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VIE INTÉRIEURE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE
VIE INTÉRIEURE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE
CHAPITRE I. PRÉDESTINATION DE MARIE A LA DIGNITÉ AUGUSTE DE MÈRE DU VERRE INCARNÉ
CHAPITRE II. CONCEPTION ET NATIVITÉ DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE
PRATIQUES DE M. OLIER POUR HONORER LA CONCEPTION ET LA NATIVITÉ DE MARIE
CHAPITRE III. PRÉSENTATION ET SÉJOUR DE MARIE AU TEMPLE
CHAPITRE IV. MARIAGE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE AVEC SAINT JOSEPH ET MYSTÈRE DE L’ANNONCIATION
RÉFLEXIONS PRATIQUES. L'ANGELUS.
CHAPITRE V. ACCOMPLISSEMENT DU MYSTÈRE DE L'INCARNATION PAR LEQUEL MARIE DEVIENT MÈRE DE DIEU
CHAPITRE VI. MYSTÈRE DE LA VISITATION
RÉFLEXIONS PRATIQUES SUR LE CHANT DU MAGNIFICAT
CHAPITRE VII. NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST; MARIE EST LA MÈRE SPIRITUELLE DE TOUS LES CHRÉTIENS
CHAPITRE VIII. MYSTÈRE DE LA PURIFICATION DE MARIE ET DE LA PRÉSENTATION DE JÉSUS AU TEMPLE
CHAPITRE IX. SOCIÉTÉ DE JÉSUS ET DE MARIE
CHAPITRE XI. INSTITUTION DE L’ADORABLE SACREMENT DE L’EUCHARISTIE.
CHAPITR XII. MARIE AU CALVAIRE
CHAPITRE XIII. MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR
CHAPITRE XIV. ASCENSION ET PENTECÔTE
RÉFLEXIONS PRATIQUES. SUR LA PRIÈRE : O JÉSUS VIVANT EN MARIE
CHAPITRE XVIII. GLOIRE DE MARIE DANS LE CIEL.
RÉFLEXIONS PRATIQUES SUR LE PETIT OFFICE DE LA TRÉS-SAINTE VIERGE
CHAPITRE XIX. MARIE EST NOTRE MÉDIATRICE AUPRÈS DE JÉSUS-CHRIST
CHAPITRE XX. MARIE EST L’AVOCATE DES PÉCHEURS
AUTRE EXERCICE PLUS COURT QU'ON PEUT FAIRE AVANT LES PRINCIPALES ACTIONS DE LA JOURNÉE
ACTE A JÉSUS POUR QU'IL FORME EN NOUS L'INTÉRIEUR DE MARIE
OUVRAGE RECUEILLI DES ÉCRITS DE M. OLIER
FONDATEUR DE LA CONGRÉGATION
DES PRÊTRES DE SAINT-SULPICE
Numérisation :
Abbaye Saint Benoît de Port-Valais
rte de l’Eglise 38
CH-1897 le Bouveret (VS)
Suisse
Dieu veut révéler dans ces derniers temps et découvrir Marie, le chef d'oeuvre de ses mains...; et il veut qu'elle soit plus connue, plus aimée, plus honorée que jamais elle ne l’a été.
(Le Vén. Louis-Marie Grignon de Montfort, Dévotion à la sainte Vierge, I. part., II. n. 1, p. 34-41 ; 1843)
PARIS
LIBRAIRIE POUSSIELGUE FRÈRES RUE CASSETTE, 27, 1875
ARCHEVÊCHÉ DE PARIS
APPROBATION
Nous avons lu avec grande édification le livre intitulé . Vie intérieure de la très-sainte Vierge, composé avec les manuscrits laissés par M. Olier. Il est facile de reconnaître dans cet écrit la doctrine substantielle et abondante que l'on trouve, en général, dans les auteurs ascétiques du XVIIe siècle. Persuadé que ce livre est très-propre à augmenter dans les âmes la dévotion envers la très-sainte Vierge, et à les porter à l'imitation de ses vertus, Nous lui donnons notre approbation et Nous en recommandons la lecture.
Paris, le 19 octobre 1875.
+ J- J.-HIPP.,
Card. Arch. de Paris.
AVERTISSEMENT
Ce que M. Olier a laissé sur la sainte Vierge se trouve épars dans un grand nombre d'écrits très-différents de date, de style, de but. Il n'en est aucun que l'auteur ait achevé, qu'il ait préparé pour l'impression. La plupart sont de simples ébauches, où il esquissait ses pensées pour en conserver le souvenir, sans avoir l'intention de leur donner la forme définitive. Ce sont souvent de simples mémoires tracés à la hâte, au jour le jour, qui ont pour objet ses occupations intérieures, les faveurs qu'il recevait de Dieu, les sentiments qu'elles lui donnaient. Il destinait ces feuilles à son directeur seulement, de qui il était sûr d'être compris et à qui il laissait toute liberté de réformer ou de détruire tout ce qu'il voudrait. Là on voit l'impression que faisait sur lui la méditation des mystères : aussi rien de plus varié, de plus animé. Ce sont des effusions de coeur, des élans d'enthousiasme, des transports de reconnaissance. On sent que les termes lui manquent pour exprimer sa pensée. Il se fait un langage à lui, et, comme la plupart des auteurs mystiques, il accumule les figures et semble forcer les expressions pour faire concevoir, le moins imparfaitement possible, ce qu'il se sent incapable de rendre dignement.
La dévotion de M. Faillon pour la sainte Vierge, et son estime pour les écrits de M. Olier, lui ont donné l'idée de composer un livre de ces différents fragments, en les disposant selon l'ordre des mystères, et d'en faire ainsi un traité dont la lecture serait propre à inspirer un profond respect et un amour filial envers la sainte Vierge.
Ce travail n'était pas sans difficulté. Il devait naturellement y avoir des lacunes. De plus, un texte composé de fragments empruntés à divers écrits, et non revus par l'auteur, manque souvent de cette netteté, de cette précision qu'on s'applique à mettre dans un ouvrage destiné au public. N'était-il pas même à craindre que l'éditeur, travaillant sous l'inspiration d'une idée préconçue, ne s'écartât de très-bonne foi, en groupant ces fragments, des idées de M. Olier et ne lui attribuât, sur certains points, une doctrine qui n'était pas celle de ce pieux et vénérable auteur, ou du moins qu'il ne donnât à ses expressions un sens, une portée qui dépassait sa pensée véritable?
M. Faillon s'était proposé de revoir son livre, de retrancher ce qui était susceptible d'un sens contraire à la pensée de M. Olier. La mort l'a empêché de réaliser son dessein. Nous donnons une édition telle qu'il aurait désiré la donner, et nous nous sommes appliqués à rendre les vrais sentiments de M. Olier.
On voit par ce court exposé que ce livre n'a pas été composé par ce vénérable prêtre tel que nous le donnons. Le fond, la substance et plus ordinairement les expressions sont de lui; mais l'éditeur, pour réunir tous ces fragments épars dans un ordre qui lui a paru le plus convenable, a dû combler des lacunes, éclaircir des textes obscurs ou incomplets, ce que nous tenons à dire pour que le lecteur n'attribue pas à M. Olier les imperfections qu'il remarquerait dans ce travail. Nous devons ajouter qu'il se trouve dans cet écrit quelques opinions particulières à M. Olier; et il ne faut pas s'étonner si l'auteur les énonce comme si elles étaient certaines, et sans aucune réserve ou explication qui avertisse de ne pas les confondre avec la doctrine même de l'Église et les opinions communément reçues parmi les pieux fidèles, parce que, ainsi que nous l'avons déjà dit, dans les fragments recueillis par M. Faillon, M. Olier écrivait ses pensées pour son usage particulier.
Nous soumettons ce travail avec le plus profond respect et l'obéissance la plus filiale à la sainte Église romaine.
Les chapitres de la Vie intérieure de la sainte Vierge sont suivis de Réflexions pratiques. Les réflexions sur les chapitres II, IV, IX, XVIII, XIX sont de M. Olier, ainsi que les Exercices qui sont à la fin du livre. Le texte des autres réflexions n'est pas de M. Olier, bien que l'on ait souvent employé ses expressions, et que pour le fond on ait eu soin de s'inspirer de sa doctrine. Nous avons cru ces réflexions utiles au pieux lecteur elles l'aideront à tirer des mystères de la sainte Vierge des conséquences pratiques pour la direction de sa vie.
AVANT-PROPOS
Modèle parfait de la piété filiale, comme de toutes les vertus, Jésus-Christ a toujours pris soin de faire honorer sur la terre la très-sainte Vierge, sa bienheureuse Mère. Dans cette vue, il a suscité d'âge en âge des personnages éminents, pour renouveler dans les esprits les respects qu'inspirent les grandeurs de cette auguste reine, et dans les coeurs l'amour qu'excite la considération de ses amabilités et de ses bontés. Telle nous a paru être en particulier la vocation de M. Olier, fondateur du séminaire et de la compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, quand nous avons considéré toute la suite de sa vie et les oeuvres encore subsistantes qu'il a laissées après lui.
Avant la naissance de ce serviteur de Dieu, le Ciel fit pressentir à sa mère une si heureuse destinée par un signe assez semblable à celui qu'on attribue à la mère de saint Dominique. Mme Olier, qui avait consacré l'enfant à Marie quand elle le portait dans son sein, crut voir en songe un flambeau ardent qui poussait sa flamme sur un globe, et qui l'embrasait, comme si la sainte Vierge eût voulu indiquer par là qu'il allumerait un jour le feu de son saint amour dans les cœurs. La suite ne tarda pas à justifier cet heureux présage.
Dès ses plus jeunes ans, on vit éclater en lui les premiers traits de cette tendre et ardente dévotion envers Marie, dont il donna l'exemple jusqu'à son dernier soupir, et qui, avec la piété envers Jésus-Christ, prêtre et victime au très-saint Sacrement, fut le caractère distinctif de sa vie sacerdotale. Nous ne pouvons exposer ici tout ce que son zèle lui fit entreprendre pour rehausser et pour étendre le culte de Marie : il faudrait rapporter la plus grande partie de son histoire, nul de son temps n'ayant travaillé avec plus d'ardeur et de succès à propager en France cette dévotion. Bien plus, comme si les bornes de ce royaume eussent offert à son zèle un espace trop étroit, il voulut la répandre en Amérique par une oeuvre jusqu'alors sans exemple, la fondation d'une ville en Canada, dédiée à l'auguste Mère de Dieu, sous le nom de Villemarie, laquelle a donné naissance à plusieurs grands établissements catholiques, et a servi ainsi très-heureusement à propager la dévotion à Marie dans ce nouveau monde.
Mais le feu de ce zèle ardent qui brûlait dans son cœur ne devait pas s'éteindre avec sa vie. M. Olier devait le communiquer à ses disciples pour le laisser après lui dans l'institut qu'il fonda. Il donna, en effet, à sa compagnie, pour fin principale et invariable, le soin d'inspirer au clergé, avec l'amour souverain envers Jésus-Christ, la piété filiale envers Marie, et, par le clergé, de la répandre aussi dans les peuples. Lui-même nous apprend que, dans l'une des communications dont cette divine Mère le favorisait quelquefois, elle daigna lui faire connaître expressément ce dessein, en lui adressant ces paroles, qui l'inondèrent de consolation : « Vous serez animé à jamais du zèle de ma gloire. » Ce mot a jamais le fit tressaillir d'une indicible allégresse, en lui donnant à comprendre qu'il laisserait dans l'Église des successeurs de son zèle pour propager et pour étendre la dévotion envers Marie.
C'est ce qu'on a vu, par un effet de la miséricorde de Dieu, s'accomplir jusqu'à ce jour dans toutes les maisons de l'institut de Saint-Sulpice. Il est constant que, depuis M. Olier, on y a toujours inspiré aux ecclésiastiques la plus haute vénération pour Marie. Ceux qui y ont été formés, et qui sont devenus dans la suite évêques, missionnaires, pasteurs des âmes, fondateurs de communautés, y ont puisé cette dévotion; du moins on ne craint pas d'assurer que tous en sont sortis plus pénétrés de respect, de confiance et d'amour pour cette divine Mère, qu'ils lie l'étaient en y entrant. La solide piété pour le saint Sacrement et pour la sainte Vierge, écrivait Fénelon (1), doit être le véritable héritage de cette maison. C'est le témoignage que se plaisent à rendre encore aujourd'hui ceux qui ont reçu, comme le célèbre archevêque de Cambrai, leur éducation cléricale au séminaire de Saint-Sulpice. Tous avouent que ce qui les y a le plus frappés, c'est la profession toute spéciale qu'on y fait de dévouement à la Mère de Dieu.
1. Oeuvres de Fénelon. Correspondance, tom. V, pag. 228; lettre XLVIII.
Une autre prérogative de M. Olier, nous osons l'espérer, c'est d'avoir été destiné par la bonté de Notre-Seigneur pour donner un nouvel éclat à cette dévotion, par les écrits qu'il a laissés sur les grandeurs de la maternité divine. Ces écrits sont, en effet, une exposition de toute la suite des mystères de Marie, ou plutôt une histoire de sa vie assez complète et très-propre à nourrir la piété. Il est vrai que sur sa vie extérieure on n'y trouvera la solution d'aucune de ces questions curieuses que l'érudition des savants discute sans les éclaircir. Dieu nous les a cachées sans doute à dessein, comme moins utiles à l'édification de l'Église; et, en voulant que les évangélistes les passassent sous silence, il semble qu'il ait eu en vue de nous faire aspirer à quelque chose de plus excellent, et de nous rappeler que toute la beauté de cette fille bien-aimée du Roi des rois est au dedans d'elle-même, c'est-à-dire dans son intérieur.
Si le vêtement a moins d'importance que le corps pour lequel il est fait, et si le corps est à son tour bien moins considérable que l'âme qu'il doit servir, la vie extérieure de Marie est incomparablement au-dessous des beautés de son âme, de ses grâces surtout, de ses vertus, des opérations de Dieu en elle; en un mot, de sa vie intérieure. Dans celle-ci, M. Olier nous montre, en effet, une multitude de traits bien plus admirables, des beautés plus ravissantes, des vérités bien plus importantes pour nous et bien plus honorables pour Marie que ne le seraient tous ces faits et toutes les circonstances de sa vie extérieure et sensible. « La connaissance de l'une, dit-il, consolerait et réjouirait les yeux des hommes; mais la vue de l'autre étonne et ravit toutes les hiérarchies des anges. Vierge Marie, je vous vénère et vous aime, telle que vous êtes en vous-même, et que la foi vous fait connaître, mille fois plus parfaite que tous les récits des hommes ne pourraient le dire, et que toute compréhension humaine ne saurait vous concevoir, puisque vous êtes faite sur l'idée la plus belle que Dieu ait formée en lui-même, pour donner à son Fils une mère sortable à la grandeur de sa personne. Je dis des merveilles en disant ce seul point. » La maternité divine est, en effet, la source, l'objet ou le motif des vues sublimes que M. Olier expose dans cet ouvrage, puisque les hautes considérations qu'il offre à l'instruction et à l'édification de ses lecteurs ne sont, à proprement parler, que des éclaircissements ou des conséquences de ce mystère.
Un fruit précieux de l'étude de ce dogme et de ses conséquences, que le pieux lecteur ne pourra manquer de retirer de cet écrit, c'est de mieux connaître les raisons dernières et comme la racine des éloges que les saints Pères ont donnés à Marie, en exaltant son crédit, sa puissance et sa grandeur; raisons qu'ils n'expliquent pas toujours clairement, et qui sont d'une si grande consolation aux vrais enfants de cette divine Mère. Telles sont par exemple les magnifiques paroles que lui adressa saint Cyrille dans le saint concile d'Éphèse. Nous les rapportons ici comme pour préparer l'esprit du lecteur à ce que nous aurons à dire dès le début de cet ouvrage. « Nous vous saluons, ô Marie, Mère de Dieu, vous par qui la Trinité est glorifiée et adorée, par qui la précieuse croix du Sauveur est exaltée et révérée, par qui le ciel triomphe, les anges se réjouissent, les démons sont chassés, le tentateur est vaincu, la nature fragile est élevée jusqu'au ciel, la créature raisonnable qu'avaient infectée les idoles est venue à la connaissance de la vérité; vous par qui les fidèles obtiennent le baptême, vous par qui toutes les églises du monde ont été fondées et toutes les nations amenées à la pénitence. Que dirai-je davantage? Vous par qui la lumière du monde, le Fils unique de Dieu, éclaire ceux qui étaient dans les ténèbres assis à l'ombre de la mort; par qui les prophètes ont prédit l'avenir, les apôtres ont annoncé le salut aux nations; vous par qui les morts sont ressuscités, par qui les rois règnent. Quel homme peut donc louer dignement la très-louable Vierge Marie (1)? » Cet ouvrage de M. Olier servira donc à monter la vérité rigoureuse et le solide fondement de tous ces éloges et d'autres semblables, et les vengera. par là même de la témérité de quelques écrivains hardis qui ont osé les affaiblir dans ces derniers temps par des explications nouvelles, aussi offensantes pour saint Cyrille, et pour le concile oecuménique d'Éphèse, qu'injurieuses à la puissance de l'auguste Mère de Dieu.
En même temps il montrera avec quelle sagesse l'Église romaine, la mère et la maîtresse
1. Act. Concilii Ephesini.
de toutes lés autres églises, applique à Marie, dans l'office divin, divers endroits de l'Écriture sainte que des hommes sans mission en avaient tranchés témérairement; et nous sommes assurés que les églises de France qui ont adopté à l'envi la liturgie romaine, verront avec joie les motifs cachés et profonds de tant d'applications célèbres, qui sont une preuve aussi bien qu'un éloge public des grandeurs augustes de Marie et de sa puissance auprès de Dieu.
Nous bénirons Dieu si cet écrit peut servir à favoriser le mouvement qui attire les âmes vers la sainte Vierge. Elle est reconnue universellement comme l'inspiratrice de toutes les bonnes œuvres, la mère de toutes les sociétés, l'ouvrière de toutes les conversions; en un mot, le mobile de tout ce qui se fait de bien dans l'Église, et il paraît manifeste que la dévotion envers elle est aujourd'hui, plus qu'elle ne l'a jamais été, la dévotion commune et universelle de tous les peuples catholiques. Les pèlerinages aux tombeaux des saints martyrs, et des thaumaturges, autrefois si célèbres, sont aujourd'hui moins fréquentés; la dévotion à Marie semble en avoir pris partout la place : Jésus-Christ se plaît visiblement à imprimer dans tous les coeurs, avec la conviction du pouvoir universel de sa divine Mère, la confiance la plus étendue en sa bonté. C'est aussi la fin que M. Olier se propose dans ses écrits. Son but est de montrer Marie comme le canal universel par lequel Jésus-Christ veut répandre toutes ses grâces, et de mettre de plus en plus à découvert le fondement de cette vérité, qui est un si doux sujet de consolation pour tous les chrétiens. « Je vois, je sens, j'expérimente cette vérité en moi, comme si je la voyais de mes yeux, écrit-il; et je voudrais être capable de publier partout l'amour de Jésus-Christ envers sa Mère, afin de faire entendre le pouvoir de Marie et de lui acquérir ensuite de l'amour et de l'honneur dans le monde. »
Cette dévotion étant la grâce la plus signalée de notre siècle, la sainte Église, pour faire honorer les mystères et les grandeurs de Marie, a institué les fêtes de sa Maternité, de sa Pureté, de son saint Coeur, de son Patronage, les fêtes de Notre-Dame de Grâce, de Notre-Dame Auxiliatrice, de Reine de Paix, sans négliger pourtant les mystères du Sauveur, puisqu'elle célèbre entre autres les fêtes de son Précieux Sang, de son sacré Coeur,
de sa Passion, de sa Couronne d'épines, de sa Lance, de ses Clous, de son Suaire. Enfin elle vient de mettre le comble à toutes les marques qu'elle avait données jusqu'ici de sa piété et de sa vénération envers Marie, en définissant, comme dogme de foi catholique, son immaculée Conception : définition que tout l'univers a accueillie avec les transports d'une allégresse d'autant plus vive, qu'il l'avait attendue et désirée depuis longtemps et avec plus d'ardeur. « N'est-il pas juste, écrit M. Olier, qui semble avoir désigné notre époque, n'est-il pas juste à présent de s'appliquer aux saints mystères que la Providence prend plaisir de manifester dans le progrès des siècles : à présent que agi, l'Église reçoit sans peine ces vérités, ou plutôt qu'elle les considère avec tant de joie et d'amour, à présent qu'elle prend surtout plaisir de s'appliquer aux saints mystères de la vie de Jésus-Christ et de sa sainte Mère, afin de les faire de plus en plus honorer par ses enfants? »
DÉCLARATION DE L'ÉDITEUR
Pour me conformer aux décrets des souverains pontifes, je déclare que dans tout ce que je puis dire de la personne, des écrits et des lumières de M. Olier sur les choses de la religion, je ne veux en aucune sorte prévenir le jugement du Saint-Siège apostolique; que, bien au contraire, je me soumets d'avance à tout ce qu'il pourrait définir sur ces matières, qui serait contraire ou peu conforme à ce que j'en ai écrit, et qu'enfin je regarderai toujours comme le plus cher et le plus nécessaire de mes devoirs la soumission parfaite de mon esprit et de mon coeur aux décisions du Souverain Pontife, le vrai Père et le vrai Docteur donné de Dieu à tous les chrétiens.
CHAPITRE I. PRÉDESTINATION DE MARIE A LA DIGNITÉ AUGUSTE DE MÈRE DU VERRE INCARNÉ
Dieu le Père engendre son Fils en lui-même. Dans la contemplation de soi-même qui le ravit, il voit naître son Fils, comme un miroir, où il se trouve représenté substantiellement, comme l'enseigne l'Apôtre (Épitre aux Hébreux, I, 3). Ce miroir l'absorbe dans l'amour de lui-même; et en cet amour du Père et du Fils est produit le divin Esprit. Renfermé dans ce cercle éternel qui est sa vie et sa béatitude, il est vivant et bienheureux en lui-même, et il eût (2) pu vivre ainsi éternellement, sans se communiquer au dehors et sans se donner à nous. Mais de toute éternité, ayant eu dessein de nous manifester son amour par l'Incarnation de son divin Fils, il s'est premièrement pourvu d'une aide, la très-sainte Vierge Marie. Sans doute, lui-même eût formé de ses mains l'humanité de son Fils, ce chef-d'oeuvre admirable, comme il devait former les anges, s'il eût voulu l'envoyer au monde dans une chair immortelle et glorieuse; et dans cette génération temporelle, le Fils n'eût pas eu besoin de mère, non plus qu'Adam dans sa création. Mais, prévoyant notre péché (1) et voulant qu'il fût expié par la mort de son propre Fils, il résolut de l'envoyer au monde dans notre chair passible et mortelle, afin que, dans cette même chair, il endurât la mort en faveur des pécheurs. Pour l'engendrer donc de la sorte, Dieu le Père se choisit, avec beaucoup de convenance, la très-sainte Vierge comme aide ou comme épouse. Car Dieu le Père, qui seul peut envoyer la personne de son Fils, veut que dans le mystère de l'Incarnation Marie soit son Épouse, en ce sens que le Père, qui est le principe de la génération de son Verbe selon sa divinité, destine la sainte Vierge à devenir le principe de la génération du même Verbe selon l'humanité 1.
1. Bulla Pii Papoe IX, ad Concept. Immaculat. Virginis primordia, uno eodemque decreto, cum divinae Sapientiae Incarnatione fuerant praestituta.
M. Olier suppose ici que, si l'homme n'eût pas péché, le Verbe se serait incarné sans naître de la femme; et quelque extraordinaire que ce sentiment puisse paraître, il n'est contraire ni à l'Écriture ni aux saints docteurs.
1. M. Olier appelle génération temporelle du Verbe le mystère de l'Incarnation; il attribue cette génération au Père éternel, et il dit que dans ce mystère la sainte Vierge est épouse du Père éternel.
Plusieurs saints docteurs, parmi lesquels il suffit de citer saint Athanase, saint Ambroise, saint Cyrille d'Alexandrie, interprètent du mystère de l'Incarnation ces paroles du second psaume : Le Seigneur m'a dit : Vous êtes mon Fils; je vous ai engendré aujourd'hui. Apposite additur es, quod generationem ante saecula declarat, dit saint Athanase; erat enim semper filius. Ad jecit autem illud : hodie genui te, ut generationem secundum carnem commonstraret. Illud enim hodie, tempus indicat, quare pro temporali generatione adjiciunlur istaec hodie, genui te. (Biblioth. veterum Patrum, t. V, p..195.) L'Église applique ces mêmes paroles au mystère de la naissance de Jésus-Christ, dans la messe de Noël, et saint Paul nous apprend qu'elles s'entendent également de la résurrection de Jésus-Christ. (Actes des Apôtres, XIII, 33.) Il est donc bien permis de dire que le Père éternel engendre son Fils dans le mystère de l'Incarnation; non pas sans doute dans ce sens que l'union hypostatique du Verbe avec la nature humaine s'opère par voie de génération, mais parce que le Verbe, éternellement engendré du Père, et par conséquent engendré au moment où il s'unit à la nature humaine, prend alors une vie nouvelle, devient Homme-Dieu, fils naturel et non adoptif du Père éternel, qui seul peut lui dire: Vous êtes mon Fils; aujourd'hui je vous ai engendré. Le Fils de Dieu fait homme n'est pas le fils de la sainte Trinité, ni le fils du Saint-Esprit, mais le Fils unique du Père éternel.
Il n'est donc pas contraire à la vérité que cette génération temporelle du Verbe soit attribuée au Père. Toutes les oeuvres ad extra sont communes aux trois personnes de la sainte Trinité, ainsi que la foi nous l'enseigne. Unus solus Deus unum est universorum principium, dit le grand concile de Latran. La raison en est que, comme dit saint Thomas : « Creare convinit Deo secundum suum esse quod est ejus essentia quoe est communie tribus personis. (1re p. q., XLV, a. 6 c.) Créer convient à Dieu selon son être, qui est son essence, laquelle est commune aux trois personnes. » Donc l'Incarnation, c'est-à-dire la création, la formation de là nature humaine et son élévation à l'union hypostatique, est l'effet des trois personnes de la sainte Trinité, et le même concile de Latran a dit : Unigenitus Dei Filius a tota Trinitate communiter est incarnatus. Mais le langage des saintes Écritures et l'usage de l'Église nous autorisent à attribuer par appropriation certaines oeuvres au Père, d'autres au Fils, d'autres au Saint-Esprit, selon le point de vue sous lequel on les considère et le rapport que nous remarquons entre les oeuvres et les divines personnes. Les divines Écritures, les symboles et les écrits des Pères attribuent les grâces au Saint-Esprit, parce que ce sont autant d'effets de la charité de Dieu à notre égard, et que le Saint-Esprit procède comme amour du Père et du Fils. Pour cela, la génération temporelle du Verbe étant principalement une oeuvre de grâce et de sanctification, la manifestation de l'amour de Dieu à l'égard des hommes, on l'attribue par appropriation au Saint-Esprit, et nous disons dans le Symbole . Incarnatus est de Spiritu sancto ex Maria Virgine; c'est pourquoi la sainte Vierge est appelée l'épouse du Saint-Esprit. Mais cette même génération temporelle peut être considérée comme une mission temporelle du Verbe dans le monde, et ainsi envisagée on peut l'attribuer au Père, parée que les missions temporelles des personnes divines du Fils et du Saint-Esprit sont en rapport avec leur procession éternelle. De là M. Olier conclut que la sainte Vierge a été admise en participation de la divine fécondité du Père éternel, et comme le Fils unique de Dieu le Père est en même temps le fils de la sainte Vierge, il appelle celle-ci l'épouse du Père éternel. Ces deux dénominations, épouse du Père éternel et épouse du Saint-Esprit, sont consacrées par le langage des saints docteurs. La première a été plus communément employée par les anciens. Saint Thomas d'Aquin dit dans un sermon pour le IVe dimanche de Carême : Fuit sponsa Patris,et materFilii,et habitaculum Spiritus sancti; et saint Bonaventure : Te matrem Dei laudamus, te aeterni Patris sponsam omnis terra veneratur. Tu templum et sacrarium Spiritus sancii, totius beatissimae Trinitatis nobile triclinium sancta Maria a Deo Patre sponsa electa; Verbi Dei Mater praeelecta, a Spiritu sancto protecta, ora pro nobis. (Opuscul. t. I, Parisiis, 164.) Richard de Saint-Laurent explique la doctrine que nous venons d'exposer. Le Saint-Esprit, dit-il, vient en Marie pour séparer dans sa chair sa plus pure substance, dont il forme le corps que le Fils de Dieu devait prendre, et c'est pour cela qu'il est dit que Marie a conçu par la vertu du Saint-Esprit, et le Fils de Dieu peut dire au Saint-Esprit cette parole de Job : Vous m'avez revêtu de peau et de chair... Cependant toute la bienheureuse Trinité a opéré l'Incarnation du Fils, parce que les oeuvres de la Trinité sont inséparables, elles appartiennent aux trois divines personnes. Ideo de Spiritu sancto dicitur Maria concepisse, et potest dicere Filius Spiritui sancto illud Job : Pelle et carnibus vestisti me; nihilominus tamen sancta Trinitas operata est Filii incarnationem, nam inseparabilia sunt opera Trinitatis. (De Laud. B. M., lib. III, cap. I.).
Voir le chapitre v, pages 76, 77, 78, 79.
Le mariage est l'expression sainte du Père éternel, qui engendre et porte en soi son Verbe, et fait seul, par sa personne, ce que le mari et la femme expriment au dehors, en produisant ensemble un fils qui est le terme de leur génération. Mais parce que Dieu le Père engendre son Verbe dans une féconde (5) virginité, il veut exprimer dans sa sainte épouse seule, et montrer au dehors cette fécondité vierge et sans corruption. De plus, comme il engendre son Verbe de toute éternité par sa connaissance, par retour,et par vue sur lui-même, il veut que Marie, l'image très-parfaite et très-sainte de sa fécondité vierge, l'engendre aussi avec connaissance; et pour cela même il décrète qu'elle donnera à la génération du Verbe dans la chair son consentement d'une manière expresse et solennelle, ce qui présuppose la connaissance et la raison. Tandis que le reste des (6) mères ne sauront pas ce qui devra naître d'elles, il veut que Marie connaisse auparavant quel sera le fils qu'elle concevra : un ange lui apprendra que ce fils sera le propre Fils du Très-Haut, Dieu et homme tout ensemble, le Rédempteur du monde, et que son règne n'aura point de fin.
En voulant avoir ainsi l'agrément de Marie, Dieu le Père montre, par cette conduite si pleine de révérence envers sa sainte épouse, l'estime qu'il fait d'elle et l'amour qu'il lui porte comme époux. Je ne puis exprimer, et je dois dire que nulle créature ne le pourra jamais, quelle est l'affection et la tendresse de Dieu le Père envers la très-sainte Vierge (1), en cette qualité d'épouse. Il s'applique tout entier à la lui témoigner; et cela est infini, immense, incompréhensible à tout esprit créé.
L'épouse entre en possession de son époux, qui devient sien, et ensuite en communauté de tous les biens qu'il possède. Elle entre en unité de coeur et d'âme, en unité d'esprit, de pensées, de vouloir; d'où il suit qu'elle a part à ses desseins, à ses ordres, à ses oeuvres. Ainsi Dieu le Père, comme un saint et fidèle époux, veut mettre la très-sainte Vierge en union et en parfaite jouissance de sa personne, de ses trésors, de sa gloire et de tous ses biens.
1. Bulla SS. D. N. Pii Papoe IX ad definit. Imm. Concept. Ineffabilis Deus, cum ab omni aeternitate praeviderit luctuosissimam totius humani generis ruinam, ex Adami transgressions derivandam..., ab initio et ante sacula Unigenito Filio suo Matrem, ex qua caro factus in beata temporum plenitudine nasceretur, elegit atque ordinavit, tantoque prae creaturis universis est prosecutus amore, ut in illa una sibi propensissima voluntate complacuerit.
C'est une chose inconcevable comment Dieu eut cette divine épouse présente à son, esprit avant la formation de toutes les créatures. Pour lui, il n'y a ni futur ni passé; tout. est présent à ses yeux, il voit distinctement toutes choses dans la lumière éternelle. De toute éternité, il y avait donc en Dieu un caractère, une figure qui représentait Jésus-Christ et sa mère, le Verbe incarné et tous ses membres; dès lors Marie était aussi présente aux yeux de Dieu que si déjà elle eût été formée, que si elle eût été 'effectivement au monde. Ce consentement célèbre de Marie, nécessaire à l'Incarnation, sur lequel reposait tout l'édifice de la religion qu'il préméditait, toutes les figures et les prophéties, toute l'économie du salut, il le prévoyait et le connaissait avant tous les temps. Il voyait déjà au fond de l'âme de la très-sainte Vierge, remplie de foi, de sagesse, de soumission, quels seraient sa pensée et son sentiment, sachant la force et la vertu de la grâce dont il devait la remplir. Connaissant donc sa volonté et la disposition de son coeur, et tirant déjà d'elle son consentement, qu'il voyait aussi réellement que quand elle le confirma à l'ange, il réglait là-dessus, de toute éternité, le saint mystère de l'Incarnation.
Il en usait de même dans la vocation de tous ses enfants adoptifs, qui sont les membres de Jésus-Christ, l'achèvement de ce grand mystère, et desquels Marie, mère du Verbe selon la chair, devait être véritablement la mère selon l'esprit. Si, dans le (8) dessein de Dieu, l'épouse devait être donnée à l'époux, comme une aide semblable à lui, ce n'était pas seulement pour qu'elle contribuât à la naissance des enfants; mais encore pour qu'elle concourût par sa sollicitude maternelle, par sa tendresse et sa bonté, par la sagesse de ses conseils, à leur éducation et à leur établissement. Sans doute, en nous prédestinant à devenir les membres de son Fils, Dieu le Père nous a appelés, selon le décret de sa volonté et par un pur effet de sa grâce, qu'il nous a donnée en Jésus-Christ, avant tous les siècles: nous ayant déjà comme créés en lui, et ayant préparé les oeuvres saintes qu'il désirait que nous fissions pour sa gloire (1). Mais en appelant ainsi chacun de nous, en lui préparant, dès l'éternité, la mesure des moyens intérieurs et"extérieurs de sanctification qu'il lui donne dans le temps, Dieu tenait sa sainte épouse présente à son esprit. Il voyait ce qui lui eût agréé, ce qu'elle aurait désiré pour chacun, si elle eût été au monde, et il agissait selon les intentions, selon les désirs et les prières de Marie qu'il prévoyait.
C'est pourquoi dans la plénitude des temps, lorsqu'il aura donné l'être à sa sainte épouse, il lui montrera l'économie de ses desseins sur chaque âme; et elle les agréera expressément.
1. C'est par appropriation, et en traduisant les paroles de saint Paul, Épître aux Éphésiens, que M. Olier attribue au Père notre vocation à la grâce, bien que ce don de Dieu soit l'œuvre commune des trois divines personnes. « Béni soit Dieu, Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui nous a choisis en lui avant le commencement du monde, pour que nous fussions saints et immaculés en sa présence dans la charité. » (Chap I, 3-6.)
Quelque vastes que soient ces desseins de Dieu, Marie, le chef-d'oeuvre des mains du Tout-Puissant, après l'humanité de son Fils, Marie, toute remplie du Saint-Esprit, les. connaîtra clairement; car Dieu lui fera voir la conduite admirable qu'il aura tenue et celle qu'il tiendra dans la suite, et tirera d'elle son consentement et son agrément sur toutes choses. C'est ce qu'il fera paraître, une fois pour toutes, dans le moment de l'accomplissement de son oeuvre par excellence, l'Incarnation du Verbe, qui est comme la clef du bâtiment universel de l'Église et du monde; puisque alors il exigera d'elle. publiquement, à la face d'un archange et d'un témoin irréprochable de sa cour, ce consentement solennel; faisant ainsi paraître visiblement ce que de toute éternité il avait résolu invisiblement de faire avec elle (et cette conduite de Dieu explique comment il se fait que toutes les grâces ont été- et seront données à jamais par l'entremise de Marie) (1).
1. S. Ephrem, groece. Tom. III, p. 532. Per te omnis gloria, honor et sanctitas ab ipso primo Adam, et usque ad consummationem saeculi, Apostolis, Prophetis, justis et humilibus corde, sola immaculatissima, derivata est, derivatur, se derivabitur, atque in te gaudet, gratia plena, omnis creatura.
D. Alb. Mag. sup. Missus. Beata Virgo proprie dicitur Porta coeli: quia per ipsam exivit quidquid gratiae unquam creatura vel increatum in hunc mundum venit vel venturum fuit : omnium enim bonorum Mater est, et Mater gratias, et Mater misericordiae : et etiam ipsa gratia increata tanquam aquœductu exivit ab ipsa et venit in mundum. Item per ipsam intravit quidquid unquam boni de cadis in terram descendit, et e converso. Unde dicit Filius ejus : Venerunt mihi omnia bons pariter cum illa. (Quaest. CXLVII.)
S. Bern. Senens. Tom..IV, p. 91 et 129. Dictum est enim quod nulla gratia de coelo, nisi ea dispensante, ad nos descendit. Hoc enim singulare officium divinitus ab aeterno adepta est, sicut ipsa testatur dicens : Ab oeterno ordinata sum, scilicet dispensatrix gratiarum coelestium. Totus mundus post primorum nostrorum parentum culpam, amore tantes Virginis a Deo praeservatus est. Maria namque per multa millia annorum antequam nasceretur, primo et principaliter Adam et Evam, et totem ejus posteritatem praeservavit in esse. Constat, nempe quod ex propria transgressione Adam et Eva, non solum mortis, sed annihilationis exterminium meruerunt, et divina ultio, quae personarum acceptionem ignorat, sicut nec culpam Angelicam, sic nec etiam humanam dimisisset impunem. Sed propter praecipuam reverentiam, et singularissimam dilectionem quam habebat ad Virginem, praeservavit; quia eam ab aeterno super omnes creaturas Deo uniendas, quae creandae erant, superexcessive dilexit. De ipsa nasci debebat Dei Filius Jesus Christus, qui secundum corpulentam substantiam in Adam existens erat solum de Virgine et de nulla alia educendus. Induisit ergo misericors Deus primis parentibus, nec eos annihilavit : quia sic non fuisset exorta beata Virgo, nec per consequens, Christus sive Deus carnem vestiisset humanam. Ergo propter istam nobilem creaturam Deus salvavit parentes primos de prima eorum transgressions. (Serm. V, de Nativ. B. Virg., cap. II.)
Ainsi le Père éternel, l'ayant choisie pour son aide dans la formation de sa famille, forme avec elle Jésus- Christ dans toute son étendue, le chef et tous ses membres, sa postérité et tous ses descendants (1).
1. S. Bernard. Senens. De Assumpt. B. V., art. II, cap. I. Unde ab ipso Deo Patre recepit fontalem foecunditatem ad omnes generandos electos, et etiam ipsos Angelos in aliquo gustu et gradu et experientia divinorum, quum etiam ab ipso exordio creationis et glorificationis eorum, preeviderint eam futuram Matrem Dei. Igitur ipsa Virgo, ex hoc habet a Patre rationem primitatis et sublimitatis regalis et imperialis super omném creatam naturam.
Il en use de la même sorte avec elle pour le reste des circonstances du grand oeuvre de l'Incarnation, et spécialement pour la création de l'univers qui en est la suite. En sa qualité d'homme, le Verbe incarné avait besoin d'une demeure temporelle, et sa mère aussi. Tous les membres de Jésus-Christ étaient pareillement dans cette nécessité, et Dieu avait résolu de créer ce monde pour leur aider à passer la vie, avant qu'ils allassent le glorifier dans le ciel (1).
1. Cornel. a Lapide in Eccli. Ego feci ut in coelo oriretur lumen indeficiens. (Eccli. XXIV, 6.) Ad litteram : Ego fui causa cur Deus creavit lucem, coelos, mare, flumina totumque universum. Hujus enim creatio ordinata fuit ad justificationem et glorificationem sanctorum, factam a Christo per beatam Virginem, tanquam ad suum finem : ordo enim natures creatus et institutus est propter ordinem gratias. Quia ergo B. Virgo fuit Mater Christi, se consequenter fuit medium nostrœ redemptionis, se totius ordinis gratiarum a Christo instituti: hinc pariter fuit causa finalis creationis Universi : Universi enim finis est Christus, ejusque Mater et sancti : ut scilicet, sancti in Universo hoc per Christum et B. Virginem, gratia et gloria donenturr. Quare creationis universi causa finalis fuit praedestinatio Christi, B. Virginis et sanctorum. Licet enim Universi partes quaadam sint Christus et B. Virgo, ideoque eo posteriores in genere causse mperialis; tamen in genere causas finalis sunt priores. Quare inter creationem Universi, et Nativitatem Christi ac B. Virginis, est mutua quaedam contradependentia : nec enim Deus nasci voluit Christum et B. Virginem, nisi in Universo hoc; nec vicissim voluit, Universum hoc existere sine Christo et B. Virgine; imo propter illos illud creavit. Totum enim Universum ad Christum et B. Virginem, ordinemque gratiarum, velut ad sui complementum et finem referri et ordinari voluit. Vide nostrum Suerez, Vasquez; Valentiam, p III, q. 1, ac Patrem Canisium, ib. V, Marial. cap. VI, et lib. I, cap. XII.
Car c'est pour le Verbe incarné que Dieu a fait ce monde; si bien que, qui n'est à Jésus-Christ, qui ne subsiste en lui, qui n'est uni à lui par son esprit et par sa grâce, n'est pas digne des créatures; et s'il en use, c'est avec injustice, n'étant pas partie de celui pour lequel principalement toutes choses ont été créées.
Dieu avait fait ce grand ciel si magnifique, si auguste, cette terre si admirable, à cause de la dignité de Jésus-Christ et de ses membres. A proportion de la dignité des personnes, on leur donne des meubles précieux; pour conduire un prince, un roi, on allume quantité de flambeaux autour de sa personne; au lieu qu'un artisan sera content d'une petite bougie ou d'une mèche trempée dans une goutte d'huile. Destinant donc ce monde à servir d'hôtellerie à son Fils, Dieu avait résolu de le créer dans cette grandeur si magnifique et cette beauté si rare, afin qu'il fût un lieu sortable à la dignité auguste de celui qui devait l'habiter. Ainsi il a fait le soleil si merveilleux, et dans cette beauté et cette magnificence, parce qu'il devait être le flambeau de son Fils; les cieux si vastes, si resplendissants, parce qu'ils étaient destinés à être le toit et le lambris de sa maison; il a créé la terre si belle, parce qu'elle devait servir à le porter, à être l'escabeau de ses pieds. Voulant enfin qu'elle fournît par ses productions à l'entretien de la vie de son Fils et qu'elle fût le lieu de son séjour, il l'a remplie de tant de rares beautés dans la variété de ses fleurs, dans la diversité de ses fruits, et dans le reste des créatures, qu'il a faites avec une perfection, un poids, un nombre et une mesure proportionnés à l'excellence de celui à qui elles (13) étaient destinées; non pas pour qu'elles fussent l'objet de sa joie et de ses complaisances, car tout cela n'est pas digne du Fils de Dieu; mais seulement pour marquer sa dignité et la grandeur de sa condition et de sa naissance.
La terre était donc destinée aussi à servir de demeure passagère à la très-sainte Vierge et à tous les membres de Jésus-Christ; à l'Église, qui devait s'y répandre de toute part et y établir le règne de Dieu. Or, dans la disposition qu'il donnait à l'univers, Dieu le Père avait présente aussi l'aide qu'il s'était choisie pour la formation de sa famille; il réglait la demeure temporelle de cette même épouse, celle de son fils et de tous ses enfants d'adoption (1).
D'après cela, on ne peut avoir difficulté d'entendre ces paroles de l'Écriture, dites de la Sagesse éternelle (2), appliquées par l'Église à la très-sainte Vierge:
1. Cornel. a Lapide in Eccli. cap. XXIV. Christus ergo et B. Virgo sunt causa finalis, ob quam creatum est universum, ac proinde ejusdem sunt causa, formalis, puta exemplaris, scilicet idea. Ordo enim gratiarum, in quo primus est Christus et B. Virgo, est idea et exemplar juxta quod Deus creavitet disposuit ordinem natures, totiusque universi. Vide Dionys. Carthus., qui omnia quae hoc capite dicuntur sigillatim B. Virgini accommodat.
2. Ces paroles et d'autres semblables ont, en effet, pour objet le Verbe divin, en tant qu'il devait s'incarner, et qu'il était déjà présent, comme tel dans la prescience divine. Cela n'empêche pas qu'on ne les rapporte aussi très-légitimement à la très-sainte Vierge, non-seulement parce que nous avons été créés aussi nous-mêmes dans la prescience divine, comme étant le corps de Jésus-Christ notre chef, dont Marie est membre, mais à cause des privilèges singuliers de cette auguste créature, destinée à être le principe de Jésus-Christ selon l'humanité et sa coopératrice dans l'oeuvre de la Rédemption. Aussi ces mêmes paroles de l'Écriture, qui sont dites de la Sagesse éternelle, sont-elles appliquées par les saints docteurs et par l'Église elle-même à l'auguste Vierge Marie.
Bulla Pii IX ad Concept. Immacul. B. M. V. Idcirco vel ipsissima verba, quibus divinœ Scripturœ de increata.Sapientia loquuntur, ejusque sempiternas origines repraesentant, consuevit (catholica Ecclesia, quae a sancto semper edocta Spiritu columna est ac firmamentum veritatis) tum in ecclesiasticis officiis, tum in sacrosancta liturgia adhibere, et ad illius Virginis primordia transferre.
J'ai été formée par le Très-Haut, j'ai été conçue avant toute créature. C'est moi qui ai fait naître dans le ciel une lumière qui ne s'éteindra jamais; et, semblable à une nuée, j'ai couvert toute la terre. (Eccli., cap. XXIV.) De toute éternité, présente aux yeux du Père éternel, mon époux, je portais en moi toutes les créatures, qui paraissent maintenant dans le monde, comme une nuée féconde, qui contient dans la douceur de ses eaux tous les fruits qui doivent naître par elle. J'ai habité dans les lieux les plus sublimes, dans les profondeurs de Dieu le Père.
J'ai fait seule le tour des cieux; c'est moi qui, par la puissance de mon époux, donnais le tour à ces grands cieux qui doivent être la demeure et la récompense des justes; en mon époux, je descendais au fond des abîmes, où il doit exercer sa justice. J'étais présente, en esprit, à toute l'étendue des mers, et il n'y a pas un seul recoin de la terre habitable où je n'aie posé le pied, où je n'aie été présente, dans le dessein de Dieu le Père, qui n'a rien voulu faire ni entreprendre sans communiquer à ma bassesse la grandeur de ses miséricordes, la profondeur de ses jugements, l'étendue de ses (15) grâces et la fécondité de ses richesses. En union avec lui, je suis devenue la reine de toutes les nations; et, par sa puissance, les coeurs des grands, comme ceux des plus petits, m'ont été également assujettis et soumis (1).
Recherchant en tout cela ma paix et mon repos, je n'ai rien pu trouver qui fît ma consolation et ma joie, que ceux qui ont l'honneur d'appartenir à mon auguste époux en qualité d'enfants, et qui doivent entrer en possession de son saint héritage. Voyant donc mes inclinations, connaissant tous mes dégoûts et mon aversion pour les choses extérieures du monde, et sachant que je ne puis me complaire qu'en son aimable Fils et en ses membres, le saint Époux de mon coeur m'a dit et m'a commandé, par le droit absolu qu'il a sur mon âme, me donnant les témoignages de son amour : Ma fille et mon épouse, je veux vous rendre participante de mes plus douces et de mes plus saintes opérations dans l'incarnation de mon Verbe je veux pareillement conduire par vous mon Église et me reposer sur vous du soin de mes enfants. Demeurez en Jacob, qui est l'image de ma famille : assistez tous les membres de mon Église; que par vous la grâce se dilate dans leur intérieur, pour que vous soyez en eux aussi l'héritière de ma gloire.
1. Les écrivains ecclésiastiques, en appliquant ces paroles à Marie, leur donnent deux sens : le premier est relatif à l'ordre de la rédemption; le second, à celui de la création du monde, comme celui que donne ici M. Olier; et quoique ces deux sens soient différents entre eux, ils sont également fondés l'un et l'autre.
Jetez dans mes élus les racines premières de leur béatitude; continuez encore tout le cours de leur vie, et ne les quittez point que vous ne les consommiez dans ma gloire.
En ce même esprit, l'Église applique encore à la très-sainte Vierge une partie du vine chapitre des Proverbes, qui sert de matière à l'épître des fêtes de sa Conception et de sa Nativité. Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies, etc. Dieu, qui désirait sortir de soi par les voies de son divin amour, paraît ici occupé de la jouissance amoureuse et de la possession de sa sainte épouse; et de même la très-sainte Vierge, sa divine amante, nous y est montrée habitant en lui de toute éternité. C'est de quoi elle se glorifie elle-même comme du plus grand bien et du plus insigne honneur qui pussent lui arriver : Le Seigneur m'a possédée au commencement de ses voies : comme, en effet, c'est le principe et le fondement de tous ses autres biens et de ses grâces magnifiques. Car de quelles richesses et de quels ornements Dieu, qui surabonde en lui-même de beautés, de richesses et de perfections divines, ne la revêt-il pas pour la rendre digne de devenir l'objet de ses délices, et de lui être alliée en cette auguste qualité d'épouse ! Il faut qu'il fasse hors de soi, dans une pure créature, autant qu'il est possible, une expression parfaite de sa divinité.
Le Seigneur, dit-elle, l'Époux céleste, m'a possédée en soi et m'a tenue présente à ses yeux, non-seulement dès le début de ses voies, quand il a commencé son ouvrage, et qu'il a tiré du néant toutes ses créatures, mais bien auparavant. Dans (17) son éternité, méditant les ouvrages de son divin amour, lui qui ordonne tout en sa sagesse et sa charité, il s'est approprié son épouse; il a voulu qu'elle devînt la mère de son Fils, et qu'elle contribuât à former son Église et toutes les créatures qui en sont les dépendances.
Cette sainte épouse fait ici, comme dans le livre de l'Ecclésiastique, le dénombrement magnifique des créatures que Dieu forma dans son idée, lorsqu'il ordonna toutes choses; et dans ce détail elle montre qu'elle était déjà conçue et présente dans l'esprit de son Époux. Les abîmes n'étaient pas, et déjà j'étais conçue. Les fontaines n'étaient point encore sorties de la terre; la pesante masse des montagnes n'était pas encore formée, et j'étais enfantée avant les collines dans le sein de Dieu. Il n'avait point encore créé la terre ni les fleuves, ni affermi le monde sur ses pôles, et déjà j'étais conçue. Quand, dans l'œuvre de la création, il étendait les cieux, qu'il environnait les abîmes de leurs bornes, et leur prescrivait une loi inviolable; lorsqu'il suspendait les nuées au-dessus de la terre, et qu'il mettait dans leur équilibre les eaux des fontaines; lorsqu'il renfermait la mer dans ses limites, et qu'il imposait la loi aux eaux, afin qu'elles ne passassent point leurs bornes; lorsqu'il posait les fondements de la terre, j'étais avec lui.
Après avoir ainsi exposé, comme dans l'Ecclésiastique, la suite de la formation des créatures et avoir dit qu'elle était présente à l'esprit de son auguste (18) Époux, la très-sainte Vierge ajoute : J'étais avec lui, et avec lui je réglais toutes choses, c'est-à-dire, j'ordonnais et je formais toutes les créatures par la puissance, la sagesse et l'amour de mon divin Époux, par lequel j'étais toute possédée. Il faisait ainsi en moi toutes ces oeuvres grandes et admirables : Fecit mihi magna qui potens est; mais à chacun des six jours de la création, cette oeuvre n'était que comme un jeu et un amusement pour lui, comparée à la génération de son Verbe, et à la participation qu'il doit donner de sa divinité aux membres de l'Église. Aussi mes délices sont-elles d'être avec les enfants des hommes : mon âme, qui éprouve en soi les sentiments de mon Époux et les dispositions de son coeur à l'égard de toutes choses, sentant que ses délices les plus douces et les plus agréables sont de régner dans les âmes et de vivifier les coeurs de ses enfants.
Maintenant donc, mes enfants, qui êtes enfants du, Père, écoulez attentivement sa discipline et ses conseils; et, après lui avoir prêté l'oreille, restez attachés à la sagesse, conservez ses paroles en votre âme, et les goûtez avec plaisir en votre intérieur. Prenez garde de ne vous point lasser par quelque tentation que ce puisse être, ni par la désolation qui se rencontre dans la croix. Bienheureux celui qui m'écoute, qui trouve accès auprès de moi, qui a cet attrait de rechercher avec soin et assiduité mon audience et ma conversation. Il doit beaucoup attendre; car Dieu le Père, comme époux, use de ses dons en moi et par moi, avec une libéralité (19) excessive. Celui qui recevra cette grâce, qui viendra chercher dans mon sein l'aliment de son âme, trouvera la vie, et avec elle le bonheur éternel. C'est dans cette source qu'on puise les secrets des plus profonds mystères et des vérités les plus sublimes. Par mon Époux, qui est le conseil même et l'équité, qui est la prudence et la force, je suis en possession de tous ces dons. Par moi, les rois règnent, et les législateurs ordonnent et règlent, la justice, Dieu voulant être en moi, pour le monde, la source de tous les biens (1).
1. Les saints docteurs attestent bien que toutes les grâces sont données par les mains de Marie; mais nous ne les voyons guère expliquer comment elle a été l'instrument de celles que Dieu avait accordées avant qu'elle vînt au monde. Parmi les modernes eux-mêmes, qui ont profilé des lumières des anciens docteurs, Bossuet ne l'explique pas, en traitant cette matière, ni saint Liguori non plus, quoiqu'il ait composé un écrit sur ce sujet; et c'est ce que M. Olier expose ici d'une manière aussi heureuse que solide. Que dès l'éternité Dieu ait eu présents les désirs de la très-sainte Vierge et les prières qu'elle ferait dans le temps, par rapport à chacun des chrétiens dont elle devait être la mère et la médiatrice auprès de lui, et qu'il y ait eu égard, c'est une conséquence de l'ordre que sa sagesse a voulu suivre dans l'œuvre de notre salut; puisque c'est d'après la prévision de ce que Jésus-Christ devait demander et opérer dans le temps pour eux, qu'il a décrété la prédestination, la justification et la glorification de ses élus, et qu'enfin la maternité divine de Marie, aussi bien que l'Incarnation, avaient été résolues, de toute éternité, par un seul et même décret, comme l'a déclaré N. S. le Pape Pie IX, dans la bulle déjà citée.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Ames privilégiées, à qui l'esprit de Dieu fait goûter les mystères de la sainte Vierge, considérez que s'il vous découvre quelque chose de ces mystères, c'est pour aider à votre sanctification, en augmentant en vous, à proportion des lumières qu'il vous donne, le respect, la confiance et l'amour que vous devez à votre sainte Mère. Tâchez donc de comprendre les obligations immenses que vous avez à cette vraie mère des vivants, et par la considération de l'amour si constant, si pur, si privilégié, si généreux, si magnifique, qu'elle a toujours eu pour vous, concevez pour elle un amour vraiment filial, qui vous la fasse aimer de tout votre coeur, de toute votre âme, de toutes vos forces, et, par-dessus tout, après Dieu et Jésus-Christ son Fils.
Dès qu'elle a connu le choix que Dieu a fait de vous pour vous amener à sa connaissance et à son amour, elle vous a aimées comme ses enfants; depuis ce moment, vous avez été toujours présentes à ses yeux, toujours l'objet des affections de son coeur. Comme une mère remplie de sagesse, de prévoyance, de sollicitude, elle. s'est occupée de votre bonheur, avant que vous fussiez au monde. Dès l'instant de votre naissance, elle n'a cessé de veiller sur vous, elle vous a préparé de loin toutes sortes de secours, elle vous a facilité de toutes manières (21) l'accomplissement des desseins que, de toute éternité, Dieu avait formés sur vous. Votre naissance de parents chrétiens, et dans un pays qui avait été consacré longtemps auparavant à Marie, dans un pays qui est comme son patrimoine, son douaire, son royaume; votre éducation chrétienne, les soins que vous avez reçus dès l'enfance; les touches secrètes du Saint-Esprit qui vous ont déterminées à vous donner à Dieu; les sages conseils que vous avez reçus pour votre conduite intérieure; votre première communion, votre vocation à l'état que vous avez embrassé, et tant d'autres secours particuliers et privilégiés, qui vous sont bien connus tous ces moyens sont autant de grâces que vous avez reçues par les mains de Marie, et autant de marques certaines de son amour. Efforcez-vous donc de lui en témoigner, jusqu'au dernier soupir. de votre vie, une juste et vive reconnaissance. Pour un coeur sensible et généreux, la reconnaissance augmente en proportion des bienfaits; la vôtre doit aller toujours croissant, puisque Marie ne cessera pas de vous faire du bien, et qu'aux faveurs. dont elle vous a prévenues jusqu'ici, elle ajoutera sans cesse des faveurs nouvelles : le propre de cette excellente et tout aimable Mère étant de ne faire que du bien à ses enfants.
Proposez-vous de lui témoigner votre reconnaissance, surtout les jours de ses fêtes et de ses octaves. Lorsque vous récitez son saint Office, lorsque vous assistez aux vêpres célébrées en son honneur, la veille, ou le jour de ses fêtes, renouvelez vos (22) sentiments de gratitude envers elle, spécialement lorsque le prêtre chante ce beau Capitule, que l'Église ne se lasse pas de répéter toute l'année : Ab initio et ante soecula creata sum. Figurez-vous que Marie, dans la personne du prêtre, adresse elle-même ces paroles à ses enfants, pour les exciter à la reconnaissance et à la confiance qu'ils lui doivent. Dans la voix du prêtre célébrant, l'Église, toujours conduite par la foi, ne veut entendre, en effet, que la voix de la très-sainte Vierge, qui prend plaisir à nous rappeler ses bontés anciennes, et à nous donner de nouvelles assurances de sa sollicitude et de son amour maternel. Dès le commencement et dès avant les siècles, dit-elle, j'ai été créée dans la pensée de Dieu le Père, pour concourir avec lui à la sanctification de ses enfants, qui sont aussi les miens; et, dans toute la suite des âges, je ne cesserai point d'avoir pour eux la même sollicitude que j'ai fait paraître depuis qu'il m'a mise au monde, ayant dès ce jour exercé constamment devant lui ce ministère d'amour, dans sa sainte maison, qui est l'Église.
Lorsque le prêtre termine ce touchant Capitule, témoignez à Dieu le Père votre reconnaissance pour une si aimable et si ravissante invention de son amour; et dites-lui, dans un saint transport d'action de grâces, avec toute l'Église, ces paroles : Deo gratias!
Vous adressant ensuite avec humilité et vénération à Marie, et vous agenouillant devant elle, avec l'Église, pour faire hommage .à sa grandeur de tout (23) ce que vous êtes, respectez et agréez la part que Dieu lui a donnée dans sa royauté sur vous, protestez-lui qu'elle est votre véritable reine et réjouissez-vous de lui appartenir. Enfin chantez avec ferveur ses louanges, et demandez-lui, avec une confiance pleine et entière, la continuation de ses faveurs pour vous et pour tout le peuple chrétien, mêlant pour cela votre voix à celle de l'Église dans le chant de l'Ave maris stella. Cette hymne est comme la réponse de l'Église à l'invitation amoureuse que Marie lui a faite, dans le Capitule, de recourir à elle pour tous les besoins. Je vous salue, étoile de la mer, sainte Mère de Dieu toujours vierge, porte bienheureuse du ciel. Vous qui avez reçu ce salut de la bouche de l'archange Gabriel, établissez-nous dans la paix, devenant pour nous, plus véritablement et plus heureusement qu'Ève, la mère des vivants. Rompez les chaînes de nos crimes, rendez la lumière à nos yeux aveuglés, éloignez tous les maux, demandez tous les biens. Vous n'avez qu'à montrer à Jésus le sein qui le porta, à lui rappeler que vous êtes sa Mère; il exaucera vos prières, lui qui a bien voulu se mettre entre vos mains, en naissant pour nous. Vierge incomparable, la plus douce des vierges : après nous. avoir délivrés de nos fautes, rendez-nous doux et chastes; faites que notre vie soit sans tache, que nous marchions par la voie sûre qui conduit au ciel; afin qu'ayant le bonheur de voir Jésus, nous nous conjouissions avec vous éternellement.
CHAPITRE II. CONCEPTION ET NATIVITÉ DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE
I
Par l'amour singulier qu'il portait à Marie, Dieu Pavait figurée de mille manières dans l'ancienne loi; et s'il y eut des ombres infinies pour représenter Notre-Seigneur, il y, eut aussi des figures sans nombre pour exprimer la très-sainte Vierge, cette tige bénie, qui devait le produire : Dieu se plaisant à voir sans cesse présentes ces saintes images, pour apaiser sa colère et attendre la venue de son cher Fils. Pour retirer les hommes de l'état malheureux où le péché les avait réduits, le Fils devait mourir pour eux; et Dieu voulait, comme nous l'avons déjà dit, qu'il s'unît à la chair d'Adam, devenue passible et mortelle, sans en prendre
la malignité; c'est-à-dire, qu'il portât, quoique pur et innocent, toutes les marques et les peines du péché compatibles avec la sainteté de sa personne divine, comme d'être sujet à la faim, à la (25) soif, à la douleur, à la mort. Pour cela, il avait décrété que son Fils prendrait chair dans une fille d'Adam, la bienheureuse Marie, en apparence pécheresse et semblable aux pécheurs, et pourtant pure et sans tache; car cette Vierge admirable est à la fois, selon le langage mystérieux de l'Écriture, noire et belle : noire dans l'apparence du péché; belle dans l'innocence et la pureté de sa nature, quoique de la descendance d'Adam.
Dieu voulant donc produire la mère de son Fils dans l'état de sainteté le plus parfait où ait été élevée une créature, se répand en elle, au moment même où elle est conçue, et, par un privilège spécial, la préserve de la malignité de la chair et du crime d'origine. Ainsi, dès sa conception, Marie est pour les personnes de la très-sainte Trinité le premier objet de solide contentement qu'elles aient encore aperçu au monde, l'unique sujet de leur amoureuse complaisance depuis Adam, puisque toutes les autres créatures étaient souillées par le péché, et qu'elle seule a paru sans offense. Il n'y a, en effet, selon la foi, que la très-sainte Vierge, qui, naissant d'Adam par la voie commune, n'ait point été comprise dans sa malédiction. Car Notre-Seigneur n'était point compris dans le nombre de ceux qui naissent d'Adam, selon la génération ordinaire, devant naître par l'opération du Saint-Esprit, et être redevable de sa conception au même Esprit qui régénère les âmes par le baptême.
La corruption d'Adam, que le corps communique à l'âme, dès qu'il est uni à elle, est un certain venin répandu dans tous nos membres,, qui nous , incline et nous sollicite au péché, en nous éloignant de Dieu et nous appliquant à l'amour de nous-mêmes. De là l'amour des créatures qu'Adam innocent avait reçu, afin de les rapporter à Dieu, mais qui, étant demeuré en nous après la perte de la grâce et ayant perdu sa rectitude, s'est changé en amour-propre détestable, abominable, sacrilège qui rapporte tout à soi, qui fait que les mouvements de l'âme appelés passions ne s'agitent d'ordinaire que pour nous-mêmes, et qui nous incline à tout péché. Au moment de la conception de Marie, Dieu la préserve de cette malignité. Il sanctifie sa chair, afin que tous ses sens et ses mouvements, ou passions, ne tendent directement qu'à Dieu seul et ne regardent que lui en toutes choses. En vertu de cette sanctification, sa haine aura pour objet tout péché; son désir, la gloire de Dieu; sa crainte, tout ce qui peut déplaire à Dieu et contredire à ses desseins; sa joie sera de posséder Dieu et de le voir honoré; son espérance, de se voir un jour pleinement consommée dans sa gloire.
II
Mais, outre qu'elle est préservée du crime d'origine, Marie est toute remplie du Saint-Esprit et de (27) ses grâces, dès le premier instant de sa conception; et quel autre que Dieu peut comprendre l'étendue des perfections dont elle fut alors douée (1)?
Si dans la création d'Adam, destiné à appartenir à Dieu en qualité de simple serviteur, les trois divines personnes dirent : Faisons l'homme à notre image et à notre ressemblance, que n'ont-elles point dit et quel conseil n'ont-elles pas tenu pour produire cet. admirable ouvrage qui allait leur appartenir comme la chose la plus chère, la plus aimable, la plus tendre que Dieu pût avoir hors de lui-même? L'épouse étant donnée à l'époux comme une aide semblable à lui, quels trésors de grâces, quels dons magnifiques, Dieu le Père, qui a choisi cette âme pour son épouse, ne verse-t-il pas en elle, afin de se la rendre semblable, en ses beautés et ses excellences divines, autant qu'elle peut l'être? Il met en elle tout ce qu'il sait, tout ce qu'il voit contribuer à rendre une âme parfaite. Il la rend tellement digne de porter son Fils unique, que ce même Fils, en sortant de son sein éternel, trouve hors de lui une demeure en rapport avec la grandeur de sa divine personne. Le Fils de Dieu lui-même, la considérant déjà comme sa mère, la prépare à cette sainte et auguste dignité, et enfin le Saint-Esprit, la regardant comme son sanctuaire le plus parfait, après la sainte humanité du Sauveur, comme le lieu de ses plus saintes
1. Bulla Pii Papoe IX ad de finit. Immacul. Concept. B. M. V. Quapropter illam ita mirifice cumulavit, ut ipsa eam innocentiœ et sanctitatis plenitudinem praq se ferret, quam praeter Deum nemo assequi cogitando potest.
et de ses plus pures opérations, se plait à l'enrichir de tous ses trésors. La puissance du Père la rend plus forte que Judith; la sagesse du Fils la rend plus belle mille fois que Rachel; l'amour du Saint-Esprit, plus aimable qu'Esther. Tout ce qui avait été épars et répandu dans les âmes justes, elle le contient elle seule; non-seulement les perfections de ces femmes fortes et saintes qui l'avaient figurée, mais encore celles de tous les saints.
Dans ce moment, Dieu réunit et renferme en elle toutes les perfections qu'il avait répandues dans les âmes justes de l'ancienne loi, ou plutôt elle a seule plus de l'esprit de Jésus-Christ que n'en avaient possédé tous les prêtres, les patriarches, les juges, les prophètes, les rois, que tous les saints de l'ancien Testament et les justes de la gentilité tous ensemble.
L'Esprit, dont le Verbe fait chair devait être rempli, et qui subsistait avant l'incarnation, puisque c'est la troisième personne de la très-sainte Trinité; cette divine personne, sachant quelles seraient les inclinations du Verbe incarné, les communiquait par avance aux patriarches. Il distribuait déjà aux membres les mêmes sentiments qu'il devait, quelques siècles après, répandre en plénitude dans le chef; et ainsi il faisait vivre, à la manière du Fils de Dieu, ceux qui lui appartenaient, et qui, de toute éternité, avaient été choisis pour être du corps de Jésus-Christ. C'était ce même esprit qui, selon le Symbole, parlait par la bouche des prophètes, se servant de leurs personnes comme d'un extérieur emprunté (29) pour se faire voir, et de leurs paroles comme d'un organe pour se faire entendre à son peuple.
Notre-Seigneur avait paru dans ses élus dès le commencement du monde, et l'Écriture remarque même que ce divin agneau avait commencé de mourir en la personne d'Abel, dans lequel il était né et vivait par sa grâce. Ainsi vivait-il dans les autres justes de la loi ancienne, et même dans les saints de la gentilité, comme dans un Noé, un Melchisédech, un Job, un Jéthro et autres, dont l'Écriture fait mention et qui n'appartenaient pas au peuple juif. A chacun d'eux, Dieu avait donné quelqu'une des perfections de son Fils: il avait donné sa lumière à Abraham, sa force à Isaac, son amour à Jacob, sa chasteté et sa sainteté à Joseph, et toutes ces qualités étaient autant de crayons de quelque perfection de Jésus-Christ, dont ils étaient les images et les figures. Mais ce n'étaient là que de petits effets du soleil de justice répandus sur eux. La conception de Marie est une renaissance universelle de Jésus-Christ; qui renouvelle toutes les nativités précédentes dans lesquelles il s'était montré sous sa justice, sa force, sa piété, sa douceur; sa lumière, et sous toutes ses autres perfections pendant quatre mille ans. Combien donc de nativités du Verbe incarné sont renfermées et renouvelées en celle-ci? Aussi, le jour de la fête de la Conception, lit-on l'évangile des patriarches et des aïeux de Jésus-Christ, à la fin desquels on nomme la très-sainte Vierge comme réunissant elle seule, en qualité de mère du Sauveur, toutes leurs perfections et toutes leurs grâces.
Bien plus, ce divin Esprit, communiqué aux patriarches, devait être donné à tous les autres membres de Jésus-Christ, après comme avant l'Incarnation, et imprimer dans tous les mêmes sentiments, les mêmes mouvements intérieurs pour Dieu et pour toutes choses; ce qui fait dire à saint Paul que Jésus-Christ, vivant ainsi par son esprit dans les coeurs des saints, était hier, c'est-à-dire avant sa venue en terre; qu'il est aujourd'hui, pour exprimer le temps de l'Église présente; et qu'il sera dans les siècles, c'est-à-dire dans l'éternité. Or, dès le premier instant de la conception de Marie, ce même Esprit verse en elle seule et lui communique plus de grâces que n'en possédèrent et n'en posséderont jamais toutes les âmes les plus parfaites et les plus éminentes réunies. Et ce qui est particulier à Marie, il l'associe à Jésus-Christ, prêtre de l'auguste sacrifice qu'elle doit offrir avec lui sur le Calvaire, sans qu'elle le sache encore, et lui communique dès lors l'esprit sacerdotal en éminence, avec toutes les grâces des oeuvres qu'elle doit opérer dans la suite de sa vie.
Les lumières que Dieu lui donne ne sont pas compréhensibles aux autres pures créatures. Elle voit Dieu considéré en lui-même, plus clairement que ne le virent les anges au moment de leur formation, étant encore dans l'épreuve. Elle le voit plus parfaitement dans les oeuvres de la création que ne le vit jamais Adam dans l'état d'innocence, ni Salomon au plus haut point de ses lumières divines. Elle voit Dieu plus clairement dans là trinité de ses personnes, (31) dans la génération de son Verbe, dans la procession de son Esprit, dans les mystères de Jésus-Christ et de son Église, que ne le virent jamais Abraham, David et les autres prophètes dans toutes leurs visions, plus parfaitement enfin que ne le verront les apôtres et les plus grands saints de l'Église chrétienne, ni tous les plus célèbres docteurs qui seront jamais.
A cette étendue prodigieuse de lumières répond un amour de Dieu, qui surpasse tout ce qu'il y aura jamais d'amour dans les saints au moment de leur mort; dans les apôtres, lorsqu'ils seront parvenus à l'achèvement et à la consommation de leur sainteté; plus qu'il n'en sera jamais donné à tous les hommes ensemble jusqu'à la fin du monde. Enfin elle renferme en elle seule tous les divers degrés d'amour de Dieu répandus dans les anges et même incomparablement plus qu'il n'y en a dans les séraphins et dans toutes les hiérarchies (1); ce qui fit dire plus tard à Gabriel, parlant à la divine Vierge, qu'elle était pleine de grâce : Ave, gratia plena. Les fleuves entrent dans la mer, et la mer ne déborde pas; ainsi toutes les grâces des saints entrent en Marie, sans qu'elle déborde, tant est vaste sa capacité.
Mais comme son esprit n'est pas capable naturellement de recevoir ces manifestations et ces vues, ni son coeur de rendre à Dieu tous les devoirs et toutes les louanges que demandent des choses si
1. Bulla Pii Papoe IX ad definit. Concept. Immacul. B. M. V. Quapropter illam longe ante omnes angelicos spiritus, cunctosque sanctos coelestium omnium charismatum copia de thesauro divinitatis deprompta mirifice cumulavit.
augustes et si divines (1), elle est fortifiée, élevée et dilatée par le Saint-Esprit, qui, trouvant dans son coeur un fonds d'obéissance immense, l'ouvre et l'étend autant qu'il lui plait. C'est sans doute une chose admirable de voir un Dieu infiniment sage et infiniment puissant se plaire si fort dans un sujet créé et y mettre ses délices. Mais c'est le chef d'oeuvre de son amour; c'est ce que Dieu a su faire de plus parfait- dans une pure créature, ayant réuni en elle tout ce qu'il a pu mettre dans un sujet qui ne fût pas un Dieu comme son Fils (2) ;c'est l'abrégé de tout l'intérieur
1. Plusieurs docteurs supposent que Marie avait déjà la plénitude de toutes les grâces, lorsque l'Ange lui dit ces paroles Ave, gratia plena ; et d'autres semblent dire qu'elle allait la
recevoir, par la descente du Verbe de Dieu dans son sein. Il n'y a aucune contradiction dans ces différentes manières de parler. Car en Marie il faut distinguer deux sortes de plénitudes de grâces : l'une qu'elle reçut dans sa Conception, et l'autre au moment de l'Incarnation, comme nous le verrons dans la suite. Au reste, ce n'est pas seulement sur ces paroles de l'Ange que les saints docteurs se sont fondés pour reconnaître en Marie la plénitude universelle de toutes les grâces qu'elle possédait déjà avant l'Incarnation, mais encore sur la croyance de l'Église touchant les augustes prérogatives de la divine maternité: Nous ajouterons ici que si Luther, Calvin et les premiers protestants ont rejeté le sens que les docteurs catholiques avaient constamment donné à ces paroles : Pleine de grâces; Luther les ayant ainsi rendues: Ave, gratiosa; Calvin : Gratiam consecuta; Bèze : Gratis dilecta; une étude plus approfondie de la langue grecque, et de la force du terme employé par S. Luc, a obligé des protestants modernes de convenir que l'Église catholique avait le vrai sens de ce passage; et, semblant même
renchérir sur elle, ils le traduisent ainsi : Gratia plenissima, très-pleine de grâces, ou, comme avait déjà fait un auteur, après saint Anselme : Gratia super plena.
