DE LA VANITÉ DES IDOLES
1° Origine des dieux du Paganisme; — 2° Les augures ; — 3° Le Dieu véritable; — 4° Le Messie.
1° Les dieux qu’adore le vulgaire ne sont pas des dieux véritables: je vais le démontrer. Il est des rois qui laissèrent de grands souvenirs et qui, à cause de cela, furent honorés après leur mort. On leur éleva des temples, on leur dressa des statues pour conserver leurs traits; on finit par leur immoler des victimes et par instituer, en leur honneur, des jours de fête. Cet usage se transmit aux générations suivantes : ainsi ce qui n’avait été dans le principe qu’une consolation devint un culte. Confirmons cette vérité par des faits. Mélicerte et Leucothéa sont précipités dans la mer, et deviennent des divinités marines. Castor et Pollux meurent à tour de rôle pour revivre. Esculape est frappé de la foudre et se relève Dieu. Hercule, brûlé sur le mont OEtna, a droit aux honneurs divins. Apollon, avant d’habiter l’Olympe, a gardé les troupeaux d’Admète. Neptune bâtit les murs de Troie et, ouvrier malheureux, il ne reçut pas le prix de son travail. On visite dans la Crête l’antre de Jupiter ; on y montre son tombeau. Tout le monde sait qu’il chassa Saturne de son royaume : l’exilé vint chercher un asile sur le sol ita1ien, qui dut à cette aventure le nom de (39) Latium (De latere, cacher ). C’est lui qui enseigna à son nouveau peuple l’art de tracer des caractères et de graver une effigie sur des pièces de monnaie; de là le nom de Saturne donné au trésor public. Il s’occupa aussi de travaux champêtres; c’est pour cela qu’on le représente sous les traits d’un vieillard portant une faux.
Janus lui donna l’hospitalité: Janus qui a laissé son nom au Janicule et au premier mois de l’année. On le représente avec un double visage, parce que, placé entre l’année qui finit et celle qui commence, il semble les regarder toutes les deux.
Les Maures adorent aussi leurs rois. Ils ne prennent pas même la peine d’en déguiser le nom. Aussi le culte varie avec les provinces: tous ne reconnaissent pas le même dieu; chacun adore les siens, selon la tradition des ancêtres. Ces faits sont attestés par Alexandre le Grand dans la lettre qu’il écrivit à sa mère : effrayés par sa puissance, les prêtres lui livrèrent le secret de ces hommes devenus dieux; ils lui dirent que c’étaient des ancêtres et des rois dont le souvenir s’était conservé et à qui on avait ensuite offert un culte et des sacrifices.
Si autrefois il est né des dieux, pourquoi n’en voyons-nous plus paraître de nos jours? Jupiter serait-il trop vieux? Junon serait-elle stérile? Comment pourriez-vous croire que les dieux peuvent quelque chose pour les Romains quand ils n’ont pu défendre contre nos armes leurs propres adorateurs? — Mais les Romains ont aussi des divinités à leur service. C’est Romulus devenu dieu, grâce au parjure de Proculus; c’est Picus, Tibérinus, Pilumnus, Cousus, ce dieu de la. fraude, que Romulus, après l’enlèvement des Sabines, voulut qu’on invoquât comme le dieu des bons conseils. Tatius inventa la déesse des Cloaques et lui dressa des autels. Hostilius honora de la même manière la Crainte et la Pâleur. Bientôt après, la Fièvre fut placée au nombre des divinités, en compagnie des courtisanes Acca et Flora. Mais, quand il s’agit d’enrichir le vocabulaire céleste, (41) l’imagination des Romains va bien plus loin. Ils ont le dieu Viduus, qui rend l’âme veuve en la séparant du corps. Comme il est de sinistre présage, on ne lui permet pas d’habiter l’enceinte des villes; mais on le place dehors, on l’exile en quelque sorte, et le culte qu’on lui rend ressemble beaucoup plus à une condamnation qu’à un hommage. Ils ont le dieu Scansus, qui favorise ceux qui montent; Forculus qui préside aux portes, Limentinus aux seuils, Cardea aux gonds, et Suburbana à la triste séparation opérée par la mort.
