Passioniste de Polynésie

Saint Jean de BRITO

Jean britojésuite, martyr, 1647-1693

Saint Jean de Brito naquit à Lisbonne — comme saint Antoine (dit aussi de Padoue), le 1er mars 1647 — sept ans après la restauration du royaume —, de parents très croyants : Salvador de Brito Pereira et Dona Brites Pereira.

Un an auparavant, à Vila Viçosa, ville natale du père de Jean, le roi Jean IV avait couronné la Vierge Marie, l’instituant Reine du Portugal.

Tout jeune encore, il fut appelé à la cour du roi Jean IV, pour y être page et le compagnon du prince Dom Pedro ; il portait déjà sur lui les stigmates de la sainteté.

Très docile et dévoué, toujours prêt à se sacrifier pour les autres, on l’appelait, de façon prémonitoire, le « martyr ».

Atteint d’une grave maladie à l’âge de onze ans, sa mère implora l’intercession de saint François Xavier, promettant que son fils porterait pendant un an l’habit des jésuites si son enfant était guéri. Le grand saint jésuite, obtînt de Dieu la guérison du petit Jean et, la mère de celui-ci tînt sa promesse : pendant un an le jeune page porta la soutane caractéristique des jésuites de l’époque ; on le surnommait alors le « petit apôtre », ou encore le « saint page » : sa sainteté était déjà évidente.

En 1662 Alphonse VI monta sur le trône du Portugal.

En cette même année, Jean de Brito, alors âgé de quinze ans entra au Noviciat de la Compagnie de Jésus à Lisbonne, et y démontra, non seulement des aptitudes intellectuelles indéniables, mais aussi une extraordinaire progression spirituelle et un désir ardent de devenir missionnaire.

Il étudia aussi à Évora et à Coimbra, et devînt ensuite professeur au Collège de Santo Antão de Lisbonne.

Ordonné prêtre en 1673, à l’âge de 26 ans, il réussit à convaincre ses supérieurs de lui accorder la grâce de missionner en Inde, comme son modèle, saint François Xavier.

Ce projet contrariait les plans, non seulement de sa mère, mais aussi du roi et de la reine qui souhaitaient l’avoir comme directeur spirituel et précepteur de leurs enfants.

Puis, ce fut le départ — le 25 mars 1673, en compagnie de quelques autres missionnaires — et les longues semaines en mer ; le Cap de Bonne Espérance et ses tempêtes légendaires, et Goa, en Inde enfin, en 1674.

Il visita et se recueillit sur le tombeau de saint François Xavier, son modèle ; tombeau que l’on ouvrit devant lui, afin de lui permettre de mieux encore vénérer ce corps saint tout embaumé encore de l’Évangile du Christ.

En avril 1674, il missionna à Maduré, prenant soin de se vêtir comme les religieux locaux, afin de mieux se faire accepter par les indous. Puis, en 1685, il fut nommé supérieur de cette mission, ce qui fut pour lui occasion de grands sacrifices et de multiples tribulations.

Sur le territoire de Maravá il subit le supplice de l’eau, et la flagellation ; le gouverneur de l’endroit lui interdit même de prêcher là, la « bonne nouvelle ».

En 1686 fut déclenchée une violente persécution. Jean accourut pour protéger les chrétiens, mais il fut lui-même fait prisonnier et condamner à être empaillé. Mais, pour que cette sentence soit mise à exécution, il fallait l’aval du souverain. Le jeune prêtre fut conduit en sa présence et s’expliqua calmement sur la doctrine dont il était porteur. Il fut libéré, mais sommé de ne plus prêcher dans la région.

Il partit alors à Malabar pour y rencontrer son provincial. Celui-ci le chargea d’une mission d’information et le renvoya en Europe : il était porteur de messages pour Lisbonne et Rome, mais il n’ira pas dans la ville Éternelle, car le roi du Portugal, Pierre II, le lui interdit.

Ce fut, lors de ce voyage en 1687, que Jean de Brito rencontra, lors d’une escale à São Salvador de Baia, un autre jésuite fort célèbre — le plus grand écrivain portugais : Père Antonio Vieira, grand évangélisateur au Brésil et auteur de nombreuxSermons, chefs-d’œuvre de la littérature portugaise.

