Passioniste de Polynésie

ENSEIGNEMENT 5 : La souffrance 

poter-la-croix.jpgIntroduction

Aborder le thème de la souffrance, n’est pas chose aisée. La réalité de la souffrance en est une tellement délicate et difficile à expliquer, voire à justifier. 
La souffrance est quasiment inséparable de l’existence terrestre de l’homme. Tout homme en fait l’expérience. Personne ne peut se targuer d’y avoir échappé. Tous, nous avons déjà souffert, tous, nous aurons encore à souffrir. Et cela quelque soit le lieu, l’époque, l’âge ou la situation sociale. 
Que nous le voulions ou non, la souffrance, quelque soit sa forme, fait partie de notre existence. Elle est à la fois la mieux partagée, car elle touche tout le monde, et aussi la moins bien partagée, tant chaque individu est seul face à elle pour l’assumer intérieurement. Mais quel sens pouvons-nous lui donner ?  Faut-il se contenter de la subir ? Se révolter ou la transcender ? Peut-on lui trouver une utilité ? Et si oui, laquelle ?

Autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre à travers cet exposé. Bien évidemment, nous le ferons selon l’approche chrétienne. 
Finalement, la véritable question à se poser selon cette approche : quel est le sens chrétien de la souffrance ? ou du moins, quel regard le chrétien est-il invité à poser sur la souffrance ? 

Dans un premier temps nous tenterons de remonter aux fondements mêmes de l’existence de la souffrance : a-t-elle une origine, ou bien est-elle inhérente à la Création ? En d’autres termes, la souffrance est-elle partie intégrante de l’œuvre créatrice, ou bien est-elle survenue « accidentellement » dans la création ?
Dans un second temps, nous aborderons le sujet de la souffrance du Christ : comment l’a-t-il assumé, vécue ? Quel est le sens radicalement nouveau qu’il lui a donné ?
De cette seconde étape de notre réflexion, découlera la réponse à notre problématique énoncée plus haut:
Quel est le sens chrétien de la souffrance ? 

I.    La souffrance : inhérence ou contingence ?

Voilà deux termes savants qui méritent d’être brièvement expliqués avant d’aller plus loin dans notre réflexion :
Est inhérent, ce qui est partie intégrante d’un ensemble ; tellement intégrante qu’elle ne peut en être dissociée. L’un n’existe pas sans l’autre. Le fait inhérent fait partie de l’ensemble dès sa création.
Est contingent ce qui intervient « accidentellement » dans l’ensemble (ce n’était pas prévu), et qui ne lui est pas nécessaire. On pourrait aussi dire que l’ensemble, à l’origine existe sans le fait contingent. 

Pour le sujet qui nous concerne, nous pourrions l’exprimer de cette manière : la souffrance est-elle inhérente ou contingente à la Création ? Fait-elle partie intégrante de l’œuvre créatrice, ou bien est-elle survenue de manière imprévue dans celle-ci ? En d’autres mots : la souffrance faisait-elle partie du projet du Créateur ou non ? Dieu a-t-il créé la souffrance ou non ?

Finalement, dans cette première partie nous sommes à nous poser la question de l’origine même de la souffrance.
Si nous voulons répondre à cette question il est indispensable d’aller voir ce qu’il en était à l’origine même de la Création de Dieu. Pour se faire plongeons un moment dans le livre de la genèse.

a)    La Création dans le plan de Dieu
Nous croyons que Dieu est à l‘origine de tout l’univers créé, visible et invisible. Il est le Créateur de toute chose.
Je nous réfère ici au récit de la création dans le livre de la Genèse, aux chapitres 1 et 2. Ce récit n’est bien sûr pas historique mais symbolique. Il n’en reste pas moins qu’il nous livre de précieux éléments sur la réalité de la création.

Les chrétiens, nous croyons aussi que Dieu est parfait en tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait. Cela revient donc à dire qu’à son origine, l’œuvre créatrice est parfaite dans son ensemble.
S’il en est ainsi, comment donc justifier la question du mal et de la souffrance si présents dans la création ? Il y a ici une contradiction et une incohérence majeures : Comment un Dieu Bon et Parfait a-t-il pu créer un monde si imparfait ?

