Passioniste de Polynésie

Mémoire et repentance (2000)

3729712870.jpgCommission théologique internationale

Intervention du cardinal Joseph Ratzinger à la conférence de presse pour la présentation de " Mémoire et repentance "

La demande de pardon par l’Église s’inscrit dans la continuité de son histoire et dans sa liturgie

Lors de la conférence de presse du 7 mars 2000 présentant le document de la Commission théologique internationale (C.T.I), après le cardinal Roger Etchegaray, est intervenu le cardinal Joseph Ratzinger, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi et président de la C.T.I. La transcription de son exposé a été publiée dans l’Osservatore Romano car le cardinal Ratzinger n’avait pas rédigé de texte écrit. En voici la traduction (*) :

MESDAMES ET MESSIEURS,

Je vous prie de bien vouloir m’excuser de ne pas avoir pu préparer un texte écrit ; les engagements de ces dernières semaines ont été tels que cela m’a été impossible ; j’essaierai néanmoins d’être bref et du reste tout ce qui me tient à coeur a déjà été dit de façon admirable par le cardinal Etchegaray.

Pour présenter ce document de la Commission théologique internationale (DC 2000, n. 2222, p. 271-291 NDLR) il serait peut être utile de présenter avant tout l’auteur. L’auteur est la Commission théologique internationale, fondée en 1969 par le Pape Paul VI, suite à la proposition du Synode des évêques qui avait exprimé le désir que la collaboration entre le Magistère et les théologiens du monde, si féconde durant le Concile, soit quelque peu institutionalisée et, poursuivie aussi à l’avenir, et, comme un instrument de cette collaboration permanente, de cette attention réciproque entre le Magistère et les théologiens du monde, cette Commission a été créée. Elle est composée de trente membres, proposés par les différentes Conférences épiscopales, qui sont nommés par le Pape pour un mandat de cinq ans et qui peuvent être renommés pour un autre mandat. Actuellement, nous en sommes au sixième mandat quinquennal de cette Commission qui réunit des théologiens de toutes les parties du monde, des théologiens qui jouissent de la confiance de leurs évêques et reflètent ainsi un peu la communauté théologique internationale, sa pensée à un moment donné ; cette Commission est libre dans sa recherche. Elle est présidée par le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, en tant que modérateur, qui doit surtout faire respecter les règles et la liberté de recherche de cette Commission qui choisit en toute liberté les thèmes à étudier. Il existe aussi une autre possibilité, à savoir que des organismes du Saint-Siège ou bien les épiscopats l’invitent à étudier un thème précis qui semble important pour le Magistère. Dans le cas précis, les théologiens, connaissant cette intention du Saint-Père de procéder à un acte public de demande de pardon de l’Église pour les péchés d’hier et d’aujourd’hui, ont éprouvé le besoin de réfléchir sur la signification théologique de ce geste. En réalité, la " nouveauté " de ce geste a été soulignée. Les théologiens ont d’autant plus senti le besoin d’en connaître ses racines dans l’histoire, de connaître ses précédents, comment pouvait apparaître l’idée d’un tel geste, quelle place il trouve dans l’histoire et dans la réalité de l’Église. Maintenant, je ne voudrais pas entrer dans le détail de ce document. Le P. Cottier vous en parlera.

Trois modèles d’un semblable geste de repentance

Mais je peux vous exposer mes réflexions personnelles à l’occasion de ma participation aux travaux, aux discussions des théologiens. Il m’est apparu, et je me sens confirmé par le travail des théologiens, que le geste du Pape, dans la forme qui sera présentée aujourd’hui, est nouveau mais qu’il s’inscrit profondément dans la continuité de l’histoire de l’Église, avec la conscience qu’elle a d’elle-même, avec sa réponse à l’initiative de Dieu. J’ai trouvé, d’autres trouveront d’autres modèles, trois figures, pour ainsi dire, d’un geste semblable, qui appartiennent essentiellement et depuis toujours à la vie de l’Église. Dans les journaux, on parle à juste titre du mea culpa du Pape au nom de l’Église et on cite ainsi une prière liturgique, le Confiteor, qui introduit chaque jour à la célébration de la liturgie. Le prêtre, le Pape, les laïcs, tous, personnellement, et tous ensemble, confessent devant Dieu, et en présence des frères et des soeurs, qu’ils ont péché, qu’ils ont commis des fautes, même une très grande faute. Deux aspects de ce début de la sainte liturgie me semblent importants. Tout d’abord on parle du " je " ; mais en même temps ce sont tous les membres qui avec leur " je " disent " j’ai péché ", c’est-à-dire toute l’Église vivante, dans ses membres vivants, dit ceci : " j’ai péché ". Dans cette communion de " la confession " on exprime une image de l’Église : celle indiquée par le Concile Vatican II dans la Constitution Lumen gentium : " L’Église... à la fois sainte et appelée à se purifier, poursuit constamment son effort de pénitence et de renouvellement " (LG, 8), elle est en même temps sainte et a besoin pour être sainte, de purification et d’avancer sans cesse sur la voie de la pénitence, qui est toujours son chemin, et elle trouve ansi le renouveau, toujours nécessaire. Cette image de l’Église formulée par Vatican II, mais réalisée chaque jour dans la liturgie de l’Église, reflète elle-même cette parabole de l’Évangile, la parabole de l’ivraie et du bon grain dans le champ, la parabole du filet qui rassemble des poissons en tout genre, bons et mauvais. Dans l’histoire de l’Église, l’Église a toujours retrouvé dans cette parabole sa réalité. Ainsi, elle se défend contre la prétention de n’être qu’une Église sainte. L’Église du Seigneur, qui est venu chercher les pécheurs et a mangé volontairement à la table des pécheurs, ne peut pas être une Église hors de la réalité du péché, mais une Église dans laquelle il y a de l’ivraie et du bon grain, où il y a des poissons de toute espèce. Pour résumer cette première figure, je dirais que trois choses sont importantes : le je, confesse mais en communion avec les autres, et en connaissant cette communion, il se confesse devant Dieu, mais prie les frères et soeurs de prier pour lui, c’est-à-dire, cherche en cette confession commune devant Dieu, la commune réconciliation.

