Passioniste de Polynésie

Vie en Jésus Christ

Jeande crondstadtINTRODUCTION

CARACTÈRE DU LIVRE. -

Je ne fais pas précéder mon livre d'une préface : qu'il parle lui-même en sa faveur ou - défaveur. Il ne contient que le reflet de la grâce divine dont le Saint-Esprit a daigné m'éclairer aux moments d'une profonde et scrupuleuse analyse de mon état d'âme, surtout aux heures de la prière. Je notais, quand je le pouvais, ces pensées et ces émotions bienfaisantes, et ce sont ces notes datant de nombre d'années, qui ont formé ce volume. Le contenu en est très varié, comme pourront le voir les lecteurs, si toutefois il y en a. C'est à leur avis que je m'en rapporte pour tout ce qui regarde l'appréciation de mon livre.

J. Serguieff, Archiprêtre.   (Jean de Cronstadt)

CHAPITRE I

DIEU ET LA CRÉATION

I. - DE LA SAINTE TRINITÉ

Gloire à vous, ô Père qui êtes la vie, ô Fils qui êtes la vie, ô saint Esprit qui êtes la vie, - ô Etre simple, -ô Dieu qui délivrez toujours notre âme de la mort, malgré nos passions qui la lui font subir ! Gloire à vous, ô Seigneur, que nous adorons en votre sainte Trinité; gloire à vous ! car la seule invocation de votre Nom fait rayonner de joie les âmes et les corps et nous donne une paix qui surpasse tous nos biens terrestres et sensibles et tout entendement. Ce Dieu donc, que nous adorons en sa sainte Trinité, est par Lui-même -oui, c'est la vérité, et ainsi soit-il !

Dieu dans sa sainte Trinité est un seul Etre, quoiqu'il renferme trois personnes, d'où il suit que nous autres aussi nous devons être un. Nous devons être simples autant que l'est Dieu; nous devons être un, comme si nous n'étions tous qu'un seul homme, une seule intelligence, une seule volonté, un seul coeur, une seule bonté sans la moindre malice, - en un mot, un amour pur comme l'est Dieu, qui est Autour. Qu'ils soient un, comme nous sommes un. (cf. Jn 17, 22). - Dieu est un Être spirituel, dont tout dérive et sans Lequel on ne peut rien concevoir; qui réunit en Lui le commencement, la continuation, la vie et la conservation de tout ce qui existe, qui dépasse infiniment tous les temps et tous les espaces, qui n'ayant jamais eu de commencement n'aura jamais de fin, devant Lequel tout est comme un néant, qui est pleinement partout, qui n'est jamais exclu d'aucun espace ni par un atome, ni par les monts, ni par les corps célestes, ni par les mers, qui occupe Lui-même, dès l'éternité, tout l'espace occupe par n'importe quel corps, sans en excepter la terre, qui par sa Puissance maintient l'existence de tout ce qui existe, qui est en chaque lieu, en chaque point le plus inimaginable de l'espace et qui maintient Lui-même sans limite tout espace - en un mot, Dieu est celui qui Est, c'est-à-dire le seul Existant, le seul qui Est.

Crois que Dieu te voit, mais crois-le aussi fermement que tu crois être vu de ton père terrestre ou de telle autre personne, avec cette différence que le Père céleste voit tout ce qui est recélé dans ton coeur, te voit tel que tu es, et en même temps voit toutes les créatures, les anges, les saints, tous les hommes et les animaux, et cela à la fois, comme le soleil qui éclaire tout en même temps; seulement les "Yeux du Seigneur sont un nombre infini de fois plus lumineux que le soleil." (Ec 23,27). La contemplation ardente du Seigneur est une source de paix et de joie pour l'âme. Le doute concernant sa Présence produit le trouble, l'affliction et l'angoisse du coeur. Une prière sincère donne la paix du coeur, mais si la prière est superficielle et distraite, elle blesse et torture le coeur.

Si Dieu, dans son Amour providentiel, ne délaisse pas la plus petite herbe, la fleur la plus délicate ou les feuilles des arbres sans les combler de bienfaits comment pourrait-Il nous abandonner ? Oh ! oui, chaque homme doit être bien convaincu que le Seigneur est fidèle à Lui-même dans sa Sollicitude à l'égard de la plus infime de ses créatures. Selon les paroles du Sauveur, Dieu revêt l'herbe des champs et nourrit les oiseaux du ciel. (Cf. Mt 6,26-30). Quels moyens Dieu n'emploie-Il pas pour nous combler de joie, nous qui sommes ses enfants ? Avec la tendresse d'une mère Il fait surgir du néant, tout exprès pour nous, à chaque nouvel été, par sa toute Puissance et sa Sagesse éternelle, ces plantes magnifiques et ces belles fleurs des champs. Qu'elles nous fassent éprouver la joie qui est dans le Dessein de Dieu; mais en la ressentant n'oublions pas de glorifier la Bonté du Créateur, notre Père céleste. Offrons-Lui notre coeur plein d'amour pour Lui, en retour de tant de bienfaits de sa Munificence !

Si le Seigneur n'avait pas tant d'amour et une patience infinie pour le genre humain, aurait-Il enduré nos grandes offenses, Se serait-Il incarné, Se serait-Il voué aux souffrances et à la mort pour nous sauver, nous aurait-Il accordé son Corps et son Sang très purs, que les anges contemplent avec effroi et frémissement ? Aurait-Il daigné nous délivrer un nombre infini de fois de nos péchés et de la mort spirituelle ? Il aurait dit plutôt : Reste en proie aux tourments, puisque tu es si mauvais, Je cesserai de te délivrer, t'ayant déjà délivré tant de fois.

Mais nous voyons au contraire qu'Il supporte pendant toute notre vie une infinité d'offenses de notre part et attend toujours notre conversion. Glorifions donc son Amour et sa Patience inépuisable ! Pensons à ce que nous deviendrions sans Lui, sans son Secours ! Rien que d'y penser, la terreur et l'effroi s'emparent de l'âme. Mais n'oublions pas non plus que les coupables non repentants seront en réalité atteints de la Colère de Dieu au jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. (Rom 2,5).

"Dieu est plus grand que notre coeur, - et Il connaît tout". (Jn 3,20). Le regard de notre coeur nous fait découvrir et nous apprend les moindres de ses mouvements, toutes nos pensées, tous nos désirs, toutes nos intentions, en un mot presque tout ce qui se passe dans notre âme. Mais Dieu est plus grand que notre coeur. Il est en nous et autour de nous. Il est partout, en chaque endroit, comme l'unique regard spirituel et clairvoyant dont le regard de notre coeur n'est qu'une faible image. C'est pourquoi Dieu sait tout ce qu'il se passe en nous, et Il le sait mieux, mille fois mieux que nous. Il sait en même temps tout ce qu'il se fait dans chaque homme, dans chaque ange et dans toutes les puissances du ciel, ainsi que dans chaque créature animée et inanimée. Il voit comme sur la paume de la main tout notre intérieur, de même que celui de chaque créature, car Il leur est inhérent à toutes et conserve leur existence et leur force comme Créateur et comme Bienfaiteur.

Dieu est un être simple et parfait au plus haut degré, c'est-à-dire tout ce qu'il y a de plus pur en fait de sainteté, de bien et de justice. Pour être uni à Lui, pour être un esprit avec Lui (car nous provenons tous de Dieu), nous devons acquérir par l'effet de sa grâce ce haut degré de simplicité dans le bien, dans la sainteté et dans l'amour. Tous les saints qui sont au ciel ont été purifiés par le Sang du Fils de Dieu, par le saint Esprit, et n'ont pas même l'ombre d'un péché. S'ils ont travaillé pendant leur vie terrestre, s'ils ont mortifié leur chair, s'ils ont marché courageusement dans le chemin de la sainteté et de la crainte du Seigneur, c'était pour s'unir d'une union éternelle avec cet être souverainement bienheureux, dont la substance est la sainteté. C'est pour cette même raison que nous voyons subsister jusqu'à nos jours la sainte Église avec toutes ses institutions, l'Office divin, les sacrements et les cérémonies religieuses, ainsi que les carêmes, pratiques établies pour purifier et sanctifier les enfants de Dieu et pour les unir à cet Être suprême et bienheureux que nous glorifions dans sa Trinité comme Père, Fils et saint Esprit.

Lorsque l'homme arrive à ressentir Dieu dans tous ses désirs, dans toutes ses pensées, dans toutes ses intentions, paroles et actions, c'est que le règne de Dieu s'approche de lui. Il voit alors Dieu en toute chose, dans le monde de la pensée, dans le monde de l'activité et dans le monde matériel. Il découvre alors, d'une manière tout à fait évidente, la toute Présence de Dieu, et la pure crainte de Dieu pénètre son coeur. Il cherche à chaque instant à être agréable au Seigneur, et craint à chaque instant de commettre quelque faute à l'égard du Seigneur toujours présent à sa pensée : "Que votre règne arrive !" (Mt 6,10).

Lorsqu'il s'agit des mystères de Dieu, ne te demande pas secrètement comment cela peut-il être ? Tu ne sais pas comment Dieu a tiré le monde du néant. Tu ne peux et ne dois pas savoir ici-bas comment Dieu opère n'importe quel mystère ! Mystère de Dieu doit rester pour toi un mystère, car tu n'es pas Dieu, et tu ne peux pas savoir tout ce qui est connu de Dieu, le Tout-Puissant et l'infiniment Sage. Tu es l'oeuvre de ses Mains, une créature sans valeur. Rappelle-toi qu'il y avait un temps où rien n'était, et puis tout ce qui existe maintenant fut créé de rien par le Verbe de Dieu. Rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui ! (Jn 1,3).

La Suprématie de Dieu embrasse toute la création, celle de là-haut et celle d'ici-bas, celle de l'esprit et celle de la matière, les anges et les hommes, le ciel avec tout ce qui le constitue, la terre et tout ce qu'elle possède, la mer et tout ce qu'elle renferme. Sa suprématie embrasse tout sans exception, ainsi que toutes les parties des êtres et des choses créées. C'est ainsi qu'elle embrasse le coeur et la pensée de l'homme, selon ces paroles : Le coeur du roi est dans la Main du Seigneur (Pro 21,1) et selon les apôtres qui disent : Non que nous sommes capables d'avoir de nous-mêmes aucune bonne pensée comme de nous, mais notre science vient de Dieu (2 Cor 3,5). Si la grâce divine délaisse mon coeur et ma raison, je ressemble à la poussière que le vent emporte, je me sens privé de fermeté morale et enclin à toute sorte de mal, ma raison et mon coeur deviennent vides, sans ressort, sombres et défaillants.

Le monde visible étant l'oeuvre de Dieu, le trés-sage Créateur et le Roi de la vie, il est naturel que la vie y surabonde. Partout cet en tout règne la vie et la sagesse; partout éclate l'expression de la pensée dans l'ensemble, comme dans les détails : c'est un vrai livre dans lequel on peut apprendre à connaître Dieu, quoique, il est vrai, avec moins de précision que dans la révélation. Avant que le monde fût créé, Dieu seul existait, Dieu vivant, contenant en Soi toute la vie, Dieu infini; et sans limites. Lorsque le monde fut appelé du néant à l'existence, Dieu, certes, ne devint pas limité; la plénitude de la vie et de l'immensité ne le quitta pas : mais elle se fit voir en même temps dans tous les objets de la création, vivants et organiques, dont le nombre est infini et qui tous sont doués de vie.

- Quand je regarde le monde que Dieu a créé, que vois-je ? Je vois partout une étendue extraordinaire, la splendeur de la vie dans le règne animal, parmi les quadrupèdes, parmi les reptiles, parmi les insectes, les oiseaux, les poissons. Je me demande alors d'où vient l'angoisse et cette voie douloureuse où se meut la vie de l'homme et surtout celle des chrétiens zélés ? Le Seigneur a répandu partout dans l'immensité de l'espace la vie, la satisfaction et la joie. Toutes les créatures, excepté l'homme, glorifient le Créateur par la satisfaction, la vie et une joie pleine d'allégresse. Pourquoi donc cette différence entre moi et la vie qui m'entoure ? Ne suis-je pas une création du même Créateur ? L'explication en est simple. Notre vie est continuellement entravée tantôt par nos péchés, tantôt par notre ennemi commun, le démon, surtout par ce dernier et particulièrement chez ceux qui ont le zèle de la piété. La vie de l'homme - du vrai chrétien - est dans le futur, dans le siècle à venir, c'est là qu'il trouvera toutes les joies et une entière félicité. Ici-bas il est un exilé, un être puni. Ici-bas toute la nature se révolte quelquefois contre lui à cause du péché qui pèse sur lui, sans compter son ennemi perpétuel qui "tourne comme un lion rugissant autour de nous cherchant quelqu'un à dévorer" (1 Pet 5,8). Par conséquent je ne m'afflige pas de voir la joie et la satisfaction régner partout dans le monde, tandis que je ne les éprouve pas et que je vois la joie et le vaste champ de la liberté que Dieu a donné à ses créatures. J'ai un bourreau qui me tourmente à cause du péché; ce bourreau ne me quitte pas et ne cesse de me frapper. Mais j'aurai aussi ma part dans la joie, seulement non pas ici, mais dans un autre monde tout différent.

II. DE L'INCARNATION DU VERBE ÉTERNEL

Le Seigneur par son Incarnation S'est mis en rapport direct avec les hommes. O prodige admirable ! Dieu Lui-même uni à un corps d'homme, Dieu devenu chair - le Verbe a été fait chair (Jn 1,14) ! Dieu lui-même a mangé et bu comme nous, a couché dans une crèche, a habité une maison ! Lui, l'Incommensurable aux cieux ! a marché sur la terre, sur l'eau, dans l'air en allant au ciel comme disent les Actes des Apôtres (1,10). Il a été cloué à l'arbre de la croix, Lui qui par sa seule Volonté a suspendu la terre sans appui dans l'espace.(Hymne) - Toute la terre, les eaux et l'air, tout est sanctifié par le Fils de Dieu incarné. C'est pourquoi Il garde tant d'affection pour la terre, cette demeure temporaire de l'homme, cette auberge du genre humain, où il a habité Lui-même, parmi les hommes. Mais Il aime au-dessus de tous les hommes, ayant daigné prendre l'âme et le corps de l'homme, l'ayant uni a sa Personne, et Il aime encore plus les véritables chrétiens, Il est en eux - et eux, ils sont en Lui.

- Si l'homme n'eût pas été créé à l'image de Dieu, Dieu ne Se serait pas incarné dans le sein de la très pure Vierge. Oh ! combien notre nature a été ennoblie, non seulement par le Créateur, mais encore par le Rédempteur ! L'Incarnation du Fils de Dieu par la voie de la très sainte Vierge prouve que Dieu S'est intimement uni a l'homme. "O vous, qui par votre sublime Nativité avez uni Dieu à l'homme et réconcilié avec le ciel la nature rebelle du genre humain" (Prière à la Sainte Vierge à Vêpres), gloire à vous, Vierge digne de louange ! Tous les êtres raisonnables vous louent, car vous avez obtenu de Dieu une telle pureté et une telle grâce qu'il vous a été donné par la Volonté de Dieu le Père et avec la coopération du saint Esprit d'incarner en vous le Fils de Dieu. Daignez, ô très sainte Vierge, nous accorder la grâce que nous ayons la pureté d'esprit et de corps qui est l'effet du Corps et du Sang de votre Fils, que nous adorons.

- Lorsque je songe au Fils de Dieu, qui a uni la nature humaine à sa Divinité et lorsque je regarde la voie de ceux qui se nomment chrétiens, je me sens saisi d'épouvante et de pitié. Je suis épouvanté parce que je redoute la grande Colère de Dieu contre les indifférents, les ingrats et les méchants; je suis pris de pitié parce que je vois quel grand nombre de chrétiens se privent eux-mêmes de la félicité ineffable de la vie à venir et se précipitent dans le feu éternel des tourments sans fin.

- Estime en tout honneur chaque homme, surtout chaque chrétien, car Dieu a daigné admettre l'homme dans une union tellement intime avec Lui qu'Il S'est fait Lui-même Homme-Dieu. Quand tu regardes un homme, songe bien que le Seigneur Lui-même était tout notre pareil, sauf le péché; et si tu vois un homme qui ne connaît pas la vérité de l'Incarnation du Fils de Dieu et passe sa vie d'une manière indigne, instruis-le et éclaire-le. Aime en outre chaque homme comme toi-même, parce qu'il est un autre toi-même et s'appelle pour cette raison dans le commandement de Dieu, ton prochain : "Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain." (Ex 20,16).

- En dehors de notre Seigneur Jésus Christ avec son Père et le saint Esprit, il n'existe pour moi aucun bien sur la terre; c'est Lui qui est ma seule félicité ici-bas. Après Dieu il n'y a rien de plus précieux pour moi sur la terre que l'âme humaine (comme d'ailleurs, elle devrait l'être pour chacun de nous). C'est elle qui constitue notre véritable trésor. L'homme est un être d'un grand pris. C'est pour le sauver que Dieu Lui-même est descendu sur la terre. Il le rassasie et le désaltère de son Corps et de son Sang (de son Être tout entier), pourvu qu'il soit heureux, pourvu qu'il ne périsse pas. Tout ce que la terre produit, tout ce qu'elle renferme de trésors dans les trois règnes de la nature, il l'a livré au pouvoir de l'homme pour son utilité et pour son plaisir. Tant de générosité de la part du Seigneur, générosité qui dépasse toute mesure nous a montré et nous montre constamment, combien Il aime le genre humain et chaque homme en particulier. Imitons donc cet amour et cette générosité de Dieu; soyons autant que possible miséricordieux comme notre Père céleste est miséricordieux (cf. Luc 6,36).

- Si Jésus, Fils de Dieu, le Dieu infiniment saint, ne rougit point de nous appeler frères (cf. Heb 2,11), tout coupables que nous sommes, ne rougissez pas d'appeler frères et soeurs ceux au moins qui sont pauvres et bas placés dans la société; si vous avez des parents qui soient dans ce cas, ne faites pas le fier en leur présence, ne les méprisez pas, ne ressentez pas de honte à les recevoir, car nous sommes en réalité tous frères en Jésus Christ. Le baptême nous a tous régénérés par l'eau et par l'Esprit et nous sommes devenus les enfants de Dieu. Tous nous nous appelons des chrétiens, tous nous sommes nourris du Corps et du Sang du Fils de Dieu, le Sauveur du monde. Tous nous profitons des sacrements de l'Église, tous nous disons dans la prière dominicale : "Notre Père .." et tous aussi nous appelons Dieu notre Père. Nous ignorons toute autre parenté, sauf la parenté spirituelle, éternelle, la plus sublime qui existe et qui nous a été donnée par le Maître suprême de la vie, par le Créateur et le Régénérateur de notre nature humaine - Jésus Christ - car il n'y a que cette parenté qui soit véritable, sainte et permanente. La parenté terrestre au contraire est peu sûre, variable, inconstante, temporelle, périssable, comme le sont notre chair et notre sang qui périssent. Traitez donc vos semblables simplement, d'égal à égal; sans vous prévaloir devant personne, faites-le plutôt avec humilité, car "quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé." (Lc 18,14). Ne dites pas : je suis instruit, mais lui ou elle ne le sont guère, ce sont des ignorants ordinaires, c'est un paysan ou une paysanne; le don divin que tu as reçu, malgré ton indignité, ne doit pas servir de motif à ton orgueil, mais, au contraire, à ton humilité, car de celui à qui beaucoup a été donné, on exigera beaucoup (cf. Lc 12,48), et par conséquent on exigera moins de celui à qui il aura été moins donné. Ne dites pas : je suis noble, mais lui, il est de basse origine; la noblesse terrestre, sans celle de la foi et de la vertu, est un vain mot. A quoi sert d'être noble, si je suis un aussi grand coupable que les autres, si je les surpasse même sous ce rapport ? L'amour même du prochain doit exister en nous, non tel que nous l'entendons, mais tel que Dieu l'entend, c'est-à-dire nous devons le pratiquer, non comme bon nous semble, mais comme Dieu nous l'ordonne. Nous voudrions, quant à nous, n'aimer que ceux qui nous aiment, mais nos ennemis ou ceux qui nous sont désagréables, nous voudrions les mépriser, les haïr, les poursuivre, mais Dieu exige que ce soient justement ceux-ci que nous devons surtout aimer, car ce sont des malades. Il veut que nous-mêmes qui sommes malades d'amour-propre, d'orgueil, de dédain et de méchanceté, nous guérissions en nous ces maladies par l'amour et l'humilité, en appliquant en même temps ce remède souverain sur les plaies saignantes du coeur d'autrui. En soignant les maladies de l'âme de notre prochain, nous devons bien faire attention à nous-mêmes. Nous ne devons ni nous fâcher, ni nous irriter, ni nous emporter. Gardons-nous de négliger ce qui peut lui être utile et de ne songer qu'à ce qui nous est agréable à nous-mêmes. Pensons à lui et non à nous. Renonçons à faire ce qui flatte notre amour-propre, ainsi qu'à nos autres passions. "La charité est patiente, si même elle voit notre prochain répondre au bienfait avec légèreté ou orgueil; elle est bénigne. La charité n'est point envieuse : elle n'agit point à contretemps, elle ne s'enfle point." (1 Cor 4-5), elle ne prend point chaque parole à la lettre, mais elle excuse et justifie tout. Du reste, c'est toujours ce qu'il y a de mieux à faire, car il y a bien des choses qui, passées inaperçues sous le voile de l'indulgence, disparaissent facilement d'elles-mêmes. Ainsi, celui qui soigne les autres doit être lui-même d'une bonne santé, afin que ces autres ne puissent lui dire : "médecin, guéris-toi toi-même." (Luc 4,23). Si celui que tu soignes remarque que tu es toi-même méchant, que tu te fâches contre lui et que tu ne l'aimes pas, il concevra pour toi le mépris et la haine et tu ne seras plus capable d'agir sur lui, car le mal ne peut jamais être corrigé par le mal, mais seulement par le bien. Triomphe du mal par le bien (cf. Rom 12,21). Fais d'abord disparaître en toi ce que tu voudrais faire disparaître dans les autres.

- Seigneur ! Vous êtes venu pour nous sauver par l'effet de notre foi en vous. Sauvez-moi, car je crois que vous êtes mon Sauveur. Vous êtes venu pour renouveler notre nature corrompue par le péché, renouvelez-moi, qui suis corrompu par les passions et la concupiscence, renouvelez mon âme et mon corps, afin que je possède un coeur pur et la force du corps pour glorifier votre Nom ! Vous êtes venu pour nous délivrer des complots de l'ennemi, délivrez-moi de tout ce qui contribue au succès de l'ennemi rempli de méchanceté, d'impureté, d'obscénité et d'abomination, qui lutte contre moi dans mes membres, qui me tente et m'entraîne de vive force au péché. Vous êtes venu pour nous éclairer, éclairez mon coeur obscurci par les passions. Vous êtes venu pour rassembler ce qui est disséminé, rassemblez mes pensées disséminées par l'ennemi. Vous êtes venu pour nous donner la force dans notre faiblesse et vous avez dit : Ma force s'accomplit dans la faiblesse, et votre apôtre ajoute : "je me glorifierai donc dans mes faiblesses, afin que la force de Jésus Christ habite en moi." (2 Cor 12,9). Voyez, je suis si faible, que je ne puis rien faire de bien sans Vous. Sans vous je ne puis ni penser, ni sentir le bien, ni désirer le bien, ni parler, ni agir, je suis complètement impuissant sans vous, dans tout dans tout ce qui touche le bien. Donnez-moi donc, je vous en supplie, la grâce, donnez-moi la lumière et la force pour penser et sentir le bien, pour l'accomplir avec facilité, pour parler et agir selon votre Volonté. Je vous donne toute ma vie, ô Jésus, ô mon Dieu, ô mon Sauveur et Régénérateur ! Purifiez-moi, sanctifiez-moi, sauvez-moi ! "Créez en moi, Seigneur un coeur pur et renouvelez l'esprit de droiture au fond de mes entrailles" (Ps 50,10). Secourez-moi, car sans vous ma perdition est proche et imminente à chaque heure de ma vie !

- Dieu n'a pas épargné son Fils unique pour le bien de l'homme, - comment osons-nous épargner ou regretter quelque chose pour que notre prochain soit rassasié, vêtu et secouru dans tous ses besoins ? Le Seigneur donne beaucoup aux uns, peu aux autres, pour qu'ils s'entraident mutuellement. C'est le Seigneur qui veut que nous partagions avec les autres les dons immenses qu'il nous prodigue si généreusement dans sa bonté, plus nous le faisons de bon coeur, plus nous en profitons nous-mêmes pour le bien de notre âme et de notre corps, car nous ouvrons notre coeur à l'amour du prochain et, en diminuant nos biens par la charité, nous serons moins exposés aux dangers du superflu, nous deviendrons tempérants : or, la tempérance est indispensable pour le corps, afin qu'il ne se rassasie pas des biens matériels jusqu'au dégoût. De même si nous jouissons seuls de ces biens, si nous agissons sous ce rapport en égoïstes, en avares ou en cupides, en les dérobant aux regards de ceux qui se trouvent dans la nécessité, ces biens ne servent qu'au préjudice de notre âme et de notre corps : de notre âme, - parce que la cupidité et l'avarice ferment l'accès du coeur à l'amour de Dieu et du prochain et font de nous des êtres égoïstes et repoussants qui ne songent qu'à leurs passions toujours croissantes; au préjudice de notre corps, - parce que l'avidité qui fait le fond de la cupidité, mène au dégoût et altère prématurément la santé de l'homme.

- Le Seigneur aurait pu, s'Il l'avait voulu, Se créer un corps à Lui avec la matière du monde, le ciel et la terre y compris, ou bien, en d'autres termes, Il aurait pu, sans créer le monde, Se créer un temple corporel. Or, ce n'est que dans le but de ton salut et après avoir créé le monde qu'Il a daigné créer pour Lui un corps pareil au tien en ne prenant qu'une parcelle de la matière pour S'en faire un corps prédestiné à ta régénération, laissant le monde tel qu'il l'a créé. O Clémence et Miséricorde divine ! Nous sommes de sa Chair et de ses Os (Ep 5,30) par la communion de son saint et vivifiant Sacrement !

- Le genre humain est un seul arbre immense qui croît sur toute la terre et dont les branches la recouvrent entièrement. Son ancienne racine pourrie - Adam déchu - est greffée, grâce à la Sagesse et à la Clémence de Dieu, d'une nouvelle tige vivante qui est notre Seigneur Jésus Christ, dont les chrétiens tirent leur origine, comme un rameau la tire d'un arbre entier. Les arbres vivent d'une vie terrestre et organique, le monde chrétien vit de la Vie du Christ, vie spirituelle et céleste. En conséquence, toutes les forces de notre âme, toutes ses facultés, doivent être envisagées comme les forces de Jésus Christ Lui-même. "Nous avons l'Esprit de Jésus Christ (1 Cor 2,16), dit l'Apôtre, en parlant des véritables chrétiens. Il en est de même des actes de vertu qui doivent être envisagés comme le fruit de la grâce du Christ. Les chrétiens qui mènent une vie contraire aux lois du christianisme sont des branches desséchées de la tige qui provient de la racine personnifiée en Jésus Christ, et "mon Père, a-t-il dit, retranchera toutes les branches qui ne rapportent point de fruit en Moi, et on les jettera au feu." (Jn 15,26). Les païens sont une tige non renouvelée, non ranimée, provenant de la racine pourrie, - d'Adam. Mais la foi les greffe aussi à la tige vivante, pleine de sève, c'est-à-dire au corps de l'Église, qui est le Corps de Jésus Christ.

- Y a-t-il quelque chose que le Maître suprême de notre vie n'ait pas fait pour nous ? Il est venu des cieux, Il a revêtu notre chair, Il a opéré des miracles nombreux, Il a enduré les plus cruelles souffrances, Il a versé son Sang pour nous, Il a subi la mort, Il est descendu aux enfers, Il a enchaîné Satan, Il a détruit l'enfer, Il a libéré les âmes qui y étaient détenues et les a fait monter au ciel, Il est ressuscité d'entre les morts, afin de nous ressusciter avec Lui. Exécutons le testament qu'Il nous a légué - aimons-nous les uns les autres, tâchons de nous conformer à ses autres commandements et ne L'offensons pas par notre désobéissance et notre résistance à ses lois. O Seigneur, secourez-nous !

III. DE DIEU LE SAINT ESPRIT

Ô saint Esprit, nous tous qui sommes chrétiens, nous sommes votre souffle, votre progéniture après le baptême; mais déjà, en vertu de votre premier souffle créateur, soufflé dans la bouche du premier homme, tout le genre humain, tous les peuples de la terre sont votre souffle et votre progéniture ! Ayez donc pitié de nous et gardez-nous, ô Esprit saint. Faites que votre souffle chasse loin de nous le poison infect du péché et des passions et nous préserve de tout attachement coupable.

-Le saint Esprit Consolateur, qui remplit tout l'univers, pénètre les âmes de tous ceux qui sont croyants, doux, humbles, bons et simples. Il vit en eux, Il les anime et les soutient. Il est un même esprit avec eux et Il est tout pour eux : lumière, force, paix, joie, succès, progrès dans les bonnes oeuvres, surtout celles qui résultent d'une vie pieuse, en un mot tout ce qui constitue le bien. En elle (c'est-à-dire dans la Sagesse) est l'esprit d'intelligence, saint (Sag 7,23). Nous avons tous été baptisés dans le même Esprit (Ps 145,9). Tous les hommes pieux sont, pour ainsi dire, imbibés d'un seul et même Esprit divin, comme une éponge est imbibée d'eau.

- C'est l'Esprit qui vivifie (Jn 6, 63). Le rôle de l'Esprit de Dieu, dans la création, est d'animer les créatures, et celui du Fils de Dieu de les créer, de les faire surgir du néant à l'existence. C'est pourquoi le Corps et le Sang de Jésus Christ surgissent du pain et du vin par l'opération du saint Esprit, comme ce même Corps de Jésus a surgi du sang de la très pure Vierge Marie par l'opération de ce même Esprit saint qui souffle également la vie à chacun de nous dans le sein de nos mères. C'est donc à cet Esprit divin qu'appartiennent tous nos biens spirituels.

Pendant longtemps, je ne savais pas bien me rendre compte à quel point l'assistance du saint Esprit était indispensable à notre âme. Maintenant le Très-Clément m'en a accordé le savoir. Oui, elle est aussi indispensable que le souffle à chaque moment de notre existence, pendant la prière comme pendant toute la durée de notre vie. Sans l'assistance du saint Esprit, notre âme est constamment portée à toutes sortes de péchés et par conséquent à la mort spirituelle; elle faiblit, elle s'affaisse entièrement à cause du mal qui entre dans le coeur et devient incapable de suivre la voie du bien. Sans l'assistance du saint Esprit, l'homme sent son coeur se miner lentement par toutes sortes de péchés et disparaître presque dans les abîmes du mal à chaque instant. C'est alors qu'il faut que le coeur reste ferme sur une base de pierre, et cette pierre est le saint Esprit. Il affermit nos forces et, si l'homme prie, Il fortifie son coeur dans la foi et dans l'espérance d'obtenir ce qu'il demande. Il allume dans notre âme le feu sacré de l'amour de Dieu, il la remplit de pensées pures, salutaires, qui fortifient l'esprit et le coeur. Si l'homme accomplit quelque oeuvre, Il lui donne la force de comprendre l'importance et la nécessité de ses efforts et une patience à toute épreuve qui surmonte toutes les difficultés. Dans ses rapports avec le prochain, il lui inspire le respect de la personne humaine, indépendamment de toute diversité de condition et de sexe. Il lui fait considérer cette personne comme étant avant tout l'image de Dieu, racheté par le Sang de notre Seigneur Jésus Christ et Il détourne notre coeur et notre attention de l'extérieur de la personne, de son vêtement, de son langage et de ses manières.

C'est le saint Esprit qui nous unit tous par l'amour comme les enfants du Père céleste et nous enseigne à prier en Jésus Christ, en prononçant les paroles : Notre Père qui êtes aux cieux...

IV. DE LA FIN DE LA CRÉATION

O homme ! la Sagesse, la Bonté; et la Toute-Puissance du Créateur, répandues dans le monde visible et invisible, sont sans bornes et toujours prêtes à se répandre sur toi, pourvu que tu t'efforces d'être l'enfant fidèle du Père céleste et que tu remplisses ses commandements, qui te prescrivent l'amour de Dieu et du prochain. Persévère donc avec assiduité et sois constant dans le bien.

- Quelle merveille de la création que l'homme ! Voyez ! cet être créé de poussière renferme le souffle de Dieu, son souffle personnel, individuel, l'image de Dieu Lui-même. Que de sagesse et de beauté dans la construction de ce petit temple où réside l'image de Dieu ! que de sagesse et d'amour dans sa ressemblance avec Dieu et dans la vie même de l'homme, ce maître absolu de la terre, selon les paroles : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblanceet qu'il domine....sur toute la terre.(Gen 1,26). Mais, afin que l'homme n'en soit pas fier, jetez un regard sur ce qu'il devient, lorsque ce quelque chose qui forme sa ressemblance avec Dieu quitte le corps et en sort comme de son temple. Alors, ô homme, tu disparaîtras pour ainsi dire, tout à fait et tu n'existeras plus dans ce monde. Le temple de ton âme envolée aura perdu toute sa beauté et sa raison d'être; il deviendra poussière et tu seras enfoui dans la terre, dont tu es fait et avec laquelle tu reviendras te mêler et te confondre. Quelle merveille de la

création que l'homme ! N'est-ce pas vraiment une merveille que le Seigneur ait empreint son Image, son Esprit immortel, sur une pincée de poussière ?