Loin de profiter de ce voyage pour rester auprès des siens et de ses amis, il repartit en Inde le 8 avril 1690, accompagné de 25 autres missionnaires, dont 14 portugais. Il y arriva le 2 novembre de cette même année.

Dans cet immense pays — où le nombre de chrétiens était alors d’environ huit mil —, sa sainteté était de plus en plus évidente : il est tout à tous, particulièrement envers les plus déshérités : il fit même des miracles ; sa renommée s’étendit au loin, surtout depuis le baptême – le 6 janvier 1693 — d’un prince indu.

Malgré les difficultés, toujours nombreuses, et les jalousies suscitées par ses succès, Jean poursuivit son apostolat, mais, au four et à mesure que le temps passait, le désir du ciel grandissait en son âme. C’est ce qui ressort des lettres qu’il écrivit à sa mère, à son frère et à ses supérieurs : comme il aimerait donner sa vie pour le Christ, qui a donné la sienne pour lui !

Espionné et traqué par les sbires du souverain de Maravá, il fut enfin fait prisonnier, accusé de désobéissance et condamné à mort. Le martyre eut lieu sur une colline, face à la ville d’Urgur, le 4 février 1693.

Décapité en février 1693, le cadavre fut imputé des pieds et des mains. Le reste du corps fut jeté aux bêtes sauvages et aux vautours.

Les chrétiens, malgré la peur que leur inspirait le souverain de Maravá, purent récupérer le crâne et quelques ossements, et, moyennant une belle somme d’argent, le couteau qui avait servi à l’exécution. Ce dernier fut ramené au Portugal et confié par le roi à la Compagnie de Jésus.

Ayant François Xavier pour modèle de sainteté, il le dépasse par le martyr.

La renommée de sainteté dont il jouissait déjà de son vivant, s’affirma encore d’avantage après son sacrifice, et le lieu du supplice devint un lieu de pèlerinage où afflouaient des peuples de toutes religions : il y avaient quelquefois plus de 2000 personnes.

Sa mère, Dona Brites Pereira, appelée à la cour, après la nouvelle du sacrifice de son fils, s’y présenta en habits de gala et y reçut, de la part du souverain les honneurs dus à une reine mais accordés à la mère d’un saint.

Il fut canonisé par Pie XII, le 22 juin 1946.

Alphonse Rocha

http://nouvl.evangelisation.free.fr/jean_de_brito.html

Jean de brito 1647 1693 2

Bien chers Amis, 

Un jour de 1663 ou 1664, l’infant du Portugal, don Pedro, héritier de la couronne, accompagné de ses pages, se présente à la porte du noviciat des Jésuites de Lisbonne (Portugal) ; tous les novices se précipitent pour accueillir l’illustre visiteur, sauf Jean de Britto. Celui-ci, qui, en tant que page, avait côtoyé le futur roi, finit par arriver ceint d’un tablier : il était occupé à soigner un serviteur de la communauté atteint par une épidémie. « Je suis charmé, s’exclame le prince dans un élan de foi, de vous trouver au service de ce nouveau maître ! Vous y gagnerez plus de solides récompenses que vous n’en trouveriez auprès de moi… »

Jean de Britto est né le 1er mars 1647, dans une famille de la haute noblesse du Portugal. Son père, don Salvador de Britto Preyra, sera vice-roi du Brésil. Lors de graves ennuis de santé, l’enfant est voué par sa mère, dona Beatrix, à saint François Xavier, le grand missionnaire jésuite des Indes et du Japon, afin d’obtenir sa guérison. Dès l’âge de neuf ans, Jean est introduit comme page à la cour de Lisbonne. Adolescent, il se distingue par sa pureté angélique, mise à l’épreuve au milieu de jeunes et riches nobles. Le spectacle de la cour le porte d’ailleurs à se détacher du monde, et, le 17 décembre 1662, à l’âge de seize ans, il entre dans la Compagnie de Jésus. Douloureusement surprise, sa mère accepte cependant avec foi sa décision. Durant ses études de philosophie à Coimbra (1666-1669), Jean demande au Général de la Compagnie de Jésus d’être envoyé aux missions des Indes, car, affirme-t-il, « c’est saint François Xavier qui m’a guéri, c’est lui qui m’appelle aux Indes ». Il est ordonné prêtre à Lisbonne en février 1673, et ses supérieurs le destinent au Maduré, région du sud-est de l’Inde. En dépit de l’opposition de sa mère, et des avis défavorables des médecins, le jeune jésuite quitte Lisbonne dès le mois de mars, en compagnie de vingt-sept confrères, sous la direction du P. Balthazar da Costa, un vétéran de la mission indienne.