Le second modèle, se sont les psaumes pénitentiels, surtout ceux où Israël, avec la profondeur de sa souffrance, de sa misère, confesse les péchés de son histoire, confesse les péchés de ses Pères, sa rébellion permanente depuis les débuts de l’histoire jusqu’au moment actuel. En ce sens, ces psaumes ressemblent un peu à ce " mea culpa " prévu pour dimanche prochain, c’est-à-dire que l’on parle des péchés qui ont été commis dans le passé, d’une histoire du péché. Mais, quand il prie ainsi, Israël ne le fait pas pour condamner les autres, ses pères, mais pour reconnaître, dans l’histoire des péchés, sa propre situation et se préparer à la conversion et au pardon. Les chrétiens ont toujours prié ces psaumes avec Israël et ils ont ainsi renouvelé cette même conscience, c’est-à-dire que notre histoire est une histoire semblable à celle qu’indiquent les psaumes, une histoire de rébellions, de péchés, de déficiences, et nous aussi nous confessons cela non pas pour condamner les autres, pour nous ériger en tribunal des autres, mais pour nous connaître nous-mêmes et nous ouvrir à la purification de la mémoire et à un vrai renouveau de notre part. On pourrait énumérer de nombreux exemples de cette réalité dans l’histoire de l’Église. Je n’en citerai qu’un seul : Maxime le Confesseur au VIIe siècle, qui applique toutes ces auto-accusations de l’Ancien Testament au christianisme : Jérémie parle de nous, et il le cite ; Moïse parle de nous ; Michée parle de nous. Puis il en vient à l’Évangile, à ces fortes discussions du Seigneur avec les juifs, et il dit : " Nous sommes pires que ces juifs que le Christ blâme ", et il continue : " Pouvons-nous nous appeler chrétiens nous qui n’avons rien du Christ en nous ? Au lieu d’être un temple du Christ, nous sommes un marché, une caverne de voleurs ". Et il termine cette partie de ce livre ascétique par ces mots : " Un pieux exercice fait sans amour n’a rien à voir avec Dieu ".

La troisième figure, ce sont pour moi les avertissements prophétiques de l’Apocalypse adressés aux sept Églises, avertissements qui veulent dès le début être des modèles de l’avertissement prophétique nécessaire en tous les temps pour les Églises locales comme pour l’Église universelle. C’est aussi ce type de reproche prophétique qu’est notre conscience d’être pécheurs et cela revient aussi dans l’histoire de l’Église. Nous pourrions penser à ces paroles du Pape Adrien VI, citées dans le document (1, 1) ; nous pouvons penser, pour être plus proche du moment actuel, au livre " Les cinq plaies de l’Église " de Rosmini. Ou nous pourrions citer, ici en Italie, un auteur classique : pensez au " Purgatoire ", au chant 33e semble-t-il, de Dante, où il montre comment dans le char de l’Église est présent une sorte d’Antéchrist ; comment, par l’alliance avec l’Empire, avec le pouvoir politique, à commencer par la donation de Constantin, l’Église porte aussi en elle son contraire et est ainsi toujours entravée, tachée dans son chemin.

