Passioniste de Polynésie

Sainte Elisabeth de la Trinité

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Petite chronologie d'Elisabeth

 

1880

 

Naissance, le 18 juillet, d'Elisabeth Catez au Camp d'Avord (Farges en Septaines - près de Bourges). Baptême le 22 juillet

1881

déménagement à Auxonne (près de Dijon, en Côte d'Or) 

1882

9 mai : décès de la mère de madame Catez ; son père vient habiter chez sa fille et son gendre

déménagement à Dijon            enfance d'Elisabeth

1883

Naissance de Marguerite (Guite), soeur d'Elisabeth

1887

24 janvier : décès du père de madame Catez

2 octobre : décès de monsieur Catez

déménagement rue Prieur de la Côte d'Or

au cours de cette année : première confession

1888

confidence d'Elisabeth au chanoine Angles : Je serai religieuse

octobre : première inscription au Conservatoire de Dijon

1891

19 avril : Première Communion à St Michel (Dijon)

8 juin : confirmation à Notre Dame (Dijon)

1893

juillet : premiers prix de solfège et de piano au Conservatoire

Vacances à Gemeaux (près de Dijon) ; Mirecourt (Vosges) ; Mignovillard (Jura)                 

1894

voeu de virginité ; appel au Carmel                    Adolescence

vacances dans le Midi : Carlipa, Saint Hilaire (Aude)   Voyages

1895

Vacances à Mirecourt (Vosges) et à Champagnole (Jura)

1899

Elisabeth écrit son Journal

26 mars : Madame Catez consent à ce que sa fille entre au Carmel, à sa majorité (21 ans)

20 juin : première visite au parloir du Carmel (depuis la levée du veto maternel)                                   Désir du Carmel

1901

2 août : entrée au Carmel de Dijon                    le postulat

8 décembre : Prise d'Habit

1902

noviciat

1903

11 janvier (dimanche de l'Epiphanie) : Profession

21 janvier : Prise de voile

1904

21 novembre : Elisabeth compose sa prière : O mon Dieu, Trinité que j'adore                                     Louange de gloire

1905

Pendant le Carême (8 mars - 22 avril) : premiers symptômes de la maladie d'Addison

1906

19 mars : Elisabeth entre à l'infirmerie

août : elle compose Le Ciel dans la foi et sa Dernière retraite

soir du 30 octobre : Elisabeth s'alite définitivement

1er novembre : dernière Communion

9 novembre : Je vais à la Lumière, à l'Amour, à la Vie

 

 

1984

25 novembre : Elisabeth est béatifiée à Rome par Jean-Paul II   

 

18 juillet 1880 : le murmure de la Louange

Origines familiales et naissance d’Elisabeth Catez

3 septembre 1879 – 11 heures du matin. Les cloches de l’Eglise de St Hilaire dans l’Aude (près de Limoux) sonnent en volée. Aujourd’hui se célèbre en effet le mariage de Joseph Catez, capitaine au 16ème escadron du 1er régiment du Train des équipages – détaché actuellement à l’Ecole d’artillerie de Castres, à l’annexe de Lunel (Hérault) - et de Marie Rolland

Les futurs époux sont déjà dans la force de l’âge, mais leur désir du mariage – ancien – a dû se frayer un chemin à travers les circonstances politiques et sociales.

Le capitaine Catez est né le 29 mai 1832 – il est donc âgé de 47 ans - au hameau de La Jumelle près de la commune d’Aire-sur-la-Lys dans le département du Pas de Calais. Son père est cultivateur. Mais un cultivateur sans terre… Il doit donc, pour vivre, trouver un emploi dans une région qui est alors fort pauvre et où les conditions de vie des ouvriers agricole sont précaires. Quatrième enfant d’une famille qui en comptera sept, Joseph Catez a un horizon de vie limité. Il choisit alors de s’engager dans l’armée et le 17 mai 1853 il est incorporé au 1er régiment du génie comme 2ème sapeur. Il franchit lentement les échelons : brigadier, maréchal des logis, maréchal des logis fourrier, maréchal des logis chef. Dans ce grade il est décoré de la croix de la valeur militaire le 13 mars 1869. Il devient sous lieutenant le 9 août 1870 au 1er régiment du train des équipages. Participant à la guerre de 1870 contre l’Allemagne, il est fait prisonnier à Sedan le 3 septembre. Libéré le 3 avril 1871, sa carrière militaire se poursuit alors : le 9 août 1872, il est nommé lieutenant et devient enfin officier en étant promu capitaine au 13ème escadron du 1er régiment du Train le 13 septembre 1875. 

Il arrive au 16ème escadron, à Castres le 1er décembre de la même année

Au gré des invitations mondaines auxquelles tout officier est invité à se plier, il rencontre Marie Rolland.

Née le 30 août 1846 à Lunéville, elle est donc âgée de 33 ans. Elle a quitté la Lorraine lorsque son père, capitaine commandant de cavalerie, se trouvant en retraite de l’armée en 1862, est venu s’installer à proximité de son village natal (Pexiora ) – à Castelnaudary d’abord, puis à Saint Hilaire où il fut percepteur des impôts. Elle fut fiancée à un jeune militaire. Celui-ci mourut au champ d'honneur lors de la guerre de 1870, ce qui l’affecta profondément. Ce qui explique peut-être ces longues années de solitude avant sa rencontre avec le capitaine Catez.

Celui-ci a reçu avec grand plaisir le 13 août dernier la nouvelle de l’autorisation ministérielle (nécessaire alors pour les officiers de l’armée française) autorisant son mariage. A partir de jour les préparatifs du mariage se précisent. Le contrat civil est passé devant notaire le 1er septembre 1879, à Carcassonne.

Une assemblée nombreuse se presse donc dans la petite église du village en ce 3 septembre. Les toilettes claires des dames se mêlent aux uniformes colorés des nombreux militaires venus entourer leur confrère et ami. 

Joseph et Marie échangent leur consentement, le prêtre les bénit. Fervents chrétiens tous les deux, ils ont l’intention de fonder un foyer dont l’amour de Dieu sera la source, le rayonnement. 

Peu de temps après son mariage, le capitaine Catez est muté au camp militaire et est promu capitaine en 1er au 8ème escadron du 1er régiment du Train.

École d’arme pour l’infanterie depuis la défaite de 1870, Avord est devenu un centre d'instruction destiné aux Sous-Officiers pouvant prétendre à l'épaulette. Le recrutement s'effectuait parmi les meilleurs Sous-Officiers ainsi que parmi les "engagés conditionnels" (Officiers de réserve rengagés). Le centre commence à se trouver trop étroit à Avord et se transférera bientôt à Saint Maixent.

Le capitaine et madame Catez vont connaître là leur première joie familiale en accueillant à leur foyer une petite Élisabeth qui naît le 18 juillet 1880

L’accouchement ne fut pas sans douleurs. Madame Catez raconte :

… j'ai eu une fille Marie Elisabeth…, condamnée avant sa naissance car les deux médecins qui étaient auprès de moi, avaient déclaré à mon mari qu'il fallait faire le sacrifice du bébé dont le cœur ne battait plus, mais Dieu veillait et au dernier évangile de la Messe, que j'avais demandée à l'Aumônier et qui se célébrait à la chapelle du camp la petite Elisabeth faisait son entrée clans la vie, très belle, très vivante  

( Note biographique de Madame Catez)

Dans son berceau, Élisabeth qui vient d’entrer dans la vie s’apprête à recevoir dans quelques jours la grâce de la Vie, celle de son baptême.

22 juillet 1880 : Marquée du sceau des "Trois

22 juillet 1880 – la petite Élisabeth a quatre jours. Quelques photographies nous la découvrent en ce jour : on la voit entre les bras de sa maman revêtue de la robe blanche (un cadeau de Marie de Pleurre, une amie lunévilloise de madame Catez): c’est le jour de son baptême

Communion

1887 est l'année de la première confession d'Élisabeth.

Cette étape va amorcer le travail intérieur qui amènera Élisabeth à dominer ses colères et à maîtriser sa sensibilité.

Sa mère raconte :

Elle n'avait que 7 ans lorsque son père nous fût enlevé par une maladie de cœur, je voulus alors me consacrer à mes deux petites filles et les élever à la maison, mais les accès de colère d'Élisabeth étaient loin de diminuer, comme elle avait une grande tendresse pour moi, je la punissais en la privant le soir d'un baiser.

Sa sœur témoigne :

Enfant, elle était très colère, très vive, impulsive jusqu’à 7 ou 8 ans, c’est à dire jusqu’à sa première confession environ ; nature très sensible, très affectueuse, pour laquelle la punition la plus dure était la privation des caresses de sa mère.

Sa colère, dans sa première enfance, était parfois si violente qu’on la menaçait de l’envoyer comme interne au Bon Pasteur et qu’on préparait son petit paquet.

Sa Prieure - Mère Germaine de Jésus - témoignera au Procès de béatification :

Elle était d’un caractère violent et même sujette à de véritables colères. Sa mère m’a confié que ses premiers essais pour se dominer provinrent du refus qu’elle fit de l’embrasser comme à l’ordinaire ; mais Élisabeth elle-même m’a confié que sa résolution vraiment réfléchie et persévérante de se vaincre dans ses violences, date de sa première confession. On peut dire que ses efforts furent constants jusqu’à sa première Communion

En attendant la vie suit son cours et l'année préparatoire à la première Communion arrive.

Sur les bancs du catéchisme, Élisabeth rencontre alors celle qui deviendra une de ses amies les plus proches : Marie-Louise Hallo. De la préparation d'Élisabeth à sa première Communion, elle dira

J'ai fait connaissance d'Élisabeth sur les bancs du Catéchisme de 1ère Communion, elle était ma compagne, et se préparait si bien à ce grand jour, luttant contre sa vivacité avec une volonté énergique. 

 le 19 avril 1891, c'est le jour de la première Communion

Marie-Louise Hallo raconte :

Je me rappelle que la veille avant le dîner le prêtre qui l'avait baptisée nous fit une lecture et Élisabeth m'emmena faire un chemin de croix devant le Crucifix indulgencié de sa mère. Le grand jour arriva 19 avril 1891, Élisabeth ne cessa de pleurer pendant la Messe de 1ère Communion et l'action de grâces. Quand nous sortîmes, elle me dit : 

"Je n'ai pas faim, Jésus m’a nourrie." 

Notre confirmation eut lieu à Notre Dame. A partir de ce moment la piété d'Élisabeth s'accrut davantage, elle communiait souvent et versait d'abondantes larmes après. Sa nature était si sensible mais si forte. Je l'ai vue quelquefois faire des efforts inouïs pour réprimer une impatience et une parole trop vive.

La première communion d'Elisabeth le 19 avril 1891 avive son désir de recevoir Jésus et de vivre avec Lui.

Ce désir s'accompagne d'une réelle conversion au niveau de son comportement : les colères disparaissent et Élisabeth conquiert sur elle-même une maîtrise de soi qu'admireront ses proches.

Une de ses amies, Louise Recoing raconte

Mon père venait d'être nommé Commandant à Dijon en 1892...Ayant appris que nous étions très tristes d'avoir quitté nos amies de Besançon (notre garnison précédente), le Commandant Hallo demanda à sa femme d' inviter toutes les amies de sa fille Marie-Louise, afin qu'elles deviennent les nôtres. Ce qui n'avait frappée dans cette première rencontre, c'était sa douceur et son amabilité qui contrastaient avec sa nature ardente et son regard de flamme. Je vis aussi qu'elle était l'âme et le bout-entrain de cette réunion qui devait être suivie de tant d'autres. Comme son égalité d'humeur et sa douceur me stupéfiaient, ma mère en parla à Madame Catez qui lui confia alors que jusqu'à l'année précédant sa première Communion Elizabeth se mettait chaque jour en colère. C'est alors que sa mère lui avait dit qu'un réel changement était nécessaire pour faire cette première Communion qu'elle désirait tant. Une transformation commença aussitôt, à être visible dans son caractère et quand je l' ai connue, il semblait impossible qu'elle ait pu être si différente. Comme j'étais moi-même prompte à m'emporter je compris qu'il fallait l'imiter, et faire de grands efforts pour devenir comme elle, douce et humble

Conservatoire

Selon la loi de 1882 (loi Jules Ferry), 

Art.4 : "l'instruction primaire est obligatoire pour les enfants des deux sexes âgés de 6 ans révolus à 13 ans révolus ; elle peut être donnée soit dans les établissements d'instruction primaire ou secondaire, soit dans les écoles publiques ou libres, soit dans les familles par le père de famille lui même ou par toute personne qu'il aura choisie".