Tels sont les dieux romains. Quant aux autres ils sont de provenances diverses: Mars nous vient de la Thrace; Jupiter de la Crète; Junon d’Argos, de Samos ou de Carthage; Diane de la Tauride; la mère des dieux du mont Ida. ,Je rie parle pas des divinités ou plutôt des monstres de l’Égypte. Certes, si ces dieux avaient eu la moindre puissance, ils auraient conservé le royaume de leurs adorateurs et leurs propres autels. Et pourtant, nous voyons â Rome les Pénates vaincus, qu’Énée emporta dans son exil. Nous voyons la Vénus chauve, beaucoup plus dégradée par la perte de ses cheveux que par la blessure que lui fit Diomède.
2° Qu’on ne dise pas que ces divinités donnent la puissance; la puissance, elle semble varier selon les lois d’un aveugle hasard. Dans l’antiquité, nous la voyons entre les mains des Assyriens, des Mèdes, des Perses, des Grecs, des Égyptiens. La marche des événements la transmit au Romains; mais vous ne sauriez, sans rougir, étudier l’origine de cet empire. Un peuple de scélérats et de vagabonds se retranche dans un asile et se multiplie par l’impunité. Romulus, son digne chef, inaugure son règne par un fratricide. Comme il faut des femmes à ses nouveaux sujets, il a recours à la guerre; ils trompent, ils enlèvent : on dirait des bêtes féroces. Pour eux, le mariage consiste à briser les liens de l’hospitalité et à porter les armes contre leurs beaux-pères.
Parmi les dignités romaines la première est le consulat (43) or, le consulat commence comme la royauté. Brutus tue ses fils pour rehausser par un forfait sa dignité nouvelle. Ce n’est donc ni la religion, ni les auspices, ni les augures qui ont produit l’accroissement de la puissance romaine; mais des circonstances heureuses qui changeront à leur tour. Certes Régulus consulta les auspices, et il mourut captif. Mancinus fut fidèle à la religion, et il passa sous le joug. Avant la bataille de Cannes, les poulets de Paul - Emile mangeaient de bon appétit, et il fut tué. César agit bien autrement : comme les augures et les auspices s’opposaient à ce qu’il fit partir sa flotte pour l’Afrique avant la fin de l’hiver, il s’en moqua et, après une navigation heureuse, il remporta la victoire.
3° Voici la raison de toutes ces erreurs qui, en obscurcissant la vérité, trompent et séduisent le vulgaire. Des esprits perfides errent dans les airs. Dépouillés de la vigueur céleste par leur contact avec la terre, il sont souillés de tous les vices d’ici-bas. Perdus eux-mêmes, ils ne cessent de perdre; dépravés, ils veulent inoculer leur dépravation. Les poètes les désignent sous le nom de génies, et Socrate disait qu’un de ces esprits était toujours à ses côtés pour l’éclairer et le diriger. De là vient la puissance des Mages pour les choses ridicules ou pernicieuses. Hostanès, le premier d’entre eux, dit qu’on ne peut pas voir la forme du Dieu véritable et que son trône est environné par des anges. Platon est d’accord avec lui : il reconnaît l’existence d’un seul Dieu et appelle les autres anges ou démons. Telle est aussi l’opinion d’Hermès Trismegistus: il enseigne l’existence d’un seul Dieu, que nous ne pouvons ni voir ni comprendre.
Or ces esprits se cachent sous les statues et sous les images consacrées; ils inspirent les devins, ils animent les entrailles des victimes, dirigent in vol des oiseaux, gouvernent les sorts, font parler les oracles, mêlent toujours l’erreur à la vérité; car, sujets eux-mêmes à l’erreur, ils trompent sans cesse. Ce sont eux qui altèrent l’existence, qui troublent le sommeil, qui se glissent inaperçus dans les corps et effrayent les âmes. Bien (45) plus, ils torturent les membres, débilitent la santé, amènent ta maladie, afin de s’attirer des adorateurs, de voir leurs autels chargés de présents et de s’engraisser de l’odeur des sacrifices; puis ils abandonnent leur victime et paraissent l’avoir guérie ils guérissent, en effet, quand ils cessent de nuire.