Saint Jean Paul II, dans une de ses lettres apostoliques, sur le thème de la souffrance, abordait cette question : 
 « Tant ne comprennent pas, et ils ont raison, que la souffrance fasse partie de la condition humaine. Si Dieu est Amour, pensent-ils, pourquoi permet-Il cela ? Le christianisme ne proclame-t-il pas que " l’existence est fondamentalement un bien " (SD, 7) que le Créateur est bon et que les créatures sont bonnes ? » 

Souvent nous entendons cette réflexion : « Si Dieu est Amour, comment peut-il permettre ou laisser faire tel évènement malheureux ou souffrant ? »
Quelqu’un dont je ne connais pas le nom disait ceci: « Je n'ai jamais pu imaginer que le Dieu qui m'a créé ait voulu pour moi la souffrance. S'Il est venu pour nous sauver ce n'est pas pour nous voir souffrir. Je crois me souvenir que dans la Genèse, on dit que le septième jour Dieu vit que tout cela était bien. Je ne peux donc en conclure comme d'autres que le monde créé n'était pas parfait à son origine »

Eh oui voilà bien le nœud du problème de la souffrance ! Il était parfait à son origine, mais quelque chose est venu perturber cet ordre parfait ! 
Oui la création était parfaitement ordonnée à son origine, nulle trace de catastrophes, ni de maladies, ni de haine, ni d’aucune sorte de souffrance en elle. Alors que s’est-il passé ?  Il suffit de revenir au texte de la Genèse pour découvrir la réponse.

Cf Ge 3, 1-24

C’est le récit de l’irruption du péché originel commis par Adam et Eve. Voilà donc ce qui est l’origine de l’irruption du mal et de la souffrance dans l’œuvre originellement parfaite de la Création de Dieu.
Nous avons donc notre réponse : la souffrance n’est pas inhérente à la Création, mais bien contingente. Elle n’est pas du fait de Dieu, mais bien celui du Mal, qui, par le péché originel, est venu « désordonner » ce qui était si parfaitement ordonné.

Monseigneur André Léonard (évêque émérite de Maline-Bruxelles) écrivait ceci dans son livre Les raisons de croire : 
« Nous concluons donc à la radicale contingence du mal. Mais alors, si le mal est ce qui n’aurait pas dû être et pouvait ne pas être, nous pouvons espérer sa disparition et entrevoir la « fin » où il ne sera plus. Et symétriquement, nous pouvons comprendre qu’il n’a pas toujours infecté la condition humaine et sommes autorisés à penser l’« origine » où il n’était pas encore pour imaginer l’après».

La souffrance est donc la conséquence du Mal ayant fait irruption dans la Création depuis la faute originelle. 

En fait, explique Jean-Paul II, ce n’est pas la création qui entraîne la souffrance, « l’homme souffre à cause du mal qui est un certain manque, une limitation ou une altération du bien. L’homme souffre, pourrait-on dire, en raison du bien auquel il ne participe pas, dont il est, en un sens, dépossédé ou dont il s’est privé lui-même » (SD, 7).

b)    Les répercutions cosmiques du péché originel
Toujours dans la vision hypothétique de Mgr André Léonard, le péché originel aurait entraîné le cosmos tout entier, originellement créé parfaitement harmonieux, dans une déchéance ayant fait basculer la création dans son ensemble.

« On peut tout d’abord penser la création comme étant, à l’origine, préternaturelle, c’est à dire comme n’étant ni le monde présent assujetti à la vanité, ni les cieux nouveaux et la terre nouvelle de la résurrection, mais justement le monde paradisiaque de l’harmonie originelle. Cette création préternaturelle peut-être conçue comme un cosmos complet...
La conséquence du péché d’Adam, c’est alors précisément que l’ensemble de l’univers préternaturel déchoit et devient, depuis le big-bang initial jusqu’à aujourd’hui, cet univers tel que nous le connaissons, livré à l’irréversibilité du temps et aux lois de vie et de mort de la nature abandonnée à ses propres ressources. Séduit par l’orgueil de Satan et de ses anges rebelles, Adam a voulu la fausse autonomie qui le libérerait de Dieu son créateur. Il obtient ce qu’il a voulu et expérimente combien cette fausse indépendance le condamne à un universel asservissement au point que, créé par Dieu comme esprit incarné dans le monde préternaturel, il se retrouve maintenant comme un pauvre « animal raisonnable » issu de l’évolution biologique et livré à une nature nourricière, certes, où demeure un reflet de l’harmonie paradisiaque, mais si souvent indifférente, voire même hostile à son plus beau fleuron : l’homme[6].
    
