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Passioniste de Polynésie

HOMÉLIE SUR LA DESCENTE DU TRÈS-HAUT

Jacques de sarougHOMÉLIE SUR LA DESCENTE DU TRÈS-HAUT
SUR LE MONT SINAÏ ET SUR LE SYMBOLE DE L'ÉGLISE (1)

Colosse universel, Toi dont la majesté

Géante a sur Sina frémissant éclaté,

Souffre que, m'inspirant de ton apothéose,

Pour ta gloire j'entonne un hymne grandiose !

Maître des Continents, qui daignas t'abaisser

Au point de permettre à Sina de t'embrasser,

Dans la mesure admise et non limitative,

Penche que mon soupir en ton souffle s'avive !

O Toi, qui descendis sur ce point culminant,

Sans cependant descendre, oh ! descends maintenant

Planer sur le sommet de mon intelligence

Avide de l'éclat de ta magnificence !

Veuille, Essence de feu, qu'à l'instar de Sina,

Mon néant t'adresse un fulgurant hosanna !

Laisse-moi soutenir que de ta plénitude

Le Mont apparemment supporta l'altitude :

Un rien de ta puissance à peine, alors, frôlant

Sa crête, l'ébranla, le rendit tout tremblant !

De ce Mont, dont la masse en roches surtout brille.

Tu daignas enchanter la prosaïque aiguille :

Toi, qui, sur Sina vins, allégoriquement,

Vers mon âme vibrante, accours mystiquement!

La Terre, inerte corps, à t'embrasser se prête

Moins bien que l'Intellect, faculté plus alerte:

Pour t'étreindre le sol n'a point la qualité

De la Pensée en sa spiritualité.

Ne peut te recevoir nulle cime élancée

Comme te conçoit l'ample élan de la Pensée !

L'Esprit à la Matière étant supérieur,

Viens l'effleurer et qu'il explose en ton honneur !

N'ayant fait ton bonheur celle qu'en la Montagne

 

(1) Voir édition chaldéenne Bedjan, t. I, p. 3 à 38.

 

3

 

Sainte, Tu pris, Seigneur, pour épouse et compagne,

Viens épouser mon âme éprise de tes chants !

A tes aveux d'amour, l'Accordée aux penchants

Lubriques répondit par un veau, l'impudente!

Seigneur, ne souffre point que le silence tente

D'arrêter les élans de ma mentalité

Ni d'en adultérer la fraîche pureté !

Fais que ton souffle ici féconde ma parole

Et que d'un chaste hymen le fruit vers Toi s'envole !

Tel Moïse a brisé le veau, romps à ton tour

Le silence en mon âme, afin que toute amour,

Elle reste, en chantant tes hymnes, ton intime !

 

Pour les anges et pour les hommes, trop sublime,

Ton thème échappe au vol des plus vastes pensers ;

Les orateurs en sont autant bouleversés

Qu'en reste confondu, quel qu'il soit, l'auditoire !

Des « célestes » l'effort reste vain, illusoire ;

Des « terrestres » déchoit la thèse encor plus bas,

Quand ta recherche fait l'objet de leurs débats.

Tant aux êtres de corps qu'à ceux hors la matière,

Ton Habitacle reste un abscons sanctuaire;

Aux penseurs d'ici-bas comme aux plus purs esprits,

Ton domaine échappe et Tu restes incompris !

 

***

 

Qui pourrait définir la maîtresse Puissance

Dont l'étendue englobe, en sa circonférence

Immense, les confins entiers de l'Univers?

A son Geste, plus vif que les plus prompts éclairs,

Qui pourrait opposer son record de vitesse?

Pour L'exprimer, n'ont point suffisante souplesse

Les organes de flamme et les langues de feu !

Et des êtres ignés ne se comble le vœu

De Le chanter tel quel dans une strophe ardente !

Tout l'angélique élan sans succès se tourmente

Pour L'exalter assez : en plein écho du ciel,

Pour Lui, trop au lointain claironnent les Michel!

 

Altier, hors de portée, abscons, caché, sublime,

Tout-Puissant, clos, voilé, merveilleux, magnanime,

De par son seul génie essentiel, divin,

Il englobe l'abîme, enserre tout confin!

Egide des vivants, Providence du Monde,

Sans s'appauvrir, Il rend toute chose féconde !

 

4

 

En Lui seul tient le bloc de chaque Continent;

Plus grand que tous les cieux et partout permanent,

Sur le plus haut sommet, arbitre et juge,

Il siège Tandis qu'à son Signal, s'ébranle en grand cortège

Tout ce qui, dans l'Espace, ondule en tournoyant!

Sa puissance a fixé dans le cœur du Néant

La Terre, qu'y maintient sa Droite créatrice !

Pour que son œuvre affronte abîme et précipice,

En bas, Il la soutient d'un regard simplement;

En haut, pour qu'à l'abri de tout éboulement

Ils restent, les cieux ont son Geste pour ceinture !

 

Il fait office d'âme en chaque créature,

Qu'il dispose et régit en Organisateur.

Hors de tout et dans tout, de tout Il est l'Auteur;

Servant à tout d'enceinte et d'enclos et d'orbite,

De tout Il est la fin, le terme et la limite!

D'espace indépendant, jamais, où que ce soit,

Il n'abandonne un lieu pour un quelconque endroit.

Qu'il simule ou paraisse entreprendre un voyage,

Certe, Il ne le fait qu'en apparence, en image.

***

 

Cette Puissance, pour laquelle tous pays

Et tous espaces sont exigus, trop petits,

Sans nullement passer de contrée en contrée,

Sur le mont Sinaï s'est, jadis, transférée!

 

Mais le flot merveilleux d'un tel événement

Submergeant mon esprit irrémédiablement,

Ma voix ne sait comment en moduler les fastes,

Tant mes accents leur font de malheureux contrastes!

Concentrerai-je, ici, l'effort de mon récit

A soutenir que Dieu sur Sina descendit

Ou bien à poser pour vérité cette norme :

Que Dieu sur Sinaï descendit pour la forme?

 

Déclarons que ne peut nulle narration

Le comprendre tel quel, par définition ;

Abordons le sujet, traitons de sa descente,

Tandis que nous émeut sa merveille éclatante !

Observe, homme de tact, du discours l'objectif:

Sache, à travers les mots au sens figuratif,

En y prêtant toujours une attentive oreille,

Discerner et saisir la splendide merveille !

Sache pourquoi, comprends dans quels nobles desseins.

Descendit sur Sina le Maître des confins.

 

5

 

Envers l'Humanité l'entraînant sa clémence.

Pour avec elle, ainsi, contracter alliance,

Il vint, par son amour, des « terrestres » choisir

La Fille et, pour épouse, à la fin se l'offrir.

Il aspirait à la main de la Synagogue,

Fille des Justes et d'Abram, grand nom en vogue,

Pour s'allier à la plus notoire Maison !

 

Voyant qu'avec les gens d'Egypte, liaison

Impure entretenait cette fille lubrique,

Loin de se détourner d'une telle impudique,

Le Très-Saint daigna faire envers Lui revenir

Cette enfant déflorée, afin de se l'unir,

Cette fille des saints, pour en faire une sainte !