L’unique occupation de ces esprits mauvais consiste à éloigner les hommes de Dieu, à leur faire quitter la religion véritable pour se les attacher. Condamnés à un supplice éternel, ils cherchent à entraîner dans leur disgrâce ceux qu’ils ont déjà entraînés dans leur révolte. Cependant, lorsque nous leur commandons au nom du Dieu vivant, ils cèdent, ils, avouent leur faiblesse et se retirent des corps qu’ils obsédaient. On les voit, à notre voix, et par l’effet de nos exorcismes, cruellement tourmentés par une puissance mystérieuse; un feu secret les dévore et, sous 1’étreinte. de la douleur, ils s’agitent, ils poussent des cris, des gémissements, des supplications. Nous leur demandons d’où ils viennent q où ils vont; et ils;le disent en présence-de leurs adorateurs. ils sortent, ou tout d’un coup ou par degrés, du corps qu’ils torturaient, selon l’énergie de la foi du patient ou l’abondance de la grâce divine. C’est pour cela qu’ils excitent la haine du peuple contre le nom chrétien: ils veulent que les hommes nous haïssent avant de nous connaître, car s’ils nous connaissaient, loin de nous condamner, ils viendraient grossir nos rangs.
4° Un Dieu unique gouverne cet univers : la majesté et la puissance suprêmes ne peuvent appartenir qu’à un seul. Ce qui se passe sur la terre nous aidera à comprendre cette vérité. Le partage du pouvoir n’a-t-il pas toujours amené des discordes sanglantes? Nous voyons Etéocle et Polynice oublier les liens du sang qui les unissaient; la haine qu’ils s’étaient vouée les suit jusque dans la mort, elle se communique à leurs bûchers qui brûlent en se divisant. Rémus et Romulus, conçus par le même sein, se trouvent à l’étroit dans un seul royaume. Pompée et César étaient parents, mais l’ambition brisa ces liens (47) fragiles. Ne vous étonnez pas de trouver cette loi dans l’humanité alors qu’elle est dans toute la nature. Les abeilles n’ont qu’un roi, les troupeaux qu’un chef ou un guide. A plus forte raison faut-il qu’il n’y ait dans ce monde qu’un seul maître qui commande à toutes les créatures, règle les événements par sa sagesse et les accomplit par sa puissance. Ce Dieu ne peut être vu, son éclat le dérobe à nos regards; il ne peut être saisi, sa nature spirituelle échappe à notre main; il ne peut être compris, il est trop élevé au-dessus de notre intelligence. Pour nous en faire une juste idée, disons qu’il est inaccessible à notre raison.
Quel temple érigerons-nous à ce Dieu qui remplit l’univers? Enfermerons-nous tant de majesté dans un petit édifice, alors que l’homme habite une demeure plus grande? Non, c’est notre âme, c’est notre coeur qui doit lui servir de temple. Ne cherchez pas son nom, il s’appelle Dieu. Ici-bas nous avons besoin de différents noms pour désigner la multitude des objets; mais Dieu est unique, son nom est Dieu. Il est donc un et tout entier répandu partout. Le vulgaire, dans bien des circonstances, lui rend hommage, lorsque l’âme s’élève naturellement vers son auteur. Nous entendons souvent dire : ô Dieu! Dieu nous voit; je vous recommande à Dieu; Dieu me le rendra; ce que Dieu veut; si Dieu le permet. Quel crime de ne vouloir pas reconnaître celui qu’il est impossible d’ignorer!
5° Je vais parler maintenant du Messie et montrer comment le salut nous est arrivé par lui.
Les Juifs, dans le principe, étaient en grâce avec Dieu : c’est parmi eux que se trouvaient les justes et les vrais serviteurs du Très-Haut; aussi leur royaume fut florissant et leur race se perpétua à travers les siècles. Mais plus tard, trop confiants dans les mérites de leurs pères, ils se laissèrent aveugler par l’esprit d’orgueil et de révolte, méprisèrent les préceptes divins et perdirent la grâce dont ils étaient les dépositaires. Eux- mêmes sont là pour attester leurs égarements; et s’ils se taisent les faits ne parlent que trop. Exilés de leur patrie, (49) dispersés, vagabonds, ils errent sur le sol étranger. Tout cela était prédit. Dieu avait annoncé qu’au déclin du monde il se choisirait, dans toutes les nations, dans tous les peuples, dans tous les pays, des adorateurs beaucoup plus fidèles et que ce nouveau peuple recevrait le dépôt de la grâce que les Juifs avaient perdu par leur infidélité.