2. Bulla Pii Papoe IX ad definit. lmmacul. Concept. Quapropter illam longe ante omnes angelicos spiritus, cunctosque sanctos, coelestium omnium charismatum copia, de thesauro divinitatis deprompta, ita mirifice cumulavit, ut ipsa eam innocentiae et sanctitatis plenitudinem prae se ferret, qua major sub Deo núllatenus intelligitur. Et quidem decebat omnino ut perfectissimae sanctitatis splendoribus ornata fulgeret, tam venerabilis Mater, cui Deus Pater unicum Filium suum, quem de corde suo œqualem sibi genitum, tamquam seipsum diligit, ita dare disposuit, ut naturaliter esset unus idemque communis Dei Patris et Virginis Filius.
de Jésus-Christ, qui commence à opérer en son âme autant qu'il peut être communiqué. Le Saint-Esprit agit en Marie dans toute la plénitude avec laquelle il peut agir en une créature qui n'est pas unie hypostatiquement à la divinité. Quel ravissant, quel délicieux spectacle de voir toutes les louanges, toutes les adorations que rend à Dieu cette âme divinement éclairée; de voir tous les amours de ce coeur; de voir enfin réuni dans cette âme seule, dès ses commencements, tout ce que l'Esprit de Dieu répandra un jour dans toute l'Église ! O prémices admirables ! ô ineffables amours! ô adorations, ô louanges plus parfaites que toutes celles des hommes et des anges, et qui ne sont surpassées que parcelles de Jésus-Christ ! Il y a soixante reines, dit le Cantique, exprimant ainsi la société des âmes bienheureuses; il y a quatre-vingts jeunes filles, c'est-à-dire le corps des esprits angéliques; enfin il y a de jeunes vierges sans nombre, qui sont les âmes pures et saintes; mais il n'y a qu'une seule colombe, une seule parfaite, une seule choisie pour être l'épouse du Père et la mère de Jésus-Christ.
A voir cette magnificence et cette sainteté dans (34) l'âme de Marie, il est bien aisé de concevoir que Dieu la prépare pour faire naître d'elle son Fils unique et avec lui l’Église dans toute son étendue. Oui, s'il se complaît si fort dans cette âme, c'est qu'il voit en elle son Église tout entière. Elle comprend Jésus-Christ, comme devant être sa mère, et le reste des membres de Jésus-Christ, comme ses propres enfants. Si bien que Dieu, considérant en elle la semence de toute son Église, commence dans ce jour à goûter les délices qu'il attend de cette même Église, son épouse bien-aimée; il regarde en elle ce beau royaume, dont il veut bien être appelé le roi.
III
Mais, par un conseil secret de sa sagesse, il ne lui fait pas connaître encore tous ses desseins sur elle. Si dans sa conception elle voit à découvert les mystères de Jésus-Christ, elle pense qu'elle y aura part en qualité de servante, non en qualité de mère; et comme le Verbe divin en s'incarnant doit se consacrer à son Père à titre de serviteur et d'hostie à sa gloire, la très-sainte Vierge, dans sa conception, remplie des mêmes dispositions qui doivent être un jour dans Jésus-Christ, dont elle est la parfaite image, s'offre et se consacre à Dieu en qualité d'hostie et de servante, dispositions qu'elle conservera toujours dans son coeur, et dont elle rendra témoignage à l'ange, par ces paroles: Voici la servante du Seigneur. Voyant néanmoins déjà par (35) avance qu'elle portera tout le monde à lui, et qu'elle le fera connaître et aimer plus que ne le feront ensemble tous les apôtres et tous les prédicateurs, cette sainte âme, qui doit être la mère de l'Église, rend à Dieu, au moment de sa formation, tous les devoirs possibles : elle s'offre à lui en tout ce qu'elle est et ce qu'elle sera jamais; de sorte qu'elle présente avec elle toute l'étendue des nations qui doivent un jour le servir. Dans l'offrande qu'elle fait d'elle-même, et dans cette volonté de se consacrer en tout ce qu'elle est et en tout ce qu'elle sera dans la suite, nous avons donc été compris, sanctifiés et dédiés à Dieu, qui a accepté dès lors cette consécration universelle et a reçu à soi toutes ces nations, comme il l'a fait dans la suite des siècles, lorsqu'elles sont venues extérieurement à lui et ont ratifié cette même offrande.
Aussi nous ne doutons pas que les anges de tous les ordres, à qui Dieu la donna dès lors pour reine, ne soient venus auprès de cette arche de grâce pour admirer toute l'étendue des grandeurs et des perfections de Dieu qui y étaient renfermées. Le berceau de Marie est donc l'école de ces esprits célestes; en un instant, ils apprennent plus par elle de la sagesse et de la perfection de Jésus-Christ qu'ils ne feront par saint Paul pendant toute la vie de cet apôtre. Les anges étaient là tous en admiration, de voir la sainteté de cette âme et son élévation incompréhensible dans les devoirs qu'elle offrait à Dieu : elle seule lui rendant plus d'honneur qu'ils ne lui en procurent en leurs trois hiérarchies et leur neuf (36) ordres ensemble; ce qui les oblige de la prendre pour leur interprète et pour leur louange. Dès ce moment, tout le ciel est comme abaissé sur la terre. Si la sainte Vierge réjouit ainsi les hiérarchies célestes, elle remplit de terreur les mauvais anges, tout l'enfer commençant de trembler à l'aspect de cette lumière divine et de cette sainte splendeur. Si une âme de pur amour fait fuir et trembler le démon, que sera-ce de Marie? Elle est terrible elle seule à ces esprits malins, autant que le furent pour eux les légions des bons anges, qui reçurent ordre de les précipiter dans les enfers. Elle est terrible comme une armée entière, dit l'Église : terribilis ut castrorum acies ordinata; parce qu'elle contient réellement, elle seule, tout l'éclat et toute la splendeur de chacun des particuliers de la milice du ciel; ou plutôt elle inspire plus de terreur encore à l'enfer, ayant reçu de Dieu, elle seule, l'ordre et le commandement d'écraser la tête du démon : Ipsa conteret caput tuum.
Enfin, dans sa conception, elle est un sujet d'allégresse pour les hommes, parce qu'elle peut tout pour la réconciliation des pécheurs. Elle est, en effet, si aimable et si désirable aux yeux de Dieu, que quiconque la connaîtra et invoquera sa puissance, quelque pécheur et maudit qu'il. soit, doit attendre miséricorde. Quand ce serait une âme perdue, comme était Rahab, quand ce serait une idolâtre publique , comme était Babylone , son péché serait oublié. Il est vrai que la conception de Marie était ignorée des hommes au temps où elle eut lieu. (37) Mais Dieu se réservait de la manifester plus tard à tous les peuples; et de remplir leurs coeurs de sentiments de respect, d'honneur et de reconnaissance pour Marie, dans ce premier instant de sa vie. Il voulait que tous les fidèles, qu'elle offrit alors avec elle, comprissent un jour et conservassent gravée au fond d'eux-mêmes, jusqu'à la fin des temps, l'obligation qu'ils lui avaient pour son amoureuse et maternelle sollicitude, et que ce jour heureux fût à jamais un sujet de joie publique et universelle pour tous les chrétiens.
C'est ce que nous voyons aux anniversaires des deux entrées de la très-sainte Vierge dans le monde, sa sainte Conception et sa Nativité, que l'Église célèbre tous les ans, et qu'elle aime à considérer comme l'aurore du bonheur que l'Incarnation lui a procuré. L'aurore commençant à paraître dans le monde délivre les hommes des horreurs de la nuit, et leur donne l'espérance certaine de la venue du soleil, dont elle porte les premiers effets. . Par sa Conception et sa Nativité, Marie fut donc comme l'aurore de Jésus-Christ; elle annonça la plénitude de sa lumière et notre délivrance des ombres de la mort et du péché. C'est pourquoi l'Église, qui s'estime heureuse d'avoir été offerte à Dieu par cette divine Vierge, ne se lasse pas, en ces saints jours, de répéter dans ses chants de jubilation ces paroles de louanges, de bénédiction et d'action de grâces : O sainte mère de Dieu, votre Conception ou votre Nativité, le principe de la vie de Jésus-Christ et de tous ses membres, est un sujet de. joie pour tout (38) l'univers; votre Conception est la lumière de toutes les Églises, qui, contenues en vous, ont fait partie de votre offrande et' ont été agréées avec vous du Seigneur. C'est à chacun de ratifier maintenant cette offrande, surtout dans l'anniversaire de ces saints jours, et de se vouer et consacrer à Dieu aussi fidèlement et aussi inviolablement que Marie l'a fait pour elle et pour tous en entrant dans le monde.
PRATIQUES. DE M. OLIER POUR HONORER LA CONCEPTION ET LA NATIVITÉ DE MARIE
Me conformant à la pratique de l'Église , qui vénère le saint mystère de l'enfance de Notre-Seigneur pendant six semaines, je prendrai, pour honorer celle de la très-sainte Vierge, tout 1e temps qui sépare sa nativité de sa présentation au temple.
Il est vrai que ce mystère est passé, quant à l'extérieur; mais l'intérieur subsiste toujours : tout ce que Marie a jamais eu de vertus, de grâces, de sentiments de Dieu et e dispositions saintes, étant permanent en elle; en sorte que nous l'y trouvons toujours le même, comme jésus porte toujours dans son intérieur l'esprit et les dispositions intérieures de tous les mystères de sa vie. Pendant cet espace de temps, je rendrai mes hommages à cette bénie enfant. Je respecterai ce saint tabernacle, cet intérieur caché à la plupart des hommes, quoiqu'il soit (39) mille fois plus cher à Dieu, que ne le furent l'arche d'alliance et le temple de Salomon, qui n'en étaient que des figures mortes et sans vie.
L'esprit de sainte enfance si nécessaire, d'après l'Évangile, pour entrer au. royaume de Dieu, est bien rare dans l'Église. Peut-être cela vient-il du défaut d'amour et de respect envers l'enfance de Jésus et de Marie. C'est une bénédiction non pareille, quand une fois la miséricorde de Dieu nous y applique, et nous y donne une spéciale dévotion. Il me semble que la vie non-seulement d'un homme, mais de tous les chrétiens, serait bien employée dans la vénération du mystère de la nativité de Marie. Pour moi, j'y consacre la mienne : je m'estimerais heureux que tous mes jours y rendissent un continuel hommage; et je me voue à Dieu pour employer tous mes instants à le faire honorer.
1° Pour entrer dans cette dévotion, vous pourriez avoir chez vous un oratoire, où vous mettriez, non une crèche, comme on fait au temps de la nativité de Notre-Seigneur, mais un petit berceau, dans lequel serait une figure de la très-sainte Vierge, nouvellement née, ayant d'un côté sainte Anne, de l'autre saint Joachim : sa couche serait environnée d'Anges, dans l'expression du, respect, de la joie, de l'admiration: Vous iriez là tous les jours, pendant le temps de ce mystère, rendre vos devoirs à Marie enfant. Il me semble que c'est une bien douce visite que celle que l'on peut faire en esprit à sainte Anne et à saint Joachim, pour leur demander l'entrée de leur sainte demeure, et l'accès au berceau de leur (40) sainte enfant, dont ils sont les gardiens et les anges visibles. Après les avoir salués par l'oraison composée en leur honneur, on ira se mettre à genoux auprès du berceau; et là , en tout recueillement et piété, on s'unira aux saints anges, pour respecter et louer avec eux les grandeurs inconnues de Marie; et par la foi on se répandra dans l'intérieur de tous ces esprits célestes, afin de prendre part à tous les respects et les sentiments amoureux qu'ils offrent à ce chef - d'oeuvre de l'amour et de la sagesse divine.
2° On remerciera la très-sainte Trinité de tous les bienfaits dont elle a comblé le genre humain, en le tirant du néant, en le rachetant par Jésus-Christ, et en le sanctifiant par son divin Esprit. Surtout, on la bénira d'avoir choisi, de préférence à tant d'autres créatures possibles, la fille de sainte Anne et de saint Joachim, pour être l'épouse bien-aimée ; du Père, la digne mère du Fils, le temple le plus auguste du Saint-Esprit, enfin la mère la plus aimable et la plus miséricordieuse de tous les hommes.
3° Honorant ensuite le saint mystère de la nativité de Marie, on adorera le Saint-Esprit qui porte cette incomparable créature, dès qu'elle commence à faire usage de ses facultés, non-seulement à s'offrir elle-même, pour jamais, à la gloire de Dieu, en tout ce qu'elle est et en tout ce qu'elle pourra faire et souffrir, mais aussi à lui consacrer toute la sainte Église, comme une portion d'elle-même; enfin â ne cesser plus, depuis ce moment, de la lui offrir; (41) cette divine Vierge sanctifiant ainsi incessamment l'Église entière, pour n'être avec elle qu'une même hostie à la gloire de Dieu. En vue de ratifier cette offrande, on s'abandonnera à l'esprit saint de Jésus-Christ, afin qu'en Marie il prenne possession de nous, comme étant quelque chose d'elle-même, et qui lui appartient par un million de titres : lui offrant tout ce que nous sommes, tout ce qui nous appartient ou peut dépendre de nous, comme nos pensées, nos désirs, nos paroles et nos oeuvres; condamnant et détestant, comme indigne d'un enfant dé Dieu, toute notre vie passée, qui n'a pas été employée à son service, et ne voulant plus avoir de vie que pour la lui consacrer entièrement. Nous le supplierons, pour cela, qu'il fasse de nous tel usage qu'il lui plaira, tous les jours de notre vie; qu'il use de telle puissance qu'il voudra sur notre intérieur et sur notre extérieur; qu'il en soit le, seul et unique directeur : nous détachant totalement de nous-mêmes, vivifiant notre esprit de sa foi, notre coeur de sa charité, et toutes nos facultés de sa sainte vertu, pour être d'autres Jésus-Christ en sa mère et par sa mère : étant ravis d'être redevables à Marie de tout ce que nous recevrons de grâces à l'avenir, comme jusqu'ici nous avons tout reçu par elle.
4° On invoquera le même Esprit pour entrer soi-même en participation de la vie et des sentiments de Jésus-Christ répandus en Marie : entre autres, de ce profond anéantissement devant Dieu, dont elle n'est jamais sortie; de sa pénitence intérieure (42) pour tous les hommes, qu'elle n'a jamais interrompue, par l'amour qu'elle portait à Dieu et au genre humain; de son abnégation totale d'elle-même; demandant à Dieu , en la très-sainte Vierge, qu'il lui plaise nous faire la grâce de passer cette journée, et tous les jours de notre vie, dans ces mêmes dispositions et en union parfaite à l'esprit de son fils, pour marcher dans la perfection de ses voies. Nous trouvons tout, en effet, dans le saint mystère de la nativité de Marie: nous y trouvons la force et la puissance que nous pouvons souhaiter dans nos infirmités; la lumière désirable dans nos obscurités et nos erreurs; toute bonté pour nous soulager dans nos misères; toute sainteté pour nous purifier et pour nous guérir de nos mauvaises habitudes. Dans les douces larmes et les cris de Marie enfant, on voit reluire la pénitence dont son âme innocente offre à Dieu les plus purs sentiments en faveur des pécheurs; on voit en elle une modestie religieuse envers Dieu et une occupation intérieure continuelles; et, quoique toute pleine de la sagesse divine, elle garde un silence admirable. On voit en elle la douceur, la pauvreté, la patience; et dans peu on admirera son obéissance à ses parents, et son respect pour Dieu, dans leurs personnes. Enfin, on y peut imiter mille vertus, et en admirer un million d'autres que les anges honorent et admirent continuellement, et auxquels nous pouvons et nous devons nous unir par la foi, pour la glorifier en tout ce que Dieu la fait être, par participation de ses adorables perfections.
CHAPITRE III. PRÉSENTATION ET SÉJOUR DE MARIE AU TEMPLE
I
L'offrande que Marie avait faite d'elle-même à Dieu, dès le moment de sa conception immaculée, avait été secrète;.mais comme la vertu de religion, outre les devoirs intérieurs et cachés, comprend les devoirs extérieurs et publics, Dieu voulut qu'elle renouvelât son offrande dans le temple de Jérusalem, le seul sanctuaire de toute la vraie religion qu'il y eût alors dans le monde. Il lui inspira donc lui-même la pensée d'aller s'offrir à lui dans ce saint lieu. Cette bénie enfant, sanctifiée en sa chair, et toute pénétrée et remplie de la divinité dans son âme, était dirigée en tout par l'Esprit-Saint : ne laissant en elle aucune entrée à la sagesse humaine, elle ne pouvait agir que selon Dieu, qu'en Dieu, pour Dieu, et par la direction même de Dieu.
A peine lui a-t-il imprimé le mouvement de se (44) séparer de la maison de ses parents, qu'elle quitte ce monde grossier et corrompu sans regarder derrière elle. Elle n'examine point si, au service de Dieu, elle aura quelque besoin; si ce grand Dieu lui est suffisant en toutes choses ou non. Elle ne pense point à sa maison, à ses parents : elle s'abandonne toute à lui mec une confiance merveilleuse, sans retour quelconque sur elle, ni sur quoi que ce puisse être. Possédée de l'Esprit de Dieu, tout-puissant, tout ardent, tout amour, elle est amenée au temple par ce divin Esprit, qui l'élève lui-même au-dessus de son âge et des forces de la nature. Quoique âgée seulement de trois ans, elle monte seule les degrés du temple; et Dieu veut qu'elle marche ainsi seule, sans s'appuyer sur sa mère, pour montrer que l'Esprit divin tout seul la dirigeait; et aussi pour nous apprendre qu'opérant dans nos âmes par sa puissance, il est le vrai supplément de nos infirmités. Pourtant elle était en la compagnie de sainte Anne sa mère, parce que, si rempli qu'on soit du Saint-Esprit, on doit toujours vivre sous la conduite extérieure de ceux qu'il nous a donnés pour nous tenir sa place, et qui sont les approbateurs de ses voies : lui-même, sous l'extérieur de ces personnes, nous assurant de sa direction.
Séparée ainsi de la maison de ses parents, dans un :âge si tendre, cette très-sainte enfant s'abandonne à Dieu, dans un oubli du monde et une mort d'elle-même, une ferveur et un zèle qui ne peuvent être compris. Elle renouvelle ses voeux d'hostie et de servante, avec un amour plus grand encore, (45) plus pur, plus excellent, plus admirable qu'elle ne l'avait fait dans, le temple sacré des entrailles de sainte Anne :cet amour allant toujours croissant de moment à moment, et n'ayant en elle ni interruption ni relâche; ce qui la rendait comme immense. Toute consumée par cet amour, elle ne veut avoir de vie, de mouvement, de liberté, d'esprit, de corps, rien absolument qu'en Dieu. La donation qu'elle fait d'elle-même est si vive, si ardente et si pressante, que son âme est dans la disposition actuelle et perpétuelle de se livrer sans cesse à Dieu, et d'être toujours de plus en plus à lui, croyant, pour ainsi dire, n'y être jamais assez et voulant y être davantage encore, s'il lui était possible. Enfin, s'offrant comme une hostie vivante, toute consacrée à Dieu en elle-même et dans tout ce qu'elle serait un jour, elle renouvelle la consécration qu'elle lui avait déjà faite de toute l'Église, dans sa conception; spécialement celle des âmes qui; à son exemple, se consacreraient à son divin service dans tant de saintes communautés. En ce jour, la loi ancienne voit se réaliser quelque chose de ce qu'elle figurait : le temple de Jérusalem voit s'accomplir l'une de ses attentes : il reçoit dans son enceinte l'un des temples dont il était l'image, la très-sainte Vierge Marie, temple vivant de Jésus-Christ, comme Jésus-Christ devait être le temple parfait et véritable de la Divinité.
II
La religion envers Dieu et envers Jésus-Christ étant toute l'occupation intérieure de son coeur en terre, Marie ne pouvait, avant la venue du Sauveur, vivre ailleurs que dans le temple que Dieu avait choisi, entre tous les autres lieux, pour se faire voir, adorer et contempler avec Jésus-Christ, son Fils. Donc, après avoir appliqué les trois premières années de sa vie aux devoirs de la religion envers la très-sainte Trinité, et à honorer tous ses desseins sur l'Église, Dieu veut l'appliquer plus particulièrement dans le temple à rendre aux mystères de Jésus-Christ, figurés dans toute la loi et les sacrifices, l'honneur qui lui était dû, et que personne ne leur avait rendu jusqu'alors. A peine est-elle en état de marcher et d'user de la vie, il la conduit dans ce temple, non pour être sanctifiée par ce lieu, mais pour le sanctifier lui-même. Il la conduit pour qu'elle serve avec les prêtres aux sacrifices de la loi., et qu'elle supplée à l'imperfection de leur culte. Car c'est pour l'exercice parfait de la religion qu'il l'y conduit.
Pour mieux apprécier ce dessein, il est nécessaire de considérer ici les motifs qui avaient dirigé la sagesse divine dans l'institution des anciens sacrifices. Après le péché, les hommes ne pouvaient arriver au salut que par le sacrifice sanglant de (47) Jésus- Christ sur la croix; et pour qu'ils pussent jouir, en partie par avance, des fruits de cet auguste sacrifice, ils avaient quatre devoirs de religion à remplir envers Jésus-Christ. Ils devaient : 1° l'avoir présent à l'esprit, et mettre en lui seul leur confiance; 2° présenter déjà à Dieu, pour l'expiation de leurs péchés, le sacrifice qu'il offrirait un jour de sa propre personne; 3° unir le sacrifice d'eux-mêmes à celui de Jésus-Christ, et vivre en esprit de victimes, toujours prêts à être immolés; 4° enfin désirer sa venue en terre et l'appeler par leurs voeux. C'est ainsi qu'Adam, Abel, Hénoch, Noé et les autres justes de la loi de nature et de la loi écrite, reçurent miséricorde en vue de Jésus-Christ. Mais comme les peuples sont aveugles aux mystères de Dieu, et oublieux de leurs devoirs, s'ils ne sont aidés par des signes extérieurs et sensibles, Dieu, par une invention amoureuse de sa sagesse, avait ordonné aux Hébreux de lui offrir des sacrifices matériels comme autant d'images et de figures extérieures, très-propres à leur mettre sous les yeux la victime adorable qu'ils devaient avoir sans cesse présente à leur esprit. Ces offrandes et ces sacrifices ne purifiaient les âmes que quand on les regardait comme figures du Sauveur, et qu'on offrait à Dieu son Fils sous ces images; car, dans l'ancienne loi, tout ce qui n'était pas accompagné de la foi implicitement en Jésus-Christ était vain et inutile.
Les prêtres surtout, comme chargés de l'exercice public de la religion, devaient être remplis de foi. Dieu voulait être adouci et apaisé par ces offrandes (48) et ces hosties, qui, devant ses yeux , tenaient la place de Jésus-Christ. Mais sur la fin de la loi mosaïque, et au temps où la très sainte Vierge fut donnée au monde, les prêtres d'Aaron, ignorants et vicieux, n'accomplissaient plus leur ministère dans cet esprit. Bien plus, le culte tout matériel qu'ils lui offraient était corrompu par l'avarice et l'intérêt sordide, tel que l'avait été celui de l'impie Caïn , figure du peuple juif. Ne craignant de déplaire qu'aux hommes, les prêtres d'Aaron n'avaient que les dehors de la justice : ils étaient souillés au dedans de toute sorte de crimes abominables, semblables à des sépulcres blanchis, tout pleins d'ossements et d'ordures.
D'ailleurs, quand ils auraient offert leurs sacrifices en esprit de foi, ils n'auraient pas su adorer le Sauveur dans toutes les figures qui le représentaient et dont la multitude était presque infinie, faute de lumières pour l'y découvrir. Personne alors n'y avait vu encore dans toute son étendue le mystère de Jésus-Christ qu'elles exprimaient, et personne aussi ne lui avait rendu par avance tous les devoirs que méritait sa grandeur La très-sainte Vierge seule était capable de rendre ces devoirs, parce que, seule, elle avait reçu en plénitude la science des mystères du Fils de Dieu. Dans toutes ces ombres, si différentes et si multipliées, dans les cérémonies, les sacrifices, le temple, dans l'histoire même du peuple de Dieu, elle le voyait représenté nettement et universellement, tant à cause de l'éminence de sa foi qu'elle avait reçue plus grande (49) que le reste de tous les saints de l'ancien Testament, qu'à cause des privilèges attachés à sa dignité auguste de mère de Jésus-Christ. Les figures de la loi devaient, en effet, être découvertes à Marie, qui appartenait de si près au Fils de Dieu, et qui devait être présente à tous ses mystères. D'ailleurs Dieu, qui lui avait donné toutes les grâces et tous les privilèges possibles, l'avait gratifiée de celui-là, afin qu'adorant et honorant le Verbe incarné universellement sous tous ses symboles, elle fût le digne supplément des prêtres et de toute la loi, et la parfaite adoratrice de Jésus-Christ.
Voyant donc que ses pères avaient manqué à honorer et à glorifier la majesté du Verbe incarné, objet de leur religion, Marie veut suppléer à leur devoir par charité fraternelle aussi bien que par religion envers Dieu. Plus éclairée que tous les prêtres, et ayant autant de lumières de l'esprit de Dieu que ceux-ci en avaient de celui de la chair, elle voyait, adorait et contemplait Jésus-Christ dans toutes ses figures. Après avoir vu tant de fois cette beauté adorable représentée à son esprit, par sa présence , intérieure, elle la reconnaissait dépeinte grossièrement dans ces images sensibles. Elle était comme environnée de Jésus-Christ; elle le voyait partout, et, dans un sens, elle était la plénitude de la loi, faisant sur le déclin de cette loi ce qui ne s'était point fait encore avec perfection depuis son institution primitive.
III
Pour offrir utilement leurs sacrifices à Dieu, les prêtres étaient obligés de les unir en esprit à celui de Jésus-Christ, et Marie était encore en cela leur digne supplément. Sachant que le Sauveur devait venir, et que, semblable à une brebis muette ou à un agneau qu'on égorge, il souffrirait avec patience, douceur et amour son immolation et sa mort, Marie, à la vue des hosties du temple, soupirait après la venue de la victime annoncée par les prophètes, dont la mort devait sauver tout le monde, et qui devait être à la fois le prêtre, la victime et le temple de son propre sacrifice. Elle faisait déjà, sans le savoir, les fonctions saintes du sacerdoce qu'elle aurait à exercer sur le Calvaire : et offrant à Dieu par les mains des prêtres les victimes de la loi, elle lui présentait le sacrifice de son divin Fils.
Dieu exigeait, dans la loi, que celui qui offrait une victime s'offrît lui-même en esprit avec elle; ou plutôt qu'il unît le sacrifice de soi-même à celui de Jésus-Christ, et qu'il sacrifiât avec lui tout le reste dal monde. C'est ce que faisait excellemment la très-sainte Vierge. Elle vivait comme une hostie, prête à être immolée à tout moment, ne voyant jamais de victime égorgée qu'elle ne s'unît intérieurement à Jésus-Christ et ne soupirât d'être immolée avec lui à la gloire de Dieu le Père. Elle passa ainsi son enfance dans le temple, adorant incessamment (51) Jésus-Christ sous la figure de toutes les victimes, ayant jour et nuit devant les yeux celui qui était l'objet de ses désirs, unissant sans cesse son propre sacrifice à celui du Sauveur, sans être jamais distraite de cette application par les occupations extérieures auxquelles elle vaquait.
Enfin la loi appelait le Messie; elle criait et soupirait après lui. C'est encore ce que la très-sainte Vierge a fait dans le temple avec bien plus de force et de vertu que n'avaient pu faire tous les patriarches et tous les prophètes; et cela à cause de sa sainteté incomparable, de ses qualités augustes, de l'ardeur de sa charité pour les hommes, enfin de son amour très-ardent et très-véhément pour le Verbe incarné, dont elle contemplait déjà intérieurement les ravissantes beautés.
A ce spectacle, Marie était dans des attentes très grandes et des désirs très-violents de voir le Verbe s'incarner réellement, et s'unir à la nature humaine et à l'Église. Elle soupirait alors ces cantiques d'amour, que nul ne peut encore concevoir si la majesté de Dieu ne daigne les manifester. Ce sont les Cantiques des cantiques. Ils expriment les sentiments de l'âme de la très-sainte Vierge, s'adressant, au nom de l'Église future ou de la gentilité, au Verbe incarné, promis au monde sous l'image d'un époux, et les sentiments du Verbe incarné s'adressant à Marie ou à l'Église. Car le Cantique des cantiques est proprement le colloque de Jésus-Christ avec l'Église dans la personne de Marie. Immédiatement après le péché, en promettant son Fils à la nature (52) humaine dans la personne d'Adam et d'Ève, Dieu le Père le lui avait comme fiancé dans le paradis terrestre.. Il différa néanmoins les noces, c'est-à-dire l'Incarnation, afin que dans l'intervalle l'épouse conçût des sentiments d'affection pour l'époux, qu'elle n'aimait point encore. Mais au lieu de soupirer après lui, elle l'oublia bientôt, et enfin, devenant idolâtre, elle fit alliance avec le démon et s'abandonna à lui, Ce maudit singe du Verbe incarné, se faisait offrir des sacrifices et traiter de Dieu; il avait même ses oracles, comme Dieu prenait plaisir à rendre les siens, et il tenait le genre humain dans le plus affreux esclavage. Lorsque la très-sainte Vierge parut au monde, c'était le temps des plus grands dérèglements de la gentilité. Il n'y avait plus de religion que dans ce petit coin de la Judée; hors de là, plus de vraie connaissance de Dieu; tout était plein d'abominations : et si la gentilité pouvait comprendre le besoin qu'elle avait d'un Rédempteur, c'était par l’excès même de la dégradation où elle était réduite, malgré les arts et les sciences qui brillèrent alors de leur plus grand éclat.
Dans cet état, incapable d'appeler le Sauveur par ses voeux, l’Église future a trouvé son supplément auprès de lui, dans la charité de Marie, qui était la partie la plus parfaite de cette même Église, ou plutôt qui la comprenait tout entière en sa personne, la Synagogue aussi bien que la gentilité. Dans son séjour au temple, elle était sans doute bien éloignée de penser que le mystère de l'Incarnation dût s'opérer en elle, et qu'elle fût le sujet où (53) s'accomplirait cette promesse de l'union du Verbe avec l'Église : Ils seront deux dans une seule chair. Néanmoins, voyant par avance que, comme membre de l'Église, elle devait être épouse du Verbe incarné, elle soupirait après sa venue. Elle éprouvait ces amours si violents, qui blessent l'âme et l'obligent à se plaindre; ces amours si impatients exprimés dans le Cantique des cantiques, et que la gentilité aussi bien que la Synagogue aurait dû ressentir à l'approche des noces qui lui étaient promises avec le Verbe incarné.
IV
Le considérant dans l'état de ses grandeurs divines, Marie s'écrie donc, au nom de toute l'Église : « Que le Verbe divin, mon époux bien-aimé, cet époux si beau, si adorable, veuille me donner un baiser de sa bouche, en s'unissant à moi. O mon unique, mon bien-aimé, que les délices du paradis et les caresses divines sont bien plus douces que les plaisirs du monde et les satisfactions de la chair ! Tout ce que les parfums ont d'agréable, tout ce que le nectar a de doux n'est pas à comparer avec les douceurs et les plaisirs que je ressens à contempler votre beauté et à goûter votre sagesse. Votre nom seul m'embaume et votre souvenir me ravit: tout le monde est transporté à la pensée de votre personne. O Verbe divin attirez-moi après vous; que je ne vous abandonne (54) point, même en voire retraite au ciel! Oh ! qu'aisément et que doucement nous vous suivrons partout où vous irez parler de Dieu, partout où vous irez répandre les parfums de votre sagesse.
Enfin après avoir longtemps gémi et soupiré, en demandant qu'il plût à votre amour de me conduire dans la douceur de votre jouissance et de votre union, que ne vous plaît-il de me découvrir votre beauté? Enfin, ô mon amour, c'est à ce coup que j'ai vu tous vos trésors de richesses immenses; j'ai goûté l'abondance infinie de vos douceurs; j'ai savouré le bonheur de l'union de votre sainte personne. La grâce, ô mon Sauveur, est si grande, et la faveur si abondante, que le seul souvenir m'en réjouira pour jamais; le souvenir de ces deux mamelles divines, les lumières et les suavités qui nourrissent les deux parties de l'âme; l'entendement et la volonté. Seigneur, tous ceux qui veulent aller droit à Dieu et à la vérité, tous ceux qui désirent marcher dans la justice sont forcés de vous aimer. Il n'y a que les mondains et ceux qui suivent l'injustice qui ne vous goûtent pas.
Seigneur, mon maître, quand je vous vois auprès de moi, je me trouve si noire que je n'ose penser à m'approcher de vous; mais, toutefois, je n'ai rien dans mon coeur qui s'oppose à votre beauté, qui contredise votre grâce. Je suis semblable à ces lieux où repose Salomon, qui n'ont rien de beau près de lui, et qui pourtant reçoivent leur beauté de son lustre. Filles de Jérusalem, imitez-moi (55), et vous aurez part à ses bonnes grâces; séparez-vous de tout péché, et vous serez aimées de lui. »
Ainsi occupée dans son séjour au temple à considérer les mystères du Fils de Dieu, Marie priait pour tous les hommes et s'acquittait de tous les devoirs de l'Église. Voyant les ravages du péché qui abîmait le monde, affligée de tant de crimes et de désordres dont la terre était remplie, elle souhaitait incessamment l'arrivée du Messie.
RÉFLEXIONS PRATIQUES.
En célébrant chaque année la fête de la Présentation, l'Église renouvelle la consécration qui fut faite d'elle-même à Dieu, à pareil jour, par Marie dans le temple de Jérusalem; elle demande par l'intercession puissante de cette divine Vierge d'avoir le bonheur d'être également présentée un jour par elle dans le temple de la gloire, qui est le ciel. C'est ce qui arrivera lorsque, après la résurrection, tous les fidèles qui auront participé sur la terre à l'état de victime de Jésus-Christ, s'élèveront avec lui dans les cieux pour ne former qu'une seule hostie de louange à la gloire de la très-sainte Trinité. Vous mériterez ce bonheur, si vous entrez avec une bonne volonté dans les sentiments exprimés par les victimes du temple, (56) qui étaient des figures non-seulement du sacrifice sanglant de Notre-Seigneur, mais encore du sacrifice intérieur de tous ses membres, qui sont les chrétiens.
Les victimes qu'on amenait dans ce saint lieu, étant encore profanes comme faisant partie du monde, assujetti au démon par le péché, étaient d'abord séparées du siècle par une cérémonie religieuse, appelée l'oblation, qui les appropriait à Dieu et les consacrait à son culte. Dès ce moment, elles étaient censées n'avoir plus de vie que pour Dieu; et, en attendant le jour de leur immolation, elles étaient gardées dans le temple. Si on les nourrissait encore, c'était non pas en vue de les fortifier pour le travail, mais seulement de conserver leur vie jusqu'au temps du sacrifice. Il n'était plus permis de les faire travailler, de s'en servir pour labourer la terre ou pour quelque autre usage profane; et l'on n'aurait pu, sans sacrilège, employer la toison des agneaux aux besoins des hommes, les hosties, par leur oblation, étant rendues entièrement propres à Dieu seul. Cela figurait les dispositions de dévouement total à Dieu, que la très-sainte Vierge possédait en éminence, et qu'elle a offertes pour vous en vous consacrant avec elle à Dieu dans sa sainte Présentation: dispositions dans lesquelles vous devez vous renouveler aujourd'hui, et que demande d'ailleurs dans les vrais chrétiens leur consécration ou leur oblation à Dieu par le saint baptême. C'est pourquoi l'Église veut que les personnes qui entrent dans quelque société religieuse, pour y remplir avec plus de facilité et de (57) perfection cette obligation commune, portent un habit particulier, qui; les séparant extérieurement du siècle, leur rappelle sans cesse qu'elles, sont toutes consacrées à Dieu, comme autant de saintes victimes.
Depuis votre baptême, votre vie et vos sens sont consacrés à Dieu. Vous en profaneriez l'usage, si vous vous en serviez pour plaire aux créatures, pour vous attirer leur estime ou leur affection. Pour répondre à votre vocation, vous ne devez plus user de la vue, de l'ouïe, du toucher, de l'odorat, du goût que pour Dieu ou conformément aux intentions de Dieu, sans jamais chercher à satisfaire votre sensualité, ce qui serait un acheminement au péché. Pour agir dans cet esprit, renoncez à toute complaisance naturelle au commencement de vos actions : par exemple, en buvant, en mangeant, renoncez à tout le plaisir qui s'y rencontre ordinairement; en vous habillant, renoncez à tout désir de paraître; en étudiant, renoncez à toute curiosité; en conversant, renoncez à tout désir d'être aimé ou de plaire; en priant, renoncez à votre propre satisfaction et à tous vos goûts; en communiant, renoncez à toute recherche de consolations sensibles; dans l'exercice de la vertu, renoncez à toute complaisance en votre propre perfection. Enfin renoncez au soin trop empressé de votre corps, à l'amour inquiet de votre santé, à l'attache à la vie.
C'est dans cet esprit que la très-sainte Vierge a vécu; et c'est ce même esprit qu'elle a demandé pour vous à Dieu, dans sa présentation au Temple, offrant ses propres dispositions, pour qu'elles servissent de (58) supplément aux vôtres. Donc, afin de renouveler aujourd'hui la consécration qu'elle a faite alors de vous-même, offrez à Dieu avec foi ces dispositions très-saintes, qui sont toujours vivantes dans l'âme de Marie, par l'opération du Saint-Esprit en elle. Elle vous les abandonne avec amour, comme un bien qu'elle a acquis pour vous; proposez-vous de vivre désormais en union avec elle, comme une parfaite hostie, entièrement et universellement consacrée à Dieu seul. Voilà ce que demande de vous l'oblation, qui est, la première partie de votre sacrifice.
Après qu'on avait égorgé les victimes, et qu'on en avait répandu tout le sang, on les plaçait sur l'autel, où elles étaient consumées par le feu des sacrifices, figure de Dieu lui-même. Ce feu sacré, en s'attachant à la victime et en la consumant, semblait la transformer en lui, la faire passer dans sa propre nature et l'élever au ciel. Mais n'oubliez pas que la vie qu'elle avait perdue par l'effusion de tout son sang, était la figure de la vie du vieil homme, qui ne peut entrer au ciel, et qui doit périr en vous, par le glaive de la mortification intérieure : car vous n'arriverez jamais à la parfaite union avec Dieu par son saint amour, que vous n'ayez été ainsi immolé. Proposez-vous donc de recevoir avec soumission d'esprit et de coeur tous les coups que l'amour divin voudra bien porter à sa victime, quels que soient les instruments dont il se serve pour l'immoler.
Il avait ordonné que, dans certains sacrifices de l'ancienne Loi, on mit la victime en pièces; qu'on (59) en séparât la graisse, les intestins, qu'on en coupât les pieds, la tête,. l'épaule droite, sans excepter même de ce carnage les colombes qu'on lui offrait. C'était une figure grossière de l'immolation spirituelle des chrétiens, qui doivent vivre dans le monde comme des victimes destinées au sacrifice de tout elles-mêmes.
Pour entrer dans ces dispositions, unissez sans cesse votre sacrifice à celui de Jésus-Christ. Marie dans le temple ne le perdait jamais de vue, elle l'avait toujours présent; elle savait que si les hosties matérielles qu'elle voyait offrir avaient devant Dieu une si grande valeur, c'était uniquement à cause de Jésus-Christ, l'hostie par excellence: que ce soit aussi votre occupation habituelle dans l'oblation de votre sacrifice intérieur. Vous aurez chaque jour, et à chaque heure du jour, à faire à Dieu quelque offrande de vos goûts, de vos inclinations, de votre délicatesse, de votre amour-propre, de votre susceptibilité, de votre volonté, de votre jugement : unissez-vous alors, par Marie, à Jésus, et ce que l'immolation pourrait avoir pour vous d'amertume se changera en douceur; du moins l'amertume que vous ressentirez sera tempérée par la suavité de l'onction intérieure que cette union répandra dans votre coeur.
Marie dans le temple adorait sans cesse Jésus-Christ, qui devait être immolé pour vous. Le sacrifice a été offert, et cette même victime est toujours dans son état d'immolation au très-saint Sacrement pensez fréquemment à elle, adorez-la, unissez-vous à elle, et offrez-lui tout ce que vous êtes, et tout ce (60) qui est à vous. Dans le temple, Marie l'appelait par des voeux continuels, par des désirs si ardents, si puissants, que le Verbe de Dieu, touché et attiré par de si vives instances, se communiquait à elle spirituellement, avant qu'elle le possédât corporellement par l'Incarnation. Jésus vous offre une semblable faveur, et si vous l'appelez à vous avec une foi vive et une charité ardente, vous pouvez recevoir, en proportion de l'ardeur de vos désirs, les mêmes effets que vous recevriez de sa part dans la sainte eucharistie.
Les communions spirituelles vous serviront d'ailleurs d'une très-digne préparation pour la communion sacramentelle. Que l'attente du divin Époux, qui veut se donner à vous si fréquemment dans le banquet eucharistique, ranime donc votre ferveur, et vous fasse soupirer après lui, ou plutôt qu'elle vous porte à recourir à Marie, votre supplément auprès de son fils. Offrez à Jésus les sentiments si parfaits, les désirs si purs, les voeux si ardents dont elle était embrasée dans son séjour au Temple. Vous ne pouvez vous disposer plus dignement à la sainte communion qu'en puisant dans le coeur de celle que l'Église appelle par excellence le vase insigne de la dévotion.
CHAPITRE IV. MARIAGE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE AVEC SAINT JOSEPH ET MYSTÈRE DE L’ANNONCIATION
I
Le Fils de Dieu, en se faisant homme par (Incarnation, devait être saint dans sa chair, afin qu'il fût une victime digne d'être agréée de son Père. Sa chair, par conséquent, devait être formée d'un sang très-pur, très-chaste, très-saint, et conçue, non par la voie commune et ordinaire, qui à moins d'un privilège transmet le péché avec la substance; mais par l'opération de l'Esprit de Dieu, qui ne peut contribuer au péché ni le communiquer. Enfin sa très-sainte Mère devait le concevoir et l'engendrer sans souffrir de déchet dans sa pureté virginale, comme le cristal qui reçoit et renvoie hors de lui les rayons du soleil, sans rien perdre de son lustre, et qui n'en brille, au contraire, qu'avec plus d'éclat.
Toutefois il convenait de cacher le mystère de l'Incarnation aux Juifs, qui n'auraient point immolé le (62) Fils de Dieu s'ils l'eussent connu clairement. D'ailleurs il était de la sagesse divine de mettre la fécondité et la grossesse de Marie à couvert de la témérité des hommes, qui en eussent jugé indiscrètement, dans l'ignorance où ils devaient être de ce mystère, jusqu'au moment marqué par la divine Providence pour le manifester au monde. Dieu donna donc à la très-sainte Vierge saint Joseph pour époux, afin qu'il lui servît comme d'ombre et de manteau.
Saint Joseph est pour la très- sainte Vierge une image de la pureté du Père éternel. Étant donné pour être le gardien, la sûreté et la protection de cette divine Vierge, la créature la plus sainte et la plus précieuse qui dût exister après la sainte humanité du Sauveur, on ne saurait exprimer quel était son respect pour elle. Il vit même séparé des biens de la terre et de toute créature; et l'Évangile nous le donne à contempler comme rempli d'une sainteté incomparable, en disant de lui qu'il était juste, c'est-à-dire saint. Sans doute, c'était un port extérieur grave et modeste; c'était une composition admirable, une décence non pareille, à cause de celui dont il était l'image vivante. Quelle sagesse! quelle force ! quelle prudence ! quelle simplicité! Je ne crois pas que jamais il y eut rien de pareil au monde.
Si Dieu le Père a pris ce saint pour donner l'idée de ses perfections, s'il a rendu visible en lui ce qui était caché en son essence de toute éternité, s'il l'a choisi pour en faire l'image de sa sainteté, quelle idée doit-on se former de saint Joseph? Dieu lui donne avec abondance son esprit de Père; il exprime (63) sensiblement en lui toutes ses perfections divines, sa sagesse, sa prudence, son amour, sa miséricorde; il en fait le caractère de toutes ses beautés. Enfin , comme Dieu le Père est invisible en sa personne, et même incompréhensible dans son être et dans ses productions, il l'a rendu comme invisible et caché à nos esprits, et, à mon sens, hors d'état d’être compris par les hommes.
II
Saint Luc, qui a décrit soigneusement la nativité de Notre-Seigneur, et qui témoigne être plus instruit de sa génération temporelle que tout autre évangéliste, nous apprend que le Père éternel envoie un ange à la très-sainte Vierge pour avoir son consentement exprès , et pour être le médiateur de son alliance avec elle. Le nom même de cet .ange, appelé Gabriel, qui signifie homme de Dieu, exprimait l'objet de ce passage célèbre, c'est-à-dire que le Fils de Dieu venait en terre. Quelle n'est pas déjà la grandeur de Marie, qui a pour ministre et pour serviteur l'un de ces premiers anges qui, au rapport de l'Écriture, sont au nombre de sept, toujours debout devant la divine Majesté? Incomparables esprits, sublimes intelligences, qui, n'ayant pour supérieur que Dieu même, ne peuvent être envoyés que par lui: au lieu que les autres sont envoyés par les anges qui sont au-dessus d'eux. C'est l'un de (64) ces esprits éminents qui est envoyé comme serviteur à Marie, encore trop heureux de (aborder et de la saluer. O bienheureux ange de Dieu choisi du milieu de tous les esprits célestes pour être le dépositaire des secrets de Dieu le Père, L'ambassadeur de son amour, le médiateur de sa divine alliance, le spectateur de ses délices !
Dieu s'explique à saint Gabriel de deux secrets adorables qui ont de quoi ravir un million créatures en admiration : d'abord de son amour immense pour tout le genre humain, qu'il veut sauver et délivrer de la mort éternelle, par l'incarnation et par la mort sanglante de son propre Fils; et ensuite de l'amour qu'il a pour la très-sainte Vierge, l'ayant choisie afin de faire naître d'elle et de sa sainte substance ce même Fils en la vertu de son Saint-Esprit. Mais, sachant quelles difficultés l'esprit de Marie trouverait à cette proposition il lui fait porter par saint Gabriel les paroles les plus puissantes et les plus efficaces pour les lever. Le premier de ces empêchements était sa profonde humilité, que Dieu voulait ménager en lui faisant une proposition si magnifique. Cette parfaite humilité découvrait à Marie, et mettait à nu devant ses yeux sa bassesse et sa vileté. Elle la tenait en esprit aux pieds de toutes les créatures, comme un néant, indigne de tout , infiniment distante de Dieu , aussi basse et aussi vile que Dieu est grand en lui-même. Pour lever cet obstacle, sans donner à Marie aucune occasion de retour et d'estime d'elle-même , Dieu la fait saluer ainsi par l'Ange en l'abordant : Je vous (65)salue, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes.
III
En la saluant de la sorte, saint Gabriel révère en elle des prodiges de grâce qu'il ne peut concevoir; il admire cette plénitude, qui contient tout ce qui est répandu dans les ordres de tous les anges, et ce qui sera distribué un jour entre tous les saints; Marie les surpassant d'autant que sa dignité de Mère de Dieu surpasse celle des serviteurs et des ministres. Je vous salue, pleine de grâce, lui dit-il : parole inspirée par la divine sagesse. Il ne l'appelle pas pleine de mérite: la créature y pourrait avoir quelque part; il lui dit qu'elle est pleine de grâce, c'est-à-dire des dons de Dieu, pleine de sa charité, de sa miséricorde; ce qui dans une créature innocente ne pouvait donner lieu à aucune estime de soi-même, la grâce étant un don où la créature n'a point de part, et venant de Dieu seul, qui en est le distributeur et le père.
Aussi ces paroles, loin d'exposer l'humilité de Marie, lui fournissent l'occasion de s'humilier de plat en plus. Elle ne peut les souffrir sans trouble; elle est comme honteuse de se voir honorée par un envoyé céleste : Ayant entendu l'Ange, elle fut troublée de ses paroles, et pensait en elle-même quelle pouvait être cette salutation. Le sujet de l'humiliation de Marie, conçue dans l'innocence, ne (66) pouvait être que la vue de son néant. Ce qui la tenait humiliée, c'était de voir qu'elle n'était rien par elle-même, qu'elle n'avait rien de soi; que tout ce qui était en elle appartenait à Dieu, qu'il en méritait seul l'honneur et la louange, et qu'il pouvait lui ôter tout en un moment, comme en un instant il lui avait tout donné.
Marie, continue l'Ange, ne craignez point, car vous avez trouvé grâce devant Dieu; voilà que vous concevrez et enfanterez un fils, à qui vous donnerez le nom de Jésus, parce qu'il sauvera son peuple en le délivrant de ses péchés. Il sera grand et le Fils du Très-Haut : le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David son père, il règnera éternellement sur la maison de Jacob; et son règne n'aura point de fin. Cette déclaration lui suggérait les motifs les plus forts de consentir à la naissance de Jésus-Christ. Rien ne pouvait toucher son coeur comme la proposition qui lui était faite, de procurer par là l'accomplissement des desseins de Dieu, la gloire du Fils, le salut des hommes.
La seconde difficulté était tirée de la virginité de Marie. Comment cela se fera-t-il, dit-elle à l'Ange, car je ne connais point d'homme : c'est-à-dire j'ai fait voeu de virginité. Elle ne voyait pas avec le seul secours de la grâce ordinaire, ou plutôt elle ignorait pleinement qu'elle concevrait sans avoir connaissance d'un homme. Dieu voulut qu'elle fût privée de la vue nette et claire qu'elle aurait pu avoir de ce mystère, afin de l'obliger à s'abandonner parfaitement à lui, en toute foi et confiance, sans discuter, (67) et sans prendre tous les éclaircissements qu'un esprit moins soumis et plus curieux aurait pu désirer. Dieu répond donc ainsi par son ambassadeur à cette seconde difficulté: Le Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-Haut vous ombragera ; c'est pourquoi le saint qui naîtra de vous sera appelé le Fils de Dieu.
L'Esprit-Saint était déjà venu en Marie, au moment de sa conception. Il l'avait préservée du crime d'origine, et sanctifiée de la manière la plus parfaite qu'une âme sainte le pouvait être. Étant destinée pour la maternité divine, elle était dés lors pleine de grâce, et était même remplie de la perfection nécessaire à la fécondité divine. Néanmoins il lui fallait un surcroît de dons magnifiques pour soutenir la dignité d'Épouse du Père éternel et de Mère de son Fils. C'est pourquoi l'Ange lui dit que le Saint-Esprit surviendra en elle, c'est-à-dire qu'il viendra en elle une seconde fois pour verser dans son âme une nouvelle plénitude de dons, d'ornements précieux et de grâces divines qui la rendront digne de ces augustes titres d'Épouse et de Mère de Dieu. D'où vient que l'Ange prononce ces dernières paroles : le Saint-Esprit surviendra en vous, après l'avoir glorifiée au sujet de la première plénitude de sa grâce : Ave, gratia plena. La vertu du Très-Haut vous ombragera, ajoute-t-il, c'est-à-dire la vertu la plus sublime de Dieu vous rendra féconde, et ce qui naîtra de vous sera saint, saint de la sainteté du Père et de celle du Saint-Esprit qui surviendra en vous. Rien n'est impossible à Dieu.
La sainte Vierge prononce alors, de toute l'étendue de son coeur, ces paroles ineffables: Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum. Voici la servante du Seigneur; qu'il fasse de moi ce qu'il voudra, selon le pouvoir absolu et la pleine puissance que le souverain de l'univers doit avoir sur sa pauvre et chétive créature.
On voit par là trois vertus éminentes et profondes dans la très-sainte Vierge: son humilité, sa chasteté, et, par-dessus tout, son abandon parfait entre les mains de Dieu, pour être et devenir ce qu'il désire : se confiant en lui pour toute sa conduite, et soumettant sa raison et sa sagesse particulière à l'éminence de la sagesse et de la sainteté de Dieu. De son côté Dieu, faisant dépendre le mystère de l'Incarnation du consentement de Marie, l'établit la médiatrice du don sacré qu'il va faire au monde; il la rend dépositaire du trésor de notre rédemption, et il apprend à toute l'Église à aller à Marie, comme au tabernacle et au sanctuaire où habite et repose l'objet de ses délices et de ses complaisances.
RÉFLEXIONS PRATIQUES. L'ANGELUS.
Le divin mystère de l'Incarnation, ainsi qu'on vient de le voir, contient en abrégé toute la religion chrétienne. Les trois adorables personnes de la (69) très-sainte Trinité s'y rencontrent, comme le terme et la fin dernière de toute religion; Jésus-Christ y est présent, rendant en notre nom tous les hommages dus à la Divinité; la très-sainte Vierge, sa Mère, s'y trouve aussi, comme le temple le plus saint, le plus aimable qu'il puisse avoir au monde. Pour louer Dieu dans ses grandeurs, nous avons recours à Jésus-Christ, le médiateur de nos louanges; et pour glorifier Jésus-Christ, nous avons besoin de la très-sainte Vierge, qui seule est digne de le glorifier parfaitement. Mais en sa qualité de Mère de Dieu, elle mérite elle-même nos respects et nos hommages; et à son égard nous avons encore besoin de supplément, n'étant pas dignes de lui rendre par nous-mêmes les devoirs qui lui sont dus. C'est donc une dévotion très-juste et très-utile de s'unir à saint Gabriel, et en lui à tous les saints anges, pour l'honorer dignement. Dieu lui- même s'est servi de ce saint Archange comme d'un ministre en rapport avec la grandeur de la très-sainte Vierge et avec les devoirs qu'il lui faisait rendre. Saint Gabriel a été témoin des prodiges que Dieu a opérés en elle; il a connu par son expérience tout ce qu'elle mérite d'honneur et de respect; nous devons donc être soigneux d'entrer dans sa dévotion et sa religion envers elle, et le considérer, ainsi que tous les autres anges, çomine les ministres de cette auguste Reine, auxquels les hommes doivent s'unir pour l'honorer, pour la louer et la servir.
L'Église elle-même nous propose un moyen facile de remplir tous ces devoirs de religion, dans la (70) dévotion connue sous le nom de l'Angelus. Le but de cette pratique est, en effet, de glorifier la très-sainte Trinité, pour le bienfait ineffable de l'Incarnation , d'honorer Jésus-Christ, et de rendre aussi nos devoirs à la bienheureuse Vierge, sa mère. D'abord l'Église sonne l'Angelus trois fois le jour, le matin , à midi et le soir; et trois coups à chaque fois, afin de nous rappeler, par ce signal mystérieux, que toute sa dévotion envers Jésus-Christ est rapportée par lui à la gloire et à l'honneur des trois personnes divines. Elle nous fait connaître par là qu'elle n'annonce autre chose que l'amour et la gloire de cette Trinité adorable; dont Jésus-Christ est la louange, et à laquelle il nous a tous dédiés et consacrés par le baptême. L'Église n'ignore point que les fidèles ne sont pas dignes d'honorer les mystères de Jésus-Christ, que même ils ne les connaissent guère; elle sait bien que la très-sainte Vierge les a mieux connus et honorés que personne; qu'elle a le plus participé à leurs dons et à leurs grâces. C'est pourquoi, dans la dévotion de l'Angelus, elle nous fait réciter trois fois l'Ave Maria, nous invitant ainsi à nous unir à Marie, afin que par cette parfaite adoratrice de Jésus-Christ, nous lui rendions les honneurs et les hommages qui lui sont dus dans ses mystères, et que dans cette union nous participions aux dons et aux grâces de ces mêmes mystères. Enfin, pour respecter et pour honorer la gloire et la grandeur de la très-sainte Vierge elle-même, l'Église dans la dévotion de l'Angelus nous remet devant les yeux le message de l'Ange, et nous fait même (71) répéter les paroles de louange qu'il lui adressa, afin de nous avertir d'approcher d'elle dans les mêmes dispositions avec lesquelles en approcha saint Gabriel, député du Père éternel, et rempli de son saint amour envers elle.
Voici donc dans quels sentiments il convient de réciter l'Angelus :
1° En prononçant ces paroles : L'Ange du Seigneur annonça à Marie, etc., il est bon d'honorer l'excellence de saint Gabriel, qui avait en soi quelque chose de grand et de bien auguste, puisqu'il a été choisi, du milieu de tous ses frères, pour être l'ambassadeur de Dieu auprès de Marie. On peut respecter aussi son obéissance admirable qui le fait partir du ciel en un instant, tout rempli du feu de l'amour de Dieu le Père envers Marie, et de zèle pour l'accomplissement de ses desseins. On peut honorer encore sa fidélité parfaite, puisque, après qu'il a accompli son ambassade et satisfait aux desseins du Père Éternel, aussitôt il disparaît. Il se retire en Dieu, afin de lui rendre, dans son sein adorable, une religion parfaite et les devoirs de cet amour souverain qui lui fait préférer Dieu à toutes choses, sans égard pour la douceur qu'il goûtait dans l'entretien de la très-sainte Vierge, quelque saint, quelque pur, quelque admirable qu'il fût.
Mais surtout avant de réciter: Je vous salue, etc.... on s'unira à la religion de saint Gabriel envers Marie, pour aborder cette divine Mère avec le respect et l'honneur qui lui sont dus. Car les paroles de l'Ange : Je vous salue, pleine de grâce; le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes, furent (72) accompagnées de l'hommage intérieur le plus parfait que Marie ait reçu ou qu'elle recevra jamais d'aucune créature, puisqu'elles lui furent portées de la part du Père Éternel, dont saint Gabriel était l'interprète et l'ambassadeur. Aussi l'Église, le considérant comme le plus digne supplément de nos devoirs envers la très-sainte Vierge, ne se lasse pas de s'unir à la religion de ce saint Ange, et d'adresser à Marie les propres paroles par lesquelles il la salua, afin de participer ainsi à sa vénération et à son amour pour elle. Enfin, comme elle sait bien que Marie est notre médiatrice auprès de Jésus-Christ, et le supplément de notre religion envers lui, elle ajoute toujours cette invocation aux paroles de l’Ange : Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l'heure de notre mort. En récitant : Je vous salue, Marie, etc.... on s'unira donc à saint Gabriel pour offrir à cette auguste Reine les hommages religieux qu'il lui rendit en l'abordant, et on lui offrira aussi les respects et les supplications de toute l'Église.
2° On s'unira encore à lui en disant : Voici la servante du Seigneur, etc.... afin d'honorer et de respecter avec lui les sentiments d'anéantissement parfait dont la très-sainte Vierge était toute pénétrée en les prononçant, et qu'elle a toujours conservés dans son coeur. L'abandon qu'elle fit alors d'elle-même à Dieu en qualité de servante, fut l’hommage le plus pur et le plus parfait qu'il eût jamais reçu; et l’Église nous fait répéter les paroles mêmes qu'elle prononça, afin que nous unissant à ses dispositions, (73) nous entrions en participation de son esprit de servitude envers Jésus-Christ. Dans cette vue, nous nous tiendrons recueillis quelques instants, pour donner au Saint-Esprit le temps de répandre dans nos coeurs cette grâce de servitude. L'esprit de. servitude à Jésus-Christ demande de notre part une confiance et un abandon sans retour, entre les mains de ce béni et fidèle maître, qui est tout sage, tout-puissant, tout bon, et qui par ses perfections supplée à notre aveuglement et à notre amour-propre, qui sont trop souvent, hélas les directeurs que nous consultons. A proprement parler, l'esprit de servitude est une grande pureté d'intention avec un désir ardent de la gloire de notre Maître. Cela suppose une grande mortification des désirs naturels, un grand, amour pour Notre-Seigneur, enfin un amour sincère de la croix, du mépris, de la pauvreté, de la souffrance, afin qu'au service de notre Maître nous ne trouvions rien qui nous arrête en chemin. C'est ce qu'il faut conjurer la très-sainte Vierge de nous obtenir, pendant que, unis de coeur à saint Gabriel et à l'Église, nous réciterons pour la seconde fois : Je vous salue, Marie.
3° Lorsqu'on ajoute : Et le Verbe s'est fait chair, etc..., il faut s'unir à Marie, pour adorer avec elle les abaissements incompréhensibles du Verbe incarné, et les hommages parfaits qu'il rendit à la majesté de Dieu, au moment de l'Incarnation, qui furent des hommages infinis, dignes de sa grandeur. En récitant pour la troisième fois : Je vous salue, etc.... on se donnera à la très-sainte Vierge, pour demander par elle de participer à la vie du (74) Verbe incarné, qui devrait être celle des chrétiens. Car si l'Église nous invite, trois fois le jour, à la récitation de l’Angelus, c'est pour nous rappeler Jésus-Christ, la source de notre vie, et nous attirer à lui afin de nous remplir de son Esprit. Elle le sonne le matin, pour que nous commencions la journée par Jésus-Christ. Elle le sonne à midi, afin que nous renouvelions en nous son souvenir et que nous le gardions jusqu'au soir. Elle le sonne, encore à la fin du jour, afin que nous terminions nos pensées par Jésus-Christ, comme nous les avons commencées par lui, et pour que nous nous endormions et nous reposions dans son sein. Ainsi l’Angelus a pour but de nous faire vivre jour et nuit dans la présence et l’amour de Jésus-Christ et de ses saints mystères.
Dans l’oraison qui termine cette dévotion, l’Église nous fait honorer trois mystères principaux: l’incarnation, la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Le matin, en récitant cette oraison, on peut se proposer d’honorer plus particulièrement le mystère de l’anéantissement du Verbe dans l’Incarnation, et les divines occupations de l’âme du Sauveur pour l’honneur de Dieu et la sanctification des hommes. Car l’Église souhaite que ses enfants commencent toutes leurs journées, qui sont autant d'images de la vie, dans le même esprit que Jésus-Christ a commencé la sienne. A midi, nous pourrons faire une attention particulière au mystère de la Résurrection, par la vertu duquel nous participons à le vie du Sauveur ressuscité, lequel doit croître et se développer, jusqu'à ce qu'il soit parfaitement formé dans nos cœurs. (75) Cette vie inspire l'amour des choses éternelles, et le mépris de celles d'ici-bas; elle fait que nous n'usons plus de celle-ci qu'avec dégoût, bien loin de nous y attacher. Le soir, enfin, on peut honorer le mystère de la mort et de la sépulture, afin de finir notre journée comme Notre-Seigneur a fini sa vie, et de prendre notre repos et notre sommeil en union avec lui dans son tombeau. Car de même que le jour du chrétien est une image de sa vie, ainsi la nuit lui doit être une image de sa mort. Il est bon d'ajouter une petite élévation à Jésus-Christ mort et enseveli, pour lui demander l'esprit et la grâce du sacrement de l'extrême-onction, qui a sa source en ces divins mystères. Cette grâce nous mettra à couvert de la malice du démon, qui pourrait nous surprendre durant le sommeil; car en cet état nous sommes faibles comme dans l'agonie, perclus et privés de nos sens et de notre raison. Enfin, comme nous nous serons reposés avec Jésus-Christ, en attendant la résurrection du matin, nous devons nous lever, le lendemain, dans les sentiments où il était en sortant du tombeau; remerciant Dieu de la nouvelle vie qu'il nous donne, pour l'honorer et le servir.
CHAPITRE V. ACCOMPLISSEMENT DU MYSTÈRE DE L'INCARNATION PAR LEQUEL MARIE DEVIENT MÈRE DE DIEU
I
Dans le mystère adorable de l'Incarnation, Dieu a fait trois choses en la très-sainte Vierge : la première a été d'orner son âme des dons et des beautés les plus magnifiques qui puissent être Communiquées à une simple créature; la seconde, de former le corps et l'âme de Jésus-Christ; la troisième, d'unir la divinité du Verbe à cette humanité au moment de sa formation.
Le Saint-Esprit est envoyé de Dieu le Père pour commencer ce mystère, en versant dans l'âme de Marie une surabondance de grâces et de dons bien supérieure à tout ce qu'il y avait déjà répandu. Ce divin Esprit épanche en elle une plénitude de grâce et de sainteté digne de l’Épouse du père, de la Mère du Fils et du tabernacle de ce même Esprit; une (77) plénitude qui la dispose à recevoir un Fils, qui est la sainteté même, qui habite de toute éternité dans le Saint des saints, dans le sein adorable de Dieu. Il travaille par conséquent à faire en Marie une demeure en rapport avec la dignité incomparable du Fils unique de Dieu. Cette beauté de Marie, cette sainteté divine, cette grandeur inconcevable dit des trésors qui surpassent toute pensée; c'est un ouvragé. que Dieu seul peut comprendre, comme lui seul peut l'opérer.
Le deuxième effet produit dans Marie est d'y former le corps et l'âme de Jésus-Christ. Ce Saint-Esprit qui vivifie, qui est le principe de vie, qui répand cette vie où il veut, sépare dans tout le sang, et par conséquent dans tout le corps de la très-sainte Vierge, la plus pure substance pour la formation du corps de son Fils. En même temps il sanctifie la substance qu'il prend ainsi d'elle; et comme ce Fils doit être semblable à Marie, l'image de sa substance, elle se sent elle-même de cette sanctification. En outre, ce divin Esprit, qui supplée quand il veut, immédiatement et par lui-même, aux dispositions ordinaires de la sagesse de Dieu, supplée à tout ce qui manquait pour la formation de ce corps. La très-sainte Vierge, dans laquelle se sont opérées alors des choses admirables et incompréhensibles à l'homme, s'est trouvée purement passive à cette opération, le tout s'étant seulement passé en sa présence et en sa personne.
A ce moment, les trois personnes divines forment la créature raisonnable la plus parfaite, je veux dire (78) l'esprit le plus grand, le plus accompli, l'âme la plus belle, la plus vaste qui puisse être, pour recevoir le plus de connaissances et de lumières de Dieu, qui se puisse concevoir. Et alors même, pendant que l'Esprit divin embrase la sainte Vierge des flammes de son amour et la fait entrer dans l'union parfaite où Dieu voulait l'attirer, le grand mystère s'opère. La sainte Vierge se soumet, en disant : Qu'il me soit fait selon votre parole; et, en même temps que l'âme est unie au corps lui-même, le Verbe substitue par une douce prévention sa personne divine à la personne ordinaire qui aurait dû naître de cette union de l'âme et du corps, n'eussent été mutuellement prévenus par lui ainsi le Saint-Esprit, avec le Père et le Verbe, prévenant la formation de la personne qui aurait dû rejaillir, et y substituant la personne divine du Verbe, le Verbe fut fait chair, du consentement exprès de Marie.
O divin et adorable moment, secrète et inscrutable sagesse de Dieu, dans la formation de son Verbe fait chair ! Ce n'est pas un enfant que Marie conçoit, c'est un homme parfait. Dieu le père engendrant le Verbe incarné, le fait homme parfait dans ce moment-là même; c'est-à-dire aussi parfait dans la lumière de sa raison et aussi avancé dans sa sagesse (dans lesquelles consiste proprement la vie de l'homme), qu’il le sera à l'âge de trente-trois ans, au moment de sa mort; et alors aussi il verse dans l'âme de Jésus-Christ la plénitude des trésors de sa sagesse et (79) de sa science. La femme environne l'homme, selon l'expression de l'Écriture; c'est l'homme parfait par excellence, dont Adam, créé parfait, ne fut qu'une figure très,-légère qui marquait quelle serait la sagesse de Jésus-Christ à sa naissance, sa perfection et sa parfaite ressemblance avec Dieu. Car le second homme n'est pas une simple ressemblance de Dieu, comme était Adam; il est en sa divine personne son image essentielle et son essence même.
II
Effet admirable des merveilles de l'Incarnation! La sainte humanité n'ayant de personne que dans le Verbe, Marie est véritablement Mère de Dieu, à cause de l'unité de la personne. Le Fils de Marie est le Fils même du Père éternel; et Jésus-Christ n'est pas plus véritablement appelé Fils de Dieu que Fils de la Vierge Marie.
Cette ineffable dignité de mère de Dieu rend Marie incompréhensible aux,hommes et aux anges.
On assure de saint Denys qu'il l'eût prise pour une divinité s'il n'eût eu la foi, et cela est très-véritable à cause de l'union très-intime de Dieu habitant en Marie, qui la transformait en quelque sorte en lui. L'Écriture dit des justes qui vivent encore sur la terre, qu'ils sont transformés de clartés en clartés, par l'Esprit du Seigneur; ce que les Pères grecs appellent Déification; et qui, d'après saint Jean et (80) saint Paul, doit être achevé au ciel dans les bienheureux : En voyant Dieu tel qu'il est, nous lui serons semblables. Il n'y a pas moyen d'expliquer ces choses, ni d'en parler. Que dirons-nous donc de la maternité divine? Cette dignité auguste fait que tout fléchissant devant Marie, reconnaît par un silence religieux qu'elle est au- dessus de tous les respects et de toutes les louanges imaginables.
Quels dons Jésus-Christ ne fait-il pas à sa Mère ! Elle lui communique sa vie, son être, son sang; elle le fait participant de tout ce qu'elle a et de tout ce qu'elle est. Jésus-Christ n'en fait pas moins pour elle. Il la communie à ses grâces, à ses trésors immenses, à sa vie divine; en un mot, il se donne tout à sa mère. Dès les premiers moments de l'Incarnation, le Verbe fait chair, qui, selon l'expression de l’Écriture, était alors comme l'Époux sortant de sa couche, tout embaumé de son Père, tout enivré des délices de Dieu, tout absorbé dans l'amour; après avoir prié pour Marie, et s'être offert pour elle à Dieu, versa en effet dans elle les prémices de son Esprit, de sa vie, et les trésors immenses de sa charité. Si après être rentré dans le sein de son Père, par sa glorieuse Ascension, il répandit dans le coeur des Apôtres, pour prémices de son Esprit, les richesses les plus abondantes qu'il ait depuis versées dans son Église; combien ces prémices de grâce, lorsqu'il descendit lui-même du sein du Père dans sa Mère, ont-elles été fécondes, abondantes, magnifiques !
En se revêtant de notre nature, le Verbe venait (81) épouser l'Église, et Marie était l'auguste palais où devaient être célébrées ces saintes et divines noces. Au moment donc où le Verbe prit chair, n'étant alors qu'un avec sa Mère, il épousa l'Église dans la personne de sa Mère, et répandit en plénitude dans l'âme de Marie, dans ce magnifique intérieur, tous les trésors qu'il devait communiquer à l'Église, à ce monde nouveau qu'il considérait déjà dans elle.
Dans le sein de Marie comme dans le premier temple de la religion chrétienne, il rend à Dieu son Père les devoirs que son égalité divine et éternelle avec lui ne lui avait pas permis de lui rendre. C'est là que Dieu le Verbe, égal à son Père de toute éternité, qui n'avait pu s'abaisser au-dessous. de soi-même, se trouve en notre chair par le moyen de ce sein maternel, admirant un Dieu, adorant un Dieu, et le magnifiant dans toute l'étendue de sa gloire; là enfin que le Fils devient, dans sa nature humaine, inférieur au Père, et que le Père est adoré autant qu'il est adorable. Dès ce, premier moment de son Incarnation, voyant tout ce que son Père pourrait agréer de satisfactions extérieures pour la réparation de sa gloire, Jésus-Christ témoigne vouloir le lui offrir, et déjà il le fait en désir. Il offre à son Père toute sa vie et celle de tous ses membres; il consacre l'Église, pour être immolée avec lui en sacrifice d'expiation sur la croix, en attendant le sacrifice de l'éternité, où il la consommera avec lui pour ne faire de lui et d'elle qu'une seule hostie de louange. Ainsi Marie est le temple vivant où Jésus-Christ offre, par avance, le sacrifice du temps et de (82) l‘éternité. Le sein de Marie est l‘image du ciel et la figure du sein du Père, où Jésus-Christ offrira sur l'autel d’or, dont parle l’Écriture, et qui est la personne même du Verbe, les louanges de son cœur et celles de tous les fidèles consommés en lui dans la gloire.
III
Bien plus, dès ce premier instant de sa conception, se trouvant redevable à Marie de sa génération comme homme et du pouvoir de mériter, qui est son humanité sainte, et qui lui donne le moyen de sanctifier ainsi le nom de Dieu et de lui offrir les premiers devoirs de sa religion, dans toute la plénitude de son amour, il rend sa Mère participante de ses adorations, de ses louanges, et la fait la seconde adoratrice parfaite en esprit et en vérité de la grandeur de Dieu. Elle sent ses dispositions intérieures. Il les a communes avec lui. Si le Fils rend ses devoirs, au Père par ses élévations en lui, la très-sainte Vierge se trouve de même élevée vers Dieu, en l’unité du Saint-Esprit. Elle est une image accomplie des beautés de Jésus-Christ. Qui voit le Père voit le Fils, et qui voit le Fils voit le Père; ainsi peut-on dire, jusqu'à un certain point: Qui voit la Mère voit le Fils, et qui voit le Fils voit la Mère. Le Fils est la gloire du Père, et Marie est la gloire de Jésus-Christ.
O Mère incomparable! heureuse Vierge, vous recevez et vous donnez tout ce qu'il y a de plus grand et de plus auguste au monde! Vous recevez en vous la plénitude de la divinité du Verbe, et vous rendez au Père, par le Fils, toutes les louanges et les gloires qui peuvent l'honorer. Adorable mystère! que vous êtes inconnu; qu'il y a peu d'âmes qui vous révèrent ! O mon Dieu, qui sera digne de pénétrer ce secret divin, d'être introduit dans ce sanctuaire inaccessible?
