Première lettre à la Duchesse de Sessa
Que cette lettre soit remise à la très noble et vertueuse dame doña Maria de Mendoza, duchesse de Sessa, épouse toute dévouée du généreux seigneur don Gonzalo Fernandez de Cordoue, vertueux et bon chevalier de Notre Seigneur Jésus-Christ. Amen Jésus.
Qu'elle lui soit remise en main propre, à Cabra, ou bien là où elle se trouve. Amen Jésus.
Au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ et de Notre-Dame
Dieu vous garde, bonne duchesse de Sessa, ma très chère sœur en Jésus-Christ, vous, votre famille et tous ceux qu'il plaira à la divine volonté! Amen Jésus.
La présente lettre, vertueuse duchesse, est pour vous faire savoir que, tout de suite après vous avoir quittée, je suis allé à Alcaudète, rendre visite à doña Francisca; de là, j'ai gagné Alcala où, quatre jours durant, j'ai été très fatigué; je m'y suis endetté aussi de trois ducats, pour venir en aide à quelques pauvres très misérables. Tous les notables de cette ville se trouvaient alors en révolte contre le Corrégidor ; aussitôt remis, je suis donc parti pour Grenade sans faire la quête à Alcala. Dieu sait dans quel dénuement les pauvres m'attendaient!
Ma sœur en Jésus-Christ, bonne duchesse, l'aumône que vous m'avez faite, les anges l'ont déjà inscrite, au ciel, dans le livre de vie. L'anneau a été si bien employé qu'avec l'argent reçu en échange, j'ai fait vêtir deux pauvres couverts de plaies, et j'ai acheté une couverture. Oui, elle est en présence de Jésus-Christ et intercède pour vous, cette aumône. Quant à l'aube et aux chandeliers, je les ai placés aussitôt sur l'autel, en votre nom; vous aurez donc part à toutes les messes et prières qui se diront ici. Notre Seigneur veuille vous récompenser, au ciel, de tous ces bienfaits!
Pour le si bon accueil que vous et tous les vôtres m'avez fait, Dieu vous paye aussi, en retour, et reçoive au ciel et votre âme et les leurs!
J'ai de grandes obligations envers tous les seigneurs de l'Andalousie et de
Bonne duchesse, l'intention que vous m'avez recommandée (vous savez laquelle) m'a été sans cesse présente à la mémoire. Dieu avant tout, et par-dessus tout ce qui est au monde! Me confiant en Jésus-Christ seul,
Placez votre espérance en Jésus-Christ seul. Maudit soit l'homme qui se confie en l'homme, il en sera abandonné, qu'il le veuille ou non! Jésus-Christ, lui, n'abandonne pas; il est fidèle et constant. Tout passe, sauf les bonnes œuvres.
Sans cesse, bonne duchesse, allez de l'avant; de nuit et de jour, ayez le pied à l'étrier, car nous sommes (comme nous le voyons bien) en guerre continuelle avec le démon, le monde et la chair. Il est absolument nécessaire de nous surveiller toujours nous-mêmes; nous ne savons, en effet, à quelle heure on viendra frapper à la porte de notre âme, et tels on nous trouvera, tels on nous jugera.
Quand vous serez sur le point de vous coucher, bonne duchesse, signez-vous, sanctifiez-vous et raffermissez-vous dans la foi en récitant le Credo, le Pater Noster, l'Ave Maria et le Salve Regina, les quatre prières ordonnées par notre mère la sainte Eglise. Commandez à toutes vos dames de compagnie et à toutes vos servantes de les dire aussi, comme vous le faites d'ailleurs toujours, je le crois, car je les ai vues réciter la doctrine chrétienne quand je me trouvais près de vous.
Vous devez être bien affligée, ma sœur, bonne duchesse de Sessa; on m'a dit, en effet, que don Alvaro et don Bernardino sont déjà partis. Que Notre Seigneur veille sur leurs âmes, les guide et les conduise, en bonne santé, auprès de votre vertueuse mère doña Maria de Mendoza!
Ne vous abandonnez pas à la désolation; consolez-vous en Jésus-Christ seul. Le bonheur, ne le cherchez, du reste, pas en cette vie, mais seulement au ciel ; et pour celui que Dieu voudrait bien vous accorder ici-bas, remerciez-le sans cesse. Quand vous vous verrez malheureuse, recourez à
Ô bonne duchesse, semblable à la chaste petite tourterelle, vous vivez en votre villa, seule et séparée du monde, loin des conversations mondaines et dans l'attente du bon duc, votre généreux et humble mari. Sans cesse vous priez, faites des aumônes, pratiquez la charité pour qu'il y ait part et que le Seigneur préserve son corps des périls et son âme du péché. Dieu veuille le ramener bien vite près de vous et vous donner des fils de bénédiction afin que, toujours, vous le serviez, l'aimiez et consacriez à son service le fruit qu'il vous aura donné!