En conclusion de cette première partie nous pouvons dire que la souffrance est contingente de la Création dans sa forme originelle, mais qu’elle est inhérente à la création déchue suite au péché d’Adam et Eve.

II.    La passion du Christ ou la souffrance rédemptrice

Le péché originel a entrainé la Création toute entière dans une déchéance irréversible et a dramatiquement, et tout aussi irréversiblement, coupé l’Homme du lien vital avec son Créateur. A jamais privé de la grâce originelle, le genre humain est désormais voué à la mort et les portes du Ciel lui sont définitivement fermées. Il ne peut plus se sauver lui-même !
Seule l’intervention divine pouvait nous délivrer de l’emprise de la mort et nous rendre l’héritage de la vie éternelle.
Heureusement pour nous Dieu, dans son infini Sagesse et Miséricorde avait tout planifié pour notre Salut.

Tout l’Ancien Testament fait état de ce Peuple, qui dans une interminable traversée du désert, espère et attend (à temps et à contretemps) la réalisation de la Promesse Divine faites aux patriarches : l’avènement d’un Messie (ou d’un Sauveur) qui le délivrera éternellement de l’emprise du Mal et de la Mort : c’est l’histoire de notre Salut !

a)  Dieu qui se fait Homme pour nous sauver
Lui de condition divine ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave et devenant semblable aux hommes. S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore ; obéissant jusqu’à la mort et à la mort sur une croix. Philippiens 2/6.8

Dans un langage théologique savant, l’irruption de Dieu dans notre condition d’homme, s’appelle la Kénose.
La Kénose exprime ce mouvement d’abaissement extrême à travers lequel, Dieu lui-même, en la Personne de son Fils unique, le Christ Jésus, renonce à tout ce qu’Il a de la Gloire du Ciel pour habiter, épouser, pleinement la condition humaine. Il a préféré être humain sans la gloire pour pouvoir associer tout le genre humain à sa propre Gloire.

En choisissant l’incarnation, le Christ choisit également d’assumer toutes les lois inhérentes à cette condition, à l’exception du péché. La souffrance et la mort font parties de ces lois et, librement, il les endosse. Il aurait pu y échapper, mais ce que le Nouveau Testament nos donne à contempler c’est cette liberté constante de Jésus qui aurait pu… mais qui par amour pour l’homme, et pour le sauver, est allé jusqu’au bout : la Kénose trouve son sommet dans la Passion du Christ et sa mort sur la croix.

b)  Le Christ ou le Nouvel Adam
Si nous voulons mieux comprendre cette réalité, il n’y a pas mieux que saint Paul. Laissons-lui donc la parole :

« C’est pourquoi, comme par un seul homme [Adam] le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et qu’ainsi la mort s’est étendue sur tous les hommes, parce que tous ont péché, […] Mais il n’en est pas du don gratuit comme de l’offense ; car, si par l’offense d’un seul il en est beaucoup qui sont morts, à plus forte raison la grâce de Dieu et le don de la grâce venant d’un seul homme, Jésus Christ, ont-ils été abondamment répandus sur beaucoup. […]
 Si par l’offense d’un seul la mort a régné par lui seul, à plus forte raison ceux qui reçoivent l’abondance de la grâce et du don de la justice régneront-ils dans la vie par Jésus Christ lui seul. Ainsi donc, comme par une seule offense la condamnation a atteint tous les hommes, de même par un seul acte de justice la justification qui donne la vie s’étend à tous les hommes. 
Car, comme par la désobéissance d’un seul homme beaucoup ont été rendus pécheurs, de même par l’obéissance d’un seul beaucoup seront rendus justes2. »
(Rm 5, 12-19)
Dans sa première lettre aux Corinthiens (Co 15, 45-49), il nous dit également ceci :
le premier homme, Adam devint un être vivant ; le dernier Adam, le Christ, est devenu l'être spirituel qui donne la vie. Ce qui vient d'abord, ce n'est pas le spirituel, mais le physique ; ensuite seulement vient le spirituel. Pétri d’argile, le premier homme vient de la terre ; le deuxième homme, lui, vient du ciel. Comme Adam est fait d’argile, ainsi les hommes sont faits d’argile ; comme le Christ est du ciel, ainsi les hommes seront du ciel. Et de même que nous nous aurons été à l'image de celui qui est fait d’argile, de même nous serons à l'image de celui qui vient du ciel.