Ange, dites à présent avec raison, en saluant Marie : Ave, gratia plena. Si vous honoriez cette auguste princesse, lorsqu'elle n'était encore que servante; si vous vénériez cette sainte âme, à cause de sa capacité pour recevoir en elle les dons de Dieu, que sera-ce maintenant qu'elle en est toute remplie; non pas toutefois. comme le canal d'une fontaine, par l'écoulement de la source; non pas comme une rivière remplie par l'épanchement de la mer; mais comme un abîme sans fond et sans limites, qui comprend l'océan même de la divinité? C'est une merveille inconcevable à tous les esprits célestes, que cette immensité de grâces, et qui les oblige tous à la vénérer en silence. Aussi reste-t-il dans l'esprit de l'ange Gabriel, après la connaissance, qu'il a eue de l'âme de Marie, et de quelques opérations du Saint-Esprit en elle, un désir ardent de connaître ce qui peut être compris dans cet auguste intérieur; et nous pouvons bien dire aussi de tous les autres esprits célestes, qu'ils désirent d'entrevoir ses ravissantes beautés : In quem desiderant (84) Angeli prospicere. O grandeur inconcevable de Marie! ô sainteté ineffable! tu me ravis, tu m'arraches les larmes des yeux, tu m'ôtes la parole. du coeur, la pensée de l'esprit; je te révère et ne puis plus.
CHAPITRE VI. MYSTÈRE DE LA VISITATION
I
Après que Dieu eut rendu Marie, dans l'Incarnation, la Mère de Jésus-Christ selon la chair, il voulait qu'elle fût, selon l'esprit, la vraie Mère de tous les chrétiens (1), qu'elle communiquât à chacun la vie spirituelle que son fils venait apporter au monde. C'est ce qui nous est montré d'une manière sensible dans la Visitation par le ministère qu'elle remplit à l'égard de saint Jean. Mais, pour comprendre la puissance auguste qu'elle exerce en ce mystère, il est nécessaire de considérer d'abord le dessein de Dieu sur saint Jean-Baptiste.
1. S. Augustin, de sancta Virginitate, cap. VI. Maria, non solum spiritu, verum etiam corpore, et Mater est et Virgo. Et mater quidem spiritu, non capitis nostri, quod est ipse salvator...; sed plane mater membrorum ejus, quod nos sumus; quia cooperata est charitate, ut fideles in Ecclesia nascerentur, quœ illius capitis membra sunt : corpore vero, ipsius capitis Mater.
La fin que Dieu avait eue en vue dans l'ancien Testament, c'était de préparer les hommes à la venue du Messie. Pour cela, la loi et les prophètes le figuraient et le montraient de loin, et, de plus, faisaient connaître aux hommes l'impuissance où ils étaient de s'abstenir du péché sans l'assistance du Rédempteur et de son Esprit. Mais aux approches de ce grand bienfait, dans les jours qui allaient précéder immédiatement la venue du Messie, il était digne de la sagesse de Dieu de préparer les hommes à le recevoir, en renouvelant tous ces effets précédents par une voix plus puissante que celle de la loi, et par l'effort d'un zèle plus efficace que celui de tous les anciens prophètes. Pour ce dessein, il suscite, saint Jean.
Ce saint précurseur, en effet, n'est pas destiné, comme la loi et les prophètes, seulement à montrer le Sauveur de loin. Il vient, pour le montrer du doigt, il vient pour frapper à la porte des coeurs, les émouvoir, les détacher du péché par la crainte de la mort éternelle et de la vengeance de Dieu, ce que la loi ne faisait pas; il vient enfin pour les conduire à l'Agneau, qui seul peut les purifier de leurs péchés. De plus, la loi et les prophètes étaient une lumière dont l'éclat ne s'étendait qu'au peuple juif. Saint Jean est envoyé comme le flambeau destiné à éclairer et à échauffer l'Église entière, par son éclat et sa splendeur. Il est l'apôtre de Dieu, pour rendre témoignage à Jésus-Christ, afin que par saint Jean tous croient à sa venue dans le monde : c'est par son ministère que le Fils de Dieu doit être connu (87) en Judée, et de la Judée chez les Gentils par toute la t'erre. Voilà pourquoi la naissance de saint Jean est précédée et accompagnée d'événements admirables et tout à fait miraculeux.
Pendant que le prêtre Zacharie offrait à Dieu le parfum dans le temple, l'ange Gabriel lui apparaît. Il lui annonce que Dieu l'a choisi pour le rendre père du précurseur du Messie, et, malgré l'incrédulité de Zacharie, Élisabeth, son épouse, conçoit bientôt l'enfant qui leur a été promis. Toutefois cet enfant que personne ne devait surpasser devant Dieu, ni Salomon, ni David, ni Abraham; saint Jean, quoique destiné dans l'ordre de la grâce à être le plus grand des enfants des hommes, depuis la naissance du monde jusqu'à son temps; lui, qui devait produire sur les coeurs ce que n'avaient pu ni la loi ni les prophètes; cet enfant qui a reçu d'avance, et de Dieu même, un nom étranger à sa famille, nom qui par sa signification annonce la grâce que Jésus -Christ vient substituer à la loi; saint Jean, qui doit amener les pécheurs à la pénitence, être le flambeau de l'Église et attirer le monde au Sauveur; lui-même est néanmoins conçu dans l'iniquité, comme le reste des enfants d'Adam; il est l'esclave du démon, ennemi de Dieu, et demeure six mois entiers dans ce malheureux esclavage.
Dieu ne s'empresse pas de l'en retirer plus tôt, quoiqu'il l'eût pu aisément. C'est qu'ayant résolu d'engendrer à la vie de la grâce, par Marie, tous ses enfants d'adoption dont saint Jean doit être le premier, il attend, pour le délivrer du malheur de sa (88) conception, que Marie soit réellement devenue, par l'Incarnation, la Mère du Verbe incarné. Il ne donne donc d'abord à saint Jean que la naissance temporelle, se réservant de lui communiquer par Marie, avec la justification, l'esprit et la grâce de précurseur. C'est pourquoi, au moment même de l'Incarnation, il fait connaître à Marie, par le ministère de saint Gabriel, la conception de saint Jean qu'elle ignorait encore. Voilà, lui dit l'ange, qu'Élisabeth, votre parente, a conçu elle-même un fils, malgré son âge et sa stérilité; et maintenant elle est arrivée au sixième mois de sa grossesse.
II
A peine donc la très-sainte Vierge a-t-elle conçu et formé Notre-Seigneur dans son sein, qu'usant de ses droits de Mère de Notre-Seigneur, elle part incontinent pour achever dans saint Jean-Baptiste l'oeuvre de Dieu, et va avec promptitude et grande vitesse, au pays des montagnes de Judée, à la ville de la tribu de Juda, où demeurait sa sainte cousine. C'est ce qui est exprimé sous des images riantes de la vie pastorale dans les paroles du Cantique des cantiques, qui se lisent à l'épître le jour de la fête de la Visitation. Saint Jean, qui à sa naissance devait être rempli de l'esprit de l'ancien et du nouveau Testament, et figurer l'Église, y est désigné sous l'emblème de la vigne et sous celui du figuier, deux symboles exprès de l'Église judaïque et de l'Église (89) chrétienne, comme on le voit dans les livres saints (1); et les temps d'ignorance et d'infidélité qui s'étaient écoulés depuis l'origine du monde, y sont dépeints sous l'image de l'hiver et sous celle des pluies qui tombent fréquemment dans cette saison stérile. Le Père éternel invite donc la très-sainte Vierge à remplir sa mission, et la conjure de l'aider à achever en saint Jean son ouvrage: « Levez-vous, hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe, ma toute belle, et venez. Car l'hiver est déjà passé; les pluies se sont dissipées et ont cessé. Les fleurs passent sur notre terre; le temps de tailler la vigne est venu; la voix de la tourterelle s'est fait entendre dans notre terre; le figuier a commencé de pousser ses premiers fruits; les vignes sont en fleur et répandent leur odeur agréable. Levez-vous donc, ma bien-aimée, ma toute belle, et venez; vous qui, semblable à une colombe fidèle, vous retirez dans les creux de la pierre, dans les enfoncements de la muraille (pour vous dérober à vos ennemis), montrez-moi votre visage; que votre voix se fasse entendre à mes oreilles; car votre voix est douce, et votre visage plein de beauté.»
1. S. August. in Joannem, Tractat. LXXX. Ubi dicit se Dominus vitem, et discipulos suos palmites, secundum ho dicit, quod est caput Ecclesiae, nosque membra ejus... Quid ergo est, Ego sum vitis vera?... Ab illa se utique discernit, cui dicitur: Quomodo conversa es in amaritudinem, vitis aliena?... Nam quo pacto est vitis vera, quae expectata est ut faceret uvas, fecit autem spinas?
S. Petri Damian. Ipse etiam vitis dicitur, sic ut per semetipsum in Evangelio dicitur : Ego, inquit, sum vitis vera, et Pater meus agricola est. Hesc denique sacratissima vitis totum per orbem sarmenta tetendit; quia ubique dilatata fructificans, quasi tot palmites misit, quot intra sanctam Ecclesiam sanctos per gratiam suas vocationis elegit. Unde idem poque inculcando subiungit : Qui manet in me, et ego in eo, hic feri fructum multum... Homil. 46, in Nativ. B. Virg. Marioe.
C'est ce qu'elle fait avec amour et vitesse; oubliant sa faiblesse, son âge, sa délicatesse, animée du zèle de son fils, et brûlant d'ardeur pour le faire connaître, elle court par les montagnes, elle gravit les collines, afin d'annoncer Jésus-Christ. Son admirable apostolat, dont les pas portent partout la paix et la grâce, est dépeint dans l’épître de ce jour. Renfermé dans sainte Élisabeth, saint Jean, qui figurait l’Église en demandant sa sanctification, invite Jésus-Christ et Marie, désignés sous les images de la chèvre et du faon; à hâter leur course et à accomplir leur mission commune. « J'entends, dit-il, la voix de mon bien-aimé : le voici qui vient, sautant sur les montagnes, franchissant les collines (dans l’ardeur qu'il a de venir à moi). « Car mon bien-aimé est semblable à la chèvre et au faon. (Il court avec la même légèreté et la même vitesse.) « Le voici arrivé; le voilà qui se tient derrière notre muraille, qui regarde parles fenêtres, qui jette sa vue à travers les treillis. » La chèvre, qui monte au sommet des rochers , représente ici la très-sainte Vierge Vierge gravissant dans sa course les collines et les montagnes; et le faon exprime le Fils de Dieu qu'elle portait dans son sein. Il marche en elle non pas à pas de géant, comme il fera dans la suite, d'après le prophète, mais semblable à un petit faon. Il est renfermé dans la très-sainte Vierge, qui est notre (91) muraille: il considère par son esprit, il regarde par ses yeux, comme par des treillis; quoique ce soit Marie qui parle, Jésus-Christ emploie la parole de sa Mère, et agit lui-même par elle, comme il se sert de la parole de ses ministres pour nous sanctifier.
Aussi sainte Élisabeth n'a pas plutôt entendu la voix de Marie, à son entrée dans la maison de Zacharie, qu'elle sent son enfant tressaillir d'allégresse dans son sein, et que, remplie elle-même du Saint-Esprit, elle s'écrie à haute voix: Vous êtes bénie entre toutes les femmes, et le fruit de vos entrailles est béni. Eh! d'où me vient ce bonheur, que la Mère de mon Seigneur vienne vers moi? Car votre voix n'a pas plutôt frappé mes oreilles, lorsque vous m'avez saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon sein.
C'est que Dieu se sert de Marie pour purifier l'enfant de la souillure originelle, et il le remplit de toute grâce intérieure et extérieure. Il verse en lui, par Marie, la lumière de la foi en Jésus-Christ; car saint Jean voit son Sauveur, et il tressaille dans les entrailles de sa mère, comme le saint patriarche Abraham l'avait vu, et s'était réjoui en le voyant. Par Marie, qu'il remplit de sa puissance, Dieu communique encore à saint Jean l'esprit et la grâce nécessaires à sa mission d'apôtre destiné à faire connaître Jésus-Christ au monde.
Le soleil hâte, comme il lui plaît, les saisons. Tandis que Dieu fait des saints qui commencent à paraître en leur fleur, il en fait quelquefois d'antres tout prêts à être moissonnés pour le ciel ; et tel est (92) saint Jean dans sa nativité. Au moment de la Visitation, il reçoit tout d'un coup la plénitude de l'Esprit-Saint. Jésus enfant, faisant dès le ventre de sa mère, ce chef-d'oeuvre de sainteté, un plus grand saint qu'il n'en fera pendant sa vie, ni même après sa mort, puisqu'il ne s'en remarque point après celui-ci, qui ait été formé tout d'abord dans la plénitude de sainteté, comme l'a été saint Jean. Aussi l'un des motifs pour lesquels l'Église fait, dans la Nativité de ce saint, une plus grande solennité que dans sa mort, c'est ( outre sa sanctification ) cette plénitude de grâces qu'il reçut. A l'égard du reste des saints, par exemple de saint Pierre, de saint Paul, on fait leur principale fête au jour de leur mort, ces saints ayant employé tout le cours de leur vie, et travaillé jusqu'à la dernière heure pour acquérir le comble de leur grâce; au lieu que saint Jean, le jour de la Visitation, en a reçu tout d'un coup une mesure excessive.
III
En donnant ainsi à saint Jean la grâce de précurseur, Marie paraît déjà comme maîtresse et reine des apôtres. Saint Jean, en effet, devait faire à lui seul, pendant sa vie, les fonctions des douze apôtres, et ceux -ci ne furent choisis qu'après lui, comme les successeurs de son emploi, pour annoncer et faire connaître Notre-Seigneur. Ce fut ce même saint qui donna la première lumière de Jésus-Christ à saint André, et par celui-ci à saint Pierre, le prince des apôtres, et aux autres disciples qu'il envoyait à Jésus; lesquels, après, l'ont fait connaître dans tout le monde. Comme donc il reçoit par Marie la grâce de précurseur de Jésus-Christ, la grâce de le faire connaître à tous, saint Jean devient la voix de Marie, l'organe de sa grâce et de son amour. Ainsi, Marie est la 'reine des apôtres, et en un sens, la mère de notre foi.
Dans la sanctification de saint Jean, elle a exercé la première les deux principales fonctions de l'apostolat, qui sont de porter la connaissance du Sauveur, et la sanctification dans les âmes. Enseignes toutes les nations, dit Jésus-Christ, et baptisez-les. Enseignez ce qui marque la foi et la lumière, que les hommes apostoliques doivent porter partout; Baptisez, ce qui signifie la sanctification des coeurs. C'est le ministère que la très-sainte Vierge remplit ici, donnant, par l'efficacité de sa parole, la connaissance du Sauveur à sainte Élisabeth, ainsi qu'à saint Jean, que de plus elle sanctifie. Sa parole produit sur lui l'effet des paroles sacramentelles du Baptême ; elle fait davantage encore, puisque, selon la remarque de saint Ambroise, saint Jean a reçu, non une grâce d'enfance, ainsi que nous la recevons dans le baptême; mais une grâce de perfection, ayant commencé par l'âge de la plénitude de Jésus-Christ (1).
1. S. Ambros. Expos. Evang. Luc., lib. II, tom. 1, col. 1291. Neque ullam infantiae sensit aetatem, qui supra naturam, supra aetatem, in utero situs matris, a mensura perfectœ coepit aetatis plenitudinis Christi.
Et c'est l’effet du sacrement de Confirmation dans les chrétiens, qui , éclairés de la foi, reçoivent la plénitude des dons du Saint-Esprit, qui les possède, les régit et les consomme dans la perfection de son saint amour. Aussi quelle n'a pas été la sainteté, la force, l’innocence, la pénitence, l’amour, l'humilité de saint Jean-Baptiste ! Sa vie, sa constance dans les dangers et sa mort le témoignent assez.
Ainsi, la très-sainte Vierge est comme le prêtre et le pontife qui baptise et confirme ce grand saint, et lui donne une plénitude de l’Esprit de Jésus-Christ, proportionnée à la mission qu'il a à remplir dans le monde. On voit par là que si, à peine renfermé dans le sein de sa Mère, Jésus-Christ porte par elle dans saint Jean l’esprit de précurseur, l’esprit apostolique, c'est pour nous montrer, d'une manière extérieure et sensible, cette consolante vérité : qu'étant redevable de sa vie à Marie, il ne veut accorder que par elle ses grâces et ses dons. L'ordre qu'il a tenu dans la sanctification de saint Jean, il le suivra toujours. Le premier des effets de grâce qu'il produit est la règle de tous les autres ; et ayant d'abord communiqué à son précurseur sa grâce par Marie, ce sera aussi par elle qu'il la départira à l'Église dans toute la suite des temps (1).
1. Nul assurément ne contestera la doctrine selon laquelle toutes les grâces que Dieu nous accorde sont dues à l’intercession de la bienheureuse Vierge Marie. Quant à l'opinion qui prétend que cette divine Vierge a été en outre l’instrument dont Dieu s'est servi pour la sanctification de Jean-Baptiste ou de quelque autre, bien, dite cens, qu'elle soit incertaine, elle ne mérite pourtant aucune censure. Le cardinal Tolet, de la Compagnie de Jésus; va plus loin encore; il explique, établit et confirme ce sentiment par les témoignages des Pères : « Observez, dit-il, que dans la salutation de la bienheureuse Vierge, les paroles elles-mêmes n'ont pas été seulement a expressives, mais efficaces; elles ont été comme des instruments qu'emploie la vertu divine du, Tout-Puissant pour a opérer en saint Jean et en sainte Élisabeth les effets énoncés dans la suite du texte... Et de même que la parole du prêtre : « Je t'absous, ou, je te baptise, opèrent en même temps qu’elles expriment; de même le salut de la bienheureuse Vierge fut significatif et efficace, Dieu se servant des paroles qui le composaient, tant pour purifier saint Jean du péché d'origine, que pour le remplir lui et sa mère du Saint-Esprit, leur faire confesser à l'un et à l'autre la foi de l'incarnation, et leur communiquer le don de prophétie... Cette doctrine enseignée avant moi par saint Cyrille, lib. etc ..., a été confirmée par saint Ambroise, Inst. Virg. (In Lucam, etc.) »
Il ne faudrait pas dire cependant que la sanctification des hommes par Marie a lieu communément de la même manière, Dieu faisant de cette divine Vierge son instrument pour opérer dans les âmes. Une telle assertion serait certainement blâmable; et elle est étrangère soit à la pensée soit aux expressions de M. Olier. Celui-ci dit bien, en effet, que Jésus-Christ suit dans la sanctification des hommes l'ordre qu'il a suivi dans celle de saint Jean; mais il ne dit aucunement que, dans l'une et dans, Vautre, il procède de la même manière.
Enfin, dans le mystère de la Visitation, Marie ne paraît pas seulement comme dispensatrice des grâces de Dieu pour les hommes, comme maîtresse et reine des apôtres; elle est encore par son zèle le modèle et la règle de tous les hommes apostoliques qui participent par elle à la grâce de faire connaître Jésus-Christ. Dès qu'elle l'a conçu et formé dans son sein, elle est la première à parler pour l'annoncer; elle fait dès lors ce que les apôtres firent ensuite à son exemple, lorsque, ayant reçu le Saint -Esprit, ils (96) coururent par tout le monde, pour faire connaître le Fils de Dieu. C'est de Marie que tous les états et toutes les: dignités de l'Église apprennent la perfection et les maximes de leur conduite, et c'est dans le mystère de sa Visitation que les hommes apostoliques et les missionnaires doivent puiser les grâces de leur sublime vocation.
D'après ce que nous venons de dire, il est aisé de conclure que la grandeur de ce mystère est cachée et inconnue au monde; et qu'elle ne sera révélée qu'au grand jour de la manifestation. Qui peut comprendre, en effet, la plénitude des louanges qui furent rendues à Dieu dans ce moment, et la plénitude des grâces qui y furent communiquées: saint Jean, sainte Élisabeth, saint Zacharie ayant été remplis du Saint-Esprit et de l'abondance de ses dons (1) ? Mais cela est peu encore, auprès de tout ce qu'il plut à Dieu d'opérer dans l'âme de la très-sainte Vierge. Quoique ce mystère doive être considéré en tout respect et révérence, en attendant le jour des lumières, où il sera révélé, on pourra cependant en comprendre quelque chose, si l'on médite les paroles de Marie dans le cantique Magnificat.
1. S. Ambrosii, de Institutione Virgin., cap. vu; et Expos: Evangel. Sec. Luc. lib. II, n° 29. Nec immerito mansit integer corpore, quem tribus mensibus oleo quodam suœ praesentiae et integritatis unguento Domini Mater exercuit... Non enim sola familiaritatis est causa quod diu mansit, sed etiam tanti vatis profectus. Nam si primo ingressu tantus processus extitit, ut ad salutationem Mariae exultaret infans in utero, repleretur Spiritu sancto mater infantis : quantum putamus usu tanti temporis sanctae Mariae addidisse praesentiam? Mansit autem Maria cum illa mensibus tribus. Ungebatur Raque, et quasi bonus athleta exercebatur in utero matris propheta; amplissimo enim virtus ejus certamini parabatur.
Pour peu qu'on y fasse attention, on en sera ravi, et on sera forcé d'avouer qu'il est plein de merveilles, non pas seulement grandes, mais inexplicables au monde.
EXPLICATION DU MAGNIFICAT
I
Sainte Élisabeth, publiant à haute voix les grandeurs de la très-sainte Vierge, qu'elle appelle bénie par-dessus toutes les femmes, et qu'elle honore comme la bière du Seigneur, Marie, toujours convaincue de son néant, détourne de la vue de sa propre personne l'attention de sa cousine. Elle l'élève à Dieu, auteur de tout ce qu'elle a d'admirable, à Dieu qui se fait rendre ainsi à lui-même, dans sa servante, des honneurs qu'elle confesse ne mériter pas et n'appartenir qu'à lui seul. Mon âme glorifie le Seigneur, dit-elle dans le transport de sa reconnaissance. Par là elle adore cette magnificence de Dieu, qui a versé dans elle tous ses trésors en la rendant la Mère de son Fils, et elle magnifie aussi Jésus-Christ, à cause des choses grandes et augustes qu'il daigne opérer dans son âme.
Pour exalter la grandeur de Marie, Élisabeth révèle-t-elle ce qu'elle vient d'éprouver de merveilleux (99) à sa parole; publie-t-elle avec acclamation qu'au son de cette voix animée de la toute-puissance de Dieu, son enfant s'est réjoui et a tressailli dans son sein ? Marie renvoie au Seigneur toute la gloire de ce prodige. Quant à elle, son esprit a tressailli de joie au moment ou Dieu le Père a bien voulu la rendre Mère de son Fils; mais elle a tressailli de joie dans Dieu son Sauveur : c'est-à-dire que l'abondance et la plénitude du Saint-Esprit, opérant dans son âme le prodige incompréhensible de l'Incarnation, l'a fait sortir hors d'elle-même, et se réjouir par le pur amour en Jésus-Christ, rempli des biens de Dieu, revêtu de tous les trésors de sa sagesse et de sa science; que c'est là ce qui a fait le grand, le juste et l'ineffable sujet de sa joie. Que si elle s'est réjouie, ce n'est pas de ce qu'il s'est donné à elle, ce qui pourrait avoir quelque mélange de propre intérêt; mais de ce, qu'elle voit que toute l'Église doit être revêtue et remplie de cette plénitude de biens célestes. Elle s'est donc réjouie à cause du salut de tous les hommes, que le Fils de Dieu vient opérer en versant en elle toute la magnificence de ses trésors; comme Esther, dans la puissance d'Assuérus, se réjouissait du salut du peuple hébreu, figure du salut du monde. A ces sentiments d'estime d'admiration, d'adoration, de joie, pour les bontés infinies de Dieu sur elle, Marie ajoute une disposition admirable de reconnaissance et d'humilité. Si elle s'est réjouie, c'est en Dieu son Sauveur, se mettant ainsi elle-même au rang des pécheresses, comme si elle eût été sauvée du naufrage commun. Elle l'est dans (100) un sens en tant qu'elle a été préservée du naufrage; sans en être retirée cependant comme le reste des hommes tombés dans le malheur et dans l'abîme du péché.
A ses yeux, les merveilles augustes que Dieu a opérées dans son âme, et les bontés magnifiques qu'il a eues pour elle, sont d'autant plus prodigieuses, qu'elles ont eu pour sujet une très-chétive et très-pauvre créature : Mon esprit a tressailli de joie dans Dieu mon Sauveur, parce qu'il a regardé la bassesse de sa servante. Ce n'est pas moi qui ai porté mes yeux sur lui; il m'a prévenue, lui-même a jeté ses regards sur ma misère, car il a en soi un poids qui l'attire vers les choses petites; il est par soi-même aimant les .choses humbles; et parce qu'il se plaît en cela, qu'il y prend sa complaisance, il a choisi ma pauvreté et ma vileté pour imprimer en elle l'oeuvre de sa sagesse, de sa toute-puissance et de son amour. Il a fait en moi son chef d'oeuvre, sa merveille; il y a fait son Verbe sensible, et a choisi ce pauvre petit néant pour étendre sur lui les traits les plus parfaits et les plus beaux de sa. splendeur et de sa majesté.
Sainte Élisabeth, dans un transport d'admiration, venait de lui dire : Eh ! que bienheureuse êtes-vous d'avoir cru; puisque tout ce qui vous a été annoncé de la part du Seigneur s'accomplira en vous. Marie, après avoir confessé que Dieu n'avait trouvé en elle que vileté et bassesse, ajoute que l'amour qu'il lui témoigne est d'autant plus prodigieux, qu'il la fera reconnaître et publier bienheureuse, non pas seulement (101) par quelques personnes de sa propre famille, mais par toutes les nations du monde; que les Juifs et les gentils, les riches et les pauvres, que les peuples de tout pays et de toute langue, dans toute la succession des siècles, seront pénétrés de respect pour elle, ils avoueront et publieront à jamais ses grandeurs; qu'enfin les hommes et les anges la considéreront avec révérence, reconnaissance et amour, comme celle qui a engendré pour eux la source de leur vie, de leur grâce et de leur gloire.
II
Jusqu'ici ce sont les sentiments de la très-sainte Vierge sur ce qui se passa en elle au moment de l'Incarnation, à l'occasion de la première grâce qu'elle reçut alors, celle de la conception du Verbe.
Ce qui suit immédiatement dans son cantique est l'expression des bontés et des grâces du Verbe lui-même envers elle, du Verbe incarné habitant dans son sein et devant y faire son séjour pendant neuf mois entiers. Celui qui est puissant, dit-elle, a fait en moi de grandes choses. Ce mot de grand est en horreur aux âmes humbles, et Notre-Seigneur dit même que ce qui est grand devant les hommes est en abomination devant Dieu. La très-sainte Vierge, humble comme elle l'était, ne pouvait donc dire qu'il se fût passé en elle de grandes choses, que parce qu'elles étaient en effet excessives; et c'est pourquoi (102) elles sont bien dignes d'être méditées et contemplées par la foi.
Pour première communication, le Verbe, par qui tout a été créé, lui fait voir l'ouvrage de sa puissance, qui est celui de la création du monde, et lui découvre les raisons de toute la composition de l'univers. Il lui manifeste ensuite tout l'ouvrage de la sanctification du genre humain dans l'Incarnation. Celui qui est puissant dans la création du monde, dit-elle, Dieu le Père qui a fait paraître sa puissance dans la formation de ces grands cieux, de ce vaste Océan, de cette terre, celui-là, pour racheter les hommes, a fait en moi une opération plus grande encore, plus étendue, plus vaste infiniment: la génération de son Verbe incarné, qui n'est pas moins saint dans mes entrailles que dans le sein de son Père éternel, et qui me remplit moi-même de sa sainteté. L'oeuvre de la création, manifestée à mon intérieur, m'est sans doute un sujet de consolation admirable, considérant la sagesse, l'amour et toutes les perfections, de mon auguste Époux qui y reluisent de toute part; mais cet ouvrage des six jours, je le vois comme un jeu de sa puissance, comparé à la génération de son Verbe et à la participation de sa divinité qu'il doit donner à l'Église.
En lui découvrant le mystère de l'Incarnation, source de toute sanctification, Dieu lui manifeste aussi l'oeuvre du rachat des hommes, tous les effets de grâce et de sainteté qui du Verbe incarné passeront dans tous ses membres, jusqu'à la fin du monde; en un mot, toute l'étendue des miséricordes qu'il (103) veut exercer sur ceux qui le craignent, de génération en génération, jusqu'au temps de l'Antechrist. Enfin, comme en sa qualité d'Épouse de Dieu le Père et de Mère du Fils, elle doit être le canal et l'instrument universel de toutes ses miséricordes, il lui en montre tous les effets sur chaque particulier, il les lui fait sentir, il les lui communique et les imprime dans son âme.
III
De quoi la très-sainte Vierge ne parle-t-elle pas dans son admirable Cantique? Le Verbe incarné ne se contente pas de lui manifester les desseins qu'il veut exercer dans le monde, depuis sa nativité temporelle jusqu'à la fin des siècles; sa libéralité passe plus avant encore. Il lui découvre aussi les saints effets de puissance et de justice qu'il a opérés avant son Incarnation. Il lui fait voir spécialement cet acte admirable de sa justice, qu'il exerça dis le ciel sur les anges apostats, pour venger la gloire de son Père outragée.
Par son bras, ou son Verbe qui devait s'incarner, Dieu a fait éclater sa puissance sur les anges rebelles; il a ruiné les ligues et les cabales qu'ils avaient formées dans leur orgueil, lorsque refusant d'adorer le Verbe fait chair, qui leur fut déjà montré dans leur création, et aussi de reporter à Dieu les honneurs qu'ils recevaient eux-mêmes de leurs frères, ils voulurent faire un royaume à part, et (104) avoir un honneur, des louanges et des sujets qui leur fussent propres. Par son Verbe, il a abattu leur parti , il a ruiné et renversé tout ce qu'ils avaient projeté contre sa gloire, et les a précipités eux-mêmes de leurs trônes dans le fond des enfers. Mais les anges religieux, humbles et respectueux, il les a exaltés; il leur a fait prendre la place des autres, et a rempli le ciel de coeurs purs et humbles, en en bannissant ainsi la superbe et la présomption des apostats.
Enfin le Verbe incarné communique à Marie le zèle, la puissance qu'il fit éclater lorsque, dans ce combat si renommé du ciel, saint Michel et tous les autres saints anges avec lui s'élevèrent contre les anges révoltés. Rempli d'un zèle admirable pour Dieu, et d'une force non pareille pour terrasser ses ennemis, saint Michel renverse tout d'un coup toute (armée de ces forces rebelles et séditieuses; et Dieu, par un seul coup de sa puissance cachée en saint Michel, précipite en un moment tous ces orgueilleux, faisant dans cet archange l’effet de la plus haute et de la plus étonnante puissance qui paraisse dans l’histoire sacrée et profane. Un seul ange, d'un seul coup de tonnerre, d'une parole qui part de sa bouche, abîme un nombre incalculable d'anges aussi puissants que lui, dont un seul était capable de détruire en un instant des milliers et des millions d'hommes. Aussi, dans l'étonnement de ce coup, saint Michel s'écrie-t-il : « Qui est donc semblable à Dieu? qui peut donc résister au grand Dieu des armées, qui a jeté les démons dans les enfers, (105) avec la même vitesse et la même précipitation que l'on voit tomber d'une nuée la foudre sur la terre? » Ce zèle ardent pour la gloire de Dieu, cette sainte horreur du péché qui parut da ris les anges, ne fut qu’une participation légère du Verbe, existant dans le sein de son Père, et qui, étant la force et la puissance de Dieu aussi bien que sa splendeur, opérait tous ces transports dans les anges fidèles. Or ce même zèle, le Verbe incarné le communique à l'âme de Marie. Bien plus, comme. elle est un sujet beaucoup plus vaste que ne le sont tous les anges, et qu'il n'y a en eux aucun don qu'elle ne possède en éminence, elle reçoit un plus haut degré de zèle et plus de puissance sur les démons que n'en firent jamais éclater les anges de toutes les hiérarchies du ciel, soit dans ce grand et célèbre combat, soit dans toutes les occasions où, comme conducteurs et protecteurs du peuple de Dieu, ils eurent à en exterminer les ennemis, tels que Pharaon, les Chananéens, l'armée de Sennachérib, où cent quatre-vingt mille hommes furent détruits en une nuit par un seul ange. Enfin elle reçoit plus de puissance sur les malins esprits que n'en possédèrent jamais tous les saints personnages de l'ancienne loi, et que n'en recevront tous les apôtres et tous les saints de la loi nouvelle; et c'est ce que l'Église ne se lasse pas de publier à la gloire de Marie, avec reconnaissance et acclamation dans ses saints offices : « Réjouissez-vous, ô Vierge Marie, de ce que vous avez exterminé à vous seule toutes les hérésies qui ont paru dans le monde entier. »
Quel intérieur que cette divine Vierge ! quel sanctuaire ! quelles opérations de Jésus dans cette âme incomparable, le chef-d'oeuvre de son amour ! La grandeur du mystère de la Visitation ne saurait donc être comprise par nos esprits. Ce mystère est célébré avec d'autant moins d'éclat et de pompe, qu'il est moins connu et qu'il a été moins révélé aux fuies. On en fait la fête sans octave et même sans solennité; tandis que la nativité de saint Jean, qui a puisé tout son lustre et sa gloire de la Visitation, est célébrée avec octave : tant il est vrai que le mystère auguste de la Visitation ne sera pleinement connu que dans le ciel. Les premiers chrétiens, plus favorisés que nous ne le sommes, avaient cette satisfaction de passer les jours et les nuits ensemble, pour s'entretenir entre eux des mystères de la religion ; chacun, comme le dit saint Paul , rapportant aux autres les manifestations que Dieu lui en avait faites (1); et ce zèle des premiers fidèles a été l'origine des Vigiles, que nous célébrons encore aujourd'hui avant les solennités.
Notre consolation est de savoir que dans l’éternité nous aurons la joie de contempler à découvert ces merveilles encore voilées ici-bas. En attendant, nous devons, dans la Visitation, contempler par la foi la résidence de Jésus en Marie et les effets prodigieux de grâce qu'il y opère. Il est à remarquer que l’Église donne à honorer ce mystère trois mois avant son accomplissement; car, ayant eu lieu trois mois avant la naissance de saint Jean et six mois après sa conception, il devrait, nous être proposé en mars ou en avril.
1. Ire Ép. Aux Corinth., chap. XIV.
Mais pour que nous ayons toujours devant les yeux quelqu'un des mystères de Jésus-Christ, l'Église, aussitôt après les avoir conclus par la fête du très-saint Sacrement, qui suit celle de l'Ascension, recommence à présenter à nos adorations le Verbe incarné, caché dans les entrailles de sa mère; elle nous ménage ainsi plus de temps pour adorer ce mystère qu'elle ne nous en donne pour vénérer tous les autres mystères ensemble. Nous n'avons quelquefois qu'un seul jour, comme à la Transfiguration; d'autres fois huit ou dix jours, comme à l'Ascension, ou même quarante, comme à la Résurrection; tandis que pour honorer Jésus-Christ caché dans le sein de sa Mère, et adorant le Père éternel, elle nous donne six mois entiers, puisque depuis la Visitation jusqu'à Noël nous n'avons point d'autre mystère de Notre-Seigneur à adorer. L'Église prétend que pendant tout ce temps nous honorions sa résidence en Marie, si peu connue des fidèles. Pour ce même dessein, Dieu a suscité dans ces derniers temps un ordre entier dans l'Église, un ordre caché et inconnu, celui de la Visitation, dont l'esprit est appliqué à honorer dans ce glorieux mystère l'abondance des grâces et des vertus que Jésus-Christ a répandues dans sa divine Mère, et par elle dans son Église (1).
1. Peu de temps après que Dieu eut suscité en France l'ordre de la Visitation, pour faire honorer l'intérieur de ce mystère, il fit naître dans le pays appelé alors la Nouvelle France, ou le Canada, et dans la ville élevée à l'honneur de sa sainte Mère, appelée pour cela Villemarie, une congrégation de vierges chrétiennes destinées à honorer tout à la fois l'intérieur et l’extérieur du mystère de la Visitation. Ces pieuses filles, connues depuis sous le nom de Soeurs de la Congrégation de Notre-Dame, sont consacrées à Marie, sous son glorieux titre de Reine des Apôtres, et vont, en qualité de missionnaires, instruire les jeunes personnes dans les paroisses du pays, pour honorer le zèle apostolique de Marie allant porter à saint Jean la connaissance et l'amour du Verbe incarné. « C'est sur ce modèle, écrivait la soeur Bourgeoys, fondatrice de cet Institut, que les sœurs doivent faire leurs missions, dans le dessein de contribuer à la sanctification de tous les enfants. » Aussi cette vénérable fondatrice a-t-elle donné à son institut le mystère meure de la Visitation pour fête patronale.
RÉFLEXIONS PRATIQUES SUR LE CHANT DU MAGNIFICAT
Quoiqu'il semble d'abord que nous soyons étrangers au mystère de la Visitation accompli longtemps avant notre naissance, il est certain qu'il a été opéré principalement pour nous, aussi bien que celui de l'Incarnation principalement dont il a été la suite immédiate. Les louanges que Marie rendit à Dieu dans le cantique de sa reconnaissance furent les hommages mêmes de l'Église, au nom de laquelle elle agissait et elle parlait : toute l’Église, encore contenue en Jésus-Christ de qui elle devait être tirée, comme Ève l'avait été d'Adam, résidant alors en Marie sa véritable mère. Dans ce mystère, Marie fut donc comme la bouche de toute l’Église; et par elle, nous offrîmes à Dieu les plus dignes actions de grâces qu'il pût (109) recevoir de nous, pour le don qu'il nous avait fait de son Fils dans l'Incarnation, ainsi que pour tous les autres bienfaits que nous devions recevoir par suite de ce mystère ineffable. Il est de notre devoir de ratifier ce que Marie fit en ce jour, et de nous unir à ses sentiments d'actions de grâces, ou plutôt d'offrir nous-mêmes à Dieu les propres louanges qu'elle lui rendit en notre nom.
C'est ce que l'Église ne se lasse pas de faire tous les jours de l'année, en invitant tous ses enfants à s'unir à elle pour l'aider à s'acquitter d'un devoir si cher à son coeur. Elle ne se contente pas d'offrir intérieurement à Dieu les sentiments de reconnaissance dont la sainte Vierge était toute pénétrée, elle les accompagne encore extérieurement des paroles du Magnificat, qu'elle s'approprie à elle-même, comme ayant été proférées en son nom. C'est pourquoi tous les jours, à l'office du soir ou des Vêpres, elle chante ce cantique sans l'omettre jamais. Elle y joint même des particularités bien remarquables elle le chante tout debout, pour exciter davantage l'attention de ses enfants et leur montrer l'importance de cette partie du saint Office; et enfin elle l'accompagne d'encensements solennels.
La cérémonie des encensements est toute remplie de mystères, aussi bien que les autres cérémonies du culte divin. Le Saint-Esprit, qui dirige l'Église en tout, né fait pas moins pour elle qu'il ne faisait autrefois pour la Synagogue, où il n'avait rien ordonné qui ne fût une figure du Sauveur. Nos cérémonies sont donc un symbole ou un signe sensible (110) de nos mystères présents ou de ceux qui sont accomplis en Jésus-Christ, mystères dont l’Église ne se ne lasse pas de parler à ses enfants, et dont elle croit avoir jamais exprimé suffisamment le sens et la beauté.. Dans l’ancienne loi, l’encensoir que le grand prêtre devait avoir à la main tout fumant, lorsqu'il entrait une fois chaque année dans le saint des saints, était une figure expresse de Jésus-Christ, médiateur de religion envers son Père; comme le sang des hosties immolées que le grand prêtre portait alors de l’autre main, signifiait Jésus-Christ, médiateur de notre rédemption. Dans le langage symbolique de l'Église chrétienne, l’encensoir a la même signification. Il représente Jésus-Christ, qui comprend en soi tous les membres de l'Église, figurés par les grains d'encens, et le parfum exprime les louanges de l’Église, que Jésus-Christ, notre médiateur envers Dieu, élève vers lui par la charité du Saint-Esprit représenté par le feu de l'encensoir. Au Magnificat, on fait deux sortes autres le clergé les uns ont l’autel pour objet,. les autres le clergé et les fidèles. Les premiers expriment les louanges rendues à Dieu par Jésus-Christ résidant en Marie, et aussi par toute l’Église dont Marie lui offre les respects, les adorations et les amours: Voici les diverses circonstances qui accompagnent ces encensements,et les significations que l’Église y attache.
Le prêtre, figure de Notre-Seigneur même dans cette cérémonie, après avoir mis à trois reprises l'encens dans L'encensoir , commence par donner trois coups d'encensoir au milieu de L'autel, en face (111) de la croix et du tabernacle, pour faire comprendre que Jésus-Christ offre ses louanges et celles de l’Église à l'honneur de la très-sainte Trinité. Mais comme les louanges de l'Église ne sont qu'une dilatation de celles de Jésus-Christ, le prêtre exprime plus en détail par les autres encensements ce qu'il a signifié en abrégé au milieu de l'autel. Car les neuf coups qu'il donne d'abord au côté de l'épître, ensuite à celui de l'Évangile, expriment les devoirs des saints de l'ancien et du nouveau Testament, ceux des neuf choeurs des anges, en un mot, les hommages religieux de toute l'Église de la terre et du ciel envers la Majesté divine que l'autel représente. On encense l'autel au-dessus, en bas et aux deux coins, pour montrer que tout le sein de Dieu est rempli des louanges de Jésus-Christ et des saints, et pour cela on ne laisse aucune place de l'autel qui ne soit encensée: Si l'on encense ensuite par trois coups l'autel particulier où Notre-Seigneur réside au très-saint Sacrement, c'est pour honorer Jésus-Christ lui-même, et confesser que, quoiqu'il soit le médiateur de notre religion envers la très-sainte Trinité, il est un seul Dieu avec le Père et le Saint-Esprit, et digne d'une même louange.
Ces encensements se font pendant le chant du Magnificat, à cause de l'obligation que Jésus-Christ et l'Église ont à la très-sainte Vierge des louanges parfaites qui sont rendues à la divine Majesté, puisque Marie, donnant sa nature et son propre sang au Verbe, en lui donnant l'humanité, lui a fourni le principe et l'instrument des louanges qu'il rend à (112) son Père et des prières qu'il lui adresse. C'est, en effet, par l'humanité reçue de Marie que le Verbe s'est rendu inférieur à son Père, et a trouvé le moyen de le prier, de le glorifier, en un mot, d'être le médiateur de nos devoirs de religion envers lui, comme par cette même humanité, principe de ses souffrances et de ses mérites, il est devenu le médiateur de notre rédemption, et s'est acquis à lui-même la gloire de Rédempteur.
L'Église est aussi obligée à Marie des louanges qu'elle rend elle-même à Dieu; ces louanges n'étant que la continuation de celles que cette auguste vierge offrit la première à la Majesté divine au moment de l'Incarnation. Delà vient que l’Église capable aujourd'hui de louer Dieu, se sentant obligée à Marie de la religion qui est rendue à la divine Majesté, fait pendant le chant même du Magnificat ces encensements qui en sont le symbole, et s'unit aux dispositions intérieures de cette incomparable médiatrice, qui rend toujours à Dieu les mêmes hommages religieux pour elle et pour nous.
Ces considérations vous font assez comprendre de quelles dispositions il convient que vous soyez animé pendant le chant du Magnificat. Il est vrai que, pour satisfaire à vos devoirs, il vous suffirait de vous unir par la foi aux intentions de l'Église, qui supplée auprès de Dieu à l'ignorance de ses enfants; mais, puisque la bonté divine veut bien vous faire connaître la signification dé ces encensements, efforcez-vous d'en bien prendre l’esprit selon la lumière que Dieu vous donne et le mouvement intérieur qu'il (113) vous fera éprouver. D'abord, immédiatement avant le Magnificat, adorez profondément Jésus-Christ présent en vous par son Saint-Esprit; et lorsque vous vous levez avec le choeur, unissez-vous à la très-sainte Vierge, allant visiter sainte Élisabeth en vue de louer les bontés infinies de Dieu, et de faire éclater les sentiments de reconnaissance dont son coeur était tout rempli. En chantant le Magnificat, pensez que vous faites partie de ces générations prédites qui publieront la béatitude ineffable de cette sainte Mère jusqu'à la fin des siècles; de ces générations privilégiées sur lesquelles les miséricordes de Dieu, d'abord renfermées dans Marie, devaient se répandre d'âge en âge. Considérez avec piété et croyez avec une confiance toute filiale que dans le cantique de sa reconnaissance Marie vous avait présent à l'esprit, qu'elle voyait l'impuissance où vous seriez de louer Jésus-Christ dignement, et que, comme une Mère pleine d'affection et de prévoyance, elle s'acquittait de vos devoirs, lui offrant pour vous les sentiments parfaits de sa gratitude et de son amour. Vous unissant donc d'esprit et de coeur à l'esprit et au coeur de Marie, offrez à Jésus les hommages de cette divine Mère, et, par elle, priez-le de les offrir lui-même avec les siens propres au Père éternel. Enfin, quand on encense l'autel du très-saint Sacrement, entrez dans les dispositions intérieures de Marie, et offrez par elle et avec elle à Jésus-Christ, vrai Dieu et vrai homme, vos adorations et vos autres devoirs.
Mais, outre ces encensements qui sont toujours (114) faits par le prêtre officiant, l'Église ordonne que pendant le Magnificat le thuriféraire encense successivement tous les officiers du chœur, le chœur lui-même et enfin le peuple. Si, parles premiers encensements, elle honore les louanges parfaites que Jésus-Christ, vivant en Marie, rendit à Dieu au premier instant de l'Incarnation, et qu'il ne cesse de lui rendre toujours, et celles que Marie lui rendit à lui-même; par les seconds, elle veut nous rappeler l’abondance prodigieuse des grâces que la très-sainte Vierge y reçut pour elle-même et pour nous. Car Notre-Seigneur, après s'être offert à Dieu son Père dans le temple sacré des entrailles de sa Mère, comme un encens trés-suave, l'a laissée embaumée de ses divins parfums, afin qu'elle répandît elle-même, dans toute l’Église, la douceur de ses grâces et de ses mérites. C'est ce qui commença à paraître dans le mystère de la visitation, où Marie montra, par la sanctification de saint Jean, qu'elle serait l'instrument universel des miséricordes divines. Pour nous rappeler cette vérité consolante, l’Église ordonne donc que pendant le chant du Magnificat, après qu'on a encensé fautes, on encense tous les officiers, le chœur et le peuple. Cet encensement, fait avec le même encens qu'on a offert à Dieu, n'a pas, en effet, pour objet de nous rendre à nous-mêmes quelque honneur religieux, il signifie que les mêmes mérites, présentés à Dieu par Notre-Seigneur, sont répandus sur nous par la très-sainte Vierge, à qui il en laisse la dispensation, comme le prêtre, image de Notre-Seigneur, laisse au thuriféraire, image de (115) la très-sainte Vierge, le soin de répandre sur le peuple le parfum des encensements. C'est ce que signifie cette cérémonie toutes les fois qu'on la fait sur les fidèles, aussi bien à la messe solennelle qu'à l'office du soir. Le thuriféraire encense chacun selon la dignité qu'il tient dans l'Église : c'est pour exprimer que la très-sainte Vierge distribue les mérites de Notre-Seigneur à tous les particuliers selon leur état et selon les fonctions qu'ils ont à remplir, donnant à chacun, avec une bonté toute maternelle, les grâces de Jésus-Christ et les dons de son Saint-Esprit, autant qu'il en a besoin pour accomplir les desseins de Dieu sur lui dans sa vocation propre et spéciale.
Donc, quand vous voyez le thuriféraire s'avancer pour encenser le choeur et le peuple, réjouissez-vous en pensant à la puissance et à la bonté de Marie, établie la dispensatrice des mérites de Notre-Seigneur sur vous. Purifiez alors votre coeur par un sentiment de contrition, et ouvrez-le ensuite à cette sainte Mère, pour qu'elle y répande la bonne odeur de Jésus-Christ, ses parfums et ses grâces avec abondance. Surtout demandez-lui de vous faire triompher de vous-même, du monde et du démon, et de vous remplir des sentiments et des dispositions qui vous sont les plus nécessaires pour procurer la gloire de Dieu dans votre état, et assurer votre salut éternel.
On conclut le Magnificat par une oraison, où l’Église demande à Dieu de nous rendre participants de l'esprit et de la grâce du mystère que nous célébrons, ou du saint dont nous faisons la fête. Quel (116) que soit ce mystère ou cette fête, Marie en a reçu l'esprit et la grâce en plénitude; et comme elle est le canal dont Dieu se sert pour nous en rendre nous-mêmes participants, il faut, lorsqu'on chante cette oraison, ouvrir intérieurement nos coeurs à la sainte Vierge, afin de recevoir par elle la part que Dieu désire nous y donner.
CHAPITRE VII. NATIVITÉ DE JÉSUS-CHRIST; MARIE EST LA MÈRE SPIRITUELLE DE TOUS LES CHRÉTIENS
I
Le Verbe, venant au monde, a trouvé, dans le sein de la bienheureuse Vierge, un séjour de sainteté, semblable, autant qu'il pouvait l'être par l'opération du Saint-Esprit, à celui de son Père. Là il vit dans un état de plus parfaite sainteté que dans tout autre mystère de sa vie mortelle. Tandis que -sur la terre il vivra au milieu des créatures maudites à cause du péché,. au milieu des pécheurs, dont les vices lui causeront des peines intolérables; dans Marie, qui est, après Dieu, ce qu'il y a de plus saint, il est comme dans un monde de sainteté. Cette demeure tient le milieu entre son séjour dans la gloire, dans la sainteté du ciel, et le séjour qu'il fera sur la terre, couverte des horreurs abominables du péché. Sa demeure au sein de Marie tempère cette immense opposition, il y vit séparé de tout usage des créatures, (118) ou plutôt il n'use d'aucune d'elles que par Marie. Par elle, il use de la lumière; par elle, il use des aliments : en un mot, tout se convertit en Marie pour Jésus: Elle lui est toutes choses : elle est sa lumière, sa force, sa nourriture, sa demeure, son temple. Là il bénit et loue la Majesté divine ; là il sanctifie sa Mère et la remercie de lui aider à servir Dieu, et de lui être un moyen de le glorifier. Aussi y demeure-t-il tout le temps qu'il peut y faire sa résidence sans en perdre un seul moment; et, pour en partir, attend-il jusqu'au dernier instant marqué par son Père.
Quoique saint et la sainteté même, Jésus se trouvait chargé de nos péchés qu'il venait expier par sa pénitence et par sa mort; il était donc innocent et criminel tout ensemble : innocent en sa propre personne, criminel dans la personne du genre humain. Comme portant sur lui la figure du péché et l'image de notre chair criminelle, il devait être traité comme s'il eût été criminel et véritablement revêtu de la chair du péché. C'est pourquoi la très-sainte Vierge, sa mère, aurait dû endurer à Bethléem les douleurs que souffrent les mères à la naissance de leurs enfants, ou plutôt elle devait en éprouver plus que n’en ressentent toutes les mères des hommes ensemble, puisque son Fils portait sur lui les péchés de tous. Mais parce qu'à Bethléem il allait naître comme innocent, ayant été conçu par l'opération du Saint-Esprit, il allait naître comme saint, selon la parole de l'Ange : il ne convenait pas qu'il fît souffrir à sa Mère aucune douleur. Le Fils de Dieu n'avait, en (119) effet, que la ressemblance du péché, et si sa Mère eût souffert pour sa naissance, il eût paru être pécheur comme nous. Pour cette raison donc, elle le met au monde sans douleur; et Dieu remet à l'heure de la mort de Jésus-Christ la peine que Marie aurait dû souffrir à sa naissance. Ainsi Bethléem est pour elle un paradis de délices, parce qu'elle y est mère de celui qui est saint essentiellement. Elle l'avait conçu la nuit du 25 mars, dans la ferveur de la prière; elle le met au monde le 25 décembre, dans un transport de la gloire de Dieu. L'ayant conçu par la pensée, comme dans l'éternité le Père éternel le conçoit, comme lui elle ne souffre point de déchet en sa pureté en l'engendrant. Elle l'avait conçu, et elle l'enfante, comme le verre conçoit et renvoie hors de lui les rayons du soleil, qui, au lieu de le rompre et de le ternir, l'éclairent, l'embellissent et le rendent semblable à cet astre.
II
Mais Dieu n'avait rendu Marie la Mère de son Fils par l'Incarnation, que pour produire encore par elle et avec elle tous les membres de Jésus-Christ. L'ayant tout embaumée de cette sainte fécondité originaire, il réside toujours en Marie : il la fait Mère de toutes les âmes saintes, de toutes les sociétés et de toutes les congrégations qui se forment dans son Église; toutes vénèrent et aiment en elle ce titre de Mère.
En mettant son Fils au monde, Marie n'a donc rien perdu de la vie divine qu'elle contenait auparavant; Jésus-Christ n'est pas moins vivant en elle par son esprit qu'il ne l'avait été avant sa naissance. Sans doute, l’honneur d'avoir formé de sa substance, d'avoir porté dans ses entrailles le corps de Jésus-Christ, de l'avoir nourri de son lait, est dans Marie une grandeur auguste, digne de toute vénération. D'où vient que l’Église, considérant cette divine Vierge en sa qualité de Mère du Fils de Dieu, ne peut s'empêcher de s'écrier à haute voix, dans la personne de cette femme de l’Évangile, dont parle saint Luc, qu'heureux est le sein qui porta le Fils de Dieu, et que bienheureuses sont les mamelles qui l’allaitèrent (1). Toutefois le corps de Jésus-Christ, habitant et renfermé dans les entrailles de sa mère, ne lui communiquait pas par lui-même la vie divine, comme ce corps adorable n'en fait non plus aucune communication aux espèces sacramentelles ou aux ciboires dans lesquels il est renfermé.
1. S. Luc,chap. XI, 27.
C'est pourquoi entendant cette pieuse femme faire tant d'estime de Marie, pour cela seulement que cette divine Vierge l'avait engendré et nourri, Jésus-Christ, qui sait le prix infini de sa vie divine, et ce que vaut l'âme de sa sainte Mère, toute transformée en lui par la plénitude de cette vie qu'elle possède, répond que la béatitude de Marie est bien autre pour la possession intime de la vie divine au fond, de son âme, dont elle éprouve les effets, et expérimente les opérations,que pour avoir porté son corps et l'avoir allaité; bien plus heureux, reprend-il, ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent dans leur coeur (1).
Or si Dieu a ainsi établi sa résidence en Marie, et s'est comme revêtu d'elle pour produire sous cet extérieur les effets de sa paternité par la génération de cent millions d'enfants adoptifs; s'il veut faire voir en elle sa miséricorde, sa charité, sa compassion pour nous; s'il nous montre ainsi par elle ses entrailles de Père, c'est à cause des ardents et insatiables désirs qu'elle a témoignés de le faire connaître et aimer, et de lui donner des adorateurs. D'après l'interprétation de l'Église, Marie exprime elle-même dans le livre de l'Ecclésiastique les effets de sa charité maternelle à notre égard; elle nous apprend que tous les soins dé sa vie sur la terre, tous les saints empressements de son âme n'ont eu pour objet que d'établir, dans l'esprit et dans les coeurs des hommes, la connaissance et l'amour de Dieu, c'est-à-dire la vie divine. J'ai cherché et désiré le repos de Dieu par l'établissement de son règne dans tous les hommes, dit-elle : in omnibus requiem quoesivi (2); pareillement j'ai désiré pour les hommes le bonheur et la paix dans la possession de Dieu; j'ai cherché enfin pour moi-même la paix et le repos, et n'ai pu les trouver que dans l'héritage et la possession de Jésus-Christ et de tous sels membres : et in hoereditate Domini morabor. Ce zèle si fervent pour le salut des hommes fut donc le motif qui mit Marie en participation de la fécondité de Dieu.
1. S. Luc, chap. XI, 28.
2. Eccli, chap. XXIV, 11.
Touché de ce zèle, Dieu fit pour elle ce qu'il fit à l'égard de Jésus-Christ, à qui il accorda les peuples de la Gentilité pour son héritage : Demandez-moi, lui dit-il par le Psalmiste, et je vous donnerai pour héritage les nations. Il dit de même à la sainte Vierge : « Après tant de souhaits ardents, après tant de sollicitudes que vous avez témoignées pour procurer le bonheur du monde, je vous donne les hommes pour votre héritage : vous vivrez en eux, vous régnerez sur eux. In Jacob inhabita et in Israel hoereditare (1). »
Marie ajoute cependant de son côté que cette grâce ne lui est donnée qu'à cause de l'honneur qu'elle a reçu d'avoir porté en soi son Créateur : Qui creavit me requievit in tabernaculo meo (2). C'est qu'en effet Dieu l'a choisie pour être le principe de la vie temporelle de son Fils, et ensuite pour être avec son Fils et en son Fils le principe de la vie spirituelle de tous ses membres. De même que Dieu le Père donne à son Fils, qui n'est qu'un avec lui, la plénitude de la divinité; ainsi Jésus-Christ, consommant en lui sa mère, la remplit de sa vie divine pour en faire la Mère de tous les vivants; c'est-à-dire qu'habitant en elle, il se communique par elle à tous les fidèles, et si abondamment, que l'Église dit qu'elle éteint toute la soif et la faim des âmes qui recourent à elle. Jésus-Christ s'est donc renfermé dans la très sainte Vierge pour distribuer par elle à son Église tout ce qu'il a mérité et acquis dans tous les mystères de sa vie et de sa mort.
1. Psaume II, 8.
2. Eccli., chap. XXIV, 13.
Jésus-Christ est source unique; Marie est le réservoir gracieux et très-doux où nous devons aller puiser et boire avec joie, comme dit le prophète, les eaux suaves qui découlent des sources du Sauveur (1); mais le Père éternel en est la source originaire. C'est pourquoi, par ces paroles qu'il adresse à Marie : Je veux que vous jetiez des racines de vie dans mes élus pour les purifier, les éclairer, les sanctifier, il fait entendre que son Fils, et elle en son divin Fils, sont les racines qui doivent porter la vie dans le corps de l'Église et le charger de fruits. Mais comme les racines ne sont d'elles-mêmes que des écorces mortes, qui ne peuvent donner la vie si elles ne la puisent dans la terre, Marie et Jésus-Christ lui-même, comme homme, ne donnent la vie divine qu'en la puisant dans la terre des vivants, qui est Dieu le Père, le soutien, l'aliment et la vie de toute créature, le premier principe de la vie. Si donc tout est renfermé dans Jésus, et par Jésus en Marie, et répandu par eux dans l'Église, c'est que ces saints canaux ont leur première et originaire embouchure cachée dans le sein même de Dieu (2).
1. Isaïe, chap. XII, 3.
2. S. Bern. Senen., de Annuntiatione, serm. VI, cap. II. Omnis gratia quae huic saeculo communicatur, triplicem habet processum. Nam a Deo in Christum, a Christo in Vírgínem, a Virgine in nos ordinatissime dispensatur. Primo, namque omnis gratiae Deus et Domínus donator est: juxta quod scriptum est . Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est, descendens a Patre luminum. Secundo, procedit a Domino Jesu Christo, in quantum est homo. Ipse namque in praesenti sœculo vivens, meruit nobis omnem gratiam, quam Deus ab aeterno disposuerat dare huic mundo, sicut scriptum est : De plenitudine ejus nos omnes accepimus, et gratiam pro gratia. Tertio, processus est a Virgine benedicta. A tempore enim quo concepit Deum in utero suo, quamdam, ut sic dicam, jurisdictionem, seu auctoritatem habuit in omni temporali processione Spiritus sancti, ita quod nulla creatura aliquam a Deo recipit gratiam virtutis, nisi secundum dispensationem ipsius Virginis Matris. Quum enim Christus sit caput nostrum, a quo omnis influxus divinae gratiae in mystícum corpus fluit, beata Virgo est collum, per quod hic fluxus pertransit ad corporis membra, sicut Salomon testatus est de Christo, praedicens : Collum tuum, quod est Virgo beata, sicut turris eburnea. Merito ergo dici potest gratia plena, a qua omnes gratiae manant in Ecclesiam militantem.
Que si Marie est l'instrument dont Dieu veut se servir pour former en nous Jésus-Christ, quelle reconnaissance ne devons-nous pas à cette divine Mère pour une si inestimable faveur, qui, au rapport de Jésus-Christ même, nous élève à une dignité supérieure, dans un sens, à celle, de Mère de Dieu selon la chair! Plus heureux encore, répondit-il, ceux qui reçoivent la parole de Dieu et la,gardent dans leur coeur! Réponse bien édifiante et bien instructive pour l'Église, puisqu'elle montre que Jésus-Christ préfère à l'honneur si privilégié d'avoir, conçu et porté son divin corps la condition de quelque âme que ce soit, qui, l'ayant conçu et fait naître spirituellement en elle, agira par sa grâce et par la vertu (125) de son Esprit; car si l'on prend les choses précisément dans la pensée de cette bonne femme de l'Évangile, qui ne voyait rien dans Marie au delà de ce qu'elle en disait, savoir : d'avoir engendré de sa propre substance le corps du Sauveur, et de l'avoir nourri de son lait, il est assuré que le bonheur du chrétien qui conçoit Jésus-Christ dans son coeur, et qui conforme sa vie à la sienne; est tout autrement considérable.
D'abord, il faut mettre pour fondement que le Saint-Esprit, principe de la formation du corps de Jésus-Christ dans les entrailles de sa Mère, est le même qui vient former spirituellement Jésus-Christ en nous, et que la manière dont il l'y forme est pareillement la même. Ce divin Esprit vient dans nos coeurs par le moyen de la parole que nous porte le prêtre, envoyé vers nous comme l'ange Gabriel le fut à Marie dans le mystère de l'Incarnation. Par sa virginité elle plut à Dieu, et elle conçut par la soumission de son esprit et le consentement de sa volonté: de même en est-il du fidèle. Si son coeur est pur de toute affection déréglée, si son esprit est vierge de toute erreur (car tous les chrétiens sont vierges en croyant), il plait lui-même à Dieu, et il conçoit spirituellement Jésus-Christ par sa soumission et son consentement à la sainte parole qui lui est annoncée (1).
1. S. Ambros. Expos. Evang. sec. Lucam, lib. II, no 26. Beata, inquit, quae credidisti. Sed et vos beati qui audistis et credidistis; quaecumque, crediderit anima, et concipit et generat Dei Verbum, et opera ejus agnoscit. Sit in singulis Mariae anima ut magnificet Dominum; sit in singulis spiritus Mariae, ut exultet in Deo.
Voyez avec quel immense amour, avec quel soin attentif et vigilant Jésus-Christ exprime aux enfants de son Église, figurés par la femme de l'Évangile, l'avantage infini et la grâce ineffable qu'ils possèdent d'être membres de sa personne sacrée, et d'être nourris. de sa divine substance. Voyez par conséquent la reconnaissance que nous devons à Marie notre vraie Mère en cette conceptions S'il y avait un moyen de donner aux fidèles quelque idée de leur bonheur, c'était de leur parler de la grandeur auguste de cette divine Vierge qui a engendré un Dieu, qui l'a nourri, qui a été une seule chose avec lui, qui a porté en soi son paradis, sa béatitude, son Dieu. Admirable invention de l'esprit de Jésus-Christ, d'exciter tellement le coeur de cette femme, de lui inspirer tant de religion et d'amour envers sa sainte Mère, qu'elle s'écrie : Bienheureux le sein qui vous a porté, bienheureuses les mamelles qui vous ont allaité; et de se servir de cette occasion pour parler lui-même du bonheur de son Église, et des avantages de ses enfants! Quelle n'est pas la divine présence d'esprit de Jésus-Christ, de saisir cette circonstance pour exciter les chrétiens â s'estimer heureux de leur vocation, et pour les presser si puissamment d'être fidèles à la grâce inappréciable que Dieu leur a faite en leur donnant son Verbe, puisque dans ce présent il leur donne tout ce qu'il a!
Que dirons-nous maintenant des avantages incompréhensibles de l'âme de la très-sainte Vierge? (127) Le Verbe divin, au lieu de se donner par mesure à cette âme, privilégiée, comme il fait à chacun de nous, y a répandu la plénitude de sa vie et de ses perfections. Quelle estime ne devons-nous donc pas faire du mystère de Jésus habitant en Marie par son esprit qui la consomme en lui-même? O admirable transformation ! ô intime pénétration ! ô pleine possession! ô consommation parfaite et achevée! Jésus-Christ, selon la prière qu'il faisait à son l'ère, veut que son Église, entrant avec lui dans une parfaite unité, soit consommée tout entière en lui: ut sint consummati in unum (1). Pour nous donner à entendre la perfection de cette consommation, il n'a point d'autre modèle ni de moindre comparaison à nous proposer que l'unité des personnes divines, qui sont un ensemble dans l'unité de l'essence de Dieu; et par conséquent, comme il l'assure lui-même, le mystère de cette consommation de nous en lui ne sera compris qu'au seul jour de l'éternité. C'est dans la très-sainte Vierge, qu'a été exaucée cette prière, et que l'ardeur du zèle de Jésus-Christ a été satisfaite pleinement.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Considérez, avec reconnaissance et bonheur, que vous êtes l'enfant de Marie, non pas quant à votre corps, mais quant à la vie surnaturelle de votre âme,
1 S. Jean, chap. XVII, 23; XIV, 20.
qui est la plus excellente portion de vous-même, ou plutôt la seule qui puisse attirer sur vous les regards et les complaisances de Dieu. Il est vrai que votre âme a en soi une vie propre et naturelle, mais, la foi vous apprend que cette vie est corrompue par suite du péché d’Adam ; et qu'au lieu d'être un bien pour vous, elle aurait abouti à votre perte éternelle, si Dieu, pour vous rendre son enfant d'adoption, ne vous eût communiqué, au saint baptême, la vie de son propre Fils; vie divine qui vous donne le droit d'appeler Marie votre Mère, avec la même confiance que vous donnez à Dieu le titre de Père.
Vous devez savoir, en effet, que vous n'êtes devenu enfant de Dieu que par la communication qu'il vous a faite de la vie de Jésus-Christ, comme saint Paul nous l'enseigne (1). Mais ce bienfait ineffable ne le devez-vous pas à celle qui, en donnant son consentement pour devenir la Mère du Sauveur, a consenti aussi à devenir la vôtre, puisque ce n'était que pour vous rendre enfant de Dieu que dans ce moment le Verbe se fit chair et vint habiter parmi nous (2).
Marie ne conçut seulement Jésus-Christ dans le mystère de l’Incarnation, elle vous conçut aussi vous-même en votre qualité d'enfant de Dieu. Comme vous étiez renfermé dans le sein de Marie avec Jésus-
1. Galat., cap. IV, 6. Quoniam autem estis filiii Dei, misit Deus Spiritum Filii sui in corda vestra.
2. S. Joann., cap. I, 12, 13. Dedit eis potestatem filios Dei fieri, his qui credunt in nomine ejus, qui… ex Deo nati sunt. Et verbum caro factun est, et habitavit in nobis.
Christ, dans lequel nous étions tous contenus quant à la vie divine, ainsi que nos corps avaient été contenus dans Adam, figure de Jésus-Christ. Quel n'est donc pas votre bonheur d'avoir été conçu par une telle Mère, d'avoir été porté dans son sein, d'avoir été dès lors l'objet de son amour maternel, et de sa plus vive comme de sa plus constante sollicitude ! Quelle confiance ne devez-vous pas avoir en elle! Son sein a été, pour ainsi dire, le lieu de votre première résidence dans ce monde, le temple où vous avez été offert à Dieu par elle des milliers de fois. Votre mère, selon la chair, lorsqu'elle vous portait dans son sein, ne vous connaissait pas encore; elle ne savait pas ce que vous seriez dans la suite, ni même si vous verriez le jour. Marie vous a connu à l'avance, elle vous a aimé; elle s'est occupée des moyens de vous retirer du péché, d'assurer votre sanctification sur la terre et votre bonheur dans le ciel.
Le malheur de votre naissance excita d'abord toute la compassion de Marie; les entrailles de cette vraie mère de votre âme s'émurent sur vôtre lamentable sort. Dans cet état, en effet, vous étiez bien plus à plaindre que ce pauvre infortuné de l'Évangile qui était tout à la fois aveugle, sourd et muet. Votre âme était aveugle aux beautés et aux vérités de Dieu, sourde à toutes ses invitations, muette à sa louange, et elle serait restée éternellement dans cet état déplorable si Dieu, par sa grande miséricorde, ne vous eût donné une nouvelle naissance, en répandant sa divine vie dans la partie supérieure de votre âme. Cette vie du Fils de Dieu, cette vie du (130) Verbe, qui est la lumière éternelle du Père, éclaira les yeux de votre âme comme un flambeau ardent communique sa propre lumière à un flambeau éteint et le rend lumineux, Le Verbe, qui est la parole incréée et toute-puissante du Père, frappa efficacement (oreille de votre cœur, et lui rendit l'ouïe, et enfin, prenant possession de votre âme, il commença à louer Dieu par elle et à publier ses grandeurs, versant en vous les vertus divines de Foi, d'Espérance et de Charité.
Marie n'en demeura pas là. Vous voyez dans l'Évangile, qu'après qu'elle eut mis au monde son premier-né, elle l'enveloppa de langes, elle le fit reposer dans la crèche, elle le nourrit de son lait, et lui procura tous les autres soulagements que réclamait l'état de faiblesse dans lequel il avait voulu naître. C'est une image de ce que celte tendre mère a fait pour développer et faire croître en vous la vie nouvelle et. divine que vous aviez reçue par votre régénération. Ces langes, qu'elle avait si soigneusement préparés et avec lesquels elle enveloppa le petit corps de l'Enfant Jésus, sont la figure de ce qu'elle a fait pour préserver votre enfance de la contagion . du siècle pervers où vous deviez vivre. La crèche où elle reposa l'Enfant Jésus est l'image de la sainte Église où, par la vigilance de Marie, et toujours sous ses yeux, vous deviez trouver un lieu d'assurance et de repos. Elle vous a nourri elle-même de son lait maternel, c'est-à-dire de la lumière et de l'amour divin, qui sont l'aliment des enfants de Dieu, et dont elle était remplie pour vous (131) les communiquer selon, vos besoins dans les diverses rencontres de la vie. Elle a fait de ses mains la tunique dont elle couvrit le corps de. l'Enfant Jésus, figure de son corps mystique, ou de son Église; ainsi elle nous revêt, chacun en particulier, des mérites de son Fils et des siens propres dans les divers états où la Providence nous place, se montrant à l'égard de tous la véritable mère des vivants.
Puisque vous tenez de ses mains tout ce que vous avez reçu de grâces, pour entretenir et augmenter en vous la vie de Jésus-Christ, voyez quelle ne doit pas être votre reconnaissance envers une mère si bonne et si généreuse, et quel amour, quel dévouement vous lui devez en retour ! Pour essayer donc de lui rendre quelque chose des hommages sans nombre dont vous lui êtes redevable, proposez-vous dans cette solennité :
1° De lui témoigner votre reconnaissance du bonheur que vous avez de lui appartenir en qualité d'enfant. Les trois messes qu'on célèbre le jour de Noël ont pour objet d'honorer les Trois naissances de Notre-Seigneur : sa naissance du sein. de son. Père éternel, sa naissance de Marie à Bethléem, sa naissance spirituelle dans nos âmes.. Pendant la première messe, adorez le Fils de Dieu: naissant du sein du Père, et adorez le Père éternel comme votre vrai Père, et la source première de tous les biens que vous avez reçus et que vous recevrez jamais. Dans la deuxième, adorez Notre-Seigneur naissant de sa Mère, selon son humanité, se faisant par là votre frère, et vous mettant en part de tous ses biens, (132) spécialement du privilége magnifique de donner vous-même à Dieu, ainsi qu'il vous l'a appris dans l'Évangile, le doux nom de père. Remerciez-le, enfin , de tous les biens sans nombre qu'il a faits à la très-sainte Vierge, en l’élevant par l'Incarnation à la dignité incomparable de sa vraie Mère. Dans la troisième messe, témoignez votre reconnaissance à Marie de vous avoir fait naître en Jésus-Christ, et par là d'être véritablement votre mère pour le temps et pour l'éternité. Lorsque vous eûtes le bonheur de devenir son enfant, vous n'étiez pas capable de lui témoigner vos sentiments de gratitude; aujourd'hui que vous connaissez quelque chose de ses miséricordes à votre égard, acquittez-vous envers elle, autant que vous le pourrez , et invitez les saints Anges à s'unir à vous pour vous aider à lui témoigner votre reconnaissance.
2° Cette divine mère a voulu vous avoir pour enfant, afin que vous lui donniez la joie de voir Jésus-Christ grandir, se fortifier et se développer dans votre âme. Elle a nourri et fait croître le corps du Sauveur par les soins qu'elle a pris de son enfance; et elle veut développer sa vie en vous jusqu'à ce que vous, arriviez à la perfection de cette vie à laquelle Dieu le père vous appelle. La vie de Jésus croît et augmente dans les chrétiens lorsque ce divin Sauveur ne trouvant point en eux de résistance, il fait paraître ses vertus divines et sa sainteté dans leurs rouvres. Quelle douce et vive satisfaction ne procureriez-vous pas à Marie si, à l'occasion de cette solennité, vous triomphiez de ces défauts dans lesquels vous retombez si (133) souvent, et qui, empêchant Jésus-Christ d'agir en vous, le tiennent comme dans un état habituel d'impuissance et de faiblesse! Conjurez donc Marie d'ôter de ce coeur toutes les affections qui ne seraient pas pour Jésus. Priez-le avec ferveur de vous aider à les arracher, et d'en faire comme un petit faisceau de myrrhe pour l'offrir à l'Enfant Jésus dans sa crèche. Oseriez-vous aller à lui les mains vides, tandis que les bergers et les mages s'empressent de lui porter chacun leurs présents ? Tels sont ceux que Jésus et Marie attendent de votre amour; votre coeur pourrait-il les lui refuser? Prenez donc la résolution de réprimer en vous les mouvements de votre impatience naturelle, pour laisser à Jésus la facilité de faire paraître sa patience en vous; d'étouffer les saillies de votre amour-propre, pour qu'il puisse montrer en vous son humilité et sa douceur; de surmonter vos antipathies ou vos affections trop sensibles, afin de lui donner lieu de manifester pour vous sa divine charité; enfin d'attaquer de front tous vos défauts, pour qu'il fasse éclater en vous et par vous toutes ses aimables vertus, et qu'ainsi il grandisse et se développe dans votre âme.
