Passioniste de Polynésie

Saint ROMAIN DE LYON

sépar saintsSaint ROMAIN DE LYON
Abbé, + 565

 

Saint Romain était frère de saint Lupicin, tous deux natifs du diocèse de Lyon. Ces deux grands saints, dès leur tendre jeunesse, se montrèrent amateurs de la piété. Lorsqu'ils furent parvenus en âge d'homme, après avoir passé leurs jeunes ans dans les études de sciences, leurs parents les voulurent obliger au mariage; mais ils firent voir que ce n'était pas leur dessein, mais bien de consacrer à Dieu leur service, leur vie et leur virginité. Toutefois, par l'importunité de leur père, Lupicin, craignant de l'offenser par quelque espèce de désobéissance, donna consentement au mariage, vivant toutefois avec sa femme comme s'il n'en eût point eu. Il n'y eut que Romain qui tint bon, et refusa constamment de se marier.

Après la mort de leurs père et mère, ces deux frères se voyant en pleine liberté, résolurent ensemble de choisir une façon de vivre plus austère et plus sainte. Pour accomplir leur dessein, ils s'en allèrent ensemble en un désert qui est entre l'Allemagne et la Bourgogne, proche de la ville d'Avançon, et firent là leur demeure, menant une vie grandement austère. Ils ne vivaient que de racines, ils n'avoient point d'autre lit que la terre, passant les jours entiers et une bonne partie de la nuit à prier et à louer Dieu. Mais ils n'y furent pas longtemps en paix : le diable, ennemi du genre humain, s'opposa incontinent au cours d'une vie si tranquille et si divine, leur dressant des embûches afin de les troubler en leur piété ; si bien que toutes les fois qu'ils commençaient à chanter, ils étaient accablés d'une grêle de pierres, que le diable avec ses suppôts leur jetait; jusque-là que bien souvent ils demeuraient dangereusement blessés.

Ces pauvres jeunes hommes étaient en effet bien étonnés, n'étant pas encore accoutumés à combattre contre de tels ennemis ; de sorte que le peu d'expérience qu'ils avoient de la vie solitaire, étant encore de jeunes soldats peu aguerris dans la milice spirituelle, et la connaissance qu'ils avoient des forces et de la méchanceté de leur ennemi, fit que l'appréhension les saisit, et qu'ils se résolurent de quitter le désert, et de s'en retourner dans le pays en leur logis. Voyez, je vous prie, combien grande et puissante est l'envie du diable.

Voilà donc que ces pauvres jeunes ermites abandonnent la solitude et s'acheminent pour retourner en leur pays. Étant par la campagne, et la nuit les obligeant de chercher gîte, une pauvre femme les relira chez elle; comme elle admirait leur habit, leurs visages sales, maigres, décharnés, sa curiosité la porta à s'informer de leur façon de vivre, et d'où ils venaient. Ils lui racontèrent, non sans honte et sans confusion, comment ils étaient entrés dans le désert, et l'occasion pour laquelle ils en étaient sortis. Il vous fallait courageusement combattre cet ennemi, leur dit-elle, tans craindre ses tromperies ni ses embûches, vous assurant qu'enfin vous en eussiez glorieusement triomphé. Car il est ennemi de ta sainteté, et craint que le genre humain ne monte glorieux d'où il a été honteusement chassé ; c'est pourquoi il s'oppose aux pieux desseins des plus saints personnages, et les attaque si furieusement et avec tant d'obstination; mais le plus souvent c'est à sa confusion, lors principalement que méprisant ses ruses on lui résiste constamment.

Cette réponse les rendit tons deux si confus, qu'ils commencèrent à s'accuser l'un l'autre d'une grande pusillanimité, avouant qu'ils avoient véritablement failli. Prenant donc chacun un bâton en la main, et s'armant du signe de la croix, ils retournèrent en leur ermitage, où les diables recommencèrent à les affliger plus que jamais; mais avec la grâce de Dieu, et après une longue et persévérante constance, ils demeurèrent les maîtres.

