Passioniste de Polynésie

Sermon pour la fête de Noël

Jeantauler

Jean Tauler (1300-1361)

Un enfant nous est né un fils nous a été donné (Is 9, 5).

1. On fête aujourd'hui, dans la sainte chrétienté, une triple naissance où chaque chrétien devrait trouver une jouissance et un bonheur si grands qu'il en soit mis hors de lui-même; il y a de quoi le faire entrer en des transports d'amour, de gratitude et d'allégresse; un homme qui ne sentirait rien de tout cela devrait trembler.

La première et la plus sublime naissance est celle du Fils unique engendré par le Père céleste dans l'essence divine, dans la distinction des personnes. La seconde naissance fêtée aujourd'hui est celle qui s'accomplit par une mère qui dans sa fécondité garda l'absolue pureté de sa virginale chasteté. La troisième est celle par laquelle Dieu, tous les jours et à toute heure, naît en vérité, spirituellement, par la grâce et l'amour, dans une bonne âme. Telles sont les trois naissances qu'on célèbre aujourd'hui par trois messes.

(...)

7. Nous avons jusqu'ici parlé de la première et de la troisième naissance, et de la leçon que nous devons tirer de la première, en vue de la dernière; maintenant nous allons expliquer celle-ci au, moyen de la seconde par laquelle le Fils de Dieu, en cette nuit, est né d'une mère, est devenu notre frère. Il a été, dans l'éternité, engendré sans mère, et dans le temps, sans père. Saint Augustin nous dit : " Marie a été bien plus heureuse de ce que Dieu est né spirituellement en son âme que du fait qu'il est né d'elle selon la chair. " Celui donc qui veut voir cette naissance noble et spirituelle s'accomplir en son âme comme dans l'âme de Marie, doit considérer quelles étaient les dispositions particulières de Marie, elle qui fut mère de Dieu, mère à la fois spirituelle et corporelle. Marie était une vierge, chaste et pure; c'était une jeune femme promise et fiancée; elle se tenait à l'écart et séparée de tout, lorsque l'ange vint à elle. C'est ainsi que doit être une mère spirituelle de cette divine naissance.

Elle doit être une vierge chaste et pure. Si elle s'est parfois égarée du chemin de la pureté, il faut maintenant qu'elle y revienne. Une vierge, c'est une personne extérieurement stérile mais intérieurement très féconde. C'est ainsi que la vierge dont nous parlons doit fermer son coeur aux choses extérieures, avoir peu de. commerce avec elles et porter peu de fruits extérieurement. C'est ainsi que Marie n'avait de soucis que des choses de Dieu. Mais à l'intérieur, il faut que cette vierge porte beaucoup de fruits. " Toute la parure de la fille du Roi vient de l'intérieur ". Une vierge qui veut lui ressembler doit donc vivre dans la retraite ayant toutes ses dispositions habituelles, ses pensées, sa conduite orientées vers l'intérieur. C'est ainsi qu'elle porte beaucoup de fruits, et un fruit splendide, à savoir : Dieu lui-même, le Fils de Dieu qui est et porte en lui toutes choses.

Marie était une jeune femme mariée; c'est ainsi que notre vierge doit être mariée, d'après l'enseignement de saint Paul. Tu dois jeter à fond ta volonté changeante dans la volonté de Dieu qui est immuable, afin qu'elle aide ta faiblesse.

Enfin, de plus, Marie s'était enfermée; de même encore la servante de Dieu doit se tenir enfermée, si elle veut ressentir vraiment en elle cette naissance, s'abstenant non seulement des dispersions temporelles qui paraissent devoir lui apporter quelque dommage, mais même des pratiques purement sensibles des vertus. Elle doit assez souvent faire le silence et le calme en elle-même, s'enfermer en son intérieur, se cacher dans l'esprit pour se soustraire et échapper aux sens, et se faire à elle-même un lieu de silence et de repos intérieur.

8. C'est de ce repos intérieur qu'on chantera dimanche prochain au commencement de la messe : " Dum medium silentium fieret. Alors que l'on était en plein silence, que toutes choses étaient dans le plus grand silence, et que la nuit était au milieu de son cours, c'est alors Seigneur, que de ton trône royal descendit la parole toute-puissante ", le Verbe éternel sortant du coeur de son Père. C'est au milieu du silence, au moment même où toutes les choses sont plongées dans le plus grand silence, où le vrai silence règne, c'est alors qu'on entend en vérité ce Verbe, car si tu veux que Dieu parle, il faut te taire; pour qu'il entre, toutes choses doivent sortir.

Quand notre Seigneur Jésus entra en Égypte, toutes les idoles du pays s'effondrèrent : Tes idoles à toi, c'est tout ce qui empêche cette naissance éternelle de s'accomplir en toi, d'une façon véritable et immédiate, aussi bon et aussi saint que cela paraisse. Notre Seigneur a dit : " Je suis venu apporter un glaive pour trancher tout ce qui tient à l'homme : mère, soeur, frère ". Car ce qui t'est le plus proche, voilà ton ennemi : cette multiplicité d'images, qui cachent en toi le Verbe, et s'étendent sur " lui, empêche cette naissance en toi, sans que pourtant cette paix te soit entièrement enlevée. Cette paix ne peut, il est vrai, toujours régner en toi. Mais c'est par elle, pourtant, que tu deviendras mère spirituelle de cette naissance. Une telle mère doit souvent établir en elle ce plein silence, afin de s'habituer à le faire; l'habitude lui en donnera une certaine maîtrise, car ce qui n'est rien pour un homme exercé, paraît tout à fait impossible au novice inexercé. C'est en effet l'habitude qui donne la maîtrise.

Puisse donc chacun de nous donner place en lui à cette noble naissance, afin de devenir une vraie mère spirituelle. Que Dieu nous y aide ! Amen.

Extrait de l'édition française de référence des oeuvres de Jean Tauler, Éditions du Cerf, coll. Sagesse Chrétienne.

Date de dernière mise à jour : 2017-02-27