Maintenant, après avoir vu qu’il existe une histoire permanente du " mea culpa " dans l’Église, on peut se demander - je me suis posé cette question - pourquoi cette surprise, qu’y a-t-il de nouveau ? Je ne sais pas si j’ai raison de faire les réflexions suivantes ; mon impression, qu’il faudra certainement corriger, a été la suivante : quelque chose a changé au début de l’époque moderne, quand le protestantisme a créé une nouvelle historiographie de l’Église dans le but de montrer que l’Église catholique est non seulement souillée par les péchés, comme elle l’a toujours su et dit, mais qu’elle est totalement corrompue et détruite, qu’elle n’est plus l’Église du Christ mais au contraire qu’elle est un instrument de l’Antéchrist. Donc, totalement corrompue, elle n’est plus une Église mais l’anti-Église. À ce moment, quelque chose a changé, comme on le voit, et, nécessairement est née une historiographie catholique opposée à la précédente, pour montrer que, malgré les péchés indéniables, qui étaient trop évidents, l’Église catholique demeure cependant l’Église du Christ, qu’elle est toujours l’Église des Saints et l’Église sainte. À ce moment de l’opposition entre ces deux historiographies, où l’historiographie catholique se voyait contrainte à l’apologétique, qui a montré que la sainteté est restée dans l’Église, naturellement on atténue la confession des péchés de l’Église. La situation s’aggrave avec les accusations des Lumières, pensons à Voltaire (" Écrasez l’Infâme ") et à la croissance de ces accusations jusqu’à Nietzsche, où l’Église non seulement apparaît comme anti-Église mais comme le grand mal de l’humanité, qui porte en lui toute la culpabilité, qui détruit et empêche le progrès ; alors les vrais péchés de l’Église sont grossis pour en faire de véritables mythologies, de sorte que toute l’histoire des Croisades, de l’Inquisition, de la sorcellerie, devient une vision univoque du caractère absolument négatif de l’Église et cela d’autant plus que l’Église se sent contrainte de montrer que, malgré des éléments négatifs comme ceux-ci, elle est toujours l’instrument du salut et du bien, et non pas l’instrument de la destruction de l’humanité. Nous sommes aujourd’hui dans une situation nouvelle dans laquelle, avec une plus grande liberté, l’Église peut revenir à la confession des péchés et également inviter les autres à faire une confession, et donc inviter à une profonde réconciliation. Nous avons vu les grandes destructions opérées par les athéismes qui ont créé une situation nouvelle d’anti-humanisme et de destruction de l’humain. Dans cette situation surgit une question nouvelle : " Où sommes-nous ? Qu’est-ce qui nous sauve ? ". Il me semble que nous pouvons avec une humilité, une franchise et une confiance nouvelles confesser les péchés et également reconnaître la grandeur du don de Dieu.

Les critères de compréhension

Pour finir, je voudrais résumer les critères que je vois et qui coïncident, comme je l’ai déjà dit, avec ceux qu’a indiqués le cardinal Etchegaray. J’en vois trois. Le premier - même si dans le mea culpa sont nécessairement impliqués les péchés du passé, parce que sans les péchés du passé, nous ne pouvons pas comprendre la situation d’aujourd’hui -, l’Église du présent ne peut pas se constituer en tribunal qui condamne les générations passées. L’Église ne peut pas et ne doit pas vivre avec arrogance dans le présent, se sentir exempte du péché et identifier comme source du mal les péchés des autres, les péchés du passé. La confession des péchés des autres n’enlève pas notre devoir de reconnaître les péchés du présent, elle sert à réveiller notre conscience et à ouvrir, pour nous tous, la route de la conversion.

Second critère : confesser, cela signifie, selon saint Augustin, " faire la vérité ", et implique donc surtout la discipline et l’humilité de la vérité. Cela implique de ne nier en aucune manière le mal commis dans l’Église, mais aussi de ne pas s’attribuer par une fausse humilité des péchés qui n’ont pas été commis, ou bien ceux pour lesquels il n’existe pas encore de certitude historique.

Troisième critère : suivant encore une fois saint Augustin, nous devons dire qu’une " confessio peccati " chrétienne s’accompagnera toujours d’une " confessio laudis ". Dans un sincère examen de conscience, nous voyons que, pour notre part, nous avons fait beaucoup de mal, comme cela s’est produit au cours de toute les générations, mais nous voyons aussi que Dieu purifie et renouvelle toujours l’Église, malgré nos péchés, et fait ainsi de grandes choses en se servant de vases d’argile. Et qui ne pourrait voir, par exemple, quel grand bien a été réalisé au cours de ces deux derniers siècles dévastés par la cruauté des athéismes, des biens faits par de nouvelles congrégations religieuses, par des mouvements laïcs dans le secteur de l’éducation, dans le secteur social, dans le secteur de l’engagement pour les faibles, les malades, ceux qui souffrent, les pauvres. Ce serait un manque de sincérité de ne voir que notre mal et de ne pas voir le bien fait par Dieu par l’intermédiaire des croyants, malgré leurs péchés. Les Pères de l’Église ont trouvé un résumé du paradoxe que sont la faute et la grâce dans la parole de l’Épouse du Cantique des Cantiques : " Nigra sum sed formosa " - " je suis souillée par les péchés, mais belle ", belle malgré tout, par ta grâce et par tout ce que tu as fait. L’Église peut franchement, et avec confiance, confesser les péchés du passé et du présent, en sachant que le mal ne la détruira jamais complètement, en sachant que le Seigneur est plus fort et qu’il la renouvelle, pour qu’elle soit un instrument des bienfaits de Dieu dans notre monde. Merci

 

(*) Texte en italien dans l’Osservatore Romano du 9 mars. Traduction, titre et sous-titres de la DC.

La documentation catholique N° 2223 du 2/04/2000 - Document - page 326 - 2471 mots.

Date de dernière mise à jour : 2017-03-30