Madame Catez choisit de pourvoir chez elle à l'éducation de ses filles et elle engage des institutrices pour cela.

L'instruction scolaire d'Élisabeth restera cependant élémentaire. En effet en 1888, madame Catez inscrit ses filles au Conservatoire de Dijon, sans doute pour les préparer à un métier de professeur de piano.

Élisabeth se révèlera très douée pour la musique. De ce fait sa formation musicale sera intensive : cours de solfège et de piano au Conservatoire, leçons particulières de piano, et surtout de nombreuses et longues heures de travail personnel à la maison

En effet, elle se révèle être une musicienne et une pianiste très douée. De ce fait elle passe avec rapidité et brio ses examens au Conservatoire.

Elle obtient, en 1893 (elle vient juste d'avoir 13 ans) le premier prix de solfège, dans la classe de Monsieur Pradel et le premier prix de piano, dans la classe de monsieur Dietrich

En 1894, elle "rate" le prix d'excellence. Elle-même le raconte à Alice Chervau, une autre de ses amies.

Il y a eu grande agitation à cause de moi au Conservatoire : le jury m'avait décerné un prix à l'unanimité, mais monsieur Fritsch, dont l'élève en avait eu un, a trouvé que je ternirais la gloire de son élève; il a couru à la préfecture, madame Vendeur également;

ils ont si bien fait que le préfet leur a donné raison, en disant que le jury n'avait pas le droit de donner ce prix. Alors les membres du jury, très mécontents, ont voulu donner leur démission, et si monsieur Deroye, le président du jury, avait été averti, les choses ne se seraient pas passées ainsi, car il aurait été trouver le préfet, il l'a dit à monsieur Lévêque... 

Enfin, une agitation dont vous n'avez pas idée, et c'est monsieur Fritsch qui est cause de tout cela; il a joliment mal agi; il est brouillé avec monsieur Diétrich.

En 1895 elle obtient un accessit d'harmonie et termine ainsi son parcours d'étude au Conservatoire.

Adolescence

Son travail intensif et son haut niveau de piano n'empêchent pas Élisabeth de participer avec régularité aux temps spirituels de sa paroisse : la Messe, bien sûr, les retraites organisées, les exercices du mois de Marie.

Son désir d'être toute à Jésus ne cesse de croître et elle se lie à Lui par un vœu de virginité, vers l'âge de 14 ans

J'allai avoir quatorze ans, quand un jour, pendant mon action de grâces, je me sentis irrésistiblement poussée à choisir Jésus comme unique époux, et sans délai, je me liai à Lui par le vœu de virginité. Nous ne nous dîmes rien, mais nous nous donnâmes l'un à l'autre en nous aimant si fort, que la résolution d'être toute à Lui devint chez moi plus définitive encore

Ses amies les plus intimes savent qu'elle a déjà le désir de mourir jeune, pour vivre plus intensément au Ciel, en Dieu. C'est encore à Louise Recoing que l'on doit ce récit

Un lundi de Pâques nous fîmes une excursion dont le but était Notre-Dame d’Etang à Velars (près de Dijon, en Côte d'Or). A cette époque, les pèlerinages n’étaient pas encore organisés. Tandis que nos parents s’arrêtaient au premier plateau de la colline, la jeunesse, c’est-à-dire Élisabeth, Marguerite, moi, mes frères et une de mes sœurs montâmes jusqu’au sanctuaire. Sur l’autel se trouvait un livre dans lequel on pouvait écrire la ou les grâces qu’on désirait obtenir de la Sainte Vierge. 

Je sais qu’Élisabeth lui demanda celle de mourir jeune et je vois encore sa sœur Marguerite lui disant avec un ton de reproche qu’on ne devait pas demander cela. Le désir de cette faveur correspondait à celui, très ardent, qu’elle avait d’aller au ciel le plus tôt possible. Élisabeth avait une grande dévotion envers la Sainte Vierge. Son bonheur était d’aller à Lourdes où les grandes vacances la ramenaient souvent.

Elle veut toujours être religieuse. Mais où ?

Louise Recoing, encore raconte cette anecdote

Je revois encore Elizabeth grimpée dans un des cerisiers de notre jardin; l'arbre était couvert de ces cerises noires qu'on appelait "Carmélites" et tout en les mangeant me disant, "C'est pour avoir la vocation:"  

Un jour, à 14 ans, pendant le temps qui suit la Communion, Élisabeth se sent appelée à entrer au Carmel.

Elle a trouvé.

Seul obstacle : madame Catez, sa mère, qui ne veut pas entendre parler de la vocation de sa fille. Respectant sa mère, mais souffrant en silence, Élisabeth attend et espère la levée du veto materne

Sa vie spirituelle profonde n'empêche pas Élisabeth d'être une jeune fille pleine d'humour...

Et elle continue à lutter pour maîtriser sa sensibilité et ne pas se laisser emporter par une vivacité naturelle.

Une anecdote de Louise Recoing:

J'eus une preuve tangible de sa maîtrise et de sa générosité un après-midi d'été, alors que nous prenions nos ébats avec une bande d' amies dans le jardin entourant la maison que madame Catez habitait, rue Prieur de la Côte d'Or. Une discussion s'était élevée au sujet du jeu a choisir. Un groupe voulait celui suggéré par Elizabeth, l' autre groupe voulait le mien. Le différent s’échauffait sans aboutir, quand tout à coup Elizabeth s'écria, "Comme nous sommes sottes, le jeu de Louise (c'était moi) est bien plus amusant que le mien. Commençons par là:" Surprise, je la regardai et ses yeux étaient pleins de larmes, ce qui me fit réaliser son effort pour céder et amener ses adeptes à faire de même.

Ce combat avec elle-même, Élisabeth n'en laisse rien paraître au dehors, se montrant aimable et attentive à chacun.

Françoise de Sourdon raconte

Comme elle nous amusait ! C'était elle la meneuse de jeu. On se pendait à sa natte.

Germaine de Gemeaux aussi se souvient

Je me rappelle, à part quelques petits faits sans importance, qu'elle était toujours très bonne pour ma sœur et pour moi bien petites alors, nous donnant des conseils pour nos études de piano et s'intéressant à nos enfantines conversations. 

Voyages

Proche de ceux qui l'entourent, Élisabeth, en artiste, s'émerveille du monde qu'elle découvre grâce aux vacances estivales qui l'amènent à traverser la France.

Les vacances de 1893 (juste après son prix de piano) se passent en Lorraine, à Mirecourt, puis dans le Jura, à Mignovillard.

Elle passe à nouveau les vacances de 1895 dans le Jura, à Champagnole. En 1897, elle retrouve la Lorraine (Lunéville et Mirecourt). En 1899 c'est Mignovillard, encore puis trois semaines en Suisse.

Les années paires voient le trio Catez partir vers les Pyrénées : Carlipa, 

Saint Hilaire, dans l'Aude, Carcassonne, Toulouse. Ce qui leur permet d'aller plusieurs fois en pèlerinage à Lourdes. En 1900 madame Catez et ses deux filles concluront la boucle de l'Ouest en passant par Paris. Si elles vont à Montmartre et à Notre Dame des Victoires, elles visitent aussi l'exposition universelle.

 Elle a laissé ainsi une description vivante des paysages découverts dans ses lettres ou ses compte-rendus d'excursion

N'est-ce pas que l'on ne se lasse pas de contempler cette belle mer ? Te rappelles-tu la dernière fois que nous l'avons vue ensemble au Rocher de la Vierge, à Biarritz ? Quelles bonnes heures j'ai passées là, c'était si beau ces lames de fond envahissant les rochers, mon âme vibrait devant ce spectacle si grandiose !

Pour cette âme d'artiste qui vibre à la beauté, celle-ci parle de Dieu et avive le désir de ne vivre qu'avec et pour Lui seul.

Et Élisabeth communie profondément à cette beauté comme l'atteste à sa manière cet article paru dans le Bien Public du 4 août 1896 (Élisabeth a 16 ans)

Mademoiselle Catez, prix d'excellence, prix d'honneur du ministre des beaux-arts, est une pianiste hors de pair. Cette enfant, élève de monsieur Diétrich, est un petit prodige; elle a joué la Rapsodie espagnole de Liszt avec une sûreté, une maestria, une entente des intentions du compositeur tout à fait étonnantes. Avec cela, pas de contorsions, pas d'effort, une tenue simple et correcte. Bravo, bravo, Mademoiselle, bravo pour vous, bravo pour tous vos camarades!

Désir du Carmel

Le désir d'Élisabeth d'entrer au Carmel éclate au fil des pages du Journal qu'elle tient en 1899. Le veto de madame Catez reste formel, qui a aussi interdit à sa fille tout contact avec les sœurs.

Élisabeth espère en silence, cultivant la douceur qu'elle a conquise. Ainsi en témoigne Guite, sa sœur dont elle est si proche :

cette enfant si difficile est devenue une jeune fille possédant un beau calme mais non sans efforts car ne voulant répondre à un reproche injuste ou à une observation imméritée, une larme perlant à ses paupières montrait la lutte intérieure qu'Élisabeth soutenait avec un véritable héroïsme, si bien que notre chère maman qui était la vivacité même lui disait quelquefois "Mais fâche-toi donc, tu m'impatientes avec ton calme".

Élisabeth avait seize ans ou même peut-être dix-huit quand, voulant déboucher une bouteille d'encre, elle eut la maladresse de tacher sa robe toute neuve ; maman lui appliqua une gifle mais Élisabeth accepta avec sa douceur habituelle cette correction qui semblait n'être plus de son âge.

Elle reste très présente à toutes ses occupations.

Elle allait dans les matinées chantantes et y paraissait très gaie. Comme elle n'était pas timide, nous la faisions entrer la première sa sœur et moi.  (Marie-Louise Hallo)

Mais ses proches la sentent prise "ailleurs". Son regard au cours des matinées dansantes la découvre présente à une autre Présence

Voilà les réunions mondaines qui recommencent ; vous savez si j'aime cela ; enfin je l'offre au bon Dieu, il me semble que rien ne peut distraire de lui. Lorsqu'on n'agit que pour lui, toujours en sa sainte présence, sous ce divin regard qui pénètre dans le plus intime de l'âme, même au milieu du monde on peut l'écouter, dans le silence d'un cœur qui ne veut être qu'à lui

Et cependant son attente va enfin voir se dessiner un terme. Le dimanche 26 mai 1899, Élisabeth écrit dans son Journal

Marguerite a encore abordé le sujet de ma vocation ; maman lui a répondu que je ne devais plus y penser, et qu'elle ne m'en parlerait pas la première. Cependant, après le déjeuner, cette pauvre mère m'interrogea. Quand elle vit mes idées toujours les mêmes, elle versa beaucoup de larmes et me dit qu'elle ne m'empêcherait pas de partir à vingt et un ans ; que j'avais donc seulement deux ans d'attente et qu'en conscience, je ne pouvais laisser ma sœur avant.

Élisabeth aura 21 ans le 18 juillet 1901. Elle doit donc attendre encore deux ans. Elle utilise ce temps pour se préparer intérieurement laissant se développer une profonde intimité avec Dieu qui demeure en elle

Je me livre, je m'abandonne à lui, je suis si tranquille, je sais à qui je me confie. Il est tout puissant, qu'il arrange toutes choses selon son bon plaisir ; je ne veux que ce qu'il veut ; je ne désire que ce qu'il désire ; je ne lui demande qu'une chose : l'aimer de toute mon âme, mais d'un amour vrai, fort et généreux

Enfin la date de son entrée au Carmel est fixée au 2 août 1901

En envoyant sa photographie au chanoine Angles le 14 juin 1901, Élisabeth écrit

Vous ai-je jamais dit mon nom au Carmel : "Marie-Élisabeth de la Trinité". Il me semble que ce nom indique une vocation particulière, n'est-ce pas qu'il est beau ? J'aime tant ce mystère de la Sainte Trinité, c'est un abîme dans lequel je me perds !...