Missionnaire par nature

«Jésus, le premier et le plus grand évangélisateur, nous envoie annoncer l’Évangile de l’amour de Dieu le Père dans la force de l’Esprit Saint, rappelait le Pape François… L’Église est missionnaire par nature. Si ce n’était pas le cas, elle ne serait plus l’Église du Christ, mais une association parmi tant d’autres qui, bien vite, finirait par s’épuiser et disparaître… La mission de l’Église, destinée à tous les hommes de bonne volonté, est fondée sur le pouvoir transformant de l’Évangile. L’Évangile est une Bonne Nouvelle qui porte en soi une joie contagieuse parce qu’il contient et offre une vie nouvelle : celle du Christ ressuscité qui, en communiquant son Esprit vivifiant, devient Chemin, Vérité et Vie pour nous (cf. Jn 14, 6)… En suivant Jésus comme notre Chemin, nous faisons l’expérience de la Vérité et nous recevons sa Vie, qui est pleine communion avec Dieu le Père dans la force de l’Esprit Saint, nous rend libres de toute forme d’égoïsme et se trouve être source de créativité dans l’amour » (Message du 4 juin 2017, pour la journée mondiale des missions).

Les missionnaires arrivent en septembre à Goa, possession portugaise sur la côte ouest de l’Inde. Là, Jean se rend aussitôt, en action de grâces, à la chapelle où est vénéré le corps miraculeusement conservé de saint François Xavier. Il apprend sans tarder la langue tamoule et, dès l’année suivante, part pour le Maduré. Le jeune missionnaire se familiarise d’abord avec le pays, en particulier avec l’hindouisme et la structure sociale des castes, aux règles rigides et compliquées. Il perçoit l’importance de se concilier la caste supérieure, celle des brahmanes, comme l’une des clés principales de la conversion du pays, mais son zèle le porte aussi auprès des marginalisés, les parias, ou exclus, qu’il visite plutôt de nuit. Dans le but de prêcher l’Évangile aux lettrés en tenant compte des éléments positifs de sagesse contenus dans les Veda, Jean étudie les livres sacrés de l’Inde, composés en langue sanskrite. Comme son prédécesseur, le Père Roberto de Nobili, mort au Maduré une quinzaine d’années avant son arrivée, il adopte certaines règles de vie ascétique des religieux hindous, dès lors qu’elles ne heurtent pas la sagesse chrétienne. Il s’habille même en “Pandara swami” avec le vêtement distinctif de ceux qui renoncent au monde. Cette austérité paraîtra excessive à plusieurs de ses confrères, et on lui reprochera aussi de pratiquer certains rites indiens. Mais à l’occasion de son procès de béatification, le Pape Benoît XIV le libérera de tout soupçon à cet égard : « Ces coutumes sont seulement des usages communs de la vie civile, et donc sans signification religieuse particulière. »

Sauvé par la charité

Malgré sa santé délicate, Jean de Britto refuse de se servir du cheval qu’on lui offre et il accomplit ses déplacements à pied. Le riz, matin et soir, est la base de son alimentation. En 1676 et 1677, de grandes inondations font de nombreuses victimes et des dégâts considérables. Les missions ne sont pas épargnées ; les Pères doivent changer plusieurs fois de lieu, et toujours repartir de rien. De plus, la guerre sévit continuellement, accompagnée de famines et de persécutions contre les chrétiens. Au cours d’une épidémie de peste, les dévots de Shiva, l’une des trois principales divinités de l’Inde, tentent de soulever le peuple contre le missionnaire en le rendant responsable du fléau, mais la charité du Père, qui soigne les pestiférés, parvient à éviter le pire.