 

Pour que de son désir la mire fût atteinte,

De Moïse Il fit son lieutenant, et mandat

Lui donna pour qu'il fit avec elle un contrat.

Muni de pleins pouvoirs, investi de prestige,

Pour la lui ramener, fût-ce par grand prodige,

Le Lévite partit et, pour mieux l'attirer,

Il sut sa mission de hauts faits illustrer.

 

***

 

Il lui para le doigt avec l'or de la vague

Flamboyante de son Ardent Buisson, pour bague!

Et, l'ayant fiancée à son Maître, il quitta

L'Egypte et vers le mont Sinaï l'escorta.

Et lui ceignant le front de la libératrice

 Couronne de l'exode, il mit à son service

La Nature imposante et son suave luth,

Pour lui former cortège et chanter son salut !

 

Quand Pharaon tenta de lui barrer la route,

Le Saint mit ce paillard, dans la mer, en déroute !

L'onde se mit en deux pour, à travers son sein,

Frayer, devant ses pas, prodigieux chemin!

Pour elle, Il dévasta l'Egypte d'importance,

Pour que rien n'entravât sa pleine délivrance

Elle franchit la mer, en affrontant le choc

Formidable de la vague au fluide bloc !

Horeb lui fit plus d'un don extraordinaire ;

Le désert l'adora comme son tributaire !

La créature entière apprit à quel « Promis »

 

6

 

Elle se destinait, en changeant de pays.

 

La Nature lui fit corps de garde colosse ;

Les éléments, chargés de leurs présents de noce

Et formant, devant elle, escadron d'éclaireurs,

Volèrent vers le Saint lui rendre les honneurs !

Accourut éclairer sa marche une colonne

Lumineuse, tout comme un flambeau chaperonne

Et mène l'épousée au logis nuptial,

Où son époux lui fait un accueil triomphal !

Pour elle les cadeaux de chaque créature ;

Pour elle aussi la plus exquise nourriture !

Pour elle la saveur de la manne du ciel ;

Pour elle encor le suc extrasubstantiel

Et délicat gibier des chasses de la terre !

Pour elle du rocher l'onde qui désaltère ;

Pour elle de tout sol le produit bienfaisant,

De toute région tout le fruit séduisant !

 

***

 

En processionnel ordre, tout, sur sa route,

S'ébranla, pour qu'ainsi, sous la céleste voûte,

L'Univers mesurât la grandeur de l'hymen

Qui s'annonçait, pour elle, à travers son chemin !

Le cortège de ses dames et demoiselles,

Ses compagnes d'honneur, ses servantes fidèles,

La conduisit avec pompe au pied de Sina,

Où son Maître et Seigneur rendez-vous lui donna.

Moïse, son parrain, quittant la jouvencelle,

Monta voir quand l'Époux descendrait auprès d'elle.

Mais l'Oracle, en secret, alors lui murmura :

 

« A celle que mon bras d'Egypte délivra,

A celle que, par toi, je veux épouse élire,

Moïse, maintenant, descends en mon nom dire :

 

« Tel sur les ailes d'un aigle qui fend les airs,

Je t'ai fait transporter en triomphe, à travers

Toutes les régions, sans que le moindre indice

D'un quelconque danger t'ait causé préjudice !

Qu'un réciproque amour fasse notre bonheur !

Et de notre contrat confirmons la teneur.

Je viendrai saintement t'épouser dans la suite,

Rendant ma volonté, dans la noce, explicite.

Si tu m'approuves, viens, viens me donner la main!

Viens, pour toi, je les veux les honneurs de l'hymen!

 

7

 

Je veux ton union, pour moi, pure, exclusive,

Sans qu'au contact de nul, tu te fasses lascive!

Et pour l'éternité je serai ton espoir,

Si nul autre en ton sein tu ne dois recevoir.

Je t'aurai saintement, si tu veux être mienne ;

Je te répudierai si je te trouve obscène !

En toi je ne veux voir, tant infime qu'il soit,

Le défaut qu'en la femme adultère l'on voit,

Ni les dehors qu'on trouve en la fille tarée,

Ni les signes chers à la jeune déflorée,

Ni des galantes l'art ou la profession !

A moi seul tu devras toute adoration !

Mon statut te sera une suprême charte

Sans que dorénavant nul autre t'en écarte !

 

« Sois sainte, honnête et sois modeste et sans défaut!

Nette, délicate et chaste, sois comme il faut!

Sois ferme et réservée et calme, inviolée,

Candide, vigilante et fine, immaculée !

Si tu me viens avec l'honneur au front, voici :

De mes biens tu seras seule maîtresse ici !

D'une reine portant l'éclatant diadème,

Tu seras le trésor saint des pontifes même !

Les prophètes, qui voient tous secrets, tiens seront;

Les prêtres, absolvant tous péchés, t'orneront.

Des clercs t'entoureront, comme des satellites ;

Tes servants formeront tout un corps de Lévites.

Le ciel sera ton trône et sa rosée, au vol,

Descendra féconder ton domaine et ton sol !

La terre enfantera, pour toi, tous les délices

Ruissellera sur ton camp, où que tu le hisses

L'atmosphère à l'envi transformée en plaisir !

Le soleil mûrira tous fruits, pour te nourrir.

Les terres tu prendras des rois, dans la mêlée,

Sans que d'aucun géant t'abatte l'épaulée !

Ton talon fléchissant le cou des potentats,

Tous les chefs couronnés serviront tes États !

Et, pour toi, sur papier, je signerai ces choses

Si de ma volonté tu respectes les clauses! »

 

***

 

Chargé de ce Contrat, que l'Époux lui tendit,

Moïse vers l'Épouse alors redescendit,

Pour voir au Traité quel accueil elle allait faire,

 

Il convoqua vite, en séance plénière,

 

8

 

La Maison de Jacob et, devant tous ses preux,

Il exposa tels quels, augustes, rigoureux,

Les termes de l'Epoux et, se tournant ensuite

Vers tout ce qu'Israël comptait de chefs d'élite.

Il leur demanda si le Pacte projeté

Répondait en tous points à leur vœu de traité.

Ils répondirent tous par cette note exquise :

 

« Nous nous en remettons à toi, Maître Moïse :

Qu'il est beau qu'un aussi princier Prétendant

Aspire saintement à la main d'une enfant!

Honneurs inespérés, Il veut nous allier

A son parage, à Lui, haut, grand, superbe, altier!

Dire que, gens obscurs, nous aurons un tel Gendre!

A quel plus grand bonheur pouvions-nous nous attendre?

Mais la fille que nous élevâmes, ainsi,

Chez les Égyptiens, devant toi la voici :

Sonde-la, par toi-même, au sujet de ton acte

Et vois si de ton Maître elle accepte le Pacte. »

 

Et, s'avançant alors par devant tous les siens

Et prenant pour témoins du peuple les Anciens,

A Moïse gaîment donna la jouvencelle

La parole de sa bouche, claire et formelle.