c)  L’obéissance de Jésus
Ce que la désobéissance du premier Adam a détruit, celle du second Adam vient tout réparer.
Tout au long de sa vie Jésus a vécu dans l’obéissance au Père. Il écoutait le Père, dans la prière et lui obéissait et nous transmettait ce que le Père lui montrait. 
En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils de l’homme ne peut rien faire de lui-même, qu’il ne le voit faire au Père. Ce que fait le Père, le Fils le fait pareillement. Jean 5/19
Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m’a envoyé et de mener son œuvre à bonne fin.
Jean 4/34
Ainsi donc, toute la vie de Jésus s’inscrit dans la volonté du Père et elle s’inscrira ainsi jusqu'à sa mort, Jésus acceptant la coupe, c’est à dire la mort sur la croix, que le Père lui tend. 
 « Père si tu veux, éloigne de moi cette coupe, cependant que ce ne soit pas ma volonté mais la tienne qui se fasse. » Luc 22/42

d)  Le sacrifice d’amour de Jésus
Il ne faut jamais perdre de vue que Jésus est le Sauveur. Tout au long de sa vie publique il n’a eu de cesse de rappeler la raison même de sa venue sur la Terre et le sens de la mission qui était la sienne :

Moi, je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance. Je suis le bon pasteur, le bon pasteur donne sa vie pour ses brebis. 
(Jn 10, 10-11)  
Voici venue l’heure où doit être glorifié le Fils de l’homme. En vérité, en vérité, je vous le dis, si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il demeure seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit ; Et que dire : Père sauve moi de cette heure ? Mais c’est pour cela que je suis venu à cette heure ; Père Glorifie ton Nom ! Jean 12/24 et 27
(Jn 12/ 24 et 27))
Jésus, dès le début, marche résolument et librement vers la réalisation de sa mission. Et c’est sa Passion d’Amour pour l’homme qui le pousse a donner sa vie pour que celui-ci retrouve la Vie.
En effet, l’homme de par son état de péché se coupe de Dieu et donc de la vie éternelle qui est vie avec Dieu. Et depuis la faute originelle l’homme n’est plus en mesure de rien faire pour être sauvé. 
C’est pourquoi Dieu qui aime son peuple va envoyer son Fils Jésus, en sacrifice unique, en sacrifice suprême afin que l’homme reconnaissant ce sacrifice du Fils de Dieu puisse recevoir la vie éternelle. Le sacrifice de Jésus est un sacrifice d’amour. L’amour donne tout, Dieu nous a tout donné ! 

e)  La Passion du Christ ou la souffrance qui donne du sens à toutes nos souffrances 
Depuis le péché originel, l’homme est soumis à la loi de la mort. Sa désobéissance l’a condamné a une vie de dure labeur et de souffrances et la mort devient la seule issue, comme une sorte de fatalité. Alors que dans sa vie d’avant la faute il est doté du don de l’immortalité, désormais il devient un mortel. 

« A la femme, il dit : Je multiplierai les peines de tes grossesses, dans la peine tu enfanteras des fils. Ta convoitise te  poussera vers ton mari et lui dominera sur toi. A l'homme, il dit :  Parce que tu as écouté la voix de ta femme et que tu as mangé de l'arbre dont je t'avais interdit de manger, maudit soit le sol à cause de toi ! A force de peines tu en tireras subsistance tous les jours de ta vie. Il produira pour toi épines et chardons et tu mangeras l'herbe des champs.  A la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu'à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise. » 
(Ge 3, 16-19)
Or, si le péché originel a conduit à la fermeture définitive des portes du Paradis (l’homme n’a plus accès à Dieu et à la vie éternelle) et a ouvert pour l’homme un chemin de souffrances et de douleurs vers la fatalité de la mort, le Christ, en choisissant librement d’emprunter ce même chemin et en acceptant de traverser la mort, a réouvert la Porte du Ciel (du Cœur de Dieu) pour tout le genre humain. 
C’est en ce sens qu’il a donné un sens radicalement nouveau à la souffrance humaine (dans toutes ses formes) ?
Ce qui était de l’ordre de l’absurdité, de l’insensé (la souffrance) devient, avec la Passion/Mort et Résurrection du Christ, un chemin de rédemption et de Salut vers la Vie… Et la Vie éternelle.

