il brilla sous les yeux de chaque dignitaire !

Ils se le passaient tous, sur un royal pavois,

Emus, comme devant une perle de choix !

Au somptueux gala du roi, fête suprême,

De la salle du trône il fut le diadème !

Au centre du plateau splendide pomme d'or,

De la solennité seul il fut le décor !

Rose éclose au désert de l'antique Judée

Que le roi vénéra plus qu'une Validée !

Grappe délicieuse, en plein pressoir royal,

Distillant l'ambroisie et le fin cordial !

 

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Intime de l'Époux, parrain de l'Épousée,

A son Maître donnant sa céleste Rosée !

Grand initiateur, hérault, prêtre abstinent,

Vrai type virginal et prophète éminent,

Apôtre saisissant le Fils, oyant le Père,

Témoin de l'Esprit-Saint et des rois l'adversaire,

Temple, encensoir de choix, nard odoriférant,

Ennemi des pervers, des saints le concurrent,

Clairon des pénitents, victime des iniques,

Sublime prisonnier occis par des cyniques,

« Parmi ceux qui sont nés », aucun n'a sa grandeur :

Gloire au Verbe qui l'eut pour voix et précurseur !

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/jacquesaroug/006.htm