 

Comme elle s'engageait si délibérément,

De ses aveux prenant acte et joyeusement

Le Lévite s'en fut rapporter à son Maître :

 

« La jeune fille enfin, Seigneur, vient de promettre

Son consentement à notre secret traité ;

Si sa promesse est faite avec sincérité,

Si sa parole est franche et non dissimulée,

Elle ne sera point une épouse volée (1) ! »

 

***

 

Et le Seigneur, à son Envoyé, dit : « Descends!...

Descends me la parer de vêtements décents !

Intérieurement autant qu'en apparence.

Je veux qu'incomparable éclate sa prestance !

Qu'elle s'orne de blanc extérieurement :

La blancheur lui convient délicieusement !

Qu'intérieurement, tous ses pensers épure

 

(1) Epouse fidèle, qui ne se laissera voler ( …) par aucun séducteur.

 

 9

 

Seule la sainteté, ravissante parure !

Qu'elle se sanctifie ainsi pieusement,

Et ce jour et demain consécutivement;

Le troisième jour, je m'en irai vers elle.

Au milieu d'une pompe unique et solennelle ! »

 

Moïse alors revint et se mit en devoir

D'orner la Mariée et de son grand pouvoir

Concentrer les efforts, dans le dessein d'instruire

Cet être évaporé par trop dur à conduire !

Contre tout air volage en garde la mettant,

Il lui dit :

« Mais surtout que rien de rebutant

En toi, l'Époux caché ne choque et ne dégoûte !

Des fleurs de sainteté pavoise-Lui sa route !

Que ton visage, net de l'ombre d'un affront,

Puisse, quand Il viendra, Lui contempler le front!

Tâche d'orner ta tête, au jour de l'entrevue,

D'un mystique bandeau, qui Lui flatte la vue,

Pour qu'en la sainteté, ta force et ton appui.

Tu pénètres de front, radieuse, avec Lui,

Dans son habitacle où, dans la lumière innée,

T'attend, les bras ouverts, l'idéal Hyménée! »

 

***

 

Mais, auguste mystère, ici me croise un Trait

Qui commande aux élans de mon verbe un arrêt.

L'ayant tu bien à tort, j'en reçois juste blâme :

 

« Que ne m'as-tu chanté, poète, sa voix clame,

Ne rougis point de moi, maladroit qui me fuis!

De tes hymnes, moi seul, charme et beauté je suis!

Pourquoi de mon Image ombrer la transparence,

En jetant sur ses traits ton voile de silence? »

 

L'apostrophe est du Fils — ai-je besoin d'aveu? —

Qui surgit et surprend ma voix au beau milieu

Du poème sonnant en l'honneur de son Père !

Elle me somme donc, superbe, auguste, austère :

 

« Tu ne passeras point sans me payer tributs !

Ne nous divise pas, ignare, en attributs!

Notre acte est identique et notre œuvre commune :

Chante-nous à la fois et comble ta lacune! »

 

Le Vrai me pique au vif, Il se fait si pressant

 

10

 

Que je ne puis ne point rendre, au moins en passant,

Au Fils du Dieu Vivant un éclatant hommage,

En rapprochant de Lui Moïse, son image !

 

Le parallèle existe. — Examinons un peu

En quoi tant ressemblait Moïse au Fils de Dieu :

De la Montagne envers les Hébreux sa descente

La Mission du Christ clairement représente.

Et sa démarche auprès des enfants d'Israël

Fait allusion au rôle exceptionnel,

Envers l'Humanité, rempli par le Messie.

 

D'ailleurs, vous dont le tact pèse, juge, apprécie

Toute chose, écoutez ce que le Serviteur

Pense du Maître dont il est l'imitateur :

 

« Un prophète, dit-il (au sens allégorique),

Pareil à moi, Prophète à moi-même identique!... »

 

En tant que d'Abraham la Fille délivrant

D'Egypte, pour l'offrir, comme un vrai conquérant,

Epouse à son Seigneur, au nom d'un hyménée

Tel, qu'une sainte il fît de cette profanée;

En tant qu'entre Israël et Dieu médiateur,

Moïse ressemble au Grand Conciliateur

Qui mit, entre son Père et le coupable Monde.

Paix, douceur, harmonie et concorde profonde !

 

A notre Humanité Jésus-Christ résolut

De descendre, à son tour, assurer le salut,

La libérant, se la donnant pour Fiancée,

Après l'avoir, d'abord, spontanément lancée,

Pour la régénérer, dans un sublime Étang !

 

La Fille de Jacob dut se parer de blanc,

Au grand jour où Moïse en fit une affranchie ;

Notre âme est, par Jésus, dans l'Eau sainte blanchie !

 

Pour que de sainteté l'ornât un décorum

Passable, prescrivit Moïse un triduum

Tout de circonstance à la Fille de sa race ;

Tandis qu'avec Jésus, éternelle est la grâce !

 

***

 

L'ombre de Jésus-Christ, en planant, a passé

Par la Bible où ses traits vive empreinte ont laissé

 

11

 

Pour qu'aux yeux de l'Époux l'Épouse resplendit,

Moïse, pour l'orner, de Sina descendit.

 

Son ordre l'habilla, son regard la fit belle;

Son geste rajusta sa mise solennelle !

A force de leçons et d'observations,

Par d'incessants avis, par admonitions,

Il l'assagit enfin et la rendit honnête,

Compléta sa parure, acheva sa toilette.

Il s'employa, durant trois jours, et fermement,

A lui dire en quel sens, quand viendrait le moment

Précis, elle devrait dignement comparaître

En présence de son puissant Seigneur et Maître.

 

Il plia sa bouche à des termes inspirés

Qu'en sertisseur habile, il façonnait exprès,

Pour que, sagace en tout et sans ses mots confondre,

A l'appel de l'Époux elle eût de quoi répondre.

Sur son esprit, autant qu'il le put, il agit,

Pour que d'elle, devant le Saint, il ne rougît.

Finalement, rompue, avec tact et méthode,

Aux us du savoir-vivre, elle sut quelle mode

L'avantagerait mieux et flatterait les goûts

De Celui qui voulait devenir son Époux!

 

***

 

Quand, saintement, trois jours, elle fut préparée,

L'Epoux, sortant alors du sein de l'Empyrée,

Vers elle se mit à descendre incontinent.

Le Tout-Puissant surgit, tout d'éclat rayonnant,

Pour vers elle accourir, imposant, héroïque,

Majestueux, splendide, auguste et magnifique!

 

12

 

Il surgit sans surgir, et tout en descendant

Il ne descendit point, et des cieux cependant

Vers l'abîme Il jeta ce bruit énorme, immense :

 

« Certe, Il vient! Le voici! Le voici qui s'élance! »

 

L'ordre, aussitôt donné, s'envola relancer

Les Puissances des cieux, puis, sans se déplacer,

Le Monarque fit ses préparatifs de route.

Et des Ordres de feu, sous la céleste voûte,

En branle-bas, clamant : « Le voici qui descend ! »

Les cadres firent bloc formidable et puissant!

Des fils de la clarté, rangés groupes par groupes,

Défilèrent les rangs, troupes après les troupes !