-Mais admire encore plus, ô chrétien, la Sagesse, la toute Puissance et la Bonté du Créateur qui ne Se bornent pas là. Il transforme et transubstancie le pain et le vin en son très pur Corps et son très pur Sang qui donnent la vieS Et pourquoi le fait-il ? Pour te purifier de tes péchés, ô homme coupable, pour te sanctifier, et, comme tel, t'unir à Lui; puis, te diviniser, te béatifier et t'immortaliser. O merveilles de la Bonté, de la Sagesse et de la toute Puissance du Sauveur !

- Oh ! quelle belle, quelle précieuse création que l'homme ! Oh ! quel superbe palmier qui s'élance vers les cieux ! Oh ! c'est bien la plus sublime création de Dieu, créature remplie de gloire et d'honneur, qui devrait rester inaccessible à tout ce qui est impur. O image de Dieu Lui-même, temple vénéré du Seigneur !S Nous sommes les enfants de Dieu, nous sommes sanctifiés en Jésus-Christ. Gardons et conservons notre coeur dans la sainteté ! que la main des esprits de l'abomination et du mal ne nous touche pas, nous les arches vivantes de la Divinité; que cette main maudite n'effleure jamais nos pensées et nos coeurs ! Ô Verbe de Dieu et Dieu Vous-même, qui Vous êtes incarné pour notre salut, gardez-nous dans votre Sainteté ! Ô notre Chef infiniment saint ! ne livrez pas nos coeurs et nos corps à l'abominable Satan, afin qu'il ne les souille pas de pensées impures, mais soyez toujours avec nous et conservez-nous dans la pureté et dans l'innocence. Faites, ô Seigneur, que nous soyons toujours unis à Vous par la sincérité de nos pensées, par la prière et par nos actions; car, aussitôt que nos coeurs s'éloignent de Vous, ils sont envahis par les ténèbres et la mort. Loin de nous, ô Seigneur, c'est l'affliction et l'angoisse, la honte, I'avilissement et l'abomination spirituelle qui sont notre partage; tandis qu'avec vous nous nous sentons pénétrés de lumière, de vie, de paix, de joie, du bien-être du coeur, d'une sainte hardiesse dans nos prières, de grandeur et de sainteté !

- Dieu a créé l'homme à son Image et à sa Ressemblance, don immense ! Mais l'homme, l'être intellectuellement libre, a été ingrat envers son Créateur, l'ayant offensé par sa perfidie, son infidélité et son orgueil. L'homme a voulu devenir l'égal de son Créateur et a marché contre Lui. C'est un grand péché que de lutter contre Dieu. Mais, ô don infini de l'Amour de Dieu pour le genre humain ! quand nous sommes tombés dans l'abîme après avoir offensé le Créateur, quand nous sommes tombés de la vie dans la mort en nous détachant de Dieu, qui est notre vie, et en nous laissant corrompre par les péchés, quand la mort éternelle nous menaçait, Dieu envoya sur la terre le Rédempteur, son Fils unique, qui vint, revêtu d'une chair semblable à la nôtre, pour nous éclairer, souffrir à cause de nos fautes et nous purifier de nos péchés par la pénitence et par la foi en Lui, afin de nous ramener à son Père, dont nous nous étions éloignés. Apprécions ce sublime bienfait de Dieu à notre égard et ne "négligeons pas un tel salut ! (Heb 2,3). Souvenons-nous toujours de notre corruption coupable et renouvelons-nous par l'effet de la grâce et des moyens que nous offre l'Église. Si quelqu'un est en Jésus Christ, il est une nouvelle créature. (1 Cor 5,17). Sommes-nous des hommes nouveaux ou sommes-nous restés comme avant, des hommes de péché ?

Tous les hommes sont le souffle et la création de Dieu, ils sont issus de Dieu et retournent à Dieu, comme à leur origine : La poussière rentre dans la terre d'où elle est sortie et l'esprit retourne à Dieu qui l'a donné(Ec 12,75. Pour vous rendre par elles participants de la nature divine et nous dérober à la corruption de cette concupiscence qui est dans le monde(2 Ptr 1,4). - Comme souffle de Dieu et comme postérité d'un seul homme, les hommes doivent naturellement s'aimer et se conserver mutuellement et ne doivent pas s'éloigner les uns des autres par l'égoïsme, l'orgueil, la méchanceté, l'envie, l'avarice, la misanthropie, afin qu'ils soient un.(Jn 17,29). Regardez les fourmis, quelle amitié les unit. Regardez les abeilles, quelle union règne chez elles. Regardez les volées de pigeons, de cygnes, quelle amitié encore. Regardez un troupeau de brebis, quelle union aussi. Pensez aux innombrables troupes de certains poissons dans les mers et dans les fleuves, qui aiment à se rassembler et à se déplacer ensemble, n'est-ce pas la même harmonie ? Pensez avec quelle persistance toutes ces créatures se défendent les unes les autres, s'entraident, s'aiment mutuellement, et rougissez de honte à la vue de ces êtres, vous, qui reniez l'amour, qui fuyez la charge de porter les fardeaux les uns des autres.(Gal 6,2).

-N'admirez pas dans l'homme la beauté de son visage, mais regardez son âme; ne regardez pas son corps : le corps est un vêtement temporaire, mais regardez celui qui en est revêtu. Ne regardez pas la beauté d'une maison, mais regardez celui qui l'habite; tâchez d'apprendre qui il est et comment il est. Si vous agissez autrement, vous offenserez l'image de Dieu dans l'homme, vous déshonorerez le roi en vous inclinant devant son esclave au lieu de rendre au roi tout l'honneur qui lui est dû. De même ne regardez pas la beauté typographique d'un livre, regardez-en l'esprit; car, il y a des hommes qui admirent la beauté des caractères et la netteté de l'édition, sans faire attention à son contenu. En cela ils ne sont pas raisonnables, car ils abaissent I'esprit et lui préfèrent le corps, puisque les lettres ne sont que le corps du livre, le contenu l'esprit. Ne vous laissez pas séduire par les sons mélodieux d'un instrument ou d'une voix, mais cherchez à en distinguer l'esprit d'après l'impression qu'ils produisent sur votre âme ou d'après les paroles que vous entendez. S'ils remplissent votre âme de sentiments doux, chastes et saints, écoutez-les et imprimez-les dans votre âme; si au contraire ils produisent en vous des émotions qui éveillent les passions mauvaises, cessez d'écouter, repoussez loin de vous et le corps et l'esprit d'une telle musique.

- La fin de tout ce qui existe sur la terre, de même que celle de mon corps, de mes plaisirs, de mes habits, de tous mes trésors, c'est la destruction, la pourriture, la disparition. Mais la vie de l'esprit est éternelle. Ne l'oublie pas, ô mon âme, et ne t'afflige pas de perdre ce qui est temporel et périssable, mais songe sans cesse à ce qui est éternel et impérissable, à Dieu, à ses commandements et au devoir de leur obéir, à l'union de l'amour, à l'état de paix, à la patience, à l'abstinence, à la chasteté, à la privation de tout bien excepté de Dieu seul, à l'abnégation, au détachement de toutes les beautés terrestres, de tous les plaisirs terrestres; enfin pense à la recherche du seul bien indispensable; fuis le mal et n'envie pas ceux qui commettent des iniquités. Ils n'ont qu'à rester au milieu de ces ordures, laisse-les faire...

- Dieu a si sagement organisé le monde, que tout ici-bas est précédé ou suivi de son contraire; par exemple le déshonneur et l'honneur, la pauvreté et la richesse, la santé et la maladie. Avant de donner la richesse, le Seigneur éprouve souvent l'homme par une extrême pauvreté, et ceux qui sont riches en les privant de leurs richesses. Il fait souvent éprouver le déshonneur avant l'honneur, et il fait subir l'humiliation à ceux qui jouissaient des honneurs. Il veut par là nous apprendre à apprécier les dons qu'Il nous accorde, afin que nous ne nous enorgueillissions pas dans le bonheur, sachant que le bonheur vient de Dieu et que nous ne le méritons pas.

- Notre vie d'ici-bas est un exil : Le Seigneur mit l'homme hors du jardin de délices (Luc VI,27-28), dit la Bible. Aussi devons-nous, de toutes nos forces, au moyen de la pénitence et des oeuvres dignes de pénitence, aspirer à notre patrie : Seigneur, rendez-moi la patrie désirée, faites que je puisse habiter de nouveau le paradis Gen 3,23). Notre vie d'ici-bas est une vie étroite, une vie de douleurs, de privations et d'infirmités. Plus cette voie est étroite, plus nous pouvons être sûrs que nous sommes dans la voie véritable, et plus elle est large, et plus il est évident que nous nous acheminons à la perdition. Notre vie d'ici-bas est la vie que nous menons chaque jour. C'est une guerre cruelle et amère avec les ennemis de notre salut, surtout avec les esprits invisibles du mal, qui ne nous laissent pas un seul jour de repos, mais nous entourent constamment de leurs maléfices, allument en nous les diverses passions et nous dardent de leurs aiguillons douloureux. N'oubliez donc pas cette guerre incessante à laquelle nous sommes en butte; elle ne nous laisse pas le loisir de nous reposer, de nous divertir et de nous distraire en cette vie, qui est destinée à nous préparer à la vie à venir. Nous ne devons pas songer à toutes ces futilités, ni lorsque nous sommes éprouvés par le malheur, ni lorsqu'il nous paraît que nous sommes parfaitement tranquilles et heureux, par exemple lorsque nous sommes au théâtre ou en soirée, vêtus de superbes toilettes ou couverts de bijoux, lorsque nous goûtons les plaisirs de la table ou que nous nous laissons emporter par le tourbillon de la danse; lorsque nous nous promenons dans des voitures élégantes, etc. Au milieu de tous ces plaisirs mondains un malheur immense plane sur vous par cela seul que vous êtes homme : vous êtes un pécheur, vous êtes un ennemi de Dieu, vous êtes en danger de perdre la vie éternelle, surtout si vous menez une vie dissipée, si vous ne faites aucune oeuvre de pénitence. Le courroux de Dieu vous menace, surtout si vous n'implorez pas sa Miséricorde par la prière et le repentir. Ce n'est donc pas aux plaisirs, mais aux larmes que vous devez songer. Les plaisirs ne doivent pas être fréquents et ceux que vous devez préférer, ce sont ceux que la foi vous offre dans les solennités de la religion.

- Pourquoi le Seigneur prolonge-t-il notre existence de jour en jour, d'année en année ? Il la prolonge pour que nous puissions arracher et jeter loin de nous le mal qui règne dans notre âme et conquérir la sainte simplicité des enfants de Dieu, pour que nous devenions, pour ainsi dire, doux comme des agneaux, simples comme des enfants, pour que nous apprenions à nous défaire de tout attachement terrestre, à nous attacher uniquement à Dieu et à l'aimer de tout notre coeur, de toute notre âme, de toutes nos forces, de toutes nos pensées, et notre prochain comme nous-mêmes. Hâtons-nous donc, par une sincère et ardente prière, d'implorer du Seigneur la simplicité du coeur, et faisons tous nos efforts pour détruire en nous tous nos mauvais penchants, tels que le soupçon suggère par la malice, la malveillance, la joie de voir le malheur d'autrui, la colère, la fierté, l'orgueil, la vantardise, le mépris, l'impatience, le découragement, la désespérance, la susceptibilité et l'emportement, l'appréhension et la pusillanimité, l'envie, l'avarice, la gourmandise et le dégoût, la fornication en pensée ou de fait, la cupidité et en général la passion des richesses, la paresse, la désobéissance et toute l'obscure légion de nos péchés. O Seigneur ! nous ne pouvons rien faire sans Vous. Bénissez-nous, afin que nous fassions le bien, et donnez-nous la force de vaincre nos ennemis et nos passions. Amen.

CHAPITRE 2

DE LA PRIÈRE

§ 1er. - DE L'ESPRIT DE LA PRIÈRE

La prière, c'est l'élévation de l'esprit et du coeur vers Dieu. D'où il suit que ceux dont l'intelligence et le coeur sont trop attachés aux choses terrestres, comme l'argent, les honneurs, ou adonnés aux passions telles que la haine ou l'envie, ceux-là ne sont pas capables de prier; car les passions en général captivent le coeur, autant que Dieu le dilate et lui donne la vraie liberté.

- Lorsqu'un homme mauvais s'adresse à un homme de bien pour le prier de lui venir en aide, il fait tout son possible pour lui ressembler en apparence, afin que sa demande soit couronnée de succès. Il faut qu'il en soit de même lorsqu'il adresse sa prière au Seigneur, ou à sa très pure Mère, ou aux anges, ou aux saints. Pour que notre prière soit exaucée, il faut tâcher de ressembler autant que possible au Seigneur, ou à sa très pure Mère, ou aux anges, ou aux saints. C'est là qu'est le secret de notre rapprochement de Dieu et du prompt succès de nos prières.

- Il y a des gens qui disent : Nous nous lassons bien vite de prier. Et pourquoi ? Parce que vous ne vous représentez pas vivement le Seigneur comme étant toujours auprès de vous. Contemplez-Le continuellement des yeux de la foi, et vous passerez alors toute une nuit à prier sans éprouver la moindre fatigue. Que dis-je, une nuit ! Vous resterez trois jours et trois nuits à prier et vous ne serez pas fatigué. Rappelez-vous les stylites. Ils sont restes des années entières en état de prière sur une colonne et triomphaient de la chair qui, chez eux aussi, comme chez nous, était sujette à la paresse. Et vous, vous trouverez pénible quelques heures, que dis-je, une petite heure de prière en commun avec vos frères !

- Dans la prière qui contient une demande, l'essentiel, c'est la foi en Dieu, un désir sincère et ferme d'obtenir les biens que nous demandons, ainsi que le désir de ne plus retomber dans les péchés dont nous nous repentons. Or, souvent ce désir est sur nos lèvres et dans notre pensée, mais notre coeur reste insensible; ou, autrement dit, nous nous détournons du péché dans nos paroles, mais le coeur ne le fait pas et nous continuons à persévérer dans les péchés, dont nous demandons à être délivrés. C'est ainsi que la prophétie d'Isaïe s'accomplit sur nous : Ce peuple M'honore du bout de ses lèvres, et son coeur est loin de Moi. (Is 29,13).

- Notre Père, qui êtes aux cieux ! Quel sublime, émouvant et religieux spectacle, lorsque nous entendons dans une réunion nombreuse à l'église, ou dans un cercle de famille, ou dans une réunion d'élèves ou de militaires, ces paroles prononcées du fond de l'âme et sortant, on le dirait, véritablement d'un seul coeur et d'une seule bouche ! Quel sublime spectacle, lorsque nous voyons que ces paroles se réalisent dans la vie même des hommes ! Et en vérité, elles se réalisent quand chacun a pour les autres un sentiment d'amour fraternel; que tous vivent en paix, les cadets obéissant à leurs ainés, ceux qui ont moins d'esprit à ceux qui en ont plus, rendant l'un à l'autre ce qui leur est dû, se respectant mutuellement, et toujours prêts à céder l'un à l'autre quand il s'agit d'honneur et de préséance : Prévenez-vous par des témoignages d'honneur. (Rom 12,10). Quel spectacle véritablement céleste, lorsque les membres nombreux d'une famille, en se mettant à table, répètent tous de la bouche et du coeur : Notre Père ! confessant le seul Père céleste comme leur très saint Maître, désirant que sa Volonté soit uniquement faite sur la terre et le considérant comme celui qui seul nourrit toutes les créatures ! Quel spectacle imposant lorsque le maître de la maison attribue tout ce dont il dispose en fait de nourriture et de boisson non à lui-même, mais à Dieu; lorsque, regardant les dons de Dieu comme appartenant à tous, il estime le moindre comme son égal et se croit l'obligé de celui qui lui fait l'honneur de s'asseoir à sa table ! Mais quel saisissant et émouvant spectacle se produirait, si toute la terre, tous les peuples, de leurs bouches et de leurs coeurs unis, s'écriaient, les regards tournés au ciel : Notre Père ! qui êtes aux cieux ! que votre nom soit sanctifié - en nous tous ! Que votre règne arrive, tel qu'il était au commencement, avant le péché; que votre Volonté clémente et parfaite soit faite sur la terre éternellement, comme elle se fait au ciel, et que l'abus de liberté disparaisse ! Donnez-nous aujourd'hui notre pain de chaque jour, pardonnez-nous nos offences, etc. Oh ! si tous les hommes avaient ces mêmes pensées et ces mêmes désirs ! Mais il en sera ainsi un jour : Oui, ce jour viendra où tout le genre humain ne formera qu'un seul troupeau, où il n'y aura qu'un bercail et qu'un Pasteur. (Jn 10,16).

- Moyen de réussir dans une bonne oeuvre. - Lorsque tu fais ta prière du soir ou du matin, demande-toi bien ce que tu as à faire pour accomplir cette oeuvre et désire sincèrement d'en venir à bout pour la gloire de Dieu. Le Seigneur et sa très pure Mère éclaireront ton esprit, inspireront à ton coeur une pensée lumineuse qui te fera voir comment tu dois agir pour l'accomplir. Si tu veux par exemple écrire un discours ou un sermon et ne sais quel sujet choisir dans ton coeur en ce moment aride et privé des eaux vives de la grâce, penses-y bien sincèrement pendant ta prière et le Seigneur, ainsi que sa très pure Mère te montreront clairement le sujet que tu dois prendre avec tous ses détails, au point que ton coeur soudainement éclairé verra nettement tous les côtes du sujet que tu auras à traiter.

- Lorsque tu vois que ton prochain a des défauts et des passions, prie pour lui. Prie pour chacun, même pour tes ennemis. Si tu vois que ton frère est fier et acariâtre, qu'il se comporte envers toi ou envers les autres avec orgueil, prie pour lui, afin que Dieu éclaire sa raison et rechauffe son coeur du feu de sa grâce. Dis : "Seigneur, enseignez à votrc serviteur tombé dans l'orgueil du démon la douceur et l'humilité, et bannissez de son coeur l'obscurité et le fardeau de l'orgueil satanique !" - Si tu vois qu'il est méchant, prie ainsi : "Seigneur, faites que votre serviteur devienne bon, par l'effet de votre grâce !" - S'il est avide d'argent et cupide, dis : "Ô notre trésor impérissable, ô notre richesse inépuisable, faites que votre serviteur que vous avez créé à votre image et à votre ressemblance, comprenne le mensonge trompeur de la richesse et sache que tout ce qui est terrestre n'est que vanité, ombre et rêve, que la vie de chaque homme n'est qu'une herbe éphémère, une toile d'araignée, et que vous seul êtes notre richesse, notre paix et notre joie !" -Si tu vois un envieux, prie de la manière suivante : "Seigneur, éclairez la raison et le coeur de votre serviteur en lui apprenant les dons sublimes innombrables et ineffables qu'il a reçus de votre inépuisable Générosité. Dans l'aveuglement de sa passion il vous a oublié, ainsi que vos dons précieux, et se croit pauvre, étant même au sein de l'abondance dont vous l'avez comblé, et il regarde d'un oeil d'envie les biens qui appartiennent à vos serviteurs et dont, ô bienfaiteur inexprimable, vous nous comblez tous, chacun selon nos forces et selon les vues de votre Volonté. Ôtez, ô Seigneur très miséricordieux, le voile du démon des yeux du coeur de votre serviteur et accordez-lui la componction et les larmes du repentir et de la reconnaissance, afin que l'ennemi ne se réjouisse pas de s'être emparé de lui pour le détourner de votre Volonté." - Si tu vois un homme ivre, dis du fond du coeur : "Seigneur, jetez un regard de bonté sur votre serviteur, séduit par les désirs de ses entrailles et de la jouissance charnelle, faites-lui connaître la douceur de la sobriété et de l'abstinence ainsi que celle des fruits spirituels qu'elles apportent." - Lorsque tu vois quelqu'un qui est adonné à la bonne chère et en fait son unique bonheur, dis : "Seigneur, vous êtes notre meilleur régal, le régal à jamais impérissable et qui donne la vie éternelle ! Purifiez votre serviteur de l'impureté de la gourmandise, qui le rend entièrement charnel et étranger à votre Esprit, et faites-lui connaître la douceur de votre régal céleste et vivifiant, le régal de votre Corps et de votre Sang, ainsi que celui de votre sainte, vivante et agissante Parole." - Prie en ces termes ou autres pareils pour tous les coupables et ne te permets pas de mépriser qui que ce soit pour son péché ou de te venger de lui, car tu n'aurais fait par là qu'augmenter la plaie qui le ronge. Au contraire, corrige-le à force de conseils, de menaces et de punitions, combinés de façon à enrayer le mal, ou l'arrêter dans des limites modérées.

- Notre Père ! que votre règne arrive. Le Seigneur règne partout, dans tout le monde visible. Il règne dans tous les coeurs des anges; il règne aussi par sa puissance infinie et par sa justice sur les esprits du mal et sur les hommes adonnés au mal et à l'injustice. Les premiers sont par sa Volonté suprême enchaînés d'éternels liens et plongés dans les ténèbres jusqu'au jour du jugement, et les seconds sont condamnés à subir diverses punitions sur cette terre en attendant d'en subir encore dans l'éternité au milieu du feu inextinguible. Mais, comme il est la Verité, Il ne règne pas par sa Vérité ni dans les démons, ni dans les hommes du mal, ni dans les injustes, parce qu'ils renferment le mensonge. Il ne règne pas en eux par l'amour, parce qu'ils renferment la méchanceté. Il ne règne pas non plus dans les impies ni par la foi, ni par l'espérance et l'amour, ni par l'esprit d'obéissance absolue à ses lois : Mais pourquoi m'appelez-vous Seigneur, Seigneur, et ne faites-vous pas ce que Je dis ? (Luc 6,46). Si vous m'aimez gardez mes commandements. (Jn 14,15). Dieu règne sur moi, sur le moindre mouvement de mon âme et de mon corps, par exemple sur ma parole. Il règne sur mon corps et le fait obéir à ses lois pour tout ce qui concerne la nourriture, le repos, le sommeil, l'accroissement, le mouvement. Il règne sur mon âme par la pensée et la parole qui se produisent d'après ses lois. Mais Il ne règne pas toujours dans mon coeur, dans mes inclinations intimes et dans ma liberté. Je suis souvent enclin au mal et je commets le mal au lieu de faire le bien. Je m'oppose souvent au Seigneur et à ses lois. Je manque souvent de foi, je suis incrédule, égoïste, orgueilleux, je méprise les autres, je leur porte envie, j'ouvre mon âme à l'avarice, à la cupidité, à la soif de l'argent, à la sensualité; je remplis tous les désirs de ma chair coupable; je suis ambitieux, impatient, irascible, paresseux, je fais peu de bien, et s'il m'arrive d'en faire quelquefois, c'est grâce moins à ma volonté qu'à des circonstances étrangères à ma volonté et à mon coeur; je ne compatis pas aux souffrances de mes semblables, qui sont comme moi membres d'un seul et même corps, c'est-à-dire de l'Église. En un mot, le Seigneur ne règne pas toujours en moi ni par mes pensées, ni par mes sentiments, ni par mes actions dans le domaine de la foi, de l'espérance et de l'amour.

- Rappelez-vous, au milieu de toutes vos affaires, de toutes vos occupations particulières ou officielles, que votre force, votre lumière, votre succès se trouve dans Jésus Christ et dans sa croix. C'est pourquoi n'oubliez jamais d'invoquer le Seigneur. En commençant n'importe quelle chose, dites : Jésus, prêtez-moi votre appui ! Jésus, éclairez-moi! - Vous soutiendrez et vous réchaufferez par là votre foi et votre espérance en Jésus Christ, dont la force et la gloire réside dans les siècles des siècles.

§ 2. - DES QUALITÉS DE LA PRIÈRE

- Une prière sincère peut nous faire obtenir de la Bonté et de la Mansuetude de Dieu tous les biens spirituels, de même que les biens matériels qui nous sont indispensables, pourvu que nous les désirions du fond du coeur et que notre prière soit ardente. Quelles prières sublimes nous dicte à cet effet la sainte Église ! Des prières qui sont bien faites pour disposer le Seigneur à nous accorder tout ce que nous Lui demandons. L'ennemi qui connaît la Bonté de Dieu et la force de la prière fait tout son possible pour nous en détourner. Tantôt, à l'heure de la prière il nous suggère la distraction ou soulève nos passions et nos convoitises; tantôt il nous inspire l'idée de nous hâter, et ainsi de suite.

La prière qui se fait par contrainte engendre la bigoterie, rend l'homme incapable de s'occuper de choses où la réflexion est nécessaire. Elle le remplit de mauvaise volonté même pour les fonctions dont il est investi. Pour éviter ce malheur de la bigoterie pharisaïque, il faut prier de bonne volonté, avec énergie, avec coeur. Garde-toi de prier le Seigneur ni à cause du chagrin, ni à cause de la nécessite (c'est-à-dire par contrainte) : car Dieu aime celui qui donne avec joie. (2 Cor 9,7) .

Il n'y a rien d'impossible pour un homme qui croit. Une foi vive et inébranlable peut opérer de grands miracles. Cependant il y a des miracles qui se font indépendamment d'une ferme et sincère foi de notre part; tels sont les miracles des sacrements, même si nous sommes incrédules ou infidèles en les célébrant ou les administrant : notre incrédulité anéantira-t-elle la Fidélité de Dieu ? (Rom 3,3). Notre méchanceté ne peut pas diminuer la Clémence et la Miséricorde inénarrable de Dieu; notre ignorance ne peut pas affaiblir sa suprême sagesse, de même que notre faiblesse n'est pas capable d'amoindrir sa toute-puissance.

- Lorsque tu récites tes prières, surtout d'après un livre, ne te hâte pas de les réciter sans te pénétrer de la vérité de toutes les paroles qu'elles renferment et que tu prononces et mets-les avant tout dans ton coeur. Tâche de faire tout ton possible pour arriver à ressentir sincèrement la vérité de ce que lu dis. Ton coeur pousse tantôt par la paresse et par l'indifférence, tantôt par le doute et l'incrédulité, tantôt par la distraction et par le souci des objets et des soins terrestres, tantôt par le souvenir d'une offense survenue de la part de quelqu'un et par le désir de la venger, tantôt par l'idée des plaisirs mondains ou du charme éprouvé à la lecture d'un roman et autres livres pareils, - ton coeur, dis-je, pourra contrarier l'efficacité de ta prière. Rends-toi maître de ton coeur, donne-le généreusement à Dieu, comme une offrande agréable au Seigneur : mon fiIs, donne-moi ton coeur. (Prov 23,26). Et alors ta prière te rapprochera de Dieu, t'unira à Lui et au ciel entier, et te remplira de l'Esprit divin et des fruits qu'il apporte, tels que la vérité, la paix, la joie, la douceur, la patience, la tendresse du coeur. Il se peut pourtant qu'il te tarde de terminer ta prière pour donner le repos à ton corps fatigue ? Fais que ta prière soit sincère et tu t'endormiras d'un sommeil doux, tranquille et réconfortant. Ne te hâte donc pas de la faire tant bien que mal. Une demi-heure que tu y consacres te fera gagner trois heures du sommeil le plus d'aller à ton emploi ou à ton travail, lève-toi de meilleure heure, ne dors pas longtemps et fais tout de même une fervente prière : tu te sentiras tranquille, énergique, et tout ce que tu entreprendras dans la journée sera couronné de succès. Ton coeur éprouve-t-il le désir de se livrer à la vanité mondaine ? Brise ce désir et que son trésor soit non la vanité, mais Dieu. Apprends à ton coeur, avant tout, à s'attacher à l'Éternel par la prière et non à la vanité du monde, afin que tu ne sois pas livré à la honte aux jours de ta maladie et à l'heure de ta mort : tout riche que tu puisses être aux yeux du monde, tu te présenterais à Dieu pauvre de foi, d'espérance et d'amour. Si tu ne pries pas comme je viens de le dire, ta vie manquera de perfection, car tu ne pourras pas acquérir la foi cet l'entendement spirituel.

- Nous voyons parfois quelqu'un avoir l'air de prier, mais ne faire par là que travailler pour le démon caché dans son coeur, parce qu'il ne prie que de la bouche, tandis que son coeur reste froid, et éloigné du Seigneur, sans ressentir, sans désirer ce que la bouche demande et profère. Il y a de même beaucoup de communiants, qui communient peu sincèrement, sans apporter au pied de l'autel tout l'amour dont ils devraient être pénétrés, mais venant communier de la bouche seule, lorsqu'ils ont dans le coeur l'incrédulité, l'indifférence, la passion du boire et du manger, l'amour de l'argent, l'orgueil, la colère, l'envie, la paresse, et que ce coeur est bien loin de Celui qui est tout amour, toute sainteté, toute perfection, toute sagesse et toute bonté. De pareils hommes doivent examiner leur conscience, se repentir sincèrement, et se rendre bien compte de l'importance de la prière en général et de la communion en particulier. L'indifférence envers Dieu et la froideur dans la prière viennent du démon, c'est de lui que vient ce froid glacial des âmes. Quant a nous, aimons le Seigneur ardemment, aimons-Le autant que doivent l'aimer ses enfants. Donnez-nous cet amour, ô Seigneur, car sans vous, nous ne pouvons rien faire. (Jn 15,5). Vous êtes pour nous tout, et nous, nous ne sommes rien. Vous nous avez appelé du néant à l'existence, et c'est Vous qui nous donnez tout.

- Observe comme règle dans la prière qu'il vaut mieux dire cinq mots qui partent du coeur que d'en dire une infinité qui ne seraient profèrés que des lèvres. Si tu remarques que ton coeur est froid, que tu n'es pas disposé à prier, arrête-toi; dispose ton coeur à prier par une pensée touchante quelconque, par exemple par la pensée de ton iniquité, de ta pauvreté spirituelle, de la misère et de la pauvreté de ton âme, ou en pensant aux immenses et incessants bienfaits dont Dieu te comble et qu'il prodigue à tout le genre humain, mais surtout aux chrétiens : Commence alors ta prière sans te hâter et avec un sentiment sincère. Si tu n'arrives pas à réciter toutes tes prières en un temps donné, ne t'en désole pas, car une seule prière dite lentement et avec ferveur est infiniment plus utile que si tu récitais toutes tes prières, mais vite et sans attention. J'aimerais mieux ne dire dans l'église que cinq paroles dont j'aurais l'intelligence que d'en prononcer dix mille inconnues. (1 Cor 14,19). Sans doute, il serait bon si nous pouvions en priant prononcer dix mille paroles avec ferveur. Le Seigneur tient compte aussi des heures de labeur qui lui sont consacrées et de l'intensité du labeur; il les pèse, et c'est selon la quantité de paroles sincères dites dans notre prière qu'il nous envoie la quantité de lumière et de chaleur spirituelle de paix et de joie que notre âme demande. C'est bien si l'on peut prier longtemps et souvent; mais tous n'entendent pas, mais ceux à qui il est donné; que celui qui peut entendre entende. (Mt 19,12). Ceux qui ne peuvent pas faire une longue prière feront mieux de prier moins longtemps, mais avec toute l'ardeur de leur âme.

- Te voilà à ta prière. Tu pries avec recueillement et ferveur, tu ressens intérieurement quelque chose qui te dit que le Seigneur t'entend et t'accueille favorablement. Tes pensées abondent de paix, ton coeur est tranquille et joyeux. Subitement, vers la fin de ta prière, tu faiblis, la paix disparaît, ton coeur se refroidit, ta pensée sommeille, et tu te sens sous le poids d'un énorme fardeau qui oppresse ton coeur. Tu éprouves une peine énorme, une sorte de répulsion même pour la prière, au lieu de la facilité et de la disposition que tu avais pour elle auparavant. Ne te laisse pas abattre; par ce changement mon ami, ce sont les embûches de l'ennemi, qui aime à se jouer de nous, surtout lorsque nous sommes sur le point de terminer nos pieuses occupations. Il veut nous faire tomber dans le découragement et nous faire croire que toute notre persévérance à poursuivre notre sainte oeuvre n'a abouti à rien. Apprends par là à ne pas laisser faiblir ton esprit, ne fût-ce que pour un instant pendant la prière; apprends à prier en esprit et en vérité, sans défaillir, sans te permettre aucune supercherie envers le Seigneur, c'est-à-dire à ne pas prononcer un seul mot dissimule ou hypocrite, mais à faire en sorte que toute ta prière ne soit que l'expression de la vérité, l'interprète du saint Esprit, et qu'aucune de tes paroles ne serve au mensonge de l'ennemi et ne devienne l'organe du démon. Si ce malheur t'arrivait, tu sentirais comme un feu infernal brûler ton coeur. Oh ! alors prie sincèrement le Seigneur de t'en délivrer et reconnais devant Lui du fond de ton coeur ta faute, c'est-à-dire ton hypocrisie durant la prière. Tu verras que le soulagement et la paix ne tarderont pas à se produire en toi. Ne te presse pas, dis tout et fais tout tranquillement; tu en auras le temps. C'est l'ennemi qui presse et qui trouble, car la précipitation est toujours troublante et ne mène à rien de bon.