Les missionnaires se font aider par de nombreux catéchistes indigènes. Les fidèles sont dispersés dans le pays, mais courageux et persévérants ; ils font parfois jusqu’à soixante kilomètres à pied pour recevoir les sacrements. La prédication de Jean est accréditée par des miracles, comme, par exemple, la résurrection d’un enfant baptisé, qui avait été frappé par la foudre. « Ces faveurs sont si fréquentes que nos chrétiens s’y familiarisent », constate le missionnaire. Elles facilitent toutefois grandement la mission, notamment pour abolir la polygamie, alors courante parmi les élites du pays, et qui constitue un grand obstacle à l’évangélisation. Des conversions ont pourtant lieu, au prix du renvoi de plusieurs épouses. Cependant, l’opposition farouche des autorités païennes à la prédication de l’Évangile contraint le Père de Britto à se déplacer et à évangéliser, pendant six mois, une autre région de l’Inde. Durant l’année qui suit son retour, il baptise 1200 païens. Deux ans plus tard, à l’âge de trente-huit ans, il est nommé supérieur de la mission du Maduré ; il le demeurera de 1685 à 1686. Des calomnies contre lui, parvenues à Rome, ont pourtant déjà obtenu du Père Général son éloignement de la mission, mais un changement providentiel de Provincial lui permet de rester au Maduré. Un de ses missionnaires dira de lui : « Il a multiplié les chrétientés… Nommé supérieur, il n’a profité de ses pouvoirs que pour soulager ses frères, en se chargeant lui-même. Il se réserve toujours pour lui-même les travaux les plus pénibles. » Toujours recherché par les païens, il doit mener une vie semi-clandestine, dans un climat de persécution et de guerre civile : il y a des chrétiens martyrs, et d’autres qui meurent de misère dans la jungle où ils ont dû fuir. Toutefois des secours inespérés viennent aussi de la part de païens sympathisants.

En 1686, le succès du Père dans l’évangélisation du Maravar, royaume proche du Maduré, irrite les brahmanes, qui complotent son assassinat. Un détachement d’hommes agissants à leur solde se dirige vers une très jeune chrétienté où se trouve le Père. Jean et ses catéchistes sont roués de coups de bâton, enchaînés et mis en prison. On leur promet la liberté s’ils acceptent d’adorer Shiva ou simplement de recevoir l’imposition de cendres de Shiva sur leur front, geste qui serait, en fait, une apostasie, et ils sont unanimes à le refuser. Le Père de Jean de Britto est condamné à mort pour avoir prêché une religion étrangère et avoir refusé d’invoquer le dieu hindou. Le jour même, il est flagellé, puis on l’abandonne comme mort. Un païen miséricordieux lui donne quelques soins, et les captifs sont ramenés en prison. La sentence de mort est à nouveau promulguée. Les condamnés récitent alors un rosaire en action de grâces. Le Père s’inquiète de l’effet que tant de maux pourrait avoir sur les néophytes de la région : « Ne craignez rien des hommes, leur fait-il dire (cf. Lc 12, 4s). Le Père céleste aura soin de vous. S’il permet que l’on vous tourmente, il vous donnera d’abord le courage, puis une gloire éternelle. » Le 30 juillet 1686, Jean parvient à expédier une lettre à son supérieur jésuite : « Nous sommes heureux et nous bénissons la Volonté divine qui daigne nous accorder la grâce de verser notre sang pour sa sainte Loi. » Les prisonniers sont gardés pendant un mois en captivité dans les écuries royales. Voulant profiter de l’état d’épuisement du Père, des brahmanes le défient de participer à des joutes théologiques, mais bientôt ils doivent abandonner la partie. Finalement, les prisonniers sont libérés, sans que l’on sache pourquoi.