Adieu, cher Monsieur, je vous envoie ma photographie ; pendant qu'on la faisait je pensais à Lui, c'est donc Lui qu'elle vous portera. En la regardant priez-le pour moi, j'en ai besoin, je vous assure

2 août 1901 : Entrée d'Élisabeth au Carmel

Préliminaires  Une vocation

Saint Hilaire, été 1888. Un soir, Elisabeth et Guite ont joué tout l’après-midi avec des amies. Elles sont fatigués. Au bruit de voix succède l’apaisement d’une conversation enfantine. Sans rompre l’entretien, Elisabeth - qui s’est avisée de la présence de monsieur le Curé - s’approche doucement de lui et grimpe sur ses genoux. Vite elle lui glisse à l’oreille et lui :

 - Monsieur le chanoine, je serai religieuse, je veux être religieuse !

 Au timbre angélique de l’enfant fait alors écho l’exclamation irritée de sa mère :

 - Qu'est-ce qu'elle dit, la petite folle ?

Toute la soirée, madame Catez reste préoccupée par la confidence de sa fille. Voulant être rassurée, elle va trouver le chanoine Angles le lendemain :

Madame Catez sait bien sous quel cloître elle vint me retrouver le lendemain. Anxieuse, elle me demanda croyais sérieusement à une vocation ; et moi je répondis une parole qui, comme un glaive, transperça son âme : J'y crois

Une longue attente

Elle est à Dieu avant d'être à vous. Avait dit le chanoine Angles – vieil ami de la famille – à la mère d’Elisabeth. Cependant Madame Catez, qui vient de se retrouver veuve (son mari est décédé le 2 octobre 1887) et qui a reporté toute sa tendresse sur ses deux filles – a du mal à admettre que son aînée, son Élisabeth puisse choisir une vie qui la coupera d’elle. Et madame Catez ne sait pas encore qu’il s’agit du Carmel !

Car en effet Élisabeth s’est demandée où elle pourrait concrétiser ce désir qui lui est monté au cœur. Quelques années après sa mort, son amie d’enfance – Marie-Louise Hallo se souviendra : … l'Ordre auquel Dieu l'appelait n'était pas déterminé, un soir elle me dit « qu'elle désirait être chartreuse ou trappistine », je ne me rappelle plus au juste, car le Carmel n'était pas assez sévère.

Une autre de ses amies, Louise Recoing relate une anecdote où l’on découvre l’humour d’Elisabeth : Je revois encore Elisabeth grimper dans un des cerisiers de notre jardin. L'arbre était couvert de ces cerises noires qu'on appelait « carmélites » et, tout en les mangeant, elle me disait : « C'est pour avoir la vocation ».

 Mais un jour… Élisabeth comprend où le Seigneur l’attend : J'aimais beaucoup la prière, et tellement le bon Dieu, que même avant ma première communion, je ne comprenais pas qu'on pût donner son cœur à un autre ; et, dès lors, j'étais résolue à n'aimer que Lui et à ne vivre que pour Lui.

J'allais avoir quatorze ans, quand un jour, pendant mon action de grâces, je me sentis irrésistiblement poussée à Le choisir pour unique époux, et sans délai, je me liai à Lui par le vœu de virginité. Nous ne nous dîmes rien, ajouta-t-elle en nous faisant cette confidence, mais nous nous donnâmes l'un à l'autre en nous aimant si fort, que la résolution d'être toute à Lui devint chez moi plus définitive encore. Une autre fois, après la sainte communion, il me sembla que le mot Carmel était prononcé dans mon âme, et je ne pensai plus qu'à m'ensevelir derrière ses grilles. »

 Madame Catez ne peut cependant se résoudre à une séparation aussi radicale d’avec sa fille. Elle ne veut plus entendre parler du Carmel et interdit à sa fille d’y aller.

Élisabeth se réfugie dans le silence et confie son désir au Seigneur. Elle trouve alors deux alliés : son confesseur et sa sœur Marguerite.

Sa mère elle-même racontera plus tard :

Elisabeth n'avait pas 17 ans, lorsque son confesseur qui allait quitter Dijon me dit qu'elle avait une vraie vocation religieuse et que je devrais la laisser entrer au Carmel, je protestais en déclarant que sa vocation n'était pas en péril auprès de moi, mais que je voulais l'éprouver en lui faisant un peu connaître le monde, j'expliquais mes raisons à Elisabeth, elle n'eut pas une parole d'amertume, douce, bonne, soumise à l'obéissance, se prêtant à tout ce qui pouvait faire plaisir aux autre

Le silence de sa fille rassure madame Catez. 

 Mais un jour de mars 1899 ses illusions tombent définitivement. Marguerite reparle de la vocation de sa sœur. Madame Catez lui rétorque qu’Elisabeth elle-même ne dit plus rien et que le Père Golmard ne lui parle de rien non plus. Mais Guite lui ayant mis « la puce à l’oreille », elle interroge Elisabeth après le déjeuner. Celle-ci lui dit la vérité. Consulté le confesseur affirme que c'était une vocation des plus sûres . Madame Catez promet alors à Elisabeth qu’elle entrera au Carmel lorsqu’elle aura 21 ans ; et elle lui permet de rencontrer au parloir la Mère Prieure. 

Le vendredi suivant – vendredi saint – coup de théâtre : Ce matin, maman est rentrée fort tard et toute bouleversée... On lui a parlé d'un mariage pour moi, un parti superbe que je ne retrouverai jamais. Elle est donc allée trouver monsieur le Curé, lui demandant ce qu'elle doit faire, puisque lui me connaît plus que personne, et il a répondu à maman qu'il fallait me parler de ce mariage, m'en montrer les avantages, que c'est une épreuve pour moi, mais que je dois réfléchir, qu'il ne peut se prononcer sur ma vocation; cependant de ne pas organiser d'entrevue sans me prévenir.

L’annonce ne trouble absolument pas Élisabeth qui reste indifférente à une telle perspective. N’a-t-elle pas donné son cœur au Seigneur ? Ah, mon cœur n'est point libre, je l'ai donné au Roi des rois, je n'en puis plus disposer.

  Au mois de juin elle reprend contact avec la Prieure du Carmel - Mère Marie de Jésus : Le 12 Juin 1899 il plut à Notre Seigneur de marquer le jour de mes noces d'argent par le don de cette chère et belle âme au Carmel de Dijon, Elle vint toute confiante nous dire que Dieu la faisait nôtre.

 Elle va alors devenir « postulante extra-muros » selon l’expression de la Prieure et se joindre au groupe de celles qui pensent aussi à entrer au carmel. 

  Elisabeth met ces deux années d’attente à profit : Pendant ces deux années je vais faire plus d'efforts afin d'être une épouse moins indigne de toi, mon Bien-aimé. Elle le fera en toute discrétion : prenant des temps de prière personnel – d’oraison – sur son sommeil, cherchant à s’oublier elle-même pour faire plaisir aux autres, voulant prouver par là au Seigneur qu’il reste la Maître de ses pensées, de sa vie.

Une amie témoigne : … elle ne se faisait remarquer extérieurement en rien et nulle part. A l'église comme dans les salons son attitude était naturelle, simple, recueillie sans aucune raideur. Elle était plutôt d'une gaieté tranquille, comme l'âme paisible qui reste toujours souriante, mais d'un sourire sérieux, et avec ce regard profond qui semblait déjà voir dans un au-delà des choses passagères et futiles de ce monde.

 Et les deux ans passent et la date d’entrée finalement se rapproche.

 Elisabeth veut s’abandonner à la volonté du Seigneur. Lorsque la Prieure du Carmel de Dijon songe à l’emmener à la fondation du Carmel de Paray-le-Monial, à laquelle elle travaille, Elisabeth ne dit rien de sa préférence pour celui de Dijon. Sa mère souffre doublement de cet éloignement et, sur le conseil d’une amie s’en ouvre à Mère Marie de Jésus. Celle-ci accepte de faire le sacrifice d’Elisabeth et lui écrit :

« Vous savez sans doute que votre mère et Marguerite m'ont demandé de vous laisser à Dijon ; d'autre part, il semble que ce soit aussi votre désir. En tout cela, je vois la volonté du bon Dieu que nous devons aimer et faire sans arrière-pensée. Donnez-vous à Notre-Seigneur où il vous veut ; je ne vous aurais amenée ici que si Il l'avait voulu. Je vous reçois donc pour Dijon, ma chère enfant; apportez-y tout ce que vous avez de cœur et d'âme pour aimer Notre-Seigneur. Je voudrais bien être là pour vous offrir à Lui, je ne le puis, étant retenue par des affaires ; mais ma prière et mon cœur y seront pour vous bénir. »

 Voyant la santé de sa fille s’altérer du fait d’une attente qui lui a semblé interminable, elle propose à la Prieure d’avance la date d’entrée d’Elisabeth. Et elle est fixée au 2 août 1901

Entrée dans l'"arche sainte"

Cette perspective n’empêche pas Élisabeth de continuer à vivre avec la vie courante. Devant assister encore à une réunion et désirant comme toujours être bien habillée, elle s’achète une nouvelle paire de gants. Elle continue à jouer du piano… je te quitte pour aller au piano, je vais improviser un duo entre Framboise et Sabeth , je te dirai s'il est réussi!... (L 63 à Françoise de Sourdon).

 Le 1er août – veille du premier vendredi du mois – Élisabeth, à son habitude, passe en prière une partie de la nuit, voulant accompagner le Bien-aimé dans la solitude de Gethsémani. Madame Catez ne peut dormir. Elle vient s’agenouiller près du lit de sa fille. Leurs larmes se mêlent :

 - Alors pourquoi me quitter ? dit madame Catez

 - Ah ! ma chère maman, puis-je résister à la voix de Dieu qui m'appelle? Il me tend les bras et me dit qu'Il est méconnu, outragé, délaissé. Puis-je l'abandonner, moi aussi?… il faut que je parte malgré mon chagrin de vous laisser, de vous plonger dans la douleur; il faut que je réponde à son appel.

 A 6 heures Élisabeth est levée. En hâte elle rédige encore quelques billets. Dans l’un d’entre eux – adressé au Chanoine Angles – elle confie ses sentiments : J'aime ma mère comme jamais je ne l'ai aimée, et au moment de consommer le sacrifice qui va me séparer de ces deux créatures chéries qu'Il m'a choisies si bonnes, si vous saviez quelle paix inonde mon âme! Ce n'est déjà plus la terre, je sens que je suis toute sienne, que je ne me garde rien, je me jette en ses bras comme un petit enfant.(L 81). Puis il faut partir. 

 Avant de franchir le seuil de l’appartement, Élisabeth s'agenouille devant le portrait de son père lui demandant une bénédiction. 

  Accompagnée alors de sa mère et de sa sœur, elle se rend à la Messe de 8 heures au Carmel.

Quelques amies les rejoignent : Marie-Louise Hallo – l’amie de toujours – et sa mère ; madame de Sourdon et ses filles, Marie-Louise et Françoise (qu’Elisabeth appelle affectueusement Framboise). 

  Après la Messe, elles l’accompagnent – ainsi que le Père Vallée, venu pour cette occasion - à la porte de clôture du Carmel. Elisabeth fait ses adieux. Elle regarde une dernière fois sa mère, alors que la porte se referme et qu’elle est accueillie par Mère Germaine de Jésus, sous-prieure ; qui la conduit au chœur – où le saint Sacrement est exposé - pour rendre grâces.

 Seule avec le Seul

Comme elle l’écrira la semaine suivante à sa mère, Élisabeth est heureuse Oh! si tu savais combien je t'aime; il me semble que je ne te remercierai jamais assez de m'avoir laissée entrer dans ce cher Carmel où je suis si heureuse. C'est un peu à toi aussi que je dois mon bonheur, car tu sais bien que si tu n'avais pas dit «oui» ta petite Sabeth serait restée près de toi. ( L 85).

 

Oh! que le bon Dieu est bon! Je ne trouve pas d'expression pour dire mon bonheur, chaque jour je l'apprécie davantage. Ici, il n'y a plus rien, plus que Lui, Il est Tout, Il suffit et c'est de Lui seul qu'on vit. On le trouve partout, à la lessive comme à l'oraison!

 

Elle se laisse happer par le silence où elle trouve Celui qu’elle cherche. Et les sœurs sont frappées de voir combien est grand son recueillement. Au Carmel, on fut frappé dès son entrée, de cette désappropriation d'elle-même et de la simplicité de son humilité qui ne se traduisait pas en paroles, en attitudes d'abaissement ; en récréation, rien d'affecté ; elle était la plus dilatée des novices, sans légèreté, avec cette note religieuse qu'elle apportait à tout. Nous ne l'avons jamais entendue donner son avis, dans nos récréations, sans être mise en demeure de le faire ; et, dans ce cas, elle le faisait très simplement, modestement, sans chercher à faire prévaloir son sentiment.