Si tu veux, dans ta prière, demander quelque grâce à Dieu, prépare-toi d'abord à ressentir une foi ferme et inébranlable, et prends toutes les précautions pour écarter le doute et le manque de foi. Il va de soi que la foi aussi parfaite que possible est la condition sine qua non d'une bonne prière. En effet, sans la foi, il serait insensé de s'attendre à recevoir de Dieu ce que tu Lui demandes. Une telle manière de demander est une véritable offense envers Dieu, car c'est L'offenser que douter de Lui et Il ne prodigue pas ses dons à ceux qui L'injurient. Le Seigneur dit : Tout ce que vous demanderez dans la prière avec foi, vous le recevrez. (\Mt 21,22). Ce qui veut dire : si vous demandez sans croire ou avec doute, vous ne recevrez pas. Si vous aviez la foi, dit-il encore, et si vous ne doutiez pas, vous diriez à cette montagne d'aller se jeter dans la mer et la montagne vous obéirait ! (Mt 21, 21.) Cela veut dire que si vous ne croyez pas absolument et si vous donnez au doute le moindre accès dans votre âme, vous ne serez pas en état de faire le prodige. Demandez donc avec foi, sans le moindre nuage de doute, dit l'apôtre Jacques. Que celui qui doute ne s'attende pas a recevoir quelque chose du Seigneur. L'homme dont le coeur est partagé est inconstant dans toutes ses voies. Le coeur qui doute que Dieu puisse lui donner ce que nous lui demandons, est puni pour avoir douté par une angoisse douloureuse. N'offense donc pas Dieu, ton Maître suprême, par l'ombre même d'un doute et surtout toi qui as eu personnellement des preuves innombrables de la toute Puissance de Dieu ! Le doute est un blasphème envers Dieu, un audacieux mensonge du coeur ou de l'esprit mauvais que le démon glisse en nous contre l'Esprit de vérité. Crains-le comme un serpent venimeux; mais que dis-je ! non, méprise-le, ne fais pas attention à lui. Rappelle-toi dans ta prière que Dieu attend ta réponse affirmative à cette question qu'il adresse à ton coeur : Crois-tu que je puis le faire ? Et tu dois répondre du fond de ton coeur : Oui, Seigneur, je le crois (cf. Mt 9,28). Tu recevras alors selon ta toi. La réflexion suivante pourra t'aider à dissiper ton doute : Je demande à Dieu 1° un bien non pas imaginaire ou fantastique, mais un bien réel; or, tout ce qui est réel, tout ce qui existe a revu son existence de Dieu, car rien de ce qui a été fait n'a été fait sans Lui. (Jn 1,3.) Ce qui veut dire que rien de ce qui se fait ne se fait sans Lui, mais que tout a reçu son existence de Lui, ou, en d'autres termes, existe d'après sa Volonté et se produit par les forces et les aptitudes dont il a doué ses créatures. Donc, au-dessus de tout ce qui est ou qui se produit, il y a le Seigneur, c'est-à-dire Celui qui est le Maître absolu. En outre, Il appelle ce qui n'est point comme ce qui est. (Rom 4,7). Cela veut dire que si je demandais une chose qui n'existe pas, Il pourrait la créer exprès pour me la donner;

20° Je demande une chose possible; or Dieu peut tout, et ce qui nous paraît même impossible est possible pour Lui. Donc, de ce coté non plus, il n'y a pas d'obstacle, car Dieu peut faire pour moi ce qui me semble impossible. Ce qui fait notre malheur, c'est que notre raison à vue courte veut se mêler de notre foi, et que cette araignée veut saisir la vérité dans le filet de ses théories, de ses déductions et de ses analogies. La foi embrasse du regard et voit instantanément, tandis que la raison arrive à la vérité par des voies détournées...

Un moyen efficace d'être agréable à Dieu, c'est I'avoir, par amour pour Lui, une indifférence complète pour notre corps, par exemple : lorsque pendant notre prière, malgré une paresse et une envie de dormir qui nous prend, nous ne cédons pas et nous obligeons nos lèvres et notre coeur à prier, nous prouvons par là notre indifférence pour notre corps. Cette indifférence dans toute sa grandeur a été le privilège des martyrs et des ascètes.

Tâchez d'arriver à ressentir, mais à ressentir sincèrement, le besoin d'obtenir ce que vous demandez dans votre prière, pénétrez-vous d'une croyance sincère que tout don est un bienfait, que tout don est parfait, qu'il vient de Dieu et non des hommes, non du hasard, non des circonstances, ni de la destinée non plus. Croyez fermement que le Seigneur voit et entend chaque besoin, chaque mouvement de votre coeur et de vos pensées, qu'Il est souverainement clément, puissant et sage, qu'Il peut, sans la moindre difficulté, tout faire pour vous, en un instant, par le seul mouvement de sa Pensée, par son Fils en son Esprit saint, - et vous obtiendrez tout. Car s'il y a beaucoup de choses impossibles aux hommes, il n'en existe pas pour Dieu: tout est possible a Dieu. (Luc 18,27).

Pendant ta prière, sois semblable à un enfant qui balbutie, en te confondant dans un même esprit avec l'esprit de la prière que tu récites. Considère-toi comme un néant. Quant à la prière, envisage-la comme un don sublime de Dieu. Renonce entièrement à tes connaissances naturelles et ne leur obéis pas, car la science enfle, (1 Cor 8,1) fait naître le doute, l'illusion, le blasphème. Si pendant ou en dehors de la prière l'ennemi remplit ton âme de blasphèmes ou d'abominations quelconques, ne te laisse pas abattre, mais dis avec fermeté en toi-même : c'est pour nous purifier de ces mêmes péchés ou d'autres péchés semblables que notre Seigneur Jésus Christ est venu sur la terre; c'est pour nous secourir dans ces mêmes faiblesses ou d'autres faiblesses pareilles que le très miséricordieux Sauveur est venu. Et dès que tu auras prononce avec foi ces paroles, ton coeur deviendra tranquille à l'instant, car le Seigneur aura purifié ton coeur. En général, il ne faut jamais se décourager à cause d'un péché quelconque... mais il faut placer son espérance dans notre Sauveur. Ô Bonté sans borne du Coeur divin ! ô fonction sublime de l'Homme-Dieu au service de l'homme pécheur ! et cette fonction, ce service, notre Seigneur les continue jusqu'aujourd'hui, et avec quel amour Il les remplit en nous purifiant, en nous sauvant ! Que la puissance de l'ennemi soit donc confondue !

§ 3. - DES OBSTACLES À LA PRIÈRE

        Il nous arrive quelquefois, à l'église ou chez nous de ressentir pendant la prière une si grande faiblesse d'esprit et de corps que notre âme devient impuissante, froide et stérile, à l'instar d'un temple païen. Mais dès que nous faisons un effort pour prier Dieu sincèrement, dès que nos pensées et notre coeur se tournent vers Lui avec une foi ardente, notre âme se ranime, se réchauffe et redevient féconde à l'instant. Oh ! alors, quelle tranquillité subite, quelle légèreté, quel attendrissement, quel feu sacré intérieur, quelles chaudes larmes de repentir, quel sincère regret d'avoir offensé notre Seigneur très clément, quelle lumière dans le coeur et dans l'intelligence, quel torrent abondant d'eau vive surgit dans notre coeur et coule librement de notre bouche ou de notre plume ! Le désert de l'âme se revêt de fleurs pareilles au lis avec la venue du Seigneur dans le coeur. Ah ! pourquoi n'élevons-nous pas plus souvent nos coeurs vers le Seigneur ! Que de paix et de consolation Il nous réserve toujours ! Qu'ils sont grands, les biens que vous avez réservés à ceux qui vous craignent ! (Ps 30,20).

L'homme, même pendant la prière, n'est pas entièrement libre et dégagé des soucis et des soins vulgaires de ce monde. Tous les hommes en sont là, tous et même le prêtre. Y en a-t-il beaucoup qui prient avec un coeur libre, tout à Dieu, avec une foi ardente et avec amour ?

Souvent, au cours de notre prière, nous avons des moments ou l'obscurité et l'angoisse pèsent sur notre âme. Ces moments proviennent de l'incrédulité mère des ténèbres. Ne te décourage pas en de pareils moments, mais rappelle-toi que si la lumière divine s'est éteinte pour toi, elle brille de tout son éclat et de toute sa splendeur dans Dieu, dans son Église céleste et terrestre et dans tout l'univers matériel où nous vivons, où éclate son éternelle Puissance et sa Divinité. (Rom. 1,20). Ne pense pas que la vérité ait perdu sa force; cela ne saurait arriver, puisque la vérité, c'est Dieu même. Tout ce qui existe en Dieu, a son fondement et sa raison d'être; seul, ton coeur faible, coupable et enténébré, défaille en face de la vérité dont il ne peut soutenir l'éclat et la pureté à cause de ses péchés qui l'obscurcissent et l'empêchent d'en refléter les rayons. Telle est la première cause de l'obscurité de l'âme. Pour en trouver la preuve, tu n'as qu'à regarder en toi-même. Quand la lumière divine réside dans ton coeur, il est paisible, ferme, fort, vigoureux; mais dès qu'elle s'éteint, ton coeur devient trouble et faible comme un roseau secoué par le vent; alors il est, pour ainsi dire, privé de vie. N'attache pas d'importance à ces ténèbres qui sont l'oeuvre de Satan. Fais le signe de la croix et elles seront dissipées !

Ne néglige pas la prière, si même tu avais passé toute la journée à travailler. Ne pense pas à la fatigue une fois que tu as commencé à prier; dis avec ferveur au Seigneur tout ce que tu veux Lui demander, et considère ta prière comme une oeuvre obligatoire prescrite par Dieu. Il y a un proverbe russe qui dit : "La besogne une fois entamée, ne dis pas que tu n'en peux plus." L'Évangile exprime la même idée en disant : celui qui met la main à la charrue ne doit pas regarder derrière soi. (cf. Luc 9,62). S'il t'arrive le soir de faire ta prière d'un coeur distrait, si tu n'y mets pas toute la force de ton âme, il t'arrivera souvent de ne pas pouvoir t'endormir jusqu'à ce que tu aies, à force de larmes, expie ta faute devant le Seigneur. Sans doute ces scrupules n'arrivent pas au plus grand nombre, mais ils sont fréquents chez ceux qui ont acquis un certain degré de perfection dans la vie spirituelle. Garde-toi donc bien de mettre ta chair au-dessus de Dieu, et méprise, pour Le servir, le repos même de ton corps . Quel que soit le nombre de prières que tu te proposes de réciter, dis-les consciencieusement et en entier, sans laisser ton attention et ton coeur se partager de sorte qu'une partie se porte vers Dieu et l'autre vers les convoitises de la chair. La Justice du Seigneur ne souffrira pas ta malice; elle te livrera au démon, et le démon ne laissera pas ton coeur tranquille pour avoir dédaigné Celui qui est la véritable paix de ton coeur et qui Le sera toujours pour ton propre bien. Ton coeur ne doit jamais s'éloigner de Dieu dans la prière, car toute prière qui n'est pas sincère, éloigne notre coeur de Dieu et excite son Courroux. Au contraire, une prière sincère rapproche notre coeur de Dieu et nous met au nombre de ses fidèles enfants. Crois à ces paroles et sois bien sûr que si tu fais ta prière à la hâte pour laisser plus vite ton corps goûter les douceurs du repos, tu perdras à la fois et le repos du corps et celui de l'âme. Ah ! qu'il nous en coûte de fatigues, de sueur et de larmes pour que notre coeur se rapproche de Dieu ! Eh bien ! après avoir fait tant d'efforts, permettrons-nous à un moment d'oubli de nous replonger dans un état où la prière ne nous servirait qu'à nous éloigner de Dieu ? oh ! non; le Seigneur aura pitié de nous et des efforts que nous faisons pour obtenir sa pitié. C'est pourquoi Il veut que nous revenions à Lui de tout notre coeur et que nous ne L'abandonnions jamais.

§ 4. DE L'ACTION DE GRACES

     Notre âme est involontairement portée à glorifier Dieu quand nous contemplons le ciel étoilé; mais elle y est encore plus portée lorsque nous songeons à tout ce que la Providence divine fait pour l'humanité, lorsque nous nous rappelons l'amour infini de Dieu pour les hommes, les moyens dont Dieu use pour leur faire obtenir la félicité éternelle, au point qu'Il n'a pas épargné son Fils unique pour nous sauver et nous mériter le royaume des cieux. Il est impossible de ne pas glorifier Dieu, si nous songeons que dès l'origine du monde nous sommes prédestinés à la félicité éternelle, et cela vraiment sans que nous la méritions; si nous reconnaissons que pendant toute notre vie nous recevons de Dieu la grâce pour travailler à notre salut, si nous pensons quel nombre infini de péchés nous sont pardonnés et cela - non une fois ou deux fois, mais continuellement, quelle abondance de dons naturels nous sont accordés, depuis la santé du corps jusqu'au souffle de l'air et jusqu'à la goutte d'eau qui tombe du ciel. Nous sommes involontairement portés à glorifier Dieu lorsque d'un oeil stupéfait nous contemplons la variété infinie de la création sur la terre dans le règne animal, dans le règne végétal et dans le règne minéral. Quelle sage organisation existe partout, dans les êtres les plus grands comme dans les plus petits ! Une glorification involontaire s'échappe du coeur et l'on s'écrie : ô Dieu, que vos oeuvres sont magnifiques; Vous avez tout accompli dans votre Sagesse. (Ps 103,24.) Gloire vous soit rendue, ô Seigneur, qui avez tout créé !

Seigneur ! que puis-je vous donner, comment puis-je vous remercier pour les faveurs immenses et incessantes dont vous me comblez, moi et tous mes semblables ? À tout moment je me sens anime par l'action de votre saint Esprit, je respire à tout moment l'air que vous avez crée, cet air qui est doux, agréable, sain et fortifiant; je m'éclaire de votre lumière spirituelle pleine de joie et de vie, ainsi que de la lumière matérielle qui est aussi votre création. Je jouis par la communion de la très douce et vivifiante nourriture du Corps et du Sang du Sauveur, et je me sustente en outre d'aliments matériels. Vous me revêtez d'un splendide vêtement royal, c'est-à-dire de vous-même, selon ces paroles : Vous tous qui avez été baptisés en Jésus Christ, vous êtes revêtus de Jésus Christ. (Gal 3,27). Vous me donnez aussi mon vêtement matériel. Vous purifiez mes péchés, vous me guérissez et me délivrez de mes nombreuses et violentes passions, vous faites disparaître ma corruption spirituelle par la puissance de votre Bonté sans borne, de votre sagesse et de votre force, vous pénétrez mon coeur de votre saint Esprit,- Esprit de sainteté et de grâce, - vous remplissez mon âme de vérité, de paix, de joie, d'espoir, de force, de courage, de hardiesse, de résistance, et vous rendez mon corps robuste et bien portant. Vous instruisez mon bras à la guerre et mes mains au combat (Ps 144,1), à ce combat éternel contre les ennemis invisibles de mon salut et de ma félicite, avec les ennemis de la sainteté et de la puissance de votre Gloire, avec les esprits abjects du mal et vous couronnez de succès toutes les oeuvres que j'entreprends en votre Nom... - Pour tant de faveurs je vous rends grâces, je glorifie et bénis votre très clémente, très grande et paternelle Puissance, ô mon Dieu, ô mon Sauveur et Bienfaiteur ! Que les autres le conçoivent aussi comme moi-même je le conçois. Ô sublime amour de l'humanité ! Qu'ils apprennent à vous connaître vous le Père de tous les hommes; qu'ils comprennent votre Bonté, votre e, votre Sagesse et votre Force et qu'ils vous rendent gloire avec le Père et le saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles. Amen.

CHAPITRE 3

DE LA SAINTE MESSE

§ 1. - DU SAINT SACRIFICE DE LA MESSE ET DE LA COMMUNION

    La Messe est la cène, la table de l'amour de Dieu pour le genre humain. Autour de l'Agneau de Dieu tous sont réunis sur la patène, les vivants et les morts, les saints et les pêcheurs, l'Église triomphante et l'Église militante.

Qu'arriverait-il de nous, ô Seigneur Jésus, qui faisiez jaillir la lumière de votre Divinité contenue dans votre très pur sacrement, lorsqu'il repose sur l'autel pendant la sainte Messe, ou lorsque votre prêtre porte la sainte custode sur la poitrine en se rendant chez un malade ou en en revenant ? Cette lumière ferait tomber par terre d'épouvante tous ceux qui se trouveraient sur son passage ou qui l'auraient seulement aperçue de leurs fenêtres, car les anges eux-mêmes se voilent de leurs ailes, en approchant de votre Gloire redoutable. Et pourtant quelle froideur voyons-nous quelquefois devant ce mystère céleste ! Avec quelle indifférence certains prêtres procèdent à la redoutable consécration du saint Sacrifice !

Vous avez écrit un livre, supposons, sur la sainte Trinité, vous le faites tirer à tant de milliers d'exemplaires. Tous ces exemplaires contiennent le même style, le même esprit, les mêmes paroles que le manuscrit. Il en est de même dans l'oblation du pain et du vin au saint sacrifice de la messe. Ce sacrifice se fait partout sur la terre, dans un nombre infini d'églises chrétiennes. La même Trinité agit sur tous nos autels, le même Jésus et son Esprit (tout comme le contenu du livre dont il est question) est dans toutes les hosties; partout la forme du sacrifice est la même. Il en résulte que le saint sacrement est comme un seul et même grand et saint livre sur l'amour du Seigneur pour le genre humain, publié à un nombre infini d'exemplaires dans le monde entier, sous une forme entièrement identique, et contenant le même esprit d'amour de Celui qui a pris sur lui les péchés du monde, c'est-à-dire l'Esprit de Jésus Christ. Faisons encore une autre comparaison : il y a une quantité innombrable d'êtres humains sur la terre ; tous ont la même forme de corps, une âme en tout pareille, douée des mêmes facultés, quoique d'une intensité diverse, et tous ces êtres portent le même nom d'homme. Tous les hommes sont comme s'ils étaient un seul; ils ont tous la même origine : d'abord Dieu le Père, son Fils et son Esprit saint, puis un seul premier couple. C'est pourquoi Dieu ordonne d'aimer notre prochain comme nous-même, c'est-à-dire comme un être dont la nature est identique avec la nôtre. Il est donc vrai que ces, millions d'hommes ne sont qu'un par la similitude de leur âme et de leur corps. Il en est de même du Seigneur dans son saint sacrement. Partout où il est offert, il renferme éternellement ce Créateur un et indivisible, qui a fait d'un seul toute la race humaine. (Ac 17,26). Par son Esprit unique qui transubstantie dans le saint sacrement le pain et le vin offerts dans toutes les églises de la terre, Il veut nous unir à Lui, malgré notre chute par le péché et notre assujétissement au démon; et, pour le faire, Il coupe et purifie en nous tout ce qui nous sépare de Lui et nous divise entre nous, afin que tous ils soient un, comme Vous, mon Père, êtes en Moi et Moi en Vous. (Jn 17) Voilà en quoi consiste le but de la communion.

Vous les connaîtrez par leurs fruits. (Mt 7,16). En goûtant le fruit de la messe, fruit savoureux, délicieux, vivifiant, le très pur saint sacrement, le Corps et le Sang du Seigneur, tu comprendras, tu avoueras qu'elle est d'origine divine, qu'elle est l'inspiration de l'Esprit de Dieu, et que ce très saint Esprit anime la vie, respire dans toutes les prières et dans tout le rite du saint Sacrifice. Quel arbre sublime et plein de sève que la messe ! Quel feuillage ! Quels fruits ! Les feuilles même ont la force de donner la vie aux populations. Car, quel est celui qui n'a pas éprouvé dans son âme les grands et bienfaisants effets d'une paix et d'une béatitude intime, rien que pour avoir assisté à la Sainte messe avec un pieux recueillement ! Or, tout ce qui produit un bon fruit doit être bon lui-même, telle est la loi de création.

Admire comme il le mérite, le plus grand des miracles de Jésus Christ, je veux dire celui qui s'accomplit quand tu reçois avec foi la communion de son saint sacrement. Les premiers résultats sensibles de ce miracle sont le soulagement évident et la résurrection de ton coeur que le péché avait tué, la disparition du trouble et de la torpeur mortelle de l'âme que nous ressentons si souvent même avant la communion. Oh prends garde que par l'effet de l'habitude, le sacrement ne devienne pour toi une chose ordinaire et insignifiante ! car la tiédeur et l'indifférence auraient pour toi des conséquences funestes. Elles t'exposeraient à la Colère de Dieu et tu ne goûterais plus après la communion la paix et la vie. Tu dois au contraire te pénétrer du sentiment de la plus vive gratitude pour le don d'une vie nouvelle que tu reçois du Seigneur, et ta foi doit s'accroître de plus en plus en raison même de ce don. Le trouble et l'anxiété ne peuvent venir que du manque de foi. Si tu les ressens pendant la communion, ils ne se produisent que pour le prouver que le manque de foi t'éloigne de la vie qui est enfermée dans le calice. N'y fais aucune attention, mais demande au Seigneur la foi qui les met en fuite. Ô foi chrétienne, foi divine, c'est toi qui nous guéris et nous sauves : Ta foi l'a guérie ! (Mc 5,34). Quel calme, quelle paix règne dans notre coeur quand nous venons de converser avec le Seigneur dans un sentiment de foi naïve et sincère ! Mais hélas ! si la foi manque, c'est le contraire qui arrive souvent, après une communion sacrilège.

Satan s'empare de notre coeur; il fait tout ses efforts pour glisser en nous le mensonge, c'est-à-dire l'incrédulité, ce synonyme du mensonge. Homicide depuis des siècles, il s'efforce de tuer les âmes par son astuce et par toute sorte de mauvaises pensées. En se glissant dans le coeur sous le masque de l'incrédulité ou de toute autre passion, il se manifeste ensuite plus violemment surtout par l'impatience et la malice. Souvent tu vois qu'il est dans ton coeur, mais tu ne peux pas l'en chasser sur le champ, car une fois entré il a soin d'en fermer toutes les issues avec la clef de l'incrédulité, de l'insensibilité et de tous les autres vilains vices qui forment son cortège. Mais c'est en vain que tu travailles en moi, chef déchu de la milice céleste ; je suis le serviteur de Jésus Christ mon Sauveur. Être orgueilleux et arrogant, tu t'abaisses par ta lutte acharnée contre moi qui suis un être, faible !

C'est ainsi que tu dois parler au méchant esprit qui assiège ton coeur et le pousse au mal. Ton apostrophe aura sur cet esprit hautain l'effet d'une verge de feu et, confondu par la fermeté et par la sagesse de ton langage, il ne tardera pas à s'enfuir. Tu te sentiras délivré à l'instant même et tu seras frappé du changement qui se produira en toi. Le fardeau mortel qui pesait sur toi aura disparu de ton coeur; ton âme se trouvera soulagée et tu resteras convaincu d'une manière pour ainsi dire palpable de l'existence des mauvais esprits qui travaillent continuellement à notre perdition, en nous inspirant des pensées obscures et méchantes, propres a empoisonner notre coeur et à détruire en lui I'amour de nos semblables.

Lorsque tu prends les saintes espèces du Corps et du Sang de notre Seigneur Jésus Christ, élève ton coeur reconnaissant vers Lui et dis : je vous rends graces, ô Seigneur, qui êtes le Pain de la vie et la source de l'immortalité, de nous avoir donné votre Corps et votre Sang pour aliment et pour boisson, afin que nous puissions être d'avance purifiés et sanctifiés sur la terre et admis dans votre royaume éternel, pour y jouir éternellement de votre contemplation et de la félicité que vous nous avez promise. Faites, Seigneur, que nos désirs ne soient pas bornés au pain et à la boisson matériels, que je ne m'attache pas à des aliments périssables, mais que je ne désire que Vous seul et non la nourriture qu'exige mon corps. Lorsque tu manges des choses qui te font plaisir, remercie le Seigneur en disant : Je vous rends grâces, ô délice éternel, incomparable, délice qui surpasse infiniment les plaisirs terrestres, charnels, grossiers, ô délice impérissable, source de vie, de sainteté, de repos suave, de paix profonde, de joie intarissable ! Je vous rends grâces de m'avoir donné ce plaisir matériel, ainsi que la possibilité d'en jouir, afin que je puisse, quoique imparfaitement, comprendre l'immensité de votre Bonté pour nous et concevoir que vous seul devez être l'objet de nos désirs et notre délice suprême. Lorsque tu allumes le feu, cette lumière matérielle, dis : Gloire à vous, ô lumière éternelle, douce et agréable , de vouloir bien nous éclairer de cette lumière matérielle et pourtant si belle, image de votre lumière divine et inaccessible, afin que cette lumière matérielle porte constamment notre pensée vers vous et que nous puissions obtenir de vous contempler dans votre Bienheureuse félicité. Lorsque tu respires à plein poumons l'air, cet élément où nous puisons la vigueur et la fraîcheur, si indispensables à notre vie matérielle, porte de nouveau ta pensée vers le Seigneur, source de la vie, vers le saint Esprit, uni au Père et au Fils, qui nous donne la vie, le mouvement et l'existence. Exprime ta gratitude de pouvoir respirer sans cesse et rappelle-toi que si le corps ne peut pas exister sans l'air, de même l'âme sans le saint Esprit ne peut vivre un seul instant dans la vérité, dans la liberté du bien et dans la pureté. Cherche continuellement à te trouver en communication avec Dieu, car sans Dieu l'âme expire et meurt. De cette manière, élevant sans cesse ta pensée vers le Créateur, à chaque occasion, rends-Lui grâces pour toutes choses; repousse tout attachement à la matière et ne sois pas son esclave au préjudice de Dieu, car s'attacher exclusivement à la matière et l'aimer au dessus de tout, cela équivaut à être et à rester païen.

Pour moi, mon bien est d'approcher du Seigneur, dit David (Ps 72,28), qui a éprouvé la douceur de la prière et de la louange de Dieu. D'autres affirment la même chose, et moi, tout pécheur que je suis, je fais de même. Remarquez-le : ici sur la terre, approcher du Seigneur est déjà un bien, un bonheur, malgré notre chair coupable, qui éprouve ses propres sensations agréables et désagréables. Quel bien éprouverons-nous donc lorsque nous aurons approché le Seigneur là-haut, an ciel ! La félicité qu'on ressent en s'approchant de Dieu ici, sur la terre, est le précurseur et la garantie de la félicité qui nous attend après la mort dans l'éternité. Tu vois combien le Créateur est bon, miséricordieux et juste. Pour te donner une preuve de la félicité future qui provient de l'union avec Lui, lorsque tu t'approches de lui sincèrement. Oui, mon âme invisible se repose en effet ici-bas en Dieu, qui, Lui aussi, est invisible; par là je suis d'autant plus certain qu'elle se reposera en Lui après qu'elle aura quitté le corps.

Si je sens le repos ici-bas en Jésus et avec Jésus, comment ne croirai-je pas qu'après ma mort je trouverai un éternel repos en Lui, après la lutte que me font subir les ennemis spirituels ! Je souffre et me tourmente ici-bas même sans Jésus, comment ne croirais-je pas qu'il me sera encore plus pénible de me trouver sans Lui là-haut, s'Il me repousse et me prive entièrement de sa Présence ! L'état de nos âmes sur la terre nous fait entrevoir notre avenir. Cet avenir sera la continuation de notre état intérieur actuel dont le degré seul sera changé, c'est-à-dire, pour les justes, il sera la plénitude de la gloire éternelle, et pour les coupables, la plénitude de tourments éternels.

§ 2. - DE LA PAROLE DE DIEU

   Vous lisez un journal on une feuille mondaine ; vous, les lisez avec plaisir, sans éproUver de fatigue et vous croyez parfaitement à tout ce que vous y trouvez. Mais dès que vous prenez une feuille religieuse ou un livre de piété, surtout un livre d'Église on de prières, vous ressentez la fatigue et le doute; vous devenez incrédule et vous vous sentez envahi par une sorte d'obscurité et de dégoût. Bien des personnes l'avouent. Quelle en est la cause ? Certes, ce n'est pas au livre qu'il faut l'attribuer, mais an lecteur lui-même, à la nature de son coeur et en premier lieu au démon, l'ennemi de l'homme et de tout ce qui est saint. Lorsque nous lisons des oeuvres mondaines nous ne le dérangeons pas, et lui, de son côté, nous laisse tranquilles. Mais il nous suffit d'ouvrir un livre saint, de nous rappeler la nécessité de notre conversion et de notre salut et le voilà qui s'en prend à nous et qui se met à nous tourmenter. Qu'y a-t-il donc à faire en ce cas ? Devons-nous nous interdire toute bonne occupation, toute saine et sainte lecture, même la prière ? Non, il faut s'armer de patience et chercher en elle le salut. Vous posséderez vos âmes dans votre patience. (Luc 21,19), dit le Seigneur. Tout cela se rapporte également au théâtre et à l'église, à la scène et à l'office divin. Au théâtre, chacun trouve du plaisir, mais à l'église bien des personnes ressentent la fatigue et l'ennui. Et pourquoi ? Parce que, au théâtre, tout est adapté en perfection pour charmer nos sens, et, loin de déranger le démon, nous lui faisons plaisir; il est donc évident que lui de son coté en fait autant pour nous. Amusez-vous, mes amis, leur dit-il, riez tant que vous voulez, pourvu que vous ne songiez pas à Dieu. À l'église, au contraire, tout tend à fortifier la foi et la crainte de Dieu, à éveiller en nous la piété, le sentiment de notre culpabilité et de notre corruption; et le démon s'efforce de nous souffler au coeur le doute, le découragement, la fatigue et toute sorte de mauvaises pensées, au point que nous ne savons plus que faire de nous. Nous arrivons à éprouver presque une impossibilité de nous tenir sur pied, comme s'il était si difficile de rester debout pendant une heure. Il est facile de comprendre qu'un homme pareil s'empresse de s'en aller. Le théâtre et l'église sont deux contrastes : l'un est le temple du monde, l'autre le temple de Dieu; l'un est la pagode du démon, l'autre le temple du Seigneur.

   Lorsque tu lis ou écoutes les livres saints, respecte intérieurement, dans les hommes qui les ont écrits, les images de Dieu le Verbe ou Dieu le Verbe en personne. C'est Lui qui parle par leur intermédiaire. Rappelle-toi toujours, lorsque tu lis un livre religieux on profane, que l'homme est l'image de Dieu et que cette image de Dieu est renfermé dans la pensée, dans la parole et dans l'esprit du livre. Prends l'habitude de toujours regarder tout l'homme avec respect, comme une image de Dieu, mais surtout lorsqu'il parle de Dieu et particulièrement lorsque c'est à toi qu'il s'adresse. 0h ! c'est qu'alors l'homme est divin ! L'idée peu avantageuse que nous avons des hommes en général, de leur genre de vie, de leurs qualités et de leurs défauts, ainsi que notre habitude de ce don de la parole que nous possédons nous-mêmes à l'égal des autres, cette idée fait que nous attachons très peu de prix à la parole et que nous la méprisons même dans les autres, ce dont le démon profite pour blasphémer contre l'image de Dieu, grâce à notre amour-propre et à notre manque d'égards envers cette image sacrée. Il faut que tu t'efforces de te rendre humble de coeur et que tu domptes la fierté de ta raison, afin de ne pas ressembler aux contemporains des prophètes, qui les regardaient comme des rêveurs, chantant de doux cantiques, désobéissaient à leurs commandements, les méprisaient même, les persécutaient, les frappaient et les tuaient pour ne pas ressembler à ceux qui affirment que nul prophète n'est bien reçu en son pays. (Luc 4,24.). Si mesquin et si insuffisant que puisse te paraître un tel homme, respecte en lui l'image de Dieu, surtout s'il parle avec amour, et encore plus si, en même temps, il agit avec amour.

   Pendant la prière ou pendant la lecture de l'Écriture sainte, il faut pieusement t'unir à chaque pensée, à chaque parole de la prière ou de l'Écriture comme si c'était l'Esprit saint Lui-même, l'Esprit de vérité qui te parlait. Le doute et le mépris pour la Parole divine doivent être énergiquement repoussés et détruits comme un poison qui vient de l'esprit du mensonge. Or, comme le doute et le mépris sont le fruit de la présomption et de l'orgueil, il faut déraciner cet orgueil du coeur. Il faut, pour ainsi dire, pouvoir ressembler à un enfant qui balbutie en toute simplicité devant Dieu, à cet enfant qui ne sait ni ne prononce que les paroles que ses parents lui ont apprises, qui n'en connaît pas d'autres et qui ne fait nulle attention à ce que les autres lui disent. Car c'est l'Esprit saint qui a appris aux saints Pères, à ces enfants doux et simples, les termes dans lesquels nous devons prier, remercier et glorifier Dieu, dans les prières que l'Église nous recommande de réciter. Souvient-toi que nous sommes tous les enfants de notre Père céleste, et considère tous les hommes dans la simplicité de ton âme, comme les enfants de notre Père souverainement saint, clément, partout présent, sachant tout, pouvant tout, supérieurement sage, juste, immuable, n'abandonnant personne, nous protégeant tous sous les ailes de sa Bonté sans borne. Prodigue l'amour à tes semblables et triomphe de tout mal dans l'homme par l'effet du bien.

   Il nous arrive souvent d'avoir sur les lèvres des paroles qui ne sont pas l'expression de notre pensée. Ce désaccord entre la bouche et le coeur s'appelle duplicité. Hélas, dans la prière, l'homme aussi fait souvent preuve de, duplicité, et cela devant qui, devant Dieu qui connaît les derniers replis de nos âmes et les plus profonds secrets de notre coeur. Cette duplicité peut avoir deux caractères également graves : ou bien les paroles sont le contraire de notre pensée, on bien les premières sont l'expression de la seconde, mais notre coeur n'y a aucune part et ce sont des paroles en l'air. Dans les deux cas, celui qui prie devient sa propre dupe, en croyant qu'une telle comédie puisse être agréable à Dieu. Ô étrange et criminelle duplicité du coeur humain ! C'est le fruit amer et le témoignage le plus irréductible de notre chute originelle. On dirait que le mensonge est devenu pour nous une habitude invétérée. Tout homme est menteur (Ps 115,2) dit le psalmiste. Nous mentons à Dieu comme nous mentons aux hommes. Chrétiens, extirpons tout mensonge de notre coeur et à sa place mettons la vérité, la sincérité. Pour cela il faut prier, car de toutes choses, c'est la prière qui demande avant tout une vérité sincère, selon les paroles du Seigneur : Il faut adorer Dieu en esprit et en vérité. (Jn 4,24). Dis toujours la vérité dans ton coeur. L'habitude de la vérité dans notre prière nous donnera vite l'habitude de la vérité dans nos rapports avec nos semblables. Mais comment faire pour apprendre à dire la vérité dans notre coeur pendant la prière ? Il faut faire entrer dans le coeur chaque parole de la prière, la graver dans notre coeur, en ressentir jusqu'au fond la vérité, concevoir toute la nécessité de ce que nous demandons à Dieu ou celle d'une sincère reconnaissance pour ses immenses et innombrables bienfaits. Nous devons, en outre, éprouver la nécessité de lui rendre sincèrement gloire pour ses grandes et sages oeuvres dans la création.