Extrême surprise

Les supérieurs du Père Jean décident alors de l’envoyer défendre les intérêts de la mission des Indes auprès de la cour de Lisbonne. Mais il lui faut passer d’abord par Goa pour négocier avec les autorités portugaises certains points délicats du droit de patronage sur les missions des Indes, droit accordé jadis par le Saint-Siège au roi du Portugal. Les négociations échouent, et le Père s’embarque pour l’Europe. Il arrive à Lisbonne en septembre 1687. La nouvelle de sa condamnation à mort s’était répandue ; aussi, la foule venue accueillir son bateau est-elle extrêmement surprise de le voir débarquer. Les récits du missionnaire suscitent partout un tel enthousiasme que plusieurs prêtres et étudiants demandent à le suivre en Inde : « Nous ne pouvons pas fermer tous les collèges pour donner satisfaction à ces nobles désirs ! », s’exclame l’un des supérieurs de la Compagnie. Le Père rend visite au roi don Pedro II. Saisi par la vue de son ami d’enfance, devenu un missionnaire émacié, vieilli et marqué par les tortures qu’il a subies, le roi tente de le garder au Portugal pour lui confier l’éducation de ses enfants. Le missionnaire refuse, alléguant que les besoins sont bien plus grands en Inde. Lors des prédications qu’on lui demande, il insiste souvent sur le scandale que provoque l’inconduite de certains Portugais aux Indes : lorsque ceux-ci n’agissent pas avec justice, désintéressement et loyauté, affirme-t-il, toute proclamation du christianisme est perçue comme hypocrite. Sa parole entraîne de nombreuses conversions, car sa vertu, loin d’être austère, attire par sa douceur et par son extraordinaire affabilité.

La crainte des honneurs

Le missionnaire reprend la mer le 19 mars 1690, en compagnie de dix-neuf religieux, la plupart déjà prêtres. Parvenu à Goa en novembre, il reçoit un accueil triomphal. Après trois mois, il se rend dans le Maduré, où il reprend son apostolat itinérant ; par prudence, il ne reste jamais longtemps au même endroit. Cependant, le roi du Portugal n’a pas renoncé à son idée : il intrigue auprès du Général des Jésuites pour faire rentrer Jean au Portugal, mais en vain. Le roi envisage alors de le faire élever à la dignité d’archevêque, en Inde ; mais le Père, qui craint davantage les honneurs que les persécutions, obtient l’annulation de ce projet. Il se voit alors confier par ses supérieurs locaux la visite triennale du Maduré, où la persécution est intense. Il écrit à un frère coadjuteur : « Priez bien pour moi, car ce pays est un champ d’action très ardu. J’ai grand besoin d’un secours tout spécial du Ciel pour y réussir. Les conversions s’annoncent nombreuses ; plus nombreux encore sont ceux qui m’attendent pour recevoir les sacrements. Si je viens à être de nouveau emprisonné, j’espère bien que cette fois je n’échapperai pas à la mort. » Une pensée lui est toujours présente : « Je n’aurai rien fait pour Dieu tant que je n’aurai pas versé jusqu’à la dernière goutte de mon sang » ; toutefois, il s’applique à observer une saine prudence.

Parvenu dans une zone de conflits, sans cesse parcourue par des soldats, il lui faut vivre dans les bois : « Il y a déjà quatre mois que je suis banni dans un bois, vivant au milieu des tigres et des serpents qui s’y trouvent en grand nombre, confie-t-il à un évêque. Ma demeure est dans un arbre. » Il trouve cependant le moyen d’entretenir une correspondance avec ses supérieurs et différentes personnes. Dans une localité, il entend mille confessions en quinze jours et baptise quatre cents catéchumènes bien préparés. Profitant d’une accalmie des combats et des persécutions, il baptise huit mille catéchumènes, en l’espace de dix-huit mois. Il doit aussi régulariser des mariages, réconcilier des apostats, etc. Les conversions se multiplient jusque dans les hautes castes et la parenté du roi ; mais, par le fait même, les dangers s’accroissent. « Le second dimanche du carême, écrit le Père à un confrère, on a tenté de me saisir, mais j’étais parti une demi-heure avant l’arrivée des ennemis. Ils se sont emparés d’un chrétien baptisé qu’ils ont accablé de coups et de mauvais traitements pour le forcer à renier sa foi. Grâce à Dieu le néophyte est resté inébranlable. » Et à un autre : « Je confesse, baptise, administre les sacrements plus que jamais. De tous côtés on me demande des catéchistes. Ô mon Père, que sont, à côté de tout cela, toutes les grandeurs de l’Europe ? » Toutefois, les néophytes sont effrayés par la menace permanente de la persécution ; Jean de Britto cherche alors une occasion propice pour rencontrer le roi du Maravar afin d’en obtenir un édit de tolérance.