C’est également en ce sens qu’il a vaincu la mort. Celle-ci était, depuis le péché originel, devenue l’aboutissement fatal pour tout le genre humain pécheur (Quelle absurdité quand on y pense !). Désormais, avec la mort et la Résurrection de Jésus, elle devient un passage, vers une vie complètement nouvelle, vers LA VIE !

La croix, elle-même, symbole de la mort la plus effroyable et la plus ignominieuse qui soit, devient, avec la Croix de Jésus, le symbole de la Victoire de la Vie sur la Mort. L’objet de torture devient le Signe glorieux de l’Amour de Dieu pour le genre humain.
Il y a juste Dieu qui pouvait, dans son infini Sagesse, accomplir un tel miracle ! 

III.    Le sens chrétien de la souffrance

Réalisons-nous bien que depuis la mort et la Résurrection de Jésus, rien n’est plus pareil. Ou plutôt, devrions-nous dire que TOUT est radicalement changé pour nous.
Jésus nous a restitué ce que la faute originelle nous avait fait perdre : l’accès à la vie éternelle. 

Il nous a réouvert définitivement les portes du Cœur de Dieu. Si avant lui, nous allions inéluctablement vers la mort, désormais, nous avançons en espérance vers la Terre Promise de la Jérusalem Céleste. Voilà toute l’espérance chrétienne dans toute sa splendeur 

Dans cette dernière partie de notre exposé, nous nous proposons de dégager quelques sens de la souffrance dans la perspective chrétienne. A vrai dire, nous en dégagerons cinq.

a)    Premier sens : Dans l’ordre de la conversion, la souffrance est une épreuve.
Il s’agit de la souffrance vécue par Job. Celui-ci n’est pas coupable. Sa souffrance est celle d’un innocent. Si le Seigneur consent à éprouver Job par la souffrance, c’est pour montrer la justice de ce dernier. Après avoir souffert, Job est plus fort dans sa fidélité à Dieu. Cela ne signifie pas forcément  que nos épreuves sont envoyées par Dieu pour nous convertir. Non, mais Celui-ci peut transformer en positif ce qui est négatif.

b)    Deuxième sens : Dans l’ordre de la conversion, la souffrance a une valeur éducative La souffrance nous introduit dans la pénitence qui a pour but de triompher du mal. Jean-Paul II y voit ici l’œuvre de la miséricorde divine. La souffrance, nous ouvre les yeux, nous éduque, nous amène à nous corriger. Ainsi, dans les souffrances infligées par Dieu au peuple élu est contenue une invitation de sa miséricorde qui châtie pour amener à la conversion : « Ces persécutions ont eu lieu non pour la ruine, mais pour la correction de notre peuple. » 2 (Matthieu 6,12.)

c)    Troisième sens : Dans l’ordre de la Rédemption, la souffrance elle-même est rédemptrice.
La Rédemption s’est faite par la Passion et par la Croix du Christ. Le Christ est venu s’unir à ce qu’il y a de plus répugnant dans la condition humaine : la souffrance et la mort.

  En faisant ce choix, le Christ a lié la souffrance à l’amour. Dès lors, la souffrance et la mort se trouvent revêtues d’une puissance surnaturelle. On peut dire qu’avec la Croix du Christ, toute souffrance humaine s’est trouvée dans une situation nouvelle. En opérant la Rédemption par la souffrance, le Christ a élevé en même temps la souffrance humaine jusqu’à lui donner valeur de Rédemption. Tout homme peut donc dans sa souffrance participer à la souffrance rédemptrice du Christ. La souffrance n’est plus quelque chose de vain, d’inutile. Nous pouvons l’offrir.

  Ce n’est pas que la Rédemption du Christ soit incomplète. Aucun homme ne peut lui ajouter quoi que ce soit. Mais cela signifie que le Christ a ouvert sa souffrance rédemptrice à toute souffrance de l’homme. Il a accompli la Rédemption totalement, mais Il l’ouvre constamment dans l’histoire de l’homme à toute souffrance humaine. D’où les paroles de l’apôtre : « Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son corps qui est l’Eglise » 1 Co 6, 13.