 Ce qui ne l’empêche de continuer à être proche des siens avec une grande délicatesse, en leur racontant ses premiers pas et ses surprises… dans son nouveau genre de vie :

L'autre soir j'ai eu une fameuse peur, et je crois que si ma petite maman avait été à ma place elle n'eût pas été plus brave. J'étais remontée à 8 h dans notre cellule avec notre lampe. D'habitude je ferme la fenêtre lorsque j'ai de la lumière, mais comme je n'en avais que pour un instant je la laisse ouverte quand, tout à coup, je sens quelque chose au-dessus de ma tête. Que vois-je? Une chauve-souris qui prenait ses ébats dans notre cellule! Le bon Dieu m'a donné grâce pour que je ne crie pas, je me suis sauvée dans le dortoir et j'avais bien envie de frapper à la porte de Mère Sous-Prieure, qui est ma voisine. Mais, prenant tout mon courage, je suis rentrée et, ayant ôté la lumière, tout avait filé! (L 92 du 12 septembre 1901 à sa mère)

 

Oui, je l'ai trouvé, Celui qu'aime mon âme, cet Unique Nécessaire que nul ne peut me ravir. Oh! qu'Il est bon, qu'Il est beau, je voudrais être toute silencieuse, tout adorante afin de pénétrer toujours plus en Lui et d'en être si pleine que je puisse le donner par la prière à ces pauvres âmes ignorantes du don de Dieu

 

Au mois d'août 1902, elle célèbre dans l'action de grâce le premier anniversaire de son entrée au Carmel. Comme le temps passe vite en Lui ! Il y a un an qu'Il m'a introduite en l'arche bénie, et maintenant, comme dit mon bienheureux Père saint Jean de la Croix en son Cantique : « La tourterelle a trouvé, sur les rives verdoyantes, son compagnon tant désiré. »

Le postulat

Dans ce nouveau cadre de vie, Élisabeth est pleinement heureuse. Elle écrit à sa Mère

Ma petite maman chérie,

     Quel bonheur de venir un peu causer avec toi. Oh! si tu savais combien je t'aime; il me semble que je ne te remercierai jamais assez de m'avoir laissée entrer dans ce cher Carmel où je suis si heureuse. C'est un peu à toi aussi que je dois mon bonheur, car tu sais bien que si tu n'avais pas dit «oui» ta petite Sabeth serait restée près de toi. Oh! ma petite mère, comme le bon Dieu t'aime, si tu voyais avec quelle tendresse Il te regarde!...

     Je t'embrasse, je te serre bien fort dans mes bras comme avant. Si tu savais comme je t'aime et comme je te dis merci!

 Ton Élisabeth

Heureuse d'être au Carmel, Élisabeth aspire maintenant à en recevoir l'habit. Le 15 octobre, en la fête de sainte Thérèse d'Avila, il lui fut dit intérieurement qu'elle le revêtirait en la fête prochaine de l'Immaculée Conception (8 décembre).

Un mois plus tard, le Chapitre de la Communauté s'apprête à examiner son admission au noviciat. A sa Prieure qui l'engage à beaucoup prier, Élisabeth répond : Il est vrai, ma Mère, je suis bien imparfaite, mais je crois que le bon Dieu veut me faire cette grâce ; quant à mes sœurs, pourront-elles me la refuser ? Elles doivent m'aimer, je les aime tant !

A l'unanimité des voix, les sœurs admettent Élisabeth à la prise d'Habit

8 décembre 1901 La Prise d'habit

Il est vrai, ma Mère, répondit Élisabeth avec simplicité, je suis bien imparfaite, mais je crois que le bon Dieu veut me faire cette grâce ; quant à mes sœurs, pourront-elles me la refuser ? Elles doivent m'aimer, je les aime tant !

Cette grâce, c’est celle de la prise d’Habit. Nous sommes au mois de novembre 1901 et Mère Germaine informe Élisabeth, postulante au Carmel depuis le 2 août dernier, que le Chapitre du Monastère (c’est-à-dire l’ensemble des sœurs pouvant débattre des affaires de la Communauté) s’apprête à délibérer en vue de son entrée au noviciat.

Un mois auparavant, Élisabeth avait reçu la certitude intime qu’elle recevrait l’Habit à l’occasion de la fête prochaine de l’Immaculée Conception – le 8 décembre.

C’était au cours de la semaine qui suit la célébration de la fête de Sainte Thérèse de Jésus (d’Avila). Un soir, à l’heure où les sœurs se plongeaient dans le silence précédant l’Office des Lectures – entre 20 h et 21 h, Élisabeth se trouvait dans l’ermitage de Sainte Thérèse. Une fois de plus elle lui réitérait sa demande pour obtenir, avec le double esprit du Carmel, le manteau qui, pour elle aussi, devait être le signe d'une bénédiction spéciale, il lui fut dit intérieurement qu'il lui serait donné en la fête prochaine de l'Immaculée Conception

Un mois après ce signe, Élisabeth peut donc exprimer à la Communauté son désir de poursuivre le chemin commencé au Carmel et d’en revêtir l’Habit. Les sœurs la reçoivent à l’unanimité. Et l’on s’interroge : quelle date retiendra-t-on ? Le 27 décembre, jour de la fête de Saint Jean l’Evangéliste paraît bien convenir et à la famille et au prédicateur. Mais en fait sous la pression des contretemps, c’est la date du 8 décembre qui est retenue. Le signe est devenu réalité.

  Cette date est chère à Élisabeth, à un double titre.

- En ce jour en effet l’Église fête solennellement la Conception immaculée de la Vierge Marie. Et la Vierge Immaculée attire spécialement Élisabeth dans son mystère de pureté. Une pureté qui n’est pas d’abord pour elle l’absence de souillure, mais le fait d’un cœur donné à Dieu sans partage.

Le symbole par excellence de cette pureté est le manteau blanc manteau blanc que les carmélites portent sur l’Habit au moment de l’Eucharistie et pour les Officies liturgiques les plus solennels. c’est une des raisons pour lesquelles Elisabeth souhaite tant revêtir l’Habit de la Vierge

le 8 décembre, en 1901, est un dimanche… coïncidence qui fut une grande joie pour cette âme toujours plus appliquée au mystère de la sainte Trinité : la Vierge toute pure l'offrait comme une hostie de louange à la gloire des trois divines Personnes.

 Le mercredi 4 décembre, au soir, Élisabeth entre en retraite pour trois jours

Je vais me préparer au beau jour des fiançailles par une retraite de trois jours. Oh! voyez-vous, quand j'y pense je ne me sens déjà plus sur la terre! Priez beaucoup pour votre petite carmélite afin qu'elle soit toute livrée, toute donnée et qu'elle réjouisse le Cœur de son Maître. Je voudrais Lui donner dimanche quelque chose de si bien, car je l'aime tant mon Christ...  

L 99 – 1er décembre 1901, au Chanoine Angles

 

Mère Germaine, sa Prieure et maîtresse des novices – et donc témoin privilégié de ce que pouvait vivre Élisabeth, se fera l’écho de ces moments en racontant dans les Souvenirs :

 Toute à l'action de grâce, sœur Élisabeth de, la Trinité s'en remit, pour sa préparation, à Celui-là même dont elle se savait tant aimée. Le divin Maître répondit à son attente, opérant en son âme des effets si puissants qu'elle semblait parfois défaillir. « Je ne puis plus porter ce poids de grâces », disait-elle…. Ainsi sœur Élisabeth de la Trinité était-elle préparée par Dieu même à la transformation intérieure dont sa vêture n'était pour elle que le symbole.

 En ce dimanche 8 décembre, une animation élégante envahit les locaux d’accueil du Carmel de Dijon. 

Les regards convergent vers Élisabeth dans une belle robe de mariée. Paisible, elle se fait toute à tous. 

Elle est admirablement coiffée. Madame Catez qui voulait en effet que sa fille soit parfaite en a profité pour demander à un coiffeur de venir s’occuper d’Élisabeth. Celle-ci, sans sortir de ce recueillement qui la caractérise, s’est prêtée au désir de sa mère.

- comment voulez-vous être coiffée, lui demanda le coiffeur en lui présentant les journaux de mode ?

- le plus simplement et le plus vivement possible, répond Élisabeth.

L’homme de l’art s’acquitta de sa tâche dans le silence auquel l’entraînait l’air un peu absent d’Élisabeth. Puis, à la fin, lui présentant le miroir :

- Mademoiselle, êtes-vous satisfaite ? 

Elle, de répondre gentiment, en repoussant l’objet:

- C'est certainement bien, merci

Impressionné le coiffeur confia à la sœur tourière qui le raccompagnait :

- Ce n'est pas une jeune fille comme les autres. J'en suis tout ému.

Et à sa femme, qui le rapportera aux sœurs, il confiera :

- J'ai coiffé une sainte 

  Et voici le fils aîné du Vicomte d’Avout qui vient s’incliner devant Élisabeth pour la féliciter. Fiancé depuis peu, il se marie dans deux mois. Élisabeth lui dit :

- Vous êtes heureux, mais moi je le suis bien plus que vous.

 Et de fait elle rayonne, impressionnant son entourage par ce regard qui frappait tant ses amis qui, au milieu de l’une ou l’autre rencontre mondaines la surprenaient attentive à une autre Présence.

  Madame Hallo est là avec Marie-Louise  et Charles. 

L’amitié entre Marie-Louise et Elisabeth s’est nouée sur les bancs du catéchisme de première Communion.

Autre amie d’enfance : Alice Cherveau.

 Madame de Sourdon est venue aussi avec sa fille Marie-Louise.

 Et puis un vieil ami de madame Catez, la mère d’Elisabeth : le Vicomte d’Avout est là avec sa famille. Madame Catez lui a demandé de tenir auprès d’Elisabeth le rôle de son père défunt et il est très ému à la pensée de la conduire tout-à-l’heure à l’autel.

 D’autres amis sont très proches par la pensée : Marie-Louise Ambry et le cher Chanoine Angles, cet allié fidèle d’Elisabeth. Il a encore exhorté Madame Catez, qui ne se résigne pas totalement à cette séparation d’avec sa fille qu’implique le Carmel : Laissez faire !…Vous avez donné votre enfant, ne cherchez pas à la retenir. Il vous est indifférent, je crois, qu'elle soit en robe de postulante, ou en habit de religieuse. Pour vous, c'est la même chose. Pour elle, c'est différent. Elle n'a, soyez en assurée, aucune volonté, aucun désir. Elle se laisse faire, livrée comme elle l'est au Souffle de Dieu. Tenez pour sûr, qu'il vaut mieux pour vous la savoir vivante et heureuse dans ce cloître où elle a été appelée, que de la voir dépérir tous les jours auprès de vous, jusqu'à un dénouement qui serait fatal.

Ces quelques heures de retrouvailles passent vite. Déjà la cloche du Monastère sonne. Les amis se rendent ensemble à la Chapelle où la « ville de Dijon », une fois encore, vient rendre hommage à la « petite Catez ». Mais ce n’est pas pour l’entendre évoquer le mugissement des vagues du Nautonier de Diemer ou se laisser porter par la passion qui soulève son interprétation de Chopin. 

Aujourd’hui Élisabeth les invite à entrer dans la louange de la Trinité.

Monseigneur le Nordez, évêque de Dijon, préside les Vêpres solennelles de l’Immaculée Conception.

Au bras de Monsieur d’Avout Elisabeth s’avance vers le chœur et s’installe. L’Office commence.

Après l’intonation, le chœur de chant de Saint Michel dont Élisabeth faisait partie, entonne la première antienne : Toute belle êtes-vous, ô Marie, et la tache originelle n’est point en vous.

Ecrasée sous le poids de grâces qui l’assaillent depuis le début de son postulat, Élisabeth donne l’impression d’être étroitement unie à Dieu. Elle confiera d’ailleurs à sa Prieure que pendant la cérémonie elle avait perdu le sentiment des personnes et des choses qui l'entouraient.