Une offense personnelle

Cependant un prince royal, Tadiyathevar, d’abord ennemi du missionnaire, mais tombé sérieusement malade et à bout d’expédients humains, le fait demander pour être guéri. Le Père envoie d’abord un catéchiste pour s’assurer de la sincérité de la demande et lui proposer plutôt le Baptême. Malgré les risques d’une nouvelle persécution de la part du roi, il accepte finalement de rencontrer ce prince. Celui-ci, polygame, a cinq épouses, et il ne peut recevoir le Baptême avant de s’être conformé à la loi chrétienne du mariage. Mais le renvoi des épouses non légitimes risque d’indisposer le roi lui-même qui verra là une perturbation de l’ordre social établi dans son royaume. Le prince hésite ; il laisse toutefois le missionnaire organiser dans son propre palais une magnifique cérémonie au cours de laquelle le Baptême est conféré à deux cents catéchumènes, et la Communion donnée à des centaines de sujets du prince déjà baptisés. Émerveillé, le prince se laisse finalement convaincre, renvoie toutes ses femmes, après avoir pourvu à leurs nécessités, sauf la plus ancienne qu’il considère comme son épouse légitime, et reçoit le Baptême, avec cette dernière, le 6 janvier 1693. Mais une des épouses répudiées, nièce du roi persécuteur, se précipite chez son oncle et lui adresse ses plaintes ; fou de rage, celui-ci en vient à considérer ce renvoi comme une offense personnelle.

La fermeté du Père Jean de Britto quant à la sainteté du mariage l’a fait souvent comparer à saint Jean-Baptiste qui a payé de sa vie son attachement à la loi de Dieu et notamment à la prohibition absolue de toute union adultère.

Dans l’encyclique Redemptoris missio, saint Jean-Paul II rappelle que le respect des enseignements de l’Évangile conduit l’homme à la vraie liberté et au véritable amour auxquel il aspire : « L’Église offre aux hommes l’Évangile, document prophétique qui répond aux exigences et aux aspirations du cœur humain : il est toujours “Bonne Nouvelle”. L’Église ne peut se dispenser de proclamer que Jésus est venu révéler le visage de Dieu et mériter, par la Croix et la Résurrection, le salut pour tous les hommes. À la question pourquoi la mission ?, nous répondons, grâce à la foi et à l’expérience de l’Église, que la véritable libération, est de s’ouvrir à l’amour du Christ. En lui, et en lui seulement, nous sommes libérés de toute aliénation et de tout égarement, de la soumission au pouvoir du péché et de la mort. Le Christ est véritablement notre paix (Ep 2, 14), et l’amour du Christ nous presse(2 Co 5, 14), donnant à notre vie son sens et sa joie. La mission est un problème de foi ; elle est précisément la mesure de notre foi en Jésus-Christ et en son amour pour nous. Aujourd’hui, la tentation existe de réduire le christianisme à une sagesse purement humaine, en quelque sorte une science pour bien vivre. En un monde fortement sécularisé, est apparue une sécularisation progressive du salut ; on se bat pour l’homme, certes, mais pour un homme mutilé, ramené à sa seule dimension horizontale. Nous savons au contraire que Jésus est venu apporter le salut intégral qui saisit tout l’homme et tous les hommes, en les ouvrant à la perspective merveilleuse de la filiation divine » (7 décembre 1990, n°?11).