Des cohortes d'en Haut, répondant à l'appel

Direct par un « présent! » alerte et ponctuel,

Devant Lui, vers le sol, vola la théorie

Longue, embrasée, ailée, innombrable, aguerrie!

 

Et des masses des cieux, bondissant, au contact

De la commotion, accourut le compact

Régiment entreprendre une course légère,

Tandis qu'électrisait leur marche militaire

L'Etre de flamme, en son Mystère se mouvant,

Par un effroyable et rugissant « En avant ! »

 

Et le bloc flamboyant fit escorte plénière

Autour du Feu Vivant élancé vers la Terre !

Et vers le clair azur droit son commandement

S'envola rassembler les anges vivement,

En leur jetant ce bruit fait pour les tous surprendre :

 

« Le voici qui va sur la Montagne descendre ! »

 

L'insolite nouvelle étonna les Esprits :

« Le Maître a vers la Terre un voyage entrepris! »

Se réunirent tous pour voir de quel rivage

Il allait surgir et commencer son voyage,

Pour voir dans quel dédale abscons était leur Roi,

Comment Il en viendrait et marcherait sur quoi?

 

L'Intelligible Armée évoluait fébrile,

Lorsque luit soudain la Puissance subtile,

Flamme ardente, habitacle occulte, vision

Splendide, échappant à toute description !

 

Mais l'Immatériel n'apparut à nul ange

 

13

 

Sous une forme nette et ce n'est point étrange !

C'est que, du haut des cieux vers l'abîme, irréel

Fut son transfert plutôt que précis et formel.

Vers le mont Sinaï son épique descente

Fut nominale et non absolument patente.

Afin que pour son faste et pour tout son éclat,

La Fille d'Abraham d'ardent désir brûlât,

Il sortit pour venir et pourtant son allure,

En sa marche, ne fut réelle qu'en figure !

 

***

 

De son armée, alors, la jubilation

Dans l'Univers jeta profonde émotion :

Sous les chocs provoqués par les forces divines,

Faillirent s'effondrer montagnes et collines,

Pour que le Monde entier fût ainsi prévenu

Que Dieu pour célébrer sa noce était venu !

 

Formidable en les mains du prince des archanges

La trompe retentit au milieu des phalanges

Et sa voix résonna sur un tel diapason,

Qu'en frémit la Nature au sein de l'horizon !

De la cime des cieux partit aussi la note

Du clairon mettre au cœur des roches la tremblote !

Dans un faste imposant, s'étant mis en chemin,

Il sortit de son Lieu pour passer dans le sein

Du firmament, tandis qu'au cours de sa descente,

L'éclair sillonna l'air en flamme éblouissante !

Puis, dessus ces rayons de clarté paradant,

A ses coursiers Il mit flamme et, les débridant,

Les lança tous, tels des flambeaux dans l'atmosphère,

Pour sa marche éclairer en cet itinéraire !

 

La clarté vint autour de Lui s'amonceler,

Pour que l'œil ébloui ne Le pût contempler.

L'ovation des voix célestes sévit forte,

La marche nuptiale ayant bruits pour escorte !

Le zigzag des éclairs l'Univers enflamma,

Mailles de feu que seul son doigt divin trama !

Vint la Toute-Puissance : Elle occupa la cime

De Sina, qui faillit s'écrouler dans l'abîme.

Le Mont fumant allait fondre en lave, d'autant

Que le feu l'envahit, flamboyant, crépitant !

Mais de la flamme, alors, enveloppant la couche,

Le nuage à Sina servit comme une douche

De rosée en givre et la déflagration,

 

14

 

De la sorte, arrêta sa terrible action !

La flamme transformant la montagne en fournaise,

Chaque pierre y devint incandescente braise !

Dans l'impalpable flamme, ô merveille! ô stupeur!

Furent tous les rochers convertis en vapeur !

Tout morceau de silex et chaque bloc de taille

Brûlaient, comme au feu grille un simple brin de paille !

La flamme, à travers rocs voltigeant, s'y nourrit

De roche et tout basalte autant s'y racornit,

Que le Mont graniteux allait net se dissoudre!

Mais le soutint son Signe ailé comme la foudre !

Tandis que son contact fit Sinaï frémir,

Son Signal accourut la Montagne affermir :

La rocaille sans lui n'eût point été capable

De supporter le poids de la Force indomptable

Qui soulève le Monde et soutient, à travers

L'Espace, les confins de l'immense Univers !

Ce fut Lui qui porta le Mont, pour lui permettre

De porter sans faillir l'Ombre du Suprême Être !

 

***

 

Or Dieu — c'est entendu — sur Sina descendit.

Comment descendit-Il? — Par miracle inédit!

Le Fait relevant du domaine du prodige,

Plus haut que la parole, il s'élève et voltige.

Sa descente affirmons, tout en reconnaissant

Qu'elle est incompatible avec le Tout-Puissant !

Avec un double sens laissons notre parole

Aborder le Fait, sans prétendre à nul contrôle !

Au simple affirmons qu'en triomphe Il descendit.

Tandis que sait à quoi s'en tenir l'érudit.

Pour Dieu, que ne contient l'immensité céleste,

La Montagne eût été, montagne site agreste,

Un séjour assez vaste, un asile idéal?

La terre est sous ses pieds infime piédestal !

Ainsi, l'exigu coin de cet escabeau même

Aurait pu l'abriter! — Non! Voici le problème :

Sur Sina sa descente et son excursion

Furent simple mirage et pure illusion !

Il y descendit non de descente efficace;

Il s'y manifesta mais sans changer de place !

De sa puissance un rien, en cette occasion,

Plana sur Sinaï sans que la vision

L'entraînât à changer de lieu, de site ou d'aire !

C'est comme permanent dans sa céleste sphère,

Qu'il habita le Mont sans que nul, à l'œil nu,

 

 

15

 

L'aperçût, tel qu'il est, sur Sina contenu.

Sans nul transfert, de sa descente Il fit usage;

Sans se transporter, Il entreprit son voyage.

C'est qu'il s'était déjà, de la même façon

Troublante, révélé même au sein du Buisson,

Sans changement de lieu, d'attributs, ni d'essence!

 

***

 

Mais les mots, interdits devant la transcendance

Du sujet, ne pouvant plus être à la hauteur

De leur tâche, je sens que du commentateur

Le langage trébuche et faiblit la parole !

Si la bouche y pouvait remplir un juste rôle,

Il en résulterait immédiatement

Désastre pour l'ouïe et pour l'entendement !

Si possible il m'était d'en chanter l'héroïsme,

Je jetterais sur qui m'entend un cataclysme !

Si tout ne m'enjoignait de rester, ici, coi,

Je ne l'exprimerais dans un vulgaire émoi !

Pour en parler, en vain je cherche un privilège !

Où vais-je commencer? Où Le terminerai-je?

Comment, par quoi, dans mon récit, Dieu condenser?

Lui que n'effleure point le plus subtil penser !

Si, quoique dur rocher, Sinaï contenance

Perdit au point de fondre en sentant sa Présence,

Quelle posture, hélas! mon organe de chair

Prendrait pour dignement ses Fastes ébaucher?