Avec quelle exultation chante-t-elle le Magnificat qu’introduit l’antienne : Aujourd’hui est sorti un rejeton de la racine de Jessé : aujourd’hui Marie a été conçue sans aucune tache de péché : aujourd’hui la tête de l’ancien serpent a été écrasée par elle, alléluia.

A l’issue des Vêpres, le Père Vallée, grand ami du Carmel, monte en chaire. Avec l’éloquence qui caractérise l’Ordre des Prêcheurs – dont il fait partie - il prêche sur la Vierge Immaculée, fête du jour, en partant du Livre de l'Apocalypse (Ap 14,1-3;      Ap 4 ).

Sa voix résonne encore aux oreilles de ses auditeurs lorsque Monseigneur le Nordez se lève, imité par la nombreuse assistance. Il va accompagner Élisabeth à la porte de clôture. Celle-ci sort de la Chapelle en suivant la procession épiscopale.

 De leur côté, les sœurs sont sorties de la Chapelle. Elles se sont rendues à l’Avant-Chœur. Là elles pris ont chacune un cierge. L’une d’elles s’est chargée de la Croix et deux autres ont pris un chandelier.

 Lorsque la porte de clôture s’ouvre devant Élisabeth, elle découvre ses sœurs rangées en deux chœurs tournés l’un vers l’autre. La Croix lui fait face. En l'accueillant, Mère Germaine remarque le recueillement profond d'Élisabeth et comprend ce que vit intérieurement sa fille ; malgré son respect devant l’œuvre de Dieu, elle ne peut s’empêcher de se demander comment se terminera la cérémonie…. En échange d'un cœur totalement à Lui, le divin Maître comblait la généreuse novice d'une plénitude d'amour dont elle ne pouvait plus soutenir les effets.

Les chantres entonnent l’hymne O gloriosa Virginum, tandis qu’Elisabeth s’agenouille pour adorer la Croix.

 Puis la Communauté rentre au Chœur et chacune va prendre place près de la grille. Monseigneur le Nordez, qui est retourné à la Chapelle commence l’entretien rituel avec Élisabeth

- Que demandez-vous ?

- La miséricorde de Dieu, la pauvreté de l'Ordre et la compagnie des sœurs

- Ne venez-vous pas de votre bon gré et franche volonté pour recevoir l'habit de cette Religion ?

- Oui, mon Père.

- Voulez-vous donc entrer en cette Religion pour le seul amour et crainte de Notre-Seigneur ?

- Oui, avec la grâce de Dieu , et les prières des Sœurs.

- Que Dieu achève en vous ce qu’il a commencé

Puis à l’invitation de l’évêque, Élisabeth et Mère Germaine sortent.

Monseigneur le Nordez bénit alors le manteau, le scapulaire, la ceinture et le grand voile qui ont été déposés sur un petit banc près de la grille.

Une petite attente précède le retour de Mère Germaine et d’Elisabeth. Celle-ci est maintenant revêtue de la robe, d’un petit voile et des « alpargates » souliers à semelles de chanvre que portent les carmélites.

Élisabeth retrouvant son cierge s’agenouille près de la grille.

Monseigneur le Nordez prononce les prières d’usage puis fait le signe de la Croix sur chaque partie de l’habit que Mère Germaine lui présente avant d’en vêtir Élisabeth.

Et celle-ci se retrouve avec le manteau blanc et le voile blanc des novices.

Alors Monseigneur le Nordez et son clergé s’agenouillent. Les Sœurs puis l’assemblée en font autant et l’évêque entonne l’hymne Veni Creator Spiritus

Après la première strophe les sœurs se lèvent et les chœurs se tournent l’un vers l’autre. 

Mère Germaine dépose son cierge et emmène Élisabeth au milieu du chœur, où un tapis de grosse serge est étendu, entouré de fleurs et de verdure.

Elisabeth se prosterne sur le tapis, les bras en forme de Croix et demeure ainsi jusqu’à la fin de l’hymne et des prières qui lui succèdent.

Puis la nouvelle novice se relève. Mère Germaine la conduit à l’autel du chœur, devant lequel Élisabeth se met à genoux. Elle le baise pour signifier qu’elle se dédie au service de Dieu. Puis elle baise la main de sa Prieure. Celle-ci la conduit alors vers les sœurs qu’Élisabeth embrasse pendant qu’elles chantent le Psaume 133

La cérémonie de la vêture proprement dite est achevée.

L’assemblée, dans l’action de grâce s’apprête à recevoir la bénédiction du Saint Sacrement.

Avec beaucoup de délicatesse les amies d’Élisabeth ont choisi pour ce Salut les Cantiques que celle-ci apprécie.

De toute son âme Élisabeth fait sienne cette prière (un Cantique de Gounod inspiré des paroles d’Athalie de Racine) qu’elle a demandé à Marie-Louise Hallo et à Alice Cherveau de chanter en duo : D’un cœur qui t’aime.

D'un cœur qui t'aime,
mon Dieu, qui peut troubler la paix?
Il cherche en tout ta volonté suprême,
et ne se cherche jamais.
Sur la terre, dans le ciel même,
est-il d'autre bonheur que la tranquille paix
d'un cœur qui t'aime?

 Monseigneur Le Nordez bénit Elisabeth, ses sœurs et tous ceux qui se sont unis à leur joie.

Et les sœurs se retirent en chantant le Psaume 66

Au soir de ce jour, Élisabeth retrouve les sœurs en rencontre communautaire. Laissant déborder sa joie elle leur chante, sur l’« Air du carillon du Carmel » :

Oh, laissez-moi en ce beau jour

Oui, laissez-moi chanter l'Amour,

L'Amour qui me fait prisonnière

Pour me consumer tout entière.

 

Enfin me voilà fiancée.

J'ai revêtu l'humble livrée.

Enveloppée du blanc manteau,

Partout je suivrai mon Agneau.

 

Lui et moi sommes si heureux

Et nous voilà partis tous deux

Jusques en la Maison du Père,

Séjour de paix et de lumière.

 

Qu'il fait bon en la Trinité,

Tout est clarté et charité.

O Christ, toi qui daignas me prendre

Tiens-moi, je ne veux plus descendre.

 

Chez ces Trois, je fixe ma tente,

Je suis petite, peu encombrante,

Ne fatiguant point mon Agneau

A m'emmener bien haut, bien haut.

 

Un cœur trop plein ne peut plus dire.

Sur ma lèvre «merci» expire,

Mère, de votre tout petit,

Acceptez ce naïf merci.

 

Sur votre aile au pays de l'amour,

Bon Ange, emmenez-moi toujours.

O conduisez-moi face au Père,

En sa clarté, en sa lumière.

 

Et vous toutes qui pour mon cœur

Depuis longtemps être mes sœurs,

En vous suivant toute petite

Je deviendrai vraie carmélite.

 

Un jour en la Cité du Ciel

Se retrouvera le Carmel,

Sous le blanc manteau de Marie

Toutes nous serons réunies.

 

Suivant partout l'Agneau mystique

Nous chanterons le doux cantique

Et contemplerons les clartés

De l'immuable Trinité.

Le noviciat

Le 8 décembre 1901, Élisabeth reçoit l'Habit du Carmel et entre au

noviciat. Le vicomte d'Avout, un ami d'enfance de madame Catez tient la place de monsieur Catez et la conduit à l'autel

Élisabeth est maintenant novice. 

Quand elle signe la première lettre après Noël 1901 à sa mère : Élisabeth de la Trinité, bien heureuse en son Carmel, elle ne laisse rien paraître de ce qu'elle vit intérieurement. En effet, son noviciat sera dur, spirituellement parlant. Comme l'écrit Mère Germaine : Aux radieuses clartés du postulat succédèrent... les ténèbres d'une nuit profonde, auxquelles ne tardèrent pas à s'ajouter des inquiétudes, des peines d'esprit, d'étranges fantômes de l'imagination...

Élisabeth découvre une autre forme de souffrance ; elle ne trouve à nouveau la paix que dans une ouverture confiante auprès de sa Prieure dont elle reçoit aussi la force. Mère Germaine est seule à connaître ce combat intime.

La Profession 

Peu après le 12 janvier 1903, Élisabeth de la Trinité écrit à ses "tantes" de Carlipa

Je voudrais vous parler de ma profession, mais, voyez-vous, c'est quelque chose de si divin, le langage de la terre est impuissant pour le redire. J'avais eu déjà des jours bien beaux, mais maintenant je n'ose même plus les comparer à celui-là. C'est un jour unique et je crois que, si je me trouvais en face du bon Dieu, je n'éprouverais pas une émotion plus grande que celle que j'ai ressentie; c'est si grand, alors, ce qui se passe entre Dieu et l'âme!

  ( L 154 - A ses tantes Rolland

Le niveau - mystique - auquel se situe Élisabeth ne lui permet pas de trouver les mots racontant sa Profession.

Il est cependant possible de décrire simplement l'évènement.

Au soir du 25 décembre 1902 (jour de Noël, donc), Élisabeth se recommande à la prière de la Communauté, car le lendemain, 26 décembre, elle entre en retraite pour 10 jours. C'est dans la joie qu'Élisabeth commence sa retraite préparatoire à la Profession. Elle écrit au chanoine Angles

L'Époux m'a dit son « Veni » et le 11 janvier, en cette belle [fête] de l'Épiphanie toute de lumière et d'adoration, je prononcerai les vœux qui m'uniront à jamais au Christ. Vous qui depuis mon enfance m'avez suivie et avez reçu mes premières confidences, pouvez comprendre ce bonheur si grand dont mon âme est inondée. Ce soir, j'ai demandé les prières de ma chère communauté et demain commence ma retraite de dix jours. Cela me semble un rêve, je l'ai tant attendu, tant désiré. Voulez-vous chaque matin, à la sainte Messe, me donner une intention toute particulière, car c'est quelque chose de si grand qui se prépare. Je me sens enveloppée dans le mystère de la charité du Christ, et lorsque je regarde en arrière, je vois comme une divine poursuite sur mon âme; oh! que d'amour, je suis comme écrasée sous ce poids, alors je me tais et j'adore!...  

(L 151 - Au Chanoine Angles

Dans une joie profonde elle poursuit :

En cette matinée de l'Épiphanie, la plus belle de ma vie, quoique déjà le Maître m'ait fait passer des jours si divins qui ressemblent bien à ceux que l'on passe en son paradis, en ce jour où vont se réaliser tous mes vœux et où je vais enfin devenir « épouse du Christ », voulez-vous, cher monsieur le Chanoine, offrir le Saint Sacrifice pour votre carmélite; puis donnez-la afin qu'elle soit toute prise, tout envahie et qu'elle puisse dire avec saint Paul: «Je ne vis plus, c'est le Christ qui vit en moi .» 

(L 151 - Au Chanoine Angles

Cependant, comme l'écrit sa Prieure, Mère Germaine : 

Commencée dans la joie, cette retraite se poursuivit dans une recrudescence de tortures intimes telles que, la veille du grand jour, la pauvre novice était au comble de l'angoisse. Un entretien ménagé avec un religieux prudent et éclairé la réconforta vers le soir.

Sœur Marie de la Trinité, sous-prieure, reçoit un billet où transpire l'angoisse d'Élisabeth. Elle raconte :

Je me souviens encore du mot désespéré que je trouvai sur notre chaire en venant à vêpres la veille de sa profession.  

Je viens de voir Notre Mère qui m'a avoué son inquiétude de me voir prononcer mes vœux dans un pareil état d'âme. Priez pour votre petite qui est au comble de l'angoisse.

Notre Mère elle même commençait à craindre et à être indécise. Elle fit venir le Père Vergne la veille du 11 et après lui avoir parlé longuement de Sœur Élisabeth il fut convenu que le Père l'examinerait à fond et que s'il trouvait quelque chose de sérieux, d'inquiétant qui put motiver un retard, tout au moins dans la profession, il demanderait notre Mère après la pauvre novice et que si, au contraire, il ne la demandait pas elle pouvait avancer. Le Père ne demanda pas notre Mère et comme Sœur Élisabeth dit avoir été très apaisée calmée par cette ouverture au Père, notre Mère fut rassurée.

De 23 h à 24 h en ce 10 janvier 1903, les sœurs, en une "heure sainte", accompagnent de leur prière celle qui va s'engager pour toujours à la suite du Christ, pour le service de l'Église. 