Le jour du bonheur

Conscient du danger qu’il court, le Père de Britto fait ses adieux aux chrétiens et les invite à se cacher : « Ce que Dieu exige de moi, il ne le demande pas de vous », affirme-t-il. Dès le 8 janvier, il est arrêté : lorsque les soldats s’approchent, il se présente à eux pour permettre aux chrétiens qui l’entourent de s’enfuir ; un brahmane devenu chrétien et deux catéchistes sont pris avec lui. Il est battu et sommé d’invoquer Shiva ; mais il invoque Jésus. Une nuit, un catéchiste, de stature imposante, qui n’a pas été pris, se présente à lui pour le délivrer. Le Père refuse : « Laissons faire la Providence ! » Le lendemain, il est emmené pour un voyage de trois ou quatre jours qui le conduit à Ramnad, où il se retrouve avec six autres chrétiens. Le Père a pu conserver son bréviaire ; il en tire chaque jour, pour ses compagnons, le récit de la vie d’un martyr. Il écrit aussi à ses amis français de Pondichéry et à ses supérieurs jésuites pour les prier de ne pas intervenir en sa faveur, sachant combien son témoignage jusqu’au sang sera précieux pour les néophytes toujours soumis à la persécution. Il est condamné à mort secrètement le 28 janvier, mais les autorités annoncent qu’il sera exilé, par crainte d’une émeute populaire car les chrétiens sont très nombreux en ce lieu. Deux jours plus tard, il est transféré à Oriyur, avec quelques chrétiens fidèles. Là, il écrit ses dernières lettres. Le prince gouverneur du lieu est malade : il demande à son prisonnier de le guérir, en échange de la vie sauve. Le missionnaire lui parle d’une autre guérison, la guérison morale et spirituelle, mais le prince refuse de comprendre et ordonne son exécution. Le Père écrit à son ami, le Père Jean da Costa, une dernière lettre pleine de foi, d’humilité et d’espérance : « J’ai été amené à Oriyur pour y être décapité : j’ai beaucoup souffert dans le trajet, mais j’ai pu enfin arriver. Présenté au tribunal, j’y ai subi un long interrogatoire sur la foi, que j’ai confessée. De là, on m’a de nouveau conduit en prison, où j’attends maintenant le jour du bonheur. Mais pour l’obtenir j’ai besoin de vos prières. La joie du Seigneur abonde dans mon cœur et soutient mes forces. Je suis environné de gardes, je ne puis vous en dire davantage. Adieu, mon cher Père. Veuillez communiquer cette lettre à tous nos Pères. Votre serviteur et ami en Jésus-Christ, Jean de Britto. »

Le nouvel apôtre des Indes est décapité le 4 février 1693, mercredi des cendres. Le soldat qui l’a exécuté, et que le Père a auparavant embrassé, se convertira et recevra le Baptême avec de grandes foules de ce pays. Béatifié le 21 août 1853 par le bienheureux Pie IX, Jean de Britto a été canonisé par Pie XII le 22 juin 1947 : sa mémoire liturgique est fixée au 4 février. Oriyur est devenu un lieu de pèlerinage très fréquenté par les chrétiens du Sud de l’Inde.

Comme en écho à la vie de saint Jean de Britto, le Pape François nous rappelle aujourd’hui encore que « plus Jésus occupe le centre de notre vie, plus il nous fait sortir de nous-mêmes, nous décentre et nous rend proches des autres. Ce dynamisme de l’amour est comme le mouvement du cœur… il se concentre pour rencontrer le Seigneur et s’ouvre immédiatement, sortant de lui-même par amour, pour rendre témoignage à Jésus et parler de Jésus, pour prêcher Jésus. Celui-ci nous donne lui-même l’exemple : il se retirait pour prier le Père et allait immédiatement à la rencontre de ceux qui ont faim et soif de Dieu, pour les guérir et les sauver » (Message du 5 juillet 2017, aux participants du premier symposium international sur la catéchèse, à Buenos Aires – 11-14 juillet 2017). Demandons à l’Esprit Saint de faire de nous de véritables témoins de Jésus-Christ.

Dom Antoine Marie osb

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Date de dernière mise à jour : 2018-08-30