   Ils s'environnent de maîtres selon leurs propres désirs et selon la démangeaison de leurs oreilles. (2 Tim 4,3). N'est-ce pas ce que font de nos jours les hommes du monde et souvent même les prêtres du Seigneur? Ne savent-il pas trouver des docteurs qui flattent leurs oreilles ? Ils puisent leurs connaissances non chez le seul maître qui est Jésus Christ, non dans son Évangile et dans son Église, mais chez les hommes de lettres, chez les journalistes, chez les romanciers, chez les poètes, chez les comédiens, et s'écrient : Oh! que c'est intéressant ! oh ! que c'est édifiant ! et, sinon de vive voix, du moins par leurs actions, ils semblent dire : nous n'avons nul besoin ni d'Évangile, ni d'Église, ni d'office divin, ni de sacrements, ni de sermons qui nous prêchent la parole de Dieu. Nous avons de si bons maîtres pour nous enseigner la morale ! Seigneur Jésus, à quelle décadence sommes-nous arrivés ? Nous renions vos paroles !

    Si une vérité quelconque se trouve énoncée dans l'écriture sainte, si elle a été commentée et expliquée par les saints Pères, dont Dieu a éclairé l'intelligence et proclamé la gloire, et si notre coeur l'a conçue dans toute sa clarté vivifiante, il est évident que, dans ces conditions, le doute ou la méfiance à son égard constituent un des plus graves péchés, car ils prouvent une présomption diabolique de l'intelligence et du coeur. - Qu'y a-t-il de plus ferme, de plus stable, de plus puissant que le Verbe ou la Parole ? C'est le Verbe qui a créé l'univers et qui le soutient : Soutenant tout par sa parole toute puissante. (Heb 1,3). Et pourtant, nous autres pécheurs, nous traitons la parole si légèrement, avec tant de négligence. Existe-t-il au monde une chose pour laquelle nous ayons moins d'estime que pour la parole ? Existe-t-il pour nous quelque chose de plus variable que la parole ? Que jetons-nous à tout instant comme de la botte, sinon la parole ? Oh ! misérables que nous sommes ! Quel don précieux nous possédons et avec quelle inadvertance nous le traitons ! Nous oublions que la parole qui sort d'un coeur plein de foi et d'amour petit opérer le miracle, de rendre la vie à notre âme, ainsi qu'à celle des autres, par exemple pendant la prière, pendant l'office divin, pendant le sermon, pendant les sacrements ! Ô chrétiens, appréciez chaque parole que vous prononcez, soyez attentifs à chacune d'elles - soyez fermes dans votre parole; soyez confiants envers la parole de Dieu, ainsi que envers celles des hommes saints, car c'est la vie qu'elles renferment. Rappelez-vous que la parole est l'origine de la vie.

   Les hommes sont devenus incrédules, parce qu'ils ont complètement perdu l'esprit de la prière. Il se peut qu'ils ne l'aient jamais en. Quoi qu'il en soit, ils ne prient pas le Seigneur. Oh ! ces hommes-là offrent au prince de ce siècle une belle occasion et lui ouvrent un vaste champ pour agir dans leurs coeurs; aussi, c'est lui qui en est le maître. Ils n'ont jamais demandé et ne demandent jamais au Seigneur la douce rosée de sa grâce divine, car les dons du Seigneur ne sont accordés qu'à ceux qui les demandent ou qui en possèdent déjà. C'est pourquoi ces coeurs corrompus, privés de la rosée vivifiante de l'Esprit divin, se sont desséchés et ont pris feu au contact de la flamme du doute, du scepticisme et des autres passions. Le démon ne cesse d'attiser les passions qui alimentent ce feu terrible, et il tressaille d'une joie infernale à la vue de la perdition des âmes infortunées qui ont été rachetées par le Sang de celui qui a écrasé sa puissance.

    Pareil à une mère qui apprend à son enfant à marcher, le Seigneur nous apprend à avoir une ardente foi en Lui. Voyez ce que fait la mère : elle place son enfant debout, le quitte, s'éloigne, puis lui dit de venir à elle. L'enfant reste seul, pleure, veut s'avancer vers sa mère, mais craint de faire un pas. C'est tout à fait ainsi que le Seigneur apprend au chrétien la foi (la foi est le chemin des choses spirituelles). Notre foi est tout aussi faible, tout aussi débile que l'enfant qui apprend à marcher. Souvent le Seigneur retire son secours et abandonne l'homme au démon ou à toute sorte de malheurs et d'afflictions pour nous convaincre de notre impuissance. Tant que nous ne sentons pas le besoin du salut, nous ne songeons pas à venir à lui. Mais quand nous avons absolument besoin de secours, alors Il nous ordonne, pour ainsi dire, de regarder et d'implorer son secours. Alors le chrétien s'efforce de le faire, ouvre les yeux de son coeur (comme l'enfant qui essaie de faire un pas), il tache de voir le Seigneur, mais le coeur, n'avant pas appris a contempler Dieu, a peur de tant de hardiesse, trébuche et tombe; l'ennemi et la perversion qui nous est innée lui ferment les yeux du coeur, au moment même où ils venaient de s'ouvrir; ils l'éloignent du Seigneur, et il ne peut plus l'approcher. Le Seigneur pourtant est là, non loin, prêt à l'enlever, pour ainsi dire, dans ses Bras, il n'y a qu'à l'approcher par la foi, et dès qu'on fait un effort pour l'apercevoir entièrement des yeux de la foi et dit coeur, Il vous tend Lui-même sa Main pour vous secourir, vous place, pour ainsi dire, dans ses Bras, chasse l'ennemi, et le chrétien sent qu'il se trouve dans les Bras du Sauveur Lui-même. Gloire à votre Clémence et à votre Sagesse, Seigneur ! Ô mes frères, quand vous serez en proie aux violences du démon et à toutes les afflictions, il faut que votre coeur dirige son plus vif regard sur le Coeur miséricordieux du Seigneur si plein d'amour pour le genre humain, car il se trouve, pour ainsi dire, devant vos yeux. Il faut regarder sans crainte ce coeur sacré comme un trésor inépuisable de bonté et de secours spirituel; vous obtiendrez alors immédiatement ce que vous demandez. L'essentiel, c'est la foi ou la contemplation du Seigneur par le coeur et avec l'espoir d'obtenir de sa Clémence sans borne absolument tout. Ce que je dis là est la pure vérité et je l'affirme comme l'ayant moi-même éprouvé dans ma vie. Le Seigneur nous apprend aussi par là à ne pas oublier combien nous sommes moralement faibles... et faire en sorte que notre esprit soit toujours disposé à prier le Seigneur.

CHAPITRE 4

DE LA PÉNITENCE

§ 1. - DU PÉCHÉ

Chez l'homme charnel, toute sa vie, tous ses soins ont une tendance à un but charnel. Sa prière est charnelle, son enseignement et ses leçons sont charnels, charnels aussi ses écrits et ses compositions. Chaque pas qu'il fait, chaque parole qu'il dit, sont empreints du même caractère. C'est dans les appétits sensuels de l'homme charnel que se manifeste surtout sa vie; c'est là que se trouve le vrai siège, le trône de l'homme charnel. Lorsque l'homme, avec l'aide de la grâce divine, veut se délivrer de l'esprit charnel, il commence par dompter ces appétits, il impose un changement à sa nourriture et cesse de vivre pour ses sens insatiables. Son coeur alors s'ouvre peu a peu à la foi, à l'espérance et à l'amour. Au lien de mets choisis et de boissons variées, au lieu de riches toilettes, c'est Dieu, c'est l'âme, c'est la vie éternelle, c'est l'idée des tourments sans fin qui deviennent l'objet de toutes ses pensées et de toute son imagination. L'amour de l'argent et de la bonne chère, le goût de la toilette et du luxe intérieur de la maison, font place a l'amour de Dieu et du prochain, au désir d'habiter le ciel avec les anges et les saints. À la pensée du boire et du manger succède la soif de la parole divine, le désir de lire et d'écouter sans cesse l'Écriture sainte, d'assister à l'office divin. Il comptait pour ennemis ceux qui mettaient des entraves à son bien-être matériel, maintenant ce bien-être matériel il le détruit de son propre gré et aime ceux qui le détruisent. Il aimait de dormir et il en faisait son bonheur, maintenant il dort peu et se prive avec joie de la douceur du sommeil. Il faisait tout son possible pour procurer du plaisir à sa chair, maintenant il la rudoie, afin de l'affaiblir dans sa lutte avec l'esprit.

Ayez bien soin d'arracher du coeur de vos enfants tout germe de péché, toute pensée mauvaise ou impie, toute habitude coupable, tout mauvais penchant ou passion. L'ennemi et la chair coupable n'épargnent pas les enfants; les germes de tous les péchés se trouvent déjà chez eux. Expliquez à vos enfants tout le péril des péchés auxquels ils sont exposés dans le courant de leur vie, ne leur cachez rien, de peur qu'ils ne s'attachent par ignorance à des penchants et à des instincts coupables, qui croissent et produisent leurs fruits à mesure que les enfants avancent en âge.

Les passions selon leur nature spirituelle sont contagieuses. Prenons comme exemple la colère. Avant d'éclater en paroles ou de se traduire en actes, elle reste cachée et bout secrètement au fond du coeur; c'est à peine si on la voit s'allumer sur le visage et dans les yeux de la personne irritée. Et cependant elle ne tarde pas à se communiquer a celle qui en est la cause et l'objet, et c'est ainsi qu'elle éclate à tous les yeux. Car, hélas ! des qu'une passion s'empare de quelqu'un, elle a aussitôt son écho dans le coeur d'un autre. Il y a comme une sorte de déplacement de force spirituelle et de courant impur entre deux récipients contigus. Si cette passion se calme et disparaît chez l'une des deux personnes, elle disparaît aussitôt chez l'autre et toutes les deux redeviennent tranquilles.

C'est qu'il existe un lien intime entre les âmes! Les paroles suivantes de l'Apôtre sont bien vraies :

Nous sommes membres les uns des autres. (Eph 4,25), ou bien encore : Nous ne sommes tous qu'un seul corps; (1 Cor 10,17). Il a fait naître d'un seul toute la race humaine. (Ac 17,26). C'est pourquoi Dieu dit dans son commandement : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. (Mt 22,39). La bonne impression même que produit un sermon dépend d'un sentiment réciproque de mutuelle sympathie entre l'orateur et son auditoire. Si le prédicateur ne parle pas à coeur ouvert, mais avec une certaine dissimulation, les auditeurs comprendront instinctivement le désaccord de ses paroles avec son coeur, et par conséquent avec sa morale; son sermon n'aura pas la force qu'il aurait pu avoir s'il l'avait prononcé avec sincérité et surtout si sa vie à lui était d'accord avec ses paroles. Les âmes humaines sont trop étroitement liées entre elles, leurs rapports sont trop intimes pour que les aspirations d'un coeur bon, pieux et sincère n'exercent pas une influence sur l'âme des autres, surtout si elles sont appuyées sur les actions.

Ô quel abîme profond que celui où la gourmandise nous a fait tomber !... Jusque à quand l'homme vouera-t-il sa vie à ce culte impie ? Quand donc saurons-nous nous pénétrer des paroles du Sauveur : L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu... (Mt 4,4). Nous laisserons-nous longtemps encore dominer par I'avidité, par les friandises, par les excès et par l'ivrognerie ? Serons-nous longtemps encore les esclaves de notre détestable avarice ? Serons-nous longtemps sous le pouvoir de la cupidité, de l'orgueil, de la rancune et du courroux vis-à-vis de notre prochain, pour des causes aussi futiles que l'argent, le vêtement, la demeure et la nourriture ? Mille subterfuges que Satan opère au moyen du boire et du manger, au moyen des vêtements et de l'argent, se dévoilent continuellement à nos yeux, mais nous nous plaisons à rester sous l'influence de ses charmes, comme s'il nous offrait une réalité ou un avantage quelconque. Cependant nous ne faisons que poursuivre une illusion dangereuse qui travaille à la ruine de notre âme et de notre corps. N'écoutez donc pas un seul instant l'ennemi, mes frères, quand le plaisir de la table vous attire, quelles que puissent être les excuses des circonstances. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Mt 6,38). Comment ne comprenez-vous pas que ce n'est pas du pain que je vous ai dit : Gardez-vous du levain des pharisiens et des sadducéens. (Mt 16,11), c'est-à-dire de l'hypocrisie en fait de foi et de charité. Portez toute votre attention sur la foi et la charité : Travaillez non pour la nourriture qui périt, mais pour celle qui demeure dans la vie éternelle et que le Fils de l'homme vous donnera. (Jn 6,27). Donnez sans exception tout ce que vous avez aux autres, si cela leur est nécessaire, et souvenez-vous des paroles du Sauveur : Et à celui qui veut disputer en jugement avec vous et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau (Mt 5,40), ce qui veut dire donnez-lui votre dernier avoir.

Le péché peut être commis par pensée, par parole et par action. Pour devenir de pures images de la sainte Trinité, nous devons veiller à la sainteté de nos pensées, de nos paroles et de nos actions. La pensée correspond en Dieu au Père, les paroles au Fils, les actions au saint Esprit, par qui tout s'accomplit. Les péchés de la pensée dans un chrétien ne sont pas une chose insignifiante, parce que ce n'est que par les pensées, comme nous apprend saint Macaire d'Égypte que nous pouvons plaire à Dieu, puisque les pensées sont le commencement, d'où proviennent les paroles et les actions. Les paroles ont leur portée, parce que ou bien elles apportent la grâce à ceux qui les entendent, ou, au contraire, elles ne renferment qu'un poison et ne servent qu'à séduire les autres, corrompant leurs pensées et leurs coeurs. Quant aux actions, elles sont encore plus importantes, car l'exemple est tout ce qu'il y a de plus contagieux; il agit sur les hommes avec une force que rien n'égale.

L'antipathie, I'hostilité ou la haine ne doivent pas être connues, même de nom aux chrétiens. Est-il possible que l'antipathie puisse exister parmi les chrétiens ? Nous voyons partout l'amour, nous en respirons partout le parfum. Notre Dieu est un Dieu d'amour, son règne est un règne d'amour. Par amour pour nous, Il n'a pas épargné son Fils unique et l'a livré à la mort pour nos péchés (Jn 4,9). Chez toi de même tu dois l'amour dans ta famille, car ses membres ont reçu, par le baptême et la sainte onction, le sceau de la croix d'amour; ils portent l'emblème de la croix et partagent avec toi à l'église la même cène de l'amour. À l'église nous trouvons partout les symboles de l'amour : les croix, les icônes des saints qui ont mérité du Seigneur par leur amour de Dieu et du prochain, et enfin nous trouvons l'amour lui-même incorporé dans les saintes espèces. Au ciel et sur la terre, l'amour est partout; il adoucit le coeur car il est Dieu, tandis que l'hostilité tue non seulement l'âme, mais aussi le corps. De ton côté, fais donc voir toujours et partout l'amour ! Peux-tu ne pas aimer quand tu entends de toute part la voix qui te parle d'amour, quand il n'y a que le démon homicide qui est la personnification de l'hostilité éternelle !

Celui qui se laisse dominer par l'orgueil se sent porté à mépriser toute chose, même ce qui est saint et divin; il détruit ou profane toute bonne pensée, toute parole, toute action, toute création de Dieu. L'orgueil est le souffle destructeur de Satan.

L'orgueilleux, est mécontent lorsqu'on l'oblige à s'humilier devant les autres; - l'envieux, lorsqu'on l'oblige à être bienveillant envers ses ennemis; - le vindicatif, lorsqu'on l'oblige à pardonner et à se réconcilier; - le cupide, lorsqu'on lui rappelle le devoir d'acquitter ses dettes; - le gourmand, lorsqu'on lui parle du jeûne et du salut de son âme. Cependant il faut qu'ils surmontent leurs mauvais penchants et leurs passions et qu'ils fassent avec joie ce qui leur est imposé ou ce que l'Évangile exige; car, dans le cas contraire, s'ils demeurent impénitents et continuent à se livrer à leurs passions, ils encourent la perdition éternelle.

Dans le courant de leur vie, les hommes s'inquiètent de tout, excepté de Celui qui donne la vie, c'est-à-dire, excepte de Jésus; c'est pourquoi ils ne possèdent pas la vie spirituelle et sont adonnés à toute sorte de passions : à l'incrédulité, à l'athéisme, à la cupidité, à l'envie, à la haine, à l'ambition, aux délices de la table, etc. Ce n'est qu'à leur dernière heure qu'ils cherchent Jésus, en communiant, et cela même ils le font tantôt parce qu'ils se voient forcés de le faire, tantôt parce qu'ils savent que d'autres le font. Ô Seigneur, ô Jésus, vous qui êtes notre vie et notre résurrection ! à quel point laissons-nous croître notre vanité et notre aveuglement ! Cependant si nous vous cherchions, si nous vous avions dans notre coeur, quel en serait le résultat pour nous ? Aucune parole humaine n'est en état d'exprimer la béatitude de ceux qui Vous possèdent dans leur coeur. Vous êtes pour eux le pain qui les alimente, la boisson inépuisable, et en même temps le vêtement le plus brillant, le soleil, la paix de Dieu qui surpasse tout sentiment (Jn 6,63), un délice inexprimable, tout enfin, tout ! Auprès de Vous, la terre et tout ce qu'elle renferme ne sont que pourriture et poussière.

Garde-toi, chrétien, d'oublier le Seigneur et de perdre la foi en Celui, qui constitue invisiblement ta vie, ta paix, ta lumière, ton souffle, c'est-à-dire en Jésus Christ. Défie-toi de ton coeur s'il s'endurcit, s'il s'obscurcit, s'il devient incrédule et froid à cause du boire et du manger, à cause des distractions mondaines, ou enfin parce que tu laisses prédominer dans ta vie l'intelligence ct non le coeur. Si tu exerces l'intelligence au détriment de ton coeur, tu fortifies et ornes par là le filet, et tu laisses le chasseur dans la pauvreté et la misère. Ce chasseur, ce pêcheur, c'est ton coeur, et l'intelligence, c'est leur filet. Dans le repos, dans l'aisance, dans les plaisirs, la chair s'allume du feu de toutes ses passions et de tous ses désirs, au lieu que dans le besoin, dans la maladie, dans le malheur notre chair est meurtrie avec toutes ses passions mauvaises C'est pourquoi la Sagesse et la Bonté de notre Père céleste inflige à notre âme et à notre corps de rudes chagrins et de cruelles maladies, que nous devons non seulement supporter avec patience, mais dont nous devons nous réjouir bien plus que de la tranquillité de notre âme, de l'aisance et de la santé du corps, car l'état de l'âme est sans contredit mauvais chez celui qui n'endure jamais les souffrances morales et les maladies corporelles, surtout dans l'abondance des biens matériels. Le coeur engendre alors d'une manière imperceptible toute sorte de péchés et de passions et expose l'homme au danger de subir la mort spirituelle.

Une vérité terrible. Les pécheurs qui sont morts dans I'impénitence perdent après leur mort toute possibilité de devenir meilleurs, et, par conséquent, restent inaltérablement voués aux tourments éternels de péché ne peut faire autrement que tourmenter. Où en est la preuve ? La preuve tout-à-fait évidente se trouve dans l'état même de certains pécheurs et dans le caractère propre du péché qui consiste à faire de nous ses esclaves, en nous interdisant toutes les issues qui pourraient nous délivrer de notre captivité. Personne n'ignore combien il est difficile pour le pécheur, sans une grâce particulière de Dieu, d'abandonner sa voie favorite, la voie du péché, et de revenir à la vertu ! Quelles racines profondes le péché fait pousser dans notre coeur, quel point de vue exceptionnel et faux sur toutes choses il nous suggère, pour les faire apparaître à nos yeux sous un tout autre aspect que celui qu'elles ont en réalité, sous un aspect, pour ainsi dire, magique ! C'est pourquoi nous voyons très souvent que ceux qui passent leur vie dans le péché ne pensent même pas à se convertir et ne croient pas être de grands coupables. C'est l'amour-propre et l'orgueil qui les empêchent de le reconnaître, et, s'il arrive même qu'ils se reconnaissent pour tels, ils se livrent à un désespoir infernal qui propage dans leur raison une obscurité profonde et endurcit leur coeur. Si Dieu nous refusait sa grâce, quel coupable se serait converti à Dieu, la propriété du péché étant de nous entourer de ténèbres, de nous lier les mains et les pieds ? Mais le temps et le lieu où le Seigneur accorde sa grâce divine ne se trouve qu'ici bas, tant que l'homme est encore en vie; après la mort, les prières seules de l'Église peuvent agir, et cela seulement pour les âmes des pécheurs repentis, et pour ceux dont l'âme est susceptible de recevoir la rémission des peines, avant emporté avec elle la lumière de bonnes actions capables de mériter la grâce de Dieu ou l'efficacité des prières de l'Église.

Quant aux pêcheurs morts dans l'impénitence ils sont inévitablement les fils de la perdition. Si je consulte ma propre expérience, lorsque je me trouve dans les chaînes du péché, je remarque que je souffre parfois toute une journée et ne puis me convertir de tout mon coeur, parce que le péché m'endurcit et me rend indigne de la pitié du Seigneur. Je brûle comme dans un feu, mais je continue à y rester comme si ce feu me faisait plaisir. Et cependant je sens que le péché a paralysé mes forces, que mon âme est enchaînée, et que je ne puis me donner à Dieu, jusqu'au moment où le Seigneur, voyant ma faiblesse, mon humilité et mes larmes, me prendra en pitié et m'enverra sa grâce. Ce n'est pas en vain que l'homme adonné au péché est appelé homme lié par les chaînes de l'enfer.

Celui qui commet un mal ou qui se laisse entraîner par une passion quelconque est déjà puni par le mal même, par la passion même à laquelle il se livre, mais il est surtout puni par l'abandon de Dieu, qui le délaisse parce que lui de son côté l'a délaissé. C'est pourquoi il serait bien insensé et de plus très cruel d'en vouloir à un tel homme. C'est comme si nous enfoncions dans l'eau quelqu'un qui se noie, comme si nous jetions au feu celui qui en est déjà la victime. Un tel homme se trouvant sur le point de périr, mérite que nous lui montrions le plus grand amour et que nous implorions Dieu pour lui, au lieu de le blâmer et de nous réjouir de son malheur.

Si une passion quelconque soulève une rébellion soudaine dans ton coeur, si elle te prive de repos, te remplit de trouble et fait prononcer des paroles dures et offensantes contre ton prochain, tâche de faire disparaître cet état funeste, mets-toi à genoux et confesse au saint Esprit ton péché, en disant de tout ton coeur : «Je vous ai offensé, ô Esprit saint, par ma passion, par ma colère, par ma désobéissance !» Récite ensuite de tout ton coeur, avec le sentiment de l'omniprésence de l'Esprit de Dieu, la prière au saint Esprit : Roi céleste, Consolateur, Esprit de Vérité, Vous qui êtes partout et qui remplissez tout, Trésor de biens et donateur de vie, venez, pénétrez-moi, purifiez-moi de toute souillure, et sauvez, ô Bienfaiteur, mon âme y obscurcie par les passions et la volupté ! Tu sentiras aussitôt ton coeur se remplir d'humilité, de paix et de repentir. Rappelle-toi que tout péché, toute passion et tout attachement aux choses terrestres, tout ressentiment et toute rancune contre ton prochain pour des causes matérielles, offense le très saint Esprit, l'Esprit de la paix et de l'amour, l'Esprit qui nous élève de la terre au ciel, du visible à l'invisible, du périssable à l'impérissable, du temporel à l'éternel, du péché à la sainteté, du vice à la vertu. Ô très saint Esprit ! ô notre Inspirateur, notre Instructeur et notre Consolateur ! Gardez-nous par votre Puissance, ô Sainteté du ciel ! ô Esprit de notre Père céleste, imprégnez-nous de vous, cultivez notre coeur, faites que nous soyons vos véritables enfants en notre Seigneur Jésus Christ !

L'envie chez un chrétien est une folie. Nous avons tous reçu en Jésus Christ des biens qui surpassent tous les autres par leur immensité. Nous sommes déifiés, nous avons recueilli l'héritage des biens inénarrables et éternels du royaume des cieux, nous avons reçu même la promesse de l'abondance des biens terrestres à la condition de chercher d'abord la Justice divine et le royaume de Dieu : Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Mt 6,33). Nous avons reçu le commandement de nous contenter de ce que nous avons et de ne pas être avares : Que votre vie soit exempte d'avarice; soyez contents de ce que vous avez, et l'Apôtre ajoute ensuite : Puisque Dieu dit Lui-même : Je ne vous laisseras point et Je ne vous abandonnerai point (Heb 13,5). N'est-ce donc pas une folie que d'envier n'importe quoi à ton prochain, par exemple les honneurs, la richesse, la bonne table, les belles toilettes, un bel appartement, etc. Tout cela n'est-il pas poussière en comparaison de cette noble origine qui nous a faits semblables à Dieu en comparaison de cette divine rédemption qui nous a délivrés du péché, de la malédiction et de la mort, en nous faisant rentrer dans notre droit d'héritage aux délices éternelles. Unissons-nous donc dans un amour réciproque, dans un désir général du bien, dans la satisfaction de posséder ce que nous avons, dans l'amitié, l'hospitalité, le soulagement des pauvres et des pèlerins, et enfin dans ce qu'il y a de plus sublime en fait de vertu : humilité d'esprit, bonté, douceur, sainteté. Respectons en nous mutuellement l'image de Dieu, ô membres de notre divin Jésus, respectons en nous son Corps et notre origine divine. Honorons aussi les membres du royaume des cieux, les concitoyens et les glorificateurs des régions angéliques. Soyons tous un. (Jn 13,22), comme Dieu que nous adorons dans la sainte Trinité est un et comme nos coeurs sont aussi un par leur création, c'est-à-dire simples et indivisibles.

Tu ne tueras point. Sans parler de tant d'autres cas nous voyons des médecins qui n'examinent pas attentivement le malade et le tuent, en lui administrant des remèdes nuisibles. Nous voyons des hommes qui ne veulent pas se faire traiter ou qui ne veulent pas traiter un malade auquel le soin d'un médecin est indispensable. Nous en voyons d'autres qui irritent un malade pour lequel toute excitation est funeste, par exemple dans la phtisie, et qui accélèrent par là sa mort. Nous en voyons encore qui par avarice ou pour toute autre raison ne viennent pas porter un prompt secours médical au malade. En agissant ainsi, ils accomplissent tous un véritable meurtre.

L'amour des choses de la chair est la mort, au lieu que l'amour des choses de l'esprit est la vie et la paix. (Rom 8,6). Qui donc ne souscrira pas à la vérité de ces paroles de l'apôtre ? L'affection de la chair est en effet la mort. Viens ici, homme avide d'argent, cupide, envieux, égoïste, hautain, ambitieux, et laisse-nous t'examiner, toi, et tes actions, et ta vie ! Fais-nous connaître, s'il te plaît, les pensées de ton coeur ! Nous allons nous persuader par l'exemple que tu nous présente dans ta propre personne, que l'affection des choses de la chair est la mort : Tu ne vis pas de la vie véritable, tu es un cadavre spirituel; tu disposes de la liberté et pourtant tu es lié intérieurement, tu possèdes l'intelligence et cependant tu es fou, parce que la lumière qui est en toi est ténèbres. (Mt 6,23). Tu as reçu de Dieu un coeur capable de sentir et de jouir de tout ce qui est vrai, saint, bon et beau; mais l'amour des choses de la chair étouffe en toi toute dignité de sentiment; elle a avili tous les élans de ton coeur; tu n'es qu'un cadavre, tu n'as point la vie en toi. (Jn 6,53). Mais l'amour des choses de l'esprit est la vie et la paix. À ton tour maintenant, viens, chrétien qui passes ta vie selon la foi, qui extirpes tes passions et dont les pensées sont tout occupées de tout ce qui est vrai, de tout ce qui est honnête, de tout ce qui est juste, de tout ce qui est saint, de tout ce qui est aimable, de tout ce qui donne une bonne réputation, de tout ce qui est vertueux, de tout ce qui est estimable dans la conduite. (Phil 4,8). Viens à nous et dis-nous ce que ton âme éprouve par l'effet de l'amour des choses de l'esprit ? Mon coeur, nous diras-tu, éprouve constamment la paix et la joie que donne le saint Esprit. (Rom 14,17). Je ressens le bien-être dans mon coeur et la surabondance de la vie; tout ce qui est charnel me parait dérisoire, je m'étonne de la force immense que la chair exerce sur un grand nombre d'hommes, et je m'occupe de la contemplation continuelle des biens célestes, spirituels, invisibles, que Dieu a préparés à ceux qui L'aiment.

Hélas ! bien des gens abusent de la liberté que Dieu nous a donnée, ainsi que de la faculté que chacun de nous possède d'être bon ou méchant. C'est pourquoi il arrive qu'après la chute de l'homme dans le péché il suit la pente rapide qui mène plutôt au mal qu'au bien. Ces gens accusent le Créateur et disent : Pourquoi ne nous a-t-Il pas doués de la force de résister au mal pour ne pas tomber si bas en le commettant ? D'autres encore attribuent la corruption de l'homme par le péché à l'imperfection de la nature, laissant Dieu de côté dans leurs pensées, et envisageant le monde visible avec tous ses phénomènes et tout ce qu'il renferme, comme un être impersonnel, dépendant, subordonné, dont ils forment eux-mêmes une partie. Voilà où l'on en vient, lorsqu'on s'éloigne de l'Église ! Voilà quelle ignorance vous envahit, ô sophistes ! Vous ignorez ce que même un enfant sait d'une manière claire, précise et infaillible. Vous accusez le Créateur; mais est-ce bien la faute de ce Créateur, si, par inattention à sa voix, par méchanceté de caractère et par ingratitude, vous abusez du don le plus sublime de sa Bonté, de sa Sagesse et de sa Toute-puissance, je veux dire, de la liberté qui est un attribut inséparable de l'image de Dieu ! N'êtes-vous pas plutôt obligés de reconnaître que c'est à sa Bonté, que vous devez ce don qu'il vous a accordé, sans se laisser ébranler par l'ingratitude de ceux qui l'ont reçu, afin que cette Bonté resplendisse aux yeux de tous plus brillante que le soleil ? Et ne nous a-t-il pas prouvé par là-même son Amour sans borne et sa Sagesse infinie, puisqu'Il nous laissa la liberté, même après notre chute, même après notre éloignement de Lui et notre perdition spirituelle, Il nous a envoyé son Fils unique en l'image de l'homme corruptible. (Rom 1,23), et l'a livré aux souffrance et à la mort pour nous sauver du péché ? Qui oser après cela accuser le Créateur de nous avoir fait don de la liberté ? Dieu est véritable, et tout homme est menteur. (Rom 3,4). Poursuivez chacun votre salut luttez, soyez vainqueur; mais bannissez toute présomption de vos raisonnements, et n'accusez pas le Créateur de manquer de bonté et de sagesse; ne blasphémez pas contre Dieu, le Maître suprême plein de Bonté pour nous.

Voyez une société mondaine, qu'y fait-on ? On parle, on cause, on raconte toute sorte de choses frivoles; mais quant à Dieu, notre seul Père à tous, Il n'en est pas question, pas plus que de son Amour pour nous, ou de la vie et de la récompense future. D'où vient cela ? Cela vient de la honte que nous avons d'en parler. Mais le plus étonnant c'est que ceux-là mêmes qui passent pour pieux, qui sont regardés comme les lumières de la piété, parlent rarement de Dieu, de la valeur précieuse du temps, de l'abstinence, de la résurrection, du jugement qui nous attend, de la félicité à venir et des tourments éternels, et cela, non seulement en société, mais au sein de leur famille, où ils préfèrent passer leur temps dans des entretiens futiles ou bien à jouer et à se distraire ! La cause en est la même : ils ont honte d'aborder toutes ces questions; il ont peur d'ennuyer les autres ou craignent de n'être pas en état de les traiter avec tout le zèle convenable. Monde adultère et coupable ! Malheur à toi au jour du jugement, où tu seras appelé par notre Juge à tous, juge impartial et universel ! Il est venu chez Lui, et les siens ne L'ont point reçu. (Jn 1,11). Oui, le Seigneur notre Créateur n'est point reçu chez nous ! Il n'est pas reçu dans nos maisons, Il ne l'est pas non plus dans nos conversations. Écoutez aussi ce prêtre qui lit à haute voix l'Écriture sainte ou les prières liturgiques, pourquoi les lit-il, trop souvent, hélas ! avec nonchalance ou négligence, comme si sa langue bégayait ? Il lit, non comme il le devrait, de la surabondance du coeur, mais avec peine, et ce ne sont que des syllabes stériles qui sortent de sa bouche. D'où vient cela ? Cela vient du mépris que le démon lui a semé dans le coeur pour la lecture des livres saints et des prières, ou bien, parfois, c'est une fausse honte qui en est la cause. Ô pauvres, ô misérables que nous sommes ! Nous éprouvons la honte pour des choses que nous devrions considérer comme un honneur insigne ! Ô êtres ingrats e remplis de mal ! quels tourments ne méritons-nous pas, si nous nous comportons ainsi.