 

***

 

Pour que son Affranchie en ses noces fût sainte,

 Afin qu'entre l'Époux et l'Épouse l'étreinte

Fût l'union rêvée et l'Hymen idéal,

Il vint de la Montagne en grand arc triomphal

Transfigurer la cime et tailler dans la nue

Sa Chambre nuptiale, en plein feu maintenue !

Nulle noce n'allant sans hourras, sans fracas,

De mille cris joyeux Il usa dans ce cas.

Pour le Royal Époux, l'éblouissant nuage

Sur Sina se fit un pavillon de mirage

Et somptueusement, pour l'imposant gala,

Il y fit son entrée, alors que tout trembla!

De l'amas nébuleux surgit plus d'un tonnerre

Terrifiant et fait pour éventrer la Terre !

Phénomènes poignants, signes mystérieux,

Aveuglantes clartés, rayons prodigieux!

 

16

 

Des éclairs la décharge alerte, impétueuse,

Et la vague de feu monstre, tumultueuse:

Des anges en émoi l'ample exaltation,

Des chœurs spirituels la grande ovation !

 

La Montagne ébranlant, éclata la trompette

Sa note véhémente enfanta la tempête !

Ce phénomène aussi saisissons sensément.

 Tandis que nous l'oyons judicieusement :

 

La trompette sonore était-ce une trompette

Authentique, réelle, ayant forme concret»?

Considère, savant, des symboles l'ampleur

Et de l'ordre mystique observe la valeur :

Il tira du néant, comme de quelque chose,

Des sons qu'il dénomma, pour notre humaine prose,

« Trompette », tandis qu'un tel retentissement

Ne sortait point du creux d'un semblable instrument!

 

Il ne fit qu'un signe et, sur-le-champ, l'atmosphère

Tout entière attaqua chant extraordinaire,

Qui n'était ni clairon, ni fifre dans les airs !

L'Ordre emboucha la nue aux flancs chargés d'éclairs

Et tout sur Sinaï sonna sans cors ni flûtes!

Vents, brouillards, bruines, feux, spirales et volutes

Et tous les éléments épars en l'horizon,

D'instruments idéaux prenant le diapason,

L'orchestre fut complet où, foudroyant la crête,

Le tonnerre seul fit office de trompette !

 

L'image de la noce ici triomphe encor.

La marche nuptiale allant au son du cor!

 

***

 

Avec ces Hébreux, dont Il savait la tendance.

Il avait convenu, par Moïse et d'avance,

Qu'ils ne devaient monter sur Sinaï qu'alors

Que se tairaient les sons des trompettes et cors.

Or, dans un ordre strict, tantôt retentissante,

Tantôt silencieuse ou presque languissante,

La trompette montait l'oreille oblitérer

Ou baissait, pour ne point l'auditoire atterrer.

Quand soudain l'enflammait l'insondable Génie,

Il s'y glissait ensuite un souffle d'agonie,

Pour qu'ainsi gradué, l'effroyable instrument

Sa gamme modulât harmonieusement!

 

17

 

Grâce à l'audition, avec frisson perçue,

Grâce à la vision, avec crainte aperçue,

Le peuple crut qu'entier, en toute sa splendeur,

Sur Sina maintenant habitait le Seigneur !

 

Bien qu'en l'Ordre divin aient eu ces sons leur cause,

L'imagination des ignorants suppose

Que d'une trompe là résonna le grand creux!

Les mots « Dieu descendit » émut ces malheureux

Au point de croire enfin que le ciel en fut vide,

Parce qu'il descendit sur la montagne aride !

Et partant de ce fait que la trompette aussi

Avait terriblement sa sonate grossi,

Les insensés ont cru qu'à l'heure solennelle,

La parole de Dieu se fit matérielle !

Et des faits énoncés métaphoriquement,

Ils ont déduit, dans leur grossier égarement,

Que l'Immatériel n'est qu'un Etre physique!

Si le divin par un terme imagé s'indique,

C'est pour qu'il soit plus clair, aussi démonstratif

Que possible à l'esprit limité du naïf.

Quand le Surnaturel prend, par analogie,

Aspect de la nature et concrète effigie,

Tant en son énoncé qu'en sa description,

C'est pour qu'à chaque esprit en soit la notion

Accessible et dûment placée à la portée

De l'intellect auquel elle reste adaptée.

 

***

 

Il laissa sur le Mont descendre sa grandeur,

Par motif sérieux, grave et supérieur :

La conquête de la Synagogue rebelle

Seule motiva sa descente solennelle.

S'il n'était descendu, du ciel, la subjuguer,

L'Assemblée adultère eût pu dès lors arguer :

« Sans L'avoir vu, comment et pourquoi L'attendrais-je? »

Le bruit se répandit que Dieu sur Sina siège

Et, bien que descendu figurativement,

On Le crut sur le Mont présent entièrement!

Et Sinaï trembla, transportant sur sa crête

L'universel Géant, l'omnipotent Athlète !

Fumée, ombre et brouillard la cime environnant,

Prouvèrent qu'était là l'Être igné maintenant.

Et le feu ravageur, en fondant chaque roche,

Confirma flamboyant que la Flamme était proche !

A travers mille éclairs, la foudre, à chaque Hébreu,

 

18

 

La Présence y clama tout entière de Dieu !

Et la nue, englobant Sinaï sous son ample

Tenture, au Tout-Puissant servit d'éclatant Temple.

Chaque nuage y vint, en bandeau, tour à tour

Former enceinte close au Nuptial Séjour!

En son honneur l'azur, pour lampe et luminaire,

Satura de rayons le sein de l’atmosphère.

Authentique en tous points se fit cet apparat,

Pour que d'Abram la Fille en sa foi demeurât!

Et, tout en Le croyant descendu là pour elle,

Elle se fit un veau, l'adultère rebelle !

Mais son vice, aujourd'hui, n'est point notre objectif :

Nous traiterons ailleurs de son instinct lascif.

Mon discours entamé roulant sur la Descente

Du Très-Haut sur Sina, marchons-y sans attente!

 

***

 

Quand le Redoutable eut, au haut du Mont, lui,

Moïse alla l'Epouse amener près de Lui.

Voulant alors sortir, elle se sentit lasse!

Essayant de marcher, elle resta sur place!

Tremblante, épouvantée, en proie à la stupeur,

Humble, craintive, lourde, et toute à.sa torpeur,

Apathique, éperdue, atterrée, immobile,

Silencieuse, éteinte, amollie et débile,

Elle se sentit prise et livrée au trépas,

Sans même avoir encor tenté le premier pas !

Les clameurs, les éclairs, la foudre et le tonnerre,

Tout l'épouvanta, tout augmenta sa misère!

Pour elle en vain l'Epoux s'exprima saintement,

Elle ne voulut point l'entendre aimablement :

 

« Parle-moi, doux Moïse! alors soupira-t-elle,

« Car la voix du Seigneur m'est une voix mortelle! »

 

Pour l'Epouse adultère, un aussi saint Epoux

Ne pouvait avoir un ton suffisamment doux!

Pour les goûts dépravés de l'impure Promise.