Cependant la renommée de ces saints ermites attira de toutes parts quantité de personnes qui les venaient visiter afin d'entendre leurs saintes remontrances, et d'être instruites en ce qui est des mystères de la foi catholique, et à la fin les prièrent de les admettre en leur compagnie. Ce fut pour cela que saint Lupicin, et saint Romain son frère, qui ne cherchaient que l'occasion d'honorer Dieu et d'être utiles au prochain, se résolurent de couper les bois qui étaient autour d'eux, et d'aplanir ce lieu-là pour y bâtir un monastère, afin d'y recevoir ceux qui viendraient vers eux. Ils s'y adonnaient à la piété, et s'entretenaient du travail de leurs mains. Peu de temps après, la compagnie s'augmentant, il leur fallut encore bâtir un autre monastère plus grand que le premier, et enfin un troisième plus grand et plus commode que les deux autres. Ainsi ces deux saints ne manquèrent pas de compagnie, visitant chacun à leur tour ces trois monastères, et exhortant les Frères de s'adonner à la pratique de la vertu. Toutefois Lupicin avait la surintendance sur tous en général, et faisait l'office d'abbé.

Il arriva qu'un jour la nécessité les pressait de si près, qu'il était bien empêché de trouver de quoi leur subvenir; mais Dieu y pourvut aussitôt par une découverte que Lupicin fit d'un trésor qui lui fut montré par une révélation divine, ayant été caché eu ce lieu il y avait longtemps, et par ce moyen il entretint toute la congrégation de tout ce qui était nécessaire.

C'est la vérité que la trop grande rigueur est aussi dangereuse que la trop grande douceur. Comme saint Lupicin faisait la visite selon que sa charge l'obligeait, ayant trouvé en un monastère un grand préparatif de cuisine avec diversité de ragoûts, étant fâché que des moines s'amusassent à de telles vanités, il prit tous les plats, tant de poissons que d'herbes, et tout ce qu'il rencontra, le renversa et mêla tout ensemble dans une grande chaudière qu'il fit bouillir sur le feu, et puis il dit : Que les Frères mangent maintenant de cette bouillie ; car il ne faut pas qu'ils se délicatent, et qu'ils s'adonnent à ce qui les peut divertir de l'office divin.Les Frères trouvèrent cela fort mauvais : douze desquels se dépitant sortirent et s'en allèrent dans les déserts, et renonçant à de telles austérités recherchaient l'occasion de donner carrière à leurs esprits.

Là-dessus saint Romain, frère de saint Lupicin, divinement averti de tout ce qui se passait, alla promptement trouver son frère lorsqu'il fut de retour en son monastère, le reprit assez aigrement de sa façon de gouverner, l'avertissant du départ de ces douze, et qu'il eût bien mieux valu qu'il ne fût point allé en ce lieu-là, puisqu'au lieu de les contenir dans le devoir, il les obligeait à se débaucher par sa trop grande rigueur. Et comme Lupicin lui répondit, que par ce moyen ce petit nombre, qui était comme de la paille dans un monastère, s'en étant allé au vent, et séparé d'avec le reste, les autres feraient leur salut plus en repos : saint Romain le laissant eut recours à l'oraison et aux larmes, priant la divine miséricorde d'éclairer ces pauvres dévoyés, qui allaient se perdre dans un abîme de péchés. Ce qu'il obtint, et ceux-ci touchés d'un saint repentir revinrent avec les autres, vivant plus saintement qu'auparavant; si bien que tous ces douze bâtirent chacun un monastère, qu'ils gouvernèrent saintement.

Saint Romain avait aussi la charge de visiter et de solliciter les malades, dont il s'acquittait très fidèlement, confirmant en la foi ceux qu'il reconnaissait n'être pas des plus termes. Et comme il allait selon son office visiter ceux d'un autre monastère, il arriva qu'étant surpris de la nuit il fut contraint d'entrer en une certaine maladrerie où il y avait neuf lépreux grandement difformes au visage. Ce saint homme, après leur avoir lavé les pieds, leur fit dresser un lit où ils couchèrent tous ensemble avec lui cette nuit-là. Pendant qu'ils étaient endormis, lui qui veillait en psalmodiant, en priant Dieu, toucha de sa main le côté de l'un de ces malades, qui fut aussitôt guéri : ce qu'il fit pareillement à un autre. Ceux-ci, étonnés et joyeux de se voir guéris, poussèrent les autres pour les éveiller, afin qu'ils priassent saint Romain de leur faire la même grâce, mais ils se trouvèrent aussi guéris. Le lendemain matin les voyant se porter bien, il en remercia Dieu, et les baisant tous l'un après l'autre, il prit congé d'eux, les exhortant d'avoir toujours l'honneur de Dieu en recommandation, et de s'adonner à la vertu.