La Conscience, c'est un rayon de lumière provenant de l'unique soleil qui éclaire toute la création, c'est-à-dire de Dieu. Par la voie de la conscience le Seigneur votre Dieu gouverne l'humanité en roi juste et tout puissant, et combien son Pouvoir est grand grâce à la conscience ! Personne n'est capable d'en étouffer entièrement la voix ! Elle parle à chacun sans hypocrisie comme la voix de Dieu lui-même ! Grâce à la conscience nous ne sommes tous qu'un seul homme devant Dieu, et les dix commandements qu'Il nous a donné s'adressent, pour ainsi dire, à un seul homme : Je suis le Seigneur ton Dieu, tu n'auras point... tu ne feras point d'idole taillée; tu ne prendras point; souviens-toi de sanctifier le jour du sabbat; honore ton père et ta mère; tu ne tueras point; tu ne seras point adultère tu ne déroberas point; tu ne porteras pas de faux témoignage; tu ne convoiteras point. (Ex 20,1-17). Ou encore : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et ton prochain comme toi-même. (Mc 12, 30-31), parce que mon prochain est mon pareil dans tout.

- Examine-toi plus souvent : remarque de quel côté se tourne ton coeur. Est-ce vers Dieu et la vie futur, vers les vertus célestes, paisibles, bienheureuses et pleines de lumière, vers les saints qui résident au ciel, ou bien vers le monde, vers les biens terrestres, tels que le boire et le manger, les vêtements, la demeure, vers les hommes adonnés au péché et leurs occupations futiles ? Oh ! si notre regard était toujours porté sur Dieu ! Mais ce n'est que dans la nécessité et dans le malheur que nous tournons nos regards vers le Seigneur, tandis que dans la prospérité nous les tournons du côté du monde et de ses vaines pompes. Mais quel profit puis-je tirer, me diras tu, de cette contemplation du Seigneur ? Voici lequel : tu obtiendras une paix et une tranquillité profonde pour ton coeur, la lumière pour ton intelligence, une sainte énergie pour ta volonté et la délivrance des pièges du démon. «Mes yeux sont toujours élevés vers le Seigneur», dit David, et il en explique la raison : Parce que, dit-il, c'est Lui qui dégagera mes pas des pièges qui m'environnent. (Ps 24,15). J'écouterai ce que dira le Seigneur, ses Paroles de paix sur son peuple et sur ses fidèles. (Ps 84,9).

- Essayez de passer, ne fût-ce qu'un seul jour, selon les commandements de Dieu, et vous verrez, vous sentirez vous-même, combien il est agréable de remplir la Volonté de Dieu; car la Volonté de Dieu par rapport à nous, est notre vie et notre béatitude éternelle. Aimez le Seigneur de tout votre coeur, au moins autant que vous aimez vos parents et vos bienfaiteurs; estimez à leur valeur l'amour et les bienfaits qu'Il vous prodigue, c'est-à-dire, examinez par la raison dans votre coeur, comment Il nous a donné l'existence et tous les biens qui s'y rattachent, comment Il tolère vos pêchés et quelle patience sans bornes Il a pour vous, comment Il vous pardonne un nombre infini de fois, si vous ressentez un repentir sincère, comment ce pardon se rattache aux souffrances et à la mort sur la croix de son, Fils unique, et quelle félicité Il vous a promise dans l'éternité, si vous Lui restez fidèle. Tous ces bienfaits dont Dieu vous comble sont infiniment grands et en même temps innombrables. Puis aimez chaque homme comme vous même, c'est-à-dire ne lui souhaitez rien de ce que vous ne souhaitez pas à vous même; ayez pour lui les mêmes pensées et les mêmes sentiments que vous avez pour vous; ne désirez pas voir en lui ce que vous ne voulez pas voir en vous; oubliez le mal que d'autres ont pu vous faire, si vous désirez que les autres oublient le mal que vous avez pu leur causer - ne cherchez à trouver ni en vous ni en d'autres aucune intention mauvaise ou impure, mais, pénétrez-vous de la conviction que les autres possèdent les mêmes bonnes intentions que vous. En général, si vous ne voyez pas d'une manière évidente que les autres sont malintentionnés, faites pour eux ce que vous faites pour vous, ou au moins ne leur faites pas ce que vous ne faites pas pour vous; vous verrez alors quelle paix et quelle félicité vous aurez établi dans votre coeur ! Avant d'être au paradis vous y serez déjà; et, avant le paradis du ciel vous aurez le paradis sur la terre ! Le royaume de Dieu dit le Seigneur, est au dedans de vous. (Luc 18,2l). Quiconque demeure dans l'amour nous apprend l'Apôtre, demeure en Dieu et Dieu en lui. (Jn 4,16).

§ 3. DE LA CONTRITION ET DE LA CONFESSION

Le repentiR veut dire, sentir dans son coeur toute la folie, toute la culpabilité de nos péchés. Se repentir veut dire comprendre que nous avons offensé notre Créateur, notre Seigneur, notre Père et Bienfaiteur, l'Être infiniment saint et qui abhorre le péché. Se repentir veut dire : désirer de tout son coeur de se corriger et de réparer ses fautes.

Seigneur, donnez-moi la grâce de voir mes péchés, afin que je ne méprise pas ceux qui me ressemblent et ne conçoive pas de haine à leur égard à cause de leurs péchés, mais que je me méprise moi-même comme je le mérite, comme le plus grand d'entre les coupables, et que je nourrisse une haine implacable contre moi-même, contre l'homme charnel qui vit en moi. Si quelqu'un vient à moi et ne hait point sa propre âme, il ne peut être mon disciple (Luc 14,26) dit le Seigneur.

La pénitence doit être un acte sincère et entièrement libre, mais non un usage ou une formalité a remplir, quand même elle serait exigée par le confesseur. Dans de telles conditions ce ne sera plus la pénitence. Faites pénitence, a dit Jésus, car le royaume des cieux s'est approché, (Mt 4,7) ce qui vent dire que le royaume des cieux est venu, qu'on n'est pas obligé de le chercher longtemps, au contraire, c'est Lui, le royaume des cieux, qui nous cherche, ainsi que notre bon vouloir. À propos de ceux que Jean baptisait, l'Évangile dit : et confessant leurs péchés ils étaient baptisés par lui dans le Jourdain (Mt 3,6) c'est-à-dire, ils avouaient eux-mêmes les péchés qu'ils avaient commis. Or, comme notre prière renferme généralement le repentir et la demande du pardon de nos péchés, elle doit être toujours absolument sincère et entièrement libre, mais non forcée ou réglée par l'usage ou l'habitude. Elle doit être également libre, lorsqu'elle renferme les actions de grâces et la glorification. La gratitude suppose dans l'âme de celui qui a reçu un bienfait la plénitude d'un libre et vif sentiment, qui s'épanche librement de sa bouche : car la bouche parle de l'abondance du coeur. (Mt 12,34.) La glorification suppose l'extase et l'admiration dans celui qui contemple les oeuvres de la Clémence infinie, de la Sagesse suprême et de la toute Puissance de Dieu dans le monde moral et matériel. Elle doit donc naturellement se produire aussi d'une manière entièrement libre et raisonnée. En général, la prière doit constituer un épanchement libre et librement conçu dc notre âme devant Dieu. C'est devant le Seigneur que j'épanche mon âme (I Roi 1,15)

Moi aussi j'offense à tout moment le Seigneur. Je I'offense non seulement en esprit, mais aussi en action. Je me rends coupable en esprit par mes pêchées, en action, par l'usage des dons matériels qu'il me donne gratuitement, tels que la nourriture dont je me nourris, I'argent dont je dispose, le vêtement que je revêts, I'air que je respire, la chaleur et la lumière dont je jouis, tout le nécessaire enfin de mon existence. Comment ne pardonnerais-ie pas à ceux qui m'offensent en esprit et en action, puisque le Seigneur me pardonne mes offenses sans nombre ? Comment ne partagerais-je pas gratuitement avec mes semblables le biens gratuits et innombrables dont le Seigneur me comble ? C'est Lui qui éclaire mon intelligence et mon coeur; c'est Lui qui remplit mon âme de paix et de joie, Lui qui me donne les connaissances les plus variées, à qui je dois tout jusqu'au souffle d'air que je respire. Si j'agissais autrement je serais un monstre. Or, nous sommes tous un seul corps; chacun de nous est un membre de ce corps, et comme tels, nous sommes lié d'une union intime. Il en est de même du corps social. Il est impossible à ceux qui en font partie de s'affranchir des conditions qui les relient des uns aux autres. Nous sommes donc obliges de nous pardonner mutuellement. Voyez notre propre corps : lui aussi a des organes qui fonctionnent au profit d'autres organes. Par exemple, l'estomac travaille aux dépens de la tête ou aux dépens des mains et des pieds. Il en est de même dans la société. Mais le principal c'est de se rappeler que tout nous vient gratuitement de Dieu, que nous sommes des débiteurs insolvables et qu'Il nous le pardonne charitablement, pourvu que nous agissions de même envers nos semblables. Pardonnons donc sincèrement à ceux qui nous offensent : offrons à Dieu chaque jour ce sacrifice et soyons tous unis d'amour. Repoussons le désir d'agir selon notre volonté, ne nous laissons pas aller au désordre de nos passions, et soumettons-nous entièrement à la Volonté de Dieu. Nous sommes l'image de Dieu; or, Dieu est amour. (Jn 4,9). Travaillons donc de toutes nos forces à faire que notre vie soit constamment l'image de l'amour ! Ô Seigneur, aidez-nous ! Quant aux choses de la terre, aux aliments aux vêtements, à l'argent, considerons-les comme de la poussière et ne permettons pas que cette poussière nous fasse offenser Dieu, en nous poussant à la discorde et à toute sorte de mal envers notre prochain. Oserons-nous vendre notre Seigneur pour un peu de nourriture et d'argent ? À nous de choisir entre Dieu et la chair. Il est impossible d'adorer et de servir deux dieux à la fois. Or, la chair nous dicte des lois en tout contraires aux lois de Dieu. Ses lois à elles sont - la gourmandise, l'intempérance, l'espérance fondée sur la bonne chère, l'argent, l'avarice, le regret que l'on éprouve de donner quand il s'agit de venir en aide à son prochain, les dissensions, la haine et l'envie pour des questions du boire et du manger, l'indifférence pour le malheur d'autrui, etc. Comment devons-nous donc agir si nous voulons servir le Seigneur en toute loyauté ? Nous devons crucifier notre chair avec ses passions et ses convoitises, la regarder comme un néant méprisable et envisager de même tout ce qui flatte, tout ce qu'elle aime : les plaisirs, I'argent, les toilettes, les maisons, les attelages, toutes ces choses ne doivent être pour nous que poussière, ordure, pourriture, comme elles le sont d'ailleurs en réalité. L'amour seul doit être pour nous le bien le plus précieux; lui seul doit nous diriger dans nos sacrifices, nous dominer, nous inspirer nos sympathies et nos antipathies.

La confession doit être pratiquée souvent, afin de flageller, de fustiger nos péchés, en les avouant avec franchise, et pour en concevoir une aversion profonde. Songe à l'abîme dans lequel l'homme se trouve précipité par l'audace de son péché; songe à tout ce que le Fils de Dieu, notre Seigneur Jésus Christ, a fait pour nous sauver. Rappelle-toi son Incarnation, sa Mortification volontaire, sa Bonté pour les hommes, ses sermons et ses paroles, ses miracles, les insultes, les railleries, les injures, les crachats, la flagellation, les soufflets qu'Il a subis, enfin l'infâme supplice auquel Il a été condamné, sa Mort sur la croix, son tombeau et sa Résurrection. Rappelle-toi ce qu'Il a fait pour nous délivrer des peines éternelles et ce qu'Il exige de toi pour tant de sacrifices. Il exige que tu te donnes à Lui entièrement, que ta vie se passe non comme tu veux; mais comme iIl veut, que tu obéisses à ses commandements. Évite donc tout ce qui nous entraîne au péché, la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil qui règne dans ce bas monde. Crucifie ta chair avec toutes ses passions et tous ses désirs, cultive la patience, comme une condition indispensable pour obtenir le salut de ton âme, et aime Dieu et ton prochain, comme toi-même.

Prends une ferme résolution de haïr tout péché de pensée, de parole et d'action; et si tu es assailli par la tentation du péché, résiste avec énergie, en t'appuyant sur la haine que tu as conçue pour lui. Prends garde seulement que ta haine ne retombe sur la personne de ton frère, qui aurait pu t'induire au péché. Porte ta haine toute entière sur le péché même. Quant à ton frère, tu n'as qu'à le plaindre, éclaire son coeur et prie pour lui le Tout-Puissant qui nous voit tous et qui sonde les reins et les coeurs. Vous n'avez pas encore résisté jusqu'à répandre votre sang en combattant contre le péché. (Heb 12,4). Sans une haine implacable contre le péché, il est souvent impossible de l'éviter. C'est l'amour propre qu'il faut déraciner, car tout péché provient de lui. Ce péché aime à dissimuler son but, il a l'air de nous vouloir du bien en nous promettant la satisfaction et le repos. Le fruit était bon à manger et beau à voir et d'un aspect désirable. (Gen 3,6) Voilà l'aspect sous lequel le péché se présente toujours à nos yeux.

Voilà que tu es guéri, ne péché plus désormais. (Jn 5,11). L'expérience nous démontre que les péchés et les passions détruisent la santé de l'âme et celle du corps et que la victoire remportée sur les passions rend à l'âme sa sérénité et la santé au corps. Terrasse l'hydre à têtes multiples, I'hydre du péché, et tu seras guéri. Conserve ta tranquillité d'esprit, ne te révolte pas, ne t'irrite pas devant les contrariétés et les offenses, les négligences, les injustices, et tu peux être sûr de jouir toujours de la santé de ton âme et de celle de ton corps. L'agitation, I'irritation, le feu des différentes passions engendrent en nous un grand nombre de maladies tant morales que physiques.

§ 4. - DU JEÛNE ET DE L'AUMÔNE

À quoi sert le jeune et la pénitence ? À quoi sert le labeur ? Ils servent à la purification de l'âme souillée par le péché, à la paix de cette âme, à son rapprochement filial vers son père, et enfin à lui donner une sainte témérité dans ses demandes au Seigneur. Ces considérations suffisent à elles seules pour nous engager à jeûner et à nous confesser de tout notre coeur. Une récompense inappréciable sera le fruit d'un labeur consciencieux. Vous direz peut-être : y en a-t-il beaucoup parmi nous qui aiment Dieu avec un sentiment vraiment filial ? Trouvons-nous beaucoup de personnes qui osent hardiment et sans nulle hésitation coupable envers la Providence, invoquer Dieu, le Père céleste, et dire ces mots : Notre Père ! Au contraire, cette voix filiale n'a-t-elle pas cessé de résonner dans nos coeurs, étouffée par la vanité de ce monde ou par l'attachement à ses pompes et à ses plaisirs ? Le Père céleste n'est-il pas loin de nos coeurs ? Ne devons-nous pas nous le figurer comme un Dieu vengeur et irrité contre nous autres qui nous sommes éloignés de Lui dans une région lointaine ? Oui, nos péchés nous rendent dignes de sa juste Colère, de sa juste punition, et c'est prodigieux comment Il nous supporte après tant de fautes, comment Il ne nous abat pas comme des figuiers stériles ! Hâtons-nous donc de reconquérir sa Pitié par la pénitence et par les larmes. Rentrons en nous-mêmes, examinons avec tout la sévérité possible notre coeur impur, et nous verrons quelle masse d'impuretés encombre les abords de ce coeur et empêche la grâce divine d'y pénétrer. Nous comprendrons alors que, sous le rapport de la vie morale, nous ne sommes que des êtres morts. Ne nourris pas ton corps avec abondance, ne lui prodigue pas des caresses, ne fais pas ce qui lui fait plaisir et ne lui donne pas des armes pour se révolter contre l'esprit. Sinon à un moment donné, lorsque tu devras travailler en esprit, par exemple prier ou composer un écrit moral ou religieux, tu verras à quel point ta chair aura envahi l'esprit, à quel point elle l'aura lié aux mains et aux pieds : elle détruira tous les élans de ton esprit et ne le laissera ni se redresser, ni reprendre sa vigueur. L'esprit sera devenu l'esclave de la chair.

L'aumône n'a de mérite et de valeur pour l'âme qu'autant qu'elle est accompagnée d'efforts pour nous corriger de l'orgueil, de la haine, de l'envie, de l'oisiveté, de la paresse, de la gourmandise, de la fornication, du mensonge, de la fraude et d'autres péchés. Mais si l'homme néglige de corriger son coeur et compte sur son aumône pour tout racheter, il se trompe singulièrement, car ce qu'il érige d'une main, l'autre le détruit.

L'aumône donnée à contre-coeur est sans fruit pour celui qui la donne, parce que la partie matérielle de l'aumône n'appartient pas à ce dernier, étant un don de Dieu. Seul le mouvement du coeur lui appartient. C'est pourquoi il y a bien des aumônes qui ne peuvent être attribuées qu'à la vanité, ayant été données de mauvaise grâce, avec regret et sans estime pour la personne de l'indigent, de même que bien des gens hospitaliers ne le sont que par vanité, déguisant leur vrai sentiment et n'ayant qu'un but, celui de déployer leur faste devant leurs convives. Que nos offrandes au prochain soient donc offertes, avec un coeur sincère, sur l'autel même de la charité. Car Dieu aime celui qui donne avec joie. (2 Cor 9,7)

En observant de plus près les pauvres qui m'entourent, surtout après un échange de paroles, je remarque qu'ils sont vraiment dignes d'être aimés. Ils sont si doux, si humbles, si simples de coeur, si pleins de bienveillance sincère, que je me dis : oui, ils sont pauvres au point de vue matériel, mais riches au point de vue spirituel. En effet, ils me font rougir de moi même, lorsque je songe à ma dureté, à mon orgueil, à ma méchanceté, à mon dédain, à mon irascibilité, lorsque je pense combien je suis mauvais, froid envers Dieu et les hommes, envieux et avare. Ils sont en vérité de vrais amis de Dieu ! Or, I'ennemi, qui connaît les trésors de leurs âmes, provoque chez ses esclaves, - les riches orgueilleux, un sentiment de mépris et de haine à leur égard, brûlant lui-même du désir de les faire disparaître de la surface de la terre, comme s'ils n'avaient pas le droit d'y vivre et d'y marcher ! Ô mes pauvres frères, ô amis de Dieu ! c'est vous qui possédez la véritable richesse spirituelle, et c'est moi qui suis le pauvre, le misérable, le mendiant ! Vous méritez vraiment l'estime de ceux qui vivent dans l'abondance, mais qui sont pauvres et misérables en vertu, qui n'ont ni tempérance, ni douceur, ni humilité, ni bonté, ni sincérité, bref qui n'ont pas l'amour de Dieu et du prochain. Ô Seigneur! enseignez-moi à mépriser les apparences et à concentrer toute mon intelligence sur les vrais biens de l'âme, à savoir : estimer les biens intérieurs et mépriser les biens extérieurs. Ô Seigneur, faites que je puisse constater ce même sentiment chez les riches et chez les puissants d'ici-bas !

CHAPITRE 5

DES TENTATIONS ET DE LA VICTOIRE

1. - DES TENTATIONS

Le Seigneur permet la tentation de l'ennemi afin de nous éprouver, augmenter notre force spirituelle dans notre lutte avec l'esprit du mal et nous montrer de quel côté penche notre coeur, si c'est la patience, la foi, l'espérance et l'amour qu'il préfère, ou l'emportement, l'incrédulité, le murmure, le blasphème, la colère et le désespoir. Nous ne devons donc pas nous décourager, mais supporter tranquillement et avec patience l'obscurité qui envahit parfois notre âme, l'influence du démon qui l'énerve et la porte à l'impuissance et à la colère. Nous devons également supporter l'affliction et l'angoisse du coeur, sachant bien que tout cela est un élément inéluctable dans l'ordre spirituel et que ce n'est qu'une épreuve que le Seigneur nous fait subir pour voir si nous ne maudissons pas le chemin de la vertu et si ce n'est pas celui du mal qui a toutes nos préférences. Nous sommes libres et nous devons faire tout notre possible pour rester fermes dans la foi et dans la vertu jusqu'à notre dernier souffle. Or, comment pourrions-nous le faire, si nous étions exempts de tentations ?

L'ennemi agit cruellement sur notre coeur par différentes voies, entre autres par la voie de la nature visible, comme il en a été de Job, c'est-à-dire au moyen du vent, de l'eau et du feu. Ce sont ses embûches qui causent quelquefois les incendies, les inondations, les tempêtes; qui détruisent les habitations sur terre et les vaisseaux sur mer. En d'autres occasions, l'ennemi profite d'un temps humide, et, se dissimulant dans l'humidité et dans les vapeurs, il nous tourmente intérieurement, nous appesantit, nous opprime, nous engourdit d'un froid qui nous rend insensibles à tout ce qui est vrai et saint. Oh ! les embûches du prince des ténèbres sont incalculables et il est bien difficile de les découvrir !

Une tentation particulière survient quelquefois dans le chagrin, - c'est l'endurcissement, I'engourdissement, la froideur du coeur pour tout ce qui est vrai, bon et saint. On se sent devenu comme une pierre, comme une bûche, on reste sans foi, sans envie de prier, sans amour, sans espérance en la Miséricorde de Dieu. Or, il est bien pénible de ressembler à une pierre ou à une bûche, d'être sans foi et sans amour, quand on est crée pour croire, pour sentir, pour espérer, pour aimer ! Et pourtant, il faut le souffrir avec patience et prier en même temps le Seigneur d'ôter la pierre glaciale qui encombre l'entrée du tombeau de notre coeur, de nous délivrer de notre coeur de pierre, et de nous rendre notre coeur de chair, notre coeur qui est fait pour aimer. Que signifie donc cet endurcissement ou cet engourdissement chez l'homme ? Il nous montre la présence du démon dans notre coeur, oui, du démon qui, après s'être emparé de lui à cause de notre incrédulité, chasse loin de nous toute bonne pensée et ne la laisse pas pénétrer dans notre coeur, lui arrachant toute foi, tout bon sentiment, et rendant l'homme insupportable à lui-même. C'est un fait qui arrive en réalité chez les hommes. Qu'ils sachent donc ce qu'il signifie pour tâcher d'en triompher.

L'ennemi agit quelquefois a l'aide d'hommes méchants. Tels sont les orgueilleux qui nous font subir l'humiliation et le mépris, les impies qui nous inspirent l'incrédulité, les fausses idées, la raillerie en matière de religion, les tyrans qui nous tyrannisent et nous torturent, les gourmands qui nous entraînent aux plaisirs et aux excès de la table (notre propre chair pourtant y est aussi pour beaucoup); les dépravés qui corrompent nos moeurs et nous privent souvent de la chasteté, les voleurs qui nous prennent ce qui nous appartient, les haineux et les envieux qui nous font souffrir, les endurcis qui nous privent de pain, de vêtements, de logement. En un mot, l'ennemi met à profit tout ce qui appartient à la terre et comme prince de ce monde (Jn 16,11), comme prince des esprits de malice répandus dans l'air, comme prince de ce siècle de ténèbres, (Ep 6,12), il agit avec la persuasion de Dieu sur le genre humain, pour le pervertir et l'attirer à lui à l'aide de toutes sortes de tentations et d'oppressions. Si le très-sage, le tout-clément et le tout-puissant Père céleste ne veillait sans cesse sur nous et ne dirigeait vers de bons résultats les efforts que le démon fait pour nous perdre, si nous-mêmes nous ne correspondions à la grâce de Dieu, il y a longtemps que le tentateur aurait subjugué le monde entier et il ne resterait plus sur la terre aucun rejeton de la grâce sainte. (cf. Is 6,13).

Pour comprendre le vrai sens des paroles de la prière dominicale : ne nous laissez pas succomber à la tentation, il ne faut pas oublier que cette prière a été donnée aux apôtres qui demandaient à Jésus de leur apprendre à prier. Elle leur a été donnée avant la descente du saint Esprit, lorsque Satan demandait au Seigneur de lui abandonner ses disciples pour les cribler comme le froment (cf. Luc 22,31). Les apôtres étaient encore très faibles alors et pouvaient facilement succomber à la tentation (comme cela arriva à Pierre). C'est pourquoi le Sauveur a ajouté ces paroles : ne nous laissez pas succomber à la tentation. Or, quant â nous, nous ne pouvons pas vivre sans éprouver des tentations dans le domaine de la foi, de l'espérance et de l'amour. Ces tentations de notre for intérieur sont nécessaires à l'homme pour qu'il puisse apprendre à se connaître lui-même et à se corriger. Oui, les tentations sont indispensables, car c'est par là que les pensées cachées au fond des coeurs d'un grand nombre seront révélées (Luc 2,35). C'est dans les tentations qu'éclatent au grand jour notre fermeté et notre faiblesse dans la foi, le savoir ou l'ignorance, la dépravation ou la pureté de notre coeur, notre confiance en Dieu ou en la matière, notre amour dc nous même et du périssable ou de l'impérissable, c'est-à-dire de Dieu.

Les démons tremblent non seulement devant la croix, mais devant le signe même de la croix, parce que le Fils de Dieu a été cloué à l'arbre de la croix et l'a sanctifiée par ses Souffrances . À quel point donc les démons doivent ils trembler devant la Reine des cieux, la Mère de Dieu, au seul appel même de son très saint nom ? Semblable à un astre lumineux, elle est toute rayonnante de lumière divine. Semblable à un charbon incandescent, elle est toute étincelante comme le fou. Il est facile de comprendre que si Dieu est la Lumière et la Sainteté, elle - sa Mère, doit être aussi la lumière et un modèle de sainteté pour les hommes.

Fais toujours le contraire de ce que le démon t'inspire. S'il t'inspire de haïr ceux qui t'ont offensé, fais leur voir ton amour; bénis ceux qui te comblent d'injures et ne garde pas rancune à ceux qui te privent de ce qui t'appartient, donne toujours sans regret ce que tu possèdes. Si tu as envie de rire, pleure, si tu te sens découragé, tâche d'être gai. Si tu éprouves l'envie, cherche à être content du bonheur d'autrui; si tu veux contredire ou te rebeller, acquiesce à tout et soumets toi. Si tu es en proie à des pensées luxurieuses, rappelle ton coeur à la pureté en songeant à l'insigne honneur d'être chrétien, d'être, pour ainsi dire, un homme divinisé en Jésus Christ, et rappelle toi que nos membres sont ses membres à Lui. Si c'est l'orgueil qui s'empare de toi, fais preuve d'humilité; si c'est la méchanceté, montre le plus de bonté possible; si c'est un emportement, garde ton calme; si c'est l'avarice, sois généreux; si c'est la distraction, détourne à l'instant tes pensées des objets qui les attirent et concentre-les sur l'idée qui doit t'occuper; si c'est le doute, le manque ou l'absence de la foi, appelle à ton secours la foi dans ses manifestations les plus puissantes, évoque les souvenirs des exemples de la foi des hommes d'élite de l'Ancien et du Nouveau Testament, des miracles produits par la foi, etc. Tiens-toi à ce système pour combattre les ruses de l'ennemi, et oppose-lui une résistance énergique, car toutes nos passions, toutes nos faiblesses, tous nos caprices sont ses oeuvres et ses subterfuges.

Si l'ennemi ne réussit pas à abattre le chrétien dans la voie de son salut par le chagrin, le malheur, la misère et toute sorte de privations, pas les maladies et autres souffrances, il se jette dans une autre extrémité; il l'accable par la surabondance de la santé, par le désoeuvrement, par le bien-être, par la prostration morale, par l'indifférence pour les biens spirituels, ou par les richesses de la vie temporelle. Oh ! combien ce dernier état est dangereux ! il est plus dangereux que le précèdent, que l'état de chagrin, de malheur, de maladie etc. Il nous fait facilement oublier Dieu et nous prive de la faculté de ressentir ses faveurs : Nous nous assoupissons, nous nous endormons moralement. Et comme l'époux tardait a venir, elles sommeillèrent toutes et s'endormirent. Or, vers minuit un cri s'entendit : voilà que l'époux vient, venez au devant de lui. (cf. Mt 25,6). Oui, dans le malheur nous recourons toujours malgré nous à Dieu pour demander son secours, nous sentons toujours que Dieu est le Dieu de notre salut, le Dieu Sauveur, qu'Il est notre vie, notre souffle, notre lumière, notre force. Par conséquent, il vaut mieux que le chrétien éprouve des malheurs.

Si tu vois quelqu'un qui, sous l'influence du démon, est préoccupe d'une bagatelle, s'en fait un tourment et ne cesse d'en parler et d'en fatiguer les autres, ne te fâche pas contre lui, et sois persuadé que tu as devant toi un homme malade d'esprit, grâce au démon. Sois bon et doux avec lui et adresse à l'instant même une prière à Dieu en récitant avec une foi tranquille et inébranlable le verset suivant composé en l'honneur de la sainte Face : nous saluons votre très sainte Image, ô Seigneur Jésus, Dieu clément, en vous demandant de nous accorder le pardon de nos péchés, car vous avez bien voulu être attaché à la croix pour délivrer de la violence du démon ceux que vous avez créés. C'est pourquoi, pénétrés de reconnaissance, nous nous écrions : Vous avez rempli de joie toute la création, notre Sauveur, en venant sauver le monde.

Le démon attaque le coeur des prêtres par la paresse, l'aridité et la stérilité de la pensée, afin de les empêcher de prêcher les vérités de l'Évangile et de faire entendre aux hommes la Volonté de Dieu dans toute son étendue. Il agit aussi sur eux dans leur prière en frappant leur coeur de froideur, pour ôter toute sincérité à leurs paroles et les rendre pharisaïques. C'est lui encore qui leur oppose mille obstacles pour les empêcher de contempler dans la prière les perfections de Dieu, les grandeurs de la sainte Vierge, des anges et des saints... Le démon agit ainsi sur ceux qui ont pour devoir d'enseigner la religion, en envoyant à leur coeur la sécheresse, l'aridité, le malaise du doute, pour les empêcher de prêcher avec des lèvres ardentes et convaincues la vérité divine aux jeunes coeurs...

Ici bas, dans ce monde de vanité, dans ce monde d'adultère et de péché, notre âme et notre corps sont souvent et même sans cesse imperceptiblement dévorés par la rouille et les vers, fouillés et dérobés par les voleurs (Mt 6,19) spirituels qui déterrent les trésors de l'âme : la justice, la paix et la joie que donne le saint Esprit. (Rom 14,17). Quel est donc le moyen le plus sûr de se prémunir contre cette corruption continuelle et coupable, contre ces voleurs spirituels ? La prière de la pénitence et de la foi. C'est elle qui ranime, qui ressuscite notre âme, croupissant dans d'impurs désirs, c'est elle qui chasse les voleurs spirituels. Pour eux, elle est un fléau, pour nous, une source de force, de vie et de salut. Gloire en soit rendue au Seigneur ! La prière nous préserve et nous délivre du péché. La prière et la foi rend la vie douce, car en priant nous visons avec le Seigneur, qui a promis tous les biens à ceux qui les Lui demandent : demandez et l'on vous donnera; cherchez, et vous trouverez; frappez, et il vous sera ouvert. Car quiconque demande reçoit; qui cherche, trouve; et l'on ouvre à celui qui frappe. (Mt 7,7-8). Gloire, Seigneur à vos paroles pleines de vérité ! Ô Seigneur ! soyez généreux envers tous ceux qui vous implorent par mes prières indignes, et donnez-leur les biens divers dont leurs coeurs ont besoin. Amen. Ainsi soit-il !

§ 2. - DU COMBAT SPIRITUEL

Le royaume des cieux souffre violence et les violents le ravissent. (Mt 11,12). Si nous négligeons de faire tous les jours des efforts pour vaincre les passions qui nous assiègent et de conquérir dans notre coeur le royaume de Dieu, les passions ne cesseront jamais de nous dominer cruellement, et d'assaillir à loisir notre âme, comme des malfaiteurs. L'attrait des choses terrestres augmentera chez nous, tandis que la foi et l'attrait des biens célestes, l'amour de Dieu et du prochain, dépériront de plus en plus, et la paix de notre conscience disparaîtra peu à peu. Il faut travailler au salut de son âme et en faire son but le plus cher. Tout ce qui tient à la terre ne doit pas avoir plus de valeur pour nous que la poussière et le songe ou l'illusion. Le Seigneur seul et les biens du ciel sont cette vérité invariable qui contient le bonheur et qui dure éternellement.

Ceux qui mènent une vie spirituelle ont à soutenir à chaque instant dans leurs pensées une guerre sourde, imperceptible, mais rude, la guerre spirituelle. Il faut être armé à chaque instant de pénétration, de perspicacité, pour découvrir les pensées qui sont introduites dans notre âme par l'esprit du mal et pour les repousser. Pour livrer ces rudes batailles, on doit toujours avoir le coeur brûlant de foi, de soumission et d'amour; sans cela, ce faible coeur donnera facilement accès à la malice diabolique; puis peu à peu à l'affaiblissement ou à la disparition de la foi, enfin à toutes les variétés du mal dont il lui sera difficile de se purifier même par les larmes. C'est pourquoi tu ne dois pas laisser refroidir ton coeur, surtout pendant la prière. Évite surtout l'indifférence. Il arrive souvent que les lèvres prient tandis que le coeur est plein de négligence ou même d'une malicieuse incrédulité. L'homme semble être près de Dieu par le mouvement de ses lèvres, mais son coeur est loin de Lui. Or, pendant la prière, l'esprit du mal fait tout son possible pour glacer et corrompre notre coeur sans que nous puissions même nous en apercevoir. Prie donc le Seigneur, mais arme-toi de toute la force de ton coeur.