3° Pour vous maintenir dans des dispositions si nécessaires, consacrez-vous tout de nouveau à Marie en qualité d'enfant, et promettez-lui de vivre à son égard dans l'abandon le plus filial et la dépendance la plus absolue. Elle étend sa sollicitude maternelle sur tous vos besoins, sur ceux du corps aussi bien que sur ceux de l'âme. Recevez donc comme de sa main la nourriture que vous prenez tous les jours, les (134) vêtements nouveaux dont vous usez , tous les autres soulagements nécessaires ou utiles à votre conservation, en un mot, tout ce que la divine Providence met à votre disposition pour vous aider à passer la vie présente. Cette fidélité à tout recevoir comme de la main de cette aimable mère, entretiendra en vous les sentiments de piété filiale que vous lui devez, et contribuera puissamment à vous faire user de toutes ces choses d'une manière très-pure. et très-chrétienne.
4° Avant de rien entreprendre de tant soit peu considérable, ayez soin de lui en demander la permission comme ferait un enfant à sa mère. L'Enfant Jésus, le plus parfait modèle en ce genre qui puisse jamais être proposé, nous a donné cet exemple de soumission à Marie, et nous a mérité la grâce de la pratiquer. Quoiqu'il fût toujours éclairé par la lumière de son Père, qui lui montrait ce qu'il avait à faire, il ne laissait. pas, comme un enfant très-soumis à sa mère, de ne se porter à rien sans son agrément ; combien plus convient-il que vous vous conformiez à cette sainte pratique, pour trouver la lumière dans vos obscurités et éviter les piéges et les illusions de l’amour-propre. Ayez, donc soin, avant de rien entreprendre, de lui demander son agrément; et cela : 1° en renonçant à vos vues propres; 2° en vous unissant à ses intentions très-pures et très-saintes; 3° en la priant, si la chose qu'il s'agit de faire est conforme à son bon plaisir, d'y donner sa sainte bénédiction, ou d'en empêcher l’exécution si elle ne lui était pas agréable; 4° mais un moyen de fixer alors vos incertitudes (135), ce serait de consulter une personne sage et désintéressée, et si vous êtes membre d'une communauté, la personne qui vous gouverne, en regardant dans sa décision la volonté de Marie qui se fera connaître à vous par ce moyen.
5° Une autre pratique qui nourrira en vous cette piété. filiale, ce sera de lui demander sa sainte bénédiction à genoux, et, si vous le pouvez, devant quelqu'une de ses images, le matin, dès votre lever, le soir, immédiatement avant de prendre votre repos. Servez-vous alors, à l'imitation de l'Église, de ces paroles qui lui sont familières : Que la Vierge Marie, avec son doux Enfant, nous bénisse: Nos, cum prole pia,benedicat Virgo Maria. En vous consacrant à elle le matin, demandez-lui de vous revêtir tout de nouveau de la vie de Jésus-Christ, son Fils; priez-la de vous obtenir la fidélité nécessaire pour la faire croître et se développer en vous, et enfin pour vous renouveler dans ces dispositions durant le jour,, demandez-lui encore sa bénédiction maternelle en entrant dans votre chambre et lorsque vous en sortez, si votre position voua permet de vous assujettir à cette sainte pratique.
CHAPITRE VIII. MYSTÈRE DE LA PURIFICATION DE MARIE ET DE LA PRÉSENTATION DE JÉSUS AU TEMPLE
I
Le sacrifice de Notre-Seigneur, figuré par tous les sacrifices de la loi, devait, comme ceux-ci, avoir quatre parties. La première était l'offrande faite à Dieu, ou la présentation solennelle de la victime; la seconde, son immolation sanglante; la troisième, sa consommation par le feu; et la quatrième, la communion, par laquelle Dieu, sous la figure du feu, et le peuple de son côté , étaient censés participer à la même victime en signe de parfaite réconciliation. Par l'offrande qui lui en était faite, Dieu s'appropriait tellement la victime qu'il ne lui laissait plus l'usage d'elle-même, en- sorte qu'elle ne vivait plus que pour lui. En signe de cette appropriation, le grand prêtre, lorsqu'on présentait certaines hosties au temple, mettait ses deux mains sur elles de la part de Dieu, figurant ainsi la possession parfaite (137) que Dieu le Père prendrait un jour de Jésus-Christ sa véritable hostie. Lorsque son Fils vint au monde, le Père éternel mit en quelque sorte sur la sainte humanité ses deux mains, c'est-à-dire son Verbe et son Esprit: son Verbe qui s'appropria la nature humaine, et son Esprit qui en prit une entière et irrévocable possession.
Si, dès le moment de l'Incarnation, le Fils de Dieu s'offrit ainsi et fit voeu d'hostie et de servitude à son Père, ce fut intérieurement et dans le secret des entrailles de Marie. Il venait cependant pour lui. rendre tous les devoirs auxquels les hommes sont obligés, les devoirs extérieurs et publics aussi bien que les devoirs intérieurs et cachés, et aussi pour rendre sensible aux hommes sa religion envers son Père. D'ailleurs son sacrifice se faisant pour l'Église qui est visible, devait être visible lui-même en toutes ses parties. Il fallait donc qu'il réitérât publiquement son offrande; et dans quel lieu devait-il la renouveler ainsi, sinon dans le temple de Jérusalem, le seul asile de la vraie religion, dans le temple des Juifs, dont il venait perfectionner en sa personne la religion, pour la faire passer jusqu'à nous, et être lui-même la fin de l'ancienne loi et le principe de la. nouvelle.
Il venait accomplir en, sa personne, jusqu'au dernier iota, tout ce qui avait été prédit et figuré de lui. Or c'était dans le temple que devaient être offertes à Dieu toutes lés hosties ses figures; il fallait donc qu'il fût porté au temple de Jérusalem; et qu'il y réitérât solennellement son offrande, rendant ainsi (138) à Dieu ses voeux devant son peuple, et par un culte extérieur et public : Vota mea Domino reddam, in conspectu omnis populi ejus (1). C'est pourquoi Marie, instruite des prophéties qui l'annonçaient et des figures qui le représentaient, elle qui, ayant vécu l'espace d'environ douze ans dans le temple, avait adoré mille fois en esprit le sang véritable du Fils de Dieu en celui des victimes qu'elle voyait répandre tous les jours, Marie ne l'a pas plutôt reçu en sa possession, qu'elle désire d'aller au temple, afin de se démettre de tous ses droits sur lui, et de le livrer entre les bras de Dieu le Père pour le sacrifier. Elle était dans une plus étroite obligation que personne de présenter pour elle-même à Dieu cette hostie, aux mérites de laquelle elle devait toutes les grâces dont elle se voyait comblée, et qui surpassaient celles que l'Église entière devait jamais recevoir. Marie; la plus innocente des créatures, la seule exempte de toute souillure, la seule digne d'approcher de Dieu avec confiance, étant la médiatrice de l’Église , devait offrir elle-même à Dieu dans le temple Jésus-Christ, notre hostie, et s’y dévouer par avance à la mort, comme un jour elle irait le lui offrir sur le Calvaire. D'ailleurs, Dieu ayant défendu qu'on lui présentât aucune victime dérobée et voulant que chaque hostie lui fût offerte par les mains de ceux à qui elle appartenait, c'était à Marie de lui présenter cette hostie que la nature et 1a grâce lui avaient donnée si parfaitement et si singulièrement.
1. Psaume CXV, 18.
Enfin il fallait que Marie accomplit en cette occasion solennelle ce qui était expressément marqué d'elle dans la loi, aussi bien que de Jésus-Christ, son Fils. Or Dieu y avait figuré l'offrande publique qu'elle devait lui faire de son Fils au temple, en ordonnant qu'on lui présentât au même lieu tous les enfants mâles premiers-nés, images de Jésus-Christ.
Si une femme conçoit et qu'elle mette au monde un enfant mâle, était-il dit dans la loi,... elle portera â l'entrée du tabernacle un agneau d'un an pour être offert en holocauste, et elle offrira pour le péché le petit d'une colombe... Si elle n'a pas le moyen de trouver un agneau, elle offrira deux petits de colombes: l'un pour être offert en holocauste, l'autre en expiation du péché (1). Le double sacrifice qu'il fallait offrir, pour l'enfant et pour sa mère, l'un en holocauste, (autre pour le péché, exprimait celui que Notre-Seigneur devait offrir de lui-même afin d'opérer le salut du monde. Il ne suffisait pas, en effet, que Marie nous eût donné le Sauveur, il fallait de plus qu'il fût immolé réellement; en sorte qu'avant la mort sanglante qu'il devait souffrir à l'âge de trente-trois ans, ni lui, quoique innocent, ni l'Église, ne pouvaient entrer dans le ciel : Nonne hoec oportuit pati Christum, et ita intrare in gloriam suam (2) ?
1. Lévit., chap. XII, 2, 8.
2. S. Luc, chap. XXIV, 26.
Cet interdit nous est figuré dans la loi, qui déclarait l'enfant et sa mère immondes, et les excluait de l'entrée du temple, image du ciel, jusqu'à ce que le sacrifice, prescrit pour l'un et pour l'autre, eût été offert. Si une femme met au monde un enfant mâle, elle sera immonde pendant sept jours (1) Le nombre de sept, qui est mystérieux, signifiait ici tous les temps qui devaient précéder l'Incarnation. Le huitième jour l'enfant sera circoncis, et la mère demeurera encore trente-trois jours dans cet étal immonde, pendant lesquels elle ne touchera rien de saint, et n'entrera point dans le sanctuaire. Cela signifiait que Notre-Seigneur serait trente-trois ans dans la honte de notre chair et de la génération d'Adam; que pendant tout ce temps il n'entrerait point dans le sanctuaire du ciel, dans le sein de son Père où il avait été engendré, et qui aurait dû, comme Fils, être le lieu de son séjour. Cela figurait aussi que l'Église serait pareillement exclue du ciel tant que Jésus-Christ n'aurait pas été mis en croix (2). Si donc Marie, quoique innocente, demeura exclue pendant trente-trois jours de l'entrée du temple, et fut censée immonde, c'est que, devant y présenter le sacrifice de l'Église, elle était la figure réelle de cette même Église, encore immonde et souillée, jusqu'à ce qu'au bout de trente-trois ans Jésus-Christ eût été immolé sur le Calvaire, et que même il eût été consommé en Dieu son Père par la résurrection.
1. Lévit., chap. XII, 2.
2 Cette explication, donnée par M. Olier, avait déjà été présentée par un ancien auteur dont. voici les paroles : « verumtamen quamvis septimana finita esset, et quamvis Christus natus esset, nondum tamen Synagoga penitus mundata erat, quia sanguis Christi nondum fusus erat. Mansit igitur adhuc triginta tribus diebus in sanguine purificationis suae, expectavit diem, imo annum trigesimum tertium. Ipso enim anno immolatus est Christus, sine cujus sanguine mundus mundari et lavari non potuit. Quod autem dies pro anno ponatur, in Ezechiele invenies, ubi dicitur : Diem pro anno, diem, inquam, pro anno, fili hominis, dedit tibi. » (Euseb. Episc. Gall. In Purific. S. Marioe. )
II
La mort et la résurrection du Sauveur, ces deux sacrifices, ou plutôt ces deux parties d'un même sacrifice, étaient figurées par celui que devait offrir la mère d'un enfant mâle. Lorsque les jours de sa purification auront été accomplis, soit pour un fils, soit pour une fille, ajoute Dieu dans cette même loi, elle portera à l'entrée du tabernacle un agneau pour être offert en holocauste, et le petit d'une colombe ou une tourterelle, qui sera offerte comme hostie pour expier le péché; et si elle n'a pas le moyen d'offrir un agneau, elle offrira deux tourterelles ou deux petits de colombes : l'un en holocauste, l’autre en expiation. Le prêtre priera pour elle, et par là elle sera purifiée du péché. Ces deux tourterelles ou ces deux petites colombes, qui, selon l'Écriture, devaient être offertes à Dieu pour tenir la place de l'enfant mâle, et pour signifier le sacrifice auquel il était destiné, représentaient, en effet, les mystères de la mort et de la résurrection de Jésus-Christ. La loi ne pouvant exprimer nettement par (142) un seul sacrifice la diversité de ces deux mystères, Dieu avait ordonné qu'on lui offrit deux colombes pour les figurer séparément l'un de l'autre (1). Celle qu'on offrait en sacrifice pour le péché, qui était égorgée et dont le sang était répandu au pied de l'autel , figure de la . terre , représentait l'immolation sanglante et la mort de Jésus-Christ en croix. L'autre, qui, après son immolation, était jetée. au feu, où elle était toute consumée, et pour cela appelée holocauste, exprimait la résurrection de Jésus-Christ consommé par ce mystère dans le feu de la divinité, c'est-à-dire dans la gloire de Dieu.
Pour accomplir ces figures, Marie et Joseph se rendent donc au temple avec l'Enfant Jésus. « Le temps. de la purification étant accompli, selon la loi de Moïse, » rapporte l'Évangéliste, c'est-à-dire le trente-troisième jour depuis la circoncision de Jésus étant arrivé , « ils portèrent l'enfant à Jérusalem four le présenter au Seigneur, ainsi qu'il est écrit dans la loi : Tout mâle premier-né sera consacré au Seigneur; et pour donner ce qui était offert en sacrifice, selon qu'il est écrit dans la loi du Seigneur: deux tourterelles ou deux petits de colombes (2). »
Dans l'offrande publique, le prêtre considérait
1. Lévit., chap. XII, 6, 8
2. S. Luc, chap. II, 22, 23. Marie offrit une ,couple de tourterelles ou deux petits de colombes. Ce qui montre qu'elle n'eut pas le moyen d'acheter un agneau, quoique les Mages lui eussent laissé de l'or entre les mains à la naissance de Jésus. On conclut de là, avec raison, qu'elle avait déjà distribué tout cet or aux pauvres.
attentivement si l'hostie présentée avait toutes les marques désirées par la loi et ordonnées de Dieu; et, après que celui qui la présentait avait mis ses mains sur l'hostie, pour marquer qu'il se dépouillait de tout le droit que Dieu lui avait donné sur elle, le prêtre, l'ayant examinée à loisir, la recevait des mains de celui qui l'offrait, comme s'il eût dit : « Je reprends de la part de Dieu tout le droit que vous me rétrocédez; je reprends cette hostie pour ne plus m'en dessaisir et pour ne m'en démettre jamais : c'est pour l'éternité que je reçois ce sacrifice. » Ce fut ce qui arriva réellement dans la présentation de notre hostie au temple, par les mains de Marie et de Joseph. On n'y vit pas seulement la victime avec ses figures, la cause et ses effets tout ensemble; on y vit encore, dans la personne du saint vieillard Siméon, Dieu le Père acceptant visiblement l'hostie. Car Siméon, qui se rend au temple par le mouvement du Saint-Esprit, cet homme juste en qui était l'esprit de Dieu, fut dans cette circonstance une figure expresse et vivante du Père éternel, souverain sacrificateur de son Fils unique.
Aussi Marie reconnaissant dans ce saint personnage le représentant de Dieu le Père, lui remet de la part de l'Église cette divine hostie; et comme Jésus est la chair de sa chair, les os de ses os, le sang de son sang, elle semble dire à Dieu, en sa qualité de Mère : « Père éternel, je ne l'ai pas plutôt reçu que je vous transporte et vous cède tout le droit que vous m'avez donné sur lui par sa naissance. Si vous vous présentez à moi et paraissez à mes yeux (144) comme prêtre, c'est pour l'immoler à votre gloire je le livre donc entre vos bras pour être sacrifié. Il n'était pas encore né qu'il se dévouait à la mort il n'a jamais été à lui; déjà il s'est offert à vous dans mon sein et vous a remis tout le droit qu'il avait sur soi-même. Mais parce qu'il était à moi et que vous me l’aviez donné, il veut aussi que je vous le présente et que je me démette de tout le droit que j'ai sur lui. Je me démets donc de mon trésor entre vos mains, et vous offre de la part de l’Église ce que j'ai de plus cher au monde, et ce qui est de plus grand au ciel et sur la terre, afin que, par ce voeu solennel et cette offrande publique de religion, il soit totalement à vous. »
III
En vertu de cette oblation solennelle, Jésus-Christ fut donc destiné à la mort. Il aurait même réellement donné sa vie dans le moment qu'on égorgeait celle des colombes qui était offerte pour expier le péché, S'il n'avait eu à satisfaire à beaucoup d'autres devoirs, qui ne lui permettaient pas de mourir sitôt ni dans cette circonstance; car il devait être immolé hors du temple. C'est pourquoi la sainte Vierge le rachète aujourd'hui par deux colombes qui sont immolées à sa place. Mais comme il est présenté dans le temple, qui était le lieu destiné à l'immolation, il s'immole lui-même en esprit à la gloire de (145) son Père, qui, dans la personne du saint vieillard, l'accepte comme hostie d'expiation. Il l'accepte pareillement comme hostie de louange, lorsque l'autre colombe est jetée dans le feu. Car dans la personne de ce saint vieillard recevant en ses bras Notre-Seigneur, le recevant dans un sein rempli du feu de l'amour de Dieu lui-même, et Spiritus sanctus erat in eo, Dieu le Père le reçoit déjà à bras ouverts, comme il fera au jour de sa résurrection après son immolation sanglante; et en recevant ce sacrifice, il reçoit aussi d'avance celui de toute l'Église, en vue de laquelle il lui est offert.
Bien plus, si le saint vieillard Siméon tient ici la place du Père éternel, qui accepte par lui la victime, c'est Jésus-Christ qui est, lui-même le prêtre de sa propre oblation. Il était dit dans la loi de la présentation de l'enfant mâle, qu'au sacrifice des deux colombes le prêtre joindrait sa prière particulière pour la mère de l'enfant, et que, par là, elle serait purifiée. Jésus-Christ, le prêtre et l'hostie de son propre sacrifice, le vrai et l'unique prêtre de Dieu; dont tous les prêtres de la loi n'étaient que l'ombre et la figure, prie alors efficacement pour le genre humain ou l'Église qui l'a mis au monde; il s'offre à Dieu pour elle, et accomplit enfin cet oracle du prophète : « Les holocaustes, non plus que les sacrifices pour le péché, ne vous ont pas été agréables : vous m'avez formé un corps, qui est ce tabernacle, l'ouvrage de vos propres mains, et tous les membres que vous m'avez destinés pour composer mon corps mystique. Voilà que je viens, (146) ô mon Dieu, pour accomplir votre volonté. Je suis votre serviteur; je suis votre serviteur et le Fils de votre servante (1). » Ainsi, comme Adam, en sa qualité de chef du genre humain, avait perdu sa famille en s'éloignant de Dieu : Jésus-Christ, en tant que chef de son Église, s'offrant d'avance à lui en qualité d'hostie universelle, consacre et dédie à Dieu toute l'Église, par cette seule oblation de lui-même et de tous ses membres.
Comme le sacrifice du Sauveur était, en effet, le supplément nécessaire de celui que Dieu exigeait de l'Église elle-même, ces deux colombes figuraient aussi le peuple chrétien. Celle qui était simplement immolée marquait l'extérieur de notre vie, qui doit être purifiée par la pénitence et par le sacrifice pénible de nos sens et de nos passions, en un mot, là ruine du vieil homme; l'autre, qui était consumée; exprimait notre intérieur, qui doit être transformé par la vie divine. C'est ce qu'avaient aussi figuré tous les autres sacrifices de la loi. Mais ces sacrifices, étant vides de grâces par eux-mêmes, n'avaient pu produire jusqu'alors ce qu'ils signifiaient. La ruine du vieil homme, exprimée par l'immolation et la destruction de l'hostie, n'avait lieu qu'en apparente, puisque le péché régnait toujours dans le monde, et la résurrection à la vie divine n'était aussi qu'en image. Le sacrifice du Sauveur avait seul la vertu de produire en nous de tels 'effets. C'est pourquoi Jésus s'offre comme hostie d'expiation dans sa mort sanglante, et ressuscite à la vie glorieuse pour mériter à l'Église la ruine du vieil homme en elle, et la participation à la vie de l'homme nouveau
1. Psal. XXXIX; 7, 8. — 2. Ad Hebr. X, 5 7.
IV
Dans cette circonstance, Dieu, pour témoigner combien il avait présents devant les yeux les saints mystères de la mort et de la résurrection de son Fils, unique source de ce double effet si longtemps attendu et si nécessaire, dit par la bouche de Siméon à la très-sainte Vierge, et dans sa personne à toute l'Église, ces Mystérieuses paroles : Voici enfin que celui-ci est établi pour la ruine et pour la, résurrection de plusieurs en Israël, comme s'il disait : « Celui-ci est établi, non plus pour figurer simplement la ruine du vieil homme et la résurrection à l'homme nouveau; mais pour être, par sa mort sanglante, la cause réelle et efficace de la mort au péché, et de la résurrection à la vie divine, car c'est lui qui est le véritable Agneau de Dieu, l’hostie parfaite, qui ôte tous les péchés du monde, ce que les sacrifices de la loi n'avaient pu faire jusqu'ici. Sa mort sur la croix sera la source de la mort au péché, parce qu'elle doit être une expression sensible et efficace des sentiments de confusion, de douleur et d'abandon à la justice divine, nécessaires pour la rémission du (148) péché (1), sentiments que Jésus-Christ communiqua aux hommes après les avoir mérités pour eux, et qui feront d'eux et de lui une seule hostie d'expiation. Pour ceux donc qui recevront ainsi « son esprit de pénitence, il sera, dans sa mort, la « cause de la ruine du vieil homme et la source de leur résurrection à la vie divine; pour les autres qui mépriseront la grâce .de ses saints mystères, « il ne doit être qu'un objet de contradiction.»
1. Le sens que M. Olier donne aux paroles du saint vieillard Siméon n'est pas le sens littéral, mais le sens spirituel ou allégorique. Plusieurs anciens, parmi lesquels nous citerons saint Basile, Origène, saint Jérôme, ont interprété de la même manière ce texte de l'Évangile.
S. Basilii Coesar..Archiep. Epist. CCLX. Mihi quidem non minus difficile videtur quomodo idem in ruinam positus sit et in resurrectionem, et quid est signum cui contradicitur, quam illud tertium quomodo Mariae animam pertransibit gladius. Existimo igitur in ruinam et resurrectionnem esse Dominum, non quod alii cadant et alii resurgant, sed quod vitium in nobis cadat, et virtus resurgat. Eversor est enim corporearum libidinum Domini adventus, et excitator animes proprietatum... Quare primum beneficium est, ut qui stat in peccato, cadat et moriatur; deinde vivat justitiae et resurgat : utrumque fide in Christum nobis largiente. Cadant pejora, ut locum habeant meliora resurgendi ; nisi cadat fornicatio, temperantia non resurget; nisi id quod a ratione alienum est, conteratur, id quod rationale est in nobis, non florebit. Sic igitur in ruinam et resurrectionem multorum.
Origenis Homil. XVII, in Luc. Nunc autem interpretandum quid sibi velit hoc quod ait: Ecce hic positus est in ruinam et in resurrectionem multorum in Israel; oportet primum cadere et, cum cecidero, postea resurgere bene, ne Salvator malae ruinas causa fuerit: Propterea cadere me fecit, ut consurgam, et multo mihi ruina utilior fuerit, quam illud tempus quo videbar stare. Stabam enim in peccato, eo tempore quo peccato vivebam et quia peccato stabam; prima mihi utilitas fuit ut caderem, ut peccato morerer.
Idem, Homil. XVI, in Luc. Interior homo meus quondam jacebat elisus, et exterior stabat erectus. Antequam crederem in Jesum, bonum in me jacebat, malum stabat. Postquam ille venit, tune, quod in me malum fuit corruit; et expletum est illud : Semper mortificationem Jesu in corpore circumferentes, et illud, Mortificate membra vestra super terram, fornicationem, immundiltam, luxuriam, idololatriam, venefìcia et caetera. Horum omnium utilis ruina fatta est, ad quam ruinam primum venit Jesus, nec potest facere resurrectionem; nisi ruina praecesserit. Venit ante destruere quod in me malum fuit, ut, illo destructo et mortifìcato, consurgat in me et vivificetur quod bonum est.
S. Hieronymi tom. VII. Homil. XVI, in Lucam, translat.. ex Origène. Ecce positus est hic in ruinam et resurrectionem multorum in Israel. Non in resurrectionem tantum, sed et in runam. Si malum est interficere, malum sit et in ruinam venire; quid respondebunt? Ego vero qui opto esse Ecclesiasticus, et non ab haeresiarcha aliquo, sed a Christi vocabulo nuncupari, et cupio tam opere quam sensu et esse et dici Christianus, aequalem et in veteri et in nova Lege quaero rationem. Loquitur Deus : Ego interficiam; libenter habeo ut interficiat me Deus : quando enim vetus in me homo est et vivo adhuc quasi homo, cupio ut occidat in me Deus veterem hominem, et vivificet me ex mortuis. Secundum hunc, sensum intelligitur et illud : In judicium ego veni in mundum istum, ut qui non vident, videant, et qui vident, coeci fiant. Habemus in nobis, omnes homines, et aspectum et caecitatem. Adam et Heva, qui bene ante videbant, postquam Domini mandatum.praetergressi sont, coeperunt videre male; et aspectum obedientiae, subripiente delitto, postes perdiderunt. Venit Jesus, ut faceret sum videre qui crocus erat in nobis, ut qui non videbant viderent; qui autem videbant, casti fierent. Juxta hune ergo sensum, et hoc est intelligendum : Ecce iste positus est in ruinam et in resurrectionem multorum in Israel. Habeo aliquid in me quod male stat, hoc cadat, hoc subruatur; quod si ceciderit, quod ante ruerat, surgens stabit.
S. Paulin. Episc. Epist ad Severum VIII. Utinam adimpleatur in me verbum illud evangelici Simeonis, ut fiat mihi Christus, in ruinam et resurrectionem : ruina exteriori meo, et interiori resurrectio... Exterioris enim status, interioris casus est; et ideo quando infirmatur exterior : Qui intus est renovatur de die in diem : cadente exteriori homine, surgit interior.
Enfin, pour qu'il ne manquât rien à l'oblation publique de l’hostie du genre humain, Dieu y ajoute toute la solennité et tout l'éclat désirables. Quoique la très sainte Vierge représentât dignement l’Église entière, au nom de laquelle elle faisait l'oblation, Dieu veut que l’Église chrétienne et la synagogue y soient représentées chacune en particulier; et il appelle la religion de l’une et de l'autre pour assister à l’offrande publique de leur commun sacrifice. La prophétesse Anne y vient de la part de la gentilité et de l'Église chrétienne, dont elle est la figure; et Siméon, au nom de la loi mosaïque, de l’esprit de laquelle il était rempli. Ce saint Vieillard tient, en effet, la place de deux personnages dans le mystère de la présentation, ce qui n'est pas sans exemple parmi les hommes célèbres de l’ancien Testament, qui figuraient quelquefois des objets divers à cause des dispositions différentes que l’esprit de Dieu répandait dans leurs cœurs et des actions qu’il leur inspirait de faire. Siméon représente le Père éternel ; il figure aussi la loi ancienne. « Il y avait à Jérusalem, rapporte l’Évangéliste, un homme juste et craignant Dieu, nommé Siméon, qui attendait la consolation d’Israël, et le Saint-Esprit était en lui. Il lui avait été révélé par l’Esprit-Saint qu'il ne mourrait pas, qu'auparavant il n'eût vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au temple par le mouvement de l’esprit de Dieu, comme le père et la mère de l'enfant Jésus l'y portaient, afin (151) d'accomplir à son égard ce qui était ordonné par la soi, il le prit lui-même entre ses bras et bénit Dieu, en disant : C'est maintenant, Seigneur, que vous laissez ,mourir en paix votre serviteur, selon votre promesse, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous donnez et que vous avez préparé à tous les peuples, comme la lumière qui éclairera les gentils et la gloire de votre peuple Israël (1)»
V
La loi ancienne, en la personne de Siméon, voyant donc dans le Sauveur, qu'elle tient comme dans ses bras, la vérité des mystères qu'elle annonçait, et pour lesquels elle avait été établie, dit à Dieu, dans les transports de sa reconnaissance: C'est maintenant, Seigneur, que vous renvoyez en paix votre serviteur, selon votre promesse, puisque mes yeux ont vu le Sauveur que vous nous envoyez.
1. Toutes les expressions dont se sert ici l'Évangéliste ont été soigneusement remarquées par les saints Docteurs comme autant de traits, qui font du vieillard, Siméon une. figure expresse et frappante de la loi ancienne. Il était à Jérusalem, où se trouvait le siège de la loi et de la religion judaïque. Il s'appelait Siméon, dont le nom exprimait les désirs persévérants et efficaces pour la venue du Messie; car nom signifie qui a été exaucé. L'Évangéliste ajoute que cet homme juste et rempli de la crainte de Dieu attendait la consolation d'Israël, ou autrement, le Sauveur: c'était, en effet toute l'occupation de la loi mosaïque ; et que le Saint-Esprit était en lui : c'est-à-dire que, malgré le dérèglement des Juifs, Dieu n'avait pas retiré son Esprit de la Synagogue. Il remarque encore que Siméon avait l’assurance de ne pas mourir avant d'avoir vu le Messie ; c'est que la loi ne devait être abolie que lorsque Jésus-Christ serait venu pour la remplacer; qu'enfin Siméon fut conduit par le Saint-Esprit dans le temple, le lieu surtout où Jésus-Christ devait être adoré dans ses figures.
Comme si la loi mosaïque disait . « Maintenant je suis au comble de mes voeux; je vois de mes yeux et je tiens dans mes mains la réalité de mes figures; je jouis de la vérité des mystères pour lesquels je soupirais. Dès à présent je cesserais d'être, si celui que j'attendais ne voulait m'ensevelir avec honneur, à cause du respect qu'il me porte comme ayant été instituée et formée de vos mains. Je mourrai donc en paix, maintenant que j'ai entre mes bras et que je vous présente, ô Père éternel, celui qui apaise votre colère, qui seul vaut plus que toutes les hosties et tous les sacrifices, et qui vous rendra plus d'honneur que ne le feraient toutes les créatures ensemble, quand elles vous seraient toutes sacrifiées. »
C'est lui que vous avez préparé, depuis quatre mille ans que le. monde est formé, lui que vous avez destiné, non plus à un peuple particulier, mais à tous les peuples de l'univers, afin de les retirer de leurs iniquités et de l'aveuglement où ils étaient précipités par leur faute. Il est la lumière qui doit éclairer les gentils abîmés dans l'horreur du péché, et la gloire d'Israël votre peuple, quoiqu'il doive sembler en être l'opprobre dans sa mort sur la croix. Il sera, par sa résurrection, non-seulement le roi pacifique de toute la Judée sa patrie, comme le véritable Salomon, mais un roi conquérant qui (153) subjuguera toute créature et sera révéré dans tout l'univers.
Mais Dieu, qui remplit Siméon de l'esprit de la loi dont il tient. la place, lui confère beaucoup de grâces et lui révèle encore de grands secrets, qui ne seront connus qu'au jour du jugement. Il lui donne l'esprit de prophétie et veut qu'il annonce à Marie elle-même ce qu'elle n'avait point appris jusque-là, savoir la part qu'elle devait avoir aux souffrances de son Fils. Comme le péché a pris son origine dans le plaisir, et comme il a son siège dans l'âme, c'est "surtout dans son âme que Jésus-Christ doit être immolé par la douleur, afin de satisfaire à Dieu par un coeur qui, valant plus que tout le monde, rende lui seul plus d'honneur à la Majesté divine par la douleur; que tous les pécheurs ne lui auront causé de déshonneur par leurs joies criminelles. Plus vaste que tout le monde, l'esprit intérieur de Jésus-Christ a vu tout ce que Dieu exigeait que les hommes souffrissent dans leurs corps et dans leurs âmes, et il s'est étendu à tout cela tout d'un coup. il a pleuré leurs péchés, comme si lui-même les eût commis; il a accepté intérieurement toutes leurs souffrances et les a endurées dans son âme. Quant à leurs peines extérieures, il a accepté les tourments de ses martyrs, les maladies de ses fidèles, les persécutions de ses enfants, et tout ce que pourront jamais endurer ses membres, afin de souffrir, par son esprit répandu en eux, tout ce que la justice miséricordieuse de Dieu exercera sur eux de plus rigoureux et de plus sévère.
Mais parce que Marie tient la place. de l'Église, dans l’oeuvre de notre rédemption, elle doit participer plus que personne aux souffrances du Rtédempteur. Lorsque Adam, dans le paradis terrestre, goûta le coupable plaisir que Jésus-Christ vient expier par sa mort, Eve partagea . avec lui cette criminelle jouissance, et devint par là, pour tousses enfants, le canal empoisonné qui leur communiqua à tous le péché et la mort; et Dieu veut que Marie partage au Calvaire les douleurs et la pénitence de Jésus-Christ, afin de la communiquer aussi par elle à l'Église. Il veut qu'elle le voie souffrir intérieurement et extérieurement, et qu'à la vue de la colère divine allumée contre son Fils, chargé de nos crimes, elle ait le cœur percé de part en part, comme d'un coup d'épée. C'est ce que Dieu lui fait connaître dans ce jour par la bouche de Siméon, qui semble n'être prophète que pour elle seule, et de qui elle reçoit cette prophétie vivante : Et quant à vous, votre âme sera transpercée d'un glaive, afin que les sentiments de beaucoup de cœurs soient manifestés (1). Votre âme sera transpercée, c’est-à-dire votre coeur sera affligé d'un coup très perçant de la blessure mortelle qui fera mourir la victime elle-.même. Par là il lui apprend.que les douleurs et les souffrances du Messie, prédites par les prophètes, seraient aussi ses propres douleurs : le coup qui fera mourir cette adorable victime devant percer sa Mère elle-même. Car il ne parle que d'une douleur et d'un glaive; la même affliction qui sera dans le Fils de Dieu sera aussi dans Marie, par une très-intime communication.
1. S. Luc, chap. II, 35.
A ces paroles de Siméon, Marie comprenant ce qu'elle aurait à endurer par la vue de la mort de son Fils, ce furent des larmes et des douleurs trèsgrandes. «Eh quoi ! disait-elle, au nom de l'Église en son affliction, un Dieu porté dans le temple comme un pécheur; l'innocent offert comme un coupable; celui qui est le maître de tout, qui sait tout, qui est la force même, pris pour le plus pauvre du monde, pour un ignorant, pour un enfant emmaillotté ! ». Et puis, l'embrassant, elle lui disait: « Mon bien-aimé est à moi, et moi je suis à lui. » De son côté, l'enfant Jésus versait des larmes et souffrait par compassion, pour les douleurs de sa Mèreaffligée de sa mort à venir; et, s'adressant intérieurement à elle, il lui disait, pour l'encourager par les fruits que produirait son sacrifice : « Déliez les liens aux pécheurs; donnez la lumière aux aveugles; retirez les hommes de leurs offenses et procurez-leur tous les biens. »
Admirable bonté de Dieu, qui vérifie aujourd'hui en notre faveur cette parole de David : A ceux qui vous craignent, vous avez fait signe de fuir devant l'arc (1), y exposant votre fils et sa Mère. Car ce n'est point Marie qu'il avertit, d'éviter les coups et de. fuir comme feront les autres. Au contraire, elle fera paraître plus de force de Dieu dans l’accablement des douleurs de son fils, dont elle sera tout abreuvée, que n'en montreront jamais toutes les autres créatures; et, au lieu de fuir devant l'arc, qui est la croix, elle demeurera ferme et debout auprès de son fils.
1. Ps. LIX, 6
Mais si c'est l’Église qu'il avertit de fuir devant l'arc, pourquoi veut-il faire la même blessure à Jésus et à Marie, et les percer tous deux de douleur? Pourquoi veut-il tenir ces deux innocentes victimes, abîmées et absorbées dans la pénitence et la douleur de nos crimes? C'est, comme il nous l'apprend par la bouche de Siméon, afin de manifester les sentiments de beaucoup de cœurs (1), c'est-à-dire, afin de faire naître dans beaucoup de coeurs les sentiments de pénitence et de douleur, dont Jésus-Christ est pénétré. Il veut que Marie les fasse passer en eux, après s'en être pénétrée elle-même. Il veut que, touchés de ce même esprit de pénitence et de componction, nous pleurions nos propres péchés, après que Marie, tout innocente qu'elle est, les aura pleurés amèrement; et que Jésus, l'innocence même, non-seulement les aura pleurés et détestés, mais nous aura encore mérité, par ses douleurs, la grâce de les pleurer et de souffrir en esprit de pénitence les peines temporelles que la justice divine exige de nous.
La présentation de Notre-Seigneur au temple est donc la cérémonie de la loi qui explique le saint mystère de Jésus-Christ mort et ressuscité. L'on y voit les figures avec le victime réelle; 1e sacrifice des deux colombes, et aussi Jésus-Christ immolé, et Jésus-Christ consommé dans la gloire.
1. S. Luc, chap. II , 35
On y voit la purification et la sanctification de l'Église : l'union parfaite de l'ancien et du nouveau Testament, enfin, Dieu-le Père acceptant visiblement notre hostie et. nous réconciliant avec lui.
Cette Vierge très-prudente ne parlait à personne des mystères que Dieu voulait tenir cachés; et c'est encore ce que l'Évangéliste nous donne à entendre en répétant deux fois, au sujet des circonstances qui précédèrent ou qui accompagnèrent la naissance du Sauveur, qu'elle les conservait et en conférait en son cœur,. Il faut savoir, en effet, qu'elle avait vu les mystères de son Fils par contemplation avant sa venue au monde, plus pleinement et plus clairement que ne les avaient vus tous les prophètes, et qu'elle n'aurait pu les connaître par toutes leurs prophéties, et que d'ailleurs le Verbe divin l'en avait instruite à fond, lorsque, par l'Incarnation, il vint reposer en elle. Marie donc, après les avoir ainsi connus par contemplation, les voyait s'accomplir réellement en la personne de son Fils, et, conférant leur accomplissement avec ce qui lui avait été manifesté intérieurement, comparant les prédictions avec les effets, elle reconnaissait que toutes choses se passaient en lui de la manière que Dieu les lui avait représentées avant sa venue : Maria autem conservabat omnia verba haec, conferens in corde suo.
1. S. Luc, chap. II, 19, 51.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Pour participer à l'esprit eu à la grâce du saint mystère de la Présentation de Notre-Seigneur, nous devons renouveler la consécration solennelle que Jésus-Christ y fit de nous-mêmes à Dieu. .Elle -fut figurée par les deux colombes, .images expressives non-seulement de Jésus, mais encore de tous les chrétiens que Dieu voulait conduire à la perfection, en les faisant passer par les deux états qu'elles exprimaient. Celle qui était seulement immolée et dont on répandait le sang, marquait l'extérieur de notre vie, qui doit être purifiée par l'esprit de pénitence; et l'autre, qui était ensuite consumée par le :feu, marquait notre intérieur, qui doit être transformé en Dieu par la charité.
Cette consécration, que Notre-Seigneur fit alors de ses membres en général, l'Église l'a renouvelée pour chacun de nous en particulier, lorsqu'elle nous a mis au nombre de ses enfants par le saint baptême; et il est à remarquer que les circonstances qui accompagnent l’administration de ce sacrement étaient figurées par celles qui avaient lieu à la présentation des victimes dans le temple. Lorsqu'on les y amenait, elles étaient censées être encore profanes; et cela exprimait l'état où nous nous trouvions nous-mêmes avant notre régénération, étant alors, à cause de notre naissance d'Adam; des enfants de malédiction et de colère. La victime demeurait à la porte (159) du tabernacle; et pareillement, lorsqu'on nous présenta au baptême, nous ne fûmes pas d'abord introduits dans l'Église, image du royaume de Dieu où rien de souillé ne saurait entrer. Le démon, qui noue possédait alors, devait d'ailleurs être chassé de nous, avant que nous pussions être introduits dans d'Église.
Les prêtres eu temple, en consacrant les victimes à Dieu, les soustrayaient à tout usage profane, et pareillement, lorsqu'on nous introduisit dans l'église, Dieu en fit autant .de nous. Il nous dédia et nous appropria totalement à lui par l'action du prêtre qui imposa sur nous l'étole, par celle de l'imposition fréquente des mains, mais surtout par le caractère ineffaçable qui fut imprimé dans notre âme et par la donation que Dieu nous fit alors de son Saint-Esprit. Car ce divin Esprit vint résider en nous comme dans un temple consacré à la Majesté divine. Ayant donc fait profession, d'hostie par le baptême et commencé d'être victimes dès ce moment, vous avez été tellement consacrés et appropriés à Dieu, que vous n'avez plus de droit sur vous-mêmes, et le monde n'en,a plus sur vous. Par conséquent vous devez vivre pour Dieu seul,. en attendant l'heure de votre sacrifice, qui sera celle de votre mort.
Pour vous faire vivre de la sorte, le Saint-Esprit en venant résider en vous par le baptême vous a donné une vie nouvelle, qui est la vie propre des chrétiens. Cette vie a deux parties : la mort au péché et la vie à Dieu; la première sert de fondement à la seconde, comme saint Paul ne cesse de le (160) répéter : Ignorez-vous, dit-il, qu'ayant été baptisés en Jésus-Christ, c'est dans sa mort que nous avons été baptisés (1)? C'est-à-dire, par le baptême nous avons été revêtus des sentiments intérieurs et des dispositions qu'il avait en mourant, et qu'il offrit pour nous à Dieu son Père. Ignorez-vous que la grâce de sa mort, qui nous doit faire, mourir au péché, a couvert notre âme par le baptême, comme l'eau couvrait notre corps, afin que, comme Jésus-Christ est ressuscité, nous marchions aussi dans les sentiers d'une vie nouvelle? C'est-à-dire de cette vie dont nous avons pareillement reçu la grâce par ce sacrement : le Saint-Esprit, si nous le laissons maître de notre coeur, nous donnant des inclinations semblables à celles de Jésus-Christ ressuscité. Faites donc état, conclut saint Paul, que vous êtes morts au péché, et vivants à Dieu, en Notre-Seigneur Jésus-Christ (2).
Cette mort, par laquelle il faut entrer dans la vie chrétienne, n'est autre chose que la ruine des mauvaises inclinations, qui sont en nous les restes de notre première naissance. En effet, l'inclination des sens vers les créatures reste toujours en nous après lè baptême, et c'est le martyre que tout vrai chrétien doit souffrir en esprit de pénitence, d'être incliné par les sens vers les créatures, et de ne s'y attacher pas. Comme ces inclinations vicieuses nous portent à désirer les honneurs, les richesses et les plaisirs, par le baptême, l'esprit de Jésus-Christ nous attire à l'humilité, à l'amour de la pauvreté, à la recherche de la mortification ; et c'est dans la pratique de ces vertus que consiste précisément l'immolation de nous-mêmes, qui doit nous rendre semblables à Jésus-Christ, et ne faire de lui et de nous qu'une seule victime d'expiation
1. Rom., chap. VI, 4.
2. Ibid., 11
Considérez que dans le mystère même de la Purification, Jésus et Marie nous donnent des exemples admirables de ces trois sortes d'anéantissement nécessaires à tous les vrais chrétiens. Vous y voyez l'anéantissement à l'honneur. Le Fils aussi bien que la Mère ne veulent rien être dans l'estime et dans le coeur des hommes; ils s'assujettissent aux lois communes des pécheurs; et, quoiqu'ils contiennent et qu'ils portent dans leurs coeurs la sanctification du temple et celle de tous les hommes, ils sont regardés comme des criminels. Vous y voyez l'anéantissement aux grandeurs et aux richesses du monde; puisque Jésus et Marie, les plus grands et. les plus puissants de la terre, à qui tout appartient, paraissent dans le temple comme s'ils étaient les plus pauvres, dénués de toutes commodités; c'est par l'offrande de deux colombes que Marie rachète son Fils, ce qui était le prix des misérables et des plus pauvres d'entre les Juifs. Enfin ils y sont anéantis en tout eux-mêmes, ne voulant rien avoir ni rien être que pour l'immoler à Dieu par un entier sacrifice : disposition qui paraîtra surtout au Calvaire, lorsque Jésus et Marie accompliront extérieurement ce que figurait la colombe dont le sang était répandu.
Voilà les vertus que ,vous devez vous efforcer de pratiquer vous-même dans votre condition, si vous voulez ne :pas laisser inutile l'offrande que Jésus-Christ a faite de vous dans sa Présentation, ni rendre infructueuse la grâce de votre baptême. Pratiquer l'humilité, la pauvreté, la mortification dans les occasions que la Providence vous présente, pour vous exercer à ces vertus, c'est proprement ce que Notre-Seigneur appelle porter sa croix. Celui qui veut venir après moi, dit-il, qu'il se renonce lui-même, qu'il porte sa croix et me suive. Peut-on se dire chrétien et avoir en horreur sa croix, qui est le signe et la marque de la profession chrétienne? Il est vrai que la croix serait accablante pour vous, si vous étiez seul à la porter, Mais n'est-ce pas pour en partager le poids que Jésus-Christ s'est fait votre semblable ? n'est-ce pas pour fortifier votre faiblesse naturelle qu'au baptême il vous a donné son esprit? Dans les cérémonies de ce sacrement, 1e prêtre, image de Dieu, a fait sur vous deux croix avec de l'huile: l'une sur vos épaules, l'autre sur votre coeur. Savez-vous pourquoi? C'était pour marquer que l'Esprit-Saint ou l'esprit de Jésus-Christ, figuré par l'huile, imprimait dans votre cœur l’amour de la croix, et qu'il vous communiquait sa force pour la porter : les épaules étant dans l’homme le siège de la force, comme le coeur est celui de l'amour.
Voilà ce que demande de votre part l’esprit de mort, qui est la première partie de la vie chrétienne.
La seconde consiste à être animé de l'esprit de Jésus-Christ ressuscité. Dans sa résurrection il est tout lumière et tout amour; et c'est là proprement la vie de Dieu, figurée par la colombe, qui se consumait dans le feu du sacrifice. Dans cette colombe, on voyait deux choses : le feu qui, s'attachant à elle, la transformait en sa propre nature, et la lumière qui accompagnait le feu. C'était une expression grossière de la consommation de la nature humaine de Notre -Seigneur dans la gloire de Dieu et de l'éclat de sa splendeur. L'Église se sert d'un autre symbole pour rendre sensible à ses enfants ce. saint mystère et le tenir présent à leurs yeux. Au jour du samedi saint, dans la cérémonie même de la résurrection du Sauveur, elle allume avec solennité un. grand cierge et fait dire tout haut parle diacre : Lumen Christi, c'est la lumière de Jésus-Christ. Le cierge par son éclat et sa chaleur représente Jésus-Christ, la plénitude de la charité et de :la lumière de l'Église, duquel, comme du chef unique de. ce corps, descend sur nous toute lumière et tout amour. Pour le même sujet, dans la cérémonie du baptême, où nous recevons l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, l'Église fait,porter, au nom de l'enfant qu'on baptise, et par les mains des parrains et des marraines, un cierge allumé.
Pour ce même motif, au jour de la Présentation de Notre-Seigneur, où elle nous fait renouveler la profession publique de notre baptême, elle nous met encore des cierges allumés dans les mains. Ces cierges expriment le mystère de la vie de (164) Jésus-Christ ressuscité; et comme cette vie n'est que lumière et qu'amour en elle-même, elle ne devrait être dans nos âmes que foi et que charité. C'est, en effet, de cette sorte que Jésus-Christ ressuscité communique à nos âmes sa clarté, sa splendeur (qui est proprement la vérité éternelle), et en même temps la ferveur de son amour pour Dieu; de sorte que cette vie nouvelle nous fait sanctifier nos oeuvres par ces deux vertus : la foi opérant en nous par la charité, comme s'exprime l'Apôtre. La cérémonie de la Chandeleur est donc tout à la fois la figure et l'application de l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, répandu et dilaté dans les âmes. C'est pourquoi les fidèles qui, dans ce jour, portent des cierges allumés, chantent ces paroles : Lumen ad revelationem gentium; comme s'ils disaient : « La lumière de Dieu, qui est la splendeur de Jésus-Christ ressuscité et la vraie lumière des peuples, est passée par lui dans nos âmes avec sa divine charité. »
C'est dans leurs mains qu'ils portent ces cierges pour protester que, faisant profession de la foi de Jésus-Christ, ils ne veulent s'employer qu'aux oeuvres qu'il leur ordonne, et que l'Évangile leur montre par sa sainte lumière. Ils vont en procession le cierge en main, et cette procession est générale, pour signifier qu'ils veulent marcher tous les jours de leur vie dans les voies de l'Évangile; comme s'ils disaient : « Seigneur, votre parole, soit intérieure, soit extérieure, sert de conduite à votre Église; votre sainte foi qui nous éclaire, et qui a été (165) répandue dans nos âmes par le baptême, sera la règle et la direction de notre vie. » Enfin, comme on renouvelle publiquement en ce jour la profession qu'on avait faite dans ce sacrement, chacun tient soi-même le cierge qu'il n'avait porté que par les mains des parrains et des marraines, et ce cierge on le tient en marchant, pour dire qu'en toutes choses et dans toute notre conduite, nous marcherons dans les sentiers de la foi, selon les ordres et les desseins de Dieu, chacun dans sa vocation particulière.
CHAPITRE IX. SOCIÉTÉ DE JÉSUS ET DE MARIE
I
Pour comprendre la pureté et la sainteté des devoirs que Jésus rendait à Joseph et à Marie, il faut savoir que quoiqu'il ne formât qu'une seule personne, il subsistait, à vrai dire, en deux conditions très-différentes. La portion supérieure de son âme, qui consiste dans l'entendement et la volonté, voyait toujours l'essence divine et toutes les beautés adorables de son Père. Elle jouissait de la gloire dont il jouit maintenant, et des opérations immenses de l'esprit de Dieu en lui. Mais, par un miracle de la toute-puissance divine, la portion inférieure qui possédait et animait son corps, demeurait datas l'état d'une âme commune et ordinaire, et ne jouissait point de la gloire ni de la vue de Dieu. Si sa gloire se fût répandue sur cette portion de. son âme, elle eût rendu le corps glorieux et eût ôté au Verbe (167) incarné le moyen de souffrir. Dieu le Père ne donnait donc la possession et la jouissance de lui-même qu'à. la portion supérieure de l'âme de son Fils. Il retenait ses opérations et ses effets en cette partie sublime, sans souffrir que ces dons s'écoulassent dans cette portion qui animait et vivifiait le corps, laquelle, au contraire, étant destinée à la pénitence et à la privation de la jouissance de Dieu et de ses délices, était souvent dans des abandons, des délaissements et des afflictions que nous aurions peine à imaginer.
Toutefois; voulant donner une sorte de satisfaction et de soulagement a jette portion de l'humanité du Sauveur, et lui faire passer avec quelque adoucissement la vie arrière de ce monde. Dieu se rendit visible, en quelque façon, dans Marie et dans Joseph, pour converser sensiblement sous leur extérieur avec son Fils. Marie et Joseph étaient pour Jésus, victime d'expiation; une image de Dieu, dans laquelle il adorait sa providence temporelle, son amour envers lui et envers les hommes. Le temple était bien pour Jésus un lieu de dévotion, parce qu'il y voyait une figure matérielle et morte de Dieu; mais en Marie et Joseph il voyait une figure vivante, spirituelle et divine de toutes ses grandeurs et de toutes ses perfections. Quelle n'était donc pas la beauté intérieure de ces deux saintes personnes que Dieu avait fortifiées exprès de ses mains, pour le représenter lui-même à l'humanité souffrante de son Fils, et lui mettre toujours devant les yeux son vrai portrait et son image vivante dans le temps de son absence ! Ainsi la (168) soumission de Jésus envers ses saints parents était fondée sur celle qu'il devait au Père éternel.
Néanmoins, malgré l'amour incompréhensible qu'il porte à sa Mère, malgré son obéissance religieuse à ses volontés, Jésus-Christ ne laisse paraître pour elle aucune faiblesse. Comme il vient réformer les défauts de nos cœurs, et nous donner le modèle d'une conduite parfaite, il évite, lorsqu'il travaille à l'oeuvre de son Père céleste, tout ce qui eût pu le faire soupçonner d'avoir, dans la personne de sa Mère, de l'attache à la chair et au sang. Il se conduit à son égard de manière à servir d'exemple aux ouvriers évangéliques qu'il doit laisser dans son Église après lui; c'est ce qu'il fait paraître en restant secrètement au temple. Il nous donne dans cette circonstance une instruction admirable de la manière dont nous devons agir envers nos parents en ce qui regarde les ordres de Dieu sur nous. Quoiqu'il n'eût alors que douze ans, et qu'il fût encore sous la conduite extérieure de sa mère; quoique Marie fût la plus sainte mère qui ait été et qui sera jamais; quoiqu'il fût assuré qu'elle ne l'aurait pas détourné de faire la volonté de Dieu, et qu'au contraire elle l'aurait porté à l'accomplir dans toute son étendue et dans ses moindres circonstances, il ne voulut pas néanmoins lui découvrir son dessein, ni lui demander conseil sur ce qu'il avait à faire. Par là il nous apprit que, dans les choses que Dieu demande de nous, il n'y a aucun conseil à prendre de nos parents, qui ne nous ayant pas été donnés de Dieu pour la conduite de notre âme, ne sont pas aussi les organes (169) dont il veut se servir pour nous faire connaître ses volontés.
Pour se conformer aux ordres de son Père, Jésus n'est point arrêté par les saintes larmes de sa mère, ni par la douleur de saint Joseph, si affligés de son ,absence; il sacrifie les sentiments et les tendresses du plus saint et du plus cordial des enfants. Il était même disposé d'aller jusqu'au bout du monde si son Père céleste l'eût désiré de lui; et quand il n'aurait jamais dû revoir la très-sainte Vierge en cette vie, et que même elle eût été mille fois plus affligée encore de son absence, jamais la douleur de sa mère, qu'il sentait lui-même si vivement, ni son amour pour elle, ne lui auraient donné d'autre pensée.
Aussi lorsque ses parents le retrouvèrent dans le temple, sa mère lui ayant dit : « Mon Fils, pourquoi en avez-vous usé de la sorte avec nous? Voilà que votre père et moi nous vous cherchions tout affligés ; » Jésus leur, répondit: « Pourquoi me cherchiez-vous? ne saviez-vous pas qu'il faut que je sois occupé aux oeuvres de mon Père? » C'est-à-dire que je dois travailler pour les intérêts de mon Père céleste, qui a sur vous un souverain domaine, et que je dois oublier tout pour faire sa volonté adorable (1).
1. Outre l'instruction morale que Dieu voulut donner aux parents et aux enfants, par ce trait de l'histoire de son Fils, les saints Docteurs y ont vu une figure de la conduite que tiendrait la Synagogue (exprimée ici par Marie et Joseph), qui chercherait en vain Jésus-Christ dans la pratique de la Loi, et ne le trouverait enfin que dans l'Église chrétienne, figurée par le temple et l'assemblée des docteurs. Enfin ils ont vu dans la douteur de Marie un modèle que Dieu a donné aux âmes parfaites, dans les épreuves auxquelles il les met quelquefois, pour purifier de plus en plus leur vertu.
Si l'enfant Jésus parle ici à ses saints parents avec tant de fermeté, il ne faut pas croire que de son côté il n’eût pas été affligé de leur éloignement. Il sentait vivement dans son cœur toutes ces inclinations justes, innocentes et pures, qui restent dans les enfants pour leur père et leur mère. Comme elles tirent leur origine de Dieu, qui se plaît a imprimer dans les enfants ce sentiment de retour envers leurs parents, pour l’obligation qu'ils leur doivent de l’être qu’ils ont reçu par eux, Jésus, qui tenait son propre corps de la chair très pure de Marie, les ressentait comme nous, avant sa résurrection. Aussi l’évangéliste ajoute-t-il, après le récit précédent : Il partit ensuite avec eux, se rendit à Nazareth, et il leur était soumis (1); et l’Évangile, ne fait point mention d'aucune autre vertu de Jésus-Christ, pendant trente ans, que de sa soumission et de son obéissance à Joseph et à Marie.
C'est le propre d’un fils d'obéir à son père; Notre-Seigneur, comme Fils parfait du Père éternel, lui a obéi depuis le commencement de sa vie jusqu'à sa mort; et s'il a vécu ainsi sous la direction de Joseph et de Marie, c'est qu'il envisageait l'un et l'autre (171) comme des images vivantes du Père:éternel. La fidélité de son obéissance était même telle, qu'à moins d'une conduite extraordinaire de Dieu son Père sur lui, comme dans sa retraite au temple, il soumettait les lumières du Saint-Esprit en lui à l'approbation de Marie et de Joseph, Dieu résidant visiblement dans l'un et dans l'autre pour leur faire approuver les sentiments intérieurs qu'il lui communiquait. C'est l'exemple de soumisssion que Jésus-Christ a voulu donner à l'Église pour l'instruction des particuliers, lesquels ne peuvent pas se promettre une conduite de Dieu plus spéciale qu'il ne l'avait lui-même. Il n'y a personne exempt de soumission, quelque communication que Dieu lui fasse de ses lumières, et toujours faut-il faire approuver ses sentiments par celui qui tient ici-bas la place de Dieu.
Ajoutons que Jésus ne fait jamais paraître pour Marie cette tendresse qui, amollissant et affaiblissant leur coeur, rend trop souvent les enfants incapables de faire à Dieu es sacrifices :qu'il exige. L'Évangile rapporte trois circonstances où il a parlé à sa sainte Mère; et nous ne voyons pas:que dans aucune il lui ait dit une seule de ces paroles dont la nature a coutume de se servir :pour exprimer et entretenir ses plus vives affections. :Dans le temple, il lui parle avec un esprit de zèle admirable pour la gloire de Dieu son Père, lui témoignant avec force qu'il doit s'appliquer aux oeuvres qui regardent son service. A la seconde occasion, qui fut celle des noces de Cana, il lui parle avec un amour très-pur (172) pour son Père, lui représentant la dépendance où il est de ses divines volontés pour les accomplir dans les moments qu'il avait marqués lui-même. A la troisième, qui eut lieu au Calvaire, il lui parle avec un esprit de charité et de tendresse très-grandes pour les hommes, à qui il donne, dans le présent qu'il leur fait, le plus aimable secours qu'ils pouvaient attendre pour leur salut.
S'il parle donc de la sorte à sa sainte Mère, quoiqu'elle lui soit incomparablement plus chère que toute l'Église ensemble, si même il ne la voit pas très-souvent lorsqu'il travaille extérieurement à l'œuvre de son Père, c'est par fidélité au ministère dont il est chargé. Venant condamner devant les Juifs les sentiments de la nature dégénérée et établir une génération nouvelle, toute spirituelle, dont il estimait plus les moindres sentiments que ceux de la nature humaine les plus innocents et les plus purs, il ne pouvait, en qualité de Messie, faire paraître, durant sa vie parmi les hommes, son amour envers Marie, ni lui donner tous les témoignages publics d'affection que son coeur désirait. La bienséance d'ailleurs ne lui permettait pas de les témoigner au dehors. Voilà pourquoi, outre la raison mystérieuse dont nous parlerons, il ne la nomme pas sa mère, ni à Cana ni sur le Calvaire.
III
Un jour que Jésus parlait au peuple, sa mère et ses parents étant venus le trouver sans pouvoir pénétrer jusqu'à lui à cause de la foule, quelqu'un lui dit : Voilà votre mère et vos frères qui sont dehors et qui demandent à vous parler. Il répondit à cet homme : Qui est ma mère? et qui sont mes frères? et étendant la main sur ses disciples : Voilà, dit-il, ma mère et mes frères; car quiconque fait la volonté de mon Père, qui est dans les cieux, celui-là est mon frère, ma soeur et ma mère (1). Par cette réponse, il montre qu'il a plus d'attache aux intérêts de son Père qu'à ceux de la nature, et qu'il préfère ceux qui lui appartiennent en qualité d'enfants de Dieu, comme était la très-sainte Vierge, à ceux qui ne lui appartiendraient précisément que selon la chair.
Pareillement, dans une autre circonstance où il enseignait le peuple, comme nous l'avons déjà remarqué, une femme élevant sa voix du milieu de la foule, lui dit: Heureux le sein qua vous a porté, et les mamelles que vous avez sucées. Jésus répond : Mais dites plutôt bienheureux ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la conservent (2). Par là, il montre encore qu'il estime mille fois plus Marie de ce qu'elle obéissait à Dieu, que de ce qu'elle était sa mère selon la chair. C'était comme s'il eût dit : Ce que j'estime le plus dans ma mère, ce ne sont pas ses qualités naturelles, ce n'est pas par là qu'elle est considérable, mais bien pour avoir fait la volonté de mon Père,et avoir été fidèle à sa sainte parole. Voilà ce qui est de Dieu en elle, et ce qui m'oblige le plus à l'aimer.
1. S. Matth., chap. XII, 48, 49, 50.
2. S. Luc., chap. xi, 27,-28.
Cependant quelque amour,que le Sauveur eût pour sa mère, quelque estime. qu'il fît de sa sainteté, ce n’était pas le moment de faire éclater son affection pour elle.
IV
Admirez la conduite de Dieu dans le mystère de l'Incarnation; il y observe un ordre merveilleux, une décence digne de lui. Le Verbe sur la terre était égal, à son Père et digne des mêmes louanges ; si sa divinité restait cachée, elle n'en était pas moins adorable. L'humanité de Jésus-Christ, cette arche admirable où Dieu habite en plénitude pour le bien de ses créatures et pour les communications de ses grâces, méritait elle-même de recevoir un honneur et des louanges suprêmes. Toutefois Jésus-Christ venant sur la terre, comme :victime pour le péché, ne doit point d'ordinaire faire montre de son égalité avec son Père. Il vient, au contraire, s'anéantir; voilà par où il commence, disant qu'il ne veut point d'honneur comme homme, qu'il n'est rien :par lui-même, qu'il ne cherche point sa gloire, Gloriam (175) meam non quaero (1), qu'il ne cherche que celle de son Père céleste qui l'a envoyé. Il s'oppose même à l’honneur qu'on lui rend, ne souffrant pas qu'on fasse attention à lui pour tout ce qu'on y voit de grand, mais seulement à Dieu qui en est d'auteur. C'est ce sentiment qui le porte dans l'Évangile à reprendre celui qui l'avait appelé bon, et à refuser cette qualité comme homme; car comme tel il est créature et par conséquent néant. Avant sa résurrection, étant encore dans l'état de la chair, qui est un état d'infirmité, il agit souvent très faiblement, se servant de raisonnements, de miracles, de prophéties, pour tâcher. de convaincre les hommes ans faire usage de. sa puissance divine, qui eût, converti dans un moment les coeurs les plus endurcis et les plus obstinés du monde. La:crainte d'être trop respecté, et ainsi de passer pour le Dieu de la gloire que les Juifs n'eussent jamais crucifié (1), lui fait donc cacher sa puissance infinie par le grand désir qu'il a de mourir. Mais Dieu e Père, qui veut procurer à son Fils L'honneur et les louanges qu'il mérite, le pourvoit, dans les jours mêmes de son infirmité, d'une Église, où ces honneurs lui soient rendus en toute sainteté, et perfection. Il lui bâtit un temple plus glorieux que celui de Salomon, et ce temple est la sainte Vierge, qui suit Jésus-christ partout pour le louer et le glorifier. Et comme, autrefois, les prêtres accompagnaient. l'Arche partout, cette divine Vierge aussi accompagne Notre-Seigneur dans tous ses saints mystères; de sorte qu'elle lui sert comme d'Église portative
1. S. Jean, chap. VIII, 50.
2. I. Cor., chap. II, 8.
. Aussi voyons-nous que toutes les qualités de l'Église lui sont appliquées; et de même que l'Église est destinée de Dieu pour honorer l'humanité sainte de Jésus-Christ, la sainte Vierge aussi, qui contient en éminence toutes les grâces, les vertus, et surtout la religion de l'Église, est destinée de Dieu et sert pour glorifier parfaitement l'humanité de son Fils, et pour l'accompagner dans tout le mystère de l'Incarnation. Ou plutôt en la très-sainte Vierge il y a toute l'Église, et plus que toute l'Église ensemble; en elle Jésus-Christ trouve mille fois plus d'adorations, de louanges, d'amour, que tout ce que le reste de la créature lui en rendra jamais.
Considérant donc déjà son Église dans Marie, y voyant cette Épouse promise, pour l'amour de laquelle, après avoir quitté son Père éternel en s'incarnant, il doit quitter aussi la Synagogue sa mère, il considère la différence qu'il y aura entre l'une et l'autre. Il compare cette Mère spirituelle et divine avec la Synagogue, sa mère matérielle et charnelle, cette assemblée de réprouvés, de gens endurcis, toujours attachés à la terre et à la chair. Il ne peut parler de Dieu à la Synagogue, si éloignée de lui, si pleine d'avarice et d'aveuglement; Marie seule est le sujet de ses délices. Parmi les Juifs, il ne voyait rien, en effet, que de vicieux. Non-seulement ils ne rendaient à Dieu aucun devoir de reconnaissance, aucun remerciement pour les biens particuliers qu'ils (177) avaient reçus de lui, tels que la loi, les prophètes et les autres merveilles dont ils avaient été favorisés, mais ils étaient encore chargés d'offenses contre la Majesté divine. Vivant au milieu de tant de pécheurs, de tant de gens endurcis, de tant de personnes abominables, le Fils de Dieu sur la terre était dans une mort perpétuelle. Il ne trouvait de consolation et de soulagement ici-bas que dans le seul coeur de Marie. Hors de là, ce n'étaient partout qu'objets de crainte et d'horreur; il ne rencontrait que le péché, véritable cause de sa passion; il voyait écrit sur les visages l'arrêt de sa mort sanglante, et rencontrait autant de bourreaux qu'il y avait de pécheurs. Cette vue lui était un martyre insupportable, qui le faisait soupirer continuellement pour l'Église. C'était aussi ce qui lui faisait toujours désirer sa mort, pour mériter la naissance à cette assemblée de fidèles, qui, jouissant des grâces qu'il aurait acquises, vivraient dégagés du sang et de la chair, et seraient élevés par le Saint-Esprit à la contemplation de Dieu et à son amour, ce qui est la vocation de l'Église.
C'était même en priant pour Marie que Jésus priait avec tant d'ardeur et de zèle pour l'Église future. Car il trouvait l'Église en sa mère comme une portion d'elle-même; il priait donc à la fois pour la perfection et pour la glorification de l'une et de l'autre, selon l'étendue et la force de cet amour : et ainsi l'Église se ressentait des effets immenses du saint amour qu'il portait à Marie.
Très-sainte Vierge, Mère aimable et plus que très-aimable (vous l'êtes plus qu'on ne peut l'exprimer), c'est sur ce saint modèle de l'amour;que Jésus vous porte,:qu'il aime son Église; il étend sur elle l'amour qu'il a pour vous. Car nous savons bien, Vierge sainte, que comme vous comprenez seule toutes les perfections et les beautés répandues et partagées dans l'Église, vos grâces ainsi multipliées et exprimées dans ce corps servent de sujet à Jésus pour nous aimer, et sont autant d'aiguillons qui excitent son amour pour nous. O chaste Épouse! ô sainte Mère de Jésus ! unique toute belle, c'est vous qui êtes le parfait objet de son amour!. que l'Église vous est donc obligée! Sans y penser, elle reçoit mille caresses de Jésus à tout moment, parce qu'elle vous représente et qu'il vous voit répandue dans elle. Celui qui aime :s'estime heureux quand il peut rencontrer quelque chose qui ressemble ou qui appartient à ce qu'il aime, quand ce ne serait qu'un cheveu. Quel amour l'Église ne doit-elle pas produire en Jésus, puisqu'il voit :représentées et -reproduites en elle les grâces et les beautés de Marie! Que si les enfants de la personne qu'on aime sont si aimables à cause de leur Mère, que sera-ce de toute l'Église, dont les .particuliers sont les enfants de ta chaste amante de Jésus? En aimant l'Église, il baise ale portrait de sa Mère, et, comme si l'Église était réellement sa Mère, il l'aime, il la chérit et se donne à elle avec le même amour.
V
En cette qualité d'expression sensible de l'Église future, dont elle tenait la place, Marie était destinée à ne former, avec son divin Fils qu'une seule victime d'expiation et une même hostie de louange. De là l’union incompréhensible qui existait entre Jésus et Marie, et qui rendait cette divine Vierge participante de tout ce qu’éprouvait Jésus-Christ. Il en était de l'intérieur de Marie, par rapport à celui de Jésus-Christ, comme d'un petit cercle qui serait dans un grand, et qui contiendrait en soi toutes les lignes du grand cercle, mais moins vastes que celles de ce dernier; car, éloigné les intentions de la très-sainte Vierge fussent les mêmes que celles de Jésus-Christ, elles étaient bien moins étendues que celles du Fils de Dieu, infiniment plus grand qu'elle ne peut l’être.
On doit juger par là du continuel martyre qu'a souffert Marie, destinée à n’être avec lui qu’une seule victime d’expiation. Comme victime universelle, chargée d'expier nos péchés et d'en souffrir toutes les peines, Jésus-Christ a supporté intérieurement, et toutefois réellement les douleurs de toutes les maladies, de toutes les plaies des hommes. Il eût voulu les souffrir dans son corps. Ne le pouvant pas, il en a porté le désir dans son cœur et en a souffert la peine intérieure et invisible, telle qu'elle s’exprime extérieurement dans les malades, les estropiés, les martyrs ; endurant ces douleurs au fond (180) de sa chair, de ses nerfs , de ses tendons, de ses artères, sans qu'elles fussent visibles aux yeux des hommes. Son ardeur de souffrir et d'endurer pour la gloire de son Père était même si immense, qu'elle n'a point eu de bornes ni de limites. Nous ne pouvons donc pas comprendre quel a été le martyre intérieur de la très-sainte Vierge, que le Saint-Esprit rendait participante de tout ce qu'éprouvait Jésus-Christ. Elle était si intimement unie à lui par ce divin Esprit, résidant et agissant en elle, que tout ce qui tombait sur Jésus retombait sur Marie; elle était ainsi submergée comme dans un océan de douleurs.
Ainsi en a-t-il été du désir et de l'amour de la confusion, de l'anéantissement, de la pauvreté, comme aussi des hommages intérieurs qu'elle rendait à la Majesté divine; l'Esprit de Jésus-Christ vivant en elle, non pour y être oisif, mais pour y imprimer, son immense religion envers son Père. Cet Esprit de Jésus, l'unique louange de Dieu, cette voix, dont il est dit dans l'Apocalypse qu'elle se fait entendre comme la voix d'une multitude et d'un million de millions d'âmes, cette voix qui résonne par la bouche de toute créature, était renfermée en la très-sainte Vierge comme un écho. L'écho ne produit pas la voix : il la redit et la répète; ainsi, l'âme de Marie disait les mêmes choses que cette voix divine. C'était l'expression la plus parfaite des louanges de Dieu en Jésus-Christ. Elle n'interrompait pas cette sainte occupation, même pendant son sommeil, selon ces paroles du Cantique des (181) cantiques : Je dors et mon cœur veille (1). C'était l'état de Notre-Seigneur sur la terre, avec cette différence cependant que ce qui se faisait en lui en éminence, se passait en Marie dans cette perfection relative, qui convient à la créature et qui peut être communiquée.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
1° Les sentiments d'affection de Jésus pour sa sainte Mère doivent vous servir de modèle dans votre amour envers vos parents, si vous voulez honorer Dieu en les aimant, comme votre qualité de chrétien vous y oblige. Quelque service qu'il eût reçu de la très-sainte Vierge, quelque parfaite qu'elle fût, Jésus l'aimait non pour elle-même, mais pour Dieu, qu'il adorait vivant en elle comme dans un tabernacle où il résidait pour lui ; en sorte que, dans sa Mère,, c'était Dieu même qu'il aimait. Voilà comment vous devez aimer vos parents, c'est-à-dire les aimer du même amour dont vous aimez Dieu , avec cette différence que vous aimez Dieu pour lui-même et vos parents pour Dieu, mais toujours Dieu dans vos parents.
En leur donnant des marques d'affection, vous n'aurez donc pas pour fin de, satisfaire une certaine tendresse de coeur que vous éprouvez pour eux. Ce sentiment naturel, qui se trouve aussi dans les animaux, est trop grossier, trop terrestre pour être le motif qui inspire une âme chrétienne.
1. Cant., chap. V, 2.
S'il y a des occasions où il soit convenable que vous donniez de ces sortes de témoignages à vos parents, ce sera à Dieu même, rendu sensible dans leurs personnes, que vous les donnerez. Alors, bien loin d'amollir votre coeur et de diminuer votre piété filiale envers Dieu, ces marques de tendresse seront alitant de devoirs religieux que vous lui rendrez et qui augmenteront en vous son saint amour.