L’auteur et le dispensateur de cette grâce, le maître de la loi, le Verbe, fils de Dieu est envoyé sur la terre. C’est lui qui éclairait les anciens prophètes et qui devait être le docteur du genre humain. Il est la vertu, la raison, la sagesse, la gloire de Dieu. Il descend dans le sein d’une vierge, il se revêt de notre chair par l’opération du Saint-Esprit. Ainsi la nature divine se trouve unie à la nature humaine. Tel est notre Dieu, tel est le Christ qui, médiateur entre Dieu et l’homme, a revêtu l’homme pour le conduire à son Père. Le Christ a voulu prendre les faiblesses de l’homme, afin que l’homme possédât les perfections du Christ. Les Juifs connaissaient sa venue : les prophètes n’avaient cessé de la prédire; mais il y a deux avènements: Dans le premier, le Christ fait homme s’est conduit en homme; dans le second, il manifestera sa divinité. Les Juifs n’ont pas compris le premier avènement où le Christ a caché sa majesté sous le voile de la souffrance; ils n’attendent que le second où il se montrera avec tout son pouvoir. Ce défaut d’intelligence est le châtiment de leurs crimes. Indignes de la vie spirituelle, leur aveuglement a été si grand qu’ils l’ont eue sous leurs yeux et qu’ils n’ont pu la voir.
Cependant Jésus-Christ, selon les oracles des prophètes, chassait, d’une seule parole, les démons du corps des hommes; il ranimait les paralytiques, purifiait les lépreux, éclairait les aveugles, redressait les boiteux, ressuscitait les morts, commandait aux éléments, soumettait à son empire les vents, la mer, les puissances infernales. Les Juifs, qui ne voyaient en lui qu’un homme à cause de la bassesse apparente de son corps, reconnurent à ses miracles qu’il n’était pas un homme ordinaire. (51)
Les chefs de la nation, qu’il avait souvent confondus par sa sagesse et sa doctrine, cédant à une aveugle colère, l’arrêtent et le livrent à Ponce Pilate, qui gouvernait alors la Syrie au nom des Romains. Ils s’assemblent tumultueusement et ils demandent à grands cris qu’il meure sur la croix. Lui-même avait prédit tous ces événements. Les prophètes aussi avaient dit que le Christ devait souffrir, non pour subir la mort mais pour la vaincre, et ils avaient ajouté, qu’après sa Passion, il remonterait au ciel, pour manifester sa divinité. Les faits ont réalisé la prophétie. Attaché à la croix, Jésus, sans l’aide du bourreau, expira de lui-même et, le troisième jour, il ressuscita d’entre les morts. Il se montra de nouveau à ses disciples tel qu’il était auparavant; il se fit reconnaître par eux; il leur fit toucher son corps sacré et, pendant quarante jours, il les initia aux mystères de la vie spirituelle qu’ils devaient révéler à tous les peuples. Alors, entouré d’une nuée lumineuse, il monta au ciel, afin de présenter à son Père l’homme qu’il avait aimé, qu’il avait arraché à la mort en prenant sa nature. Mais il descendra de nouveau sur la terre, à. la fois juge et vengeur, pour punir le démon et juger le genre humain.
Telle est la doctrine que les apôtres, répandus dans l’univers, annoncèrent aux peuples pour les arracher à l’erreur et les éclairer des rayons de la vérité. Ils agissaient par l’ordre de Dieu. Pour donner plus de poids à leur prédication, on emploie contre eux, les tourments, les croix, tous les genres de supplices. La douleur, cette épreuve suprême de la vérité, ne leur est pas épargnée. Ainsi le Christ, qui est venu donner la vie aux hommes, reçoit le double témoignage et de la voix et du sang. Tel est notre maître, notre chef, notre guide : il est pour non le principe de la lumière, l’auteur du salut; c’est lui qui promet aux croyants et son Père et le royaume céleste. Disciples du Christ, nous partageons son bonheur et sa gloire si nous marchons sur ses traces
Date de dernière mise à jour : 2021-07-05
Ajouter un commentaire