Pour ne pas se sentir journellement esclave des passions et du démon il faut se créer un but, ne le perdre jamais de vue et tâcher de l'atteindre, en surmontant, au Nom du Seigneur, tous les obstacles. Quel est donc ce but ? Le royaume de cieux, la gloire éternelle, promise aux croyants depuis la création du monde. Mais le but ne pouvant être atteint que par certains moyens à sa disposition, quels sont donc ces moyens ? La foi, I'espérance et l'amour, mais surtout I'amour. Crois, espère et aime, surtout aime Dieu malgré tous les obstacles et surtout aime aussi ton prochain comme toi-même. Si tu n'as pas la force de conserver dans ton coeur ces trésors inappréciables de l'esprit humain, prosterne-toi plus souvent devant le Dieu d'amour, demande, cherche, frappe; I'on te donnera, tu trouveras, il te sera ouvert. (cf. Mt 7,7-8). Celui qui l'a promis est fidèle à sa promesse. Si tu marches ou restes assis, si tu es couché, si tu converses ou si tu t'occupes d'un travail quelconque, à chaque moment enfin, demande dans ton coeur que la foi et l'amour te soient accordés. Tu n'as pas encore demandé cette faveur comme tu dois la demander avec ardeur et avec instance. Tu n'as pas encore formé la ferme résolution de les obtenir. Et bien, prends là et dis : Voici j'ai commencé.

Le Seigneur est pour moi tout. Il est la force de mon coeur et la lumière de mon intelligence. Il pousse mon coeur vers tout ce qui constitue le bien; Il le fortifie, Il m'inspire les bonnes pensées, Il est ma paix et ma joie. Il est ma foi, mon espérance et mon amour. Il est ma nourriture, ma boisson, mon vêtement, ma demeure. Comme une mère est tout pour son enfant - discernement, volonté, vue, ouïe, nourriture, boisson... - de même le Seigneur est pour moi tout, lorsque je Lui suis entièrement fidèle. Mais, hélas ! lorsque je me détache de Lui, le démon s'introduit dans mon coeur et si je ne portais pas le regard de mon âme vers le Seigneur, si je n'invoquais son secours aux moments de ma détresse, le démon, comme cela m'arrive, m'aurait rempli de toute espèce de mal de colère, de découragement, d'impuissance pour tout ce qui est du ressort du bien, de désespérance, de haine, d'envie, d'avarice, de blasphème, de toutes sortes dé méchantes et mauvaises pensées, de dédain envers tous. En un mot, c'est Lui qui devient dans des moments pareils mon intelligence, ma volonté, ma vue, mon ouïe, mon goût. Espère donc dans le Seigneur : il est celui qui Est, le Maître suprême, sans borne dans sa Sainteté, dans sa Puissance, dans sa Clémence, dans sa Miséricorde, dans sa Générosité et dans sa Sagesse.

Les forces de l'homme, tant spirituelles que corporelles, se perfectionnent, augmentent et se fortifient par l'exercice. Exerce souvent ta main à écrire, à coudre, à faire un ouvrage quelconque, tu y deviendras passé maître, comme on dit; tu finiras par coudre, écrire, faire les ouvrages à la perfection. Exerce-toi dans la composition, tu composeras avec promptitude et habileté. Exerce-toi à faire le bien ou à vaincre les passions et les tentations, tu parviendras avec le temps à accomplir les oeuvres de charité sans difficulté et avec plaisir; tu vaincras les passions facilement avec l'aide de la grâce toute-puissante de Dieu. Mais cesse d'écrire, de coudre, de travailler ou bien fais-le rarement, tu écriras mal, tu coudras mal, tu fera mal ton ouvrage. Cesse de composer ou compose rarement, passe ta vie exclusivement dans les plaisirs matériels, tu en viendras bientôt à ce point de stupidité de ne pouvoir lier quelques mots ensemble, surtout s'il s'agit d'un sujet religieux, et la composition qui te sera confiée sera impossible pour toi. Cesse de prier ou prie rarement, la prière te deviendra odieuse et d'un poids énorme. Cesse de combattre tes passions, ou bien ne leur oppose qu'une rare et faible résistance, et bientôt tu auras une grande difficulté à lutter contre elles; tu seras souvent vaincu, elles ne te laisseront pas tranquille et empoisonneront ta vie. Apprends donc de bonne heure à dompter ces ennemis domestiques et féroces, qui résident toujours dans ton coeur.

Toutes ces considérations nous prouvent que la persévérance et l'activité sont indispensables à chacun. La vie sans l'activité n'est pas la vie, mais un fantôme de la vie, une chose horrible. C'est pourquoi la lutte, une lutte continuelle, opiniâtre, contre la paresse de la chair constitue le devoir de tout homme. Que Dieu garde le chrétien de succomber à la chair ! Or ceux qui appartiennent à Jésus Christ ont crucifié leur chair paresseuse, méchante, coupable, avec ses passions et ses désirs déréglés. (Gal 5,24). Car on donnera a celui qui possède, et il sera dans l'abondance; mais à celui qui n'a pas, on lui ôtera même ce qu'il semble avoir.

Rappelle-toi les paroles de l'Écriture sainte : ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien. (Rom 12,21). On t'injurie, on t'irrite, on t'accable de mépris et de colère, ne le rends pas aux autres avec la même monnaie, mais sois bon doux, affable, respectueux et charitable envers ceux qui se comportent indignement envers toi. Si tu te révoltes de ton côté, si tu réponds avec irritation, avec rudesse, avec mépris, c'est-à-dire d'une manière peu charitable, tu peux être considéré comme vaincu, et ceux qui t'ont offensé ont le droit de te dire : Médecin, guéris-toi toi-même. (Luc 4,23); ou : Pourquoi voyez-vous une paille dans l'oeil de votre frère, et ne voyez-vous pas une poudre dans votre oeil ? Ôtez premièrement la poutre de votre oeil. (Mt 7,35). Ne sois pas étonné si tu te vois souvent exposé à des méchancetés de la part de ceux qui t'offensent, car ils remarquent ta faiblesse et ne manquent pas de t'irriter pour leur bon plaisir. Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphe du mal par le bien. Montre à celui qui t'a offense que ce n'est pas toi, mais lui-même qui est l'offensé; plains-le sincèrement de ce qu'il se laisse si facilement dominer par les passions, de ce qu'il se trouve moralement malade. Que ta douceur, ta charité envers lui croissent avec ses injures, ses vengeances et sa haine; alors tu peux être sûr que tu l'auras vaincu. Le bien est toujours plus puissant que le mal, et par conséquent il est toujours victorieux. Rappelle-toi encore que nous sommes tous des êtres faibles, que nous nous laissons facilement dominer par chaque passion, et, pour cette raison, sois souvent tu peux être toi-même sujet aux défauts de ton frère. Pardonne les offenses à ceux qui t'ont offensé, afin que le Père céleste te pardonne celles que tu commets à son égard et qui sont bien plus nombreuses que les offenses que tu endures. Reste toujours calme, noble, grand et digne, chasse loin de toi toute susceptibilité; que ton esprit soit ferme et ton coeur plein de simplicité et de bonté. Voilà les conditions qui te donneront toujours le triomphe sur tes ennemis. Celui qui reprend le moqueur s'expose à la raillerie. Ne reprenez point le moqueur de peur qu'il ne vous haïsse. Enseignez le juste, et il croîtra en science. (Pro 9,7-9).

Lorsqu'un homme impatient et maladroit entreprend d'adapter certain objet à un usage quelconque et n'y parvient pas comme il le voudrait, à cause de son peu d'expérience ou de savoir, le voilà qui se fâche, qui s'emporte, qui jette et parfois brise l'objet, comme si ce dernier était un être animé et intelligent dont la volonté résistait à la sienne. Il arrive que l'homme en question fait tomber ceci, accroche cela, déchire un objet, entrave le mouvement d'un autre, ne trouve pas moyen de fixer un troisième à l'endroit voulu, en un mot on dirait que tout se met contre lui au point qu'il est prêt à pleurer de dépit. Mais si un maître habile prend la place de cet homme, tout marche à merveille. D'où cela vient-il ? De ce que ce dernier est un homme intelligent, ingénieux, qui en prenant en mains ce travail y emploie toute son énergie. Quel est le but de cette digression sur une question d'habileté ou de maladresse ? C'est de nous montrer que partout c'est l'intelligence de l'homme qui maîtrise la matière; que sans l'intelligence rien ne peut se produire, par exemple, un mouvement régulier quelconque. De même rien ne peut s'adapter de soi-même à un but quelconque, ni l'atteindre; car il n'est possible d'atteindre le but qu'en suivant certaines lois qui, en leur qualité de lois, proviennent de l'intelligence. Passons à l'univers. D'où vient cet ordre inouï dans la matière inanimée et chez les animaux privés de raison ? D'où vient cette beauté, cette merveilleuse métamorphose de la matière difforme et inanimée en matière animée et belle ? D'où vient cette aptitude de la matière créée à atteindre des milliers de buts divers et cette sagesse qui sait les procurer par des moyens tout à fait simples; et cela, dans des choses qui par elles-mêmes ne peuvent avoir un but ni l'atteindre ? Qui est ce Maître invisible de la matière? Quelle est cette intelligence qui manifeste son étonnante sagesse dans la matière de même que dans les êtres animés? Qui est ce permanent artiste et sculpteur, qui, en restant lui-même invisible, se manifeste par les merveilles de son art ? C'est celui qui a dit de Lui : Je suis; c'est vous, ô Seigneur, notre seul Créateur à tous ! Je vous contemple des yeux de mon coeur à chaque point de l'espace. C'est vous, ô mon Dieu, qui, voilé à nos yeux mortels; créez continuellement et nous donnez tout avec la coopération de votre Fils et de votre saint Esprit ! Mon coeur Vous adore en tout lieu, je me prosterne devant Vous, je Vous glorifie et je chante vos louanges à jamais !

Nous éprouvons l'effet de deux forces opposées qui agissent dans notre coeur. L'une d'elles y rentre par la violence et l'astuce, attaque énergiquement l'autre et finit par la tuer. La seconde, chastement offensée par chaque impureté, s'éloigne doucement; mais, lorsqu'elle agit en nous à elle seule, elle tranquillise, adoucit, ranime et réjouit le coeur. Ces deux forces personnellement opposées l'une à l'autre, suffisent pour nous persuader de l'existence indubitable du démon, l'homicide perpétuel, et de celle de Jésus, le Dispensateur perpétuel de la vie et notre Sauveur. Le premier est - l'obscurité, la mort; le second - la lumière et la vie. C'est pourquoi, si tu aimes Dieu et si parfois tu remarques dans ton esprit et dans ton coeur extrême obscurité, douleur, angoisse, contrainte et incrédulité, qui forment comme une force réunie pour s'opposer à la foi en Dieu, sois sûr qu'une force hostile à Jésus réside en toi, et cette force est celle du démon. Cette force obscure et meurtrière, qui se glisse dans notre coeur par la voie d'un péché quelconque, nous empêche souvent d'invoquer le Seigneur et les saints qu'elle cache à nos regards dans le brouillard de l'incrédulité. Dans quel but agit-elle ainsi ? Dans le but de nous torturer; car notre ennemi sait bien que la foi nous sauve de ses embûches. Mais en même temps, ces agissements nous prouvent qu'il y a une force suprême contraire, celle de Jésus Christ, notre Seigneur. La force satanique nous en écarte par l'abomination de l'incrédulité; mais la Force du Christ, par l'effet de notre foi, détruit la force ennemie et l'enchaîne de chaînes éternelles et dans de profondes ténèbres, et la réserve pour le jugement du grand jour (cf. Jud 1,6). Invoquons donc avec foi Jésus notre Sauveur. Chaque chrétien doit absolument acquérir l'habitude de recourir promptement à Dieu en Lui demandant tout ce dont il a besoin, comme un impuissant qui s'approche de la toute-puissance et de la toute-clemence : Présentez à Dieu vos demandes par des prières et des supplications accompagnées d'actions de grâces. (Phil 4,6). Rendez grâces a Dieu en toutes choses (1 Cor 5,17), en glorifiant Dieu, comme font les anges, qui chantent toujours : Alléluia.

Oh ! combien la vie que nous traversons ici-bas est pleine de dangers, de peines et de fatigues ! Chaque jour, du matin au soir, nous avons à soutenir un pénible combat contre nos passions, qui attaquent notre âme, contre les principautés, contre les puissances, contre les princes des ténèbres de ce monde des ténèbres, contre les esprits de malice répandus dans l'air, (Eph 6,16), dont la méchanceté et la perfidie n'ont pas de borne, sont dirigés avec un art infernal et sont toujours prêts à nous assaillir ! Ô notre très doux Sauveur, qui appelez à vous tous ceux qui sont fatigués et charges pour les soulager ! Vous voyez : notre coeur et notre âme sont exténues de fatigue par notre lutte de chaque jour; nous sommes brises, la force nous manque et nous marchons comme des ombres. Nos ennemis méchants saisissent sans cesse nos âmes et s'efforcent de nous entraîner dans l'abîme du désespoir. Étendez, ô Seigneur, votre Bras souverain, et délivrez-nous des embûches de l'ancien dragon homicide . Si quelqu'un veut venir à Moi, avez Vous dit, qu'il se renonce soi-même et qu'il porte sa croix tous les jours et Me suive. (Luc 9,23). Mais qui est celui qui, chaque jour, est la cause de notre croix, de nos fatigues et de nos peines ? Le vieil homme, l'homme charnel qui est en nous et le démon, avec ses embûches continuelles !

§ 3. - DU TRIOMPHE DE LA GRÂCE

Que serait-il de nous, si la grâce divine n'était pas là pour nous prévenir, si elle ne pénétrait pas subitement d'une manière inattendue tout notre être après les péchés que nous avons commis, et si elle ne nous disposait pas au repentir et aux larmes? Que serait-il de nous, si nous étions obligés, pour arriver au repentir, d'user de nos seuls efforts ? Oh ! que nous serions malheureux ! Il serait bien rare que quelqu'un de nous pût se délivrer du fardeau de ses péchés; car nous sommes généralement peu portés à un labour assidu, surtout lorsqu'il s'agit de notre vie spirituelle, et si nous n'étions pas secondés, si le travail de notre sanctification ne nous était pas facilité et adouci depuis longtemps, nous aurions abandonné l'oeuvre de notre salut. Mais Dieu, ce Père si sage et si clément, nous allège quelquefois le poids de notre fardeau spirituel. D'autres fois, au contraire, Il le rend plus lourd afin de nous éprouver, de nous habituer à la patience et à la mortification de notre chair corrompue et pervertie. Quelle sagesse infinie Il montre en usant alternativement de ces deux moyens ! Il en résulte que l'oeuvre de notre salut, par l'effet de la grâce divine, reste toujours possible, exempte de trop de difficultés, et souvent même nous fait plaisir.

-Jamais il n'est plus difficile de dire sincèrement : Que votre volonté, ô Père,soit faite, que quand on souffre d'un grand chagrin ou d'une grave maladie, surtout si on est victime de l'injustice humaine, ou de la violence et des embûches de l'ennemi. Il est de même difficile de dire sincèrement : Que votre volonté soit faite, lorsque nous sommes nous mêmes la cause d'un malheur; car nous sommes persuadés que ce n'est pas la Volonté de Dieu, mais notre volonté à nous qui nous a mis dans un tel embarras, oubliant que rien n'arrive sans la Volonté de Dieu. En somme, il n'est pas facile de se persuader que nous puissions souffrir par la Volonté de Dieu, lorsque notre coeur nous dit par la foi et par l'expérience que Dieu est notre félicité. C'est pourquoi il est bien difficile de dire dans le malheur : Que votre Volonté soit faite. Nous faisons la réflexion suivante : est-il possible que la Volonté de Dieu puisse être de m'envoyer le mal dont je souffre en ce moment ? Pourquoi donc Dieu nous tourmente-t-Il ainsi ! Pourquoi les autres sont-ils tranquilles et heureux ? Qu'avons nous fait ! Notre souffrance aurait-elle une fin ? etc... Mais c'est précisément alors, quand notre nature corrompue refuse de reconnaître la Volonté de Dieu qui la gouverne et sans laquelle rien ne se fait, c'est alors qu'elle doit se soumettre à cette Volonté. C'est précisément alors qu'elle doit apporter au Seigneur son offrande la plus précieuse, sa soumission sincère, non seulement dans le repos et dans le bonheur, mais aussi dans le chagrin et dans le malheur. Qu'elle abandonne son raisonnement puéril à l'arbitre de la Sagesse divine qui est parfaite; car autant les cieux sont élevés au dessus de la terre, autant les voies de Dieu sont élevées an dessus des nôtres. ( cf. ls 55,89). Que chaque homme offre à Dieu en sacrifice son Isaac, son fils unique, son bien-aimé, sur lequel repose la Sagesse divine, promesse de repos, de félicité et non de souffrance; qu'il lui donne une preuve de sa foi et de son obéissance, et qu'il se rende par là digne des dons du Très-Haut qu'il a déjà reçus ou qu'il doit recevoir plus tard.

Notre corps puise sa vie dans les éléments dont il est formé et tire sa nourriture de l'air, de l'eau et de différentes substances organiques. Notre âme puise sa vie dans l'Esprit divin, dont elle est issue, et pour maintenir sa vie, elle se nourrit de la vie de la sainte Trinité par la lumière intellectuelle, par les saints désirs du coeur et par la ferme volonté du bien. Notre corps ne peut pas vivre et meurt s'il n'est pas nourri par les matières qui lui sont indispensables; notre âme meurt aussi, si elle n'est pas nourrie par la prière ou par les bonnes pensées et les bonnes actions. En examinant les conditions de l'existence de notre organisme corporel, nous remarquons que la nourriture et la croissance du corps se produit jusqu'à un certain temps sans entrave; mais si un poison quelconque se trouve ajouté à la nourriture, à la boisson, ou si un principe contagieux est répandu dans l'air que nous respirons et pénètre dans notre organisme, le corps devient tout de suite malade et subit la mort, à moins qu'un secours n'intervienne pour le sauver. La même chose a lieu dans notre organisme spirituel : tout va bien pour un certain temps, mais dès que le démon se met à l'attaquer, l'âme commence à souffrir péniblement. Elle devient, pour ainsi dire, inanimée et éprouve le besoin d'un prompt secours de la part du Médecin céleste, le Dieu des esprits. Ce secours ne s'obtient qu'à force de prières et de foi. Les ruses que le démon déploie dans l'âme d'un homme, correspondent aux poisons de la nature matérielle, avec cette différence que le poison matériel pénètre rarement dans notre corps, au lieu que les ruses de l'esprit du mal sont toujours auprès ou autour de nous. De même que la lumière, l'air, l'eau, les aliments, plantes et animaux, qui forment le milieu dans lequel notre corps habite, sont toujours là pour maintenir sa vie, de même notre âme peut disposer toujours en abondance des forces nécessaires pour maintenir sa vie, des aliments et des vêtements spirituels qui sont dans la sainte Trinité, Dieu se trouvant pleinement en chaque endroit, comme l'air ou comme la lumière intellectuelle des âmes. Il est prêt à tout moment, selon la mesure de notre foi et de notre ferveur dans la prière, à maintenir les forces de notre âme par sa grâce incessante, à être pour nous la lumière de notre intelligence et de notre coeur, à être l'air que notre âme respire, la nourriture dont elle se nourrit elle se réchauffe et le vêtement qui non seulement recouvre sa nudité coupable, mais lui sert d'ornement et comme de manteau royal, c'est-à-dire, le vêtement de notre rédemption par notre Seigneur Christ. L'homme se trouve à chaque instant de son existence dans deux milieux, dont l'un est matériel, et l'autre spirituel, et qui pourvoient tous les deux à tous ses besoins; le premier contribue à sa nature corporelle, le second à sa nature spirituelle; le premier, c'est la nature visible, le second, c'est l'éternel Esprit de Dieu dans sa Trinité. L'Esprit divin étant pleinement partout est au dessus de tout; et comme Il renferme tout, Il n'a pas de limite. Nous sommes par nous-mêmes si nuls et si faibles que nous recevons non de nous, mais de dehors tout ce qui est nécessaire à notre existence; l'homme par lui-même n'est rien. Et de même que notre corps se fortifie par l'air et les aliments, notre âme se fortifie par la prière, par la lecture de l'Écriture sainte, et par le saint sacrement. D'un autre côte, le royaume du très-clément et tout-puissant Seigneur, renferme des esprits méchants, déchus, qui habitent principalement l'air et la terre; et comme ils ont dès le commencement entraîné l'homme au mal et qu'ils ont toujours existé, existeront, ainsi que le genre humain, jusqu'à la fin des siècles, ils forment, pour ainsi dire, un milieu dont nous sommes entourés et dans lequel nous vivons. Les hommes étant des êtres libres, mais en même temps déchus, quoique rachetés par le Fils de Dieu, et se trouvant dans cet état de grâce librement, à cause de leur toi, de leur amour pour Dieu et de leurs bonnes oeuvres, les hommes, dis-je, doivent par une prière incessante à Dieu se prémunir contre les forets hostiles qui attaquent notre âme et veulent nous capturer pour faire de nous leurs esclaves et leurs pareils en esprit. Nous devons tous être bien sur nos gardes et ne pas nous allier aux esprits du mal qui parcourent le monde, afin qu'ils ne deviennent pas le souffle de notre âme et ne remplacent pas en elle celui de Dieu, et que le mal, qui constitue leur nature, ne devienne pas notre mal à nous. Cependant nous ne devons jamais oublier que Celui qui est en nous est plus grand et plus fort que ces ennemis invisibles, et que le Seigneur les tient en son plein pouvoir. S'il les laisse agir autant que sa Clémence et sa Sagesse le permettent, ce n'est que pour le bien des hommesä Partout dans le monde nous voyons le dualisme, un principe opposé à l'autre : l'esprit et le corps, le bien et le mal. Satan a ses adeptes et ses allies pour établir sa puissance parmi les hommes. Dieu a ses alliés pour établir sa puissance parmi les hommes; Dieu a ses anges auxquels Il confie chaque chrétien pour le défendre et lui enseigner la voie qui mène au bienheureux royaume du Christ.

Quel lien peut-il avoir entre la justice et l'iniquité (2 Cor 6,141). Aucun. Le Seigneur hait les discours étudiés du méchant, (Prov 15,26) et iIl abandonne le coeur qui recèle ses pensées. Nous le ressentons d'ailleurs nous-mêmes. Par conséquent, pour que le Seigneur daigne S'unir à quelqu'un, il faut que cet homme soit entièrement pur de tout péché et qu'il possède la vertu, autrement dit,qu'il croie en notre Seigneur Jésus Christ qui a pris sur Lui les péchés du monde entier; qu'il reconnaisse ses péchés, qu'il les condamne sincèrement, qu'il les trouve insensés, absurdes et qu'il en demande pardon au Seigneur du fond de son âme, avec une ferme résolution de ne plus les commettre à I'avenir. C'est ainsi que tous les saints se sont unis au Seigneur et sont devenus des saints. Quelle sainteté doit donc être celle de la très sainte Vierge, si Dieu le Verbe Lui-même, la Lumière éternelle, la véritable Lumière qui illumine tout l'homme venant en ce monde. (Jn 1,9) s'est intimement uni à elle, et si le saint Esprit est survenu et la vertu du Très-Haut l'a couverte de son ombre ? (Luc 1,35). Combien la bienheureuse Vierge est au dessus des saints, combien elle est non seulement sainte, mais supérieurement sainte, si elle est devenue le temple immaculé de la Divinité; si elle a été entièrement pénétrée du saint Esprit dans toutes ses pensées, dans tous ses sentiments, dans toutes ses actions, et si le Créateur Lui-même a créé pour Lui un corps de son Sang ? En vérité, elle possède une sainteté suprême, absolue, inébranlable, éternellement invariable et divine; car Dieu, l'Être tout-parfait, devenu son Fils comme homme, l'a rendue toute-parfaite à cause de son humilité sans borne, de sa pureté et de son amour pour la source de toute pureté, c'est-à-dire pour Dieu, de son renoncement complet au monde et de son attachement intime au royaume d'en haut. Mais la plus haute preuve de sa perfection, c'est qu'elle est devenue la Mère de notre Seigneur, c'est qu'elle L'a porté dans son seinä Puis elle a souffert à cause de Lui, elle a versé des larmes pour Lui, et elle Lui a voué toute sa vie, absorbée dans son esprit et ne formant avec Lui qu'un même coeur, une même âme, une même sainteté. Oh ! elle est sublime cette union d'amour et de sainteté de la très sainte Vierge Marie et de son Fils divin, notre Seigneur Jésus Christ ! Les saints du ciel sont dignes aussi d'admiration à cause de leur amour sans borne pour le Seigneur et à cause des flots de sang et de sueur qu'ils ont verses pour cet amour.

Il est bon, il est très-bon de posséder la vertu, dans le sens purement humain de ce mot. Un homme de bien jouit toujours de la pais du coeur, il est aimé de Dieu, et ceux qui le connaissent éprouvent pour lui une réelle sympathie. Un homme vertueux attire, malgré lui, les regards de tous ceux qui l'approchent. D'où vient cela ? Cela vient du même attrait qu'une fleur au doux parfum exerce sur nous : sans y penser, nous l'approchons de notre odorat pour en sentir l'arôme. Observez les traits d'un homme vertueux ! Quelle expression, qui ressemble à celle d'un ange ! Vous y voyez tant de douceur, tant de modestie et même d'humilité, que malgré vous, vous en êtes saisi et que vous ne pouvez vous lasser de les admirer. Approfondissez les paroles qu'il vous dit, vous y trouverez un parfum plus suave encore. Il vous découvre, pour ainsi dire, toute son âme et vous restez séduit par le charme de ses pensées.

Notre vie spirituelle se partage visiblement en deux états tout-à-fait opposés : l'état de la paix, de la joie, du bien-être du coeur et l'état de la souffrance, de la crainte et de l'angoisse de l'âme. Le premier se produit toujours lorsque l'âme agit conformément aux lois du Créateur, le second survient quand elle enfreint ses saintes lois. Je puis toujours remarquer et je remarque en effet le moment où je me sens livré à l'un ou à l'autre de ces deux états, mon intelligence me le fait toujours comprendre. Aussi arrive-t-il qu'après avoir réussi à détruire la cause qui m a jeté dans l'état de souffrance et d'angoisse, je détruis en même temps ce qui en était la suite, c'est-à-dire la souffrance et l'angoisse de l'âme.

Un chrétien doit surtout avoir soin de la pureté absolue du coeur, car c'est par le regard du coeur que nous contemplons Dieu tel qu'Il est, avec son amour pour nous et avec toutes ses perfections. C'est le regard du coeur qui contemple les anges, la gloire de la Reine du ciel, la beauté de son âme, et ce rôle sublime que lui donne son nom de Mère de Dieu. C'est ce même regard qui nous fait voir la beauté des âmes des saints, et leur amour pour nous : ce sont les yeux du coeur qui nous les montrent tels qu'ils sont réellement, qui nous font reconnaître les vérités de la religion chrétienne avec tous ses sacrements, qui nous font sentir à quel point ces vérités sont sublimes. Ces mêmes yeux nous dévoilent l'état de nos âmes et surtout nos péchés. Le coeur impur, c'est-à-dire celui qui est attaché aux choses terrestres, celui qui est souillé par la convoitise des yeux et de l'orgueil mondain, ne peut rien voir, ni rien comprendre à tout ce que je viens de dire.

La pauvreté d'esprit consiste à nous envisager comme si nous n'existions pas, à ne voir que Dieu qui est le seul qui existe pour nous, à considérer ses Paroles au dessus de tout au monde, à ne rien épargner, même notre vie, pour remplir ses commandements, elle consiste à se soumettre en tout à sa Volonté absolue tant pour nous que pour les autres et à rejeter entièrement notre volonté à nous. Le pauvre d'esprit désire de tout son coeur et ne cesse de répéter : Que votre Nom soit sanctifié, que votre règne arrive, que votre Volonté soit faite ! Il disparaît, pour ainsi dire, personnellement, partout et en tout; il veut voir Dieu tant en lui-même que dans les autres. Que tout soit à vous, ô Seigneur, dit-il, et rien à moi ! Il désire contempler cette sainteté de Dieu. Il veut ardemment voir arriver son règne, il ne veut connaître que sa Volonté suprême, et tout cela, remarquons le bien, non seulement dans lui, mais aussi dans les autres. IIl voudrait que les coeurs humains ne fussent remplis que de Dieu (comme c'est d'ailleurs un devoir rigoureux), car Dieu seul est Celui qui est, celui qui a tout crée, qui est la Toute-clémence et la Toute-perfection. Quant au démon et à son entourage, ainsi qu'aux hommes qui désobéissent à Dieu, il les envisage comme des larrons au royaume de Dieu et comme des adversaires du Seigneur. Pour le pauvre d'esprit, le monde entier, pour ainsi dire, est nul. Partout il ne voit que Dieu qui anime et gouverne tout; il n'y a pour lui ni aucun endroit, ni aucun instant qui existe sans Dieu; partout et à chaque instant il est avec Dieu et, pour ainsi dire avec Lui seul. Le pauvre d'esprit n'aura jamais l'audace de prétendre concevoir l'inconcevable, de dévoiler les mystères de Dieu, d'approfondir ce qui est au dessus de l'homme. Il ne croit qu'à la parole du Seigneur qui donne la vie, persuade qu'il n'y a que cette parole qui est la vérité, l'esprit et la vie éternelle; en un mot il ne croit qu'à son Église, toujours inspirée par le saint Esprit dans tout ce qui constitue la vérité. Il croit comme l'enfant croit à son père ou à sa mère, sans exiger de preuves et s'en rapportant entièrement à eux. Le pauvre d'esprit croit être personnellement le plus méprisable et le plus coupable des hommes et se laisse fouler aux pieds par le monde entier.

Vous tous qui embrassez la vocation de servir le Seigneur dans la prière, apprenez à être doux, humbles et vrais de coeur comme Lui. N'ayez dans votre coeur ni malice ni dissimulation; ne soyez pas froids; tâchez d'avoir l'esprit du Seigneur, car celui qui n'a pas l'Esprit de Jésus Christ, n'est point a lui. (Rom 8,9). Le Seigneur veut que vous Lui ressembliez et que vous aviez avec Lui comme une parenté divine pour vous inoculer sa grâce. Souvenez-vous qu'aucune parole n'est prononcée inutilement dans la prière, si vous la dites du fond du coeur. Souvenez-vous que le Seigneur entend chaque mot que vous prononcez et le pèse dans sa balance. Il nous semble quelquefois que nos paroles se dissipent sans aucun résultat dans l'air, qu'elles ne sont qu'une voix qui retentit dans le désert. Non, mille fois non ! Il faut se rappeler que le Seigneur, s'il est possible de s'exprimer ainsi, nous comprend dans la prière, ainsi que nos paroles, avec le même sens, les mêmes nuances que les hommes justes les comprennent quand ils prient, car l'homme est l'image de Dieu. Le Seigneur répond à chaque désir de notre coeur, qu'il soit ou qu'il ne soit pas exprime par les paroles.

Lorsque tu te promènes dans une forêt, dans un jardin ou dans une prairie, examinant les jeunes branches, les fruits des arbres et la variété des fleurs champêtres, une vois éloquente et une leçon doivent jaillir pour toi de cette végétation et, cette leçon la voici : chaque arbre donne en été un nombre considérable de branches, il augmente nécessairement en circonférence et en hauteur; chaque arbre s'efforce, pour ainsi dire, de progresser annuellement par la force qui lui vient de Dieu. De même, dis à toi-même : Moi aussi je dois absolument de jour en jour, d'année en année, progresser moralement, devenir toujours meilleur et plus parfait, ne jamais abandonner la voie qui mène au royaume du ciel et au Père céleste, par la puissance de notre Seigneur Jésus Christ et de son Esprit qui habite et agit en moi. De même que la prairie s'embellit de milliers de fleurs, de même mon âme doit s'embellir de toutes les fleurs de la vertu. De même que les arbres produisent des fleurs et des fruits, de même mon âme doit produire les fruits de la foi et des bonnes oeuvres.

CHAPITRE 6

DE L'AVANCEMENT DANS LA VIE SPIRITUELLE

§ 1. - DE LA CULTURE DE L'ÂME ET DE L'ESPRIT

    La fausse instruction, à l'époque où nous vivons nous éloigne de la lumière véritable, qui illumine tout homme venant en ce monde (cf. Jn 10,9), au lieu de nous en rapprocher. Or, sans Jésus Christ, toute instruction est vaine.

Le développement de l'intelligence sans celui du coeur, est une chose très nuisible pour l'éducation : c'est le coeur qu'il faut former avant tout. Le coeur est la vie, mais souvent la vie souillée par le péché. Il faut donc purifier cette source de la vie, il faut y allumer la flamme de la vie, flamme qui puisse brûler sans s'éteindre et donner une bonne direction à toutes le pensées, à tous les désirs et à toutes les aspirations de l'homme pendant toute sa vie. La société est corrompue, parce que l'éducation lui fait défaut. Il est temps que les chrétiens apprennent à comprendre le Seigneur et tout ce qu'Il exige de nous. Or, ce qu'Il exige c'est un coeur pur :  bienheureux les coeurs purs. (Mt 5,8).