d)    Quatrième sens : Dans l’ordre du Royaume de Dieu, la souffrance est glorificatrice.
 St Luc écrit : « Il nous faut passer par bien des tribulations pour entrer dans le Royaume de Dieu » Actes 14,88. Et St Paul : « Nous sommes cohéritiers du Christ, puisque nous souffrons avec lui pour être aussi glorifiés avec lui. J’estime en effet que les souffrances du temps présent ne sont pas à comparer à la gloire qui doit se révéler en nous. » Rm 8,17-18. Et dans une autre lettre : « Car la légère tribulation d’un instant nous prépare jusqu’à l’excès une masse éternelle de gloire. » 2 Co 4, 17-18. Enfin St Pierre : « Dans la mesure où vous participez aux souffrances du Christ, réjouissez-vous, afin que, lors de la révélation de sa gloire, vous soyez aussi dans la joie et l’allégresse. » 1 P 4, 13. 

  Ainsi, la communion aux souffrances du Christ par nos propres souffrances est en même temps souffrance pour le Royaume de Dieu. Le Christ a choisi pour nous unir à Lui ce qui nous était le plus insupportable. Avec lui, mystérieusement, l’insupportable devient source de joie.

e)    Cinquième sens : toutes les souffrances humaines peuvent être pénétrées de la puissance de Dieu
Le Christ meurt cloué sur la croix. Mais si en même temps dans cette faiblesse s’accomplit son élévation, cela signifie que les faiblesses de toutes les souffrances humaines peuvent être pénétrées de la puissance de Dieu qui s’est manifestée dans la Croix du Christ. Dieu a confirmé qu’il veut agir spécialement au moyen de cette souffrance que sont en eux-mêmes la faiblesse et le dépouillement de l’homme, et que c’est précisément dans cette faiblesse et dans ce dépouillement qu’il veut manifester sa puissance. C’est pour cela que l’apôtre Paul peut dire : « Je me glorifierai surtout de mes faiblesses, afin que repose sur moi la puissance du Christ ». 2 Co 12,9 

  Notre faiblesse est ce qui nous amène à prendre conscience de nos limites et donc à renoncer à être seul à l’initiative de notre vie. 
  A travers les siècles et les générations humaines, on a constaté que dans la souffrance se cache une force particulière qui rapproche intérieurement l’homme du Christ, une grâce spéciale. C’est à elle que bien des saints doivent leur profonde conversion. Il faut aussi donner l’exemple des martyrs qui par leur sang ont bouleversé l’ordre du monde et des peuples qui ayant souffert témoignent d’une vitalité spirituelle particulière comme la Pologne ou l’Eglise de Corée. 

  Jean-Paul II le confirme ainsi : « le Christ, de par sa propre souffrance salvifique se trouve au plus profond de toute souffrance humaine et peut agir de l’intérieur par la puissance de son Esprit de Vérité, de son Esprit consolateur » (SD, 26). C’est pourquoi « la souffrance imprégnée de l’esprit de sacrifice du Christ est d’une manière irremplaçable la médiation et la source des bienfaits indispensables au salut du monde. Cette souffrance, plus que tout autre chose, ouvre le chemin à la grâce qui transforme les âmes. […] Les sources de la force divine jaillissent vraiment au cœur de la faiblesse humaine » (SD, 27). 

Conclusion

Si le chrétien ne craint pas la souffrance, s’il lui arrive d’être joyeux dans la souffrance, cela ne veut pas dire qu’il aime la souffrance. Sa joie vient seulement de ce qu’il sait que sa souffrance est communion à la Croix du Christ et qu’ainsi offerte, elle est source de bienfaits spirituels en ce monde et dans l’autre, pour lui-même et pour les autres, dans la communion des saints.

Dans un monde en but à tant de souffrances et d’absurdités ; dans un monde qui ne sait plus espérer, ou qui ne sait pas espérer ; dans un monde qui s’est trop détourné de Dieu et qui par conséquent perd dramatiquement tous ses repères et semble partir en vrille, les chrétiens que nous sommes avons une réponse à apporter…  Même si souvent elle ne semble pas être écoutée ou reçue. 
Dans ce monde-là précisément, nous avons le devoir et la responsabilité de rallumer l’espérance dans les cœurs ; cette même espérance de savoir et de croire que derrière l’apparence d’un monde sans autres avenir que l’absurdité de la mort, il y a une Vie Nouvelle qui s’offre à nous… Un monde nouveau qui grandit sous les cendres d’un monde ancien qui est en train de disparaitre.

 P Olivier Mondon 
Novembre 2020
 

Date de dernière mise à jour : 2020-11-18