La fureur orgiaque était bien plus exquise !

Et faisant fi de tout maintien chaste et tournant

Le dos au trop pudique époux des cieux venant,

La lâche supplia Moïse le prophète

D'être, auprès du Très-Haut, son unique interprète!

C'est qu'à Moïse tète elle savait tenir!

De Sina ne pouvant les orages souffrir,

Pour résister au l'eu, se sentant peu robuste,

A Moïse elle dit : « Parle-moi, toi, mon juste! »

 

19

 

Oh! c'est qu'elle savait que, même maltraité.

Il serait endurant et bien moins redouté.

Elle eut recours à lui pour mieux rester mutine,

Rebelle et subversive en pleine indiscipline !

Voyant que de Sina la tonnante clameur

Ne la tolérerait parjure ni d'humeur

Massacrante, elle fit, en sa rage, à Moïse

Appel intéressé pour que, dans sa traîtrise,

Elle pût, au besoin, pour ne point lui céder,

A sa suppression sans phrases procéder !

 

Le Lion rugissant l'ayant nettement mise

En déroute, elle en vint au doux agneau-Moïse!

Par l'aigle en échec mis, le faucon dépité

S'en prend à l'oisillon dans ses serres jeté !

A la Voix ébranlant les monts faisant la sourde,

De Moïse elle aima la langue presque lourde !

Le cor qui résonnait au sommet du zénith

L'émut trop et d'un Bègue amène elle s'éprit!

Non que Moïse fût chéri par la mégère :

Elle s'en servait pour à son Dieu se soustraire !

Entendant son Époux hautement l'engager

A rompre en visière avec tout étranger,

Elle en fut suffoquée et, pour fuir la Voix sainte,

Au Prophète elle dit, en sa sournoise feinte,

Déguisant mal l'instinct corrompu de son cœur :

« Doux Moïse, sois seul mon interlocuteur! »

 

Sans nul arrière-plan, pareille dépravée

Se fût-elle devant son Époux esquivée?

Elle ne se fût point dérobée à l'Époux

Si son front à l'autrui n'avait fait les yeux doux (1) ! !

Eût-elle mieux aimé, si peu qu'elle fût nette,

Son Maître dédaigner pour plaire à son Prophète?

Eût-elle refusé d'admirer sa splendeur

Si son cœur n'eût battu pour quelque suborneur?

Chaste, elle eût rendu, certe, un éclatant hommage

A son seul Prétendant et goûté son langage !

Et si pure elle était, devant le Saint pourquoi

Se laissa-t-elle choir dans un honteux émoi?

Si donc elle en rougit et comparut étrange,

C'est qu'elle se vautrait à coup sûr dans la fange !

 

Oyant sonner l'heure où vite tout marié

Sur le compte est de son épouse édifié,

 

(l) Si elle ne lançait pas son œil sur les étrangers : (…)

 

20

 

En faisant signe à son Tuteur et timorée,

Elle lui confessa qu'elle était déflorée! !

De la sorte agissant, elle gardait l'espoir

D'étouffer sans grand bruit son adultère noir!

 

« Parle-moi, toi seul, ô modeste, lui dit-elle,

Que Dieu cesse ses voix, car j'en tremble et chancelle! »

 

Pour la calmer et la rassurer, son Tuteur

Dit :

« Dieu t'éprouve, Enfant. Courage! Sois sans peur!

Le temps de faire un pacte et vers sa sublime aire

Dieu va voler et son tonnerre va se taire !

Viens voir l'Epoux que j'ai l'honneur de t'offrir, moi.

Sa Présence en impose à la Terre en émoi !

Il est sans égal en gloire, comme en puissance,

Ne te dérobe point à sa magnificence!

Contracte une absolue alliance avec Lui !

C'est pour un tel traité qu'il te vient aujourd'hui !

Que ne me fasse affront, Fille, ton attitude!

Souviens-toi que toujours de ma sollicitude

(Et je prends ta cruelle Egypte pour témoin)

Te suivit pas à pas le plus paternel soin ! »

 

***

 

Le tremblement saisit toute la Synagogue

Qu'encourage Moïse, inspiré pédagogue.

Sina fume et son faîte est tout incandescent,

Le Très-Haut au sommet triomphe en Tout-Puissant!

Le tumulte est à son comble, les phénomènes

Emplissent l'horizon de surprenantes scènes :

L'élément nébuleux qu'enfle le firmament,

Tonne, gronde et crépite avec acharnement !

Les troupes sont en rangs, les régiments en file:

Chaque cohorte avec gloire, au ciel, se profile!

Par milliers concentrés, leurs essaims cercle font

Immense, tournoyant dans un ordre profond!

Le Sanctus séraphique aux battements des ailes

Des Chérubins joint ses notes sacramentelles!

Adore en frémissant l'entier État-Major

 Archangélique et chaque ange prend son essor!

Vision étonnante, image merveilleuse,

Habitacle caché, cime mystérieuse!

Ombre en plan, mont en feu, vacarme en carillon,

Étincelles au vol, flammes en tourbillon!

Splendeur en apogée, ouragan en furie!

Époux altier. Parrain humble. Épouse flétrie!

 

21

 

L'asile nuptial irradie et, là-haut, 

L'arc de triomphe éclate exempt de tout défaut !

Célestes invités et terrestres convives,

Fils du suprême azur et gens des basses rives.

Les hôtes sont assis et l'extase et l'entrain

Gagnent les Univers, la Noce bat son plein —

Mais la « Tarée » aspire à déserter la fête ! !

 

Le Notaire est debout : plume en main, il s'apprête

A signer le Contrat, engageant Sabaoth

A donner l'Univers à l'Épouse pour dot!

(0 cadeau nuptial, inespéré, sublime!)

Mais la Fille d'Abram que le vice envenime

Repousse cet Époux, son geste et ses cadeaux,

Pour rester la compagne intime de ses veaux!

 

***

 

Banderoles de flamme, oriflammes ténues

Flottent autour du Mont, qu'environnent les nues!

Voici, resplendissants, d'étincelles brodés.

Les habits que l'Epoux pour elle a commandés!

De trousseaux flamboyants s'emplit la nuptiale

Chambre, où, toute de feu, la couchette s'étale,

Inaccessible asile et qu'intangible clôt

Une tenture faite au métier du Très-Haut!

 

Du dehors le cuirasse un nébuleux système,

Élément terne, épais, sans résistance extrême,

Que balance le vent tout exprès, à dessein,

Pour que puisse entrevoir la Synagogue enfin

L'éclat amoncelé derrière cette trame !

Le fluide au dedans, sur la cime la flamme !

Au dehors moins léger, l'air, en sa dense ampleur,

L'environne, en planant au ciel en son honneur!

 

La Gloire siège au fond d'un enclos de nuage!

 Telle quelle, invisible; ostensible en image.

Le nuage, en son sein, concentre la Splendeur,

N'en tamisant, pour l'œil, qu'une infime lueur!

De ses pans la Clarté bienheureuse s'échappe,

Par bonds intermittents, effet qui charme et frappe

Quand la Splendeur afflue et cherche à dévaler,

Le nuage a tôt fait de la dissimuler !