Notre âme, qui est un être spirituel, actif, ne peut pas rester oisive : elle fait le bien ou le mal. De deux choses l'une : ou c'est le froment qu'elle produit ou c'est l'ivraie. Mais comme tout bien vient de Dieu et que le moyen d'obtenir un bien de Dieu consiste dans la prière, ceux qui prient avec ferveur, du fond de l'âme, avec sincérité, obtiennent du Seigneur la grâce de faire le bien et avant tout la grâce de la foi; au lieu que ceux qui ne prient pas restent naturellement dépourvus de dons spirituels, dont ils se privent volontairement à cause de leur négligence et de leur indifférence spirituelle. Or, puisque dans les coeurs de ceux qui prient avec ferveur et travaillent pour le Seigneur c'est le froment des bonnes pensées, des bonnes dispositions, des bonnes intentions et des bonnes oeuvres qui croît, il s'ensuit que dans les coeurs de ceux qui ne prient pas, ce sont les ivraies de toute espèce de mal qui croissent et étouffent la petite quantité de bien qui leur restait grâce au baptême, à la confirmation, à la pénitence et à la communion. C'est pourquoi il faut surveiller avec une grande attention le domaine de son propre coeur, afin qu'on n'y trouve pas les ivraies de la malice, de la paresse, de la volupté, de la luxure, de l'impiété, de la cupidité, de l'avarice, de l'envie, de la haine, etc. Il faut chaque jour sarcler ce domaine du coeur, au moins par la prière du soir et du matin, le rafraîchir par des soupirs salutaires qui lui tiennent lieu de la rosée de l'aurore et du soir. En outre, il faut mettre toute sa force à planter dans le domaine de son coeur les graines des vertus de la foi, de l'espérance en Dieu, de l'amour de Dieu et du prochain; il faut engraisser et fertiliser ce domaine par la prière, par la patience, par les bonnes oeuvres, sans jamais rester une seule heure dans l'oisiveté et dans l'inaction, car c'est aux heures d'oisiveté et d'inaction que l'ennemi sème assidûment son ivraie : pendant que ses serviteurs dormaient, l'ennemi vint, sema l'ivraie au milieu du blé et s'en alla. (cf. Mt 13,25). Il faut encore se rappeler que les bonnes oeuvres ne se font pas sans contrainte, sans effort. Le royaume des cieux après notre chute volontaire dans le péché doit être pris d'assaut et les violents seuls le ravissent. (cf. Mt 11,12). Pourquoi la voie et l'entrée qui conduisent à la vie éternelle sont-elles si étroites ? Qui rétrécit ainsi la voie des élus ? Qui en fait le passage si difficile ? C'est le monde qui presse les élus, c'est le démon qui les serre, c'est la chair qui les entrave. Ces trois facteurs sont ceux qui font la voie du royaume des cieux étroite.

§ 2. - DE L'HUMILITÉ

   Toute vallée sera remplie, toute montagne et colline abaissée, les sentiers tortueux seront redressés et les chemins raboteux aplanis, et toute chair verra le salut le Dieu. (Luc 3,5-6 ) La vallée - ce sont ceux qui ont le coeur humble; la montagne et la colline seront abaissées - ce sont les hommes orgueilleux, ceux qui ont une haute opinion de leur propre personne et qui méprisent ceux qui sont au-dessous d'eux, qui dédaignent les humbles. Et cela arrive en effet. Le Seigneur ne cesse d'agir dans les coeurs humains au moyen de l'Esprit de vérité et de miséricorde, en humiliant les orgueilleux par les différentes éventualités de la vie, par des maladies, par des pertes, par le mépris de la part des autres, et en élevant ceux qui sont humbles.

Considère toi comme le plus mauvais et le plus faible parmi tous les autres, dans le sens spirituel du mal; éprouve un mépris, une haine pour toi-même à cause de tes péchés, ce qui ne sera que juste et vrai. Mais quant aux autres, sois charitable pour eux, estime-les et aime-les malgré leurs péchés, pour l'amour de Dieu, qui nous a commandé d'estimer et d'aimer tous nos semblables; au Nom de Dieu dont ils portent l'image, même quand ils se trouvent dans l'état du péché, au Nom de Jésus, dont ils n'ont pas cessé d'être les membres.

Cultive au-dessus de tout et conserve toujours la douceur et la bonté chrétienne, la paix et l'amour de tes frères. Étouffe en toi autant que tu peux les élans de l'amour-propre, de la colère, de l'emportement et de la susceptibilité. Ne te laisse aller ni à l'impatience, ni à la colère quand on te jette en face un mensonge; quand on te fait une injustice quelconque; quand on te dit une parole blessante, et si on blâme ouvertement une de tes faiblesses ou une de tes passions, que tu ne remarques même pas à cause de ton amour-propre. Examine de sang-froid les paroles de ton interlocuteur, pèse bien tes propres paroles, tes actions, et si tu les trouves justes, après un examen impartial, reste tranquille dans ta conscience et ne fais aucun cas de tout ce qui t'a été dit. N'essaie pas de rétorquer les paroles de ton interlocuteur, ou si tu veux lui prouver qu'il a tort, fais-le paisiblement, avec bonté et douceur. Mais si tu trouves que le tort vient de ta part, mets de côté ton amour-propre et ton orgueil, avoue ta faute et tâche de t'en corriger à l'avenir. Il nous arrive souvent de nous tâcher contre des personnes au coeur franc et ouvert qui nous révèlent sans détour nos erreurs. Il faut savoir estimer ces hommes et leur pardonner leur langage hardi, s'il blesse notre amour-propre. Les hommes de cette trempe sont, moralement parlant, des médecins qui, d'une parole tranchante, extirpent la gangrène de notre coeur et provoquent, dans notre âme meurtrie par le péché, le réveil de l'amour, la conscience de notre péché et une réaction vitale.

§ 3. - DE L'AMOUR DE DIEU ET DU PROCHAIN

   Dieu est Amour. Il est l'Être souverainement généreux, sage et tout-puissant. Par conséquent ceux qui Le prient doivent croire fermement que le Maître suprême leur donnera tout ce qui peut leur être utile avec générosité et avec amour, avec toute la prévoyance de sa Sagesse. Crois aussi que, en vertu de sa toute Puissance, ses dons te seront accordés au moment et dans le lieu où tu t'y attends le moins.

Qu'y a-t-il de plus doux que l'amour ? Cependant nous avons si peu d'amour ! D'où vient cela ? Cela vient de ce que nous aimons trop notre chair et avec elle tout ce qui est charnel, matériel, mondain ! Méprisons donc notre chair, marchons en esprit et paralysons par l'esprit les agissements de la chair.

Le véritable amour souffre volontiers les privations, les inquiétudes et les peines, endure les offenses, les humiliations, les défauts, les fautes et les erreurs, si toutefois nul mal n'en résulte pour les autres. Il subit avec patience et avec douceur les bassesses et la méchanceté des hommes et s'en réfère au jugement de Dieu, - le Juge souverainement juste et qui voit tout, - en Le priant d'éclairer ceux qui agissent dans l'obscurité de leurs passions déraisonnables.

Tout ce qui constitue mon moi (c'est-à-dire mon âme), vit uniquement de Dieu et vit tant que son union avec Lui persiste; séparé de Lui, la souffrance m'envahit. Mais la vie de mon âme consiste dans la paix et l'harmonie de mes forces spirituelles et cette paix procède exclusivement de Dieu. Il y a encore, il est vrai, la paix de la chair, mais c'est une paix illusoire, I'avant-coureur d'un orage spirituel. Au sujet de cette paix le Seigneur s'exprime ainsi : lorsqu'ils diront (les hommes) : paix et sécurité ! alors une ruine soudaine les surprendra. (Col 5,32. Mais la paix spirituelle, qui procède de l'Esprit de Dieu, diffère de la paix charnelle, comme le ciel de la terre. Elle est céleste, elle remplit le coeur de félicité. La paix soit avec vous, disait souvent le Seigneur à ses disciples, en leur enseignant sa Paix, et les apôtres le leur côté enseignaient aux croyants la Paix du Seigneur et la leur souhaitaient avant tout, parce que cette Paix constitue la vie de notre âme, car elle prouve son union avec Dieu. l'absence de la paix de l'âme, la révolte qui distingue tous les états passionnés de notre âme, c'est la mort spirituelle et l'effet le plus ordinaire de l'action de l'ennemi de notre salut dans notre coeur.

En parlant de deux personnes dont l'une protège la seconde, on dit ces mots : il l'aime ! Et celui qui a su acquérir la protection et la bienveillance de la première, - disons de son supérieur - le sait et l'aime aussi de son côté. Les mêmes rapports ont lieu entre Dieu et ceux des hommes qui le servent avec un coeur pur. Le coeur de ces hommes aime toujours Dieu et Dieu les aime à son tour. Il doit en être de même pour la prière de chaque chrétien : quand nous prions, nous devons absolument sentir l'Amour de Dieu dans notre coeur. Nos bonnes et sincères relations avec nos semblables doivent nous servir d'exemple dans notre conduite vis-à-vis de Dieu.

Savez-vous quand nous pouvons nous apercevoir que l'Amour de Dieu commence à agir en nous ? C'est uniquement lorsque nous commençons à aimer notre prochain comme nous mêmes, sans épargner pour notre prochain, qui est l'image dc Dieu, ni notre personne, ni rien de ce qui nous appartient; lorsque nous tâchons de lui être utile autant que nous le pouvons; lorsque nous renonçons, afin d'être agréables à Dieu, à contenter nos appétits grossiers, nos yeux charnels, notre raison charnelle, toujours rebelle à la Raison divine. Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aime Dieu qu'il ne voit pas ? (Jn 4,20). En effet, ceux qui appartiennent a Jésus Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses convoitises. (Gal 5,24).

N'importe où je me trouve, dès que je me sens affligé et que je lève vers Dieu le regard de mon coeur son Amour pour l'homme répond immédiatement à ma foi et si ma prière, et mon affliction disparaît sur le champ. ll est, en tout temps et à toute heure, auprès de moi. Sans le voir, mon coeur sent vivement sa divine Présence. L'affliction est la mort du coeur; c'est une révolte contre Dieu. Le repos du coeur et la paix de l'âme unie à une foi ardente me prouvent avec une évidence plus claire que le jour, que le Seigneur est constamment avec moi et qu'il vit dans mon coeur. Quel intermédiaire ou quel ange possède la force de nous délivrer des péchés ou des afflictions ? Aucun, si ce n'est Dieu seul. Je le sais bien par ma propre expérience.

L'amour de Dieu et du prochain se fait surtout voir en nous dans toute sa pureté, sa fermeté et sa constance, lorsque nous ressentons qu'une force opposée (celle du démon) agit avec violence dans notre coeur et nous pousse à l'indifférence, à la révolte, au mépris, à la haine et à l'hostilité. C'est quand la force opposée se met, pour ainsi dire, à détruire en nous l'amour, et quand l'homme de son coté cherche par tous les moyens à résister, en purifiant, en augmentant et en fortifiant son amour par cette lutte même, c'est alors que cet amour s'affermit dans notre coeur. C'est en récompense de cette lutte permanente et de l'amour de Dieu et du prochain, de cette fermeté, de cette guerre invisible, mais ardente, acharnée et continuelle avec les mauvais esprits, que le Seigneur accorde les brillantes couronnes du ciel aux héros de l'amour de Dieu et du prochain. Sous ce rapport, des milliers de couronnes ont été méritées par ces combattants glorieux, que nous appelons les saints pères, et qui, en raison de leur amour pour Dieu, ont quitté le monde, ses oeuvres et ses pompes, et se sont retirés dans des endroits déserts, inhabités. Là, enfermés dans leurs cellules, ils ont passé toute leur vie dans une pieuse méditation, dans la prière, dans l'abnégation de leur propre volonté, dans le jeûne, dans les veilles, dans le labeur, dans la lutte pour le Seigneur. Là, ils ont enduré pendant toute leur vie les attaques des forces ennemies qui faisaient tous leurs efforts pour ébranler leur foi, leur espérance en Dieu, et surtout pour ébranler leur amour. Une lutte pour l'amour de Dieu avec la chair et le démon, cet ennemi rusé, puissant et malicieux, une lutte qui dure non quelques heuresä mais des années, quelle couronne ne mérite-t-elle pas ? Et à côte de ces combattants, que sont devenus les hommes qui vivent dans le monde, qui sans être attaqués succombent si souvent, et qui sont devenus les vaincus définitifs de la chair sans avoir connu les glorieuses alternatives de la défaite et de la victoire.

À côté de ces saints athlètes, que valent les hommes du monde qui passent leur vie à leur gré dans l'opulence, au milieu de plaisirs de toute espèce, qui sont bien vêtus et bien nourris, pétris d'orgueil, d'ambition, d'envie, de haine, d'avarice, adonnés à l'irritation, à la colère, à la vengeance, aux distractions, à la fornication, à l'ivresse, à toute la légion des vices qui peuvent élire domicile, sinon dans un seul individu, au moins dans la race humaine. Ils sont, de leur vivant et sans la moindre résistance de leur part, les captifs du démon. Aussi ne les attaque-t-il point et ne s'en occupe-t-il guère, étant sûr de la solidité des filets dont ils sont enchaînés et dans lesquels ils resteront tranquilles et insouciants jusqu'à l'heure de leur mort.

Montrez-vous doux et charitable envers votre frère, même au moment où par sa ruse, par sa perfidie, ou bien sans le vouloir, il vous prive de votre dernier sou. C'est là le moment de prouver que vous aimez dans votre prochain l'image de Dieu au-dessus de tout et que votre charité ne finira jamais (Cor 13,8). Ne redemandez pas votre bien à celui qui vous l'enlève. (Luc 6,30). À celui qui veut disputer en jugement et vous enlever votre tunique, abandonnez encore votre manteau. (Mt 5,40). Ne permettez pas à celui qui vous fait du tort de dire que vous êtes honteusement attaché à cette poussière, que nous appelons l'argent et le pain, plus qu'à Dieu, et vivez de telle sorte que cette honte retombe sur lui par la force de votre espérance en Dieu et en la sainteté de sa Parole. L'homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. (Mt 4,4). Remarquez bien ces mots : de toute parole. Car chaque parole de notre Seigneur et Créateur peut augmenter les forces de votre vie, de même qu'elle peut créer et transformer des milliers de créatures. Il a dit, et la terre a été. Il a voulu et la terre a été établie. (Ps 32,9). C'est ainsi qu'Il a fait surgir du néant à l'existence des milliers d'armées immortelles d'esprits célestes, et les ayant sanctifiés par le saint Esprit, il pourvoit à leur force et maintient leur existence. Ne laissez pas follement disparaître la dignité de votre esprit immortel au point de ne donner à votre espérance d'autre idéal que la poussière périssable de la terre. Dites : c'est Dieu qui est mon espérance; ou bien : mon espérance est le Père mon refuge est le Fils, ma protection est le saint Esprit.

Ô sainte Trinité, gloire a vous ! Or, combien d'entre nous s'irritent et s'emportent, lorsqu'ils se voient privés non de leurs dernières ressources, mais seulement d'une partie insignifiante de leur fortune qui est plus que suffisante pour eux ! Que de révoltes, de colères, de reproches amers, de murmures et parfois d'imprécations ! Juste Dieu ! et c'est cette poussière qui s'appelle l'argent, ou bien ces mets, ces plats, ces boissons, qui peuvent soulever une pareille tempête dans nos âmes de chrétiens ! Et nous qui connaissons les paroles de notre très doux Sauveur : Ne vous inquiétez point pour votre vie, de ce que vous mangerez, ni pour votre corps, comment vous le vêtirez. Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment ni ne moissonnent, et n'amassent dans les greniers, et votre Père céleste les nourrit. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout le reste vous sera donné par surcroît. (Mt 6,25-26,30). Ou encore ces paroles : la vie d'un homme n'est point dans l'abondance des choses qu'il possède. (Luc 12,15). Mon Dieu ! où en sommes-nous ? Quelle différence y a-t-il donc entre nous et les païens, avec une conduite comme la notre ? Où est notre foi, où est notre espérance en Dieu ? Où est notre amour du prochain ?... Ô quelle honte pour nous !... La charité est patiente, (1 Cor 13,4), c'est-à-dire elle n'inflige pas au coupable une punition subite, mais elle attend et souffre sa chute, tout en la lui faisant comprendre, et elle le punit seulement après; au lieu que le propre du mal est de punir à l'instant, de vouer notre adversaire au malheur, de le réduire à toute extrémité. On s'étonne rien qu'à penser jusqu'où va notre méchanceté et à quel point la patience nous fait défaut ! Notre frère s'est rendu coupable: eh bien ! nous ne le plaignons pas, nous ne déplorons pas d'un amour fraternel sa faute, son entraînement, sa folie volontaire, mais nous lui en voulons, nous le méprisons, sans remarquer que c'est nous peut-être, qui en sommes la cause; que nous-mêmes nous avons été bien des fois pardonnés, grâce à la bonté de ceux qui sont placés au dessus de nous, et que ce n'est qu'à cette bonté que nous devons de nous être relevés de notre chute et corrigés de notre faiblesse ou même de notre vice, ce qui nous a donné la possibilité de redevenir d'honnêtes gens. Si donc nous commettons la même faute ou à peu près la même que notre frère, voudrions-nous être traités comme lui et avec la même rigueur ? En punissant les autres pour leurs fautes ou leurs crimes, n'oublions pas que nous méritons aussi une punition pour nos vices, pour nos passions passées ou actuelles, et que, si nous nous voyons obligés de punir nos inférieurs, nous devons le faire avec amour, avec pitié, en y mettant toute notre patience et non avec ressentiment, avec cruauté, avec précipitation et sans délai. Reprenant avec modestie ceux qui résistent à la vérité, afin qu'ils connaissent la vérité et que, revenant à la sagesse, ils se dégagent des embûches du démon, qui les tient captifs sous sa volonté. (1 Tim 2,25-26). Ce n'est pas en vain que l'Apôtre nous parle de la patience, de la bonté, comme des premières conditions de l'amour du prochain : la charité est patiente; elle est bénigne (1 Cor 13,4), car chaque homme est faible, imprudent et tombe facilement dans le péché, mais en même temps il peut facilement découvrir qu'il a mal agit il peut se corriger, se repentir, s'il entrouvre le moyen. C'est pourquoi il faut être patient pour les faiblesses et les fautes d'autrui, tout comme nous voulons qu'on le soit à notre égard et que l'on ferme les yeux sur nos faiblesses à nous. Cependant, il est des cas, où il faut agir promptement, lorsque le péché devient nuisible aux autres, ou lorsqu'il nous fait manquer à nos devoirs, ou prend des proportions de plus en plus grandes. Alors il faut user de sévérité pour le réprimer et le détruire, même s'il fallait dans ce but éloigner l'homme coupable et nuisible du milieu où il se trouve. Retranchez les méchants du milieu de vous. (1 Cor 5,13).

Tout n'est qu'illusion en dehors du véritable amour. Si ton frère agit à ton égard avec négligence, avec dureté, avec arrogance, avec rancune, dis : c'est une illusion qui vient du démon. Si tu ressens contre lui une animosité, à cause de sa négligence ou de son arrogance, dis : c'est une illusion que je me crée moi-même. Car voici la vérité : j'aime mon frère malgré tout, je ne veux voir en lui aucun mal, et si ce mal existe, il n'est qu'une illusion qui provient du démon et qui peut m'envahir aussi. Je ne lui en veux pas, car j'ai aussi bien que lui les mêmes défauts; notre nature coupable est la même. Mon frère, dis-tu, commet des péchés, il a de grands vices ? Mais tu en as aussi. Il ne mérite pas que je l'aime, dis-tu, pour telle ou telle raison ? Fais-en autant pour toi-même, car ces raisons, ces défauts que tu remarques en lui, ils existent également chez toi. Mais n'oublie pas que nous avons l'Agneau de Dieu, qui a pris sur Lui les péchés du monde entier. Qui es-tu, toi, pour juger le serviteur d'autrui, à cause de ses péchés, de ses défauts, de ses vices ? S'il tombe ou s'il demeure ferme, cela regarde son Maître. (Rom 14,4). Quant à toi, tu dois, selon la loi de l'amour chrétien, pardonner les défauts d'autrui. Tu dois tâcher de guérir le mal, la maladie de l'âme de ton prochain, (car toute négligence, toute passion est une maladie); tu dois les guérir par l'amour, par la tendresse, par la douceur, par l'humilité, ces mêmes remèdes que tu aurais désirés pour toi de la part des autres, si tu te trouvais dans le même cas. Or, qui de nous en est exempt ? Qui de nous est à l'abri des poursuites acharnées de l'ennemi ?

Nous devons surtout aimer notre prochain, lorsqu'il se rend coupable devant Dieu ou devant les hommes, car dans ce cas-là c'est un malade, son âme est souffrante et se trouve en péril, et c'est le moment où il faut réellement faire preuve de miséricorde : prier pour lui est appliquer à son coeur un baume salutaire, une parole bienveillante, instructive, persuasive, consolante, suppliante et remplie d'amour. Vous pardonnant les uns aux autres comme Dieu même vous a pardonnés en Jésus Christ. (Eph 4,32). Tous les péchés et toutes les passions, toutes les brouilles et disputes, sont véritablement des maladies de l'âme, et c'est comme telles qu'il faut les envisager. En d'autres termes toutes les passions sont un incendie de l'âme, un feu violent et impétueux au dedans, un feu sortant des abîmes de l'enfer. Il faut éteindre ce feu avec l'eau de l'amour, qui possède la force d'apaiser toute flamme infernale, composée d'animosité et d'autres passions. Mais malheur, malheur à nous et à notre amour-propre, si nous devenons par là les auxiliaires des esprits du mal, qui s'efforcent à tout moment d'enflammer les âmes humaines parle feu des passions les plus diverses. En agissant ainsi, nous cherchons nous-mêmes à rester dans ce feu de la géhenne, et si nous ne nous repentons pas, si nous ne devinons pas l'avenir dans la science du bien et dans celle du mal, nous serons condamnés avec le démon et ses anges aux tourments du feu. Ne nous laissons donc pas vaincre par le mal, mais soyons nous-mêmes les vainqueurs du mal par la force du bien. Misérables que nous sommes ! comment n'avons-nous pas appris jusqu'à ce jour à considérer tout ce qui est coupable comme un immense malheur pour notre âme, et à compatir sincèrement de tout notre coeur, à ceux qui tombent dans ce malheur, en leur montrant tout l'amour dont nous sommes capables ! Pourquoi ne fuyons nous pas le péché comme un poison, comme un serpent ? Pourquoi le souffrons-nous ? Pourquoi sommes-nous impitoyables envers nous-mêmes, au moment où nous le commettons ? Pourquoi ne fondons-nous pas en larmes devant le Seigneur qui nous a crées ?

Tu as l'habitude de te fâcher contre ton prochain, contre ton frère, et de dire : oui, un tel est un avare, un méchant, un orgueilleux; ou bien tu dis : il a fait ceci et cela. En quoi toutes ces choses te regardent-elles ? C'est devant Dieu que ton prochain s'est rendu coupable et non devant toi. Examine-toi plutôt toi-même; vois à quel point tu es coupable; vois donc cette poutre qui est dans ton oeil et quelle difficulté tu éprouves à lutter contre tes péchés et à les surmonter; vois donc les souffrances qu'ils te causent, la solidité des filets dont ils t'entourent et la complaisance que tu aimes à trouver chez les autres pour tes faiblesses à toi. Ton frère est pourtant un homme qui te ressemble en tout. Sois donc complaisant pour lui comme pour un coupable qui te ressemble en tout et qui est aussi faible que toi. Aime-le comme toi-même, selon les paroles du Seigneur : ce que Je vous ordonne, c'est que vous vous aimiez les uns les autres, (Jn 15,l7). Et de même que tu demandes pour toi le secours du Seigneur contre la violence et l'obstination de tes passions, de même fais-le pour ton frère, afin que le Seigneur le délivre du danger et de la séduction de ses passions à lui, ainsi que de l'obscurité et de l'angoisse qu'elles ne manquent pas de produire. N'oublions pas que nous sommes un même corps coupable, un corps plus ou moins empesté dans ses membres par le souffle de l'ennemi commun, le démon, et que nous sommes incapables de nous délivrer par nous-mêmes, sans la grâce de Dieu, de ce souffle étouffant et aveuglant. L'Esprit saint seul peut dissiper les ténèbres des passions en vertu de la victoire remportée par notre Seigneur Jésus Christ crucifié. C'est pourquoi nous devons humblement et avec un amour fraternel prier le Seigneur pour nos confrères et pour tous les hommes en lui demandant de les préserver de l'obscurité et du prestige des passions dont chacun se plaît à jouir, sans songer au danger qu'elles lui font courir : le riche en jouissant de ses richesses, l'ambitieux en jouissant des distinctions, le gourmand en s'adonnant au boire et au manger avec toutes sortes de mets les plus recherchés, le méchant en se livrant à la méchanceté, l'envieux en persécutant la victime de son envie, et ainsi de suite.

Priez, mes frères, la sainte Vierge, si la discorde et la colère soulèvent chez vous quelque orage domestique. Marie est la très clémente et la très secourable elle peut très facilement apaiser les coeurs humains.

La paix et l'amour proviennent de Dieu seul, qui est leur source. Elle est un avec Dieu; et comme Mère du Christ qui est la paix, elle protège et demande la paix du monde entier et surtout celle de tous les chrétiens. C'est elle par conséquent qui a l'inestimable pouvoir de chasser loin de nous, d'un seul signe, les esprits impurs du mal, qui se plaisent à semer parmi les hommes le courroux et la discorde; et c'est elle qui donne promptement la paix et l'amour à tous ceux qui, remplis de foi, ont recours à sa souveraine protection.

Notre vie, on le dirait, est un jouet puéril qui est loin d'être innocent, car malgré notre intelligence et la connaissance que nous avons du but de notre vie, nous négligeons ce but et passons notre temps à nous occuper de frivolités. Notre vie donc, je le répète, est un jouet puéril, mais répréhensible. Nous nous amusons à manger et à boire, nous nous régalons de friandises, au lieu de prendre de la nourriture juste assez pour fortifier notre corps et maintenir son existence. Nous nous amusons à nous vêtir, au lieu de recouvrir modestement notre corps pour le garantir contre les intempéries des éléments. Nous nous amusons avec l'or et l'argent que nous admirons aux étalages et que nous employons pour en faire des objets de luxe, et pour acheter des parures, au lieu de l'employer pour notre strict besoin et donner le superflu aux pauvres. Nous nous amusons à construire de belles habitations, à les remplir d'objets variés, et à les orner somptueusement, au lieu d'avoir un refuge simple et solide, rien que pour nous défendre des variations de l'air et du climat et, en fait d'objets, de n'avoir pour notre usage que des choses utiles et indispensables. Nous nous amusons à briller par nos qualités spirituelles, par notre intelligence, par notre par notre parole, et nous les employons uniquement à servir le péché et la vanité du monde, à n'obéir qu'à ce qui est terrestre et périssable, au lieu de les employer avant tout à servir Dieu, à le reconnaître comme le Créateur très sage de tout ce qui existe, à le prier, à L'implorer, à Lui rendre grâces et gloire, à faire mutuellement preuve d'amour et de respect pour nos semblables, et à ne servir que dans la stricte mesure du nécessaire ce monde qui est appelé à disparaître un jour et à périr. Nous nous amusons à faire valoir nos connaissances puisées dans la vanité mondaine, et nous perdons à les acquérir un temps précieux qui nous est donné pour nous préparer à l'éternité. Nous nous amusons souvent avec nos fonctions, avec nos devoirs, en les remplissant avec légèreté, avec négligence et quelquefois au détriment de la justice, ou en faisant servir ces fonctions mêmes à nos propres avantages matériels. Nous nous amusons avec la beauté de l'homme ou celle de la femme, et nous en profitons souvent pour assouvir nos passions. Nous nous amusons avec notre temps, ce temps précieux dont nous devrions user avec prudence pour mériter la vie éternelle, au lieu de le passer à jouer et à nous amuser sans relâche. Nous nous amusons enfin avec notre propre personne, en l'érigeant en une sorte d'idole devant laquelle nous nous prosternons nous-mêmes, cherchant à amener les autres à se prosterner aussi. Quel est celui qui serait capable de décrire toutes nos erreurs, ainsi que toute l'étendue de notre bassesse, de nos extravagances, de notre vanité et de la perdition dans laquelle nous nous précipitons volontairement nous-mêmes ? Quelle est la réponse que nous donnerons au Roi immortel, au Christ, notre Dieu, qui viendra dans la gloire de son Père juger les vivants et les morts, scruter les secrets de nos coeurs et nous demander compte de chacune de nos paroles et de nos actions ? Oh ! malheur ! malheur, malheur à nous, qui portons le nom du Christ et qui n'avons en nous rien de l'Esprit du Christ ! Malheur à nous, qui portons le nom du Christ et qui ne suivons pas les préceptes de l'Évangile ! Malheur à nous, qui négligeons une doctrine si salutaire (Heb 2,3). Malheur à nous, qui ne possédons ni la foi, ni l'espérance, ni la charité chrétienne ! Malheur à nous tous, qui aimons ce siècle illusoire et temporel, et qui négligeons de nous occuper du siècle qui commence après la mort de notre corps, après la disparition de ce rideau éphémère qui nous voile l'Éternité !

CHAPITRE 7

DE LA COMMUNION DES SAINTS ET DE LA VIE ÉTERNELLE

§, 1. - DE LA COMMUNION DES SAINTS

    Les Saints du Seigneur ont su le mieux apprécier l'oeuvre sublime de la rédemption du genre humain opérée par Dieu, l'Incarnation du Fils venu des cieux, son enseignement, ses Souffrances, sa Mort, son Inhumation, sa Résurrection et son Ascension au ciel; car ils ont travaillé pendant toute leur vie à leur salut et à celui des autres avec sincérité, avec fermeté, avec persévérance, en un mot, de tout leur coeur. Pour leur salut et celui des autres, ils renonçaient à leur propre existence, ils jeûnaient, ils priaient, ils veillaient, ils luttaient par l'action et par la parole, par l'intelligence et par la plume. Et nous autres, nous ne savons pas apprécier cette oeuvre sublime, nous restons devant elle froids, distraits, insouciants. Le monde visible seul nous préoccupe, et les choses de ce monde qui ne sont que fumée !

Celui qui a embelli le ciel d'étoiles, n'a-t-il pas pu embellir bien plus encore son ciel spirituel dans la très sainte Vierge Marie ? Celui qui a parsemé la terre de fleurs les plus variées, aux couleurs les plus bizarres, qui l'a inondée de parfums et d'arômes, n'a-t-Il pas pu embellir sa Mère terrestre de toutes les fleurs les plus variées de la vertu et déverser sur elle tous les arômes célestes ? Certainement il en est ainsi. C'est pourquoi la Reine des cieux est devenue le ciel et le temple de la Divinité, embellie de parures inénarrables et imprégnée des arômes les plus suaves, plus exquis que tous les parfums de la terre. Oh ! si la Bonté divine, en vertu des prières de sa très pure Mère, daignait m'embellir aussi, moi, qui suis si hideux, si Elle daignait verser aussi ses arômes sur moi, qui suis si impur ! Rien n'est impossible au Seigneur. Venez et accusez-Moi, dit-il, si vos péchés, aussi rouges que l'écarlate et le vermillon, ne deviennent comme la neige ou la toison la plus blanche.

La Mère de Dieu est une même chair, un même sang, un même esprit avec notre Sauveur, puisqu'elle est sa Mère. Quel immense mérite lui appartient par la grâce de Dieu, qui a voulu qu'elle fût la Mère de Dieu lui-même, qu'elle lui prêtât sa chair très pure et bénie, qu'elle le nourrît de son lait, qu'elle le portât dans ses bras, qu'elle l'habillât, qu'elle protégeât son jeune âge, en le couvrant de baisers et de caresses. Seigneur ! qui donc pourrait décrire la grandeur de la sainte Vierge ! Il n y a pas de langue qui puisse vous louer assez, comme vous le méritez; il n'y a pas d'intelligence au ciel qui puisse suffisamment chanter votre gloire, ô Mère de Dieu ! Il faut l'invoquer avec une confiance sincère et par un naïf mouvement du coeur... Elle est un avec Dieu, comme le sont tous les saints.

Celui qui prie le Seigneur, la sainte Vierge, les anges et les saints, doit, avant tout, avoir le désir de corriger son coeur et sa vie, et d'imiter ces êtres célestes, selon les paroles : Soyez donc miséricordieux comme aussi votre Père Lui-même est miséricordieux. (Luc 6,36). Vous serez saints, parce que Moi je suis saint (1 Pier 1,16). Ceux qui prient la sainte Vierge doivent imiter son humilité, sa pureté qui dépasse toute imagination, sa soumission à la Volonté de Dieu (par exemple, lorsqu'il nous arrive de voir des injustices) et sa patience. Ceux qui prient les anges doivent songer à la vie d'en haut, aspirer à l'état spirituel, en repoussant peu à peu tous les désirs charnels, toutes les passions, et se pénétrer d'un amour ardent pour Dieu et pour le prochain. Ceux qui prient les saints doivent les imiter dans leur amour de Dieu, dans leur mépris pour la vanité du monde et les biens terrestres, dans leurs prières, dans leur abstinence, dans leur renoncement à toute propriété, dans leur patience à supporter les maladies, les privations et le malheur, dans leur amour du prochain. Autrement la prière ne servira qu'à faire vibrer un espace d'air.