Cette affection chrétienne pour vos parents, au lieu d'éteindre vos sentiments do tendresse naturelle, les ennoblira, les perfectionnera, les rendra surnaturels. Vous aimerez sincèrement vos parents, malgré les défauts auxquels ils pourraient être sujets, comme s'ils étaient les personnes du monde les plus accomplies; parce que votre amour aura pour objet non leurs qualités personnelles, mais Dieu, dont ils sont les représentants. Pareillement, vous les aimerez aussi cordialement s'ils vous donnent quelque juste sujet de plainte, et même s'ils vous maltraitent, que s'ils n'avaient pour vous que des témoignages de tendresse et de prédilection. Dieu ne veut pas, en effet, que les imperfections qui peuvent se rencontrer dans ses images le privent de l'honneur qu'il prétend recevoir de nous; et Notre-Seigneur ne mérite pas moins de respect dans un ciboire d'étain ou de plomb que dans un autre d'argent ou d'or, parce que dans l'un et dans l'autre il est également grand, également adorable.
2° Dans le dessein de Dieu , les parents ne devraient être que de saintes images de sa paternité, destinées à attirer à lui les respects et l'affection des enfants dont il est le premier père; et ils ne sont souvent, hélas l que des idoles vivantes qui lui dérobent sa gloire, en retenant pour eux-mêmes l'honneur et l'affection qui lui sont dus. La très-sainte Vierge, quelque innocente qu'elle fût dans son âme et dans ses sens, n'avait jamais en vue la satisfaction de sa sensibilité propre en donnant des marques de tendresse à l'Enfant Jésus. Dans ces occasions, elle se proposait toujours de témoigner son amour sensible à la personne du Verbe; car ses caresses avaient pour motif non le corps de Jésus, mais la divinité qui y était unie et qu'elle aimait en lui. A son exemple, les vrais chrétiens, quoiqu'ils adorent le corps de Notre-Seigneur dans l'Eucharistie, l'adorent non pour lui-même, mais pour la divinité qui en est inséparable; aussi tous des hommages qu'ils rendent à cette chair sacrée sont autant de devoirs religieux qui les unissent à Dieu de plus en plus, et les rendent aussi plus participants de sa vie. Au lieu que les personnes qui n'ont point Dieu en vue dans les témoignages de tendresse qu'elles se donnent, se remplissent de l'amour les unes des autres , elles S'éloignent de Dieu d'autant plus qu'elles s'aiment plus vivement.
Ainsi cet amour naturel, que Dieu a mis dans les cœurs des pères et des mères, pour communiquer, comme par un canal, ses vertus divines aux enfants et accroître en eux sa vie, n'est trop souvent qu'un (184) moyen funeste qui les remplit de l'amour des créatures et des vanités du monde. Qu'y a-t-il de plus ordinaire que de voir des mères, après avoir paré leurs enfants, qui à peine se soutiennent sur leurs pieds, prendre plaisir à les louer, à les admirer, à exagérer follement leur bonne grâce? L'expression de joie qui paraît dans les traits de leur visage, leurs paroles animées, leurs gestes significatifs font plus d'impression qu'on ne le pense sur le coeur des enfants, et les ouvrent aux premières saillies de la vanité et de la folle estime d'eux-mêmes. C'est ce qu'il est aisé de remarquer à l'attitude qu'ils savent prendre alors, à leur démarche, à tous leurs procédés pleins de hauteur; jusque-là qu'on en voit se préférer aux autres avec orgueil, et dédaigner même ceux à qui l'on ne donne pas les mêmes louanges ou qui ne sont pas si bien vêtus. Par ces insinuations perfides, la puissance et les charmes du langage et de l'amour maternels, qui devraient préparer dans les enfants les voies à l'exercice de la foi, de l'espérance et de la charité qu'ils ont reçues dans leur baptême, tendent, au contraire, à y éteindre ces vertus, et contribuent en quelque sorte à les rendre orgueilleux, hautains et dédaigneux, avant même qu'ils soient raisonnables. Voilà les suites naturelles et inévitables de la première éducation, lorsqu'elle n'est pas dirigée par les lumières de la foi chrétienne.
1° Prenez donc la résolution de parler toujours aux enfants comme vous le feriez s'ils étaient déjà raisonnables et capables de goûter les maximes du (185) christianisme, ne leur proposant aucun des motifs propres à donner de l'estime pour les vanités du monde, desquelles vous devez, au contraire, leur inspirer doucement le mépris. 2° Parlez-leur de Dieu et des choses du ciel, de manière à leur montrer par l'expression de votre visage, par votre accent, par vos paroles, quelle estime profonde vous en faites vous-même. 3° Enfin, dans les témoignages .d'amitié que vous ne pouvez vous dispenser de leur donner, unissez-vous à Marie, aimant par motif de religion l'Enfant Jésus, puisqu'il est vivant dans eux par son esprit et par sa grâce. Par la fidélité à ces moyens, vous aurez le bonheur de développer dans leurs coeurs les vertus chrétiennes, d'honorer Dieu dans l'oeuvre de l'éducation des enfants, et d'y trouver pour vous-même une source de bénédictions et de mérites.
CHAPITRE X. NOCES DE CANA
I
Toutes les paroles de l'Écriture, quoique en apparence très-simples, sont pleines de mystères et contiennent des sens admirables et profonds, parce qu'ayant été écrites par des auteurs sacrés, dans la lumière du Saint-Esprit, elles comprennent des sens conformes à l'étendue et à la grandeur de cette lumière.
De même en était-il des actions du Fils de Dieu sur la terre. Il n'en faisait aucune, il ne se passait rien dans sa personne divine, où il n'y eût quelque chose de mystérieux. Il ne s'est pas contenté des figures de l'ancien Testament, qui promettaient ce que lui-même devait accomplir: il a fait aussi pendant sa vie des oeuvres qui, étant très-saintes en elles-mêmes , figuraient encore des choses plus sublimes, auxquelles il préparait les peuples incapables alors de les comprendre et de les goûter. Ainsi, les miracles qu'il faisait pour donner des témoignages de sa divinité, figuraient les merveilles qu'il venait opérer dans le monde et qui étaient le véritable objet de sa mission. Ces aveugles, ces sourds ; ces muets et les autres qu'il guérissait ; représentaient à son esprit le genre humain dans l'état où l'avait réduit le premier péché de l'homme. Les résurrections qu'il opérait, entre autres celle de Lazare, qui eut lieu quatre jours après sa mort, figuraient la résurrection spirituelle du genre humain, enseveli depuis quatre mille ans dans l'ombre de la mort du péché; et si Notre-Seigneur pleure sur Lazare avec frémissement, c'est en témoignage de l'émotion que causait à son esprit l'excès des péchés du monde.
Les noces de Cana , dont nous allons parler, étaient la figure d'un événement bien plus important . elles signifiaient mystérieusement les noces que Jésus-Christ venait célébrer avec le genre humain ou l'Église. Par l'Incarnation il avait épousé déjà la nature humaine en général dans la personne de la très-sainte Vierge; mais c'était par la communion à son corps et à son sang (qui est pour chacun de nous l'extension et la continuation de l'Incarnation), qu'il devait épouser chaque âme en particulier. ce qui le fait appeler par saint Paul du nom de mari ou d'époux (1). Par la communion, il met l'âme dans une unité parfaite avec lui, se mêlant à elle et la rendant une même chose avec lui-même, c'est-à-dire imprimant en elle des sentiments conformes aux siens, des mouvements pareils, des inclinations et des dispositions toutes semblables.
1. IIe aux Corinth., chap. XI, vers. 2.
Il commence cette unité par le baptême, il la continue par la confirmation et il l'achève par la sainte communion : Qui mange ma chair et boit mon sang, dit-il, demeure en moi et moi en lui (1). C'est là le point parfait du mariage de Notre-Seigneur avec l'âme, où il se fait parfaitement un avec elle, où il la fait être avec lui une même chose, de même qu'il est un avec son Père, et que son Père est un avec lui. Comme donc, en venant sur la terre, il voulait se laisser aux hommes dans l'eucharistie, pour consommer par là son union avec les âmes ses épouses, il a pris plaisir à figurer ce sacrement de diverses manières; et dans le festin de Cana, en changeant l'eau en vin, son dessein fut de préparer l'esprit des peuples au changement du pain en sa chair et du vin en son sang. Voilà pourquoi il commence par ce premier de tous ses miracles, l'exercice de sa puissance divine (2); et s'il l'opère à la seule demande de sa Mère, touchée de compassion pour le convives de Cana, c'est qu'il veut nous montrer qu'il n'accorde rien à son Église, que conséquemment aux désirs de Marie.
1. S. Jean, chap. VI, v. 57.
2 L'Église chrétienne est, en effet, le véritable festin des noces, figuré à Cana, où Jésus-Christ sera assis jusqu'à la consommation des siècles, pour se donner à nous en nourriture. Tout ce que font ses ministres en faveur des âmes, comme les prédications, l'administration du Baptême, de la Pénitence, et le reste, tout cela ayant pour fin, plus ou moins immédiate, de disposer les fidèles à s'approcher dignement de l'Eucharistie, l'unique et l'universel sacrifice que Jésus-Christ ait laissé aux chrétiens.
II
Jésus étant venu de la Judée à Cana en Galilée, « dit l'Évangéliste, on célébra des noces dans cette ville , auxquelles la Mère de Jésus se trouvait avec Jésus lui-même, ainsi que ses disciples, qu'on y avait aussi conviés. Pendant le repas, le vin venant à manquer, la Mère de Jésus dit à son Fils : Ils n'ont point de vin. » Ces paroles sont une preuve bien touchante de la grande bonté de Marie, qui, par charité pour le prochain, fait d'elle-même cette demande à Jésus; elles montrent comme elle veille toujours sur nos besoins, et comme elle a connaissance de la bonne volonté de son Fils, qui ne lui refuse rien de ce qu'il sait lui être agréable. Ils n'ont point de vin, c'était comme si elle eût dit à Jésus : « Ayez compassion de ces pauvres époux; pour moi, si j'avais comme vous le pouvoir de créer ce qui leur manque, je le leur procurerais de grand coeur. » Elle lui demande donc un vrai miracle, quoiqu'elle sache très-bien que Jésus n'en ait encore opéré aucun, et que même le moment marqué dans les décrets de Dieu le Père pour faire éclater la puissance de son Fils ne soit pas arrivé. C'est ce que Jésus-Christ déclare dans la réponse qu'il lui fait.
Qu'y a-t-il à vous et à moi, c'est-à-dire de (190) puissance, pour faire ce que vous désirez; car mon heure d'opérer des miracles n’est pas encore arrivée (1)? Les paroles de Notre-Seigneur supposent , en effet, d'après le génie des langues anciennes, la prétérition du mot puissance ou pouvoir, qu'il faut y sous-entendre , pour en avoir le sens complet. C'était comme s'il eût répondu à la très-sainte Vierge : « Ni vous, ni moi comme homme, ne pouvons donner ni opérer par nous-mêmes le bien que vous voulez que je fasse. Tout vient de Dieu le Père, qui veut faire toutes choses par nous, comme par des organes et des racines qui doivent puiser en lui leur sève et leur vie. Vous ne pourriez rien que par moi; et moi j'ai les mains liées, jusqu'à ce que le moment de mon Père soit venu. Notre-Seigneur, en effet, comme Dieu et comme homme, ne peut rien qu'en union avec son Père (2).
1. S. Jean, chap. 11, vers. 4.
2. Ces paroles du Sauveur : Quid mihi et tibi est, mulier ? Nondum venit hora mea, peuvent avoir plusieurs sens comme beaucoup d’autres endroits de l’Écriture. Quelques interprètes ont traduit ainsi, d’après une réponse faite par saint Augustin à des hérétiques de son temps : Qu’y a-t-il de commun entre vous et moi ? Notre-Seigneur considérant que le miracle que lui demandait sa sainte Mère ne pouvait être que l’œuvre de la Divinité, il aurait dit que, comme Dieu, il n’avait point de Mère, ni rien de commun avec marie. D’autres interprètes ont supposé, avec saint Jean Chrysostome, que Notre-Seigneur avait voulu dire : « Que nous importe, à vous et à moi, si les convives vont manquer de vin? Attendez qu'ils n'en aient plus du tout, alors je ferai ce que vous désirez : le miracle en sera plus éclatant, et leur sera a à eux plus agréable. »
D'autres enfin ont pensé que la sainte Vierge en demandant le changement de l’eau en vin, qui devait manifester aux Apôtre la divinité de son Fils, lui demandait dans un sens plus relevé la substitution de la loi de grâce, figurée par le vin, à la loi ancienne, figurée par l’eau. Jésus-Christ: aurait répondu : « Pourquoi me faites-vous cette demande ? le temps où je dois substituer la vérité aux figures, la grâce à la loi, n’est point venu encore, puisque ce n'est que par ma mort et ma résurrection que je dois vous procurer ce bienfait. » Saint Gaudens dit dans ce sens : « Quid mihi et tibi est ? Nondum venit hora mea; non mihi videtur ista responsio ad illam suggestionem Mariae sensibilter convenire, nisi in mysterio locutus esse spiritualiter Dominus dicatur. Ut, quoniam vinum Spiritus sancti, ante passíonem Christi, ac resurrectionem, gentibus dari non poterat (Evangelista testante: Nondum erat Spiritus datus, quia Jesus nondum fuerat glorificatus), merito tunc inter initia signorum, Matri responderit : Quid mihi et tibi est mulier? Nondum venit hora mea; tanquam si diceret: Quid tam propterea est tua, o mulier! suggestio, cum hora passionis meae non advenerit, qua, perfectis omnibus…, pro vita credentium mori disposui? Post passionem resurrectionemque meam, cum ad Patrem rediero, tant eis donabitur vinum Spiritus sancti. Quapropter, et ipsa beatissima, agnito responsionis hujus profundo mysterio, itellexit, non sugestionem suam aspernanter acceptam, sed secundum illam spiritalem rationem, in mysterio, tunc dilatam. » (S. Gaudentii, Brixiens. Épisc. De lectione Evang., tract. I, Brixoe, ed. 1738.)
On voit par là que les paroles de Notre-Seigneur sont susceptibles de plusieurs sens; celui que leur donne ici M. Olier répond aux sentiments de Notre-Seigneur pour sa Mère ; il est très-honorable à la sainte Vierge.
Comme Dieu , il n'est avec lui qu'une seule puissance; comme homme, il reçoit à tout moment de la Divinité la lumière, le mouvement et la puissance d'agir; et, par conséquent, il les reçoit du Père, avec dépendance de lui pour agir dans les moments qu'il lui marque. Hors de ces moments , il ne fait rien. et demeure dans l'attente de ses volontés divines (1).
1. S. Irenoei,Adv. Hoeres., lib. III, cap. XVI, num. 7. Praecognita sunt omnia a Patre, perficiuntur autem a Filio, sicut congruum, et consequens est, apto tempore. Propter hoc, properante Maria, ad admirabile vini signum, et ante tempus, Dominus dixit : Quid mihi et tibi est, minier? Nondum venit horam mea, expectans eam horam quae est a Patre praefinita.
III
A l'heure même, la très-sainte Vierge, qui, par la vue continuelle qu'elle avait de Dieu, voyait en lui mille choses secrètes, connut en sa contemplation que le miracle qu'elle désirait allait être opéré, à la considération de la demande qu'elle venait de faire: et, voyant clairement les dispositions de Jésus-Christ à son égard, non moins que ce qui devait arriver, elle dit incontinent aux serviteurs des noces, pour les préparer à l'ordre qu'ils allaient recevoir de Jésus-Christ: Faites en confiance tout ce qu'il vous dira de faire. Il y avait là six grandes urnes de pierre, destinées aux purifications en usage chez les Juifs, dont chacune contenait deux ou trois mesures. Jésus, sachant donc que le moment des desseins de son Père était venu, dit incontinent aux serviteurs : « Remplissez d'eau toutes ces urnes; » et, ils les remplirent jusqu'à leur ouverture. C'était comme s'il eût dit à Marie : « Maintenant que le moment est venu, ô ma Mère, je vais produire ce que vous demandez. » En effet, la vertu de l'Esprit de Dieu, qui résidait en lui, ayant opéré à l'instant le miracle du changement de cette eau en vin, Notre-Seigneur dit aux serviteurs : (193) Maintenant que l'heure dans laquelle mon Père voulait opérer par moi ce prodige est venue, maintenant puisez dans ces urnes, et portez-en au maître d'hôtel.
Les serviteurs lui en portèrent; mais quand celui-ci eut goûté cette eau changée en vin, ne sachant d'où ce vin était venu, il appela l'époux et lui dit: « Tout le monde sert d'abord le bon vin et ensuite celui qui est de moindre qualité; pour vous, vous avez réservé le meilleur jusqu'à cette heure. Ce fut là, conclut l'Évangéliste, le premier des miracles de Jésus; par là, il fit éclater sa puissance divine, et ses disciples crurent en lui. » Ce changement dans les disciples était l'un des effets surnaturels que la très-sainte Vierge désirait d'obtenir; et ce miracle de l'eau changée en vin est donc une preuve éclatante de sa sollicitude pour le salut du monde entier. Car de même que saint Jean-Baptiste, envoyé de Dieu, afin que par lui tous crussent en Jésus-Christ, avait reçu la foi par le ministère de Marie au jour de la Visitation; ainsi, à l'occasion de la demande qu'elle fait ici à Jésus, les apôtres reçoivent l'accroissement de cette foi qu'ils doivent porter chez les gentils et par toute la terre; et de cette sorte à Cana, aussi bien que dans la Visitation, Marie est l'instrument et la mère de notre foi. Ajoutons que, dans cette circonstance, elle obtient de plus pour l'Église future l'institution de la divine Eucharistie (1).
1. « Qui n'admirera, dit Bossuet, que Jésus n'ait voulu faire son premier miracle qu'à la prière de la sainte Vierge? Ce miracle en cela différent des autres: miracle pour une chose non nécessaire. Quelle grande nécessite qu'il y eût du vin dans ce banquet.? Marie le désire, c'est assez. Qui ne sera étonné de voir qu'elle n'intervient que dans celui-ci, qui est suivi aussitôt d'une image si expresse de la justification des pécheurs? Cela s’est-il fait par une rencontre fortuite? Ou plutôt ne voyez-vous pas que le Saint-Esprit a eu dessein de nous faire entendre ce que remarque saint Augustin : Que la Vierge incomparable, étant Mère de notre chef selon la chair, a dû être selon l'esprit la Mère de tous ses membres, en coopérant par sa charité à la naissance spirituelle des enfants de Dieu. La justification est représentée dans les noces de Cana en la personne des Apôtres. Car écoutez les paroles de l'Évangéliste : Jésus changea l'eau en vin : Ce fut là le premier des miracles de Jésus qui fut fait à Cana en Galilée; et il fit paraître se gloire, et ses disciples crurent en. lui. Les Apôtres étaient déjà appelés, mais il ne croyaient pas encore assez vivement pour être justifiés. Vous savez que la justification est attribuée à la foi (Rom., IV, 5), non qu'elle suffise toute seule, mai. parce qu'elle. est le premier principe; et, comme dit le saint Concile de Trente, la racine de toute grâce. Ainsi le texte sacré ne pouvait nous exprimer en termes plus clairs la grâce justifiante; mais il ne pouvait non il plus nous mieux expliquer la part qu'a eue la divine Vierge à ce merveilleux ouvrage. » (Ier Sermon sur la Dévotion à la sainte Vierge.)
Marie était elle-même le membre le plus auguste de cette Église, et elle en possédait déjà toutes les grâces et toutes les vertus. D'avance elle rendait à Jésus, comme il a été dit, les hommages qu'il devait recevoir un jour de l'Église, dont elle tenait ainsi la place, et qu’elle représentait à ses yeux; et dans cette circonstance, elle parle et agit au nom de l'Église elle-même. Voilà pourquoi aux noces de Cana, non moins que sur le Calvaire, elle semble perdre sa qualité de mère, et Jésus-Christ, qui la considère comme si elle était l'Église en personne, s'abstient de la nommer sa Mère; il lui donne le nom de femme, l'Église, au nom de laquelle elle agit, étant nommée femme dans les Écritures.
Si Marie demande donc le changement de l'eau en vin, c'est qu'éclairée sur les desseins de Dieu, et contemplant dans la lumière divine le mystère sublime que les noces de Cana figuraient, c'est-à-dire l'assemblée des chrétiens, elle sollicite en leur faveur l'institution de la sainte Eucharistie comme le moyen le plus puissant pour fortifier leur faiblesse après que Jésus-Christ sera remonté aux cieux. C'est ce qu'elle dit au coeur de son Fils par ces paroles mystérieuses qui montrent sa. grande charité et sa tendre compassion pour nous : Ils n'ont point de vin (1). Ce fut, en effet, le motif signifié par ces mêmes paroles qui porta Jésus-Christ à laisser à l'Église ce sacrement adorable, comme il nous l'apprend lui-même dans le miracle de la multiplication des pains, autre figure de l'Eucharistie : « J'ai compassion de ce peuple qui demeure continuellement avec moi; ils n'ont rien à manger, et je ne veux
1. S. Irenoei, lib III. cap. Adver. Hoeres, cap. XVI, num. 7. Properante Maria ad admirabile vini signum, et ante tempus, volente participare compendii poculo, Dominius dixit : Nondu venir hora mea.
S. Gaudentii-Brixiensis Episc; haec ergo Mater Domini; generatio Patriarcharum et Prophetarum, (per Mariam figuraliter expressa), intercessit pro nobis, gentibus apud, aeternum Filium Dei, et suum secundum carnem nutum; ut donaret nobis indigentibus coelestis vini laetitiam. (De lectione Ev., tract. I.)
pas les renvoyer ainsi, de peur, ajoute-t-il, que dans le chemin ils ne tombent en défaillance (1) »
1. Pour préparer les esprits au mystère de la sainte Communion, et en même temps à tous les autres mystères qu'elle renferme, « Jésus-Christ, dit M. Olier, multiplie les pains dans le désert en présence des peuples, afin de figurer la multiplication du très-saint Sacrement par lequel il donnerait son corps à l'Église sous l'apparence du pain; et avec une telle abondance, une telle largesse, une telle bénédiction que, quoiqu'il dût se donner tout entier à chacun, il se laisserait encore tout entier entre les mains de son Église. Pour cela, après que les peuples se sont rassasiés, il laisse plus de pain qu'il n'en avait trouvé avant la multiplication: figurant, par les douze corbeilles qu'il en reste, la largesse avec laquelle il donnera son corps à son Église, qui, dans la personne de ses ministres, demeurera héritière des douze corbeilles, c'est-à-dire des douze Apôtres, ou plutôt le pouvoir de produire et de multiplier son corps qu'il leur conférera et qu'ils transmettront après eux.
Aussi, après avoir fait le miracle dont nous parlons, promet-il aux peuples de leur donner son corps en nourriture sous l'attrait du pain qu'il vient de multiplier. Voyant qu'ils étaient venus le rejoindre pour être rassasiés de nouveau, il leur parle du pain des Anges, de la manne descendue du Ciel, comme d'une figure de la Communion à laquelle il voulait les disposer.
IV
Pour le toucher plus efficacement, Marie, qui renferme toute la perfection de l'Église future, se considérant elle-même comme membre de l'Église, allègue ici à Jésus ses propres besoins par ces paroles : Ils n'ont point de vin. Elle lui demande pour elle-même l'institution de cet adorable sacrement, de ce vrai pain de vie, et le conjure de ne pas la laisser sur la terre sans ce soulagement après qu'il sera remonté aux cieux. Lors donc que Jésus-Christ opère avec tant de bonté et d'empressement le miracle de Cana à la seule demande de sa Mère, son intention est de nous montrer qu'il n'a accordé à son Église l'auguste sacrement, figuré par le changement de l'eau en vin, que conséquemment aux désirs de Marie, et que par l'empire d'amour qu'elle exerce sur son coeur, elle dispose à son gré de sa puissance divine en faveur des hommes (1).
1. Plusieurs théologiens ont parlé dans le même sens que M. Olier, de la part que la sainte Vierge a eue à l'institution de la divine Eucharistie. On trouve aussi cette doctrine dans des anciens. Saint Éphrem tient même que, dès la naissance de Jésus-Christ, Marie demanda au Sauveur, pour l'Église, ce Sacrement, afin qu'il le rendît présent aux chrétiens dans toute la suite des âges. Nous allons rapporter ici les paroles qu'il met dans la bouche de Marie, s'adressant à Jésus naissant. Il y suppose qu'elle jouissait en deux manières de la vue de Jésus extérieurement, par la présence de la sainte humanité qui frappait ses yeux; intérieurement, par la présence de l'esprit de Jésus qui éclairait et remplissait son âme; et il ajoute qu'elle demandait à Jésus de se laisser à l'Église dans la sainte Eucharistie, afin que les fidèles qui jouiraient intérieurement du bienfait de sa présence spirituelle, le vissent aussi extérieurement dans le très-saint Sacrement par la foi; et qu'ainsi l'Église le vit de deux manières comme elle-même le voyait.
S. Ephrem. Syriace in Natalem Domini, serin. XI, tom. II, p. 429. Equidem, quem ipsa amo, omnes homines sibi habeant. Mihi fortasse soli in duabus formis decorem tuum ostendisti tuam oro imaginem repraesentet panis ac mens! Morare in pane, et in comedentibus illum. In utroque objecto, manifesto atque occulto, videat te, ut Mater, sic Ecclesia tua... Compares sunt, absens qui panem desideravit tuum, et praesens qui amavit formam tuam : in pane et in corpore viderunt te primi et novissimi. Attamen, conspicuus panic, Nate, tuus, aliquatenus pretiosior est, quam corpus tuum. Illud namque viderunt etiam infideles, panem tuum .vivum, non item; quocirca latitati suut absentes, qúoniam ipsorum sors sortèm praesentium superavit.
Biblia Mariana per fr. Joseph, de S. Miguel et Barco Burgensem, in-folio 1749, p. 352. Non erit abs re inquirere an ob ipsam peculiarius instituta fueri Eucharistia. Sacram Eucharistiam, ait Salazar in cap. IX Proverb, vers. 4, propter Mariam institutam fuisse; ut scilicet post Christi passionem, moras suae beatitudinis, hac esca confirmata, facilius ferre posset. (P. Silveira hic., q. 19. )
Bartholomoei de Los Rios de Hierarchia Mariana, lib. IV, p. 380. An putas cor illud amantissimum optimi Filii ac Sponsi dilectissimi, et supra omnem Charitatem diligentis, non vehementissime affectum fuisse, quando Matrem et sponsam orbam et viduam relinquebat? Eo tandem devenisse, ut sui absentes Matri exhiberet praesentiam, remaneretque sub vini et panis speciebus realiter cum illa, qui vere in coelos ascendebat, et mondo visibile suam subtrahebat praesentiam. Instituebat nimirum convivium, quotidie cum Matre sua epulaturus, cujus nos deinde fructum tanquam mancipia et servi, commedentes micas tam lautas, ex mensa Dominae nostrae, etiam perciperemus , adeo ut vere dici possit propter Mariam epulas has Ecclesiae datas , forte nulla ratione dandas, nisi ipsa sit consolanda fuisset.
B. Petrus Damianus, serm. XLV, in Nativ. B. Virg. Nullus ergo humanus sermo in laude ejus invenitur idoneus, de qua Mediator Dei et hominum cognoscitur nearnatus. Impar est illi omise humanae linguae praeconium, quae de intemeratae amis suae visceribus cibum nobis protulit animarum : illum videlicet, qui de semetipso perhibet dicens : Ego suum panis vives, qui de coelo descendi: si quis ex hoc pane manducaverit, vivet in aeternum. Per cibum namque a Paradisi sumus amoenitate dejecti, per cibum quoque ad Paradisi gaudia reparati. Cibum comedit Heva, per quem nos aeterni jejunii fame mulctavit : cibum Maria edidit qui nobis coelestis convivii aditum patefecit.
O aimable Mère ! sainte Maîtresse ! c'est donc vous qui avez servi d'occasion à Jésus-Christ de se donner à nous dans le sacrement de son amour. Voyant qu'après sa retraite dans les cieux, vous (199) deviez être privée de celui sans lequel vous n'auriez pu vivre, il s'est renfermé tout entier, pour votre amour, dans un mystère; afin de vous être toujours présent; et c'est à votre considération que l’Eglise jouit elle-même d'une faveur si ineffable. Voyant en vous toutes les beautés et toutes les perfections de l’Église, et incomparablement davantage, Jésus, épris d'amour pour vous, nous a ainsi aimés dans votre personne. Il communie l'Église à son corps et à son sang comme si elle était sa Mère, et se donne à elle avec le même amour.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Jésus est dans l'Eucharistie l'aliment qui nous nourrit; Marie est comme l'arbre qui a produit cet aliment céleste. De même que, dans l'arbre, le fruit est le produit naturel de la sève, laquelle prend cette forme et cette qualité de fruit, et devient par là propre à nous nourrir; ainsi, dans la sainte Eucharistie, le corps de Jésus-Christ est le produit de la fécondité de Marie, qui l'a formé de sa propre substance.
Sans doute c'est Jésus-Christ qui nous donne lui-même ce fruit de la vie éternelle, comme c'est Adam, et non pas Ève, qui nous a communiqué à torrs le fruit de mort. Mais c’est des mains d'Ève qu'Adam (200) le reçut: La femme que vous m'avez donnée, dit-il à Dieu, m'a donné de ce fruit; et Marie, à son tour, a fourni à Jésus le fruit que lui-même nous transmet. Ève pressa Adam, elle le sollicita et l'entraîna à manger de ce fruit, et par là nous le communiqua à tous; et de même Marie, par ses prières, par ses instances, si puissantes sur le cœur de son Fils, a obtenu pour nous ce véritable aliment de vie.
Quelles actions de grâces n'avez-vous donc pas à rendre à cette divine Mère? Comment pourrez-vous lui témoigner assez votre reconnaissance pour un si ineffable bienfait? Hélas ! que votre vie serait triste, qu'elle serait languissante, si Jésus-Christ n'eût pas laissé à son Église ce divin témoignage de son amour! Ce pain céleste n'est-il pas la joie des véritables chrétiens, leur soutien, leur force, leur bonheur unique sur la terre, puisqu'en introduisant Jésus-Christ dans leurs âmes, il leur fait posséder déjà toutes les délices des bienheureux, tous les trésors du ciel ? Marie envisageait et sentait vivement combien le défaut d'un tel bienfait répandrait de tristesse sur notre vie, combien cette privation laisserait de faiblesse et de langueur dans nos âmes, combien elle nous exposerait à des chutes funestes. Voilà pourquoi elle dit à Jésus ces touchantes paroles : Ils n'ont point de vin. Ils n'ont point ce vin céleste qui engendre les vierges, ce froment des élus que vous pouvez leur procurer en vous donnant vous-même à eux comme un divin aliment.
La reconnaissance que Marie attend de votre cœur, et que déjà elle se promettait lorsqu'elle faisait pour (201) vous cette demande, elle l'a exprimée par ce peu de paroles adressées aux serviteurs des noces de Cana Faites tout ce que vous dira Jésus. L'obéissance parfaite à la volonté de Jésus renferme, en effet, tous vos devoirs, puisque cette obéissance n'est pas distinguée, au fond, de l'amour que vous devez à cet adorable Maître. Obéir parfaitement à Jésus, qu'est-ce autre chose qu'aimer la volonté de Jésus, aimer les désirs de Jésus, aimer le bon plaisir de Jésus, aimer la personne sacrée de Jésus? Plus l'amour est ardent, plus il se soumet avec affection, avec sincérité, avec bonheur à la personne qu'il aime; et il s'attache à elle d'autant plus étroitement, il lui demeure uni d'autant plus fortement, il s'identifie avec elle d'autant plus réellement, qu'il lui obéit avec une fidélité plus constante, plus universelle, plus exacte, plus délicate, plus pure, plus parfaite. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, dans l'Évangile, dit: Si vous m'aimez, gardez mes commandements; et encore: Ce n'est pas celui qui dit : Seigneur, Seigneur, qui entrera au royaume de Dieu, mais celui qui fait la volonté de mon Père céleste (1).
Proposez-vous donc, par une fidélité constante à la grâce, de ne rien négliger de tout ce que Jésus demande de vous dans l'état auquel il vous a appelé. Que la pratique de la charité et de la douceur envers tous, surtout envers les personnes dont le caractère ou les manières vous fournissent plus d'occasions de vous exercer au renoncement chrétien; que la fidélité à étouffer dans votre cœur tout sentiment d'orgueil et d'estime de vous-même; que l'exactitude parfaite et religieuse à tous vos devoirs d'état soient donc les moyens ordinaires que vous employiez pour vous préparer à la sainte communion, et le fruit que vous vous efforciez toujours de trouver dans cette manne céleste.
1. Jean, chap. XIV, 15; Matth., chap. VII, 21.
Alors vous pourrez vous approcher de Jésus avec une humble et entière confiance, parce que vous ressemblerez à celle qui ne fut la plus parfaite de ses servantes, que parce qu'elle se montra toujours la plus affectionnée à ses divines volontés.
CHAPITRE XI. INSTITUTION DE L’ADORABLE SACREMENT DE L’EUCHARISTIE.
Dans les sacrifices de l'ancienne toi on distinguait, comme nous l'avons dit, quatre parties : l'oblation, l'immolation, la conflagration ou consommation, et enfin la communion. Ces quatre parties figuraient les principales circonstances extérieures du sacrifice de Jésus-Christ. L'oblation exprimait sa Présentation au temple; l'immolation, son sacrifice sanglant sur le Calvaire; la conflagration, sa résurrection glorieuse; la communion indiquait, soit le mystère de l'Ascension, par lequel Jésus-Christ devait être reçu dans le sein de son Père, soit la sainte Eucharistie, qui nous fournirait à nous-mêmes le moyen de communier à l'hostie immolée. Voyant donc que l'heure si désirée de l'institution du sacrifice Eucharistique était enfin venue, Jésus se mit à table avec ses douze (204) apôtres, et leur dit : « J'ai désiré avec une ardeur non pareille de manger cette Pâque en votre compagnie; j'ai pris tous mes repas en esprit de préparation à ce sacrifice, par lequel je dois me mettre comme une hostie de louange entre les mains des hommes, pour être perpétuellement dans l'Église, appliqué non-seulement à louer Dieu en ma personne, mais à exciter tout le monde à le louer, en remplissant les coeurs de tous les chrétiens de mes sentiments d'adoration, de louange et d'action de grâces envers mon Père. » Jésus prenant ensuite du pain, le bénit, le rompit, et le donna à ses disciples en leur disant: Prenez et mangez, car ceci est mon corps qui sera livré pour vous. Pareillement, ayant pris le calice, il dit : Prenez et buvez-en, ceci est mon sang du nouveau Testament qui sera répandu pour le salut de plusieurs (1).
Selon l'ordre commun du sacrifice, avant d'être donnée en communion, il fallait que l'hostie fût immolée, et que la portion mise sur l'autel eût été consumée par le feu. L'Eucharistie, qui devait reproduire Notre-Seigneur consommé dans la gloire de son Père, n'aurait donc dû être établie qu'après son immolation et sa résurrection, et même après son Ascension dans le ciel, Il voulut néanmoins anticiper ce temps pour beaucoup de raisons dignes de sa sagesse.
1. Matth., chap. XXVI, 26; Marc, chap. XIV, 22; Luc, chap. XXII,19.
La très-sainte Vierge ne fut point présente à l'institution de l'Eucharistie, quoiqu'elle eût été donnée à Notre-Seigneur pour l'accompagner dans toutes les circonstances de son sacrifice et y tenir la place de l'Église (1). Elle en avait déjà sollicité et obtenu d'avance le bienfait pour l'Église aux noces de Cana. Possédant la grâce invisible des apôtres et des prêtres, comprise éminemment dans la plénitude de tous les dons que le Saint-Esprit avait versés en elle, Marie n'avait point à recevoir, comme les apôtres, le pouvoir d'offrir Jésus-Christ extérieurement sous les espèces du pain et du vin : pouvoir qui est réservé aux hommes seuls. L'hostie de ce divin sacrifice, c'est-à-dire le corps de Notre-Seigneur, appartenait d'ailleurs à Marie, qui l'avait produit de son propre fond; et, comme telle, elle devait l'offrir, non sous les voiles du sacrement, mais dans sa forme humaine, en consentant le lendemain à son immolation sur le Calvaire, comme déjà elle avait fait publiquement dans le temple, au jour de son oblation.
1. Georgii Metropolit. Nicomediens. Orationes. Biblioth. Patr., tom. XII, p. 712. Quia ergo Filium videbat ad salutarem passionem, ne ad breve quidem tempus ab eo disjungi ferebat : quamobrem cum ubique sequeretur, nec cum celebrata sunt mysteria, defuit : non ita ut recubuerit cum duodecim, sed ut ejusdem cum eis tecti particeps fuerit. Ipse quidem, quoniam festinabat discipulis mysteria tradere, ac altae humilitatis exempla praebere, solos secum duodecim fecit recumbere.
De Oruatu et vestibus Araonis, a Didaco del Castillo et Artiga, in-folio 1861, p. 375. Notatu dignum est Mariam abfuisse a coenaculo, in quo Christus augustissimum Eucharistiae Sacramentum instituit. Neminem legi, qui asserat Mariani tunc huic institutioni adfuisse.
II
Si la sainte Vierge n'offre point extérieurement ce mystère sous les espèces sacramentelles, comme l'offrent les apôtres et les prêtres dans l'Église, elle le fait d'une autre manière, sortable à son état, à sa qualité et à sa condition de Mère de Dieu. Elle l'offre intérieurement par cet esprit universel et cette plénitude de grâces dont Jésus-Christ, toujours présent en elle, l'avait remplie. De cette sorte, elle se trouva réellement présente à l'institution de la Cène, quoique absente de corps. Dans une circonstance si solennelle où Jésus voulait donner à son Église la dernière marque de sa dilection, Marie, en qui il voyait et aimait toute l'Église, était tellement présente à son esprit et à son coeur, que ce fut pour l'amour d'elle et à sa considération personnelle qu'il institua l'Eucharistie, ainsi qu'on l'a dit déjà; et même, en faisant reposer saint Jean sur sa poitrine sacrée, à la Cène, il voulut par là témoigner encore plus d'amour à Marie, comme nous allons l'expliquer.
Si, durant sa vie, Jésus avait fait paraître plus d'affection pour saint Jean que pour aucun autre de ses apôtres, c'était, en effet, à cause de l'amour qu'il portait à sa sainte Mère. Pensant à la privation qu'elle ressentirait lorsque, par son Ascension, il aurait quitté la terre pour rentrer dans le sein de son Père éternel, il voulut s'unir plus intimement ce (207) bienheureux disciple, et le transformer en quelque sorte en sa propre personne, afin de ne pas cesser de témoigner son amour à Marie lorsqu'il serait remonté aux cieux. Sans cela, elle eût été inconsolable, quoique résignée à la sainte volonté de Dieu, après la privation extérieure de la personne. de son divin Fils. Jésus-Christ voulut donc, pour se survivre ainsi à soi-même dans ce disciple bien-aimé, le faire participer plus abondamment à sa vie intérieure dans l'institution de la sainte Eucharistie.
Voilà pourquoi il fait approcher Jean et reposer sur sa poitrine, voulant montrer sensiblement par là les effets excellents qu'il opérait en lui.
Le moment de l'institution de la Cène était le temps où Jésus-Christ voulait montrer à ses apôtres son amour extrême, comme saint Jean nous l'apprend lui-même : In finem dilexit eos. Combien plus voulait-il le témoigner à sa Mère, qui lui était plus chère que toute l'Église ensemble, et à l'occasion de laquelle il établissait ce sacrement? Si, pour le commun des fidèles, il a changé dans cette circonstance la substance et l'intérieur du pain en son propre corps, pourquoi, à la considération de sà divine Mère, n'aurait-il pas changé l’intérieur d'un homme en lui-même : non pas, salas. doute, en changeant l'âme de saint Jean, mais est la revêtant des dispositions et des sentiments de sa propre personne ressuscitée. Dans son repos. sacré sur le sein de Jésus, saint Jean reçut la communication de cette vie divine; Jésus-Christ se répandit comme une fontaine en ce disciple bien-aimé, le remplissant d'une vie semblable (208) à la sienne (1); en sorte que, portant en lui-même la vie divine de Jésus-Christ, saint Jean pût le tenir présent à la très-sainte Vierge lorsque le divin Fils luï aurait été dérobé par sa retraite dans les cieux.
En vertu de cette transformation spirituelle, saint Jean fut fait enfant de Marie et rempli de l'amour dont son Fils était possédé pour elle. Le Verbe incarné l'éclaira, selon saint Jérôme, de l'amour éternel qu'il portait à son Père; et en même temps, il l'instruisit de l'amour admirable qu'il avait pour sa Mère. Il lui fit connaître qu'en lui il voulait être toutes choses à Marie, et que la bienséance n'ayant pu lui permettre de faire paraître en sa propre personne ses sentiments pour elle, il les ferait paraître en lui. En effet, sa qualité de Messie l'avait empêché de lui rendre publiquement les témoignages d'amour et les services que son coeur désirait, s'étant même abstenu souvent de la nommer sa mère, et de montrer pour elle tout le respect et toute la charité dont son coeur était
1. S. Greg. Nyssen. Homil. I in Cantic.. Verbi amavit ubera, qui supra pectus recubuit, et veluti quamdam spongiam cor suum apposuit fonti vitae, et infallibiliter repletus mysteriis Christi, nobis quoque exhibet mamillam a Verbo impletam, nosque bonis, quae ei a fonte sunt indita implet.
S. Augustin. Tract in Joan. XXXVI; de cons. Evangelistarum, lib. I, cap. IV. Non sine causa de illo narratur, quod in convivio supra pectus Domini recumbebat. De illo ergo pectore in secreto biberat, sed quod in secreto bibit, manifeste eructavit, ut perveniat ad omnes Gentes, non solum Incarnatio Filii Dei, Passio et Resurrectio, sed etiam quod erat ante incarnationem.
... Tanquam qui de pectore ipsius Domini, super quod discumbere in ejus convivio solitus erat, secretum divinitatis ejus uberius et quodam modo familiarius biberit.
rempli; il veut, en empruntant l'extérieur de ce bien-aimé disciple, prendre pour Marie toutes les qualités que le respect et la tendresse sont capables de former dans son coeur; il devient son serviteur, son fils, son frère, son père; en un mot, tout ce que Notre-Seigneur était intérieurement envers elle, il le montre dans l'extérieur et dans la personne de saint Jean.
Je ne m'étonne pas s'il repose sur le .coeur de Jésus son maître; car son âme est enivrée du doux sommeil de l'amour et du transport en Dieu. Ce sommeil exprime mystérieusement la mort à la vie propre, qui s'opère alors en lui, comme son repos sur la poitrine de Jésus semble dire qu'il ne vit plus en lui-même, qu'il vit en Jésus-Christ ressuscité; et que par cette divine consommation il est entré en lui pour occuper sa place auprès de la sainte Vierge.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
La joie de Marie sur la terre, l'unique sujet de consolation qu'elle pût avoir au milieu de tant de pécheurs parmi lesquels elle vivait, c'était la présence de Jésus, dont la société était seule un paradis pour elle. Afin de lui continuer ce bonheur, même après l'Ascension, Jésus-Christ substitua saint Jean (210) à sa place. La bonté divine voulut de plus que cette sainte Mère eût sans cesse devant les yeux le spectacle de Jésus-Christ son Fils, se survivant à lui-même dans les vrais chrétiens. C'est pourquoi, en instituant l'Eucharistie, Jésus-Christ eut dessein d'étendre à tous les fidèles la grâce qu'il faisait à saint Jean, sinon en se communiquant à eux avec la même plénitude, du moins en les animant comme lui de, ses dispositions de religion envers son Père, de sa tendre affection envers sa Mère, et de sa charité pure envers le prochain. Voilà ce que doit produire dans leurs coeurs le sacrement de la divine Eucharistie, qui, est leur véritable aliment : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, dit Jésus-Christ, il demeure en moi et je demeure en lui. Comme mon Père, qui est vivant par lui-même, m'a envoyé, et que je vis; par mon Père, de sa propre vie qu'il me communique, ainsi celui qui me mange vivra par moi, de ma vie que je lui communiquerai (1); cette vie qu'il nous communique ainsi par ce sacrement, étant la même qu'il a versée dans l'âme de saint Jean à la Cène.
Par l'Incarnation, le Fils de Dieu avait pris une vie pure et innocente, mais semblable à notre vie, issue d'Adam, laquelle pour cela le rendait sujet aux misères, aux douleurs et, à tout ce qui était compatible avec la dignité de sa personne adorable. Cette première vie, il l'a offerte à Dieu son Père sur la croix, pour nous délivrer de la mort éternelle. Il
1. Jean, chap. VI, 57, 58.
l'a sacrifiée et l'a quittée pour ne plus la reprendre, et. en récompensa il a reçu comme homme, dans sa résurrection, une vie nouvelle, une vie glorieuse,. qui est proprement celle qu'il nous communique par la sainte Eucharistie. Ce n'est pas à dire que l'Eucharistie doive nous exempter de la mort corporelle, à laquelle nous avons tous été condamnés en Adam au lieu de fortifier en nous la foi, elle la détruirait,: si elle produisait de tels effets dans nos corps; mais elle nous préserve de la mort spirituelle, c'est-à-dire du péché, si nous. voulons conserver cette vie divine; et, de plus, elle devient pour nous un gage certain de la gloire dont nos corps seront revêtus; au jour de la résurrection. Aussi Notre-Seigneur, parlant des effets de l'Eucharistie dans l’Évangile, répète-t-il, jusqu'à quatre fois que celui qui mange sa chair, il le ressuscitera au dernier jour.
Un chrétien qui, vit conformément à la sainteté de sa vocation,: représente Jésus-Christ vivant sur la terre, et il réjouit d'autant plus: le coeur de, Marie, qu'il retrace plus parfaitement à ses yeux la vie de son divin Fils. Quelle satisfaction ne procureriez-vous pas, à cette sainte Mère, si vous formiez vos sentiments sur ceux de Jésus-Christ ressuscité? Après sa sortie du tombeau, il soupirait sans cesse vers le moment où il pourrait remonter à son Père; il était dans un parfait dégagement de ce monde grossier, sans cesse occupé des moyens de procurer, par l'établissement de son Église sur la terre, la gloire de Dieu et le salut des hommes. C'était précisément la vie de saint Jean; et telle devrait être (212) aussi à proportion la vie des chrétiens, si la sainte Eucharistie produisait en eux les effets que Marie avait en vue en demandant pour nous à son divin Fils cette nourriture céleste, et que Jésus-Christ s'en promettait en l'instituant. Marie n'a pas de plus grand sujet de joie sur la terre que de voir des âmes qui retracent la vie de son divin Fils; elle prend ses complaisances dans ces âmes, à cause de la part qu'elles ont à l'esprit de Jésus. Elle les chérit, elle les protège, elle les bénit, elle les aime du même amour dont elle aime Jésus-Christ; car dans ces âmes c'est Jésus qu'elle aime, et si elle y aime quelque autre chose, c'est uniquement à cause de Jésus-Christ.
Par cette vie, qui est plus du ciel que de la terre, vous désirerez les choses du ciel, votre conversation sera dans le ciel; vous vivrez sans attache au monde, usant des choses d'ici-bas comme si vous n'en usiez point, comme vous usez de l'air et de la lumière, sans y affectionner votre coeur. Vous retracerez aux yeux de Marie la vie de saint Jean; vous ferez revivre en vous ce bien-aimé disciple, et vous contribuerez à justifier en votre propre personne ces paroles du Sauveur, que tous les justes doivent vérifier successivement dans toute la suite des siècles : Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne dans ma gloire (1).
1. Jean, chap. XXI, 22.
CHAPITR XII. MARIE AU CALVAIRE
I
Quoique Marie eût consenti à l'immolation de Jésus-Christ, en l'offrant extérieurement à Dieu dans le temple au jour de la Purification, il était nécessaire qu'elle fût présente à son immolation sanglante, soit pour témoigner de nouveau de son consentement, soit pour accomplir les desseins de Dieu, indiqués par la prophétie que lui avait faite le saint vieillard Siméon. Mais cette fois ce n'est plus au temple qu'elle doit se rendre, c'est hors de ce lieu et même hors de la ville sainte. Jérusalem, le siège de la vraie religion, figurait et rappelait aux hommes le paradis terrestre et le ciel, d'où ils se trouvaient exclus par le péché; et comme Adam était mort hors du paradis, que d'ailleurs rien de souillé n'a d'entrée dans le ciel, Jésus-Christ, qui (214) portait sur lui les crimes d'Adam et de tout le monde, devait être immolé hors de l'enceinte de cette ville. Voilà pourquoi, au milieu de la dispersion des apôtres, Marie, inébranlable dans la foi de Jésus-Christ et dans l'estime de sa grandeur, l'accompagne au Calvaire avec saint Jean. Elle se tient auprès de ta croix, et là Jésus , qui au temps de sa vie avait semblé ne reconnaître ni père ni mère, comme lorsqu'on lui dit : Votre mère et vos parents sont là (1), à sa mort reconnaît publiquement sa Mère en Marie. Du haut de sa croix, la voyant près de lui avec le disciple qu'il aimait, il lui dit ces paroles: Femme, voilà votre Fils; et à saint Jean : Voilà votre mère. Par ces paroles, voilà votre Fils, il semble dire à Marie : « Voilà une personne qui est pure, vierge et sainte, et qui pendant le reste de votre vie mortelle vous représentera quel je suis en vérité, et même quel je serai après ma résurrection, dans ma vie immortelle. Pour cela, la veille de ma mort, j'ai voulu qu'il reposât sur ma poitrine; je l'ai fait héritier de ma vie ressuscitée, que je lui ai communiquée d'avance, ainsi que de mon application intérieure à Dieu; il vous parlera donc continuellement de mes vérités, de mes lumières et de mon amour; et, vous représentant mon extérieur, il suppléera aux accidents du pain dans l'Eucharistie qui vous déroberont mes beautés extérieures. »
1. Matth., chap. XII, 46; Marc, chap. III, 32; Luc, chap. VIII, 20.
Comme les paroles de Jésus-Christ produisent ce qu'elles expriment, par celles-ci : Voilà votre Fils, la très-sainte Vierge reçut un coeur de mère pour saint Jean; et par celles-ci : Voilà votre Mère, saint Jean reçut un coeur d'enfant pour Marie, ainsi que le remarquent les docteurs (1).
1. S. Paulini. Nol. Opera, tom. 1, 1685; in-4°. Ecce mater tua. Jam scilicet ab humana fragilitate, qua erat natus ex femina, per crucis mortem demigrans in aeternitatem Dei, ut esset in gloria Dei Patris, delegat homini jura pietatis humanne... atque fili vicissim novum filium, vice corporis sui traderet, immo, ut ita dixerim, gigneret.
Arnoldi Carnuten. Abbat. Bonoe Vallis. Biblioth. Patr. tom. XXII, p. 1268. Vices filii naturalis filius accipit adoptivus, et transfunditur in ministrum filialis affectas : formaturque et firmatur in ambobus, pietatis unicae gratus concorsque amplexus, non ex traduce naturae, sed ex munere grade.
S. Thom. a Villanov., p. 728. Pendebat Christus in cruce, moriturus, disposuit testamentum electis suis : Patri spiritum, Ecclesiae corpus, Petro Ecclesiam. Quid vero, o dilecte ! legabo tibi, ait? Ecce mater tua ! hac omnium quae possideo charissima et pretiosissima gemina. hanc tibi trado, hanc dono. O magnum dilectionis indicium! suo loco apud Matrem substituit eum, et pro se in filium, Virgini reliquit eum. Huic gratiae, quid amplius addi potest? impressit in hoc verbo Dominus statim cordi virgineo amorem quemdam maternum, in Joannem fortiorem et ardentiorem, quam solent matribus natura tribuere. Visceribus etiam Apostoli reverentiam filialem in Virginem inseruit, qualem nullus filius natura habet in matrem.
B. Petri Damian., Serm. LXIV, de S. Joanne Ev.Illa verba : Mulier, ecce filius tuus : Ecce mater tua, prorsus efficacia sunt et divinis virtutibus fulta, atque inevitabilis veritatis auctoritate subnixa. Illud enim unicum Patris Verbum, quod in cruce pendebat, substantivum et consubstantiale Patri ac sempiternum est; atque idcirco verba, quoe locutus est, quia spiritus et vita sunt, inaniter transire non potuerunt. Coelum, inquit ipse Jesus, et terra transibunt, verba autem mea non transibunt. Sicut enim dixit Matri : Hic est filius tuus; ita dixit discipulis: Hoc est corpus meum; et tantus fuit in illis verbis effectus, ut illico panis ille quem dabat, Dominicum fieret corpus. Dixit enim, et omnia facta sunt; mandavit, et creata sunt. Ex quadam itaque similitudine, si dicere audeamus, et B. Joannes non solum filii potitus est nomine; sed propter verba illa Dominica, quoddam majus necessitudinis sacramentum, apud Virginem, meruit obtinere.
Ainsi, après avoir été sur le Calvaire semblable à l'ange confortant Notre-Seigneur au jardin des Oliviers, saint Jean devient l'ange visible de la très-sainte Vierge, dont il doit être le gardien et la protection, après la perte de son fils. En outre ces mêmes paroles , voilà votre fils, renfermaient pour nous un grand mystère, que nous avons à expliquer.
Dieu, voulant réformer le monde et faire une génération nouvelle, avait donné au genre humain un nouvel Adam dans la personne de Jésus-Christ. Or, pour être époux, Notre-Seigneur ne pouvait être seul. Il fallait qu'il eût une compagne, une aide; et comme Adam, dans le paradis terrestre, avait reçu Ève pour épouse, le Fils de Dieu devait recevoir sur le Calvaire l'Église pour la sienne. Toutefois, au temps de la passion du Sauveur, l'Église n'était point parvenue encore à l'âge nubile. Elle devait être d'abord la fille et devenir ensuite l'épouse de Jésus-Christ, comme Ève, figure expresse de l'Église, avait été la fille d'Adam, de qui elle fut tirée, et son épouse tout ensemble. Ainsi Jésus-Christ devait d'abord donner la vie à son Église, et l'ayant formée parfaite, comme Ève l'avait été, en faire aussitôt son épouse, afin de donner par elle des enfants à Dieu.
II
C'est dans la personne de la très-sainte Vierge que le Fils de Dieu reçoit l'Église pour épouse, car Marie en était le membre le plus auguste, et elle en possédait en éminence toutes les grâces et toutes les perfections, ainsi qu'il a été dit. Aussi sur le Calvaire, comme à Cana, Marie n'apparaît que comme épouse : Femme, voilà votre fils; comme aussi Jésus semble perdre sa qualité de fils, qu'il donne à saint Jean, pour prendre uniquement celle d'époux. Il ne la nomme donc pas sa mère, mais femme, parce qu'il s'adresse à l'Église elle-même dans la personne de Marie, comme, dans celle de saint Jean, il s'adresse à tous les chrétiens. Il faut savoir, en effet, que saint Jean, outre qu'il était à l'égard de Marie le substitut de Jésus-Christ ressuscité, à cause des dons magnifiques qu'il avait reçus à la Cène, figurait de plus tous les enfants que Jésus-Christ devait engendrer avec elle sur la croix, contenant en abrégé toutes les prérogatives de l'Église, en sa qualité de prophète, d'apôtre, d'évangéliste, de martyr, de confesseur, de vierge.
Marie paraît donc au Calvaire auprès de Jésus-Christ comme Ève dans le paradis terrestre auprès d'Adam, pour être la mère des croyants. Mais qu'elle y parait dans une condition différente de celle d'Ève ! Celle-ci se trouvait dans un lieu de (218) délices et de voluptés: le paradis terrestre, le séjour et la couche de l'innocence, où elle était dans l'extase et l'abondance de la joie; au lieu que la nouvelle Ève est mise avec le nouvel Adam, réparateur des pécheurs sur le Calvaire, dont Dieu le Père veut faire le lieu de leurs noces. Il les place dans le lieu des supplices, dans la demeure des criminels, dans un lieu de sang, de douleur et de délaissement, et par conséquent pour y souffrir et y être abîmés dans l'amertume. C'est, en effet, par sa pénitence, par son sang, par sa mort, que Jésus-Christ doit engendrer des enfants à Dieu; et comme il veut que sa sainte Mère participe à ce mystère, qu'il y ait entre elle et lui union parfaite de sentiments et de dispositions, pour tout partage c'est la douleur que Marie reçoit de son Fils, qui lui est donné sur le Calvaire, comme l'homme de douleurs.
Pour comprendre la douleur de Marie, il faut considérer l'excès de celle de Jésus-Christ. Les douleurs les plus accablantes du Sauveur naissaient, non des souffrances corporelles qu'il endurait sur la croix; mais de la vue nette et distincte de la multitude et de la diversité des crimes dont il était chargé, et qu'il devait expier par sa pénitence. Hélas! qui saurait concevoir à quoi s'étend cette douleur! Jésus-Christ était en proie aux peines les plus sensibles qui affligent le coeur, et aux plus mortelles angoisses intérieures qui accablent l'esprit. « Nous l'avons vu, dit Isaïe, comme celui qui avait reçu sur lui les coups, qui portait les marques de la vengeance divine; et il n'y avait rien en son corps depuis la (219) plante des pieds jusqu'à la tête qui fût exempt de maux. »
Et toutefois, quelque grands que fussent ses tourments, ils étaient peu de chose, comparés à l'affliction,que causait à son âme la vue de son Père irrité contre lui. Jésus-Christ tenant la place des pécheurs, et s'exposant en cette qualité à son Père, pour recevoir de lui ce que chacun de nous méritait, il se voyait comme le sujet sur lequel Dieu le Père déchargeait tout son courroux. Quel tourment plus rigoureux que de savoir qu'un père est en colère contre nous, qu'il ne peut plus nous supporter, qu'il ne peut nous souffrir davantage, surtout quand nous avons été longtemps l'objet de son amour, et que nous avons reçu de lui les témoignages d'affection les plus continuels et les plus touchants !
Ce tourment était extrême pour :Jésus, dont l'amour envers son Père n'avait point de bornes. Mais le,voyant justement irrité contre lui, il s'abandonne entre ses mains pour porter tous les effets de sa colère et de sa vengeance, et cherche, dans la tendresse dé sa Mère, ce qu'il ne rencontre plus dans celle de son Père éternel. Hélas ! Marie, qui semblait seule pouvoir le consoler, lui cause une seconde mort par la vue des douleurs qu'elle éprouve elle-même des tourments de son Fils. On dit communément que Jésus-Christ souffrait de très-grandes peines par la présence de sa Mère au Calvaire; je crois qu'intérieurement il supportait avec une joie incroyable ses tourments propres, en voyant qu'ils devaient se changer pour elle-même en repos, en (220) délices et en gloire; mais qu'il souffrait cruellement de la vue de sa Mère, par ressentiment et par rejaillissement de ses douleurs ! Ces douleurs de Marie, chargée de nos péchés, percée par la componction qu'elle ressentait de nos crimes et par la vue de son Fils en proie aux horreurs de la mort, étaient donc autant de glaives qui, sortant de son coeur, allaient traverser celui de Jésus. Le glaive de douleur qui pénétrait le coeur de la Mère faisait, en effet, mille plaies sur celui de son Fils, et les blessures que son amour pour elle lui faisait ressentir dans le fond de l'âme étaient tout autres que celles que lui portaient la haine et la cruauté des bourreaux. Ce contre-coup des douleurs de Marie lui causa une douleur plus grande que toutes les autres douleurs qu'il souffrit dans sa passion, parce que le plus grand amour fait les plus grandes plaies et les peines les plus véhémentes. Ainsi Notre-Seigneur, qui, dans sa passion, a voulu souffrir toutes les peines possibles, a enduré dans cette occasion même les douleurs de cette Mère bien-aimée, qui étaient pour lui les plus sensibles et les plus violentes du monde.
III
Sur le Calvaire, Marie se voit bien différente dé ce qu'elle était à Bethléem, Là, comme Mère de celui qui est l'innocence même, Mère du Saint des saints, elle participait à la gloire que l'on rendait à (221) son Fils; elle prenait part aux adorations des hommes et aux acclamations des anges. Comme la Mère du Juste par essence, elle ne sentait aucun des effets de l'arrêt porté contre les mères des pécheurs. Mais sur le Calvaire, où elle est faite la mère des pécheurs, la mère des criminels, elle enfante dans la douleur et dans les angoisses, et saint Jean est le premier fruit de cette maternité, le premier-né de l'adoption, figure et symbole de tous les enfants de l'Église. En sa qualité de nouvelle Ève, pendant que le sacrifice universel est offert sur la croix en la personne de Jésus-Christ, la très-sainte Vierge, offrant de son côté pour les hommes cette divine hostie, se sent aussi elle-même chargée de leurs péchés et obligée de satisfaire pour leurs crimes. Elle peut bien dire, en imitant le langage de Noémi : « Ne me regardez plus maintenant comme au jour où je mis au monde mon Fils à a Bethléem, ce paradis de volupté; en engendrant l'auteur de toute sainteté, j'étais alors la mère des saints; mais à présent que je suis la mère des pécheurs, regardez-moi au contraire comme couverte de confusion, comme noyée dans un océan d'amertume et de douleur. »
De son côté Jésus, du haut de la croix, en lui adressant ces paroles : Femme, voilà votre fils, semble lui dire : « Je ne suis pas ici comme à Bethléem, où ma naissance vous donnait tant de joie et de consolation : alors, sortant du sein du Père pour m'unir à votre âme, je portais avec moi ses parfums, ses délices et ses douceurs. Ici que vous enfantez l'Église et que je deviens un (222) Époux de sang pour vous (1), vous êtes chargée de confusion et de honte, et vous sentez les tranchées des crimes de vos enfants. » Au Calvaire, pour gage précieux de l'amour de son divin Fils, Marie reçoit le glaive de douleur, qui le fait mourir lui-même : la douleur qui perce Jésus perce aussi le coeur de sa sainte Mère. C'est aussi ce que reçoit' l'Église, épouse de Jésus-Christ sur la croix. Comme les sentiments doivent être communs entre les époux, il ne lui donne non plus ici-bas d'autre partage que ses souffrances. Voilà pourquoi il disait lui-même au premier-né de la très-sainte Vierge, à saint Jean, figure de l'Église: Pouvez-vous boire le calice que je boirai? Vous boirez mon calice, et vous serez baptisé du baptême dont je dois être moi-même baptisé (2); c'est-à-dire le calice de mes souffrances et le baptême de ma mort et de ma sépulture. C'est là toute la dot qu'il fait ici-bas à son épouse, pour la rendre ensuite participante de sa gloire dans le ciel; ce qui fait dire à saint Pierre, parlant à l'Église: Réjouissez-vous de communier aux souffrances de Jésus-Christ, afin que vous surabondiez de joie au jour de la révélation de sa gloire (3).
Mais ce n'était pas assez pour nous que sur le Calvaire Marie devînt la mère de tous les coupables, en sa qualité de nouvelle Ève, il fallait encore qu'elle contribuât à nous réconcilier avec Dieu le Père, en détournant de dessus nos têtes les châtiments que nous méritions, et en attirant sur nous ses bénédictions et ses complaisances
1. Exod., chap. IV, 25.
2 S. Matth., chap. XX, 22. S. Marc, chap. X, 38.
3 I. Pierre, chap. IV, 13.
Nous avons dit que les actions du Sauveur étaient pleines de mystères, et figuraient des choses sublimes : telle fut, en particulier, l'action de Jésus, donnant saint Jean pour Fils à Marie. Ce disciple, image de tous les chrétiens, se trouvait substitué déjà à la place de Jésus-Christ, qui l'avait rempli à la Cène de son propre intérieur et de sa vie divine. Au moment donc où Marie entend prononcer ces paroles : Voilà votre Fils, nous considérant comme substitués à Jésus-Christ dans la personne de saint Jean, elle nous offre tous au Père éternel; et, de son côté, Dieu le Père, qui nous regarde comme ses fils adoptifs, dans la personne de ce disciple, nous comble de ses bénédictions, fulminant sur son propre Fils l'anathème et la malédiction que nous méritions tous pour nos crimes.
Sur le Calvaire, en effet, il ne traite plus Jésus comme son Fils bien-aimé. Le considérant comme criminel à cause de nous, il lui a retiré l'usage sensible de tous les dons qu'il possédait, et de tous ces augustes privilèges qu'il ne devait pas porter sur un gibet. On ne mène point à la mort un fils de France avec ses livrées; on lui ôte auparavant son apanage et toutes les marques de la royauté. Avant de supplicier les prêtres, on les dégrade, on les dépouille extérieurement des insignes d'une si haute dignité, de peur d'en profaner la sainteté au milieu d'un appareil de choses si criminelles. Ainsi, le Père éternel semble avoir dégradé notre Sauveur et lui (224) avoir ôté ses marques augustes de Fils de Dieu, quoique le fond de sa dignité ne lui soit point ôté, non plus que le caractère à un prêtre; c'est-à-dire que Jésus-Christ recevant sur lui les châtiments qui nous étaient dus, le Père éternel lui retire les biens et les dons si .magnifiques dont il avait comblé la partie inférieure de son âme, et qui ne devaient pas être le partage des pécheurs auxquels Jésus-Christ était alors substitué.
Si Notre-Seigneur se punit lui-même dans toute l'étendue de son zèle, comme tenant la place d'Adam et de sa postérité, qui a perverti toute sa voie; s'il se fait, à notre place, objet de malédiction à l'égard de son Père, c'est afin de nous revêtir de son innocence, comme d'autres Jacob, et d'attirer sur nous la bénédiction qui lui était due comme Fils de Dieu. Voilà donc pourquoi, à l'heure de son agonie, il donne pour fils à sa sainte Mère ce même disciple transformé en lui; et nous substituant tous à sa propre place dans la personne de saint Jean, il dit à Marie: Femme, voilà votre Fils. Il ne la nomme plus sa Mère, ayant transféré sa qualité de Fils à saint Jean, comme s'il lui répugnait, vu l'état si déplorable, si malheureux, si plein d'ignominie où il se trouve, de l'appeler la Mère d'un pendu.
IV
Alors fut réalisée la figure de la substitution de Jacob à Ésaü, son -frère aîné, procurée par les industries de Rebecca, leur mère. Isaac était le symbole de Dieu le Père, et Rebecca, née au milieu de la Gentilité, représentait la très-sainte Vierge, issue d'Adam pécheur, quoique non comprise dans la malédiction, et qui devait être Mère de Jésus-Christ et de l'Église tout ensemble, signifiées par Ésaü et Jacob.
Au Calvaire,. Marie accomplit en notre faveur cette figure, nous substituant nous-mêmes dans la personne de saint Jean à son Fils premier-né; et nous revêtant dans ce moment des mérites de Jésus-Christ, elle nous présente à Dieu le Père, ainsi que Rebecca couvrit Jacob des habits précieux d'Ésaü. Il est expressément marqué dans l'Écriture que Rebecca avait les habits d'Ésaü en sa garde : c'est que les mérites de Jésus-Christ, notre aîné, sont confiés à la très-sainte Vierge, sa Mère et la nôtre, qui est la dépositaire de ses richesses et de ses trésors; et que, par la cession que Jésus-Christ lui a faite de tous ses droits sur ses mérites infinis, elle en devient la maîtresse et en dispose en notre faveur.
Alors Dieu le Père, à qui Marie nous présente ainsi revêtus de Jésus-Christ, nous prenant pour son propre Fils, l'objet de ses complaisances, nous bénit dans la personne de saint Jean, qui devient le sujet de la bénédiction de tout le monde. C'est Isaac qui, en bénissant Jacob son fils puîné, bénit en lui les douze tribus, c'est-à-dire toute l'Église, et qui n'a plus de bénédiction pour son fils aîné. Ou plutôt, Dieu le Père le voyant chargé de nos péchés, et étant alors son juge, ne le regarde plus comme un fils, (226) comme un fils unique et bien-aimé, il le traite comme un étranger, comme un criminel, qui a commis lui seul les péchés les plus abominables du monde, et fait tomber sur lui toutes les injures, toutes les malédictions, tous les rebuts, tous les mépris, tous les pécheurs mauvais traitements que méritaient tous les pécheurs ensemble. Dieu le Père ne semble plus connaître Jésus-Christ, son aîné. il le traite avec la même rigueur que si c'eût été nous-mêmes, l’accablant de châtiments, le chargeant de supplices, et punissant en lui notre péché dans toute la rigueur de sa vengeance et de son courroux. Dans cette extrémité, Jésus-Christ voyant la colère et la fureur de Dieu ainsi allumées sur lui, se sert de ce qui lui reste de voix pour lui dire : Eh! mon Dieu! mon Dieu! vous m'avez donc délaissé. C'est ce qui le met aux derniers excès de la douleur, le noie dans les larmes, et le fait s'écrier à son Père avec de puissantes clameurs.
C'est donc l'amour de Marie pour les hommes qui la conduit au Calvaire. Aussi quelle constance ne fait-elle pas paraître ! Pour exprimer la force de son cœur et la fermeté de son âme dans la tribulation de la croix, l'Écriture sainte nous marque qu'elle était debout : La Mère de Jésus était debout à côté de la croix. Agar, voyant son fils aux abois, le délaisse; elle dit qu'elle n'a pas le courage de le voir expirer, et a besoin d'un ange qui la ramène à lui, et Marie voyant son Fils sur la croix, souffrir intérieurement et extérieurement, voyant allumées contre lui la colère de Dieu et sa fureur, ce qui était pour elle un (227) coup d'épée qui lui perçait le coeur de part en part, elle assiste courageusement et le sacrifie pour le salut du monde. La force de la vertu divine en Marie est en proportion avec celle de Jésus-Christ. Elle montre plus de force .de Dieu en elle qu'il n'en a jamais paru dans toutes les créatures. Elle porte les tentations, les peines, les tribulations et les langueurs qui l'accablent de toutes parts sans faire paraître aucune sorte d'infirmité ou ces faiblesses ordinaires qui abattent le corps. Généreuse, forte et vigoureuse, malgré l'accablement des douleurs de son Fils, elle l'offre pour nous à Dieu en sacrifice, comme une mère pleine de compassion et d'amour pour ses enfants. Alors que tous les apôtres l'ont abandonné, hormis saint Jean, elle qui n'a jamais manqué de foi pour confesser le saint nom de son Fils et pour le publier le Messie, paraît ici comme la reine de Confesseurs et la reine des Martyrs; et c'est avec beaucoup de raison que l'Église lui applique en cette circonstance les paroles de l'Ecclésiastique : Comme un cyprès j'ai été élevée sur la montagne de Sion (1). Le cyprès est l'image de la mort, parce que, une fois coupé, il ne repousse plus; et, pour cela, on s'en servait autrefois dans les funérailles, et on l'attachait même à la maison des morts. Sur le Calvaire, cette Mère de douleur, se tenant debout, était là comme un cyprès attaché à la maison, c'est-à-dire à l'humanité de son divin Fils, et y servait d'ornement pour signaler ses funérailles.
C'est ainsi que par sa charité, Marie, en sa qualité de nouvelle Ève, contribue à la naissance de l'Église que Jésus-Christ engendre sur la croix. La fin qu'il s'était proposée dans son Incarnation était de s'associer tous les peuples de la terre qui adoraient chacun à part quelque fausse divinité, et de ne faire qu'un seul cœur du sien propre et de tous les autres coeurs, afin de louer et de glorifier son Père dans l'unité d'un même esprit qui est le sien.
1. Eccli., chap. XXIV, 17.
Car l'Église n'est que la diffusion de la religion du cœur de Jésus-Christ; elle est son supplément, l'explication et l'exposition des sentiments renfermés dans son coeur, l'expression des devoirs qu'il rend à Dieu son Père. Aussi sur la croix était-elle. censée comprise et reposer dans son coeur, comme Ève au côté d'Adam avant qu'elle fût créée. Cette unité d'esprit avec lui était l'objet de son travail en croix, et c'est ce qui lui fait verser la dernière goutte de sang qui lui reste. Ce sang le plus cher, le plus précieux de son corps, qui avait maintenu sa vie jusqu'au moment où il expira; ce sang, que quelques-uns disent qu'il avait gardé depuis son Incarnation, le même qu'il tira du sein de Marie, il le verse sur la croix comme la chose la plus chère qui lui restât pour mériter de ramener à Dieu, dans une même foi et un même amour toutes les nations de la terre.
L'eau et le sang sorti de son côté signifièrent, en effet, qu'il répandrait la religion de son cœur par les sacrements spécialement par le Baptême et l'Eucharistie, qui sont le commencement et la consommation de la religion de Jésus-Christ ; celui qui est baptisé commence à vivre de la vie de jésus, et celui (229) qui communie à son corps et à son sang est dans la consommation de cette vie. Comme donc ces deux sacrements servent à Jésus-Christ pour engendrer et pour nourrir son Église, et qu'ils furent figurés par l'eau et le sang, sortis de son. côté, les Pères disent qu'il engendra l'Église elle-même sur la croix par cette ouverture; ce qui avait été exprimé d'avance dans la personne d'Adam ravi en extase, lorsque Dieu lui tira, d'auprès du coeur, une partie de lui-même pour lui en former une aide semblable à lui, Ève figure de l'Église.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Quelle reconnaissance ne devez-vous pas à Marie pour l'amour qu'elle vous a témoigné en endurant tant de tourments, afin de donner la vie à votre âme ! Il est vrai que Jésus-Christ, père du siècle futur, est seul la source de notre vie; mais ne pensez pas que vous puissiez pour cela vous dispenser de donner aussi à Marie des témoignages de sincère reconnaissance pour le bienfait de votre régénération? Par la volonté de Dieu, elle a été associée à Jésus-Christ, nouvel Adam, afin qu'elle contribuât de sa part à votre naissance spirituelle, en l'offrant elle-même et en s'offrant aussi de son côté avec lui comme hostie pour votre salut. Dans l'ordre naturel, vous êtes redevable de votre naissance à votre mère comme (230) à votre père; ainsi en a-t-il été de votre régénération. C'est pourquoi le Sage, après avoir dit: Honorez votre père, ajoute aussitôt, en parlant mystérieusement de Marie : Et n'oubliez pas les gémissements de votre mère; souvenez-vous que sans eux vous ne seriez pas né. Votre mère, selon la chair, s'est sans doute acquis des droits à votre reconnaissance par les douleurs qu'elle a endurées pour vous; mais ces douleurs, quelque violentes qu'elles aient pu être; n'ont été qu'une figure et une ombre légère de celles que Marie a souffertes, par amour pour vous, au pied de la croix.