Voici un fait remarquable. Saint Lupicin étant déjà vieux, et reconnaissant la nécessité de ses monastères, eut recours à Chilpéric, roi, fils de Clotaire, qui avait la Bourgogne pour sa part, afin d'être secouru de quelques charités. Comme il entrait à la porte du palais royal, le roi étant assis à table, voilà que sa chaise trembla sous lui, de quoi s'épouvantant: Un tremblement de terre, dit-il, vient d'être fait. Les assistants ayant répondu qu'ils n'en avoient rien aperçu : Allez, répartit-il, courez promptement à la porte, de peur que quelqu'un des ennemis de notre couronne ne s'y présente pour nous offenser, car ce n'est point en vain que mon siège a tremblé.

Ceux-ci coururent le plus diligemment qu'il leur fut possible, et trouvèrent Lupicin revêtu d'une robe fourrée, qu'ils amenèrent au roi. Le roi, voyant cet homme : « Qui es -tu, lui demanda-t-il, d'où viens-tu ? Qu’est-ce qui t'amène ici ? »

« Je suis, lui répondit Lupicin, pasteur des ouailles de Notre-Seigneur, lesquelles, bien qu'il leur donne ce qui est nécessaire pour la nourriture de l'âme, souvent toutefois ont besoin des nécessités corporelles; c'est pourquoi je viens supplier votre majesté de nous donner quelque chose pour les assister en leurs besoins. » Là-dessus le roi commanda qu'on leur donnât des champs et des vignes, de quoi le saint homme le remercia, et ne voulut pas les accepter, parce qu'il n'est pas séant, dit-il, que les moines s'agrandissent par les richesses du monde; il faut plutôt qu'ils recherchent le royaume de Dieu en l'humilité de cœur. Le roi, admirant la réponse du saint, commanda qu'on leur délivrât tous les ans trois cents mesures de froment, autant de vin, avec cent écus d'or pour les vêtir. On dit qu'ils jouissent encore maintenant de ce droit-là, qu'ils prennent sur le domaine du roi.

Enfin ces deux saints personnages étant parvenus à la vieillesse, rendirent le devoir à la nature pour jouir de la gloire immortelle. Mais comme saint Lupicin demandait à saint Romain en quel monastère il désirait être enseveli, il répondit : « Vous savez, mon frère, que Dieu m'a donné cette faveur (quoique très indigne) de guérir ceux qui sont malades, et que plusieurs ont reçu le soulagement en leurs maladies par l'imposition de mes mains et par le signe de la croix; c'est pourquoi je ne dois point être enseveli en un lieu où l'entrée soit défendue aux femmes, afin de ne les point priver de cette faveur. » Pour cette considération on l'enterra hors du monastère, en une petite montagne, le 28 de février, où depuis son sépulcre a été honoré d'une belle église, Dieu l'ayant rendu célèbre par plusieurs grands miracles. Pour saint Lupicin, il fut enterré dans l'église du monastère, après avoir fait multiplier le talent du Seigneur, ayant laissé après soi un grand nombre de bons et saints religieux qui servent honorablement sa divine bonté.

Bcda, Usuard, Adon, et le Martyrologe romain font mention de saint Romain, et disent qu'il fut le premier qui introduisit en ce pays-là la vie d'ermite. Grégoire de Tours nous a laissé sa-vie par écrit, et nous l'avons suivi. Il est fait encore mention de lui, comme aussi de saint Lupicin, en la Vie de saint Eugende, recueillie par Surius le 2 janvier. Il vivait du temps de Chilpéric, roi de France, environ l'an 565. L'Église fait mémoire de saint Lupicin, son frère, le 21 de mars.

Nous pouvons apprendre, à l'exemple de saint Romain, qui ne voulut point se marier, à faire grand état de la virginité, à résister constamment aux tentations du diable, qui en ce faisant demeure vaincu; à ne nous montrer pas trop sévères envers ceux que nous avons en notre gouvernement, d'autant que nous nousrendons odieux à plusieurs, qui quelquefois, pour cette seule considération, se fâchent et se précipitent en une infinité de malheurs, d'où il est bien difficile de les retirer ; à mépriser les richesses temporelles et à nous contenter d'avoir nos nécessités, qui est une belle leçon pour toutes sortes d'ecclésiastiques. Que si nous imitons bien ces saints, nous nous rendrons capables des mêmes grâces que Dieu leur a faites.

Pedro de Ribadeneyra : Les vies des saints et fêtes de toute l'année, Volume 2 ; traduction : Timoléon Vassel de Fautereau.

 http://nouvl.evangelisation.free.fr/romain_de_lyon.html

 

Date de dernière mise à jour : 2021-07-04