Sinaï fume et va fondre sa lourde masse,

 

22

 

 

Mais le bras Créateur l'affermit sur sa place !

Quand la Gloire tend à ruisseler sur le sol,

Le nuage aussitôt en arrête le vol !

Sur le point d'éclater, elle se dissimule,

Pour que le spectateur pour la voir encor brille !

Et cette vision laconique en dit long

Sur la Sublimité qui se condense au fond !

Lorsque à travers la nue son reflet vagabonde,

Le peuple en effroi craint qu'il n'embrase le monde !

On la voit à travers le masque nébuleux

Et l'on constate son déclin miraculeux !

 

La chose au loin cachée est la chose enviée :

La Gloire au sommet prend pour voile une nuée !

La vapeur emplit l'air, y signalant le Feu :

Pour tempérer la Flamme, entre la Nue en jeu.

L'explosion des bruits retentit en trompette :

Le Mont trébuche et sent qu'on lui force la crête !

Le brouillard, qui contient la Flamme, s'élargit

Foyer du Feu Vivant, Sina craque et rugit!

 

***

 

Tous les célestes chœurs, dans un élan mystique.

Clamèrent : « Le Très-Haut est là, c'est authentique! »

Chaque être, que ce fait imposant consterna,

Proclama : « Certes. Dieu plane dessus Sina ! »

Démuselé, dans un choc extraordinaire,

Pour cette circonstance, au sommet, le tonnerre

Parut à l'Univers gronder : « Oui, quant à moi,

 

« J'affirme qu'ici règne en personne ton Roi! »

 

Les accents du clairon, là-haut, avec emphase

Retentirent, jetant leur appel vers la base,

Pour que la Terre, oyant leur hymne à l'unisson,

Accourût adorer son Maître avec frisson!

L'angélique concert vibra tout dans la nue,

La Gloire étant au fond du brouillard contenue.

Et lorsqu'une étincelle allait en émerger,

Elle refluait, pour ne point tout submerger!

Lorsque la flamme allait tout Sinaï détruire.

Le nuage était là, pour son champ circonscrire!

Quand, en haut du brasier, s'élevait promptement

Une vague brûlante, immédiatement

L'air tendre, en sa fraîcheur, en absorbait la lame !

La nue au dehors, à l'intérieur la flamme,

 

23

 

Afin que le froid pût tempérer la chaleur !

Flamboyant sur le Mont, l'imposante Splendeur

Se voilait, s'éclipsait, de peur que, trop visible,

Son masque n'éclatât immensément terrible !

Dans le pan de la nue, ample et volumineux.

Était pris, enclavé, figé, le lumineux

Centre de la clarté, de peur que, de son aire,

Son flot ne débordât pour envahir la Terre !

 

***

 

Des anges la clameur partait de ce Buisson,

Comme un bruit d'Océan, vaste sous l'horizon!

Au fond de la brume, où se tenait leur phalange,

Faisait le tour du Mont leur symphonie étrange

Ils jubilaient à l'ombre et proches et distants.

Voilés aux yeux mais pour l'oreille palpitants!

Bien que trop nain, Sina se chargea du Colosse !

S'il eût pu fuir, comme il se fût montré véloce ! !

Il tremblait et ses rocs, en leur convulsion,

Alimentaient la flamme en sa combustion.

 

Les anges, en extase autour de son pinacle,

Voyaient évoluer le Très-Haut, ô miracle!

Tandis qu'il n'avait point des cieux quitté le sein !

Et d'allégresse empli, d'enthousiasme plein,

Leur groupe reconnut pour privilège insigne

L'honneur d'avoir été désigné comme digne

D'escorter Dieu vers les « terrestres » se rendant!

 

Les chœurs restés en haut n'étaient pas, cependant.

En tant que familiers de la céleste cime,

Moins superbes que ceux descendus vers l'abîme :

Ceux-ci croyaient présent en son ciel l'Infini,

Ceux-là le supposaient sur le mont Sinaï !

Les uns guettaient son Char, pour contempler l'Immense,

Les autres sur Sina recherchaient sa Présence!

Se dérobant à leur double division,

L'Invisible échappait à l'observation

De ceux de l'Empyrée et de ceux de l'Espace !

Ceux-ci voyaient du Mont se consumer la masse,

Ceux-là fixaient son Char auréolé d'éclat !

 

***

 

Sa présence n'éclate, en son abscons état,

Nulle part, en dehors de son propre Mystère,

 

 

24

 

A moins que ce ne soit, par image, à la Terre.

Il ne se rend visible indubitablement :

Pour Lui point de voyage! aucun déplacement!

De quel point vers quel point faut-il qu'il se transfère,

Lui l'Espace en lequel tout tient, tout s'agglomère?

Il est sur la Montagne, au ciel, en tous milieux,

Sur le Char et dedans le Buisson radieux!

Sur la cime apparut sa flamboyante Image,

Lorsque, ô prodigieux et suprême apanage!

Il vint proposer au terrestre genre humain

D'être son allié, par un sublime hymen !

 

Ce fut donc pour l'Enfant d'Abram le patriarche

Que, mettant sur Sina ses prodiges en marche,

L'ombre du Tout-Puissant splendide célébra

Sa noce, en épousant la Fille de Sara!

Son bras soutint Sina, son porteur symbolique,

Tel le porte en triomphe un élan séraphique !

Tout ce que l'Univers encercle en ses confins

Dépendant du pouvoir de ses sublimes mains!

Ce fut donc pour le bien qu'accourut sa clémence

Entourer Sinaï de sa magnificence.

Son masque fulgurant sur la montagne luit,

Pour qu'en le voyant tel, l'Epouse le suivit.

Mais, lorsqu'elle apparut devant Lui, l'impudique

S'en détourna, fuyant toute sa dogmatique.

 

Moïse, l'invitant au calme, enfin lui dit :

« D'un court instant encore. Enfant, fais-moi crédit!

Laisse qu'un Traité soit fait à ton avantage !

Puis l'Époux reprendra son vol vers son rivage ! »

 

***

 

L'habitacle brûlait merveilleux sur le Mont,

Quand le Seigneur somma Moïse au noble front

D'y venir, d'avancer jusques en sa Présence.

 

La Voix sainte, jouant, alerte en l'occurrence,

Rôle de satellite, explosa, pour frayer,

A travers le nuage, au Prophète un sentier,

Afin que, sans entrave et sans trop gauche allure.

Il entrât son Traité compléter et conclure.

Moïse, dans la nue, avançant vers son Dieu,

La Voix vint le guider, à travers flamme et feu,

Otant de devant lui bandeau, flamme, accessoire,

Pour que, dans son lieu même et dans toute sa gloire.

Il entrât contempler, tel quel, l'Epoux divin!

 

25

 

L'Ordre sortit lui faire, en la nue, un chemin.

Afin que la splendeur sublime, auguste, unique

Ne le jetât du haut du Mont en la panique.

Moïse pénétra jusques dans le Salon

Du Royal Fiancé pour L'entendre et, selon

Ses ordres, Lui mener l'Épouse en sa Présence.