Pour vous mériter le pardon de vos péchés, il a fallu que Jésus-Christ les connût, qu'il les confessât et les détestât intérieurement devant son Père, et qu'enfin il s'abandonnât à la rigueur de sa justice, afin de recevoir sur lui les châtiments qui auraient dû tomber sur vous; et c'est aussi ce que Marie a fait de son côté dans l'oeuvre de votre réconciliation. De quelle douleur n'a-t-elle pas été accablée à la pensée de tant de fautes que son Fils avait à expier ! Pour la comprendre, il faudrait sonder la profondeur de sa charité, celle de sa sainteté incomparable, la connaissance qu'elle avait de la grandeur de Dieu que le péché outrage, et de la bassesse de la créature qui ose bien se révolter contre cette adorable Majesté. Si l'on a vu de saintes âmes verser des. torrents dé larmes, exercer sur leur corps d'affreuses pénitences pour des fautes très-légères, à cause de la vivacité de leur amour pour Dieu, quelle idée pourrons-nous donc nous former de la componction (231) et de la douleur de Marie, élevée à la sainteté la plus éminente qui puisse être après celle de Dieu !
Pour nous donner quelque idée de la douleur de Marie, le Saint-Esprit, par l'organe du saint vieillard Siméon, l'a comparée à celle qu'eût pu produire un coup d'épée, qui eût percé d'outre en outre le coeur de cette divine Mère. Mais cette comparaison, prise des choses sensibles, est plutôt pour aider votre imagination que pour vous donner la mesure exacte des tourments qu'elle a endurés : jamais vous ne les connaîtrez. L'Église, comme pour expliquer et commenter les paroles du saint vieillard Siméon, représente Marie le coeur percé de sept glaives. Par ce nombre de sept, qui est mystérieux, elle veut dire que cette divine Mère a souffert pour expier tous les péchés sans exception, qu'on rapporte ordinairement à sept, appelés capitaux, parce qu'ils sont la source de tous les autres; et c'est ce qui lui fait justement appliquer ces paroles : O vous qui passez par le chemin, venez et considérez s'il est une douleur comparable à la mienne; et encore ces autres paroles Votre contrition est vaste comme la mer.
Savez-vous quelle était la considération qui soutenait Marie au milieu des ces angoisses inexprimables, et qui les lui faisait endurer pour votre amour avec tant de constance et de générosité? La pensée qu'un jour vous la dédommageriez en vous appropriant sa propre pénitence, c'est-à-dire en recevant dans votre coeur ces sentiments d'humiliation, de componction et d'abandon à la justice divine auxquels elle se livrait alors pour vous. Ah ! si vous avez (232) eu le bonheur de vous humilier devant Dieu et d'être touché du véritable esprit de pénitence, c'est à Marie, l'avocate des pécheurs, que vous le devez. C'est elle qui, par le grand désir qu'elle a de votre salut, a communiqué à votre âme les sentiments qu'elle avait conçus dans son coeur pour vous aider à pleurer, à détester et. à expier toutes vos offenses. Sa pénitence, si agréable à Dieu et si puissante sur son coeur, est, en effet, un immense trésor qu'elle est ravie de mettre à notre disposition pour subvenir à nos nécessités. Aussi n'avez-vous jamais reçu le sacrement de Pénitence, qu'en même temps l'Église ne vous ait fait une application spéciale, non-seulement des mérites de la passion de Notre-Seigneur, mais encore de ceux que la très-sainte Vierge a acquis pour vous.
Ouvrez donc votre coeur à Marie, et priez-la de le remplir de ces saintes dispositions d'humiliation, de componction et d'abandon de tout vous-même à la justice divine. Entrez dans ces sentiments toutes les fois que, récitant : Je confesse à Dieu, vous arrivez à ces paroles : La bienheureuse Marie toujours vierge; mais spécialement lorsque vous approchez du saint Tribunal ou que voue recevez l'absolution. Rappelez-vous dans ce moment que, si Jésus-Christ est la source de toute vraie pénitence, Marie est le canal qui en amène les eaux jusqu'à nous. Recourez donc à elle comme à une fontaine intarissable et vivifiante, c'est-à-dire unissez-vous intimement à Marie, désirant d'être,pénétré de ses sentiments intérieurs, d'attirer en vous son esprit pénitent, et (233) d'être tout transformé en lui-même. Par là, vous consolerez le coeur de cette tendre Mère, vous réjouirez celui de Dieu, et vous sentirez s'augmenter dans le vôtre la confiance et l'amour, toujours inséparables d'une âme qui a le bonheur d'être en paix avec Dieu et avec soi-même.
Considérez l'amour que Marie vous a témoigné sur le Calvaire, en substituant Jésus à votre place pour l'exposer à tous les traits de la justice de son Père qui n'auraient dû tomber que sur vous. Vit-on jamais une mère sacrifier son propre fils par amour pour un enfant étranger? Marie seule en est venue à cet excès. Quoique vous fussiez alors un étranger pour elle et de plus l'enfant du démon, et par conséquent l'ennemi de Dieu et de Marie elle-même, elle n'a pas hésité à livrer à la justice divine son Fils unique, l'objet de ses complaisances, pour vous acquérir à ce prix comme son enfant d'adoption. Eussiez-vous pensé qu'elle pût avoir pour vous une telle prédilection? Y aura-t-il jamais rien de comparable? En vérité, son amour pour vous ne saurait être comparé qu'à celui du Père éternel; mais cette comparaison est juste, puisque si Jésus est le Fils de Dieu le Père, il est également le Fils de Marie, sa véritable Mère selon la chair. Il faut donc dire d'elle, comme du Père éternel, qu'elle vous a aimé jusqu'à donner pour vous son Fils unique; qu'elle n'a pas épargné son propre Fils, et l'a livré pour vous à la mort.
En le sacrifiant ainsi, elle vous a montré qu'elle vous aimait mille fois plus qu'elle-même. N'est-il (234) pas certain que par l'amour incompréhensible qu'elle portait à Jésus, Marie aurait été ravie de donner sa propre vie des milliers et des millions de fois pour lui si elle l'eût pu? Si donc elle a livré ce même Fils à la justice divine pour vous procurer le salut, un pareil excès d'amour vous dit assez hautement que pour vous elle se serait livrée à la mort mille fois elle-même; peut-il y avoir rien de plus incompréhensible? Jugez par là de l'estime qu'elle fait de vous, et si elle est jalouse de posséder votre coeur tout entier.
Que pouvez-vous lui refuser après un pareil sacrifice? N'est-il pas vrai que la moindre réserve ne pourrait manquer de blesser et d'affliger la générosité, la grandeur et la délicatesse de son amour? Prenez donc la résolution de ne lui rien refuser de ce que vous savez qu'elle demande de vous, dans l'état où elle vous a placé, et de désirer toujours de faire toutes vos actions par amour pour elle. Par là, vous serez assuré de n'agir que pour le pur amour de Jésus, à qui elle serait ravie de donner et de consacrer tous les coeurs. C'est le seul moyen que vous ayez pour la dédommager du sacrifice qu'elle a fait sur-le Calvaire; c'était la seule espérance qui pût la soutenir debout au pied de la Croix, et c'est le seul retour qu'elle attend de votre coeur s'il est reconnaissant et sensible.
CHAPITRE XIII. MYSTÈRE DE LA RÉSURRECTION DE NOTRE-SEIGNEUR
I
Le Fils de Dieu, en se faisant homme, avait pris non un corps glorieux, comme il convenait au Fils unique du Père, mais un corps passible, dans lequel il pût endurer la mort pour les pécheurs. Il avait donc souffert un grand déchet de sa condition de Fils de Dieu; et de même la très-sainte Vierge, sa Mère, sembla déchoir de la condition de Mère du Fils dé Dieu en lui donnant naissance dans l'infirmité de notre chair. Car, quoique Jésus-Christ dût naître d'une Vierge issue d'Adam afin qu'il eût une chair en ressemblance de celle du péché, Marie, en lui donnant cette naissance, était véritablement devenue la mère du Fils éternel du Père. Ce qui naîtra de vous, lui avait dit l'Ange, sera le Fils de Dieu (1), par conséquent Dieu lui-même égal au Père en toutes choses.
1. S. Luc, chap. I, 35.
Elle avait donc partagé l'abaissement de son Fils en l'engendrant dans la chair infirme et mortelle. D'ailleurs Marie, conçue dans la justice originelle, n'aurait pas dû, non plus qu'Ève innocente, engendrer un homme mortel. C'est pourquoi Dieu le Père, qui ne souffre point que. son Fils bien-aimé perde rien pour son amour, a résolu de lui rendre sa gloire avec usure au jour de sa Résurrection et dans celui de son Ascension; pareillement, pour réparer la perte que la très-sainte Vierge a soufferte, il veut qu'après avoir paru, en Jésus-Christ, mère du fils de l'homme, elle paraisse aussi la Mère du Dieu de gloire.
C'était par ses souffrances, et en endurant tous les tourments réservés aux pécheurs, que Notre-Seigneur devait entrer dans cette gloire extérieure; et Marie, de son côté, avait dû acquérir la maternité du Dieu de gloire par les douleurs que ressentent les mères des criminels; ce fut une des raisons du martyre violent qu'elle ressentit au Calvaire. Elle ne subit pas ce martyre à cause de la conception de Jésus-Christ, qui fut le principe de sa vie, ni pour sa naissance à Bethléem ; elle ne devait pas non plus le souffrir précisément dans sa naissance à la gloire, qui sera sa résurrection; mais seulement dans sa mort, qui est la peine du péché et par laquelle il devait entrer dans sa gloire. Car alors Jésus-Christ sur un gibet, comme un pauvre pécheur couvert de tous les crimes du monde, devait trouver dans sa mort ignominieuse le principe de sa glorification, et dans son tombeau le sein de sa conception à la (237) résurrection; en un mot, c'était de cet état d'ignominie qu'il devait sortir pour, entrer dans sa gloire. C'est pourquoi, au jour de la mort de Jésus, Marie, en participant aux sentiments de son Fils en croix, en recevant cette blessure mortelle qui perce son âme, en partageant les souffrances, les ignominies et le martyre de la croix de Jésus-Christ, acquiert par avance et mérite aussitôt la maternité du Dieu de gloire. Comme donc le tombeau, image de Marie, devait être le lieu effectif dans lequel Dieu le Père allait engendrer son Fils en gloire, il voulut que ce tombeau fût tout neuf, en figure de la très-sainte Vierge, cette terre neuve et innocente qui avait été le sépulcre vivant de Jésus-Christ en sa sainte conception ; et parce que Dieu devait glorifier son Fils dans le tombeau, image de Marie, Isaïe avait dit, en figure de la gloire de cette divine Mère, que son sépulcre semait glorieux à cause de la gloire de Jésus-Christ (1)..
Dans les sacrifices de l'ancienne loi, l'hostie ayant et- immolée et placée sur l'autel, elle attendait sa clarification, c'est-à-dire cette lueur dans laquelle elle entrait, lorsqu'elle passait dans la nature et la lumière du feu qui la consumait sur l'autel même. Ainsi, après que Notre-Seigneur eut été immolé sur la croix, il fut mis dans le tombeau; et là, comme l'hostie sur l'autel, il attendait que le feu divin, c'est-à-dire que Dieu le Père descendît dans le sépulcre pour faire passer son hostie dans sa nature de lumière et de gloire.
1. Isaïe, chap. IX, 10.
il est vrai que le Verbe, ayant épousé la sainte humanité par l'Incarnation, s'était lié à elle d'un lien indissoluble, qui ne fut pas interrompu par la mort; et qu'au tombeau la divinité du Verbe était cachée dans son corps sacré sans cesser d'être unie à son âme, quoique l'âme fût alors séparée du corps. Il est vrai encore que Dieu le Fils devait se ressusciter lui-même par sa divinité, ou plutôt être réveillé du tombeau par l'action des trois personnes divines; mais c'était la puissance du Père qui devait le rappeler de la mort à la vie de la gloire (1); car si la puissance du Fils est la même que celle du Père,
1. La résurrection de Notre-Seigneur est une couvre commune aux trois personnes de la sainte Trinité, comme le dit M.Olier; mais c'est aussi une de ces œuvres que, dans le langage des saintes Écritures, on peut attribuer, par appropriation, plus spécialement au Père; d'abord, parce que c'est une couvre de la toute-puissance, comme la création du ciel et de la terre, que le symbole nous apprend à attribuer au Père; en second lieu, parce qu'elle a pour effet immédiat de donner au Fila de Dieu fait homme une naissance à la vie de la gloire. Voici comment saint Pierre Damien expose cette doctrine : elle est originaire et émanant du Père.
B. Petrus Damianus, Opuscul. de fide Cath., cap. IX. Resuscitavit Pater Filium, quem a mortuis excitans, super omnes singulariter exaltavit. Resuscitavit et semetipsum Christus, sicut ipso in figura sui corporis dicit : Solvite templum hoc,et in triduo suscitabo illud. Porro autem, ut ipse se evidenter ostendat suae passionis ac resurrectionis auctorem, una breviter sententia comprehendit : Potestatem, inquit; habeo ponendi animam meam, et potestatem habeo iterum sumendi eam. Quod cursus inculcat dicens : Nemo tollit eam a me, sed ego pono eam, et iterum sumo eam. Quod autem et Spiritus sanctus cum Patre et Filio resurrectionis auctor sit, testatur apostolus dicens: Quod si spiritus ejus, qui suscitavit Jesum a mortuis, habitat in vobis : qui suscitavit Jesum Christum a mortuis, vivificabit et mortalia corpora vestra propter inhabitantem Spiritum ejus in vobis.
En sorte que c'est selon les desseins de Dieu le Père que toutes choses dans son Fils, et hors de son Fils, s'exécutent et s'accomplissent. Dieu le Père, usant donc de sa puissance, réunit au corps de Jésus-Christ son âme qui. en était séparée; et, se rendant principe de vie en l'âme, il anima par elle le corps. Car l'âme n'est ici qu'un simple instrument, l'instrument de la vie que Dieu voulait donner à ce corps, savoir: une vie immortelle et glorieuse-, une vie divine, laquelle ne peut être trouvée qu'en Dieu et opérée par lui seul. Aussi Dieu le Père dit-il lui-même à Jésus-Christ au jour de sa résurrection : Vous êtes mon Fils, aujourd'hui je vous ai engendré (1).
Pensant à ce mystère, il me semblait voir le Père embrassant son Fils encore tout étendu dans le tombeau, l'environnant de gloire, le prenant dans ses bras, le portant dans son sein, rejoignant et reliant le corps et l'âme, les pressant sur sa poitrine, les réchauffant dans le sein de sa gloire. Je le voyais consommant ce qui en Jésus-Christ était de son état infirme, lui donnant, dans les entrailles du tombeau, une vie de gloire à la place de la vie d'infirmité et de corruption qu'il avait reçue de David; enfin le faisant passer de l'état d'hostie pour le péché en celui d'hostie de louange, par une clarification de la chair et de l'âme de Jésus-Christ, qui fut solide, véritable, réelle et substantielle.
1. Actes des Apôtres, chap. XIII, 33.
II
Isaïe, parlant de la résurrection du Sauveur, disait: Qui racontera sa génération.? parce que sur la terre sa vie lui sera ôtée; c'est-à-dire qui parlera de cette génération qui lui sera rendue après qu'on lui aura ôté sa vie sur la terrer? Je ne puis pénétrer, je ne puis qu'adorer les secrets de la génération temporelle de Jésus en gloire. Je ne puis concevoir ses grandeurs. J'adore ce qui se passe dans ce tombeau, si glorieux et si magnifique. J'adore cette mutation adorable de vie; j'adore ce changement du corps de mon Sauveur; j'adore la communication que le Père lui fait de cette vie nouvelle, et cette ressemblance, ce rapport qui se trouve entre Jésus et le Père éternel.
En le ressuscitant ainsi, Dieu le Père, qui est le premier fond et l'origine de toute miséricorde, de toute grâce, de tout don, lui donne le droit de communiquer sa vie nouvelle au monde, en récompense de ce qu'il a sacrifié sa vie temporelle pour lui; et, selon la prophétie d'Isaïe, il l'établit, au jour de sa résurrection, Père du siècle futur. Il avait communiqué au premier Adam, la fécondité naturelle, il donne la fécondité spirituelle au second; c'est-à-dire un esprit vivifiant, une vie féconde pour être distribuée aux autres hommes, qui voudront vivre divinement.
1. Isaïe; Chap. LIII, 8.
Comme il avait formé le premier à l'âge de trente ans, et l'avait créé parfait soit en science pour régir le monde, soit en puissance pour l'engendrer, il ressuscite son Fils parfait, à l'âge même qu'il était mort; il le ressuscite tout rempli de splendeur et de puissance, pour la sanctification, la conduite et la glorification de son Église.
Au moment de sa résurrection, Jésus-Christ, tout pénétré de la divinité, tout brillant de la clarté et de la splendeur de son Père, tout rempli de ses sentiments mêmes et de ses inclinations, s'unit à la très-sainte Vierge en sa splendeur divine, et se porte à elle par l'amour même de Dieu son Père pour elle, comme vers le plus bel objet qui fut jamais après Dieu. Il. demeure en elle, et elle en lui; et comme, dans sa résurrection, il est revêtu des titres d'honneur les plus magnifiques, que son Père lui donne en récompense de ses ignominies et de sa mort, Jésus, épris des beautés et des perfections divines qui éclatent dans sa Mère, et de l'amour qu'elle lui a témoigné dans sa Passion, veut qu'elle entre elle-même en participation de son triomphe et de sa gloire.
Aussi témoigne-t-il à sa Mère l'amour immense qu'il lui porte. Comme Père du siècle futur, il se lie d'inclination à elle et devient avec elle, pour tout le corps de l'Église, un principe de divine génération. Ainsi, ayant reçu de Dieu, dans sa résurrection, d'avoir en soi la vie pour la donner à tous les (242) hommes et les justifier par le fond de la justice divine qui est en lui, il prend pour son aide la très-sainte Vierge, comme une nouvelle Ève; et, en même temps, il la met en communion de tout ce qu'il a reçu de son Père, pour la rendre Mère des vivants.
III
O grand Dieu ! quels inexplicables secrets sont renfermés dans ce divin mystère de l'union du Fils de Dieu avec sa sainte Mère ! quelle communication intime, quelle donation de ce qu'il est et de ce qu'il possède ne lui fait-il pas au jour de sa résurrection ! O merveille des merveilles ! tout ce que Jésus-Christ opèrera, depuis le moment de la formation de l'Église jusqu'au jour du jugement, il l'a formé dans sa Mère, et plus parfaitement, plus hautement, plus saintement, plus divinement qu'il ne l'aura formé dans toute l'étendue des chrétiens, dans tout le cours des siècles! Je ne m'étonne pas si saint Jean a entendu, mieux que personne, le saint et glorieux mystère de l'Église de Dieu, puisqu'il avait toujours devant soi la très-sainte Vierge, en qui il voyait toute l'Église abrégée et renfermée. Il voyait cette divine Mère plus belle, plus resplendissante, plus éclatante mille fois que tout ce qu'il a vu en cette femme revêtue du soleil (1), qui est la forme et la figure de l'Église, et qui, auprès de Marie, n'a en soi que de faibles communications du Soleil de justice.
1. Apoc., chap. XII, 1.
Oui, tout ce qui paraît dans l'Église est petit en comparaison de l'éminente participation que Jésus-Christ donne de soi-même à sa sainte Mère. Il sera en elle non-seulement sept fois plus resplendissant que le soleil, comme il est dit des justes, mais il sera septante fois sept fois plus éclatant, plus beau dans l'âme de Marie que dans tous les justes ensemble; et cela, parce qu'elle s'est livrée et abandonnée à lui sans réserve, sans mesure, sans retour et sans règle, et qu'elle a voulu partager les ignominies et les douleurs de sa Passion. O chère et suraimable princesse! vous étiez la Mère de Jésus infirme dans l'Incarnation; aujourd'hui, par la Résurrection, vous êtes la Mère et l’Épouse de Jésus en gloire, et sans rien perdre de l'alliance que vous avez avec le Père éternel, et de vos droits en qualité de son Épouse recouvrant un Fils plein de gloire, vous le recevez pour votre Époux et devenez ainsi, en Dieu le Père et en son Fils, la dispensatrice de leurs trésors envers toutes les créatures.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
1° En contemplant, par la foi, les grandeurs et la béatitude de Marie au saint jour de la résurrection (244) de son Fils, entrez dans les sentiments d'une joie vive, pure et surnaturelle. Cette joie n'a' rien qui dissipe l'esprit, rien qui altère la pureté du coeur; tout au contraire, elle nous unit plus intimement à Dieu et augmente en nous son saint amour. C'est qu'elle prend sa source en Dieu même; qu'elle a pour objet l'espérance de partager un jour la gloire de Jésus; et qu'enfin elle n'est qu'une participation de la joie même de Marie.
Unissez-vous donc à cette divine Mère, et avec elle remerciez Jésus-Christ de l'avoir fait participer à tous les titres d'honneur qu'il a reçus dans sa Résurrection, et qu'il pouvait lui communiquer. Bénissez-le spécialement pour la participation qu'il lui a donnée à son titre de Père du siècle futur, en l'établissant la véritable mère de tous ceux qui vivront de la vie divine, qu'il ne veut donner que par elle, dans toute la suite des générations.
Félicitez Marie de son bonheur, réjouissez-vous avec elle de l'accomplissement de ce grand et auguste mystère, à imitation de l'Église, qui, pendant tout le temps pascal, ne se lasse pas de la féliciter et de se réjouir elle-même par le chant du Regina coeli, loetare, alleluia!
2° Jésus-Christ ne ressuscita Lazare qu'après que Marthe et Madeleine, ses soeurs, l'en eurent supplié avec larmes : il veut qu'à votre tour vous demandiez à Marie la résurrection de tant de morts, encore ensevelis dans le tombeau du péché. Ils sont ses enfants; sa joie ne sera complète que lorsqu'elle. les verra rendus à la vie. Il sont vos frères et vos (245) soeurs en Jésus-Christ: soyez donc touché de compassion sur leur sort; et vous adressant à Marie, notre commune mère, dites-lui, avec la confiance parfaite que doivent vous inspirer sa puissance auprès de Dieu et sa bonté sans bornes pour les hommes : « Sainte Mère de Dieu, rompez les chaînes des coupables, donnez la lumière aux aveugles, éloignez d'eux tous les maux, demandez pour eux tous les biens. » A vos prières, joignez vos bonnes oeuvres, surtout de sages et prudents conseils pour éclairer leurs esprits, et de saints exemples pour toucher leur coeur.
3° Enfin, si vous ôtes retenu vous-même dans les liens funestes de la tiédeur, dont il est si difficile de se défendre entièrement, conjurez-la de vous en délivrer et de vous faire entrer dans la voie parfaite. Il est vrai que, pour être du nombre des tièdes, vous n'êtes pas privé pour cela de la vie de Dieu; mais, en vous, cette vie est languissante. C'est pourquoi, à l'imitation de Marthe et de Madeleine, dites à la très-sainte Vierge, en lui exposant votre état: « Celui que vous aimez est malade, ayez compassion de lui; vous pouvez le guérir, si vous le voulez. » Surtout, faites tous vos efforts pour sortir de l'état de tiédeur, en rompant généreusement les petites attaches qui vous ont retenu et embarrassé jusqu'ici. La joie de Marie, c'est de voir son divin Fils servi par des âmes ferventes, qui ne mettent volontairement aucune borne à leur perfection. Réjouissez donc le coeur de cette divine Mère, en lui promettant de vous déclarer enfin pour le parti de la ferveur, et, ce qui est l'essentiel, en vous montrant fidèle à exécuter vos promesses. Ce sera alors que, lui adressant ces paroles de félicitation : Reine du Ciel, réjouissez-vous, vous pourrez ajouter avec confiance et dire de vous-même, aussi bien que du Sauveur : Parce que Celui que vous avez porté est ressuscité comme il l'avait dit, alleluia !
CHAPITRE XIV. ASCENSION ET PENTECÔTE
Comme véritable mère des vivants, Marie reçoit le Saint-Esprit en plénitude. — Jésus-Christ se donne à elle d'une manière toute particulière par la sainte Communion.
I
Le sacrifice de Jésus-Christ étant offert pour l'Église, qui est visible, devait être visible lui-même dans toutes ses parties, afin de nous donner une certitude parfaite de notre réconciliation avec Dieu. Marie, dans le jour de la Purification, avait paru à l'offrande de la victime, en présentant elle-même, au nom de l'Église, Jésus-Christ notre hostie, et en le dévouant à l'immolation. Elle avait aussi été présente à la deuxième partie du sacrifice, à l'immolation réelle de Jésus-Christ sur la croix. La troisième, qui était la consommation ou le transport de la victime en Dieu, avait eu lieu dans le (247) mystère de la Résurrection. Mais cette consommation s'était opérée d'une manière invisible; et la bonté de Dieu voulait que, pour notre consolation, cette partie du sacrifice devînt visible aussi bien que les deux autres, ou plutôt que Notre-Seigneur montât au ciel pour aller se perdre dans le sein de Dieu non-seulement à la vue de la très-sainte Vierge sa mère, mais encore sous les yeux de tous les apôtres par qui l'Église était représentée. C'est ce qu'avait figuré autrefois Élie montant au ciel dans un char de feu à la vue d'Élisée ; et ce prophète avait déclaré expressément à son disciple que, s'il le voyait monter, il aurait son double esprit (1). Don mystérieux, qui exprimait le fruit du sacrifice, c'est-à-dire l'esprit de mort et de résurrection ou de vie divine, que Jésus-Christ devait laisser à l'Église figurée par Élisée.
Après sa résurrection, il communiquait toutes les dispositions et tous les sentiments de son âme à sa bénite Mère. Il lui exprimait spécialement les désirs ardents qui le pressaient d'aller enfin se réunir à Dieu son Père, pour le louer et le glorifier dans le ciel. Marie, de son côté, éprouvait un véhément désir d'y accompagner son Fils, pour s'unir à ses louanges; et sans doute qu'elle eût terminé alors sa vie et l'eût suivi dans les cieux, s'il n'eût voulu se servir d'elle pour aider l'Église dans ses commencements.
L'oeuvre de cette divine Mère était encore incomplète.
1. IV Rois, cap. II.
Après avoir donné, par Marie, naissance au chef, Dieu voulait procurer aussi, par elle, la formation de tout le corps. Il voulait la rendre mère de sa famille entière, de Jésus-Christ et de tous ses enfants d'adoption. Par zèle pour la gloire de Dieu et par charité pour nous, elle accepte avec joie la commission que Notre-Seigneur lui laisse de travailler à faire honorer son Père par les hommes, et de demeurer sur la terre jusqu'à ce que l'Église ait été bien affermie (1).
Le quarantième jour après la Résurrection étant donc venu, Jésus-Christ- se rend à Béthanie avec sa sainte Mère et ses apôtres; là élevant les mains et les bénissant, il se sépare d'eux, et en leur présence s'élève vers le ciel. Ils l'y suivirent des yeux, jusqu'à ce qu'enfin une nuée le dérobe à leur vue; et comme néanmoins ils tenaient toujours leurs regards fixés au ciel, deux anges vêtus de blanc leur apparurent et leur dirent : Pourquoi vous arrêtez-vous à regarder le ciel? Ce Jésus, qui a été attiré du milieu de vous dans le ciel, viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel (2). Ainsi Dieu voulut-il que l'acceptation solennelle qu'il faisait de notre hostie, eût pour témoins non-seulement tous les apôtres et la très-sainte Vierge, qui l'avait produite de sa propre substance, mais les anges eux-mêmes.
1. S. Thom. a Villanov., p. 662. Erat etiam illi non modo temperamento, sed etiam solatio Dei, Filii sui, quem sic diligebat, voluntas qua detinebatur in terris, a qua neque ad momentum unquam; neque ad modicum deviavit. Erat quoque Ecclesiae novellae necessitas, quam suo magisterio statuebat. Mansit igitur non modo dies aliquot, sed et annos plurimos Virgo sacra in terris, Deo pro sua Ecclesia providente, ut ejus doctrina et moribus fundaretur.
2. Actes des Apôtres, chap. I, 11.
En montant dans les cieux, Jésus-Christ élève avec lui tous les saints patriarches et les autres justes qu'il avait retirés des limbes, et va les offrir à son Père, comme les premières dépouilles qu'il a ravies au démon par sa mort. Enfin, dérobé par la nuée à la vue de ses disciples, il laisse rejaillir la splendeur de sa gloire, qu'ils n'auraient pu soutenir et dont il avait retenu l'éclat dans ses diverses apparitions.
Comme les enfants des rois donnent des présents à leurs sujets, en faisant leur entrée dans leur royaume, Jésus-Christ, montant à la droite de son Père pour prendre possession de son trône, voulait envoyer à ses apôtres son esprit et ses dons, c'est-à-dire dilater son coeur en faisant entrer les hommes dans ses sentiments de religion envers Dieu son Père, et achever ainsi son ouvrage. Dans ce dessein et par son commandement, les disciples s'assemblèrent à Jérusalem avec la très-sainte Vierge et plusieurs saintes femmes; et là ils étaient en prière, louant, bénissant le nom de Dieu, et attendant la venue de l'Esprit-Saint. Marie était au milieu d'eux et présidait ce sacré concile, comme ayant, pour aviser à établir la gloire de Dieu dans le monde, une grâce qui excellait par-dessus celle de tous les apôtres. Quoique Jésus-Christ n'eût pas voulu qu'elle fût présente à la Cène, ni qu'elle offrît extérieurement le saint sacrifice, ni qu'elle fût prêtre selon l'ordre de (251) Melchisédech, il voulait néanmoins que Marie, destinée à être la mère des vivants, se trouvât dans le Cénacle avec les apôtres, afin de verser la plénitude de son esprit en elle, comme dans le réservoir de la vie divine, et de la distribuer par elle à tous ses enfants, et aussi pour apprendre à l'Église que jamais elle ne serait renouvelée qu'en la société de sa divine Mère et en participant à son esprit (1).
1. Il est affirmé dans ce livre que la sainte Vierge a reçu la plénitude. de la vie divine, la plénitude du Saint-Esprit, la plénitude des grâces ... Il semblerait inutile de faire remarquer que ce langage, emprunté des saintes Écritures et des Docteurs les plus autorisés, ne s'entend que dans un sens restreint, limité à ce qu'une simple créature peut recevoir de Dieu, comme M. Olier le donne clairement à entendre en plusieurs de ses écrits, et ici même dans la suite du texte.
Depuis que la sainte Vierge a été appelée par l'archange Gabriel pleine de grâces, et que saint Paul a exprimé le désir que nous entrions dans toute la plénitude de Dieu, in omnem plenitudinem Dei, les saints Docteurs ont souvent employé ce terme, surtout en parlant de la sainte Vierge, laquelle a reçu une telle étendue de grâces, que nous ne pouvons qu'admirer l’oeuvre de Dieu en elle. Il est dit dans les leçons du IIe Nocturne de l'Office de l'Immaculée Conception : Bene plena, quia coeteris per partes proestatur, Maries vero se tota infudit plenitudo gratiœ. Vere plena quia... in Maria totius gratioe, quoe in Christo est, plenitudo venit, quanquam aliter. Lectio IV, secundi Nocturni. — Saint Jean Damascène : Et quis dubitat, quin ipsa benedictionis fons sit et omnium bonorum scaturigo? Tom. II, pag. 872. — Saint Pierre Damien : Et si coeteris per partes Spiritus affluit, Marioe tamen tota plenitudo gratioe supervenit. Tom. II, pag. 93. — Tout le monde connaît ces belles paroles de saint Bernard : Totius boni plenitudinem posuit in Maria, ut si quid gratioe, si quid spei, etc., sit in nobis, ab ipsa noverimus redundare.
II
Le jour de la Pentecôte étant venu et le Saint-Esprit étant descendu sur l'assemblée en forme de langues de feu,, Marie le reçut, non pas par mesure comme le reçurent les apôtres et les disciples, mais en plénitude, Jésus-Christ la vivifiant de tout lui-même, et lui communiquant tout ce qu'il est, plus qu'à toute autre créature, plus qu'à toute l'Église: L'apôtre saint Pierre, que Jésus-Christ avait établi chef visible de son corps mystique, quoique tout rempli au Cénacle de la vie de son maître, ne reçut néanmoins de cette vie divine que la portion nécessaire à sa dignité de chef. Il en fut de même des autres apôtres. Ils reçurent tous lés prémices de l'esprit de Jésus-Christ, mais selon la mesure que sa sagesse et son amour en destinaient à chacun. Ce n'est pas de la sorte qu'il se communique à Marie. Habitant en elle dans la plénitude de son amour, Notre-Seigneur ne laisse rien en soi de tout ce qu'elle peut recevoir, qu'il ne le lui donne. De même que Dieu le Père fait passer en l'âme de son Fils tout ce qu'il a en soi, et qui est communicable : le Fils ne laisse rien à mettre en elle et à opérer pour elle de ce qui est en son pouvoir. Il fait d'elle le réceptacle de ses richesses pour les distribuer par elle à toute l'Église.
Avec cette plénitude universelle de tous ses dons, l'Esprit-Saint répandit dans l'âme de Marie des dispositions et des sentiments semblables à ceux de Jésus-Christ ressuscité. Comme dans l'arbre et dans le fruit attaché à l'arbre, il n'y a qu'une vie continue (1), qui est répandue dans les deux; de même il n'y eut jamais dans la Mère et dans le Fils qu'une même vie intérieure, qu'un même esprit, qui répandait dans l'un et dans l'autre les mêmes lumières et les mêmes sentiments. Au temps de l'Incarnation, l'Esprit de Dieu, pour préparer Marie à recevoir ce fruit de sainteté, était survenu en elle et lui avait communiqué des sentiments semblables à ceux qu'il. devait opérer dans le Verbe fait chair, dont elle allait devenir la Mère, c'est-à-dire des sentiments de petitesse, d'amour de l'obscurité et de l'anéantissement. Elle avait reçu alors le Saint-Esprit; mais un esprit qui la cachait aux yeux de tout le monde, à ceux même de saint Joseph, qui ne la connaissait pas, tant ce divin Esprit prenait plaisir à la dérober à la vue des hommes. Dans cette première naissance, Jésus-Christ venait pour être caché, et, pour cela, cet esprit fut donné en secret à Marie. Mais dans sa seconde naissance, où il doit être manifesté comme Fils de Dieu, le Saint-Esprit est donné, à Marie publiquement. Dans sa première descente en terre, il venait dans l'infirmité pour être jugé et condamné par le monde, et Marie, qui devait lui être semblable, reçut un esprit qui la portait à la soumission, au mépris, à la confusion.
1. M. Olier rend au fond la parole de saint Paul: qui adhoeret Domino unus spiritus est. Cela est vrai dé tout chrétien, mais d'une manière éminente de la sainte Vierge. (Ire Ép. aux Corinth., chap. VI, 17.) L'Esprit-Saint. produisait dans l'âme de Jésus-Christ et dans celle de la Vierge les mêmes sentiments, mais non pas en ce sens qu'il y eût une véritable unité de vie, ni une perfection égale; la sainte âme de Jésus-Christ était, sans comparaison, plus éclairée, plus parfaite que ne pouvait être la sainte Vierge.
Maintenant qu'elle reçoit l’esprit de Jésus-Christ, non plus mortel, mais glorieux, de Jésus-Christ roi, juge et souverain pontife de tout le monde, elle reçoit un esprit de puissance et de force, un esprit de conseil et de sagesse.
Sans doute, c'était le même esprit de Jésus-Christ qui l'animait avant comme après la Pentecôte; mais pendant les jours de la vie cachée de Marie, il produisait en elle des effets tout autres que ceux qu'il opéra après la glorification de son Fils. Alors il lui donna d'autres talents, il la conduisit par une voie de force, de vigueur et de conseil admirable, comme le demandait sa vocation. En un mot, après la résurrection de Jésus-Christ, elle fut faite participante de la nouvelle vie de son Fils, surtout depuis le jour de la Pentecôte. Cet esprit la faisait vivre comme vivrait un saint du paradis qui, étant descendu en terre, attendrait sans cesse le moment de son retour. Marie, en effet, ne regardait que les âmes des hommes; elle ne pensait qu'à avancer la gloire de son Fils; elle n'était occupée que de ses louanges et des doux sentiments de son amour. Enfin, elle ne vivait plus ici-bas que par l'extérieur, et souffrait ce monde avec peine, à cause de son état et de l'esprit qui l'animait. Car la vie qui lui restait alors, était une vie semblable à celle du Fils de Dieu ressuscité, (255) lequel, avant son Ascension, resta quarante jours sur la terre, seulement pour affermir ses apôtres et les instruire du royaume de Dieu (1),c'est-à-dire de l'établissement et de la conduite de l'Église. Cette vie n'empêchait pas pourtant la très-sainte Vierge d'éprouver un sentiment de peine causée par la vue de la grandeur de sa vocation, comme Mère de Jésus et directrice du monde entier, et par la considération de son néant, dont elle était si convaincue et qu'elle avait continuellement devant es yeux. Disposition tout à fait conforme à celle de Notre-Seigneur, qui, voyant ce qu'il était par lui-même, selon son humanité, disait : Il n'y a que Dieu seul de bon (2), c'est-à-dire qui ait quelque perfection par lui-même et mérite d'être loué; car on ne doit la louange qu'à celui à qui elle appartient.
III
Ce fut les premiers jours après la Pentecôte que les apôtres offrirent le saint sacrifice et que la très-sainte Vierge communia sous les saintes espèces, au corps et au sang de son Fils glorieux. Jusque-là, les apôtres n'avaient communié que le jour de la Cène; et encore, parce que Notre-Seigneur avait voulu prévenir le temps de l'institution de ce Sacrement, pour rendre ce mystère plus croyable à ses disciples et à toute son Église, en l'établissant dans un temps où personne ne doutait de la vérité de sa présence corporelle.
1. Actes des Apôtres, chap. I, 3.
2. S. Matth., chap. XIX, 17. S. Luc, chap, XVIII, 19.
Il fallait d'ailleurs que l'Église eût reçu l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, l’Esprit de sa nouvelle vie; et Jésus-Christ ne devait lui donner cet Esprit que lorsqu'il serait réuni à son Père, pour l'envoyer en unité de principe avec lui; par conséquent, après l'Ascension où il fut censé s'être réuni à son Père, du sein duquel il avait dit qu'il était sortit (1) en venant en ce monde. Aussi l'Église célèbre-t-elle la fête du très-saint Sacrement aussitôt après l'Octave de la Pentecôte.
Jésus-Christ se donna donc alors par l'Eucharistie à la très-sainte Vierge et à l'Église. Mais ce fut pour produire dans Marie des effets tout autrement merveilleux que ceux qu'il devait opérer dans les coeurs des simples chrétiens. L'Église naissante avait besoin de l'Eucharistie, même après la réception du Saint-Esprit, et cela pour deux raisons
la première, pour échauffer les langueurs de son amour; la seconde, pour détruire en elle le règne de la concupiscence ou du vieil homme. Car dans cette vie la régénération de l'homme n'est point parfaite; elle ne sera entière et totale qu'au jour de la Résurrection. Dans le sacrement de baptême, la portion supérieure de l'âme est éclairée par la foi, relevée par l'espérance, animée par la charité; dans la confirmation, elle est fortifiée par le Saint- Esprit.
1. S. Jean, chap. XVI, 28.
Mais la portion inférieure demeure assujettie à la concupiscence; elle est remplie de tendances vers les choses de la terre, d'aveuglement à l'égard de celles du ciel, d'impuissance pour les œuvres de piété. Elle nous est laissée, pendant cette vie, comme un exercice de pénitence, afin que, par la vertu de l'Esprit de Jésus-Christ ressuscité, nous l'assujettissions malgré elle à Dieu. Voilà pourquoi la sainte Eucharistie était nécessaire à l'Église, même après la réception du Saint-Esprit. Notre-Seigneur, qui est né pour ruiner le vieil homme, vient le détruire peu à peu dans chacun de nous, par sa présence réelle au saint Sacrement, en imprimant en nous ses vertus. Il met en nos coeurs sa charité, contraire à notre concupiscence; ses dispositions d'humilité, contraires à celles de notre orgueil; ses sentiments de pauvreté, opposés à ceux de notre avarice; il imprime en nous ses désirs de la gloire de Dieu son Père, opposés au désir de notre propre gloire. Par les puissants mouvements de retourner au ciel, qu'il ressentait après sa résurrection, il détruit en nous l'inclination que nous avons pour nous fixer sur cette terre et y chercher notre repos. Toutes ces dispositions nous sont données par le baptême, se perfectionnent ensuite par la Confirmation, et s'achèvent enfin par l'Eucharistie.
Mais tels ne sont pas les motifs qui poussent le Fils de Dieu à se donner, par la Communion, à sa sainte Mère. Il ne peut venir à elle comme médecin, puisqu'elle n'a point d'infirmité à guérir; elle n'a pas non plus de lâcheté à ranimer ni de langueur (257) à réchauffer : ayant toujours répondu à toute l'étendue de la grâce et obéi au Saint-Esprit avec une admirable docilité. Ce qui l'attire à elle, c'est l'ardent amour qu'il lui porte, et qui fait qu'il ne peut souffrir de se voir éloigné d'elle.
Il se donne aussi à elle, afin que, par ses prières, elle obtienne la conversion du monde. Par ce Sacrement, Jésus-Christ nous fait être une même chose avec lui : Celui qui mange ma chair et boit mon sang, dit-il, demeure en moi, et moi en lui (1), témoignant par là qu'il entre dans toutes les intentions de l'âme son épouse; et qu'elle aussi, de son côté, entre dans toutes celles de Jésus-Christ, son époux. Une âme qui communie à ce corps et à ce sang divin use, en effet, de Jésus-Christ comme d'une chose sienne, si bien qu'elle a droit, en vertu de ce saint mariage, d'employer toutes les prières de Jésus-Christ, son zèle, sa ferveur, ses mérites, ses souffrances, pour l'accomplissement de son dessein. Elle a droit et pouvoir de faire tourner les prières de Jésus-Christ du côté qu'il lui plaît, et de lui faire demander tout ce qu'elle veut, pour le bien de l'Église. Voilà ce qui a lieu dans la communion ordinaire des chrétiens au corps et au sang de Jésus-Christ. Mais quels effets merveilleux ne devaient pas produire sur le coeur de Jésus les prières ardentes de sa divine Mère, et l'amour immense que lui-même lui portait ! S'il est si prodigue envers les âmes ses épouses, c'est que dans elles il voit les charmes ravissants de Marie, sa sainte Mère, qui exerce sur lui un empire d'amour. C'est un traité admirable que celui de Jésus et de Marie dans le très-saint Sacrement de l'autel: là, elle demande, elle prie, elle arrête, elle poursuit.
1. S. Jean, chap. VI, 57.
O charité ardente! ô douceur gracieuse! ô charmes puissants! ô délicieux entretiens! rien de pareil à l'amour de Jésus et de Marie, rien de semblable à ces traités. Au très-saint Sacrement, dans ce banquet sacré de ses noces, Jésus traite avec elle, et accorde a ses désirs et à ses prières la réconciliation et la paix de l'Église, la conversion et le salut du monde.
C'est en ce jour que s'accomplit dans toute son étendue cette prophétie : La femme portera dans ses flancs un homme parfait', ce qui n'eut pas lieu la première fois que Marie porta Notre-Seigneur, puisque alors il était petit enfant, comme sont les autres hommes à leur entrée dans la vie. C'est pourquoi, à la fête du très-saint Sacrement, l'Église, inspirée du Saint-Esprit, chante dans toute cette Octave la doxologie : Gloire à vous, Seigneur, qui êtes né de la Vierge; et aux prières de Prime, au lieu de dire : Fils de Dieu, qui êtes assis à la droite du Père, dans votre gloire; elle chante Fils de Dieu, qui êtes né de la Vierge Marie, qui ôtes glorieux dans elle. C'est une espèce d'acclamation, que, dans le triomphe magnifique de Jésus-Christ, nous faisons, sans y penser, au Fils et à la Mère : au Fils, maintenant affranchi de l'état passible de la chair et glorifié, d'être né de la Vierge Marie, et à la très-sainte Vierge, d'être Mère de Jésus-Christ glorieux, d'être Mère du Dieu de gloire.
1. Jérém., chap. XXXI, 22.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
Cette union parfaite, qui met Marie en communion de sentiments et de biens avec Jésus, est le modèle de l'union que cette divine Mère veut avoir avec ses enfants, pour mettre en commun avec eux tous les biens qu'elle possède.
La charité nous porte à aimer le prochain comme nous nous aimons nous-mêmes, à lui communiquer tout ce qui nous appartient; et cela, à l'imitation des trois personnes dé la très-sainte Trinité, qui ont toutes choses communes entre elles. Car le commandement de l'amour du prochain est semblable en ce point à celui de l'amour de Dieu. On en vit une touchante preuve à la naissance de l'Église, où les premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun: la charité parfaite qui régnait entre eux ne faisant d'eux tous, comme des trois personnes divines, qu'un coeur et qu'une âme : Nec quisquam eorum quoe possidebat aliquid suum esse dicebat, sed erant illis omnia communia. Mais qui pourra jamais comprendre la perfection de l'amour de Dieu, dont le coeur de la très-sainte Vierge était (261) rempli et par conséquent sa parfaite charité pour le prochain? Si les premiers fidèles mettaient tous leurs biens en commun; si cette communication est une marque et un effet certain d'une charité parfaite, comment Marie, qui nous aime incomparablement plus que ne nous aiment tous les saints et tous les anges réunis, userait-elle de réserve à notre égard? Comment pourrait-elle ne pas mettre en commun avec nous tout ce qu'elle possède?
Cette vérité si consolante est fondée d'ailleurs sur un autre titre non moins incontestable, savoir: que Marie est notre mère dans l'ordre du salut. Comme notre mère, comme l'expression sensible de la paternité de Dieu, elle imite, dans sa charité envers ses enfants, la charité du Père éternel pour son Fils unique. Dieu aime son Fils, dit saint Jean; et à cause de cet amour il lui donne toutes choses, C'est aussi ce que la très-sainte Vierge fait à l'égard de ses enfants d'adoption : elle ne veut rien avoir qu'elle ne mette en commun avec eux. Les biens qu'elle a acquis, ce sont ses mérites propres, dont la richesse et l'abondance ne peuvent être connues que de Dieu seul : Marie ayant plus mérité de grâce et de gloire que tous les anges et les saints n'en recevront jamais dans le temps et dans l'éternité. Or Marie désire que nous profitions tous de ces mérites.
D'abord remarquez que si elle a acquis ce trésor immense de richesses spirituelles, ce n'est pas pour elle seulement, mais aussi, comme elle-même nous l'apprend dans le livre de la Sagesse, pour (262) tous ceux qui cherchent la vérité, qui est Jésus-Christ. Non mihi soli laboravi, sed omnibus exquirentibus veritatem (1). Le Fils de Dieu s'est fait homme, il a souffert, il est mort et ressuscité pour nous et pour notre salut, comme nous le confessons hautement dans le Symbole; et Marie, de,son côté, associée à l'œuvre de notre Rédemption, a contribué aux mystères de son divin Fils et a travaillé durant sa vie pour procurer nos intérêts personnels. Saint Paul n'enseigne-t-il pas, d'ailleurs, que les parents doivent thésauriser non pas pour eux-mêmes, mais pour leurs enfants? L'un des motifs qui soutenaient Marie au milieu des peines de sa vie sur la terre, c'était la perspective et l'assurance certaine de laisser à ses enfants de quoi subvenir à la misère extrême où elle les voyait réduits. N'avons-nous pas tous les jours sous les yeux l'exemple d'une multitude de pères et de mères qui, pour laisser à leurs enfants quelques biens périssables, endurent toutes sortes de fatigues, se condamnent à mille privations, s'exposent à toutes sortes de périls? Que n'a donc pas fait Marie pour nous assurer les biens du ciel, dont tous les biens de la terre ne sont qu'une figure vaine et une trompeuse image !
Mais considérez encore que les mérites satisfactoires qu'elle a acquis sont superflus pour elle-même. N’ayant jamais été souillée d'aucune tache de péché, Marie n'avait point de fautes à expier ni de satisfaction à offrir pour elle-même à la justice divine. De sorte que, sous ce rapport, elle a un immense trésor dont elle ne peut user pour elle-même, mais qu'elle est libre de nous communiquer, en vertu de la communion des saints.
1. Eccli., chap. XXIV, 47.
Si sa charité parfaite ne lui inspirait pas déjà le mouvement de les mettre en commun avec nous, son amour maternel suffirait pour l'obliger à nous en faire part. Une mère qui serait au sein de l'abondance, qui aurait mille et mille fois plus de bien qu'il ne lui en faudrait pour vivre honorablement selon son état, pourrait-elle voir ses enfants endurer les plus dures privations et toutes les rigueurs de la plus affreuse indigence sans les soulager? Eh ! comment Marie, la plus tendre, la plus douce, la plus aimante, la plus compatissante de toutes les mères, pourrait-elle ne pas,nous assister dans notre extrême nécessité spirituelle bien plus affligeante pour nous et pour elle que toutes les privations imaginables des biens temporels?
Allez donc à Marie avec une confiance sans bornes, pour puiser dans ses trésors tout ce qui est nécessaire ou utile à votre salut. Vous pouvez vous enrichir autant qu'il vous plaira; du moins dans l'ordre commun, l'étendue de vos désirs sera toujours pour vous la mesure des largesses, de Marie. Voilà pourquoi on n'a jamais entendu,dire qu'on l'ait invoquée vainement. Demandez-lui ce que vous savez vous être le plus nécessaire pour remplir saintement vos devoirs envers Dieu, envers le prochain, suivant l'état auquel vous avez été appelé.
CHAPITRE XV. MARIE CONTRIBUE A DONNER DES ENFANTS A DIEU ET A FORMER JÉSUS-CHRIST DANS LES ÂMES, PAR LES SACREMENTS ET PAR LA PRÉDICATION DES APÔTRES
I
En sa qualité de Mère de Jésus-Christ glorifié, Marie a la fécondité pour le produire dans les âmes. Notre-Seigneur régénère les hommes en leur donnant une nouvelle vie par le Saint-Esprit qui vient en être le principe. Avec le Père, il envoie le Saint-Esprit, comme une sainte et féconde semence, pour faire germer dans les coeurs de nouvelles dispositions, de nouveaux mouvements, de nouvelles inclinations qui les portent à des effets tout autres que ne les portent les inclinations premières qu'il ont reçues d'Adam. Cette régénération prend son principe et sa dénomination de Jésus-Christ, qui, plus proprement que le Père éternel, est appelé le Père du siècle futur, parce qu'il communique aux hommes ses inclinations, ses moeurs, ses vertus : comme son humilité, (265) sa patience, sa pauvreté, lesquelles sont des vertus originaires de Jésus-Christ, et ne résident pas dans le Père éternel, qui ne peut être humble, pauvre . en lui-même. Par le moyen de la nature humaine qu'il a associée à sa grandeur, Notre-Seigneur est devenu humble, patient, pauvre, dans un degré si éminent et si fécond qu'il a de quoi en donner à toute sa famille; et cette nouvelle vie qui, comme nous le disions, prend sa naissance ici-bas au baptême, va se perfectionnant par la Confirmation, s'achève en partie dans la Communion, et se consomme enfin dans le siècle futur, qui est la vie céleste, la gloire de l'éternité.
Jésus-Christ met la très-sainte Vierge en participation de sa fécondité pour communiquer à ses enfants cette nouvelle vie. Son union avec Marie est si ineffable que nous ne pouvons comprendre, ni l'unité qu'elle établit entre lui et cette divine Vierge, ni la profondeur du secret qu'elle contient.
A son intercession il engendre son corps mystique dans le baptême; il le perfectionne dans la Confirmation et l'achève dans la Communion. C'est ce qu'elle fait à la formation de l'Église, spécialement par la communion du corps de Jésus-Christ, donné aux fidèles dans cette circonstance, et depuis dans toute la suite des générations. Par ce sacrement Jésus-Christ donne son corps et son sang glorieux, son âme, sa divinité; il se multiplie autant de fois qu'il compte de membres; il est tout entier dans chacun, sans souffrir aucune division. Mais Marié étant la Mère de Jésus-Christ, est aussi la mère de tous ses (266) membres, qui, comme membres de son Fils, ne sont rien qu'en lui et par lui, de ce qu'ils sont de saint et de divin; et cela même, ils le reçoivent par Marie, qui reçoit elle-même tout de Jésus-Christ. L'Eucharistie, ce sacrement par lequel il vient vivifier les hommes et communiquer la vie à son Église, est l'arbre de vie placé dans le paradis terrestre; et Marie, nouvelle Ève, nous donne à chacun ce fruit de véritable immortalité, Jésus le fruit béni de ses entrailles. Ainsi, au temps de la Pentecôte, dès que l'Église commença à communier au corps glorieux du Sauveur, fut parfaitement accomplie cette parole mystérieuse du Psalmiste : L'homme et l'homme est né dans elle (1). Car Marie, qui n'était auparavant que Mère du Dieu d'infirmité, étant faite Mère du Dieu de gloire, devint aussi la mère de toute l'Église, qui est un autre Jésus-Christ, ou plutôt qui n'est que l'achèvement, le complément, le corps mystique de ce divin chef.
Mais Jésus-Christ, nouvel Adam, ayant promis d'être avec cette Église, son épouse, jusqu'à la consommation des siècles, pour donner constamment par elle des enfants à Dieu, il fallait à l'Église visible un époux visible dé même nature qu'elle; et Jésus-Christ glorifié ne pouvait pas être son Époux visible. Par son Ascension, Jésus-Christ est d'ailleurs caché en Dieu et ne doit reparaître visiblement sur la terre qu'au grand jour de ses assises, lorsqu'il viendra juger l'univers. Toutefois, fidèle à sa promesse, il continue, par une heureuse invention de son amour, sa présence sensible dans la personne de saint Pierre, en qui il veut résider en qualité d'époux visible de son Église.
1 Ps. LXXXVI, 5.
Saint Pierre est aussi lé roi, le chef, le pasteur de l'Église; il est le prince des apôtres; mais toutes ces prérogatives d'honneur et de puissance, quelque considérables qu'elles soient, n'approchent pas du titre d'amour que Jésus-Christ lui communique, en l'établissant l'époux visible de l'Église en sa place.
II
Comme époux et père visible de toute l'Église, saint Pierre envoie partout les disciples et les apôtres pour établir en son nom des églises particulières. Il les dirige là où l'esprit de Notre-Seigneur, résidant en lui, lui inspire de les envoyer; et quoique ce même Esprit pousse aussi les apôtres et les disciples vers les lieux où saint Pierre les envoie, saint Pierre, toutefois, fonde lui-même l'Église par ses soins et par sa coopération à ce divin Esprit. Car s'il envoie les apôtres et les disciples engendrer des enfants à Dieu, par l'eau et le Saint-Esprit de Jésus-Christ, qui repose sur eux, c'est pour les engendrer en . sa place, c'est-à-dire au, nom de saint Pierre (1), Notre-
1. Il est dit que les Apôtres et les Disciples envoyés par saint Pierre conféraient-les sacrements en son noie, en ce sens qu'ils agissaient sous son autorité, mais ils baptisaient au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit, selon l'institution de Notre-Seigneur.
Seigneur ayant voulu multiplier ainsi les ministres dès la naissance de l'Église, pour multiplier les sujets de nous faire du bien et d'exercer son amour envers nous. Et quoique, dans le troupeau de Jésus-Christ, les apôtres soient des mères brebis, fécondes pour produire des agneaux, il les soumet tous à saint Pierre, aussi bien qu'il lui soumet les fidèles Paissez mes agneaux, paissez mes brebis; même saint Paul, qui allait le consulter, comme celui qui avait reçu de Jésus-Christ l'assurance entière de n'errer jamais dans la foi et de confirmer tous ses frères. C'est pourquoi les églises que les apôtres avaient engendrées deçà et delà, ne relevaient point les unes des autres par dépendance, sinon en tant qu'elles étaient soumises à saint Pierre, dont l'apostolat avait pour objet toute l'Église; d'où vient que les autres apôtres travaillaient dans l'apostolat de saint Pierre, ce qu'il faut tenir pour certain. Aussi, celui qui siège dans la chaire de saint Pierre est-il appelé Pape, ou Saint-Père, pour marquer l'esprit de Jésus-Christ en lui, l'unique père de l'Église, et la source de la vie qu'il donne à son Église, partout où elle est répandue.
Bien plus, la très-sainte Vierge elle-même, considérée comme membre de l'Église et sa partie principale, appartenait à saint Pierre, qui avait l'honneur en Jésus-Christ de la posséder et de la regarder comme sienne; et il s'estimait plus heureux de cette prérogative que de toutes ses autres qualités, que de la possession même du reste de l'Église. Si l'on regarde, en effet, l'Église comme (269) l'assemblée des âmes qui composent le corps de Jésus-Christ, la très-sainte Vierge est plus considérable aux yeux de Dieu que toute l'Église ensemble : son intérieur étant plus pur, plus saint, plus parfait, et rendant plus d'honneurs et de louanges à Dieu, que tout le reste des membres de Jésus-Christ.
Considérée comme la nouvelle Ève, elle est unie étroitement à saint Pierre, par le ministère extérieur duquel Jésus-Christ veut donner avec elle des enfants à Dieu; et toutefois Marie ne déchoit pas de sa dignité. Car saint Pierre et Notre-Seigneur ne sont qu'un: Notre-Seigneur étant dans saint Pierre pour continuer ses fonctions d'Époux envers l'Église. Dans une seule prédication, saint Pierre donne la vie de Dieu à trois mille morts; dans une autre, à cinq mille; et, en vivifiant ainsi les peuples par le Verbe divin, le vrai pain de Vie, il accomplit ce que Jésus-Christ avait figuré en les rassasiant par la multiplication des pains dans le désert.
III
Marie n'exerce pas visiblement et sensiblement, comme les apôtres, les fonctions de l'Église, elle n'offre pas Jésus-Christ sous les espèces du pain et du vin immédiatement; elle l'offre d'une manière convenable à son état, à son sexe, à sa qualité, à sa condition de Mère de Dieu, ainsi qu'il a été dit.
Elle ne fait pas la fonction d'apôtre extérieurement, quoiqu'elle ait reçu aveu les apôtres l'Esprit de Jésus-Christ, l'apôtre universel, et qu'elle l'ait reçu en plénitude. Elle n'est point appliquée aux Juifs ou aux gentils en particulier; mais, ayant en soi la plénitude du zèle de son Fils, elle a aussi, par participation éminente de Jésus-Christ (car elle n'a de puissance en rien et sur rien, que par lui), et le zèle universel pour la gloire de Dieu, et la puissance intérieure de procurer et d'envoyer secrètement, par les voies du Saint-Esprit et dé l'amour divin, des serviteurs de Dieu par tout le monde. Aussi est-elle Reine des apôtres, à cause de ce don apostolique qu'elle a reçu en plénitude, qui est le zèle de faire connaître Notre-Seigneur et d'édifier l'Église avec une sagesse admirable. C'est que, tout possédés de l'Esprit de Dieu, ils demeuraient soumis à Jésus-Christ partout où il voulait régner sur eux, soit en saint Pierre, soit en Marie, par laquelle il voulait diriger l'Église et conduire tous les apôtres.
1. S. Antonini Florent. Biblioth. Virginal. tom. II, pag. 672, 699, 518. Voluit Filius, ut post Ascensionem remaneret ad tempus in mundo doctrix et illuminatrix Apostolorum. Unde quandoque ipsa determinabat quaestiones de factis Dei et morum, si quae oriebantur in Ecclesia primitiva. Cognovit Maria, instar coelestium Cherubini, socia sui vultus luce concordia. Nulla enim creatura pura habuit tantam cognitionem de divinis rebus et pertinentibus ad salutem sicut ipsa. Magistra fuit Apostolorum et Evangelistarum ad docendum eos de mysteriis Christi : nec mirum si thesaurum habuit immensum sapientiae, cum in ea Christues requieverit, in quo suntomnes thesauri sapientiae et scientiae Dei, secundum Apostolum. Et propterea dicitur Luc. II, quod Maria conservabat omnia verba haec, ut postea tempore suo (ut dicit Beda), posset Apostolos instruere, et Evangelistas de his ad quae praesentes non fuerunt circa Nativitatem Christi, et alia quae ipsi scripserunt, praecipue Lucas, qui magis particulariter de Nativitate, Annuntiatione et aliis scripsit, unde et a quibusdam notarius Virginis dicitur.
Saint Pierre même lui était soumis, à cause de cette plénitude de l'Esprit de Jésus-Christ, alors souverain Pontife, qui était descendu en Marie, et lui donnait une grâce et des talents merveilleux pour les diriger. Il est vrai qu'à l'extérieur, saint Pierre avait puissance sur elle, étant l'image extérieure de Jésus-Christ (1); mais la sainte Vierge avait reçu la plénitude de l'Esprit de Jésus-Christ par-dessus tous les apôtres. Par un effet de l'amour et de la puissance de l'esprit intérieur qui la remplissait, ils répondaient fidèlement aux conseils qu'ils recevaient d'elle, sans cesser pourtant d'adhérer avec révérence à saint Pierre, auquel ils demeuraient toujours attachés, comme au signe visible de l'unité de Dieu, auquel toute l'Église vient aboutir, rentrant dans l'unité de celui de qui elle est sortie.
A une vocation si éminente, Marie joignait une humilité si profonde qu'elle était incompréhensible. Si elle usait de la puissance et de la grandeur de la grâce de Dieu en elle, pour conduire les disciples de Jésus-Christ avec une vertu admirable, c'était sans se tirer de sa petitesse et de son néant, où elle était toujours abîmée; c'était avec une présence d'esprit, une netteté, une force, une stabilité, une vigueur et une prudence incomparables; c'était avec une lumière toujours présente, perçante, vive, douce et forte; c'était avec une charité pure, ardente, égale, sans sentiment extérieur.
1. Dionys. Carthusian. in Cantice. Art. XXVII. Beatam Virginem sub Cruce tradidit S. Joanni Apostolo custodiendam. Similiter principi apostolorum, tanquam totius Ecclesiae praesuli ac praelato fuit humillime subdita. — «Notre-Seigneur confia la Bienheureuse Vierge qui était au pied de la croix à la garde de l'apôtre saint Jean. Elle fut également soumise avec une parfaite humilité au prince des Apôtres, comme au chef et au pasteur de toute l'Église. »
Enfin, Marie est une merveille et un miracle, qui oblige les apôtres à la vénérer, comme l'arche de leur Dieu vivant en terre, qui de là les remplit de force et de vigueur, dans la prédication de l'Évangile. En un mot, Marie était pour eux ce fleuve, dont il est parlé dans l'Apocalypse, qui sort du trône de Dieu et de l'Agneau, et qui fait porter des fruits douze fois l'année aux arbres qu'il arrose, c'est-à-dire aux douze apôtres (1).
La très-sainte Vierge est le second sanctuaire du temple, appelé le Saint, qui était inférieur au Saint des saints, mais qui le touchait de près. C'était là que le sacrifice des parfums était toujours offert; là que se trouvaient les douze pains de proposition, qui servaient de nourriture aux prêtres du temple. Ce lieu sacré exprimait l'intérieur de Marie, le vrai sanctuaire des apôtres et des prêtres, dans lequel Dieu reçoit continuellement les parfums les plus suaves de la parfaite religion. S'il est dit de cet intérieur, qu'il est semblable à un monceau de froment (2), c'est pour signifier que dans l'intérieur de Marie est l'aliment saint qui doit remplir les âmes apostoliques, les âmes consacrées à Dieu et à ses autels, lesquelles doivent être nourries des plus éminentes communications de Jésus-Christ.
1. Apoc., chap. XXII, 1, 2.
2. Cant., chap. VII, 2.
Dans ce second sanctuaire se voyait encore le chandelier à sept flambeaux, qui exprimait l'intérieur de la très-sainte Vierge, remplie également des dons du Saint-Esprit et de la religion universelle de Jésus-Christ, dont les apôtres et les prêtres sont les flambeaux pour éclairer l'Église (1). Car, selon les termes de Jésus-Christ lui-même, qui éclaire en eux et par eux, ils sont la lumière du monde, c'est-à-dire de tous les hommes qui vivent sur la terre.
C'est pourquoi la très-sainte Vierge, par qui passent toutes les grâces qui découlent de Jésus-Christ dans l'Église, et qui tient ainsi immédiatement au chef, est figurée par le cou de l'Épouse des Cantiques : le cou étant censé recevoir la vie du chef ou de la tête, et la communiquer à tout le reste du corps.
1. S Ephrem, groece, tom. III, pag. 529. Maria, septem luminum candelabrum, cujus splendor solares radios superavit.
S. Epiphanii, de Laudibus B; Virginis Marioe, tom. II, pag. 296-297. O candelabrum virgineum ! quod illustravit tenebris involutos ! O candelabrum virgineum ! repellens tenebras et lucem splendere faciens, quod ignem et oleum inseparabile ad illuminandum intulit ! O candelabrum virgineum! quod ab Altissimo Throno accepit ter lucidum ignem, unum, inextinguibilem, consubstantialem, et ad illustrandam terram resplenduit!... O uterum ! habentem, inextinguibile lumen septies lucentis gratinae
S. Joannis Damasceni, tom. II, pag. 856. Tum candelabrum, tum mensa, tum reliquia omnia Legis ritu aurea, allegorice non ambigua significatione, de te (o Maria !) aureis multisque neminibus celebri, accipiuntur.
Il est dit que ce cou mystique est semblable à la tour de David pour la rondeur et l'uniformité, c'est-à-dire pour sa perfection; qu'au pied de cette tour sont les boulevards qui la défendent; et que de la tour de David pendent les boucliers et tout l'armement des forts d'Israël. Ces forts d'Israël sont les saints apôtres, qui, dans l'intérieur de la sainte Vierge et par son intercession, puisaient la lumière de leur doctrine et le courage pour combattre les ennemis de Jésus-Christ. C'est ce qu'expriment ces boulevards, comme aussi ces deux petits chevreaux, bondissant au milieu des lis, auxquels sont comparées les mamelles de l'épouse; car ces mamelles symboliques marquent la lumière et l'amour de Dieu, que la très-sainte Vierge fait découler dans l'Église, et qui en sont la nourriture essentielle et l'aliment. Elles sont assimilées à deux chevreaux, égaux en âge, tous deux jumeaux et d'une même portée, à cause que l'amour et la connaissance marchent de même pas. Ils paissent dans les lis, c'est-à-dire que ces connaissances et ces amours sont purs et de choses divines; et si on les compare aux chevreaux, c'est pour dire qu'ils naissent dans les solitudes, dans la pureté des déserts, séparés du monde et de l'affection, du siècle.
Les apôtres; puisant donc dans Marie les connaissances et l'amour que Jésus-Christ veut leur communiquer, vont comme des vases pleins de grâces, comme des feux puissants, répandant l'amour et la lumière dé Dieu par tout le monde
1. Cant., chap. IV, 4, 5.
. Ce sont des lampes de feu et de flammes, c'est-à-dire ardentes et lumineuses tout à la fois. Ils n'échauffent et n'excitent pas seulement, ils éclairent et reluisent sur tous les peuples. Je :vois ces grands flambeaux du ciel, ces messagers de Dieu, ces hommes tout embrasés du feu et des flammes du zèle, courir et voler de toutes parts, pour enflammer le monde de l'amour de Dieu et de Jésus-Christ son Fils. Ces divins personnages sont sans attache à eux-mêmes, sans soins et sans souci de leur vie, ne pensant qu'à porter Dieu partout où ils pourront, partout où ils seront poussés par l'impétuosité de l'Esprit de Jésus-Christ. Marie est leur aide dans leurs travaux, quelque éloignés de corps qu'ils soient d'elle : elle leur obtient par ses prières l'esprit qui les dirige, les pousse, les excite, qui est la lumière qui les éclaire, l'amour qui les embrase, la parole qui les rend éloquents, la puissance par laquelle ils font des miracles (1). Ils sont tellement consumés du zèle de la gloire de Dieu, par la communication de cet Esprit, que, ne se souvenant plus de ce qu'ils sont, ils vont partout le monde, pour le faire connaître et aimer.
1. C'est ce qui fait dire à saint Éphrem ces paroles : Per te omnis gloria, honor et sanctitas Apostolis, Prophetis, justis et humilibus corde, derivata est, ac derivabitur. (Graece ; tom. III, pag. 532.) Ce même saint docteur dit encore au sujet des apôtres et des prédicateurs de l'Évangile : Maria, os loquax Apostolorum, vincentium fiducia invisibilis, sacerdotum gloriatio, gloria et_laetitia omnium sacerdotum. Attende voci anxiae deprecationis meae : Auxiliatrix mea, da mihi sermonem in apertione oris mei : tu quae praebuisti mihi vitam tua intercessione, ut annuntiem magnificentias tuas, antequam abeam. (S. Ephrem; graece, tom. III, pag, 530, 756, 541. )
Ne songeant plus s'ils ont un corps ou une vie à perdre, ils bravent les périls, ils affrontent les supplices, ils attaquent lés rois, ils forcent les bourreaux. En un mot, ils vont dans tous les lieux où l'impétuosité du mouvement de l'esprit qu'ils reçoivent par elle les pousse et les oblige d'aller. Semblables à ces fusées volantes qui s'élancent partout où le feu intérieur les pousse, ils s'abandonnent à l'esprit qui les possède, à sa sagesse et à la prudence de sa conduite, sans lui en demander la raison. Pour cela Marie, par qui Jésus-Christ se plaît à leur communiquer son amour, son zèle et son ardeur, est rendue par lui tout zèle, toute ardeur pour faire honorer et glorifier Dieu par tout le monde.
Que verrez-vous dans la Sunamite, dit l'Église, parlant de la très-sainte Vierge, sinon des corps d'armées? Ces divers escadrons sont les églises particulières de Jésus-Christ, conduites et dirigées par ses officiers et ses ministres, qui sans cesse sont en armes, soit pour détruire le péché et tous les ennemis de Dieu, contre lesquels il faut toujours combattre; soit pour faire paraître la majesté et la beauté du Roi qui se tient à la tête de ses armées, afin d'en, être le coeur et la force. Cette force puissante il l'a mise en dépôt dans la très-sainte Vierge, que pour cela il fait voir à son Église comme un arsenal, qui renferme les armes des généraux de (277) son armée et contient des milliers de boucliers et toutes sortes d'armures; c'est-à-dire que les armes de tous les officiers et de tous les ministres de l'Église, qui doivent les mettre en défense contre les ennemis de Dieu, sont attachées à la très-sainte Vierge; Dieu voulant qu'ils s'adressent à elle, et qu'ils vivent dans une dépendance souveraine de sa grandeur, de sa puissance et de sa force invincible. Pour cela encore, elle nous est représentée comme le centre et le résumé de tout le corps apostolique, de tout le clergé : contenant en elle seule toute la force, toute la beauté, tout le lustre et la sainteté de tous les ministres et de tous les membres de l'Église. Elle est terrible comme une armée rangée en bataille, dit l'Église, parlant de Marie; elle est terrible dans la plénitude de sa puissance et de sa force aux yeux des hommes, des anges et des démons.
IV
Ce beau passage: Que verrez-vous dans la Sunamite, sinon des corps d'armées (1)? signifie que la très-sainte Vierge comprend seule, en éminence, toutes les perfections angéliques, et incomparablement au delà. Si bien que Dieu trouve en elle plus d'amour que dans les séraphins, plus de lumières que dans les chérubins, plus de constance que dans les Trônes; en un mot, plus de perfections que dans tous les ordres angéliques ensemble.
1. Cant., chap. VII, 1.
Dans elle Dieu voit en éminence: toute l'Église de la terre et du ciel; il contemple ses perfections dans ce miroir sans tache, où il n'y a que lumière, que beauté, qu'éclat. Il, se complaît en Marie, comme dans toute l'Église; et même il l'aime encore plus qu'il n'aime l'Église, à cause des éminentes perfections qu'elle possède par-dessus toutes celles de l'Église de la terre et du ciel.
Saint Jean a vu cette merveille. Il représente la très-sainte Vierge comme une femme revêtue du soleil, portant sur la tête une couronne de douze étoiles, ayant la lune sous ses pieds. Cette figure a aussi pour objet l'Église. Comme épouse parfaite de Jésus-Christ, l'Église vit en lui, et il vit en elle; et servant maintenant de vêtement à Jésus-Christ, Jésus-Christ, à son tour, la revêtira de sa gloire, qui est son vêtement éternel. Mais cette figure, qui s'applique encore à l'âme qui communie à Jésus-Christ dans l'Église, ne peut être appliquée à Église ou à l'âme chrétienne, que parce qu'elle a premièrement pour objet la très-sainte Vierge, qui contient éminemment l'Église et toutes les âmes saintes. Saint Jean représente. donc cette divine Mère de Jésus. Christ et de l'Église, comme revêtue du soleil (1), c'est-à-dire environnée, pénétrée, possédée, vivifiée et animée de Jésus-Christ dans la splendeur de sa résurrection, en la manière que le cristal est pénétré de l'éclat du soleil.
1. Apocal., chap. XII, 1.
Remplie du soleil de justice et perdue dans ce soleil même, Marie de. meure en lui, et lui en elle. Revêtue des vertus, des divins exemples et de la splendeur de Jésus-Christ, elle répand partout la bonne odeur de son Fils, qui, par sa Mère, éclaire l'Église, la remplit de sa fécondité et de sa vertu, et donne à chacun; selon les fonctions qu'il doit remplir, ses dons et ses grâces.