Le duc vous doit beaucoup: car, sans cesse, vous priez pour lui; et que de peines et de soucis vous avez pour entretenir sa maison! Vous y exercez les œuvres de miséricorde en donnant la nourriture et le vêtement à tous ses habitants, jeunes et vieux. Et ces jeunes filles, ces femmes, ces orphelines, ces veuves, où iraient-elles sans vous? Certes, tous sont obligés de vous servir et de vous être fidèles, mais votre devoir est de leur faire du bien, car Dieu les aime sans exception.
Si nous considérions combien est grande la miséricorde de Dieu, jamais nous ne cesserions de faire le bien quand nous le pouvons; car, donnant aux pauvres, pour son amour, ce que lui-même nous a donné, c'est le centuple qu'il nous promet, en la bienheureuse éternité (Ô heureux bénéfice, ô heureux intérêts!). Qui ne donnerait tout ce qu'il possède à ce béni créancier qui, avec nous, fait un si bon négoce et nous prie, les bras ouverts, de nous convertir, de pleurer nos péchés, de faire la charité, en premier lieu, à nos âmes et, ensuite, à nos semblables, car de même que l'eau éteint le feu, la charité étouffe le péché.
Ma sœur en Jésus-Christ, il faut que vous le sachiez, j'ai de gros soucis, comme vous pouvez vous en rendre compte mon compagnon Angelo. Je suis occupé à remettre à neuf toute la maison, entièrement délabrée et ouverte à la pluie, et les ressources me manquent pour payer ces travaux; aussi me suis-je décidé à écrire au comte de Féria et au duc d'Arcos, à Zafra. Maître d'Avila y est en ce moment; il sera pour moi un bon médiateur auprès d'eux, et j'espère que ces seigneurs m'enverront quelques secours qui me libéreront de mes dettes. Ils le feront, je pense, avec l'aide de Jésus-Christ.
Ma sœur, sans cesse je vous importune et vous donne de l'ennui; mais j'espère en Dieu qu'un jour votre âme jouira du repos. Il faut que je vous dise ceci: l'autre jour, de passage à Cordoue, j'ai trouvé, en parcourant la ville, une maison où régnait la plus profonde misère. Il y avait là deux jeunes filles dont le père et la mère, perclus depuis dix ans et malades, devait garder le lit. A les voir si pauvres et si mal soignés, j'ai eu le cœur brisé: mal habillés et couverts de vermine, ils n'avaient pour tout lit que quelques bottes de paille. Je leur ai porté secours comme j'ai pu, mais non pas autant que je l'aurais désiré, pressé que j'étais d'aller trouver maître d'Avila, pour affaires. Il m'ordonna alors de partir aussitôt et de retourner à Grenade. En cette hâte, je recommandai ces malheureux à quelques personnes; mais elles les ont oubliés, ou n'ont pas voulu, ou n'ont pas pu les aider. Mes protégés m'ont écrit une lettre et j'ai le cœur brisé de ce qu'ils me disent.
Si grande est mon indigence que, le jour où il me faudra payer les ouvriers, il y aura des pauvres qui n'auront pas de quoi manger. Dieu le sait, et je vous l'avoue, je n'avais qu'un réal et je l'ai donné à Angulo pour son voyage. Aussi, bonne duchesse, mon désir, s'il plaît au Seigneur, est de vous voir profiter de cette occasion de faire l'aumône que ces gens-là ont perdue. Quatre ducats seraient nécessaires: trois pour ces pauvresses, afin de leur permettre d'acheter deux couvertures et deux jupes. Mieux vaut, en effet, une âme que tous les trésors du monde, et il ne faudrait pas que ces jeunes filles pèchent pour si peu. L'autre ducat servirait à Angulo, mon compagnon, pour son voyage à Zafra, aller et retour. J'attends qu'il revienne avec quelques secours.
Sans doute, vous devez aider les malheureux de votre entourage plutôt que les étrangers; mais donner ici ou donner là, tout est bénéfice et plus il y a de difficultés, plus il y a à gagner.
Si, faute d'argent disponible, vous ne pouviez faire cette charité, Angulo irait vendre deux mesures de blé à Alcaudète. Si, au contraire, vous lui donniez les quatre ducats, il sait déjà comment il doit les employer et où habitent ces pauvresses.
Ma sœur, vous ferez mes compliments à votre gouvernante de Valladolid, à toutes ces dames, à celle qui chante, à toutes les autres personnes de la maison et à monsieur Jean.
Que Notre Seigneur Jésus-Christ vous garde, bonne duchesse! Votre bien petit et bien peu obéissant frère Jean de Dieu, prêt à mourir, si Dieu le veut, mais qui attend en silence, espère en Dieu et désire le salut de tous les hommes comme le sien propre. Amen Jésus.
Bonne duchesse, si vous donnez cette aumône à Angulo, remettez-lui aussi deux mots pour moi afin que je le sache. Le blé se vendrait en son temps. Renvoyez promptement Angulo, avec ce qu'il plaira à la divine volonté que vous lui donniez. Amen Jésus.
Première lettre de Saint Jean de Dieu à
Date de dernière mise à jour : 2021-07-04
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