Ne te décourage pas et ne te laisse pas aller au désespoir, si tu sens dans ton âme le souffle meurtrier qui allume la colère, la malice, l'impatience et le blasphème, ou si tu es surpris par une prostration provenant de pensées impures et mauvaises. Fais appel au contraire à toutes tes forces, pour les combattre avec énergie et les supporter avec courage, en invoquant du fond de ton coeur notre Seigneur Jésus Christ, le vainqueur de l'enfer. Reconnais sincèrement et avec la plus profonde humilité que c'est toi entre tous qui es le premier coupable, que c'est toi qui es le plus indigne des hommes, et le Seigneur, en te voyant si humble et si résolu dans ta lutte, viendra à ton secours. Invoque aussi le secours toujours prompt de notre Protectrice la très sainte Vierge, Mère de Dieu, en lui disant : guérissez, ô très pure Vierge, les amères douleurs de mon âme, et delivrez-la des ennemis qui ne cessent de lutter contre moi.

Rends grâces à notre divine Protectrice, toujours prompte à nous secourir, la toute pure et toute clémente Vierge Marie, Mère de Dieu, qui nous sauve des morsures et des meurtrissures du démon, si nous l'implorons sincèrement. Porte vers elle le regard de ton coeur dirigé par l'Esprit saint qui est partout, qui remplit tout et qui est simple. Tu ne manqueras pas de la voir, comme si elle se trouvait auprès de ton coeur. Dis-lui alors : ô sainte Vierge Marie, prompt secours des chrétiens, sauvez-moi de l'ennemi qui me poursuit ! Et elle te sauvera immédiatement, selon ta foi, selon la force de l'espérance que tu as en elle. L'abattement, le feu brûlant et le découragement pénible que tu éprouvais disparaîtront à l'instant. Seulement il faut avoir présent à ta pensée et croire fermement que le saint Esprit est partout, à chaque endroit, qu'il est un Être simple, que tout le ciel nous est proche avec lui, de même que tous les anges et tous les saints. Il suffit de croire, mais avec fermeté, que nous n'avons qu'à invoquer le Seigneur ou la sainte Vierge, ou tel saint, et le faire de tout notre coeur, avec une foi lumineuse, avec un repentir sincère de nos péchés, et le salut brillera pour nous à l'instant. Le secours que nous prodigue la Reine des cieux est véritablement miraculeux. Il agit sur notre âme comme un baume salutaire, comme un arôme délicieux, comme une eau calmante, et pour l'obtenir nous n'avons qu'à contempler la Reine clémente des yeux de notre coeur, en mettant toute notre espérance dans sa bonté et dans sa puissance. Mais c'est là le difficile, - cette contemplation unie d'une foi ardente à la Mère de la divine grâce, ou au Seigneur, ou aux saints !

L'ennemi s'efforce de tout son pouvoir de s'interposer comme un mur épais, impénétrable et noir, entre notre âme et Dieu ou la sainte Vierge, ou les anges, ou les saints, et il ne permet pas, le misérable, que le regard de notre coeur pénètre jusqu'à eux. Il obscurcit notre coeur par tous les moyens, il dissipe notre foi, il nous décourage, il nous brûle et nous ravit toute lumière. Tous ces agissements du démon, il faut les regarder comme une illusion de l'esprit malin. Dissipons ce mensonge; démolissons ce fantôme de muraille, et nous retrouverons la douce Vierge Marie, nous retrouverons le Seigneur, nous retrouverons les saints. Force ce mur, franchis-le; tu es sauvé ! Ta foi t'a guéri. (Mt 4,22).

Si tu es entouré d'ennemis et si ton âme est plongée dans la douleur, implore le secours de la Reine du ciel, la très sainte Vierge, Mère de Dieu. Ce n'est pas en vain que nous l'appelons Reine. Ce titre lui appartient de droit. Son pouvoir suprême s'étend sur toutes les forces qui nous sont hostiles, et elle nous sauve par sa puissance de leur persécution, car nous constituons, tout indignes que nous sommes, l'héritage qui lui est dévolu.

Si la très sainte Reine et Mère de Dieu, par l'effet de son union à Dieu, et par son incomparable coopération aux oeuvres du Maître suprême de l'univers, secourt promptement tous ceux qui le lui demandent avec foi et avec espérance, si elle les délivre de tout mal et exauce leurs prières, dans tout ce qui est utile pour leur salut, combien plus cela est vrai du Seigneur ! Il n'y a qu'une condition pour obtenir de Lui toutes ses faveurs, et cette condition la voici : Ne sois pas incrédule, ne sois pas froid et dur comme une pierre envers Lui, mais fais preuve envers Lui d'une foi ardente et de gratitude pour ses bienfaits et prouve un repentir sincère de tes péchés, ainsi qu'un amour profond pour ton Sauveur, uni au Père et au saint Esprit. Pense seulement a quel point le Sauveur t'a profondément aimé.

Et le glaive percera votre âme, afin que les pensées cachées au fond des coeurs d'un grand nombre soient révélées. (Luc 35). Ces paroles de l'Écriture se sont accomplies à la lettre et dans toute leur force, relativement à la Mère de Dieu, elles s'accomplissent aussi pour les hommes bons et pieux, dont le coeur se trouve soudain transpercé par le glaive de la persécution, afin que les pensées du coeur de ceux qui sont en rapport avec eux soient révélées. Cela signifie que le Seigneur les met parfois dans de tels rapports avec d'autres personnes, qui cachent dans l'âme une très grande malice sans la montrer, que celles-ci révèlent ce mal malgré elles, comme un poison qui s'extravase d'un vase trop plein. Leur bouche commence à parler, et le mal s'en précipite comme un torrent ou comme un fleuve. C'est alors que ces personnes commencent à commettre des actions indignes du nom d'homme qu'elles portent, et ce n'est qu'alors qu'on découvre de quelle nature sont ces hommes, que l'on croyait être des gens d'esprit, d'éducation et dignes d'estime.

Pourquoi la croix nous inspire-t-elle une si grande vénération que nous la mentionnons dans nos prières après l'invocation de la très sainte Vierge, mais avant d'invoquer les puissances célestes ? Parce que, après les Souffrances du Sauveur, la croix est devenue le symbole du Fils de l'homme; c'est-à-dire, elle nous représente le Fils de Dieu qui S'est incarné et qui S'est voué aux souffrances pour nous sauver. C'est sur la croix que Jésus s'est offert Lui-même en sacrifice à Dieu le Père pour expier nos péchés, c'est sur la croix et par la croix qu'Il nous a sauvé de l'esclavage du démon, et c'est pour cette raison qu'elle nous inspire une si grande vénération. Par conséquent elle constitue pour les fidèles une grande force qui nous délivre de tout mal et surtout des maléfices de nos ennemis invisibles.

L'effet merveilleux que la sainte Croix produit sur notre âme ravagée par le venin du mal, nous persuade jusqu'à l'évidence :

1° que nous avons réellement une âme, que cette âme est un être spirituel;

2° que nous sommes entourés de méchants esprits, dont le seul contact est mortel pour notre âme;

3° que notre Seigneur Jésus Christ existe, qu'Il est Dieu, et qu'Il est toujours avec nous, en raison même de sa Divinité,

4° qu'Il a effectivement accompli sur la croix l'oeuvre de notre salut, par le mérite de ses Souffrances et de sa Mort, et qu'Il a détruit par la vertu de cette croix la puissance du démon. Oh ! combien de preuves nous donnent en faveur de notre foi les seuls effets merveilleux que nous obtenons par la vertu de la sainte croix ! Gloire soit à jamais rendue à la religion chrétienne !

Les anges ne peuvent pas concevoir et ne cessent d'admirer la Sagesse, la Bonté et la Toute-puissance que le Seigneur nous a prouvées, en prenant un Corps de chair dans le sein de la sainte Vierge Marie. Tous les cortèges des anges ont été saisis d'admiration pour l'oeuvre sublime de votre Incarnation, à la vue de l'inaccessible Dieu qui S'est fait homme accessible a tous. Gloire à votre Bonté ! Gloire à votre Générosité ! Gloire à votre Sagesse ! Gloire à votre Puissance !

Par son Incarnation, le Seigneur nous a initiés à tous les mystères de la foi qui étaient inconnus ou peu connus dans l'Ancien Testament. Par son Incarnation, nous autres, misérables pécheurs, nous avons reçu la grâce de son très pur Corps et de son Sang, nous nous unissons intimement à Lui et il réside en nous, de même que nous résidons en lui. Par son Incarnation, la très sainte Vierge Marie est devenue notre puissante Protectrice et notre Refuge qui nous sauve des péchés, des malheurs et des adversités, en priant pour nous jour et nuit. Elle est devenue notre Reine et Souveraine, dont la puissance détruit tous nos ennemis visibles et invisibles, et en même temps nous avons en elle notre Mère par la grâce, selon les paroles du Seigneur adressées sur la croix à son disciple Jean : Voilà votre mère; et à elle-même : Voici votre fils. (Jn 19,27).

Si nos anges gardiens ne nous gardaient pas des embûches du démon, oh ! que de fois nous serions tombés de péché en péché ! Les esprits du mal se plaisent à nos tourments : aussi quelle violence n'auraient-ils pas déployée pour nous torturer. C'est ce qui arrive si quelquefois le Seigneur permet à notre ange gardien de nous quitter, et de donner pleine liberté aux maléfices du démon. Oui, les anges de la paix, nos fidèles conseillers et les gardiens de notre âme et de notre corps, sont toujours avec nous, à moins que nous ne les éloignions par les abominations de la luxure, de l'orgueil, du doute et de l'incrédulité. Nous sentons, pour ainsi dire, qu'ils nous couvrent des ailes de leur gloire immatérielle, et seulement nous ne les voyons pas. Les bonnes pensées, les bonnes intentions, les paroles et les actions qui tendent au bien, ce sont eux qui nous les inspirent.

Le Seigneur gardera non seulement tous les os (Ps 30,21), mais même les images, les images des saints et des justes, qu'Il ne laisse pas périr dans la putréfaction, dans le mépris et l'abandon, mais qu'Il glorifie par des miracles, comme nous le disent les récits sur les apparitions des icônes miraculeuses, surtout celles de la très sainte Vierge, notre Reine du ciel et Mère de Dieu. Voilà à quel point l'image de l'homme, surtout d'un homme saint, cette coupe bénie de la grâce, est chère au Seigneur. Il opère par cette icône des miracles et prodigue une force invisible qui guérit et qui console.

Beaucoup d'entre nous se livrent souvent à la vanité, à des illusions insensées, à des moments où notre préoccupation aurait dû se porter sur ce qu'il y a de plus sublime, de plus important dans la foi ! Voyez cet homme : il reste là, devant les icônes de notre Seigneur, de la sainte Vierge, d'un ange, d'un archange, d'un saint ou d'un corps des saints, et souvent au lieu de se sentir porté à la prière, au lieu de se détacher de toute préoccupation terrestre, le voilà qui fait mentalement ses comptes et calculs, qui énumère ses revenus et ses dépenses, qui se réjouit d'un bénéfice qu'il a su gagner dans telle affaire ou qui s'afflige d'un insuccès. Quant au profit ou à une perte de nature morale, il n'y songe même pas. Ou bien, il pense du mal de son prochain, et se plaît même à augmenter ses faiblesses, à le soupçonner, à l'envier, à l'accuser. Ou bien encore, pendant l'office divin, il se met à examiner les personnes environnantes, leurs toilettes, leurs traits, à chercher des yeux celles qui lui plaisent ou qui lui déplaisent, à faire des projets pour la journée qui commence, à penser comment il en disposera, chez qui il se rendra, où il ira s'amuser, et ainsi de suite.

Souvent ces idées lui surviennent même au moment où s'accomplit le saint et sublime mystère de l'eucharistie, devant le très pur Corps et le très pur Sang de notre Seigneur, lorsque nous devons entièrement nous recueillir en Dieu, concentrer toutes nos pensées sur le mystère de notre rédemption, qui nous a délivrés du péché, de la malédiction et de la mort éternelle, de même que sur le mystère de notre sanctification en Jésus Christ. Oh ! à quel degré de défaillance et de mondanité sommes-nous arrivés ! Et tout cela, pourquoi ? Parce que nous négligeons la question de notre salut, parce que nous n'y pensons pas, parce que nous manquons de fermeté dans notre foi en l'éternité, ou même encore plus parce que nous n'y croyons pas du tout.

Les saints sont grands par l'élévation de leur âme, par leur foi, par la fermeté de leur espérance en Dieu et par l'ardeur de leur amour pour Dieu, pour lequel ils ont renoncé à tout ce qui tient de la terre. Oh ! que nous sommes insignifiants et petits vis-à-vis d'eux; combien nous leur ressemblons peu ! Ils sont sublimes par leurs actes d'abstinence, de veille, de jeûne, de prière incessante, de pratique de la parole divine et de méditation. Oh ! combien nous leur ressemblons peu ! Mais au moins combien ne devons-nous pas les honorer ! Avec quelle vénération ne devons-nous pas leur demander de prier pour nous ! Aussi nous ne devons nous permettre dans aucun cas de nous adresser à eux avec légèreté ou irrévérence, car nous ne devons pas oublier qu'ils sont déifiés, unis à la Divinité.

Comment faut-il passer les jours de fête ? Nous fêtons ou un événement sublime, dont le résultat a été merveilleux pour les croyants, ou le souvenir glorieux d'une personne, par exemple : le Seigneur, la Sainte Vierge, les anges, les saints, personnes sacrées dont l'intervention a été une source de bienfaits pour le genre humain et pour l'Église de Dieu en général. Il faut approfondir l'histoire de l'événement ou de la personne, se rapprocher dans son coeur de l'un et de l'autre, en devenir le contemporain, s'y assimiler; autrement la fête sera imparfaite et désagréable à Dieu. Les fêtes doivent influer sur notre vie, ranimer notre coeur, réchauffer notre foi aux biens futurs, et perfectionner la sainteté des bonnes moeurs. Cependant nous passons les jours de fête plutôt dans le péché; nous les voyons arriver sans nous donner la peine de réfléchir sur leur importance, et nous les rencontrons d'un coeur incrédule et froids et nullement préparé à ressentir les grands bienfaits que Dieu nous a accordés dans la personne ou dans l'événement que l'Église nous prescrit de fêter.

§ 2. - DE LA MORT ET DE L'ETÉRNITÉ

    Le temps coule sans s'arrêter. Mon corps change et dépérit à vue d'oeil, à mesure que j'avance en âge, et enfin il finit par disparaître. Le globe terrestre, comme son mouvement le démontre, semblable à une horloge que l'on aurait montée,décrit son éclipse dans l'espace infini avec une rapidité incroyable, comme s'il voulait arriver le plus vite possible à la fin de la route qui lui a été tracée dans l'immensité. Tout change, tout passe. Ou donc se trouve l'immuable, le perpétuel ? Il se trouve dans la puissance qui met en mouvement toutes les choses et qui les dirige vers leur but respectif. Il se trouve dans l'origine, dans la cause première de tout ce qui a été crée avec tant de variété. Ce principe premier est simple; il n'est pas composé de parties, et par conséquent impérissable et éternel. Il est dans les esprits des anges et des hommes crées à l'image de la cause première. Tout le reste de ce qui nous entoure n'a pas plus d'existence qu'une bulle de savon. Si je m'exprime ainsi, ce n'est pas pour abaisser la grandeur de la création, mais pour fixer un point de comparaison entre le monde purement matériel et les esprits bienheureux.

Un jour viendra ou ces mains qui aiment à prendre tout ce qu'on leur donne, seront croisées sur la poitrine et ne prendront plus rien. Ces jambes et ces pieds qui aiment à marcher dans le mal et qui n'aiment pas à rester debout ou à genoux pendant la prière, seront étendus pour l'éternité et ne feront plus un pas. Ces yeux qui aimaient à regarder avec envie le bonheur du prochain, se fermeront et leur feu s'éteindra pour toujours. Ces oreilles qui s'ouvrirent si souvent avec plaisir aux chatouillements de la médisance et de la calomnie, n'entendront plus rien; aucun tonnerre ne les réveillera plus. Elles n'entendront que la trompette de l'ange qui sonnera à la résurrection des morts, et alors notre corps impérissable sera ressuscité ou pour Ia résurrection de la vie ou pour Ia résurrection du jugement. (Jn 5,29). Que restera-t-il donc en nous de vivant après la mort, et quel doit être l'objet de toutes nos préoccupations pendant notre vie ? C'est cette partie de nous-même que nous appelons de notre vivant notre coeur, c'est-à-dire l'homme intérieur qui vit en nous, ou autrement notre âme, c'est elle qui doit être l'objet de nos soins. C'est votre coeur que vous devez purifier, pendant la durée de toute votre vie, afin que votre âme soit ensuite capable de voir Dieu. Quant à notre corps avec ses besoins, n'en prenez soin qu'autant que cela est nécessaire pour maintenir votre santé, vos forces physiques et la propreté. Tout devra subir la mort, tout sera emporté par la terre. Faites donc tout votre possible pour perfectionner en vous ce qui aime et ce qui hait, ce qui vous tranquillise et ce qui vous inquiète, ce qui vous réjouit et ce qui vous afflige. Perfectionnez votre coeur ou l'homme intérieur, le principe qui pense et qui réfléchit.

Le royaume de la vie et le royaume de la mort marchent l'un à côté de l'autre; je dis marchent, parce que j'emploie ce mot de royaume dans son sens spirituel. Le chef du premier, c'est-à-dire du royaume de la vie, est Jésus Christ, et celui qui est avec Lui se trouve indubitablement dans la région de la vie. Le chef du second, c'est-à-dire du royaume de la mort, est le prince de la puissance de l'air, le démon avec les esprits du mal qui lui obéissent et dont le nombre est si grand qu'il surpasse infiniment le nombre de tous les hommes qui habitent la terre. Ces enfants de la mort - les sujets du prince de l'air - font une guerre acharnée aux fils de la vie, c'est-à-dire aux chrétiens fidèles et usent de tous les artifices, de toute leur ruse pour les attirer à eux par la convoitise de la chair, par celle des yeux et par l'orgueil mondain; car c'est par l'effet de nos péchés, à moins que nous ne nous en repentions, que nous passons de leur côté. Quant à ceux pour lesquels le péché est pour ainsi dire un besoin de chaque jour, qui boivent l'iniquité comme de l'eau, l'esprit du mal ne s'en occupe pas, parce qu'il les tient déjà en son pouvoir, tant qu'ils vivent dans l'insouciance du bien de leurs âmes. Mais dès que ces pauvres coupables se tournent vers Dieu, dès qu'ils confessent leurs fautes volontaires et involontaires, oh ! alors la guerre éclate, les armées de Satan se soulèvent et commencent une lutte incessante ! Ce que je viens de dire vous montre combien il est indispensable de chercher Jésus Christ, le Chef de la vie, le Vainqueur de l'enfer et de la mort.

Que sera-t-il de nous dans l'autre vie, lorsque tout ce qui nous réjouit dans ce monde, la richesse, les honneurs, les plaisirs de la table, les vêtements, les demeures somptueuses et toutes les choses qui nous attirent auront disparu pour nous, lorsque tout cela ne sera pour nous qu'un rêve, et lorsqu'il nous sera demandé compte de nos actes de tempérance, de pureté, de douceur, d'humilité, de charité, de patience, d'obéissance, etc. ?

Limite probable imposée à l'existence du monde visible et particulièrement a celle de l'humanité. - Le monde visible est, pour ainsi dire, le point d'appui des êtres corporels, afin qu'ils ne disparaissent pas dans l'immensité. - L'Écriture sainte nous offre un témoignage plus exact et plus clair sur le monde visible que le monde visible lui-même ou la disposition des différentes couches de la terre. Les documents gravés par la nature dans les entrailles de la terre sont inertes et muets et n'expriment rien de précis. Ou étais-tu, homme, quand je jetais les fondements de la terre ? Étais-tu auprès de Dieu lorsqu'Il érigeait l'univers ? Qui seconde l'Esprit du Seigneur ? Qui est entré dans son conseil ? Qui l'a conduit ? Et vous, ô géologues, vous vous vantez d'avoir mesuré l'esprit du Seigneur dans la formation des couches de la terre, et vous l'affirmez contrairement aux Écritures sacrées ! Vous ajoutez plus de foi aux lettres mortes des couches terrestres inanimées qu'aux paroles du grand prophète Moise qui a été inspiré de Dieu et qui a vu Dieu !

§ 3. - DE L'UNION AVEC DIEU.

    À quoi peut-on connaître qu'un chrétien est en union avec le Christ ? On le connaît quand ce chrétien a souvent recours à Jésus Christ, quand il prononce fréquemment ce nom si doux pour l'invoquer, quand son coeur se tourne souvent vers Lui, pour faire appel à son secours. En effet, il est naturel que le croyant manifeste sa foi en Jésus et par la bouche et par le regard, car il sait que sans Jésus il est impuissant et sans joie. Il est rare, très rare, que l'homme qui reste loin du Christ porte ses pensées vers le Christ; et si cela lui arrive, il le fait, mais sans foi, sans sincérité, sans amour, mais en quelque sorte par hasard ou par nécessité, comme s'il s'adressait à quelqu'un qu'il ne connaît que fort peu, dont la vue ne donne à son coeur aucune joie, aucune douceur, aucun charme, aucun attrait. Au contraire, nous remarquons que ceux qui sont en union avec le Christ n'ont pas une pensée à laquelle Jésus ne soit pas associé, et qu'ils ne vivent que de lui. Le Christ est leur souffle, leur nourriture, leur demeure, en un mot, tout; ils s'attachent à Lui pour ainsi dire par tout leur être, à cause de la douceur de son Nom et de l'attachement de sa grâce, selon la parole du prophète : mon âme s'est attachée à Vous. (Ps 62,8). Et ce contact intime les remplit d'une félicité inénarrable que le monde ignore. Tels sont les indices auxquels nous reconnaissons ceux qui ont trouvé Jésus, et ceux qui ne l'ont pas encore trouvé . Ces derniers n'ayant pas de foi sincère, passent leur vie à ne se préoccuper que des choses du monde, cherchant à s'amuser, à bien boire et à bien manger, à s'habiller avec goût, à satisfaire leur bon plaisir, à tuer le temps dont ils ne savent que faire, ce temps qui les cherche de son côté et fuit rapidement à leurs yeux, les jours succédant aux jours, les nuits aux nuits, las mois aux mois, les années aux années; jusqu'à ce que retentisse enfin l'heure dernière, l'heure terrible où il leur sera dit : arrêtez; le cours de vos jours est terminé, votre temps est perdu, vos péchés et vos iniquités sont là devant vous, formant comme une montagne qui va s'écrouler sur vous et vous écraser de son poids dans l'éternité.

Plus le moyen qui nous unit à Dieu est sûr et énergique, tel que la prière et la pénitence, plus l'adversaire de Dieu et le nôtre s'efforce de le détruire. Il n'y a rien qu'il néglige; il profite de notre caresse, de la faiblesse de notre âme, de notre attachement aux liens et aux soucis de ce monde, de notre scepticisme si fréquent chez quelques-uns; de notre peu de foi ou de son absence totale; des pensées impures, méchantes et blasphématoires, de l'angoisse du coeur, de I'obscurcissement de la pensée; tout enfin est mis à profit par l'ennemi chez les personnes inattentives, pour mettre un obstacle à la prière, cette échelle qui nous permet de monter jusqu'à Dieu. De là vient qu'il y a si peu de personnes qui prient sincèrement et avec ferveur, et qu'il y a tant de chrétiens qui font très rarement leurs Pâques. La moitié même de ceux-ci ne les auraient peut-être pas faites, si notre loi civile n'obligeait chacun à se confesser et à communier annuellement. Bien des gens le savent par l'expérience.

Celui qui est uni à Dieu aime inévitablement et par un effet pour ainsi dire tout naturel son prochain, parce que ce dernier est l'image de Dieu et en même temps enfant de Dieu, s'il est chrétien, membre de Jésus Christ, Homme-Dieu, et son membre à lui : parce que nous sommes membres les uns des autres (Eph 5,30); parce que nous sommes les membres de son Corps, formés de sa Chair et de ses Os (1 Cor 6,17). Tout ce qui tient à la terre, la nourriture, la boisson, le plaisir et la beauté terrestre, le vêtement, la gloire, lui est indifférent, car il ne peut pas servir deux maîtres. Son coeur est uni au Seigneur, il est plongé en lui, englouti par l'amour dont il déborde pour lui, et tout ce qui tient à la terre, tout le charme de ce monde, disparaît pour lui dans le Seigneur. Tout disparaît jusqu'à son propre coeur, le coeur de chair, coupable et rempli de passions, qui s'évanouit en s'identifiant avec Dieu dans un même esprit : mon coeur est disparu; mais celui qui s'unit au Seigneur est un même esprit avec lui (1 Cor 6,17). Restant uni au Seigneur, iIl voit tout à la vraie lumière, et apprend à connaître le véritable prix des choses de la terre et du ciel, surtout la vanité, le néant de tout ce qui est matière et la vérité, la supériorité infinie, l'éternité des biens spirituels. Il trouve en Dieu la purification des péchés, la sainteté perdue, la paix, le soulagement, la véritable liberté, la joie dans l'Esprit saint. Il trouve en Dieu la nourriture et le breuvage spirituel, propres à sa nature, la douceur spirituelle, le vêtement spirituel, lumineux, splendide, blanc comme la neige, et la beauté inénarrable qu'il pourra admirer éternellement, ainsi que la lumière inaccessible, dont il sera éternellement environné, et une demeure, en harmonie avec les besoins de son âme, qui deviendra elle-même une demeure où résidera la sainte Trinité.

Notre union avec Dieu dans la vie à venir et dans la lumière, dans la paix, dans la joie, dans la félicité qui en résulteront pour nous, nous en avons l'avant-goût ici-bas. Après la prière, quand notre âme revient en quelque sorte d'une visite au Seigneur et d'une intime union avec Lui, nous sentons un bien-être, une tranquillité, une légèreté, une joie, comme des enfants réchauffés au sein de leur mère; ou, pour mieux dire, nous éprouvons ce bien-être inexprimable de Pierre devant la transfiguration de Jésus : Il est bon que nous soyons ici. (Luc 9,33). Persiste donc dans ton labeur sans discontinuer, en vue de ta félicité infinie future, dont tu ressens un avant-goût, même ici-bas; mais n'oublie pas que nous ne voyons Dieu maintenant que comme dans un miroir et sous des images obscures (1 Cor 13,12). Quel sera notre bien-être lorsque nous serons en réalité intimement unis à Dieu, lorsque les images et les ombres disparaîtront, et que le règne de la Vérité et de la vue directe commencera ? Oh ! nous devons jusqu'à l'heure de notre mort faire tous nos efforts pour obtenir la félicité future et notre union future avec Dieu !

Notre vie est simple, car elle se trouve dans Jésus Christ, le Fils de Dieu, l'Être supérieurement simple, éternel, qui n'a pas eu de commencement. Dieu vous a donné la vie éternelle, et cette vie est dans son Fils. (1 Jn 5,11). Pourquoi donc cherchons-nous la vie dans les hommes, dans les plaisirs, dans l'argent, dans les honneurs, dans les parures et dans tant d'autres choses qui méritent le mépris ? La vie du coeur n'est pas dans ces choses: elles sont les synonymes du tourment, de la désolation et de la mort de l'âme ! Pourquoi abandonnons-nous la source des eaux vives, le Seigneur, et creusons-nous des citernes, fosses crevassées qui ne peuvent retenir l'eau. (Jer 2,15). Pourquoi sommes-nous dans une agitation, dans un mouvement continuel ? Pourquoi éprouvons-nous cette soif des plaisirs, de l'argent, des honneurs, des parures et d'autres choses pareilles ? Tout cela est mort, pourriture, cadavre. Le prince de la mort le démon, est un être simple lui aussi; aussi use-t-il de moyens fort simples pour nous entraîner dans ses filets et nous frapper à mort. Nous devons être par conséquent toujours sur le qui-vive, et repousser tout attachement aux choses de ce monde, afin d'éviter les coups de notre ennemi.

Lorsque nous avons Jésus dans notre coeur, nous sommes contents de tout; la gêne est pour nous l'aisance la plus parfaite, I'amertume est une douceur la misère une richesse, la faim une satiété, l'affliction une joie ! Mais lorsque Jésus ne se trouve pas dans notre coeur, nous sommes mécontents de tout : rien ne nous rend heureux, ni la santé, ni le confort, ni les rangs, ni les honneurs, ni les plaisirs, ni les palais, ni l'abondance d'une table pourvue de plats et de vins de toute espèce, ni la richesse de la toilette, en un mot rien. Ah ! combien Jésus, le Dispensateur de la vie et notre Sauveur, est nécessaire à l'homme ! Et pour qu'Il entre en nous, combien il est utile d'avoir soif, d'avoir faim, de dormir peu, de s'habiller simplement, de tout supporter tranquillement, avec patience et sans rancune. Le persécuteur de nos âmes, le démon, nous épie à chaque moment, tâchant de souiller notre âme par un péché ou par une passion, de nous faire prendre une habitude coupable et d'augmenter les obstacles dans la voie de notre salut. Il s'efforce surtout de nous inspirer l'indifférence envers Dieu, envers tout ce qui est saint, envers l'Église, envers l'éternité et envers l'humanité.

Quel est le but de notre vie sur la terre, mes frères ? Ce but, c'est d'aller nous reposer en Dieu, après avoir traversé toutes les épreuves qui nous sont envoyées sous forme d'afflictions et de misères terrestres, et, après nous être sanctifiés toujours de plus en plus par la vertu des sacrements. Oui, d'aller nous reposer en Dieu, car Dieu est le repos de notre esprit. C'est pourquoi nous chantons en priant pour les morts : Seigneur, donnez le repos à l'âme de votre serviteur. Nous demandons pour le décédé le repos, cet objectif de tous les désirs, et nous le demandons à Dieu. Par conséquent est-il raisonnable de s'affliger outre mesure de la perte de nos morts ? Venez à Moi, vous tous qui êtes chargés, et Je vous soulagerai, dit le Seigneur. Et nos défunts, morts d'une mort chrétienne, arrivent à cet appel du repos. Pourquoi donc nous affliger ?

Il y a un sentiment qui rend la paix à ma pensée et à mon coeur : je veux l'écrire ici pour qu'il reste toujours présent à ma mémoire et pour qu'il me soutienne au milieu des labeurs et des soucis de la vie ! Quel est ce sentiment ? C'est la maxime chrétienne, si pleine d'une vive espérance et d'une force pacifiante si miraculeuse : Tout est pour moi dans le Seigneur. Voilà mon trésor inappréciable ! Voilà les paroles précieuses qui peuvent rendre l'homme tranquille dans n'importe quelle position, avec lesquelles on peut être riche quand on est pauvre, généreux quand on est riche, riant envers les hommes, et toujours plein d'espérance malgré nos péchés. Tout est pour moi dans le Seigneur. C'est Lui qui est ma foi, mon espérance et mon amour, mon courage, ma force, ma paix, ma joie, ma richesse, ma nourriture, ma boisson, mon vêtement, ma vie, en un mot, tout. Oui, chrétien ! Le Seigneur est tout pour toi : sois donc aussi tout pour le Seigneur. Or, puisque tout ton trésor se trouve dans ton coeur et dans ta volonté, et puisque le Seigneur te demande ton coeur, en disant : Mon fils, donne-moi ton coeur, (Prov 23,26), tu dois, afin d'obéir à sa Volonté toujours clémente et parfaite, renoncer à agir selon ta volonté corrompue, passionnée et rebelle. Renonce à ta volonté, reconnais uniquement la Volonté de Dieu et répète : Que votre Volonté, non la mienne, soit faite.

Le Seigneur est ma vie ici-bas; le Seigneur est ma délivrance de la mort éternelle; le Seigneur est ma vie sans fin au ciel; le Seigneur est ma purification et la libération de mes péchés sans nombre; Il est ma sanctification. Le Seigneur est ma force aux moments de ma faiblesse, mon soulagement dans l'angoisse, mon espérance dans le découragement et dans la détresse; le Seigneur est le feu vivifiant qui réchauffe ma froideur; le Seigneur est ma lumière dans l'obscurité, ma paix dans le trouble; le Seigneur est mon défenseur dans les tentations. Il est ma pensée, mon désir, mon activité; il est le flambeau de mon âme et de mon corps, ma nourriture, ma boisson, mon vêtement, mon bouclier, mon armure. Le Seigneur pour moi est tout. Ô mon âme, ne cesse pas d'aimer et de remercier le Seigneur ! Mon âme, bénis le Seigneur et que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom. Mon âme, bénis le Seigneur et garde-toi d'oublier ses innombrables bienFaits. C'est lui qui pardonne toutes tes iniquités, lui qui guérit toutes tes infirmités; c'est Lui qui rachète la vie de la mort, lui qui te couronne dans sa miséricorde et dans ses compatissantes bontés; c'est lui qui rassasie de biens ton désir. (Ps 102).

La vie a venir. - C'est l'état d'une complète pureté où doivent arriver nos âmes par le chemin d'une graduelle purification. Mais la plupart du temps, ce chemin est obscurci et obstrué par le péché et par le souffle du démon. Cependant quelquefois par l'effet de la grâce divine, il s'éclaire et alors l'âme voit Dieu auquel elle s'unit en toute sincérité par la prière et par le sacrement de la communion.

Accordez-moi, Seigneur, la grâce de pouvoir aimer chacun de mes frères comme moi-même, de ne jamais éprouver de rancune contre eux et de ne pas travailler pour le démon. Faites que je puisse crucifier mon amour-propre, mon orgueil, ma cupidité, mon incrédulité et mes autres passions. Faites que le mot : amour mutuel soit votre nom, que nous ayons une foi ferme en vous et la conviction que vous nous tenez lieu de tout. Soyez, ô mon Dieu, le seul Dieu de notre coeur ! Faites que nous n'en ayons pas d'autres, faites que nous conservions l'union dans l'amour, selon votre commandement, et que nous méprisions comme une poussière tout ce qui tend à nous désunir et à nous éloigner de l'amour ! Amen ! Ainsi soit-il !

 

Date de dernière mise à jour : 2017-02-17