Lorsqu'elle écrit au chanoine Angles en juillet de cette même année 1903, Élisabeth lui confie la grâce qu'elle a reçue alors

En la nuit qui précéda le grand jour, tandis que j'étais au chœur dans l'attente de l'Époux, j'ai compris que mon Ciel commençait sur la terre, le Ciel dans la foi, avec la souffrance et l'immolation pour Celui que j'aime!... Je voudrais tant l'aimer, l'aimer comme ma séraphique Mère jusqu'à en mourir: « O charitatis Victima », chantons-nous le jour de sa fête, et voilà toute mon ambition: être la proie de l'amour !... 

Il me semble qu'au Carmel cela est si simple de vivre d'amour; du matin au soir la Règle est là pour nous exprimer instant par instant la volonté du bon Dieu. Si vous saviez comme je l'aime, cette Règle qui est la forme en laquelle Il me veut sainte: je ne sais si j'aurai le bonheur de donner à mon Époux le témoignage du sang, mais du moins, si je mène pleinement ma vie de carmélite, j'ai la consolation de m'user pour Lui, pour Lui seul . Alors qu'importe l'occupation en laquelle Il me veut: puisqu'Il est toujours avec moi, l'oraison, le cœur à cœur ne doit jamais finir! Je le sens si vivant en mon âme, je n'ai qu'à me recueillir pour le trouver au-dedans de moi, et c'est cela qui fait tout mon bonheur; 

Il a mis en mon cœur une soif d'infini et un si grand besoin d'aimer que Lui seul peut rassasier: alors je vais à Lui, comme le petit enfant à sa mère, pour qu'Il comble, qu'Il envahisse tout, et qu'il me prenne et m'emporte en ses bras; il me semble  qu'il faut être si simple avec le bon Dieu.

( L169 au Chanoine Angles

Nous célébrons trois mystères en ce jour. Aujourd'hui l'étoile a conduit les mages vers la crèche ; aujourd'hui l'eau fut changée en vin aux noces de Cana ; aujourd'hui le Christ a été baptisé par Jean dans le Jourdain pour nous sauver, alléluia.

(Liturgie : antienne des Cantiques évangéliques du jour de l'Epiphanie)

A la fin du Te Deum, tandis qu'Elisabeth reste prosternée, Mère Germaine et les sœurs disent le Notre Père. Enfin Mère Germaine dit les prières conclusives de la cérémonie.

Marie de la Trinité fait alors relever Élisabeth et la mène à l'autel. Celle-ci s'agenouille et le baise. Puis elle se dirige vers Mère Germaine, s'agenouille devant elle et baise sa main.

Puis elle se tourne vers les sœurs et elle embrasse chacune, pendant que la Communauté chante le Psaume 132 :

Oui, il est bon, il est doux pour des frères

de vivre ensemble et d'être unis !

On dirait un baume précieux, un parfum sur la tête,

qui descend sur la barbe d'Aaron,

qui descend sur le bord de son vêtement.

On dirait la rosée de l'Hermon

qui descend sur les collines de Sion.

C'est là que le Seigneur envoie la bénédiction,

la vie pour toujours

Gloire au Père et au Fils et au Saint Esprit

pour les siècles des siècles. Amen

Dans le silence et le recueillement la Communauté quitte le Chapitre. Élisabeth rentre dans sa cellule. Elle emporte le Christ que vient de lui remettre Mère Germaine, après l'émission de ses vœux. 

Elle retrouve la paix. Elle est dans l'action de grâces. Ce soir, à la récréation, la joie s'extériorisera

Elle reçoit le voile noir le 21 janvier suivant...

Louange de gloire

Professe, Élisabeth découvre alors un guide lumineux : St Paul.

... comprendrons-nous jamais combien nous somme aimés ? Il me semble que c'est bien là la science des saints. Saint Paul, dans ses magnifiques épîtres, ne prêche pas autre chose que ce mystère de la charité du Christ....soyons, comme dit saint Paul, "la louange de sa gloire

Élisabeth se laisse transformer par la lumière de la Parole de Dieu reçue à travers St Paul. Elle la médite en son cœur. A l'issue d'une retraite communautaire, le 21 novembre 1904 elle s'offre à la Trinité, dans une prière qui, découverte après sa mort fera le tour du monde

Ardente, enthousiaste, Élisabeth ne peut garder pour elle-même la Vie qu'elle reçoit

A travers les parloirs ou sa correspondance, elle dévoile à sa famille et à ses amis ce bonheur qu'elle découvre. Car, elle en est sûre : Il est aussi pour eux. Dans un langage riche d'une délicate tendresse, elle initie chacun, au cœur de ses propres préoccupations, à l'intimité qu'elle goûte en Dieu.

Elle écrit à Françoise de Sourdon

Oh, ma chérie, que l'on est heureux quand on vit dans l'intimité avec le bon Dieu, quand on fait de sa vie un cœur à cœur, un échange d'amour, quand on sait trouver le Maître au fond de son âme. Alors on n'est plus jamais seule et on a besoin de solitude afin de jouir de la présence de cet Hôte adoré. Vois-tu, ma Framboise, il faut Lui donner sa place dans ta vie, dans ton cœur qu'Il a fait si aimant, si passionné. Oh! si tu savais comme Il est bon, comme Il est tout Amour! Je Lui demande de se révéler à ton âme, d'être l'Ami que tu saches toujours trouver, alors tout s'illumine et c'est si bon de vivre! Ce n'est pas un sermon que je veux te faire, c'est le trop-plein de mon âme qui déborde en la tienne pour qu'ensemble nous allions nous perdre en Celui qui nous aime, comme dit saint Paul,          « d'un trop grand amour »!    L 161

Ce bonheur la rapproche de tous ceux qu'elle continue à porter dans son cœur. Elle insiste sur la proximité née de la communion en Dieu. A sa mère dont elle sait combien son entrée au Camel fut une souffrance, elle écrit

... ce soir j'éprouve le besoin de te dire « merci », car sans ton « fiat » tu sais bien que je ne t'aurais jamais quittée, et Lui voulait que je te sacrifie pour son Amour. Le Carmel, c'est comme le Ciel, il faut se séparer de tout pour posséder Celui qui est Tout. Il me semble que je t'aime comme on aime au Ciel, qu'il ne peut plus y avoir de séparation entre ma petite maman et moi, puisque Celui que je possède en moi demeure en elle, nous sommes ainsi tout près!... L 170

Au fil des mois, Élisabeth va ainsi prendre de plus en plus conscience de cette vocation qu'elle a découverte, en comprenant ce qu'elle implique. A la fin du mois de décembre 1905, elle écrit au chanoine Angles :

mon rêve, c'est d'être « la louange de sa gloire »; c'est dans saint Paul que j'ai lu cela, et mon Époux m'a fait entendre que c'était là ma vocation dès l'exil en attendant d'aller chanter le Sanctus éternel en la Cité des saints. Mais cela demande une grande fidélité car, pour être louange de gloire, il faut être morte à tout ce qui n'est pas Lui, afin de ne vibrer que sous sa touche...

  A la lumière   A l'amour   A la vie

Être morte à ce qui n'est pas Lui. Ce désir d'Élisabeth va devenir en quelque sorte un programme, alors que la maladie s'abat sur elle et la conduit inexorablement à la mort.

Le premier janvier 1906, alors que les sœurs tirent en récréation les saints protecteurs de l'année, Élisabeth reçoit St Joseph. Elle dit alors

Saint Joseph est le patron de la bonne mort. Il vient pour me conduire au Père

Personne ne crut à cela et les sœurs sourirent même de cette espérance.

En fait, Élisabeth est fort atteinte, déjà, par la maladie qui l'emportera. Son énergie et sa volonté lui permettent de trouver la force dans sa foi. Elle confiera à sa Prieure :

Ma Mère, la pensée que je devais vous en parler ne m'est jamais venue ; vos soins, comme les exceptions auxquelles j'étais soumise, restant sans effet, je voyais clairement la volonté de Dieu ; d'ailleurs je craignais toujours d'écouter la nature et de me plaindre ; puis, qu'auriez-vous pu faire de plus pour moi ? Quand vous me donniez un repos, je n'en étais pas soulagée : brisée dans tout mon être, je ne trouvais ni position, ni sommeil profond, en sorte que je n'aurais pu dire qui l'emportait du jour ou de la nuit en fait d'accablement.

La fatigue qui abat Élisabeth prend la forme, vers le milieu du Carême 1906, d'une "maladie d'estomac". Il s'agit en fait de la maladie diagnostiquée plus tard sous le nom de "maladie d'Addison". Ses sœurs, sa famille et ses amis vont alors se mobiliser pour procurer à Élisabeth des aliments que son estomac puisse digérer. Cependant la maladie agit. 

Malgré cela, Élisabeth s'oublie elle-même pour penser à ceux qu'elle laisse : sa mère, sa sœur, sa Prieure et ses sœurs, ses amis. Dans cette perspective elle compose au mois d'août 1906 quatre "traités spirituel". Trois d'entre eux ont une destinataire précise : sa sœur, Guite ; une amie, Françoise de Sourdon et sa Prieure, Mère Germaine de Jésus. Ici ou à travers ses lettres, elle commence à exercer la mission qu'elle pressent être la sienne :

Il me semble qu'au Ciel, ma mission sera d'attirer les âmes en les aidant à sortir d'elle-mêmes pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux, et de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s'imprimer en elles, de les transformer en Lui-même

Quoiqu'en proie à des souffrances qui impressionnent tous ceux qui l'approchent Élisabeth reste profondément unie à Celui auquel, par amour, elle a voulu être configurée

Le matin 9 novembre 1906, alors que sonne l'Angélus Élisabeth s'élance au sein des Trois. Ses derniers mots intelligibles auront été :

Je vais à la Lumière,

à l'Amour,

à la Vie !

Béatification

Homélie du Pape Jean-Paul II 

lors de la béatification d'Élisabeth de la Trinité à St Pierre de Rome, le 25 novembre 1984

Élisabeth de la Trinité

Presque contemporaine de Thérèse de l'Enfant-Jésus, Élisabeth de la Trinité fait une expérience profonde de la présence de Dieu, qu'elle mûrit de manière impressionnante en quelques années de vie au Carmel. accomplie, appréciée de ses amis, délicate dans l'affection des siens. Voici qu'elle s'épanouit dans le silence de la contemplation, rayonne du bonheur d'un total oubli de soi ; sans réserve, elle accueille le don de Dieu, la grâce du baptême et de la réconciliation; elle reçoit admirablement la présence eucharistique du Christ. A un degré exceptionnel, elle prend conscience de la communion offerte à toute créature par le Seigneur.
Nous osons aujourd'hui présenter au monde cette religieuse cloîtrée qui mena une « vie cachée en Dieu avec Jésus-Christ » (Col 3, 3) car elle est un témoin éclatant de la joie d'être enraciné et fondé dans l'amour (cf. Ép. 3, 17). Elle célèbre la splendeur de Dieu, parce qu'elle se sait habitée au plus intime d'elle-même par la présence du Père, du Fils et de l'Esprit en qui elle reconnaît la réalité de l'amour infiniment vivant. Élisabeth a connu elle aussi la souffrance physique et morale. Unie au Christ crucifié, elle s'est totalement offerte, achevant dans sa chair la passion du Seigneur (cf. Col 1, 24), toujours assurée d'être aimée et de pouvoir aimer. Elle fait dans la paix le don de sa vie blessée. A notre humanité désorientée qui ne sait plus trouver Dieu ou qui le défigure, qui cherche sur quelle parole fonder son espérance, Élisabeth donne le témoignage d'une ouverture parfaite à la Parole de Dieu qu'elle a assimilée au point d'en nourrir véritablement sa réflexion et sa prière, au point d'y trouver toutes ses raisons de vivre et de se consacrer à la louange de sa gloire. Et cette contemplative, loin de s'isoler, a su communiquer à ses sœurs et à ses proches la richesse de son expérience mystique. Son message se répand aujourd'hui avec une force prophétique. Nous l'invoquons : disciple de Thérèse de Jésus et de Jean de la Croix, qu'elle inspire et soutienne toute la famille du Carmel ; qu'elle aide beaucoup d'hommes et de femmes, dans la vie laïque ou la vie consacrée, à recevoir et partager les « flots de charité infinie » qu'elle recueillait « à la fontaine de vie ». Alors qu'elle porte son regard sur ces trois hautes figures, l'Église désire aujourd'hui professer la foi apostolique au règne du Christ, affirmer qu'elle croit que vraiment il règne. Car le Christ « est ressuscité d'entre les morts pour être parmi les morts le premier ressuscité » (1 Co 15, 20). Dans l'histoire des hommes vaincus par la mort, il a, le premier, remporté la victoire sur la mort. C'est une victoire pour lui - et en même temps c'est une victoire pour nous. « C'est en Adam que meurent tous les hommes ; c'est dans le Christ que tous revivront. » (1 Co 15, 22.) Tous ceux qui lui appartiennent par la grâce et l'amour ont en eux la vie nouvelle : la vie du royaume que le Père a préparé « depuis la création du monde ». Dans cette vie nouvelle s'épanouira la victoire du Christ sur tout ce qui est contraire au règne de Dieu dans la création visible et invisible. « C'est lui, en effet, qui doit régner jusqu'au jour où « il aura mis sous ses pieds tous ses ennemis ». Et le dernier ennemi qu'il détruira, c'est la mort. » (1 Co 15, 25-26.) En espagnol. Le Père éternel non seulement a préparé depuis la création du monde le règne de grâce et d'amour, le règne de vie nouvelle et de vie éternelle. Le Père céleste a aussi « confié comme tâche » ce règne à son Fils éternel, quand il se fit homme. Tous ceux qui, de toute nation, génération, race, siècle et Église sur la terre ont accepté de participer à cette tâche salvifique et rédemptrice, appartiennent au Christ. Ils attendent de même le témoignage définitif, quand le Christ, par sa venue à la fin du monde, « remettra la royauté à Dieu le Père » (1 Co 15, 24).