Comme autrefois, Dieu ayant créé la lumière, l'attacha au corps du soleil, afin de la porter par lui dans tout le monde et d'éclairer toute créature; de même, dans la grâce, Dieu le Père, ayant engendré son Fils, et l'ayant envoyé pour être la lumière qui doit illuminer les hommes, il attache cette lumière divine à la personne de sa Mère, comme au foyer d'où elle doit se distribuer à tous. Pour ce sujet même, cette femme porte sur sa tête une couronne de douze étoiles (1), par où nous apprenons que la très-sainte Vierge, remplie de Jésus-Christ, remplit à son tour de sa splendeur toute l'Église du ciel, ce qui la fait appeler par les Pères :: la couronne de toits les saints. Ces étoiles représentent aussi les douze apôtres, tout le corps des pasteurs, toute l'Église enseignante, éclairée de la splendeur bienheureuse de Marie, et recevant toute sa fécondité par elle. Enfin le reste de l'Église est figuré par la lune, qu'elle tient sous ses pieds. Ainsi elle influe sur toute l'Église, tant du ciel que de la terre, consommant l'une et fortifiant l'autre, distribuant la lumière à l'une et à l'autre, conformément à leur état.
1. Apocal., chap. XII, 1
Non-seulement elle illumine, mais aussi elle purifie; c'est pourquoi elle paraît avec le dragon à ses pieds (1) : ce qui marque qu'elle a puissance sur le péché et sur le père du péché, qui est le diable; et que tous les apôtres, les disciples, les. prêtres et les autres ministres de la hiérarchie de l'Église, jusqu'aux exorcistes, tiennent et reçoivent de Jésus-Christ, par elle, la puissance de fouler aux pieds et d'écraser la tête du serpent.
O très-sainte Vierge! aimable Mère! par vous nous sommes engendrés dans l'Église, par vous Dieu nous met au nombre de ses enfants! Mère bienheureuse de l'Église! retirez et consommez en vous ce qui en est sorti. En attendant. nous gémissons dans cette vallée de larmes, espérant de rentrer au ciel, dans le sein qui nous a produits. O Mère miséricordieuse ! ô charité ardente! ô bonté incompréhensible! ayez compassion de nous et attirez-nous à Jésus-Christ, votre divin Fils, pour nous rendre en lui éternellement bienheureux.
RÉFLEXIONS PRATIQUES. SUR LA PRIÈRE : O JÉSUS VIVANT EN MARIE
Puisque Marie est toute pénétrée de Jésus-Christ, le soleil de justice, qui se plaît à communiquer par elle sa grâce aux hommes, combien votre recours à elle ne doit-il pas être fréquent et votre union étroite?
1. Apocal., chap. XII, 4.
Jésus-Christ se plaît à distribuer par sa Mère ses dons à tous les membres de son Église, et à chacun selon sa vocation. Par elle, il communique la lumière et le zèle aux hommes apostoliques, la force aux martyrs, la fidélité aux confesseurs, l'innocence aux vierges, enfin à chacun tout ce qu'il est dans l'ordre de la grâce; ce qui la fait appeler par l'Église : la Reine de tous les saints.
Mais, outre les dons particuliers qu'elle distribue à chacun selon sa vocation, Marie veut premièrement communiquer à tous la vie de Jésus-Christ; car cette vie est nécessaire à tous les états, à toutes les conditions, à tous les âges, chacun y devant participer comme membre du corps mystique de Jésus-Christ. Les effets de cette vie dans les âmes sont expliqués dans la prière suivante, composée par M. Olier, et à. la récitation de laquelle le souverain pontife Pie IX a daigné attacher 300 jours d'indulgence : O Jésus vivant en Marie, venez et vivez dans vos serviteurs, dans l'esprit de votre sainteté, dans la plénitude de votre force, dans la perfection de vos voies, dans la vérité de vos vertus, dans la communion de vos mystères; dominez sur toute puissance ennemie par votre Esprit, à la gloire de votre Père. Ainsi soit-il.
Cette prière contient toutes les demandes que nous pouvons faire à Dieu pour la perfection de nos âmes.
1° Nous lui demandons d'abord de vivre en nous (282) dans son Esprit de sainteté. L'Esprit de sainteté de Notre-Seigneur, c'est le Saint-Esprit, sanctifiant l'humanité du Sauveur, pénétrant son âme de la charité la plus pure dans un degré de perfection que nous ne comprendrons jamais. Notre-Seigneur vivant en sa bienheureuse Mère lui a communiqué ce même esprit avec toutes ses inclinations, autant qu'il était possible à une créature d'y participer, et il veut par la sainte Vierge nous le communiquer aussi, pour que nous vivions d'une vie surnaturelle. Pour cela ce divin Esprit opère en nous deux effets: il nous détache de nous-mêmes et du monde, et nous unit à Dieu par la charité.
Il nous détache des créatures et de nous-mêmes. Nous n'ignorons pas que, par suite du péché originel, notre esprit ayant été obscurci et notre coeur détourné de Dieu, les créatures sont devenues pour nous un sujet de tentation et comme un piège que le démon tend à notre faiblesse. Or l'œuvre du Saint-Esprit, de l'Esprit de sainteté de Jésus-Christ en nous, consiste à nous détacher de tout ce qui n'est pas Dieu, pour nous attirer et nous unir à Dieu. Pour cela, il nous éclaire des lumières de la foi, il répand dans nos âmes la charité, il nous aide à diriger vers Dieu nos affections et nous soumettre en tout à sa très-sainte volonté.
Notre-Seigneur nous a mérité cette grâce par son incarnation, et nous la lui demandons en disant : Venez et vivez en nous dans votre Esprit de sainteté.
2° Nous lui demandons en second lieu de venir (283) vivre en nous dans la plénitude de sa force, in plenitudine virtutis tuae?. La vertu de Jésus-Christ est sa puissance et son activité. Nous demandons qu'il agisse en nous dans la plénitude de cette vertu, c'est-à-dire selon toute l'étendue de son pouvoir et selon toute l'efficacité de cette vertu, pour nous faire surmonter les difficultés de toute nature qui s'opposent en nous à l'action de la grâce. Saint Paul nous a dit dans le même sens : « Confortamini in Domino et in potentia virtutis ejus. Fortifiez-vous dans le Seigneur et dans la puissance de sa vertu. » (Éphés., VI,10.) Nous ne devons donc jamais dire qu'une chose est impossible ou qu'elle est trop difficile, quand Dieu nous la demande ou la désire de nous, mais l'entreprendre courageusement et avec confiance. S'il se présente quelque humiliation, quelque victoire à remporter sur nous-mêmes, notre force sera en Notre-Seigneur, et sa vertu agira en nous; nous viendrons à bout de tout.
« C'est l'effet de Jésus vivant en Marie dans la plénitude de sa vertu. Oh! l'aimable et la divine vie ! Il n'y a point de péchés qu'elle ne prévienne; il n'y a point d'obstacles qu'elle ne surmonte; il n'y a pas de coeur qu'elle n'enlève; il n'y a pas de grâce qu'elle ne donne. Car qu'y a-t-il qui ne soit donné et qu'on ne puisse légitimement attendre d'un Dieu vivant dans la plénitude de sa vertu? » (TRONSON, Méditations sur la prière O Jesu vivens in Maria.)
Nous disons en troisième lieu : Dans la perfection de vos voies. Les voies de l'homme sur la (284) terre sont celles qu'il doit suivre pour tendre à sa fin dernière, à sa véritable fin. Adam s'était détourné, par le péché, de sa voie, et nous avait engagés avec lui dans une voie d'égarement, d'erreur et de perdition. Touché de notre sort, Jésus-Christ est venu nous enseigner les voies qui doivent nous conduire à notre fin, en nous montrant, dans sa personne et dans ses préceptes, de quels sentiments nous devons être pénétrés envers Dieu, envers le prochain, envers nous-mêmes, et à l'égard du monde et de ses maximes. Personne, après Jésus-Christ, n'a marché plus purement et plus constamment dans ses voies que Marie, sa très-digne Mère: Elle l'a suivi avec une fidélité parfaite et nous a mérité de sa part des secours abondants, pour y marcher nous-mêmes en participant à sa religion envers Dieu, à sa charité pour le prochain, à son anéantissement à l'égard d'elle-même, et à son opposition aux maximes du monde et au péché. C'est ce que nous souhaitons d'obtenir par cette troisième demande.
3° Dans la vérité de vos vertus. L'état d'aveuglement, de faiblesse et de dérèglement, où l'homme était tombé par le péché, lui avait ôté tout moyen de pratiquer par lui-même aucune vertu véritable. Car ces actes difficiles que les païens appelaient vertus, et auxquels plusieurs s'exerçaient, n'étaient tout au plus que des vertus purement naturelles, et très-souvent elles n'étaient que l'effort d'une passion qui en assujettissait une autre. Il n'y a de vertus surnaturelles, nous conduisant au ciel, que (285) celles que Jésus-Christ a pratiquées en sa personne, ou par ses membres qui sont animés de son esprit l'humilité, la douceur, la patience, l'obéissance, la charité, vertus dont il ne suffit pas d'avoir la simple apparence ou même l'estime et le désir, mais dans la vérité desquelles nous devons nous établir. Or, plus l'Esprit de Jésus-Christ possède nos âmes, plus aussi les actes que nous faisons méritent le nom de vertus; et comme personne n'a été plus parfaitement possédé par l'Esprit de Jésus-Christ que Marie, personne aussi n'a pu l'égaler dans la vérité et l'éminence de ses vertus; ou plutôt elle les a pratiquées toutes avec tant de fruit et de bénédiction qu'elle a de quoi en faire part à tous ses enfants.
4° Dans la communion de vos mystères. Les mystères principaux de Notre-Seigneur sont son Incarnation, sa Naissance, sa Mort et sa Sépulture, sa Résurrection, son Ascension, sa présence dans la divine Eucharistie. Chacun de ces mystères nous donne des enseignements et renferme des grâces qu'il nous a méritées, pour nous établir dans la vie surnaturelle, dont il est le principe et le modèle. Comme tout le christianisme consiste à ressembler à notre divin Maître et à participer à sa vie, nous lui demandons de venir vivre en nous dans la communion de ses mystères.
C'est bien alors, quand il vivra en nous dans la plénitude de sa vertu, quand nous marcherons dans les voies qu'il nous a tracées, que nous pratiquerons les vertus dont il nous a donné l'exemple, (286) que nous participerons à ses mystères; c'est alors qu'il dominera sur toute puissance ennemie, dans son Esprit et pour la gloire de son Père. Il triomphera en nous du démon, de la chair, du monde, de l'orgueil, comme il a triomphé dans le coeur de sa sainte Mère.
Approchons-nous donc de Marie avec une confiance sans bornes, aimant à contempler son int6rieur, dans lequel le Fils de Dieu a pris ses complaisances. En récitant cette prière, figurons-nous que nous nous abreuvons à cet intérieur admirable; comme un enfant au sein de sa mère, pour y puiser l'élément de sa vie. Nous recevrons toujours en proportion de nos désirs, et Marie accomplira en nous ce qu'elle dit elle-même dans le cantique de sa reconnaissance: « Il a rempli de biens ceux qui étaient affamés. Esurientes implevit bonis. »
CHAPITRE XVI. MARIE UNIE A SAINT JEAN TRAVAILLE EFFICACEMENT A L'ÉTABLISSEMENT ET A LA SANCTIFICATION DE L'ÉGLISE.
I
La grâce capitale de saint Jean avait pour fin de mettre à la disposition de la très-sainte Vierge lé fruit du très-auguste sacrifice de la croix, comme aussi de lui présenter Jésus-Christ glorieux; et cette grâce était tirée du très-saint Sacrement et fondée sur ce divin mystère. Par une conduite pleine de sagesse et d'amour, Jésus-Christ, en montant aux cieux et en envoyant son Esprit aux hommes, avait chargé, comme nous l'avons dit, la très-sainte Vierge de l'oeuvre de son Père, qui était l'établissement de l'Église (1), pour laquelle il était mort. Il l'avait comme mise à part; et c'est par elle qu'il voulait di4ribuer ses trésors et appliquer ses mérites aux âmes.
1. Jésus-Christ avait fondé: l'Église avant son ascension; il l'avait constituée telle qu'elle doit être jusqu'à la fin du monde, avec sa hiérarchie, son sacrifice,ses sacrements, ses lois, fondamentales. C'est un point. hors de doute pour tous les catholiques, et que constate dans plusieurs endroits M. Olier. L'établissement de l'Église dont il parle ici, c'est l'établissement, l'extension de l'Église au milieu dés peuples, à laquelle la sainte Vierge a contribué par ses conseils et par ses prières.
Toutefois Marié ne pouvait opérer ce qu'exigeait la grandeur de son emploi ni disposer des dons et des grâces nécessaires à cette couvre immense et infinie, que par l'efficace du très-auguste sacrifice de l'autel, par lequel on peut tout obtenir de Dieu et qui peut tout sur lui. C'était le principal moyen qu'elle eût dans ses mains et en sa puissance, pour répondre aux desseins de Jésus-Christ.
Quoiqu'elle fût plus digne du ministère de la prêtrise que tout le reste des créatures ensemble, et que sa qualité suréminente de Mère de Dieu la relevât en dignité au-dessus de tout ce qui n'est pas Dieu lui-même, elle était privée de l'usage du sacerdoce selon l'ordre de Melchisédech. Elle a bien pu avoir la grâce du sacerdoce et en faire même quelque sorte d'usage, comme quand elle offrit Notre-Seigneur dans ses entrailles, dans le temple, sur la croix et au jour de l'Ascension; mais ce n'a jamais été par aucun acte solennel de religion propre à la dignité de prêtre, dont sa qualité de femme l'excluait par l'institution de Dieu même. Mais pour la mettre en état de satisfaire à sa haute vocation, Jésus-Christ lui avait donné sur la croix saint Jean, son disciple bien-aimé. Saint Jean était pour elle la continuation de Jésus-Christ, offrant le divin sacrifice de l'autel, pour transporter et faire passer (289) à l'Église les mérites du sacrifice de sa mort sur la croix, et pour obtenir les grâces nécessaires à la consommation de cette grande oeuvre.
Par le don que Jésus. avait fait de saint Jean à Marie, ce saint n'était plus à lui; dans le point le plus important de son ministère, il était tout à elle; il devait entrer dans ses intentions et perdre les siennes propres dans celles de Marie. Il lui avait été donné comme son prêtre particulier, pour qu'il présentât le sacrifice dans les intentions qu'elle aurait agréables. Il devait lui transférer et lui remettre tout ce qu'il avait de pouvoir et de droit sur cette divine hostie, en qualité de sacrificateur. Ainsi Jésus-Christ ne laissa pas à la très-sainte Vierge saint Joseph ni quelque personne qui ne fût pas déclarée prêtre de la loi nouvelle. Il ne lui laissa pas même quelques femmes pour gardiennes; ce qui eût paru plus convenable aux yeux des hommes. Mais il lui laissa un homme vierge et prêtre tout ensemble; un homme pur comme un ange et supérieur aux anges par son office de sacrificateur de Jésus-Christ; un homme enfin; qui avait dans ses mains ce sacrifice, le plus auguste, le plus puissant et le plus admirable de tous les prodiges de la religion.
Par suite de ce dessein, le Fils de Dieu, dans l'institution même de ce sacrifice, fit reposer saint Jean, par grâce particulière, sur sa poitrine sacrée, afin de l'instruire et de le bien informer de l'estime, de la valeur et de l'efficace de cet auguste sacrifice, et de celui de la croix dont l'autre est la continuation. De plus, parmi tous les apôtres, saint (290) Jean fut seul témoin du sacrifice du Calvaire; et après l'achèvement du sacrifice sanglant et la mort de la victime, ce fut encore lui qui vit de ses yeux le sang et l'eau sortir du côté mort et sans vie de Jésus-Christ. Si le Sauveur, après son trépas, voulut verser encore du sang de son côté, ce fut pour témoigner qu'il prétendait qu'après sa mort ce même sang continuât d'être répandu sur nos autels, au très-saint sacrifice de la messe, et montrer par là que ce sacrifice n'est qu'une continuation du premier et qu'un achèvement de ce qui a été commencé sur la croix. Pour cela même, saint Jean, dans son Évangile, après avoir rapporté qu'il sortit de l'eau et du sang du côté percé du Sauveur, ajoute ces paroles : Celui qui l'a vu en rend témoignage, et son témoignage est véritable, afin que vous croyiez aussi (1); montrant par là qu'il parle en qualité de témoin de cette merveille. Comme s'il disait : Les autres écrivains sacrés, qui ont écrit les prodiges qu'ils ont vus ou qu'ils avaient entendu rapporter à ceux qui les avaient vus, ont mérité croyance; quant à la merveille de l'ouverture du côté du Sauveur et du sang qui en est sorti, on doit en croire mon témoignage, puisque je suis celui qui l'ai vu de mes yeux, ayant été l'unique des disciples présent à ce prodige.
1. S. Joan. cap. XIX, 34, 35.
II
Saint Jean avait donc été laissé à ce dessein, qu'en offrant à Dieu le divin sacrifice, pour la destruction du royaume de Satan et pour l'établissement de l'Église, il fît voir à tous les hommes ce que c'est que l'auguste sacrifice de la croix, qui a acquis tant de biens et mérité tant de grâces; et ensuite combien la continuation de ce même sacrifice, c'est-à-dire l'offrande de ce même corps et de ce même sang, dans les intentions de la très-sainte Vierge, ont opéré de merveilles dans le monde. Ainsi cet apôtre entre avec cette divine Mère en part de l'œuvre admirable de l'établissement de l'Église. Il est coopérateur ou supplément de Jésus-Christ, procurant avec la très-sainte Vierge l'exécution de ce grand ouvrage et répandant parmi les fidèles les fruits de l'arbre de la croix.
III
Tout le temps que la très-sainte Vierge passa sur la terre, depuis l'Ascension jusqu'à sa mort, qui fut -de quinze ou vingt ans, Jésus-Christ la communiait sans cesse aux effets de tous ses mystères. Les trois premières années de sa vie, elle avait été appliquée aux devoirs de la religion envers la très-sainte Trinité et à honorer tous ses desseins (292) sur l'Église. Elle avait employé les douze années suivantes, gui furent le temps de son séjour au temple, à adorer en Dieu les mystères de son Fils, les voyant passer devant ses yeux, par contemplation, et pendant les trente-trois ans qu'elle avait vécu avec lui, elle les avait vus s'accomplir effectivement en Jésus-Christ, en la manière que Dieu les lui avait représentés avant sa venue. Enfin, après l'Ascension, elle devait communier aux effets de ces mystères, comme sont l'Incarnation, la sainte enfance, le Crucifiement, la Mort, la Sépulture, la Résurrection, l'Ascension et les autres. Far chacun de ses mystères, Notre-Seigneur avait mérité à sa sainte Mère et à l'Église, outre la grâce sanctifiante, diversité d'états et de grâces particulières, auxquels les chrétiens doivent participer pour être parfaits, et que Dieu répand, quand il lui plaît, dans les âmes épurées, particulièrement à certaines époques de l'année.
Il avait alors avec elle la même union qu'il avait eue avant sa mort; ou plutôt les communications de ses grâces étaient bien plus fécondes et plus abondantes en Marie après l'Ascension, qu'elles ne l'avaient été dans le temps de sa vie commune sur la terre. Avant sa résurrection, vivant encore dans sa chair mortelle, il était dans un état où il méritait ses grâces pour son Église; au lieu qu'après sa résurrection, tout son état était pour être communiqué et pour être donné en communion aux hommes. Si bien que Marie, dans les temps anniversaires de l'accomplissement de ces mystères qu'elle avait tant adorés par la foi, et auxquels elle avait ensuite (293) coopéré elle-même, jouissait de tous leurs effets; elle recevait à la fois les fruits de ses travaux et de ceux de Jésus-Christ, son Fils.
IV
Saint Jean voyait et admirait les perfections de Dieu répandues dans l'âme de Marie (1). La vue de cette magnificence l'obligeait à vénérer son Dieu, vivant en terre, dans cette sainte âme, qui lui était toutes choses après le très-saint Sacrement; et toujours il se tenait, en esprit, prosterné devant elle, quoiqu'il s'abstînt de le faire paraître à l'extérieur, de peur de blesser la très-profonde humilité de Marie. Il allait imitant cette divine Mère, mais de loin, et admirant l'éminence de sa grâce au-dessus de lui. L'amour que saint Jean lui portait ne peut être non plus compris. C'était un amour
1. S. Hidelph., Arch. Toletani de Assump. B. Marioe Sermo VI. Biblioth. Patr., tom. XII, pag. 584-585. Licet omnes Apostoli beatam Virginem venerarentur, eique officio dilectionis famularentur, plus tamen et specialius caeteris Joannes, usque ad finem vites dilexit et coluit, qui sibi commissam Virginem virgini accepit in sua; et sic ei quasi filius matri, astitit et obsecutus est, recordans illud quod a benigno Magistro in Cruce audierat: Mulier, ecce filius tuus. Quam sancte autem et juste vixerit Maria, soli Deo cognitum esse videtur, et Gabrieli Archangelo, et Angelis sibi conlaetantibus, soeumque loquentibus, Joanni etiam dilecto Domini discipulo, qui eam suscepit, ut virgo Virgini deserviret, et Domini nostri reprehenderet servitulis et dilectionis obsequium, qui eum prae cœteris sua dilectione fecerat dignum.
de pur esprit, sans mélange des sens; un amour qui prenait sa source et son aliment dans la foi, mais un amour vigoureux, fort, puissant, toujours égal à soi. C'était la pure charité qui remplissait l'âme de ce fortuné disciple. Cette charité le portait si vivement à Marie, elle l'unissait à elle si puissamment et si étroitement en Dieu, qu'il la voyait auprès de soi des yeux de l'esprit plus nettement que s'il eût été près de sa personne. Enfin, Dieu lui rendait l'âme de Marie si présente qu'il n'avait pas besoin de s'approcher. d'elle, la voyant mille fois mieux dans la lumière de Dieu et de la foi épurée, que s'il l'eût vue des yeux du corps.
On ne peut concevoir aussi quelle était la lumière et la vue que Marie avait de saint Jean. C'était une lumière extraordinaire en ce que Marie voyait en Dieu tout ce qui était au fond de l'âme de saint Jean, son état, ses dispositions, ses tentations,, ses peines. Elle voyait tout ce qui était de Dieu en lui, tout ce qu'il avait à faire, comme aussi ce qui manquait à sa perfection; car, par ses spins et sa société, elle devait perfectionner, achever et consommer la grâce de saint Jean. C'était pour ce saint un bonheur non pareil, de l'entendre lui dire les défauts qu'elle voyait en lui, ses tentations, les secrets de son coeur; et cela avec une charité, une humilité et une douceur inexprimables. C'était une merveille de voir les grands effets de grâces qu'elle produisait en lui. Enfin la confiance de l'un pour l'autre était si grande, leurs âmes étant unies par un lien indissoluble pour l'éternité, leur liaison était si arrêtée, (295) si affermie, qu'il semblait que, dans le ciel, cette confiance et cette liaison ne pouvaient être plus pures ni plus divines.
Mais quelque ineffables que fussent les communications de Jésus envers Marie, cette conduite n'empêchait pas que, quand ces communications intérieures étaient passées, elle ne souffrît, et que saint Jean, de son côté, ne souffrît aussi. Ils souffraient extrêmement pour les pécheurs, pour la conversion des âmes, et toutefois ils étaient alors aussi contents, et même plus, de leur état pénible que de leurs jouissances, estimant comme des trésors les souffrances et les peines qu'il plaisait à Dieu de leur envoyer.
RÉFLEXIONS PRATIQUES
L'une des pratiques les plus chères à M. Olier, pour honorer la très-sainte Vierge, c'était l'offrande qu'il faisait à Dieu du saint sacrifice de l'autel dans les intentions de cette divine Mère : il s'efforçait d'imiter par là la piété de saint Jean envers elle. Sans parler ici de l'estime de M. Boudon et de quelques autres saints personnages pour la même pratique, nous ferons remarquer qu'elle était en grande recommandation auprès du P. de Bérulle, fondateur de l'Oratoire en France, et du P. Charles de Condren, (296) son successeur. L'autorité de ces grands hommes, favorisés l'un et l'autre de lumières extraordinaires, suffirait seule pour en montrer la solidité, l'excellence et les avantages : le P. de Bérulle ayant mérité, selon l'expression du pape Urbain VIII, le titre d'Apôtre du Verbe incarné, et ses vues sur la très-sainte Vierge ayant passé pour être plutôt angéliques qu'humaines; et le P. de Condren ayant reçu de Dieu, au témoignage des plus célèbres docteurs, des lumières non moins sublimes.
Mais cette pratique repose sur les fondements les plus solides. Il est assuré, d'une part, que la très-sainte Vierge n'obtient rien dans ses demandes que par le sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ, première source de tous ses mérites; et de l'autre, qu'elle se joint à nous toutes les fois que nous l'offrons sur les autels, ainsi que nous l'apprennent la foi de l'Église et sa liturgie. Nous pouvons donc l'offrir conformément aux demandes qu'elle adresse alors à Dieu. Il est vrai que l'objet de ses demandes nous est inconnu; mais la connaissance explicite n'en est pas nécessaire, puisqu'il suffit au ministre du sacrifice de s'unir en général aux intentions de la personne pour qui il a dessein d'offrir. Ce que nous disons ici du fruit du saint sacrifice de la messe, s'applique également au fruit de la sainte ,communion, que les simples fidèles peuvent lui abandonner, pour qu'elle en dispose selon son bon plaisir. Aussi voyons-nous que le P. de Bérulle engageait tous ceux des membres de l'Oratoire qui n'étaient point prêtres, à appliquer aux intentions (297) de la très-sainte Vierge, au moins une de leurs communions tous les mois.
On ne peut pas douter que cette pratique ne soit très-agréable à Marie. Pendant les dernières années de sa vie elle disposait du fruit de ses communions et de celui du saint sacrifice, offert dans ses intentions par saint Jean. Mais depuis son entrée dans l'Église triomphante, ayant cessé de recevoir la sainte Eucharistie sous les espèces sacramentelles, elle ne peut plus disposer par elle-même, ni du fruit de ce sacrement, puisqu'il est propre à la personne qui le reçoit, ni du fruit spécial du saint sacrifice, qui est toujours déterminé à une fin particulière par le prêtre qui l'offre. Par conséquent nous répondons à ses désirs lorsque nous lui cédons le fruit de la communion que nous recevons, ou celui du saint sacrifice que nous offrons ou que nous faisons offrir pour qu'elle en dispose à sa volonté.
M. Olier adopta cette pratique, parce qu'il crut que la sainte Vierge lui demandait d'offrir chaque semaine une messe dont il lui abandonnerait ainsi le fruit. Il fut si touché de cette demande, qu'il s'obligea par voeu à l'accomplir jusqu'à la fin de ses jours. « Lorsque je parlai au P. de Condren, dit-il, de l'obligation où j'étais de célébrer, par voeu, une messe à l'intention de la sainte Vierge, le samedi ou le jour le plus libre, quand le samedi est empêché, il me dit que défunt M. le cardinal de Bérulle s'était pareillement obligé par voeu à la même chose. Il ajouta que l'intention du (298) Memento des défunts devait être pour les âmes du purgatoire qu'elle avait eues en sa sainte conduite. C'était précisément la mienne, sans la lui avoir spécifiée. » M. Olier était même si jaloux de seconder ainsi les désirs de Marie, qu'outre la messe dont nous venons de parler, il faisait célébrer tous les jours trois autres messes, dont le fruit était mis dans les mains de cette divine Mère, considérée, dans la première, comme Reine de l'Église triomphante; dans la deuxième, comme Reine et Avocate de l'Église militante; et dans la troisième, comme Reine et Consolatrice de l'Église souffrante. Il désirait sans doute que tous les prêtres se rendissent familière cette pratique de dévotion, puisque dans sa Journée chrétienne, marquant les diverses intentions qu'on peut se proposer en offrant le saint sacrifice, il assigne celle-ci pour le samedi.
Estimez-vous heureux d'avoir entre les mains un moyen assuré d'être agréable à cette auguste Reine du ciel. Il n'en est pas du fruit du saint sacrifice comme du fruit des autres bonnes oeuvres que nous pourrions lui abandonner. Dans celles-ci, le mérite, ne dépend que de nos dispositions, qui souvent sont très-imparfaites; mais dans le saint sacrifice, il y a un mérite, un fruit spécial, qui vient; de Jésus-Christ seul, sans dépendre de nous.
Attachez-vous donc à cette sainte pratique, comme à un moyen infaillible, pour témoigner dignement votre reconnaissance à Marie de tous les bienfaits que vous avez reçus de son inépuisable bonté. En mettant à sa disposition le fruit de vos communions (299) ou celui du saint sacrifice que vous offrirez ou ferez offrir dans ses intentions, vous lui rendrez, dans un sens, autant que vous avez reçu d'elle, puisque vous lui donnerez les mérites et la personne adorable de son divin Fils. Ces dons magnifiques, c'est de ses mains que nous les avons reçus; c'est à son consentement que nous en sommes redevables; enfin, toutes les fois que nous avons le bonheur de recevoir Jésus-Christ dans la sainte communion, si nous avons la confiance de nous approcher dignement de lui, n'est-ce pas encore à Marie, qui a préparé nos coeurs à cet ineffable bienfait, par sa sollicitude prévenante et délicate, par sa vigilance constante et maternelle que nous en sommes redevables? Nous lui devons donc et tout que nous avons et tout ce que nous sommes : tant il est vrai que toujours nous serons incapables de nous acquitter à son égard!
Quand vous donnerez à Marie tout ce dont vous pourrez disposer, ne craignez pas de vous appauvrir. Elle ne se laissera pas vaincre en générosité, et saura bien, par quelque autre manière, vous rendre au centuple ce que vous aurez fait pour lui témoigner ainsi votre reconnaissance et votre amour. Quel bonheur de devenir le créancier d'une si grande et si libérale princesse! Voyant que vous aurez si fort à coeur ses intérêts , elle fera des vôtres les siens propres, et bénira vos desseins au delà de vos espérances et même de vos souhaits. Il suffira de vous attacher à cette pratique, pour en recueillir aussitôt les précieux avantages; et vous connaîtrez, (300) par une douce et heureuse expérience, qu'elle sera pour vous la source de tous les biens: Venerunt mihi omnia bona pariter cum illa, et innumerabilis honestas per manus illius (1).
1. Sapient. cap. VII, II.
CHAPITRE XVII. ASSOMPTION DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE SAINTS DÉSIRS DE MARIE; SA DOUCE ET SAINTE MORT. ELLE S'ÉLÈVE AU CIEL.
I
Si l'intérieur de la très-sainte Vierge faisait la richesse de l'Église naissante, son extérieur, comme un parfum céleste, embaumait les âmes et les élevait saintement à Dieu. D'après le prophète, toute la gloire de la fille du Roi était, il est vrai, en son intérieur (1); ce qui marque que cette auguste princesse, dans l'oubli qu'elle faisait de son extérieur, travaillait pour plaire aux yeux de Dieu, qui ne regarde et n'estime que l'intime de l'âme. Elle dit d'elle-même, dans la sainte Écriture, qu'elle était belle, mais qu'elle était noire, pour indiquer qu'elle négligeait son corps et n'avait d'application sérieuse ni d'attention que pour rendre son intérieur
1. Psal. XLIV, 14.
plein d'attraits et de charmes, afin de gagner tout à Dieu et d'attirer les âmes à son amour. Toutefois l'extérieur de cette divine Princesse étant orné d'une modestie éclatante, qui rejaillissait de la majesté de Dieu habitant dans son âme, cette beauté ravissait les esprits et embaumait tellement les coeurs, que ceux qui l'approchaient se sentaient portés à Dieu et tout remplis de son saint amour. Sa bouche parlait, en effet, si prudemment, ses yeux regardaient si chastement, elle détournait si discrètement son oreille, son maintien était si modeste, son marcher si grave, ses entretiens si doux, sa familiarité si agréable qu'elle gagnait les coeurs à Jésus, par la vue seule de son extérieur. Ainsi fidèle à la sainte mission dont elle était chargée, Marie aidait les apôtres à fonder et à soutenir l'Église, qu'elle ne voulait laisser que lorsqu'elle la verrait affermie dans la foi de Jésus-Christ son Fils.
Mais quelque joie qu'elle pût éprouver à le faire connaître et aimer, elle ne laissait pas dé porter intérieurement beaucoup de peines, tant pour satisfaire pour les péchés du monde que pour procurer l'établissement de l'Église; et tandis qu'elle prolongeait ainsi son séjour parmi les hommes, par charité pour eux, son amour envers la personne de son Fils, qu'elle souhaitait très-ardemment de voir, lui faisait souffrir des excès que nous ne pouvons pas comprendre.
Dès la terre, il avait commencé la sanctification de sa Mère, par où il achève celle des saints dans (303) le ciel, qui est leur transformation en ses perfections divines. Comme, par l'Incarnation, il s'était formé tout entier dans son sein maternel : ainsi, il s'était donné tout entier à l'âme de Marie et s'y était formé intérieurement dans toute l'étendue de ses perfections; en sorte qu'il n'y avait rien en lui dont elle n'eût quelque part. Mais comme le corps du Sauveur et tous ses membres avaient pris accroissement dans le sein de Marie, de même aussi l'intérieur du Sauveur se communiquait toujours croissant à l'âme de sa Mère; parce qu'étant infini, il allait répandant toujours de plus en plus en elle la profondeur de son être divin. Aussi la très-sainte Vierge était-elle dans une soif et une faim insatiables de la justice universelle : elle demandait sans cesse l'accroissement des perfections de son Fils en elle, et ne cessait de soupirer après leur augmentation. L'Église universelle est dans la soif de la justice, qui est Jésus-Christ, formé en toute l'étendue de ses membres; il ne sera achevé qu'au jour du jugement, où il se verra parvenu, dans tout son corps mystique, à la plénitude de l'âge et à la perfection que son Père avait résolu de lui donner. Ainsi Jésus-Christ allait s'introduisant, se fortifiant et s'augmentant de plus en plus en Marie, jusqu'à ce qu'il fût parvenu à son état parfait, ce qui devait avoir lieu au moment de sa bienheureuse mort.
II
Marie, empruntant le langage de l'Épouse des Cantiques, disait à son divin Fils dans l'excès de son amour : « O mon bien-aimé! qui êtes tout à moi, et moi tout à vous; qui avez soin de moi pendant ma peine; vous vous plaisez dans le séjour de votre sainteté, au milieu des lis, et vous me laissez ici dans la langueur, jusqu'à la fin de mes jours et de l'ombre de ma vie. Je vous cherche toute la nuit; car pendant votre absence, ô mon bien-aimé! tout est pour moi nuit et tristesse. Je vous ai cherché, mon amour! sans pouvoir vous trouver. Je suis résolue d'aller partout pour vous chercher, ô le bien-aimé de mon âme! Je courrai toute la cité qui est l'Église; apprenez-moi votre demeure; appelez-moi donc au séjour de votre félicité. Autrement, ô Seigneur! je m'en irai après vos compagnons, qui sont vos apôtres; je m'en irai après les troupeaux dont ils sont les conducteurs; au moins je trouverai en eux de quoi me soulager, de quoi contenter mon amour, puisqu'ils sont remplis de votre Esprit, et qu'ils ont en eux quelque chose de vous-même. Car mon amour éprouve quelque consolation, en voyant comme une partie de vous dans les personnes qui vous appartiennent. Retournez donc, ô mon bien-aimé! revenez promptement; courez aussi vitement que le fait un cerf, et bondissez (305) de même qu'un chevreau dans les montagnes, pour mettre fin à mes langueurs (1). »
A ces vives instances, Jésus répond en invitant Marie à monter elle-même vers lui, et lui dit ces amoureuses paroles des Cantiques : « Levez-vous hâtez-vous, ma bien-aimée, ma colombe , ma tourterelle, et venez maintenant. L'hiver de la croix est passé, les pluies des afflictions et des adversités se sont écoulées; les fleurs de votre sainte vie ont donné leurs parfums; les fruits de vos vertus ont mûri pour le ciel, le temps de les cueillir est venu. La voix de la tourterelle, cette voix de l'Église, que vous avez aidée par vos soins, ô ma Mère! s'est fait entendre dans notre terre; le chant amoureux de cette sainte colombe a été ouï partout : les cantiques de louange de Dieu résonnent dans tout le monde. Le figuier a poussé ses premiers fruits, les vignes en Peur ont donné leur parfum (2) : les chrétiens, après avoir répandu les parfums de leurs fleurs, ont donné leurs premiers fruits; ils ont édifié tout le « monde par leur zèle, par les sentiments ardents de la divine charité, qui sont les premiers effets de la grâce et du Saint-Esprit dans l'Église naissante.
« Après tous ces effets, que vous avez procurés par vos soins, il est temps que vous jouissiez de la récompense de vos travaux; levez-vous donc, ma bien-aimée, ma toute belle, et venez-vous-en.
1 Cant. cap, II, III, VI, VIII.
2. Ibid., 10, et seq.
Venez, venez, ma chaste colombe, qui habitez dans les trous des rochers et dans les fentes des masures ; sortez de ces déserts affreux. Venez à moi, colombe désolée; montrez-moi votre visage, faites-moi entendre votre voix; car votre voix est douce, et votre visage me charme par sa beauté (1). Venez avec moi, vous m'aiderez à prendre ces renardeaux qui s'introduisent dans mes vignes, à détruire les désordres naissants de mon Église qui fleurit et qu'il faut défendre de leurs ravages. J'ai voulu vous laisser au monde, jusqu'au moment Où vous auriez la consolation de voir l'Église dans sa fleur; et maintenant qu'il va s'élever contre elle des agresseurs, qui sont les hérétiques, les schismatiques, les libertins, les sensuels, je veux vous appeler à moi. Pour vous, c'est avoir assez travaillé; il faut jouir maintenant du saint repos de Dieu. »
III
Enfin Marie, parvenue à ce degré de perfection et d'éminence, où sa dignité l'appelait, devait sortir du monde et quitter les apôtres pour aller au ciel jouir de la gloire magnifique qui lui était destinée. Sa vie avait été comme un encens, qui se consumait en parfums à la louange de son Dieu; et pour cela, dans son Assomption au ciel, elle est comparée par l'Écriture, selon l'interprétation de l'Église, à une baguette de fumée (1) : c'est-à-dire à une petite fumée fort droite et légère, ce qui marque l'incomparable pureté de sa vie.
1. Cant. cap. II, 14.
Jamais il n'y a rien eu de grossier en elle, rien qui gauchît : sa conduite et sa voie ont été toutes droites et uniformes. Il n'y a point eu de relâche en son amour jamais elle n'a su ce que c'est que d'obéir au vent des tentations. Au milieu des tempêtes et des orages du monde, elle est toujours restée la même; toujours élevée vers Dieu, toujours aspirante vers le ciel, jamais traînante sur la terre; et son élévation pure, après sa mort, est la marque et l'indice de sa vie. C'est donc elle qui s'élève du désert comme une petite baguette de fumée, mais toutefois composée de deux éléments différents, savoir : la myrrhe et l'encens. Sa vie a été composée de souffrances et de consolations, de la vie souffrante de Jésus-Christ représentée par la myrrhe, et de sa vie ressuscitée et bienheureuse qui est une vie d'oraison, de louanges et de contemplation, figurée par l'encens. Cette baguette de fumée est composée aussi de toutes sorte de parfums; c'est pour dire que la vie de cette divine Vierge avait été composée de toutes sortes de vertus, et que, lorsqu'elle alla jouir dans le ciel du repos qu'elle avait mérité, elle laissa dans l'Église une odeur composée de tous ces parfums célestes.
1. Cant. cap. III,6.
Ce furent alors des afflictions non pareilles, l'Église se voyant privée de son appui sensible et de sa consolation. Depuis l'Ascension, Marie avait conduit toute l'Église. Pendant qu'il vivait sur la terre, il lui avait appris de sa bouche, et il lui apprenait encore par communication, après sa mort, quels étaient les endroits où il fallait faire prêcher la parole de Dieu, et les divers cantons où les apôtres devaient travailler. Elle n'ignorait rien de ce qui était utile à l'établissement de l'Église et à la gloire de son Fils; elle disait à chacun ce qu'il avait à faire, et en elle tous les apôtres et l'Église naissante trouvaient un merveilleux soulagement. Enfin, elle était consultée comme la bouche de son Fils; tous les apôtres se réglaient sur ses paroles; elle leur était un sujet admirable de consolation; et son intérieur faisait la richesse de l'Église: A la mort de Marie, ce furent donc des. désolations et des plaintes très-vives. Jésus-Christ les avait prévues; et pour notre instruction et notre consolation tout ensemble, il s'était plu à les figurer et à les corriger d'avance, dans une circonstance mystérieuse de sa vie publique, qui fut l'image de celle dont nous parlons.
IV
Devant laisser sur la terre deux objets qu'il aimait singulièrement, la très-sainte Vierge, qui lui était plus chère que tout le reste, et la sainte Église, il avait figuré l'une et l'autre par les deux (309) soeurs Marie et Marthe, qu'il aimait particulièrement. La très-sainte Vierge et l'Église, en tant qu'issues l'une et l'autre d'Adam, étaient comme deux sueurs : car, si Marie est notre Mère quant à la vie divine, elle est notre sueur quant à la vie de la chair : puisque, comme nous, elle a été tirée d'Adam, notre source commune. Dans le repas de Jésus-Christ à Béthanie, Marthe, tout occupée à préparer ce qui était nécessaire, Marthe, qui s'inquiétait et s'embarrassait dans le soin de beaucoup de choses, représentait l'Église comme assemblée des fidèles, qui sont encore dans l'action et dans la vie voyagère, qui agit et travaille beaucoup; et sainte Marie Madeleine, qui était présente à Jésus et jouissait de ses divins entretiens, figurait la très-sainte Vierge montée aux cieux. Car Jésus-Christ avait choisi Madeleine pour faire voir en elle une partie de l'amour qu'il portait à la très-sainte Vierge sa Mère; et pour cela, à la considération de Madeleine, il fit le grand miracle de la résurrection de Lazare.
Pendant que Marthe, dit l'Évangile, était tout occupée à préparer ce qui était nécessaire pour recevoir dignement Jésus-Christ, Marie, se tenant assise aux pieds du Sauveur, écoutait sa parole. Elle reçoit cette parole céleste sans rien dire elle-même; elle est occupée sans parler; elle regarde Jésus; elle l'entend, elle ne veut que lui seul, rien ne peut avoir entrée en elle, que son tout aimé : elle est contente. La soeur de Marthe s'appelait Marie; heureux nom ! qui sans doute a beaucoup valu à (310) Madeleine, car je la crois redevable à son nom d'avoir mérité d'obtenir tant de grâces. Si l'amante blesse le coeur de l'amant par un seul de ses cheveux et par le moindre de ses regards, que ne fera pas son nom? Votre nom est comme un parfum répandu, qui exhale aussitôt sa suave odeur (1) ; il suffit de faire entendre à Jésus ce beau nom de Marie, pour obtenir de lui toute chose, ce seul nom pouvant tout sur son esprit et sur son coeur.
Mais Marthe, affligée de porter seule tout le poids du travail, se présente devant Jésus et lui dit: Seigneur, ne considérez-vous pas que ma saur me laisse toute seule pour vous servir? Dites-lui donc qu'elle m'aide (2). A ne considérer que ce qui se passait alors à Béthanie, ces plaintes de Marthe au raient pu paraître justes et raisonnables: mais Jésus, qui a devant les yeux le grand événement représenté par cette scène mystérieuse, ne commande point à Madeleine d'aller aider sa soeur. Il ne l'accuse point d'oisiveté; il ne la blâme pas de ne dire mot en sa présence. Dans les plaintes et les larmes de Marthe, voyant les désolations et les afflictions de l'Église à la mort de la très-sainte Vierge, Jésus-Christ corrige Marthe, et lui répond : Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous vous embarrassez dans le soin de beaucoup de choses : cependant une seule est nécessaire; Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée.
1. L'Église, dans l'Office de l'Assomption, applique, en effet, au nom de Marie ou de l'Épouse ces paroles, qui dans le Cantique sont dites du nom de l'Epoux : Videntes eam filioe Sion, beatissimam praedicaveruni, dicentes : Unguentum effusum nomen tuum.
2. S. Luc. cap. X, 40.
S'il reprend ainsi Marthe, comme il reprit ses apôtres affligés à la nouvelle de sa prochaine Ascension, c'est qu'il veut qu'on aime plus purement sa divine Mère, et non pas qu'on s'afflige de son absence. « Si vous m'aimiez vraiment, avait-il dit à ses apôtres, vous vous réjouiriez de ce que je m'en vais à mon Père; vous oublieriez vos intérêts et vous entreriez dans les miens. Vous songeriez non à votre perte, mais à ma propre félicité : car mon Père est plus grand que moi (1), c'est-à-dire il est l'objet de ma béatitude. D'ailleurs, il peut plus pour vous que je ne puis moi-même comme homme : de retour auprès de lui et en possession de son trésor, je vous départirai plus libéralement ses biens. » Notre-Seigneur ne pouvait pas approuver non plus ces afflictions trop intéressées des premiers fidèles, au sujet du départ de la très-sainte Vierge pour le ciel. Il veut qu'on l'aime plus purement, et qu'on ne s'afflige pas à l'occasion de la gloire qu'elle va posséder auprès de lui.
Voilà pourquoi l'Église, conduite et éclairée par l'Esprit de Dieu, fait lire, le, jour de l'Assomption, l'évangile qui contient le récit de la descente du Fils de Dieu chez Marthe et Marie, où l'on voit Marthe, dans son travail, se plaindre de ce que sa soeur est toujours appliquée à lui.
1. S. Joan. cap. XIV, 28.
[Docile à l'avertissement du Sauveur à ce sujet, l’Église invite tous ses enfants, dans l'Introït de la messe de cette solennité, à se laisser aller aux sentiments et aux transports de la joie : « Réjouissons-nous dans le Seigneur, dit-elle, célébrant ce jour de fête, en l'honneur de la bienheureuse Vierge-Marie, de l'Assomption de laquelle les anges se réjouissent et comblent de louanges le Fils de Dieu. »
1. On voit ici l'origine et le motif de l'Introït Gaudeamus, qu'on avait donné, dans ces derniers temps, pour une sorte de lieu commun, pardonnable à la simplicité du moyen âge. Cet Introït est assurément mieux approprié à l'esprit de la fête de l'Assomption que tous les passages de l'Écriture adoptés par les nouveaux liturgistes. Notre-Seigneur, par la correction qu'il fit à Marthe, voulut apprendre aux fidèles qu'au lieu de s'affliger de l'absence de la très-sainte Vierge, lorsqu'elle serait enlevée au ciel, ils devraient, au contraire, se réjouir par la considération de la puissance et de la gloire de cette auguste Reine. C'est donc avec beaucoup de raison que l'Eglise répète cet Introït le jour de la fête de Notre-Dame du Mont-Carmel : dévotion dont elle attribue l'origine, dans l'office même, à quelques-uns des premiers chrétiens, qui avaient pu jouir sur la terre des entretiens et de la société de Marie. Elle s'en sert aussi le jour de la Toussaint, solennité qui fut premièrement instituée en l'honneur de la très-sainte Vierge. Elle l'emploie encore pour célébrer la mort bienheureuse de sainte Anne, qui est une occasion de joie pour l'Église, à cause du grand crédit de cette sainte auprès de Marie, sa fille. Enfin, l'Eglise applique les mêmes paroles à quelques autres fêtes, à celle de sainte Agathe, si célèbre dans l'antiquité, et qui a donné des preuves particulières de sa puissance en faveur même des peuples païens.
Enfin, après s'être unie de nouveau aux sentiments de joie des anges dans le Graduel et dans l'Offertoire, elle se joint encore à Jésus-Christ dans la Communion, pour louer Marie d'avoir choisi cette meilleurepart, qui ne lui sera jamais ôtée pendant toute l'éternité (1).] Il faut donc, pour entrer dans les sentiments de Notre-Seigneur en ce grand jour, nous réjouir parfaitement du bonheur de la très-sainte Vierge, et avec d'autant plus de raison que son triomphe nous offre un motif particulier d'espérer le même avantage si nous demeurons fidèles, et si,. comme elle, nous sommes revêtus ici-bas de l'Esprit de Jésus-Christ crucifié.
Au jour de l'Assomption, Notre-Seigneur épousait toute l'Église en la personne de la très-sainte Vierge, et il lui témoignait tout l'amour et toute la tendresse qu'il doit exprimer un jour à l'Église entière. Si bien que cette fête, qui est un jour de merveilleuse joie pour Jésus et Marie, est aussi un jour de merveilleuse espérance pour tous, les chrétiens.
O heureuse Mère de Jésus! maîtresse de l'Église, jouissez paisiblement de vos amours innocents, purs et divins; nous ne prétendons pas les interrompre. Nous savons bien qu'il est défendu par les lois de Jésus, votre amour, de réveiller l'Épouse dans son sommeil: à combien plus forte raison sommes-nous obligés de ne la point interrompre dans sa. gloire! Jouissez donc paisiblement de l'amour et des faveurs de votre bien-aimé.
1. En terminant l'Office de ce jour, l'Église invite encore tous ses enfants à se réjouir du bonheur de Marie par la dernière Antienne de la Fête, celle de Magnificat des secondes Vêpres : Hodie Maria Virgo coelos ascendit : gaudete, quia cum Christo regnat in aeternum.
CHAPITRE XVIII. GLOIRE DE MARIE DANS LE CIEL.
I
Il vaudrait mieux honorer par notre silence la gloire de Marie au ciel, que de vouloir l'exprimer par nos faibles discours. Quel est le fleuve qui puisse recevoir dans son sein l'étendue des mers? Quel esprit assez vaste pour embrasser ce grand océan, cette mer qui renferme la plénitude de la grâce et de la gloire, communiquée hors de Jésus-Christ? De même que, dans le ciel, les anges plus élevés donnent aux anges inférieurs leur lumière et leur vie et se réservent toujours, chacun en leur particulier, quelque appropriation de grâce, qu'ils ne répandent pas sur les autres : ainsi Jésus-Christ a mis dans le coeur de la très-sainte Vierge des grâces et des dons singuliers qu'elle seule possède, et qui ne seront jamais donnés à aucune autre créature. Je ne sais même si les anges les comprennent et si jamais ils seront découverts aux bienheureux; du (315) moins est-il vrai que des dons si particuliers ne seront jamais communiqués à personne. C'est le cachet que Jésus-Christ a posé sur son coeur, et que je crois que personne ne lèvera jamais; ce feu divin, dont il brûle pour la très-sainte Vierge, n'ayant jamais été entièrement découvert, et n'étant manifesté qu'à elle seule.
Les dons qu'elle reçoit dans la gloire, sont la récompense de la part qu'elle a voulu prendre aux humiliations de son Fils. Ayant servi en tout à l'accomplissement des mystères de Jésus-Christ, elle a partagé ses mépris et ses ignominies; elle a voulu être la plus basse, la plus petite, la plus abjecte de toutes les créatures. Non-seulement elle a passé pour la Mère d'un pécheur à la Circoncision, à la Purification; mais au jour de la mort de Jésus, tandis qu'il était tenu pour un scélérat, pour le plus insigne dé tous les fourbes, pour le plus grand séducteur du monde, elle a voulu porter aussi elle-même une grande part de ces ignominies et de ces mépris, et passer à son tour pour une fourbe et une séductrice insigne, qui eût travaillé si longtemps à surprendre et à tromper les hommes. De même donc que Notre-Seigneur, pour s'être humilié, a été établi, par son Père, roi, pontife, juge, médiateur de toute créature : ainsi le Fils de Dieu, en récompense des humiliations que sa Mère a partagées avec lui, l'a fait entrer en participation de sa gloire et de sa grandeur.
Il me semble voir Jésus et Marie dans les cieux, tout consommés en un et n'être qu'une chose. Je ne (316) puis exprimer ce mélange des deux, ce mutuel amour qui les transmet et les transporte l'un en l'autre; c'est un amour qui seul serait capable de faire un paradis. Elle n'est plus en peine de demander où il repose en son midi; c'est là qu'elle est couverte parfaitement et revêtue du soleil (1); elle ne paraît plus elle-même, mais semble être le soleil même de justice, étant transformée en lui, dans le séjour heureux de sa gloire. O admirable et incompréhensible communion de Jésus en Marie ! C'est bien d'elle surtout qu'il faut dire ces paroles du Sauveur, adressées au commun de l'Église: En ce jour-là, c'est-à-dire au jour de l'éternité et non en celui de la terre, vous comprendrez que je suis en mon Père, et que vous êtes en moi, et que je suis en vous, par l'unité de l'Esprit (2).
II
Bien plus, Marie ayant été cause du salut de tous, dans un sens très-véritable, en donnant son Fils pour eux, en le livrant à la mort et en intercédant continuellement pour eux auprès de lui, il veut que dans le ciel elle reçoive une gloire universelle de la part de toute créature.
Cette divine Vierge est la Reine des anges. Ils ne sont à son égard que de simples serviteurs; ils semblent être son manteau royal, n'étant que l'étendue et la dilatation de sa gloire. Les saints Pères l'appellent le Cantique des chérubins et des séraphins et la psalmodie des anges; et s'ils font ainsi mention des deux premiers ordres et du dernier, c'est qu'en ces trois les six autres sont renfermés.
1. Cant. cap. 1, 6. Apocal. cap. XII, 1.
2. Joan. cap. XIV, 20.
Par la mention des chérubins et des séraphins, ils donnent à connaître qu'elle est la lumière et l'amour des neuf chœurs célestes (1). Les Pères expriment même par là que les anges se reconnaissent incapables d'honorer et de louer dignement Jésus-Christ, et lui offrent cette divine Vierge, comme le supplément- de leurs cantiques et de leur reconnaissance.
1. Cette pensée se trouve dans les écrits de plusieurs docteurs célèbres. Albert le Grand, saint Bonaventure, saint Bernard de Sienne, disent que Marie, illuminée par la gloire de Dieu, illumine les saints et les anges. « Maria etiam ipsa angelica lumina illuminavit; illuminatrix quia illuminat sanctos in gloria. — Albertus in Orat. B. V. super caput I Matthei. — A gloria Dei illuminata est Maria, que sicut illuminata fuit a gratia ejus in mundo, ita nunc illuminata est a gloria ejus in coelo, ut sic illuminata fieret illuminatrix in mundo et in coelo... Sic ergo illuminans Maria in gloria sua, rutilans per omnia respicit, quia per omnes angelos et per omnes sanctos gloriae sum illuminationem extendit. (S. Bonaventura, Speculum B. M. V., t. XII, vol. XIII, p. 270.) Dominatur filiis, id est angelis, et in hoc est electa ut sol, scilicet ad irradiandum totam multitudinem spirituum beatorum. » (S. Bernardinus Senens., t. IV, p. 81. )
Car voyant que Dieu prend sa complaisance en tout ce qu'elle fait et ce qu'elle dit, et qu'il l'a choisie par le pur principe de son amour, comme le moyen et le canal de tous les biens qu'il veut leur faire, ils se servent, pour exprimer à Dieu leur amour et lui rendre leurs autres devoirs, du moyen dont lui-mêmese sert pour les inonder des richesses de sa grâce et de sa gloire; de . sorte que Marie est comme la bouche de l'Église du ciel, aussi bien que de l'Église de la terre, titre que les Pères lui donnent également (1).
Ce que nous disons des anges, il faut le dire aussi des bienheureux qui règnent au ciel. Comme Mère et comme Reine, elle exige d'eux tels vouloirs qu'il lui plaît. Elle les applique avec une puissance souveraine à tels exercices qu'elle veut, soit de charité pour les hommes, soit de religion envers Dieu. Elle est maîtresse de tous leurs sentiments, non-seulement par le respect que les saints lui rendent comme à la Reine du ciel, que Jésus-Christ honore lui-même, mais aussi par l'inclination pleine de tendresse qu'ils ont à lui plaire et à la servir en tout ce qu'elle veut, se rappelant tant de témoignages de bonté, tant de grâces, tant de charités et de protections qu'ils ont reçus d'elle, dans le temps périlleux et misérable de leur vie sur la terre.
1. S. Andr. Cretens. Orat. 2, in Annuntiat. Maria os non silens Apostolorum.
Georg. Nicomed. Orat. 2, in Concept. Deiparoe, et Orat. Proesentat. Os nostrum ad defensionem; os foecundum humanoe naturae.
Richard. a S. Laurent de Laudib., lib. XII. Os Ecclesiae, quia pro Ecclesia catholica exorat assidue et allegat.
Jacob. Monach. Orat. de Nativit. B. Virginis. Os a Deo humano generi concessum.
Elle est appelée par les Pères la Couronne de tous les saints, parce qu'elle est non-seulement leur lumière et leur grâce, mais aussi leur gloire et leur béatitude (1). Jésus-Christ, pour rendre heureuse, par Marie, toute l'Église triomphante, se donnant aux saints par elle, et la mettant en participation de tout ce qu'il est et de tous les titres d'honneur dont son Père l'a revêtu. « Dans le ciel, dit le Père à Marie, vous remplirez vos enfants de votre gloire; car une Mère vénérable glorifie sa famille : sicut mater honorificata (2). Jésus-Christ en vous et vous en lui, avez été remplis d'une ardeur, d'un amour et d'un zèle cachés, pour procurer ma gloire : dans l'éternité le feu de votre ardeur, de votre amour, de votre zèle, sera manifesté et révélé à tous les saints. De même que mon Fils tiendra au ciel la place du soleil et sera toute la lumière, la gloire et la splendeur des saints, ainsi étant toute remplie et revêtue de lui, vous serez, en lui et par lui, leur splendeur, leur lumière et leur gloire. »
Enfin le pouvoir de la très-sainte Vierge à l'égard de l'Église de la terre est aussi merveilleux. L'amour de Jésus-Christ pour Marie étant le vrai principe du pouvoir qu'elle exerce, Jésus met tout son plaisir à lui procurer du bien et de l'honneur, et à la voir jouir de tout ce qu'il peut lui communiquer. Étant Seigneur du monde entier, il la met en possession pleine de tout ce qu'il a et de tout ce qu'il est; et, en elle, il possède toutes choses avec plus de plaisir que s'il ne les possédait qu'en soi-même personnellement.
1. S. Ephrem, groece, t. III, p. 528 et seq. Beatissima Virgo omnium post Trinitatem domina , vestis immaculata ejus, induit lucem sicut vestimentum, angelorum splendor et gloria.
2. Eccli. Cap. XV, 2.
Aussi en lui la puissance de Marie s'étend sur toutes les créatures et sur tous les mérites de son Fils. Pareillement, en qualité d'Épouse du Père éternel, elle a également auprès de lui par ses prières tout pouvoir; il veut ce qu'elle veut; il fait du bien à qui elle désire qu'il en fasse; elle n'a qu'à vouloir, et toutes choses sont faites. Celui-là est heureux qui est aimé de cette sainte Épouse, qui peut tout sur Celui et en Celui qui a fait et qui opère toutes choses sur la terre et dans le ciel. Le pouvoir de la très-sainte Vierge, comme Épouse, se mesure sur la toute-puissance de Dieu, qui lui laisse l'usage de tous ses biens; ainsi elle est toute-puissante pour tout accorder; et ce qui est le sujet de ma confiance, ce n'est pas seulement son grand pouvoir, mais encore sa bonté, sa douceur, sa piété, qui ne savent ce que c'est que de rien refuser à personne.
III
Toutefois, ce n'est pas à titre de justice qu'elle a cette puissance, comme Jésus-Christ en vertu de ses plaies; c'est seulement par le titre de la charité que lui portent le Père et le Fils, qui ne peuvent rien refuser à celle qu'ils aiment si parfaitement; mais par ce titre de charité, Dieu la fait maîtresse de toutes choses; il la fait, régner sur tout, et départir aux âmes les dons du Saint-Esprit. Elle est (321) la dispensatrice universelle, des mains de laquelle toutes choses partent, et qui donne et distribue tout à chacun selon ses besoins. Elle a les bras ouverts à tout le monde; elle est comme une reine régente dans le trône de Dieu, comme une nourrice pour toutes les âmes; comme un océan fécond en libéralité, comme une source immense de grâces et de bénédictions. Elle est le paradis, d'où sortent les quatre fleuves qui vont arroser toute la terre (1) ; c'est un réservoir où se rassemblent les eaux qui se répandent ensuite en ruisseaux sans nombre; c'est enfin un trésor qui contient toutes les richesses de Jésus-Christ, c'est-à-dire tous les trésors de Dieu le Père. Approchons donc avec confiance, approchons de ce trône de grâce (2), avec une foi parfaite aux bontés adorables et aux charités de Dieu pour la très-sainte Vierge, en faveur des pécheurs; car pour nous obliger à aller à lui, par son Fils, en Marie et avec Marie, Dieu le Père ferme les yeux sur nos péchés, et n'a rien de plus à coeur que de nous aimer et de nous réconcilier avec lui, comme nous allons le, voir bientôt.
RÉFLEXIONS PRATIQUES SUR LE PETIT OFFICE DE LA TRÉS-SAINTE VIERGE
Pour nous mettre devant les yeux la puissance de Marie régnant dans le ciel, l'Eglise a composé
1. Genes. cap. II,14.
2. Hebr. cap. IV, 16.
le petit Office, qui comprend les grandeurs de la vie, de la mort et de la gloire de cette auguste Vierge, et est tout en mémoire de son triomphe et de sa glorieuse Assomption. Elle y donne à lire à ses enfants pour leçons communes une partie du vingt-quatrième chapitre de l'Ecclésiastique, qui convient premièrement à la Sagesse éternelle, mais qu'elle applique à la très-sainte Vierge exaltée par sa mort et élevée dans la gloire, et aussi à tous les chrétiens qui participent aux mystères de mort et de vie de Notre-Seigneur. En voici un petit commentaire qui pourra vous aider à le méditer, et ensuite à réciter cet office avec plus d'intelligence et de fruit.
La première leçon., déjà rapportée dans cet ouvrage, exprime les sentiments d'amour de la très-sainte Vierge pour Dieu pendant sa vie, et aussi la puissance éminente qu'elle a sur l'Église, tant de la terre que du ciel, depuis sa mort. « J'ai cherché le repos en toutes choses et j'ai demeuré dans l'héritage du Seigneur. Alors le Créateur de tout, celui qui m'a créée, qui a reposé lui-même dans mon tabernacle, m'a dit et m'a donné cet ordre : Habitez en Jacob, que votre héritage soit dans Israël, et jetez des racines dans mes élus. »
N'ayant pu trouver sur la terre le repos et la joie que dans la société des justes et dans le peuple de Dieu, Marie s'est retirée dès l'âge de trois ans dans le temple, le lieu le plus saint qui fût au monde ; et parmi les lévites et les prêtres, qui étaient la portion la plus sainte du peuple et l'héritage du (323) Seigneur. Alors le Fils, par qui Dieu a créé toutes choses, le Verbe de Dieu qui devait s'incarner, charmé de la fidélité de Marie dans son ministère au service du temple, où elle s'offrait à lui mille fois comme hostie, à la place des animaux qui étaient immolés, lui dit: Je veux reposer et habiter en vous, comme dans mon temple et mon tabernacle, pour y être hostie de Dieu mon Père; et vous établir, dans Jacob et dans Israël, la mère de mes élus. Jacob signifie l'Église de la terre, qui est en combat, de laquelle la très-sainte Vierge est la force et le secours; et Israël, qui vit Dieu face à face (1), signifie l'Église bienheureuse, qui voit Dieu dans sa beauté, l'Église du ciel, dont la très-sainte Vierge est la reine et la mère: la reine, parce qu'en Jésus-Christ elle règne sur tout le corps des élus; la mère, parce qu'elle lui donne la vie. C'est ce qu'elle commence à faire dès la terre, Dieu le Père se servant d'elle pour jeter des racines dans les âmes prédestinées, c'est-à-dire pour produire en elle les premiers effets de sa fécondité et de la vie divine qu'il leur donne.
Dans la seconde leçon, on voit la continuation et la confirmation de ces promesses de Dieu à la très-sainte Vierge, établie Reine de, l'Église de la terre et de celle du ciel. « J'ai été ainsi affermie sur Sion, dit-elle; et pareillement sur la cité sainte, où j'ai pris mon repos, exerçant ma puissance sur Jérusalem ; j'ai jeté des racines dans le peuple comblé d'honneurs, dans le partage de mon Dieu, qui est son héritage; et j'habite et je règne dans la plénitude des saints. »
1. Genes. cap. XXXII, 28-30.
En disant qu'elle est affermie sur Sion et sur Jérusalem, elle exprime là même chose que par Jacob et Israël, c'est-à-dire l'Église de la terre et celle du ciel : car Sion signifie trouble ou guerre, ce qui est le partage de l'Église militante; et Jérusalem signifie la paix, qui est le propre de l'Église du ciel. Elle nous apprend donc par là qu'après sa mort, elle a été établie la Reine de l'Église militante, aussi bien que de l'Église triomphante. Assise dans le trône de son Fils, elle est affermie dans sa force, elle y est une avec lui dans sa puissance, elle communie à toute sa vie de gloire : son Fils lui donnant tout ce qu'il peut, de même qu'autrefois sur la terre Marie l'avait communié à toute sa vie humaine. Étant donc entrée dans sa puissance de sainteté, aussi bien que dans sa joie divine, elle agit avec force et efficace sur l'Église militante et l'attire à une parfaite sainteté.
C'est pourquoi elle ajoute : J'ai jeté des racines dans le peuple comblé d'honneurs, dans le partage de mort Dieu qui est son saint héritage. Elle ne dit plus ici, comme dans la leçon précédente, qu'elle a jeté des racines dans les âmes encore exilées sur la terre, qui n'ont rien de certain, de ferme ni de constant, et qui peuvent être abattues par les tentations, comme les arbres les plus forts, plantés dans un sable mobile, sont quelquefois déracinés par les vents. Mais elle dit qu'après sa mort et son élévation (325) dans la gloire, elle est affermie puissamment dans les coeurs des habitants de Jérusalem et de la Cité sainte, c'est-à-dire de ceux qui sont en possession de la parfaite sainteté et jouissent en paix de la vue de Dieu; car ce mot Jérusalem signifie vision de paix, vision parfaite; qu'enfin elle prend son repos dans eux, c'est-à-dire, qu'après son bonheur éternel, elle trouve parmi les saints du ciel le repos qu'elle cherchait auparavant sur la terre et qu'elle n'avait pu trouver.
Dans la troisième leçon elle parle de la sorte : « Je suis élevée comme le cèdre sur le Liban, et comme le cyprès sur la montagne de Sion; comme le palmier de Cadès, et comme les plants de rosiers de Jéricho; comme un bel olivier dans la campagne, et comme un platane sur le bord des eaux dans un grand chemin. J'ai répandu une senteur de parfum comme le cinnamone et comme le baume le plus précieux, et une odeur agréable comme celle de la myrrhe de choix. »
Ce sont autant de comparaisons tirées des propriétés de divers arbres. L'Église commence par le plus beau des arbres et compare la très-sainte Vierge au cèdre du Liban. 1° Par là elle exprime son élévation au-dessus de toutes les Vierges; car le cèdre signifie l'incorruptibilité, et le mot Liban veut dire blancheur. Par son titre de Mère Vierge et de Mère de Dieu dans sa virginité, elle est élevée au-dessus de toutes les vierges qui ont été et qui seront jamais : sa sainteté parfaite la rendant chaste de corps et d'esprit par-dessus toute autre créature. (326) 2° Ces paroles: Je suis exaltée comme le cèdre sur le Liban, signifient la vie divine en terre, exprimée par la blancheur qui parut dans les vêtements de Jésus-Christ, transfiguré sur le Thabor, et dans ceux des anges au tombeau; et ce mot: Je suis exaltée, montre que la très-sainte Vierge est éminente dans sa participation à la vie de Jésus-Christ ressuscité, plus abondante en elle que dans toutes les autres créatures. 3° Enfin ces mots : Je suis exaltée comme le cèdre sur le Liban, expriment l'Assomption de la très-sainte Vierge dans la splendeur de la sainteté de Dieu, étant entrée en son Fils, qui est la candeur de la lumière éternelle.
Il est dit ensuite qu'elle a été élevée comme le cyprès sur la montagne de Sion. Le cyprès, image de-la mort, signifie que la très-sainte Vierge a toujours vécu dans un esprit de mort, comme étant l'âme la plus parfaite dans la vie chrétienne et la plus éminente de l'Église. Si le cèdre sur le Liban exprime sa vie ressuscitée, le cyprès sur la montagne de Sion marque quel a été son état de mort dans la vie présente : Sion signifiant, comme nous l'avons dit, trouble ou guerre, c'est-à-dire le tumulte et l'agitation de cette vie mortelle. Au milieu du siècle elle a vécu comme morte sans se mouvoir, sans s'agiter, sans se ressentir de rien, de même que si rien n'eût été vivant dans sa nature et que le seul esprit intérieur l'eût animée en tout. Car, par la part qu'elle a eue aux saints mystères de son Fils, elle a été non-seulement participante de leur grâce, mais encore conforme aux états de Jésus-Christ, surtout (327) à ses états douloureux, ayant partagé ses confusions et ses souffrances dans sa passion et dans sa mort (1). Si elle est ensuite comparée au palmier, symbole de la victoire, c'est pour signifier qu'ayant triomphé du monde, de la chair et du démon, elle nous en fait triompher à notre tour. Elle est comme les plants de rosiers de Jéricho : la rose, regardée comme la plus belle des fleurs, exprime la beauté incomparable de l'intérieur de Marie, qui la fait qualifier dans le Cantique la plus belle d'entre les créatures; et pour cela il est fait ici mention de Jéricho, les roses de ce pays surpassant toutes les autres par la suavité de leurs parfums, par la vivacité de leurs couleurs et par la durée de leur éclat.
Elle est encore assimilée à un bel olivier dans la campagne et à un platane sur le bord des eaux. L'olivier, toujours vert, est le symbole de la paix; son fruit plein de douceur sert à calmer les douleurs, à guérir les blessures, à dissiper les ténèbres de la nuit, à sacrer les rois : ce sont autant de figures des effets spirituels, bien plus excellents, que Marie produit dans les âmes; et si on dit de cet olivier mystique qu'il est dans la campagne, c'est pour signifier que les justes et les pécheurs peuvent librement s'approcher de Marie, qu'elle est accessible à tous sans acception de personnes.
1. La suite de cette troisième leçon ne se trouve point dans le manuscrit autographe de M. Olier, interrompu en cet endroit. Le complément que nous en donnons ici est tiré des écrits des saints Docteurs.
Ce platane qui, par son large feuillage et par l'étendue de ses branches, offre un ombrage très-épais contre les ardeurs du soleil, exprime le refuge assuré que les pécheurs et les criminels trouvent en Marie contre la rigueur de la colère et de la vengeance de Jésus-Christ, le soleil de justice qu'elle modère, qu'elle apaise et qu'elle adoucit par ses prières en leur faveur.
Le parfum appelé cinnamome, auquel Marie est aussi comparée, pénètre si vivement et si agréablement l'odorat, il conforte si suavement les sens, qu'au milieu de divers autres parfums, il se fait sentir seul et les domine tous. C'est une image dés charmes pénétrants de Marie, dont le nom seul, mêlé dans nos études, dans nos lectures, dans nos conversations, répand un parfum qui donne de l'agrément à tout le reste; et par l'odeur de sainteté dont il nous pénètre, conforte nos sens en les disposant à agir purement pour Dieu; notre volonté, en l'enflammant d'amour pour lui; notre intelligence, en l'éclairant de ses aimables perfections.
Comme le baume auquel elle est encore comparée, Marie répand au loin la bonne odeur de sa charité douce, prévenante et compatissante. Elle ne souffre pas que ceux qui ont le malheur de perdre la grâce tombent dans la corruption du péché en croupissant dans cet état; elle leur rend promptement l'espérance du pardon en les pénétrant du parfum de sa miséricorde, de ses vertus et de ses saints exemples; et de plus elle préserve du péché les âmes et les corps des justes. Enfin comme la myrrhe, qui consume la pourriture des plaies, Marie guérit les âmes des (329) pécheurs qui ont croupi longtemps dans l'habitude funeste du vice. Par sa sollicitude auprès de Dieu, elle les délivre de leur pourriture et de leur infection, et veille sur eux pour les défendre des rechutes.
Si vous avez le bonheur de réciter le petit Office, vous vous efforcerez d'entrer d'esprit et de coeur dans le sens de ces belles leçons, que vous lirez à Matines, et que vous répéterez encore en partie aux Capitules de Tierce, Sexte et None. Voici quelle est l'intention que l'Église s'est proposée dans la division de l'Office, et celle que vous aurez vous-même en le récitant.
D'abord elle veut qu'avant de commencer Matines, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies, vous récitiez toujours l'Ave Maria. C'est afin que, vous unissant aux saints Anges et surtout à saint Gabriel, dont cette prière contient la salutation qu'il adressa à Marie, vous participiez à sa parfaite religion envers elle, et lui offriez vos hommages avec ceux de tous les esprits bienheureux. Pareillement, en disant ces paroles : Sainte Marie, Mère de Dieu, etc., unissez-vous à la religion de toute l'Église de la terre, exprimée par cette prière qu'elle ajoute toujours à la salutation de l'Ange.
Les Matines et les Laudes, qu'on est censé dire la nuit, et où l'on récite des psaumes d'admiration, de bénédiction, de reconnaissance, expriment les louanges du ciel qui sont rendues à Marie dans la gloire par les saints et les anges. C'est pourquoi, après ces psaumes, viennent les leçons dont nous venons de, parler, et qui rappellent les grandeurs de (330) Marie dans son triomphe. Aussi regardons-nous les autres heures de la journée comme les prières de la vie présente, c'est-à-dire depuis Prime à six heures du matin, jusqu'à Vêpres à six heures du soir.