Il entra consulter Dieu, puis de l'audience

Il sortit, apportant ce Message formel :

 

L'Épouse était admise au seuil de l'Éternel,

Afin d'entendre, avec esprit de discipline.

De la Maison de Dieu l'intégrale doctrine.

 

Comme impure elle était, le cérémonial

Ne l'admit point au sein du Séjour Nuptial !

Elle vint du dehors écouter avec crainte

La leçon de l'Époux et sa volonté sainte.

Et du nuage alors l'Oracle retentit.

Annonçant qu'un Traité devait, sans contredit,

Au culte du Très-Haut lier la Synagogue.

Et préludant de suite aux traits du Décalogue,

L'Oracle se fit net, juste, clair, véhément!

De nul rude statut, d'aucun dur règlement

Ne voulant l'accabler, Il lui donna, pour guide,

Des lois d'une observance aisée et non rigide.

Les idoles Il lui défendit de servir,

Pour que rien ne la pût à son culte ravir.

Il l'avertit aussi, par sa parole franche,

Qu'étant le Dieu jaloux, Dieu vengeur, sa revanche

Se ferait — fût-ce après des siècles à venir —

Contre ses offenseurs terriblement sentir !

 

Il lui posa sur la route de la justice

Dix étapes, au bout desquelles l'exercice

Devait droit la mener au Royaume des cieux !

Il fixa sur son front un flambeau radieux

Et mit devant ses pas, d'un geste très amène,

De ses commandements l'intégrale dizaine,

Afin que de sa Loi la splendide clarté

Sa marche illuminât dans la pure équité !

 

Peine inutile ! arguant, pour elle, trop austère

Ce code et s'avouant inapte à s'y parfaire.

La démente brava tout l'impressionnant

Spectacle déployé sur Sinaï tonnant !

 

26

***

Dieu parle et la Montagne en frémit d'épouvante ;

La pompe sur son front se dévoile géante!

Et du Seigneur la Voix articule des sons

Tels, que le peuple en a des transes, des frissons!

Le tonnerre rugit, l'éclair vole et serpente ;

Et sa moindre lueur brasier immense enfante

Flamboyant et marqué de prodiges, le son

De l'Oracle leur fait redoutable leçon !

Par l'organe du feu, majestueuse bouche

Dont le verbe scandé n'admet nulle retouche,

Il martèle l'accent de ses commandements!

Dans une langue dont les moindres éléments

Ont de la foudre la dévorante étincelle,

Il dicte sa Parole authentique, éternelle!

 

***

 

Le brasier, sur la cime, un son de fifre émet :

Le feu crépite et chante au-dessus du sommet!

De l'immense âtre explose un orchestre, où la flamme

Ronfle un air d'ouragan, monte une monstre gamine!

Solennel est l'instant : Dieu promulgue sa Loi!

Le Devoir est dicté; mais l'Epouse, en émoi.

Rebelle au frein moral, en l'ultime minute.

Se refuse à l'Epoux, son Pacte elle réfute !

 

***

 

Que me saisit, ici, dans sa naïveté,

Que me subjugue, ici, dans sa simplicité,

Le rôle de l'Église à l'innocente allure

Et force ma voix à rompre sa boursouflure!

 

Encor qu'inachevé, qu'aujourd'hui prenne fin

Ce thème, pu l'ordre veut prendre un autre chemin!

Trop vaste étant Sina, l'intellect le relâche

Pour, après un repos, y reprendre sa tâche!

Pour le cours abréger de mon verbe étendu,

Sur ma bouche un index s'applique suspendu.

 

Des faits mystérieux clôturons le chapitre :

Nul mortel n'en étant le juge ni l'arbitre !

Je vois que, loin d'avoir mon sujet épuisé,

Ma muse a, sur Sina, ses deux ailes brisé!

Le thème étant ardu, la raison y chancelle :

Qu'elle reprenne haleine, afin qu'elle s'attelle

Au labeur d'un discours moins rude, moins scabreux!

 

27

 

Les comparer l'une à l'autre, serait-ce heureux?

J'entends : l'Eglise à cette ingrate Israélite!

Non, le récit de ses faits et gestes m'invite

A n'y plus insister, or je termine ainsi :

 

Celle-là, pour son Dieu, n'eut pas un seul merci :

En pleine apothéose, elle resta parjure!

En sa misère, sut celle-ci, chaste et pure,

Suivre le Fils et Lui fidèle demeurer !

 

Sans L'avoir jamais vu d'archanges s'entourer,

Sans L'avoir contemplé sur une cime en fête,

Sans jubilation céleste, sans trompette,

Elle a su recevoir le Christ à bras ouverts !

Sans lui clamer, des cieux, ses préceptes divers

Du tréfond d'un nuage embrasant l'atmosphère,

Sans mettre en mouvement foudre, éclair, feu, tonnerre,

Sans l'abîme ébranler, sans troubler l'horizon,

Sans habitacle igné, sans fumante maison,

Sans gîte éblouissant hissé sur un cratère,

Le Fils du Tout-Puissant est descendu sur Terre,

Et, dans des langes mis, en pleine humilité,

Il a ravi l'Église et notre Humanité!

 

Il eut faim, soif, sommeil, Il fut dans l'indigence

Il fut sujet à plus d'une rude souffrance :

Éprouvé par Satan, au sauvage désert,

Nommé « Chef des démons », de sarcasmes couvert

De toutes parts, pris pour un sujet de scandale,

Du blâme subissant l'aveuglante rafale!

Honni d'avoir pris part au repas des pécheurs,

Pris pour vil publicain, insulté par ailleurs!

Sommé d'offrir tribut au roi, comme une dette,

Privé du moindre coin pour y poser sa tête !

N'ayant pour triomphal coursier qu'un simple ânon,

Avec sa nudité pour tout caparaçon !

A l'instar d'un valet, prenant un linge et, preste.

Lavant les pieds pétris d'argile par son Geste!

Vendu par ceux qu'il mit en son intimité,

Renié par les siens, malgré leur loyauté !

Comme un vrai meurtrier, traîné dans le prétoire,

Contraint de subir un long interrogatoire!

A la colonne, comme au pilori, cloué!

Sous dérisoire habit, de force coups roué!

Présentant son front à la couronne d'épine !

Souffleté, puis oyant : « Qui t'a frappé? Devine! »

Trébuchant et tombant sous sa pesante Croix,

Tendant aux clous ses mains et ses pieds à la fois!

 

28

 

Voyant ses vêtements tomber, par un tirage

Au sort, entre des mains avides de pillage!

Sur une éponge, humant le vinaigre et le fiel,

Pour calmer de sa soif le supplice cruel !

Offrant son côté, pour y tailler large brèche.

Aux assauts d'une lance à la pointe revêche !

De baume et d'un linceul et d'un tombeau muni,

 

Et pourtant, parmi nous, à tout jamais béni!

 

Tel Il est apparu le Christ à son Église !

N'importe ! elle a vu juste, en sa sagesse exquise

Et, pour Lui, repoussant idoles et faux dieux,

Elle reste l'Épouse au nimbe radieux!

http://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/jacquesaroug/002.html

 

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