Le règne de Dieu trouvera sa~ perfection quand l'histoire humaine aura pris fin. Il se réalisera là où il a pris son commencement : dans l'amour du Père communiqué jusqu'à la fin par l'amour du Fils Quand toutes choses lui auront été soumises, alors le Fils lui-même sera soumis à Celui qui lui a tout soumis, pour que Dieu soit tout en tous. » (1 Co 15, 28.) Voilà le sens définitif du règne de Dieu : Dieu qui est tout en tous. Bienheureux sont ceux qui ont accepté ce sens, lui ouvrant leurs cœurs, lui consacrant leurs oeuvres. « Venez, les bénis de mon Père, prenez possession du Royaume. »

sépar saints

Abbaye saint joseph de clairval 21150Bien chers Amis,

«À notre humanité désorientée qui ne sait plus trouver Dieu ou qui le défigure, qui cherche sur quelle parole fonder son espérance, Élisabeth de la Trinité donne le témoignage d’une ouverture parfaite à la Parole de Dieu », déclarait saint Jean-Paul II, dans son homélie pour la béatification de cette carmélite (25 novembre 1984). Le lendemain, s’adressant aux pèlerins, le Pape ajoutait : « Témoin admirable de la grâce du Baptême épanouie dans un être qui l’accueille sans réserve, elle nous aide à trouver à notre tour les voies de la prière et du don de nous-mêmes ».
Ce matin du dimanche 18 juillet 1880, au camp militaire d’Avor, près de Bourges, l’angoisse règne autour de la maisonnette où Mme Catez attend son premier enfant : « J’ai eu une fille, expliquera-t-elle ensuite, Marie-Élisabeth, condamnée avant sa naissance car les deux médecins qui étaient auprès de moi avaient déclaré à mon mari qu’il fallait faire le sacrifice du bébé dont le cœur ne battait plus ; mais Dieu veillait, et, au dernier évangile de la Messe, que j’avais demandée à l’aumônier et qui se célébrait à la chapelle du camp, la petite Élisabeth faisait son entrée dans la vie, très belle, très vivante. »


Une Confession qui marque

Au mois de novembre 1882, la famille Catez s’installe à Dijon. Le 20 février 1883, naît une deuxième fille, Marguerite, surnommée “Guite”. Une profonde affection unira les deux sœurs qui, pourtant, diffèrent par leur tempérament : autant Élisabeth est vive et ardente, autant Guite se montre douce et réservée. Fille et petite-fille d’officier, Élisabeth a, en effet, hérité d’un caractère bien trempé. « Enfant, témoignera Guite, Élisabeth était très colère, très vive, impulsive... nature très sensible, très affectueuse, pour laquelle la punition la plus dure était la privation des caresses de sa mère. » Le 2 octobre 1887, M. Catez meurt subitement, dans les bras d’Élisabeth qui n’a que sept ans. Les ressources financières étant diminuées, Mme Catez et ses deux filles quittent leur villa pour un appartement, toujours à Dijon. La vie reprend, et les colères aussi… Élisabeth essaie de se dominer pour faire plaisir à ses proches. Sa maman lui parle de Dieu, et la petite fille commence à aller au catéchisme : son cœur droit et profond est touché ; elle s’applique à s’oublier pour faire plaisir aux autres et à Jésus. Vers la fin de l’année, elle fait sa première Confession. Ce jour restera dans son esprit comme celui de sa “conversion” et de son éveil à l’égard des choses divines. Mère Germaine, la Prieure (supérieure) du Carmel, confirmera : « Élisabeth elle-même m’a confié que sa résolution vraiment réfléchie et persévérante de se vaincre dans ses violences date de sa première Confession. »
Au cours des vacances de l’été 1888, Élisabeth se trouve à Saint-Hilaire (Aude) en famille. Le curé du lieu, le chanoine Angles, reçoit une confidence de sa part : « C’était un soir, écrira-t-il en 1907 à Mère Germaine… Élisabeth était parvenue à grimper sur mes genoux. Vite, elle se pencha à mon oreille et me dit : “Monsieur Angles, je serai religieuse ; je veux être religieuse !” Je me souviendrai longtemps de ce timbre angélique… et aussi de l’exclamation quelque peu irritée de sa mère : “Qu’est-ce qu’elle dit, la petite folle ?”… Mme Catez, anxieuse, me demandait si je croyais sérieusement à une vocation ; et moi, je répondis une parole qui, comme un glaive, transperça son âme : “J’y crois !” » Le 19 avril 1891, Élisabeth fait sa première Communion à l’église paroissiale Saint-Michel de Dijon. Sa rencontre intime avec Jésus vivant, présent en son cœur, est un instant de grâce et de joie qui produit une nouvelle transformation intérieure. « À partir de ce jour, plus jamais de colère ! », écrira sa mère. L’après-midi, Élisabeth se rend au Carmel, et Mère Marie de Jésus lui apprend que son nom signifie “Maison de Dieu”. 
Deux mois après, elle reçoit le sacrement de Confirmation. « À partir de ce moment, témoigne une amie, Marie-Louise Hallo, la piété d’Élisabeth s’accrut davantage, elle communiait souvent et versait d’abondantes larmes après. » Sa mère s’effraie d’une piété qu’elle estime trop intense, mais Élisabeth sent grandir en elle la faim de cet Ami qui la nourrit et la fortifie merveilleusement. Jésus est de plus en plus pour elle “le Bien-Aimé de l’Eucharistie”. Mais, pendant des années, il ne lui sera permis de communier qu’une fois ou deux par semaine, selon l’usage du temps. Toutefois, elle peut visiter et adorer ce Bien-Aimé présent dans le tabernacle. Elle désire entrer au Carmel, mais sa mère n’est pas de cet avis : elle lui interdit de se rendre au parloir du monastère tout proche, et la pousse à découvrir la vie du monde. Élisabeth devient coquette ; elle aime à porter de belles toilettes ainsi que des bijoux, et participe avec entrain aux soirées mondaines, tout en s’appliquant à garder la présence de Dieu.


« Mon secret »

Dès l’âge de huit ans, Élisabeth était entrée au Conservatoire de musique. L’orthographe restera toujours un peu déficiente chez elle, mais les longues heures passées devant son piano, en compagnie de Chopin, Schumann, Liszt et d’autres grands compositeurs, développent son sens profond de la beauté. À treize ans, elle obtient le premier prix du Conservatoire, et, l’année suivante, le prix d’excellence. Elle livrera un jour son secret, en écrivant à une amie : « Je prierai pour Madeleine afin que le bon Dieu l’envahisse jusqu’en ses petits doigts ; alors, je défie qui que ce soit de rivaliser avec elle. Qu’elle ne s’énerve pas ; je vais lui donner mon secret : il faut qu’elle oublie tous ceux qui l’écoutent et se croie seule avec le Maître divin ; alors on joue pour Lui avec toute son âme, et l’on fait sortir de son instrument des sons pleins, à la fois puissants et doux. Oh ! que j’aimais à Lui parler ainsi ! » Quand Élisabeth joue, elle est, en effet, avec « l’Ami de tous les instants », le Dieu tout Amour qui remplit son cœur.
Dans le même temps, Élisabeth participe aux activités de la paroisse : elle enseigne le catéchisme, chante à la chorale, entraîne des jeunes à l’église pour prier pendant le mois de Marie. Mais son désir d’être tout à Jésus ne cesse de croître. Un matin, à la fin de la Messe, elle reçoit une grâce spéciale : « J’allais avoir quatorze ans, rapportera-t-elle à Mère Germaine, quand un jour, pendant mon action de grâces, je me sentis irrésistiblement poussée à choisir Jésus comme unique époux, et sans délai, je me liai à Lui par le vœu de virginité. Nous ne nous dîmes rien, mais nous nous donnâmes l’un à l’autre en nous aimant si fort, que la résolution d’être toute à Lui devint chez moi plus définitive encore. » Quelques semaines plus tard, de nouveau au terme de la Messe, une indication lui est donnée : « Il me sembla, dira-t-elle, que le mot “Carmel” était prononcé dans mon âme. » Mais sa mère ne veut toujours pas accepter sa vocation. Respectant cette volonté, Élisabeth, qui n’a pas atteint sa majorité légale, s’arme de patience. Les poésies qu’elle écrit, de quatorze à dix-neuf ans, murmurent les noms de son Bien-Aimé Jésus, de son bon ange, des saints du paradis, en particulier de sainte Jeanne d’Arc, « la vierge qu’on ne peut flétrir ».
Les vacances se passent souvent en montagne, dans les Pyrénées, le Jura, les Vosges et les Alpes suisses, ou au bord de la mer. Elles donnent l’occasion de danser, de jouer de la musique et de faire des excursions. À l’âge de dix-huit ans, Élisabeth commence à tenir un journal intime. On y lit, en date du 30 janvier 1899 : « J’ai eu aujourd’hui la joie d’offrir à mon Jésus plusieurs sacrifices sur mon défaut dominant, mais comme ils m’ont coûté ! Je reconnais là ma faiblesse… Il me semble, lorsque je reçois une observation injuste, que je sens bouillir mon sang dans les veines, tant mon être se révolte… Mais Jésus était dans mon cœur et alors j’étais prête à tout supporter pour l’amour de Lui. » Un jour, sa mère ayant eu connaissance d’un bon parti, lui propose de se marier ; mais Élisabeth réaffirme sa volonté d’entrer au Carmel. Mme Catez l’autorise finalement à rencontrer la supérieure du couvent, mais refuse qu’elle devienne religieuse avant l’âge de sa majorité, vingt et un ans.


« Il est là ! »

Au début de 1899, Élisabeth lit le “Chemin de la perfection” de sainte Thérèse d’Avila. Dans les explications de la Sainte, elle reconnaît ce que le Seigneur lui a déjà enseigné sur l’oraison. « Cela m’intéresse énormément et me fait beaucoup de bien », écrit-elle dans son journal. Elle recherche la présence de Dieu dans son âme, et avoue à une amie : « Il me semble qu’Il est là. » Le Père Vallée, dominicain qu’elle rencontre plusieurs fois au Carmel, attise son amour pour Dieu, charité infinie, trop grand Amour (Ep 2, 4) qui nous est offert en Jésus. Puis, il lui rappelle que ce Dieu d’amour dont elle expérimente déjà la présence, est Père, Fils et Saint-Esprit ; il l’oriente vers le mystère de la Très Sainte Trinité, en conformité avec cette parole de saint Jean : Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera ; nous viendrons en lui et nous ferons en lui notre demeure (Jn 14, 23).
Nous savons que Dieu est Trinité grâce à Jésus qui nous a révélé ce mystère de la vie intime du Créateur. Le Catéchisme de l’Église Catholique enseigne : « L’Incarnation du Fils de Dieu révèle que Dieu est le Père éternel, et que le Fils est consubstantiel au Père, c’est-à-dire qu’il est en lui et avec lui le même Dieu unique… La mission du Saint-Esprit, envoyé par le Père au nom du Fils, et par le Fils d’auprès du Père, révèle qu’il est avec eux le même Dieu unique. Avec le Père et le Fils il reçoit même adoration et même gloire » (CEC 262, 263). C’est pourquoi l’Église affirme : « Nous ne confessons pas trois dieux, mais un seul Dieu en trois personnes… Les personnes divines ne se partagent pas l’unique divinité mais chacune d’elles est Dieu tout entier… Les personnes divines sont réellement distinctes entre elles… “Père”, “Fils”, “Esprit Saint” ne sont pas simplement des noms désignant des modalités de l’être divin, car ils sont réellement distincts entre eux… Ils sont distincts entre eux par leurs relations d’origine : “C’est le Père qui engendre, le Fils qui est engendré, le Saint-Esprit qui procède” » (CEC 253-254). « La fin ultime de toute l’économie divine, c’est l’entrée des créatures dans l’unité parfaite de la Bienheureuse Trinité. Mais dès maintenant nous sommes appelés à être habités par la Très Sainte Trinité » (CEC 260). Ce mystère, dont a vécu Élisabeth, est la lumière de notre vie spirituelle.
En 1900, celle-ci visite l’exposition universelle à Paris. Toutefois, elle lui préfère les basiliques du Sacré-Cœur de Montmartre et de Notre-Dame-des-Victoires. Au cours des mois qui suivent, Élisabeth traverse une épreuve de sécheresse spirituelle au point qu’elle se dit « insensible comme une bûche ». Au milieu des fêtes mondaines, pourtant, elle garde la nostalgie du cloître. À une amie, elle montre l’importance de l’attention à la présence de Dieu : « “Dieu en moi, et moi en Lui”, que ce soit notre devise ! »


« Puis-je l’abandonner ? »

Enfin, son entrée au Carmel de Dijon est fixée au 2 août 1901. Le jeudi 1er, Élisabeth passe en prière une partie de la nuit, voulant accompagner le Bien-Aimé dans la solitude de Gethsémani. Mme Catez ne peut dormir. Elle vient s’agenouiller près du lit de sa fille. Leurs larmes se mêlent : « Alors, pourquoi me quitter ? – Ah ! ma chère maman, puis-je résister à la voix de Dieu qui m’appelle ? Il me tend les bras et me dit qu’Il est méconnu, outragé, délaissé. Puis-je l’abandonner, moi aussi ?… Il faut que je parte, malgré mon chagrin de vous laisser, de vous plonger dans la douleur ; il faut que je réponde à son appel. » Au début de sa vie religieuse, Élisabeth est favorisée de grâces sensibles : « Que le bon Dieu est bon ! écrit-elle à sa sœur. Je ne trouve pas d’expression pour dire mon bonheur… Ici, il n’y a plus rien, plus que Lui… On le trouve partout, à la lessive comme à l’oraison ! » Chaque jour, elle passe plusieurs heures au chœur pour l’oraison silencieuse du matin, l’office, la Messe et encore l’oraison du soir. Toutefois, elle n’oublie pas ceux qu’elle a quittés et elle les retrouve dans son cœur auprès de Jésus. Pour vivre avec Dieu, Élisabeth s’applique au silence extérieur et intérieur : « Si mes désirs, mes craintes, mes joies, mes douleurs, si tous les mouvements provenant de ces quatre puissances ne sont pas parfaitement ordonnés à Dieu, je ne serai pas solitaire : il y aura du bruit en moi. »
Dans un questionnaire récréatif, à la question : « Quel est, selon vous, l’idéal de la sainteté ? », elle répond : « Vivre d’amour. » Et à la question : « Quel est le moyen le plus rapide pour y parvenir ? », sa réponse est : « Se faire toute petite, se livrer entièrement. » On demande aussi : « Quel est le trait dominant de votre caractère ? – La sensibilité. » Puis : « Le défaut qui vous inspire le plus d’aversion ? – L’égoïsme en général. » Le 8 décembre 1901, la novice prend l’habit du Carmel et reçoit son nom de religieuse : Élisabeth de la Trinité. Peu de temps après, sa facilité pour l’oraison fait place à la sécheresse. Sœur Élisabeth continue à chercher Dieu dans la foi : « La foi me dit qu’Il est là tout de même, et à quoi bon les douceurs, les consolations ? Ce n’est pas Lui. Et c’est Lui seul que nous cherchons… Allons donc à Lui dans la foi pure. » Elle écrit encore : « Moi aussi j’ai besoin de chercher mon Maître qui se cache bien. Mais alors, je réveille ma foi et je suis plus contente de ne pas jouir de sa présence pour Le faire jouir, Lui, de mon amour. »


L’œuvre du Saint-Esprit

Sœur Élisabeth lit les écrits de saint Jean de la Croix, de sainte Catherine de Sienne et de sœur Thérèse de Lisieux, jeune carmélite morte peu auparavant (1897) qui la marque profondément ; elle recopiera plusieurs fois son “Acte d’offrande à l’Amour miséricordieux”. Mais sa source spirituelle la plus profonde reste le Nouveau Testament. Déjà avant son entrée au Carmel, elle appréciait spécialement l’Évangile de saint Jean ; après sa profession, elle se nourrira des Lettres de saint Paul et en particulier de la Lettre aux Éphésiens. Mère Germaine écrira : « Les plus beaux textes du grand Apôtre appuient les mouvements de son âme contemplative… Élisabeth en découvre le sens profond, s’identifie à cette doctrine substantielle qui la fortifie et alimente son incessante oraison ». Ce travail spirituel se réalise sous l’influence du Saint-Esprit. Les mois qui suivent sont marqués chez la jeune sœur par des doutes sur sa vocation ; elle passe par des moments de scrupule et, la veille de sa profession perpétuelle, il faut appeler un prêtre pour l’aider à dissiper ses doutes. « En la nuit qui précéda le grand jour, affirmera-t-elle, tandis que j’étais au chœur dans l’attente de l’Époux, j’ai compris que mon ciel commençait sur la terre, le ciel dans la foi, avec la souffrance et l’immolation pour Celui que j’aime. » Le 11 janvier 1903, sœur Élisabeth fait sa profession, et le 21, fête de sainte Agnès, vierge et martyre, elle prend le voile noir des professes.
Les seize sœurs du Carmel se réunissent pour les repas, ainsi que pour les deux récréations où l’on parle simplement et joyeusement, tout en accomplissant quelque travail manuel. Mais au cours de la journée, chaque sœur fait son ouvrage autant que possible dans la solitude. Sœur Élisabeth rend différents services, notamment à la roberie. Sœur Marie de la Trinité témoigne : « Comme sous-prieure, étant chargée, chaque semaine, de distribuer les offices domestiques, j’ai pu constater qu’elle était un vrai trésor en communauté, un de ces sujets auxquels on peut demander tous les services, avec l’assurance de lui faire plaisir. »
Élisabeth de la Trinité a toujours nourri une dévotion particulière pour la Vierge Marie. Elle contemple particulièrement le mystère de l’Annonciation : « Je n’ai besoin d’aucun effort pour entrer dans ce mystère de l’habitation divine en la Vierge. Il me semble y trouver mon mouvement d’âme habituel, qui fut le sien : adorer en moi le Dieu caché. » Le jour de la fête de la Présentation de Marie au Temple, 21 novembre 1904, elle rédige une prière devenue célèbre, que l’on retrouvera après sa mort : “Ô mon Dieu, Trinité que j’adore…” Du Carmel, Élisabeth écrit de nombreuses lettres, notamment à sa sœur, à qui elle donne rendez-vous à des heures précises pour prier ensemble. Elle rédige également des poèmes et des écrits spirituels. Elle désire partager avec tous ses amis cette expérience de la présence du Dieu-Trinité dans son âme : « Cette meilleure part qui semble être mon privilège en ma bien-aimée solitude du Carmel, est offerte par Dieu à toute âme de baptisé. » Elle écrit à une de ses amies : « C’est si simple. Il est toujours avec nous, soyez toujours avec Lui, à travers toutes vos actions, dans vos souffrances, quand votre corps est brisé, demeurez sous son regard, voyez-le présent, vivant en votre âme. » Selon Élisabeth, il suffit, pour vivre cette réalité, de « faire des actes de recueillement en Sa présence ».


Un nom nouveau

En 1905, un passage de saint Paul la touche profondément : Dieu le Père nous a d’avance destinés à devenir pour lui des fils par Jésus-Christ : voilà ce qu’il a voulu dans sa bienveillance, à la louange de sa gloire, de cette grâce dont il nous a comblés en son Fils bien-aimé (Ep 1, 5-6). Au cours des mois qui suivent, elle médite ce texte et y devine le nom nouveau qu’elle aura au Ciel : laudem gloriæ (louange de gloire). La louange de gloire devient le centre de sa spiritualité : « Mon rêve, écrit-elle, est d’être louange de sa gloire. C’est dans saint Paul que j’ai lu cela et mon Époux m’a fait entendre que c’était là ma vocation dès l’exil. » Sœur Élisabeth commence à signer des lettres avec ces mots Laudem gloriæ. Pour elle, être louange de gloire consiste à refléter la gloire de Dieu, et pour cela, il est nécessaire de s’oublier, de se dépouiller de tout, et de rechercher le silence. Cet oubli et ce silence favorisent l’adoration et la contemplation qui permettent à Dieu de transformer la personne, de restaurer en elle son image et d’en faire sa louange de gloire.
Dès le pritemps de 1905, Élisabeth commence à ressentir les premiers symptômes de la maladie d’Addison, une insuffisance surrénalienne, alors inguérissable et très pénible. Le 19 mars 1906, elle entre à l’infirmerie. « Je m’affaiblis de jour en jour, écrit-elle, et je sens que le Maître ne tardera plus beaucoup à venir me chercher. Je goûte, j’expérimente des joies inconnues : les joies de la douleur… Avant de mourir, je rêve d’être transformée en Jésus crucifié et cela me donne tant de force dans la souffrance. » Élisabeth de la Trinité voit dans sa maladie la possibilité de ressembler à Jésus-Christ, qui a voulu Lui-même passer par la souffrance (cf. Lc 24, 26), et ainsi de Lui rendre amour pour amour. Elle appelle donc sa maladie, la “maladie de l’amour”.
L?e dimanche des Rameaux, sœur Élisabeth tombe en syncope et reçoit l’Extrême-Onction, mais le samedi suivant sa santé s’améliore un peu. Elle compose la retraite “Le Ciel dans la foi”, pour sa sœur Guite, puis elle fait sa retraite personnelle. Mère Germaine lui demande d’écrire, pendant cette retraite, ses “bonnes rencontres”: le manuscrit sera appelé “Dernière Retraite”. Elle y développe notamment une méditation sur la Vierge Marie, décrivant celle-ci comme le modèle à suivre dans la vie intérieure mais aussi dans la souffrance. Quelque temps avant de mourir, Élisabeth donne comme testament à une amie : « À la lumière de l’éternité, l’âme voit les choses au vrai point. Oh ! Comme tout ce qui n’a pas été fait pour Dieu et avec Dieu est vide. Je vous en prie, marquez tout du sceau de l’amour. Il n’y a que cela qui demeure. » Au cours de l’automne, la maladie s’aggrave et sœur Élisabeth meurt le 9 novembre 1906, après neuf jours d’agonie. Ses dernières paroles intelligibles sont : « Je vais à la Lumière, à l’Amour, à la Vie ! » Elle a été canonisée par le Pape François, le 16 octobre 2016.
Peu de temps avant sa mort, Élisabeth de la Trinité écrivait : « C’est ce qui a fait de ma vie, je vous le confie, un ciel anticipé : croire qu’un Être, qui s’appelle l’Amour, habite en nous à tout instant du jour et de la nuit et qu’Il nous demande de vivre en société avec Lui. » Son désir le plus cher est de nous attirer dans cette intimité divine : « Il me semble qu’au Ciel, ma mission sera d’attirer les âmes en les aidant à sortir d’elles pour adhérer à Dieu par un mouvement tout simple et tout amoureux, et de les garder en ce grand silence du dedans qui permet à Dieu de s’imprimer en elles, de les transformer en Lui-même ». Puissions-nous découvrir ce trésor caché et en vivre !

Dom Antoine Marie osb

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Date de dernière mise à jour : 2016-11-23