La vie chrétienne est une vie du ciel commencée sur la terre; de là vient que ces heures Prime, Tierce, Sexte et None, qui partagent et Occupent tout le jour, commencent à se dire de trois en trois heures, qui représentent les trois personnes de la sainte Trinité, à laquelle l'Église est consacrée et à l'honneur de laquelle elle chante la gloire et les louanges de Marie. Depuis Tierce, c'est-à-dire depuis la première heure du lever du soleil jusqu'à la troisième, on récite trois psaumes; depuis Tierce jusqu'à Sexte, qui peut être l'heure de midi, on récite aussi trois psaumes; depuis Sexte jusqu'à None, c'est-à-dire depuis midi jusqu'à trois heures, on dit encore trois psaumes; tout de même à None, qui est la prière qui se dit depuis trois heures jusqu'à six. L'on doit bien remarquer ici le soin inexplicable de l'Église à se rappeler l'adorable mystère de la très-sainte Trinité et à le respecter. Car on voit de trois en trois heures trois psaumes, et à la fin de chaque psaume on récite Gloria Patri, etc., pour dire que les louanges qui se rendent à Marie ont toujours rapport à ces trois divines personnes, par lesquelles Marie est tout ce qu'elle est dans la nature, dans la grâce et dans la gloire.
Cette belle distribution en toute la journée chrétienne, à savoir un psaume pour chaque heure, montre bien que la religion de la terre est une (331) imitation de celle du ciel, où il y a une louange perpétuelle de Marie, que lui rendent les anges et les bienheureux : ainsi, au calcul de l'Église, il n'y a pas une heure du jour et un moment où nous ne soyons invités à offrir des prières et des louanges à cette divine Mère. Bien plus, l'intention de l'Église est que nous honorions ses grandeurs en union avec les anges du ciel; et, pour ce dessein, elle fait précéder d'une hymne les trois psaumes de chaque heure; les hymnes étant censées être la prière que les bienheureux font avec nous.
Dans tous les psaumes qui partagent les douze heures du jour, nous demandons à Dieu que, par la puissance dont il revêt la très-sainte Vierge dans le ciel, il nous protège contre les ennemis de notre salut, et nous fasse obtenir sur eux la victoire. Enfin, par les Antiennes et les Capitules qui suivent les psaumes, après avoir rappelé à notre foi cette puissance et cette gloire magnifique dont elle est en possession, nous demandons à Dieu, dans les oraisons, d'être toujours protégés par les prières de cette auguste Reine et d'obtenir par elle le salut.
A six heures finit le jour, et l'on commence à compter sur la nuit; d'où vient que les prières qui, selon le dessein primitif de l'Église, sont censées être chantées au soir, vers six heures, sont nommées Vêpres, qui est le temps où paraît l'étoile du soir, appelée Vesper. Alors on commence à chanter, dans le psaume Dixit, les louanges de Jésus-Christ, monté dans sa gloire, qui est le commencement de toute celle des bienheureux; et ensuite on aboute quatre (332) autres psaumes pour célébrer la gloire et les grandeurs de Marie. Ainsi, depuis six heures jusqu'à minuit, on dit sà Vêpres cinq psaumes, et le Magnificat qui fait le sixième, afin que la nuit aussi bien que le jour soit toute pleine de louanges envers Marie. L'heure des Complies, qui suit les Vêpres, n'est pas mise, en effet, au nombre des prières particulières; elle ne fait qu'un avec Vêpres, dont elle est l'achèvement et l'accomplissement : Completorium, c'est-à-dire la clôture et l'achèvement des prières.
Les Complies du grand office signifient l'achèvement des prières des hommes dans la vie présente. Jésus-Christ nous a mérité, par la fin de la sienne et par sa mort, le bonheur et la gloire de la vie future; de là vient que tous les psaumes qu'on récite à Complies ne parlent que de Notre-Seigneur souffrant. Ainsi, dans le ciel et dans la consommation de sa gloire, Jésus-Christ fait encore mention de son état pénible; parce que cet état, qui a été le sujet de sa gloire, doit être aussi le sujet de la récompense, de la béatitude éternelle qu'il propose aux hommes. Pareillement, les Complies, du petit Office se composent de psaumes où sont exprimés les travaux, les peines et les épreuves de la très-sainte Vierge sur la terre, qui lui ont acquis une si grande gloire dans le ciel. En qualité de ses enfants, nous nous proposons d'imiter la fidélité de sa conduite au milieu des tentations et des dangers qui nous environnent dans cette vie, afin de parvenir un jour par sa protection à la jouissance de son bonheur. C'est tout ce (333) qu'on se propose dans la récitation des Complies. Si vous assistez au chant de quelque partie du petit Office ou à quelque autre chant relatif à Marie, estimez-vous heureux d'avoir cette occasion pour lui faire hommage de votre voix. Excitez-vous d'abord à une grande pureté d'intention, et unissez-vous ensuite aux choeurs des saints Anges, qui chantent sans cesse, dans les transports de l'admiration, de la reconnaissance et de l'amour, les grandeurs et les louanges de cette auguste Reine de la terre et du ciel. Car le chant de l'Église est proprement l'occupation des saints et l'exercice du paradis. Que fait-on dans le ciel, que glorifier Dieu et chanter ses louanges? c'est cela même que fait l'Église par le chant. Elle s'en sert pour protester hautement de l'estime qu'elle fait de Dieu et de l'amour qu'elle lui porte, et pour témoigner qu'elle ne peut assez exalter, ni faire entendre à tout le monde ses grandeurs ineffables et ses bontés infinies. Que ce soient là vos sentiments en chantant les louanges de Marie.
Dieu exprime même par le chant les opérations de son Esprit en nous. L'âme parfois s'anéantit et s'abîme en ce divin Esprit, par respect et par révérence pour la grandeur de la majesté de Dieu; parfois aussi elle s'élève jusqu'au sein de Dieu parles saints transports de l'amour et les élans du coeur; parfois elle se dilate et se répand en complaisances et en consolations : tout cela se fait par l'opération du même Esprit, qui opère, comme il lui plaît, dans les justes de la terre et dans les saints du ciel, et qui les meut selon la divine sagesse. C'est ce qu'expriment, (334) dans le chant de nos églises, ces notes qui se baissent et se haussent et qui se multiplient en se diversifiant. Car ces tons qui montent et qui baissent signifient les divers mouvements que l'esprit de Dieu imprime aux âmes, lesquels, par la diversité des sentiments qu'ils excitent, composent la beauté et l'harmonie de la religion intérieurs de l'Église. Ceci nous montre que rien ne doit être méprisé dans le culte de l'Église, et nous marque le soin que l'on doit prendre de se rendre capable dans le chant et de s'y appliquer avec esprit de foi.
Entrez donc dans ces dispositions saintes lorsque vous avez le bonheur de chanter les louanges de Marie. Puisque la diversité de tous ces tons usités dans l'Église est une expression des sentiments intérieurs que le Saint-Esprit veut produire dans les âmes, conformez-vous exactement au chant sans rien y ajouter de vous-même. Enfin, unissez-vous alors si intimement d'esprit et de coeur à Marie que vous soyez plus appliqué à la considération de ses beautés intérieures et de ses perfections qu'à l'action matérielle que vous ferez.
CHAPITRE XIX. MARIE EST NOTRE MÉDIATRICE AUPRÈS DE JÉSUS-CHRIST
I
La religion consiste en deux points: l'un à honorer Dieu , l'autre à glorifier Jésus-Christ, qui est digne de la même adoration; et pour cela nous avons besoin de deux médiateurs. Lorsque nous louons Dieu dans ses grandeurs et dans ses couvres, nous avons recours à Jésus-Christ pour être le médiateur de nos louanges; et lorsque nous voulons glorifier Jésus-Christ dans sa personne et dans ses mystères, nous avons besoin de la très-sainte Vierge, notre médiatrice envers lui. Tous les différents ordres des esprits angéliques sont appliqués dans le ciel à la louange et à l'adoration des grandeurs éternelles dé Dieu. Chacune de ses perfections divines a un nombre immense d'intelligences sans cesse occupées à l'honorer : les Séraphins rendent hommage à son amour; les Chérubins, à sa lumière; les Trônes, à sa (336)majesté; et ainsi des autres. Mais quoique, comparés au reste des créatures, les Anges honorent l'essence de Dieu très-parfaitement, pourtant ils sont incapables de glorifier tous ensemble sa grandeur par leurs hommages. Leur être est un portrait magnifique de la Divinité, et leurs bouches sont des sources de cantiques et de louanges de ses perfections adorables; néanmoins tout cela n'est rien auprès de ce que Pieu mérite. Tout cela n'est que pauvreté; il faut qu'ils reçoivent de Jésus-Christ de quoi glorifier Dieu; et c'est par cet unique supplément de leur religion que les Anges et les Archanges, les Chérubins, les Séraphins et tous les autres le louent et publient sans cesse qu'il est saint, saint, saint.
Ce que les Anges sont à l'égard. de Dieu dans le ciel, les fidèles le sont sur la terre à l'égard de Jésus-Christ. Par l'ordre et l'instinct du Saint-Esprit, Dieu partage et applique les hommes à l'adoration des mystères et des vertus de son divin Fils, afin qu'ils' rendent à chacun les hommages et les devoirs particuliers qui leur sont dus, et qu'il n'y ait rien en lui qui ne soit adoré. Ainsi les divers Ordres religieux, les Congrégations, sont appelés de Dieu sur la terre à honorer quelque mystère ou quelque perfection de Jésus-Christ ou de son corps mystique. Il en est de même des églises cathédrales, des collégiales et des autres, et enfin dé chaque particulier de l'Église. Mais pour louer parfaitement Jésus-Christ, nous avons besoin de la très-sainte Vierge, qui seule est digne de le glorifier. La gloire étant une louange qui procède d'une claire connaissance de la chose que (337) nous voulons glorifier, nous ne pouvons honorer dignement Jésus-Christ à cause de notre ignorance.
La très-sainte Vierge a en elle l'esprit de Dieu pour rendre à Jésus-Christ les devoirs qu'il mérite et qu'il prétend recevoir de l'Église; de sorte que, comme temple vivant, Marie seule contient en éminence toutes les louanges que Jésus-Christ peut recevoir de ses adorateurs véritables; et, par-dessus cela, elle se convertit elle-même en louanges parfaites et en adorations. C'est pourquoi l'Église, incapable de l'honorer comme il mérite de l'être, ne lui rend aucune louange, aucun hommage, sans s'unir à la très-sainte Vierge, sa médiatrice, la parfaite adoratrice de toutes les grandeurs de Jésus-Christ, et dans laquelle on trouve mille fois plus d'adorations, de louange et d'amour que toutes les autres créatures ne lui en pourront jamais rendre.
Si Dieu le Père a usé de cette convenance que de faire son Fils homme, afin de nous faciliter l'accès vers sa majesté, par un Dieu qui fût homme comme nous, l'Église peut bien user de cette même bienséance que de nous donner accès à cet Homme-Dieu, par la première et la plus sainte créature qui soit parmi les hommes.
Ce milieu pour aller à Jésus-Christ n'est pas un milieu de division et de séparation; mais, au contraire, un moyen de liaison, d'union et d'unité. De même que Jésus-Christ, notre médiateur auprès de son Père, est un moyen d'union à lui, parce qu'il lui est consubstantiel par sa nature divine et (338) consubstantiel à nous par sa nature humaine; ainsi Marie, étant toute transformée en Jésus-Christ, nous fait entrer en lui plus parfaitement. Comme donc le recours à Jésus-Christ est un moyen agréable au Père éternel, dont la miséricorde est immense et toujours prête à se répandre sur les hommes; nous entrons dans les vues de Notre-Seigneur en nous adressant à sa très-sainte Mère, qui est toute remplie de lui, et qu'on sait tout tenir de lui, comme Jésus-Christ tient tout de son Père. Au reste, en allant ainsi à Jésus par Marie, l'Église ne fait que suivre l'ordre que le Père éternel a gardé lui-même en nous donnant son Fils. Ayant fait dépendre l'Incarnation du consentement personnel de Marie, l'ayant établie comme médiatrice du don de son Fils au monde, et dépositaire amoureuse et fidèle de son trésor, il a appris par là à toute l'Église a aller à Marie, comme au tabernacle et au sanctuaire où habite et repose l'objet de ses délices et de ses complaisances.
Pareillement, c'est en ce tabernacle que Jésus-Christ désire d'être chéri et aimé parfaitement par tout le monde. Remarquons d'abord que la très-sainte Vierge, ce sanctuaire vivant, rend à Jésus-Christ une parfaite religion, un éminent amour par-dessus celui de tous les anges et de tous les hommes: de là vient qu'il en fait lui-même le lieu de ses délices. Comme il prend donc tout son plaisir en sa Mère, il est ravi que les hommes le servent et l'honorent par elle, afin de l'avoir autant de fois présente à lui, et autant de fois présente dans l'Église (339) qu'il y a de fidèles qui le prient. Telle est la nature du saint amour que Jésus porte à sa divine Mère, qu'il voudrait la voir partout et entendre parler d'elle toujours. S'il est lui-même le coeur qui vivifie tous les membres de son Église; s'il est ce centre divin où toutes les lignes, c'est-à-dire tous les fidèles du monde aboutissent, il veut que Marie soit comme un cercle qui l'environne, par lequel il faut passer pour aller à lui, étant ravi de demeurer ainsi investi, enveloppé et caché sous sa Mère, afin qu'elle soit aimée, invoquée et recherchée par tous ceux qui veulent parvenir à lui.
II
Rien ne pouvait nous être plus avantageux. Marie étant le temple où Jésus-Christ reçoit avec plus de plaisir les devoirs suprêmes dus à sa grandeur et à sa majesté, il est si satisfait des devoirs qu'elle lui rend, qu'il admet aisément tous les respects des hommes quand ils viennent ainsi s'unir à elle; vu même qu'elle est toujours présente à lui pour eux, et que, portant dans son sein maternel toute l'Église comme sa fille, elle supplée amoureusement à tous ses manquements envers lui. Aussi l'Église elle-même, instruite de la faiblesse et de l'infirmité de ses enfants, veut-elle, comme il a été dit, qu'ils ne rendent de louanges à Dieu en Jésus-Christ qu'en s'unissant à celles que lui rend la très-sainte Vierge. C'est pourquoi, avant toutes les heures canoniales, (340) dès qu'ils ont récité tout bas le Pater, comme la louange et la prière de Jésus-Christ, l'Église, conformément au mouvement de l'esprit de Jésus-Christ même, leur fait dire l'Ave Maria, afin de leur apprendre que le moyen de s'unir à Jésus et aux louanges qu'il rend à Dieu, c'est de s'unir à sa très-sainte Mère, et de communier ainsi à la louange parfaite qu'elle-même lui rend.
Mais indépendamment des devoirs que nous sommes obligés de lui rendre, nous avons à lui demander ses grâces; et c'est par Marie qu'il veut nous accorder toutes celles qu'il nous a méritées par sa mort, l'ayant établie la distributrice universelle de tous ses biens. L'avantage est bien plus grand pour nous qu'elle ait dans ses mains la disposition des mérites de Jésus-Christ, son Fils, que s'ils étaient entre les nôtres propres. Car, outre que Dieu le Père aurait souvent horreur de voir ce trésor en des mains si indignes et si criminelles que les nôtres, Marie qui a été choisie de Dieu le Père et préparée par le Saint-Esprit pour être dépositaire du don qu'il nous a fait de son Fils, Marie a seule la grâce d'en bien user. Oh! que nous sommes heureux qu'il l'ait confié pour nous à cette divine Mère qui, par sa sainteté et l'éminence de sa grâce, est digne de Jésus-Christ et ne le déshonore pas en approchant de lui; et qui d'ailleurs, étant toute charité pour nous, est remplie de sagesse pour user de ce trésor et le ménager à notre avantage!
Au reste, si nous demandions quelque grâce autrement que par elle, Jésus-Christ, qui souvent (341) opère par justice autant que par bonté, pourrait nous refuser à cause de nos offenses et de nos infidélités journalières; à la très-sainte Vierge, au contraire, il ne saurait rien refuser. Il n'y a rien qu'elle ne puisse sur lui, par le principe de l'amour qu'il lui porte et qui semble le rendre dépendant d'elle; il veut toujours ce qu'elle veut, et désire ce qu'elle désire, tant il veut l'honorer. C'est ce que nous voyons dans plusieurs figures de l'Ancien Testament; par exemple, en la personne de Bethsabée, qui, à l'égard de David, est une image de la très-sainte Vierge et de son crédit auprès de Jésus-Christ. Ce prince la traite avec déférence et bonté: Bethsabée se présentant à lui dans l'intention de demander le trône pour son fils Salomon, David la prévient et lui dit : Quid tibi vis? Que voulez-vous? c'est-à-dire qu'ai-je en moi que je puisse faire pour vous, que je ne le. fasse? Et Bethsabée lui ayant exposé sa demandé, David lui jure, par le Seigneur, que Salomon montera sur le trône; ce qui est exécuté le jour même avec des signes de joie et toutes les marques d'une réjouissance publique. Aussi, quand nous allons chercher Notre-Seigneur dans la très-sainte Vierge, nous sommes assurés, selon saint Bernard, qu'aussitôt elle est en prière pour nous auprès de son Fils. Jésus-Christ se souvient de la puissance- qu'il lui a donnée sur lui en qualité de Mère, pour ne la lui ôter jamais, parce que la grâce et la gloire perfectionnent la nature et ne lui font jamais perdre ses droits, et aussitôt la très-sainte Vierge obtient ce que nous ne sommes pas assurés d'obtenir par nous-mêmes. La (342) sainte Vierge a, de plus, à sa disposition tout ce qu'elle a acquis de mérites en propre, pendant sa vie, par sa fidélité au Saint-Esprit; et ce trésor, que la sublimité et l'éminence de son amour a rendu plus considérable que tout ce que l'Église ensemble a jamais mérité, Marie l'offre pour nous. Car tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle a, est pour les hommes, sa qualité de Mère la tenant toute en rapport et en relations à ses enfants.
Que ne trouve pas tout d'un coup l'âme qui s'approche de cette source immense de bonté et de miséricorde? Comme tous les commençants sont remplis d'estime d'eux-mêmes et de sentiments de superbe, n'étant point encore purifiés par la mortification et par l'établissement en eux de Jésus-Christ anéanti, ils ne peuvent souffrir la honte et la confusion des reproches intérieurs que Jésus-Christ leur fait. Cela se voit dans les âmes les plus innocentes, comme en sainte Thérèse, qui, après ses chutes dans des infidélités très-légères, fuyait l'oraison, comme autrefois lés Juifs fuyaient les reproches de Dieu, et désiraient que Moïse leur parlât, et non pas Dieu lui-même. Tous les commençants ont donc un besoin particulier de la douceur et de la clémence de la très-sainte Vierge, pour leur donner confiance à approcher de Jésus-Christ et à se tenir en sa présence dans la prière.
III
Marie est toute-puissante sur le cœur du Père éternel comme sur le coeur de Jésus. II est vrai que Jésus-Christ est le médiateur par justice, offrant à Dieu le Père son sang adorable, qui vaut de droit le rachat des hommes et le paiement de toute leur dette : et que la très-sainte Vierge, le refuge des pécheurs, est seulement notre médiatrice d'amour et d'impétration. En qualité d'Épouse, elle connaît ce qui plaît le plus au Père, ce qui le console et le charme davantage; et Dieu le Père, se voyant prié par son Épouse, se rend à ses demandes et à sa voix. De la part de Marie, il reçoit tout amoureusement. Elle lui plaît tellement qu'il ne saurait rien refuser de tout ce qu'elle désire; et ainsi il cède facilement à celle à qui, par amour, il appartient en qualité d'Époux (1).
Marie étant donc la dépositaire de tous les biens de Dieu, qui peut en manquer auprès d'elle s'il a confiance en sa bonté? D'autre part, étant la Mère de miséricorde, elle ne peut rien refuser aux hommes, elle donne libéralement et avec plaisir aux misérables, et leur départ avec joie les dons et les trésors de Dieu et de Jésus-Christ, son Fils. Il n'y a qu'à se tenir à ses pieds pour être aussitôt enrichi. On ne s'approche donc point de Dieu, en la très-sainte Vierge, vainement et inutilement.
1. S. Antonini Florent. in Summoe part. IV, tit. 15, cap. XLIV. Maria captivatrix Dei.
RÉFLEXIONS PRATIQUES OCCUPATIONS SUR LES GRANDEURS DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE EN RÉCITANT LE CHAPELET (1)
Sur la Croix.
Après avoir fait le signe de la Croix, On récitera le Credo, pendant lequel on se donnera à l'esprit de la foi, pour se renouveler dans le respect et dans l'amour de ses maximes, et de tous les mystères qui sont compris en ce symbole, honorant en la très-sainte Vierge l'éminence de la foi qu'elle a eue plus grande que le reste des créatures, et lui en, demandant la participation et l'esprit pour toute la sainte Église.
1. Dans sa Journée chrétienne, M. Olier a donné deux méthodes différentes pour s'occuper intérieurement des grandeurs de la très-sainte Vierge, en récitant le chapelet. Celle qu'on voit ici, et dont l'origine est rapportée dans sa Vie (part. III, liv. III), a été depuis en usage au séminaire de Saint-Sulpice, quoique M. Olier n'ait pas prétendu y astreindre personne. « Il faut que chacun pense, dit-il dans la Préface de sa Journée chrétienne, que ceci n'est pas écrit pour lui seul : ce qui ne le touche pas touchera peut-être un autre. Il est nécessaire que dans un festin il y ait diversité de viandes, afin que chacun en puisse trouver selon son appétit...— Il sera bon, pour éviter la distraction de l'esprit, de changer de temps en temps d'intention et de s'occuper en détail des grandeurs de la très-sainte Vierge, faisant successivement ce que l'Ange faisait tout d'un coup en la plénitude de sa lumière. » Il est très-avantageux de s'occuper des mystères joyeux, des mystères douloureux et des mystères glorieux, que nous honorons en récitant le Rosaire, dont le chapelet est une partie.
Sur le premier gros grain.
En disant le Pater, on adorera l'unité de Dieu, principe de toutes les grandeurs de la très-sainte Vierge et de la perfection de ses états.
Sur les trois petits grains.
En disant les Ave Maria, on honorera les trois états de la vie voyagère de la. très-sainte Vierge. Au premier Ave Maria, il faut honorer l'état de son enfance qu'elle passa dans le temple, où, vivant comme une hostie de Dieu, elle adorait incessamment Jésus-Christ sous la figure de toutes les!victimes, et se préparait, dès ce temps-là, au sacrifice de son Fils, qu'elle avait présent à l'esprit pendant qu'elle était appliquée au service des prêtres qui offraient à Dieu les sacrifices.
Au second Ave Maria, on honorera l'état de son saint mariage, durant lequel elle a vécu dans une sainteté parfaite, elle a conçu, nourri et élevé Jésus-Christ, son Fils, et participé à ses divines grâces; elle a été présente à sa personne et a conversé avec lui.
Au troisième Ave Maria, on honorera l'état de son saint veuvage, pendant lequel elle a servi, elle a été présente et a participé aux saints mystères de Jésus-Christ; et, après, elle a aidé les apôtres à fonder et à maintenir l'Église, qu'elle n'a point laissée que (346) lorsqu'elle l'a vue affermie en la foi de Jésus-Christ, son Fils.
Sur le premier dizain.
En récitant le Pater, sur le gros grain, il faut respecter profondément Dieu le Père en toutes ses perfections et en toutes ses grandeurs divines, qui, étant . immenses, ne peuvent être vues et adorées que dans la foi.
Sur les dix Ave Maria, on honorera la très-sainte Vierge en qualité d'Épouse du Père éternel. On admirera, on louera, on bénira en elle toutes les perfections divines et adorables dont Dieu le Père est le principe, et auxquelles elle a participé : sa sainteté, sa sagesse et sa fécondité.
A la fin du dizain, on dira le Gloria Patri, pour louer Dieu le Père d'avoir choisi la sainte Vierge pour son Épouse, et de lui avoir communiqué tant de perfections dont on demandera quelque part pour l'Église de Dieu.
Sur le second dizain.
En récitant le Pater, sur le gros grain, il faut honorer le Fils de Dieu fait homme en la très-sainte Vierge, et adorer toutes les grandeurs du Verbe, anéanties dans la chair au divin mystère de l'Incarnation.
Pendant les dix Ave Maria, il faut respecter la sainte Vierge comme Mère du Fils de Dieu, et honorer (347) en elle la vie du Verbe incarné avec tout l'intérieur et tout l'extérieur des vertus qu'il est venu fonder en son Église par l'Incarnation : comme sont sa patience, sa pauvreté, sa chasteté, sa douceur, son humilité et les autres vertus chrétiennes que Dieu n'a pu avoir en soi que par ce saint mystère.
A la fin du dizain, on dira le Gloria Patri, pour remercier Dieu le Fils d'avoir choisi la sainte Vierge pour sa Mère et de l'avoir rendue le modèle parfait de la vie chrétienne, demandant à Dieu qu'il lui plaise y conformer son Église.
Sur le troisième dizain.
En disant le Pater, on adorera le Saint-Esprit comme sanctificateur de la très-sainte Vierge.
Pendant les dix Ave Maria, il faut honorer la sainte Vierge comme le temple et le sanctuaire du Saint-Esprit, dans laquelle il a versé la plénitude de ses dons. Il faut encore respecter toutes les opérations divines qui ont rempli son âme pendant sa vie voyagère, et qui continuent encore dans le ciel : le Saint-Esprit opérant plus en elle dans le temps et dans l'éternité que dans toutes les pures créatures ensemble.
A la fin, il faut dire Gloria Patri pour glorifier le Saint-Esprit d'avoir choisi la sainte Vierge pour son temple et de l'avoir ornée et remplie de tant de dons, desquels on demandera la participation pour soi et pour la sainte Église.
Sur le quatrième dizain.
En disant le Pater, sur le gros grain, il faut adorer Dieu le Père comme glorificateur de la très-sainte Vierge et de toute l'Église triomphante.
Sur les dix Ave Maria, il faut considérer et honorer la sainte Vierge comme la joie des anges et des bienheureux dans le ciel; il faut s'unir à eux pour entrer en leurs complaisances envers elle, et dans les louanges et les bénédictions qu'ils lui rendent.
A la fin, il faut dire le Gloria Patri pour remercier la majesté de Dieu de l'avoir établie dans le haut point de gloire qu'elle possède, demandant la grâce de pouvoir contempler un jour sa beauté et toutes les vertus dont Jésus-Christ l'a revêtue.
Sur le cinquième dizain.
En disant le Pater, il faut adorer Jésus-Christ régnant en la très-sainte Vierge, et en elle régnant aussi sur son Église militante.
Pendant les dix Ave Maria, on honorera la sainte Vierge comme la reine de l'Église, comme l'aide des chrétiens et comme le refuge des pécheurs, respectant la part que Dieu lui a donnée en la royauté de son Fils sur l'Église. On honorera la puissance que Dieu lui a donnée sur ses ennemis; on l'invoquera sur l'Église; on la conjurera de régner en son Fils et par son Fils sur le monde; on la priera d'y vouloir détruire le péché, abattre l'orgueil du démon, (349) nous fortifier en esprit contre l'infirmité de la chair; en un mot, nous remplir de la vertu de Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui nous puissions régner sur tout ce qui s'oppose à lui durant cette vie.
On dira le Gloria Patri, à la fin, pour remercier Notre-Seigneur d'avoir si pleinement régné en elle et sur elle dans l'Église, et d'avoir détruit tant d'hérésies et tant d'erreurs, le priant encore qu'il achève d'extirper par elle ce qui en reste au monde, qui croît tous les jours en ténèbres et en malignité.
Sur le sixième dizain.
Pendant le Pater, qu'on récitera sur le gros grain, on adorera le Saint-Esprit comme consolateur de l'Église souffrante en la très-sainte Vierge.
Pendant les dix Ave Maria, on honorera la sainte Vierge comme la consolation des affligés, et surtout comme le soulagement des âmes qui souffrent dans le purgatoire.
On l'invoquera sur toutes les âmes qui gémissent en ces flammes, et qui ne peuvent plus se secourir elles-mêmes ni demander sensiblement l'assistance au monde; mais principalement on lui demandera en Jésus-Christ, et par Jésus-Christ même, le soulagement et la liberté de tant d'âmes délaissées dans le fond de ce cachot, dont personne ne se souvient et qui sont sans aucune assistance.
On dira le Gloria Patri, pour remercier Dieu de toutes les délivrances qu'il a accordées à ses prières, en y ajoutant un Requiem ou un De profundis.
CHAPITRE XX. MARIE EST L’AVOCATE DES PÉCHEURS
I
Nous n'avons pas seulement à solliciter les grâces de Jésus-Christ; nous sommes encore obligés d'obtenir de lui notre pardon après nos infidélités, et pour cela Marie est encore notre médiatrice. Les baptisés, qui tombent dans le péché mortel, ne sont plus vivants de la vie des enfants de Dieu : par le péché, ils deviennent les enfants du démon, et sont faits un même esprit avec lui, qui foule aux pieds Jésus-Christ dans leurs âmes, et triomphe de Notre-Seigneur dans son propre trône. Ils le foulent eux-mêmes aux pieds, parce qu'ils se moquent de ses mérites et de son sang, qui leur ont acquis le Saint-Esprit et toutes ses grâces. Après un pareil outrage fait à Jésus-Christ, les pécheurs sont très-indignes d'approcher de lui, et il a droit de les rebuter, de les condamner.
Il est représenté, au livre de l'Apocalypse, portant dans sa bouche un glaive à deux tranchants (1), indice de sa toute-puissance royale, qui fera trembler les méchants et les démons quand il viendra juger toutes les nations de la terre. Bien plus, dans le très-saint Sacrement même, il désavoue et condamne tous les péchés du monde; et quoiqu'il y soit brûlant d'amour pour nous, quand il entre par la communion dans une âme livrée au péché, au lieu d'y venir avec les charmes de son amour, il la condamne avec la sévérité dont, au jour du jugement, il usera contre elle. C'est saint Paul qui le dit: Celui qui communie indignement mange et boit son jugement, c'est-à-dire sa condamnation (2). Non-seulement il reçoit son juge, mais encore son juge irrité, son juge qui le condamne. Il vaudrait bien mieux s'éloigner de son prince, que d'approcher de lui pour recevoir de sa bouche des reproches et pour en être condamné. Cependant après nos péchés nous ne pouvons trouver notre pardon qu'en Jésus-Christ, notre unique médiateur auprès de son Père. La difficulté est donc de lui faire changer sa qualité de juge en celle d'avocat, et de le rendre, de juge, suppliant. C'est ce que fait la très-sainte Vierge, qui est le bonheur et la joie des chrétiens, dans quelque état, qu'ils, se trouvent.
S'ils sont pécheurs, ils ont en Marie de quoi modérer les craintes que leur inspire la vue de leur juge, tant à cause de la grande bonté qu'elle a pour eux que de l'accès qu'elle a toujours auprès de lui. Dieu le Père a donné tout jugement à son Fils, et non à la sainte Vierge, laquelle pendant la vie des hommes est avocate et non point juge
1. Apocal. cap. I, 16.
2. I. Cor. cap. XI, 29.
. En la faisant Mère de son Verbe incarnée, il l'a revêtue seulement de ses entrailles de miséricorde et de tendresse pour les hommes; il l'a constituée pour qu'elle intercédât en leur faveur, tant à titre de leur Mère que comme Mère de Jésus-Christ. Elle ne rebute donc pas les pécheurs; au contraire, elle est ravie de leur approche, étant toujours en prières pour leur conversion et leur salut : aussi ils trouvent en elle toute douceur, toute bonté et congratulation. Ils n'ont rien qui doive les rendre timides en leur conversion, et tous sont reçus avec tendresse et bonté, comme étant ceux que le Père éternel veut aimer par elle, et qui par leur malheur lui ont procuré le. bonheur d'être Mère du Sauveur des hommes; car, sans le péché Jésus ne serait pas venu en ce monde, en ressemblance de la chair pécheresse (1),
1. S. Thom. a Villanov., pag. 564. Nos illi tantes celsitudinis aliqualiter occasio existimus; nisi enim fuisset et peccati morbus, non tantus coelo medicus advenisset. Unde igitur nos effecti sumus rei, inde, sumpta occasione, illa effecta est Mater Dei : nisi enim peccasset homo, Deus factus non fuisset homo; neque tamen propterea nobis aliquo teneris debito, quia id non factum est nostro merito, sed potius demerito. Sed pro tua benignitate, o Virgo ! dum tuam celsitudinem inspicis miseriae nostrae recordaberis; vere enim peccatorum eris advocata, qua propter peccate in tantam es celsitudinem sumpta. Vere enim etsi peccati nos multum poenitet, tuatamen sublimitas, o Virgo ! multum nobis placet, et peccati nostri damna hac gloria tua compensamus.
et Marie est en quelque sorte redevable aux pécheurs de sa qualité de Mère de Jésus-Christ; aussi avons-nous, en sa personne, une avocate toute-puissante auprès de son Fils: que ne peut-elle pas sur celui à qui elle a donné la vie et qui est aussi toute charité pour nous (1) !
Cette femme de Thécua, par les prières de laquelle Absalon fut secouru et obtint de David la permission de rentrer. à Jérusalem, image de la maison de Dieu et du ciel, fut une figure, expresse, de la très-sainte Vierge et de sa tendre sollicitude à demander grâce pour les pécheurs.
1. S. Ephrem, Groece, tom. III, pag. 532-549. Omnia potes; tanquam Dei Mater; omnia vales, veluti quae superas omnes creaturas : nihil tibi, si vis, impossibile est : duntaxat ne despicias meas lacrymas.
Sancti.Anselmi OratioXLV, ad B. Virginem Mariam, p. 277, et de Concept. B. M. V., pag. 503. Ego namque de peccatoribus conceptus et natus peccator; baptizatus et salvatus, iterum peccator factus sum. Et non talis, ut antea, sed sordidior et immanior; quoniam talis sum qualem pejorem non habet mundus. Ideo talem adjutorem requiro, qualem post Filium tuum potiorem et meliorem invenire non potest modus. Habet orbis Apostolos, Patriarchas, Prophetas, Martyres, Confessores, Virgines; bonos et optimos adjutores; quos ego supplex orare concupisco. Tu vero, Domina, omnibus iis adjutoribus melior et excelsior, quia istis et aliis sanctis omnibus etiam Angelicis spiritibus, nec non regibus et potestatibus mundi, divitibus, pauperibus, dominis, servis, majoribus et minoribus Domina es; et quod possunt omnes isti tecum, tu sola potes sine illis omnibus. Quare hoc potes? quia Mater es Salvatoris nostri, Sponsa Dei, Regina coeli et terras, et omnium elementorum. Te ergo requiro, ad te confugio, et ut me per omnia adjuves, suppliciter peto. Te tacente nullus orabit, nullus juvabit. Te orante omnes orabunt, omnes juvabunt... Procul dubio namque scimus eam tanti esse penes te; ut nihil horum quae volet efficere, aliquatenus posset effectu carere. Salus igitur nostra in voluntate sua consistit, dum tamen quod vult potenter efficiat.
Absalon, après avoir fait massacrer son frère Amnon, s'enfuit dans le pays de Gessur, afin d'éviter le châtiment que méritait son crime; il était la figure de l'homme qui, ayant fait mourir en soi par le péché Jésus-Christ son frère, mérite lui-même de souffrir la mort. Cette femme se prosternant devant David, lui dit : « Seigneur, sauvez-moi. Votre servante, qui est veuve, avait deux fils qui se sont querellés à la campagne : l'un d'eux a frappé l'autre et l'a tué, et maintenant tous mes parents demandent la mort de celui qui me reste, et veulent ainsi éteindre la seule étincelle qui m'est demeurée. » David lui promet qu'elle sera satisfaite, et comme cette femme insistait encore, il lui déclare avec serment qu'il ne tombera pas un seul cheveu de la tâte de son fils. « Et pourquoi, reprend-elle alors, pourquoi refuseriez-vous au peuple de Dieu la grâce que vous m'accordez à moi-même; et pourquoi le roi ne rappellerait-il pas son propre fils? Nous mourrons tous, et nous nous écoulons sur la terre comme les eaux qui ne reviennent plus; et Dieu ne veut pas qu'une âme périsse; mais il diffère l'exécution de ses arrêts, de peur que celui qui a été rejeté ne se perde entièrement, comme il arriverait s'il ne lui donnait le temps de faire pénitence. Permettez donc à votre servante de vous supplier que ce que le Roi, mon Seigneur, a ordonné pour mon fils, s'exécute en faveur d'Absalon. » Cette femme, qui obtint par ses instances ce que David avait refusé jusqu'alors à son propre fils, montre donc (355) quelle est à l'égard des pécheurs la puissance de la médiation de Marie (1).
C'est qu'en effet dans Marie, source de charité, le pécheur puise en assurance et avec douceur la grâce de la pénitence qu'elle lui adoucit par les amertumes et les douleurs qu'elle a souffertes pour lui pendant qu'elle était sur la terre.
Marie, cette porte de salut, n'est fermée à personne par aucun titre ni par aucune raison; les plus méchants, les plus criminels trouvent en elle le lieu assuré de leur pénitence, et c'est cette facilité qui fera souffrir les pécheurs et les rendra inexcusables au jour du jugement. Quand le pécheur n'oserait pas s'unir intimement à la très-sainte Vierge, comme étant une créature si sainte, il lui suffirait d'offrir à Jésus-Christ l'intérieur de cette divine Mère, de lui présenter tous les devoirs qu'elle lui rend, et par là même il aurait dans les mains de quoi apaiser la colère de son juge, l'amour et le respect qu'il a pour la très-sainte Vierge étant capables de le désarmer et de l'adoucir.
1. S. Antonini Florent. Biblioth. Virginal., tom. II, pag. 520. Haec est figurata illa prudentissima mulier Thecuites, qua ita sapienter advocavit apud regem David in causa Absalonis vani, superbi et fratricidae exulis facti propter tantum scelus a Hierusalem, quod induxit patrem David ad misericordiam erga filium, et ab exilio revocandum. Sic Virgo Maria pro mundo Deo repelli, et occisore fratris sui, id est, animi sui, propter quod exul constituitur a superna Hierusalem, ita advocat et interpellat, ut Deum Patrem placet, et conversum ad poenitentiam ad gloriam inducat.
II
Bien plus, Notre-Seigneur en tant que Dieu met sa toute-puissance entre les mains de sa Mère, pour qu'elle en use comme elle voudra; et de là vient que dans l'Église il se passe tant de merveilles, tant de miracles, sous le nom de la très-sainte Vierge, qui sont des effets de la toute-puissance de Dieu. C'est, une marque que cette divine Mère a dans ses mains la puissance de son Fils, et qu'elle en use selon sa bonté et sa grande miséricorde. Car d'un côté elle emploie cette puissance pour faire le bien; et d'autre part elle lie la puissance de Jésus-Christ pour empêcher le mal qu'il exercerait sur les coupables.
Les ministres de l'Église voyant les âmes périr par la malice du démon doivent imiter Mardochée, lorsque, couvert d'un sac aux portes du palais du Roi, il gémissait sur le sort de son peuple, qui allait être détruit par la cruauté et la tyrannie d'Aman. Mais leurs prières et leurs pénitences ne suffiront pas pour procurer le salut du peuple chrétien, si Esther ne se joint à eux et ne se jette aux pieds d'Assuérus, notre grand roi. La beauté incomparable d'Esther, après son jeûne, qui lui donna tant d'empire sur le coeur d'Assuérus pour obtenir la délivrance de son peuple, était une figure des charmes si puissants qu'exercent sur le coeur de Dieu la pénitence et les larmes de Marie. C'est pareillement ce qui est marqué de Judith, la veuve. Munie de la force que lui fournit la prière, Judith, après avoir jeûné comme nous le lisons dans l'Écriture, défait tout d'un coup Holopherne et met en fuite l'armée des Assyriens.
Aussitôt donc que Marie se présente à Dieu et qu'elle paraît devant lui pleine de larmes, de peines et de douleurs pour le pardon de nos offenses, c'est-à-dire qu'elle offre sa pénitence, qui est vaste et- profonde comme la mer; aussitôt Dieu en a le coeur touché, et il essuie les larmes de son Épouse, il remet les péchés des hommes. C'est une étrange invention d'amour à Dieu de s'être mis ainsi dans l'obligation de faire miséricorde, et de vouloir que les mains de sa puissance et de sa justice soient liées de la sorte parles mains de l'amour. Par Marie s'accomplit ce que dit le prophète : Retiendra-t-il dans sa colère sa miséricorde? C'est elle qui arrête les bras de la justice, de la puissance, de la vengeance de Dieu par la force de sa miséricorde et de son amour.
III
On voit par expérience que les âmes les plus criminelles, qui se sont conservé au fond d'elles-mêmes du respect, de la tendresse et de la dévotion envers la très-sainte Vierge, reviennent toujours à Dieu, se sentant tôt ou tard attirées et converties à lui. (1) Tout au contraire, lorsque des âmes en viennent au mépris de la très-sainte Vierge et en font trophée, comme on le voit de notre temps dans les hérétiques, dans les schismatiques et les libertins, on peut dire que c'en est fait d'eux (2).
1. Cornel. a Lapide, in Proverb. Salomonis, cap. VIII, 36. Sicut signum praedestinationis est cultus et devotio erga Deiparam : ita signum reprobationis, et causa damnationis est irreverentia et inobedientia erga eamdem, ut patet in Nestorio, Helvidio, Constantino Copronymo, Juliano Apostata. Quocirca Germanus Constantinopolitanus Patriarcha, Orat. de Deipara ait: Nemo salvatur, nisi per te, o Virgo sanctissima; et sanctus Bonaventura in Psalierio Virginis : Quem vis, ait, salvus erit; et a quo avertis faciem tuam, ibit in interitum.
2. Nous pouvons remarquer ici que le mépris pour le culte et la personne auguste de Marie a toujours été le caractère propre des hérétiques. Les Ébionites, les Manichéens, et tous les autres qui attaquaient la vérité de l'humanité du Sauveur; les Ariens, qui niaient sa divinité; les Nestoriens, qui divisaient l'unité de sa personne adorable; les Iconoclastes, qui l'outrageaient dans ses images et dans celles de ses saints : enfin, tous les autres hérétiques venus depuis, et notamment Luther et Calvin, qui renouvelèrent tant d'anciennes hérésies, se sont accordés, entre eux, à altérer, à déprécier ou à anéantir le culte de Marie, comme le font encore les Jansénistes et les sectes sans nombre qui divisent les protestants. Les hérétiques ne peuvent se séparer de l'Église, en renonçant à la vraie foi, sans se mettre en opposition ouverte avec cette adversaire invincible de Satan, établie de Dieu pour combattre et pour détruire toutes les hérésies qui s'élèveront jusqu'à la fin des siècles. Il n'en a pas été de même des schismatiques; les Grecs conservent encore la dévotion à Marie, et c'est un puissant motif pour nous d'attendre leur retour tôt ou tard à l'unité catholique, comme aussi d'espérer la conversion de ceux des hérétiques qui, comme le remarque M. Olier, conservent quelque tendresse pour Marie, malgré les erreurs dans lesquelles ils se trouvent engagés.
Quant à ceux qui tombent dans l'affreux malheur de professer le mépris pour elle et même d'en faire trophée, on peut dire, ajoute-t-il, que c'en est fait d'eux. Des sentiments si impies et si détestables ne sont inspirés à ces hérétiques que par l'esprit d'erreur, par le père du mensonge, par Satan, dont ils sont les suppôts. Qui aurait pu, en effet, remplir Luther et Calvin de tant d'aversion et de haine pour cette aimable et innocente Vierge, pour cette très-digne Mère, à qui les hommes doivent leur Sauveur, que l'antique serpent qui, possédant ces malheureux hérésiarques comme ses membres, se servait de leurs coeurs, de leurs langues et de leurs plumes, pour exercer, dans sa fureur, ses implacables inimitiés contre l'adversaire invincible qui lui avait écrasé la tête, en ruinant dans le monde l'empire qu'il avait usurpé. On peut dire que c'en est fait de tous ceux qui sont ainsi obstinés dans leurs blasphèmes, parce que, outre que, ne recourant pas à Marie, ils se privent du, moyen établi de Dieu pour rentrer en grâce avec lui, ils commettent un crime énorme qui les rend indignes de la protection des saints du ciel, et attire sur leurs têtes la colère et la malédiction de Jésus-Christ, leur souverain Juge.
C'est ce qu'on remarque encore par expérience dans les hérétiques : ceux qui ont quelque tendresse pour elle se convertissent toujours; aussi n'est-il rien dans l'Église à quoi le démon travaille plus qu'à détourner de la piété pour Marie, qu'à éteindre dans les coeurs l'amour et la tendresse pour elle, qu'à étouffer l'estime pour ce trésor de grâce et de bénédiction,.pour cette source de miséricorde, pour ce refuge assuré des pécheurs.
Quant à moi, je me voue à Dieu pour employer tous les moments de ma vie à la faire honorer. Je demeurerai dans une dépendance perpétuelle à son égard, la reconnaissant comme ma sainte Mère et comme la source de ma double vie, celle de mon corps et celle de mon âme; et si tous les enfants de l'Église la nomment leur vie, leur douceur, leur espérance, je puis bien lui donner ces noms en Jésus-Christ; et lui dire encore qu'en lui elle est ma voie, ma vérité et ma vie (1). Car c'est cette divine Vierge qui, dans le temps de mes égarements, lorsque son Fils retenait justement ses miséricordes enfermées dans les bras de sa justice, a pris soin de le faire apaiser par les prières d'une de ses plus fidèles épouses, et qui, par des secours empruntés, a daigné me retirer comme par force de mon bourbier, pour me faire connaître ma faiblesse, mon infidélité, ma résistances
Je dirai ici, par amende honorable de mes ingratitudes à la miséricorde de la très-sainte Trinité, source inépuisable de toute grâce; par reconnaissance pour son ineffable bonté et par obéissance à mes supérieurs; à l'honneur de Jésus, mon Seigneur et mon maître, médiateur de tous nos biens; et en l'honneur de la très-sainte Vierge, l'avocate des pécheurs, dont je suis le premier; protestant à ses pieds que je suis redevable à son intercession de toutes les grâces que j'ai reçues : je dirai donc, couvert de confusion, qu'au milieu de mes crimes où, à peine sorti des abîmes des péchés où je m'é,tais plongé pendant plusieurs années de ma jeunesse jusqu'à l'âge de vingt-deux ans, cette Reine du ciel, plus ravissante dans sa bonté que dans sa grandeur, prit le soin, et, si j'osais le dire, la peine de descendre sur la terre et dé visiter une de ses servantes d'admirable sainteté à, laquelle elle dit :
1. Breviar. Roman. Antiphon. Salve, Regina, Mater misericordiae, vita, dulcedo, spes nostra, salve!
Prie mon Fils, pour l'abbé de Pébrac, parlant de ce misérable pécheur. Ce qui fut observé si soigneusement, qu'à tout moment cette sainte âme m'avait présent à sa pensée, sans m'avoir jamais vu, étant à cent lieues d'elle. Depuis, elle me disait que quand elle priait pour moi elle reconnaissait bien que cette sainte princesse prenait un singulier plaisir à me voir recommandé par elle, ce qu'elle m'apprit trois ans après. Sa vie admirable, ses grâces, ses vertus, ses miracles seront bientôt connus dans l’Église (1).
Je remercie l'ineffable bonté de Dieu, qui fait ses ennemis des biens qu'ils ne connaissent pas, et suscite pour eux des avocats puissants pour se faire gagner et apaiser, et même qui se satisfait sur des victimes innocentes pour des péchés qu'elles n'ont pas commis, afin de soulager les criminels qui ne sont pas assez purs pour faire pénitence, et offrir à sa Majesté un sacrifice agréable.
1. Cette prédiction de M. Olier, faite en 1642, a été justifiée après sa mort de la manière la plus incontestable. La Vie de la Mère Agnès de Jésus, prieure du couvent de Sainte-Catherine de Langeac, dont il est ici question, publiée en français par M. de Lantages, en 1665, fut traduite en latin par le P. Cunibert, dominicain, et imprimée à Cologne, en 1670. Elle fut traduite encore en allemand , et ensuite de l'allemand en flamand, par le P. Heckrmans, et imprimée à Louvain; en 1675. On en fit aussi une traduction en italien, qui fut imprimée à Naples. Dix ans après qu'il l'eut publiée, M. de Lantages en donna une nouvelle édition. Une troisième parut en 1718; une quatrième a été publiée au commencement de notre siècle par M. Émery, supérieur du séminaire de Saint -Sulpice; enfin, M. l'abbé Lucot vient d'en donner une cinquième, plus ample que les précédentes, dans laquelle il a su faire entrer une multitude de particularités, ignorées ou négligées par les autres éditeurs, et qui ne laissent rien à désirer sur cette vie admirable. Toutes ces éditions en français et en langues étrangères, et surtout le décret solennel de Pie VII, du 17 mars 1808, qui a déclaré que la mère Agnès avait pratiqué les vertus dans un degré héroïque, ont fait connaître dans l’Église, comme s'exprimait M. Olier, la vie admirable, les grâces, les vertus et les merveilles de cette grande servante de Dieu.
Car cette sainte âme, après avoir souffert pour mes péchés abominables des peines excessives de la part du Fils de Dieu, qui lui faisait endurer les impressions de sa passion et de sa mort, vraie et unique source de toute satisfaction digne de Dieu et suffisante pour nos péchés, employait encore pour moi toutes les inventions que l'amour a coutume de fournir aux âmes pénitentes, comme ceintures, cilices, haires, disciplines de fer; et avec tant de générosité qu'elle ensanglantait les murs de sa cellule, et que les ardillons de ses disciplines se retroussaient contre ses os, qui en demeuraient découverts et dépouillés de chair. Tels étaient les excès de sa sainte pénitence, à quoi elle joignait ce qui était plus précieux encore, les soupirs de son cœur, ses contritions si violentes qu'elles eussent brisé des rochers, et enfin ses larmes abondantes, qu'elle répandait tous les jours.
Béni soyez-vous, ô mon Dieu ! qui trouvez de si puissantes et de si saintes inventions pour convertir les plus rebelles et pour triompher de leur infidélité; qui trouvez des moyens si sûrs et si secrets pour faire ouvrir les trésors de vos grâces, et qui faites si doucement pleuvoir le lait de vos libérales bontés ! Béni soit mon Jésus, qui me les a méritées avec tant d'obéissance et de fidélité à son Père et tant d'amour pour moi ! Bénie soit la très-sainte Vierge, (363) l'avocate des pécheurs, la protectrice des malheureux, la trésorière universelle de tout bien, qui a voulu faire apaiser son Fils par les prières de cette sainte âme ! C'est donc à Marie que je suis redevable de tout auprès de son Fils, pour le corps et pour l'âme. Je la prie de tout mon cœur qu'elle m'obtienne la grâce d'employer l'un et l'autre à son service, et que je n'aie rien en moi qui ne l'honore à tout jamais; enfin, qu'autant qu'il me sera possible, je la fasse honorer dans le monde, et même partout, si je le pouvais. Je me souviens des souhaits que je faisais avec cette bonne âme, qui l'aimait uniquement et qui m'a bien aidé à l'aimer, d'être prosterné dans le ciel aux pieds de la très-sainte Vierge, pour y chanter ses louanges à satiété et les faire entendre à tout le paradis.
Que la divine bonté soit donc à jamais louée, bénie et adorée, et que tous les anges et les saints publient à haute voix sa sainte, adorable et infinie miséricorde pour moi ! Que je cesse de vivre et d'être, pour publier, par ma destruction et mon silence, qu'il est par-dessus toute louange; puisque tout ce qui existe, converti en bouches et en langues, ne serait pas capable de raconter la moindre de ses gloires, dont la plus grande est celle de sa miséricorde ! En attendant, Seigneur, que mon coeur, ma vie, mon être soient convertis en Jésus, votre Fils, pour être à votre gloire une hostie de louange, qui magnifie votre bonté et chante votre miséricorde infinie !
EXERCICE POUR FORMER EN SOI L’INTÉRIEUR DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE, AVANT DE COMMENCER LES PRINCIPALES ACTIONS DE LA JOURNÉE.
Après s'être anéanti en tout soi -même devant Dieu, après avoir renoncé à toutes les intentions et aux dispositions du propre esprit, on adorera Jésus-Christ animant l'intérieur de la très-sainte Vierge, et remplissant toutes ses oeuvres de son esprit et de sa vie. On admirera dans l'âme de Marie l'étendue de cet esprit et de cette vie divine, qui donnait un tel mérite à ses actions, que la moindre et la plus basse en elle-même était rendue immense par la dilatation de la divine charité. Car, recevant en elle les propres sentiments d'amour et de reconnaissance de Jésus-Christ envers son Père, Marie servait à Jésus pour les dilater autant qu'en toute l'Église ensemble, ou plutôt elle lui servait plus pleinement, plus magnifiquement encore à étendre les louanges, l'amour et les adorations qu'il lui rendait. Marie se servait aussi elle-même de cette plénitude de vie divine pour témoigner sa propre reconnaissance à Dieu le Père, de l'avoir choisie, afin d'en faire la Mère de son Fils, et la dépositaire du mystère auguste de son amour et de ses miséricordes envers les hommes.
On bénira l'Esprit-Saint de Jésus de cette abondance de grâces, qu'il répand si pleinement en (365) l'âme de cette divine Mère, et qui, la rendant conforme à lui en toutes ses vertus, la fait encore agir en tout dans les mêmes dispositions intérieures.
On invoquera sur soi ce même Esprit de Jésus-Christ, en lui représentant qu'il veut habiter ainsi en Marie, pour faire vivre de cette même vie tous ses enfants, qui, de leur part, ne désirent avoir d'autres intentions ni d'autres dispositions à l'égard de toutes choses que celles qui sont en la très-sainte Vierge.
On ouvrira ensuite son âme à cet Esprit divin , afin qu'il vienne y opérer les mêmes sentiments intérieurs de grâce, qui rendent nos actions agréables à Dieu; et après s'être laissé posséder quelque temps par ce divin Esprit, pour recevoir la part qu'il lui plaira de nous donner aux intentions et aux dispositions intérieures de Marie, on s'unira de son côté à ce même Esprit pour coopérer en lui et avec lui selon toute l'étendue de sa sainte grâce.
On demandera à Dieu que l'intérieur de notre sainte Mère soit connu, aimé et honoré de tous, et qu'il passe pleinement dans le coeur des fidèles afin qu'il lui soit un sujet nouveau de complaisance sur la terre. En attendant, on priera Dieu de prendre toutes ses délices en Marie, et on lui offrira ce trésor magnifique en supplément des oeuvres de l'Église, et en particulier de celle qu'on va faire, protestant à Dieu qu'on n'oserait la lui présenter si l'Esprit-Saint de Jésus en Marie ne la sanctifiait.
Approchons-nous donc avec confiance de ce trône de grâce, et unissons-nous avec simplicité à cette source de vie la plus pure, la plus sainte que Jésus nous ait ouverte pour en être abreuvés, espérant puiser avec abondance, en notre divine Mère, l'éminence dés vertus et la sainteté de vie requise dans l'état sublime où il nous appelés.
AUTRE EXERCICE PLUS COURT QU'ON PEUT FAIRE AVANT LES PRINCIPALES ACTIONS DE LA JOURNÉE
1° Adorer l'Esprit de Jésus, qui inspirait la très-sainte Vierge dans les actions semblables à celles que nous allons faire.
2° Demander à ce divin Esprit qu'il lui plaise de nous faire entrer dans les mêmes intentions qu'elle avait alors.
3° Renoncer à toutes les dispositions contraires à celles que l'Esprit de Jésus produisait en Marie.
4° Attendre avec confiance que ce même Esprit, qui est en nous, les produira aussi dans notre propre coeur.
5° Offrir à Dieu les intentions de la très-sainte Vierge dans l'action que nous allons faire, et nous unir de tout notre coeur à l'Esprit de Jésus, qui les opérait en elle, afin d'entrer nous-mêmes en part de ses saintes opérations.
ACTE A JÉSUS POUR QU'IL FORME EN NOUS L'INTÉRIEUR DE MARIE
Je vous adore, ô divin Jésus; j'adore vos grandeurs et vos perfections, dont l'âme de Marie est revêtue; j'adore votre règne sur elle; j'adore votre vie, qui remplit et anime son coeur en toutes ses puissances; j'adore l'abondance des dons, la plénitude des vertus et la fécondité de grâce que vous mettez en elle pour toute votre Église. Divin Seigneur! votre puissance est adorable, votre règne est toujours suave; mais il n'est jamais plus suave que dans ce trône d'amour. Que volontiers nous venons vous rendre nos devoirs au pied de ce divin tabernacle, et vous prier de détruire en nous tout ce qui s'oppose à votre vie et à votre règne!
Divin Jésus ! régnez en votre sainte Mère, et par elle sur nous à jamais. Vivifiez nos coeurs; ne souffrez plus en nous d'autre vie que la vôtre; détruisez et anéantissez tout ce qui lui est contraire. Faites en nous comme en votre Mère, que vous seul vous y soyez vivant, et que tout ce qui est de terrestre soit absorbé par votre vie. Faites que vos vertus s'établissent en nous comme en elle, et que par la puissance de votre esprit tout ce qui se sent de la corruption de la chair soit détruit et anéanti.
O ma divine Mère ! Quelle admirable communion que celle que Jésus fait à votre âme de son esprit, (368) de sa vie et de ses vertus! Il semble que vous n'êtes qu'un avec Jésus, tant il est en vous et vous consomme en lui. Parfait modèle de la communion des chrétiens ! plût à Dieu que votre souvenir pût remplir notre âme de sa sainte abondance, et que Jésus nous vivifiât de la plénitude de sa vie comme il vous vivifie vous-même ! O Jésus ! vivez, en nous par votre Mère, et répandez dans nos cœurs la plénitude de vos dons et de vos saintes grâces, afin qu'avec vous et votre chère Mère nous soyons un à tout jamais.
PRATIQUES DE M. OLIER POUR HONORER LA VIE DE JÉSUS EN MARIE, OU LA VIE INTÉRIEURE DE LA TRÈS-SAINTE VIERGE. SUJETS DE PEINTURES ET DE GRAVURES RELATIFS A CETTE DÉVOTION
M. Olier, particulièrement éclairé touchant les fruits de grâce que dans ces derniers temps Dieu voulait attacher à la dévotion envers la vie de Jésus en Marie, s'efforça jusqu'à son dernier soupir de répandre cette dévotion dans le clergé et parmi les fidèles.
Pour la rendre accessible à tous les esprits, il fit graver sur les dessins de Le Brun deux estampes fort répandues depuis. L'une, qui exprime la vie de Jésus en Marie, représente la très-sainte Vierge dans des nuées, les mains croisées sur la. poitrine, où l'Esprit de Notre-Seigneur, sous la forme d'une colombe, répand toutes les richesses de sa grâce. Cette divine Mère a les yeux élevés au ciel et fixés sur le monogramme dé Jésus sauveur des hommes, pour signifier que si le Saint-Esprit fut toujours le principe de ses actions figurées par ses mains, l'amour de Jésus et du salut des âmes en fut la fin et le terme. On lit au-dessous ces paroles, qui sont comme une invitation pour s'unir à ses dispositions intérieures : Avec elle, par elle et en elle. Il répandit cette gravure dans les familles, et fit peindre en outre, dans l'un des vitraux de son église, le même sujet comme pour le tenir continuellement présent aux yeux de ses paroissiens.
La seconde gravure exprime l'abandon de soi-même entre les mains de Marie. Cette aimable et puissante protectrice est représentée recevant dans ses bras et soutenant amoureusement l'âme fidèle, qui, languissant de la durée de son exil, parait mettre toute sa joie à se reposer ainsi en Marie. On lit au-dessous ces paroles du Cantique des cantiques : C'est le puits des eaux vivantes; et celles-ci du livre des Proverbes, que Marie est censée nous adresser : Celui qui m'aura trouvée trouvera en moi la vie, et tirera du Seigneur son salut. A cette douce et consolante invitation, l'âme fidèle semble répondre en adressant à Marie la touchante invocation qu'on lit au-dessous : c'est la prière O Domina (370) mea, attribuée à saint François d'Assise, et que dans tous les séminaires dépendant de celui de Saint-Sulpice on récite tous les jours. Dieu, qui veut bien attacher des grâces particulières su culte des saintes images, quand on s'en sert en esprit de foi, semble avoir voulu nous rendre celles-ci précieuses par les bénédictions dont elles ont été l'instrument. A peine furent-elles connues, qu'une multitude 'd'âmes pieuses voulurent les avoir devant les yeux; et il est difficile, en effet, de les considérer avec une attention religieuse sans se sentir touché de quelque sentiment de piété envers Marie.
Le plus puissant motif de confiance que M. Olier pût avoir avant sa mort pour la conservation et l'accroissement de l'oeuvre des séminaires qu'il avait si heureusement entreprise, ce fut dé voir les disciples qu'il laissait après lui pour la continuer, remplis des sentiments de piété et affectionnés aux pratiques de dévotion qu'il s'était efforcé de leur inspirer envers l'intérieur de Marie. Nous lisons de M. de Bretonvilliers, son successeur immédiat : « L'on ne saurait dire le grand progrès qu'il fit dans cette dévotion, sous un si excellent maître que M. Olier, ni le nombre et la diversité des devoirs qu'il rendait à sa divine Mère. Il en avait même pour l'honorer à chaque heure et presque à chaque moment. Il ne manquait jamais à son réveil de se donner à elle, pour répondre fidèlement durant toute la journée aux desseins que Dieu avait sur lui. Entre autres pratiques, il avait un grand soin tous les samedis de mettre entre les mains de la (371) sainte Vierge ce qu'il avait fait de bonnes oeuvres durant la semaine, la priant très-instamment de vouloir suppléer à ce qu'il y manquait pour rendre ses oeuvres de bonne odeur devant Dieu, pratique « à laquelle il était encore fidèle le dernier jour de chaque mois et de chaque année (6) » La plupart de ces dévotions étaient communes à tous les autres disciples de M. Olier. L'un d'eux, M. Maillard, dit de M. d'Hurtevent, qui établit le séminaire de Lyon : « Il n'entreprenait rien sans consulter auparavant la très-sainte Vierge, et lui mettre dans les mains l'adorable sacrifice de l'autel. Dans les affaires de moindre conséquence, ou qui ne permettaient pas une longue délibération, il se contentait d'élever son esprit et son coeur vers son refuge ordinaire, mais avec une telle fidélité qu'il n'aurait pas parlé à un homme ni écrit la moindre lettre qu'il n'eût pratiqué cette dévotion (2). » C'était aussi ce qu'observait M. Tronson, second successeur de M. Olier, et ce qu'il conseillait à ses disciples, leur recommandant entre autres pratiques « de n'entreprendre aucune affaire sans son secours, d'avoir une grande reconnaissance de ses bienfaits, avouant que tout nous vient de Dieu par elle; de lui faire une offrande totale de nous-mêmes, désirant que Jésus en elle gouverne notre être, nos puissances et nos actions, et qu'elles soient toutes consacrées à son service, ».
1. Mémoires sur la vie de M. de Bretonvilliers, par M. Bourbon, pag. 36, 37, 41.
2. L'Esprit de M. d'Hurtevent, par M. Maillard, manuscrit in-4°, pag. 114.
M. OLIER CONSACRE À LA SAINTE VIERGE LE SÉMINAIRE DE SAINT-SULPICE, ET VEUT QU'ELLE Y SOIT HONORÉE COMME LE CANAL DE TOUTES LES GRACES DE DIEU SUR CETTE MAISON.
Un serviteur de Marie, aussi convaincu et pénétré que l'était M. Olier de la part que Dieu veut donner à cette divine Mère dans toutes ses oeuvres, devait, dans l'établissement du séminaire qu'il institua, faire paraître au dehors ses pieux sentiments envers elle, et ne rien négliger pour les laisser après lui, en les rendant comme héréditaires parmi ses disciples. Assuré, comme on le voit dans sa Vie, que cette maison était l'ouvrage de Marie, et qu'elle ne recevrait de bénédictions de Dieu que par cette sainte Fondatrice, il voulut qu'on en posât la première pierre dans l'octave de la fête de sa Nativité. C'était en l'année 1649. Tout ayant été disposé pour cette cérémonie, les ecclésiastiques du séminaire et ceux de la communauté de la paroisse de Saint-Sulpice se rendirent en procession au lieu où l'édifice devait être bâti, et pendant qu'ils chantaient des hymnes et des psaumes, pour demander à Dieu de fonder cette maison par sa divine Mère, et de répandre sur tous ceux qui devaient l'habiter l'esprit qu'elle avait apporté au monde dans. sa naissance, M. Olier bénit la première pierre, et la posa au nom de cette auguste reine du clergé.
1. La Retraite de dix jours, par M. Tronson, in 12, pag. 396.
Il mit dans les fondations plusieurs grandes médailles d'or, où elle était représentée au-dessus de ce bâtiment, qu'elle semblait défendre et protéger, comme un bien dont elle avait la propriété et le domaine. Sur les revers on lisait cette pieuse inscription: Cum ipsa et in ipsa, et per ipsam omnis oedificatio crescit in templum Dei; c'est-à-dire: Tout édifice (construit) avec elle, et en elle, et par elle, augmente pour devenir un temple de Dieu. Afin de mettre ainsi cette divine Mère à la tête de toutes ses oeuvres, M. Olier n'entreprenait jamais rien de considérable que dans des jours ou des temps qui lui étaient spécialement consacrés. Nous venons de dire qu'il posa la première pierre de l'édifice dans l'octave de la Nativité de Marie: la saison d'hiver qui survint l'ayant obligé de suspendre les travaux, il les fit interrompre dans l'octave de l'Immaculée Conception, et reprendre ensuite dans l'octave de la Purification suivante. Enfin on les poussa avec tant d'activité que, selon ses désirs, ils furent achevés à l'Assomption de la même année 1650. Le nouveau bâtiment étant presque entièrement terminé, il eut la dévotion d'aller à Chartres pour en offrir les clefs à la patronne de cette ville, comme la reine de l'établissement. Il célébra la sainte messe dans cette cathédrale, ayant sur lui les clefs du séminaire, et conjura la très-sainte Vierge de prendre possession d'une maison qui était son propre ouvrage, et de la bénir à jamais. Ce fut dans cette circonstance (374) qu'il lui offrit, comme à l'Épouse du Père éternel, une robe précieuse, brodée en or et en soie, conservée encore dans le trésor de cette église; et, pour rendre perpétuelle dans la maison la dévotion à Notre-Dame de Chartres, il voulut y attacher tout le séminaire par un lien particulier, en obtenant à cet effet, du chapitre de la cathédrale, des lettres d'association.
Il avait si fort à coeur de faire honorer Marie comme,la reine et la fondatrice du séminaire, qu'il refusa toujours la qualité de fondateur. Quelqu'un la lui ayant donnée sur l'adresse d'une lettre: « Vous savez, répondit-il, que c'est Jésus en sa divine Mère qui l'est, et qui l'en a établie fondatrice: Fundavit eam Altissimus. » Il fit même graver ces paroles sur une tablette dans le fronton de l'édifice, au fond de la cour, en face de la porte d'entrée. Dans le même dessein, il fit placer au-dessous du fronton une statue de la très-sainte Vierge, qui fût comme le symbole du domaine et de la royauté que Jésus-Christ lui donnait sur la maison. Cette statue représentait Marie assise, tenant debout sur ses genoux l'enfant Jésus, qui lui mettait une couronne sur la tête, et au bas on lisait ces paroles : Interveni pro clero. Enfin, désirant de laisser aux siens sa tendre et filiale dévotion envers Marie, comme l'héritage le plus précieux, il s'efforça de rappeler partout dans le séminaire de Saint-Sulpice le souvenir de cette aimable souveraine, jusque-là qu'il voulut que le monogramme de Marie parût sur toutes les portes, sur les meubles, le linge, les ferrures, les vitres. « J'espère, écrivait-il, que le saint nom de Marie sera béni à jamais dans notre pauvre maison. Tout mon désir, c'est de l'imprimer dans l'esprit de nos frères,: elle en est la conseillère, la présidente, la trésorière, la princesse, la reine et toutes choses. »
Mais ce fut surtout dans la décoration de la chapelle que sa dévotion pour l'auguste Mère de Dieu parut avec éclat. S'il désira que la maison ne se fît remarquer que par sa noble simplicité, il voulut que la chapelle fût magnifique : et les artistes de l'époque secondèrent si parfaitement ses religieux desseins, qu'on la comptait au nombre des plus rares curiosités de la capitale, et qu'on lui donnait même le premier rang pour ses tableaux. On y admirait surtout la peinture du plafond, regardée alors comme l'un des plus beaux ouvrages de ce genre. Elle fut exécutée par Le Brun, sur l'idée que lui en fournit M. Olier. Cette magnifique composition représentait le triomphe de la très-sainte Vierge couronnée dans le ciel de la main de Dieu le Père, aux acclamations de toute l'Église triomphante, et proclamée Mère de Dieu par l'Église militante, dans le saint concile d'Éphèse. Ce sujet a été gravé plusieurs fois. M. Baudrand, l'un des disciples de M. Olier, nous en a laissé cette courte description : « Les Pères du concile d'Éphèse, et les patriarches d'Orient, ayant saint Cyrille à leur tête, paraissent dans le fond sur la partie inférieure; ensuite le pape saint Célestin et l'Église latine. Ils sont portés sur des nuées, et dans l'attitude de (376) l'humilité et de l'admiration, ils rendent leurs respects profonds à la très-sainte Vierge, en la proclamant Mère de Dieu. On voit à un angle, dans un enfoncement, l'hérésiarque Nestorius saisi d'effroi, qui semble vouloir s'opposer à ce divin concert de toute l'Église, en produisant sur un rouleau d'écriture son Christotocos, ou Mère du Christ, qui est l'hérésie par laquelle il voulait lui enlever sa dignité de Mère de Dieu. La sainte Vierge paraît au milieu, beaucoup élevée au-dessus de ces saints docteurs; elle est portée sur un manteau d'azur, soutenu par une multitude d'anges, dont les attitudes sont toutes différentes, mais très-hardies, dégagées, naturelles et sans confusion, quoiqu'ils soient pressés et comme entrelacés. D'autres anges s'écartent dans les extrémités du tableau, et témoignent par les fleurs qu'ils répandent, par les instruments dont ils jouent, et par leurs manières pleines de joie, d'admiration et de respect, que le ciel s'accorde avec la terre pour publier de concert les grandeurs et le triomphe de l'auguste Mère de Dieu. Elle est placée dans une gloire, au milieu de laquelle, le visage éclatant de lumière, elle s'élève insensiblement vers le Père éternel : elle le regarde avec des yeux pleins d'amour et de douceur, et lui tend les bras pour lui marquer ses empressements. Une infinité d'anges, dessinés avec la dernière délicatesse, l'environnent de tous côtés. La plupart sont perdus dans la gloire, ce qui n'empêche pas néanmoins d'en remarquer tous les traits; de sorte qu'il est difficile de voir sur la terre une image du ciel plus vive et plus belle. M. Olier ne put s'empêcher de le témoigner lui-même à Le Brun, en lui disant: « Que vous êtes heureux, Monsieur, de pouvoir nous donner par votre pinceau une si belle expression de la gloire du ciel ! »
L'espace renfermé entre le cadre de ce riche tableau et la corniche de la chapelle était rempli par différents médaillons, où l'on voyait représentées, sous divers symboles, les perfections que l'Église attribue à la très-sainte Vierge dans ses litanies; et ces médaillons étaient réunis les uns aux autres par des festons et des guirlandes de fleurs, avec des vases, des candélabres et d'autres ornements tout éclatants de dorures.
Pour témoigner son respect envers le Saint-Siège apostolique, M. Olier désira que le Nonce du Pape, Mgr Bagni, célébrât le premier le saint sacrifice dans la chapelle, et lorsque le bâtiment du séminaire eut été entièrement terminé, il voulut encore qu'avant qu'on l'habitât il fût solennellement bénit par le même prélat, ce qui eut lieu le jour de l'Assomption 1651.
Afin de rendre sensible la médiation de Marie dans la distribution de toutes les grâces, M. Olier désira que le tableau principal de la chapelle représentât cette auguste reine du clergé remplie de la grâce de l'ordre ecclésiastique, et établie comme le canal qui la répand sur tous les ministres sacrés. Dans cette grande et sublime composition, l'un des plus beaux ouvrages de Le Brun, et qui fit la (378) réputation de ce grand artiste, la très-sainte Vierge, élevée sur un lieu éminent avec les saintes femmes, séparées des hommes selon la coutume des Juifs, semble recevoir, en effet, la plénitude de l'Esprit-Saint, qui se divise ensuite par portions sur les apôtres et sur le reste de l'assemblée. Le Brun se proposait de peindre encore, d'après les idées que M. Olier lui en avait communiquées par écrit, dix autres tableaux pour la chapelle du séminaire, tous destinés à montrer que Marie est l'instrument universel de toutes les grâces dans l'Église; mais, M. Olier étant mort peu après, le Brun n'en exécuta qu'un seul, celui de la Visitation, où, suivant l'expression du serviteur de Dieu, il représenta l'Apostolat de la très-sainte Vierge en exercice envers saint Jean et sainte Élisabeth, à qui elle porta la connaissance et la grâce du Rédempteur.
La dévotion envers Marie, dont le séminaire de Saint-Sulpice devait faire une spéciale profession, fut le motif qui porta M. Olier, ou plutôt qui détermina la divine Providence à donner à cet établissement saint Jean l'Évangéliste et le glorieux saint Joseph pour patrons. On a vu que ce fut dans le coeur de ce disciple bien-aimé que Jésus mourant fit passer l'amour filial qu'il portait à sa sainte Mère. « L'amour de Jésus et de Marie était si saint, disait le P. de Condren, qu'il fallait qu'il en restât quelque chose dans l'Église; et afin de le conserver, saint Jean fut substitué à Jésus-Christ, qui dit de lui à sa sainte Mère : Voilà votre Fils. Aussi Marie le reçut comme son propre (379) Fils, qui se survivait ainsi à soi-même, et saint Jean de son côté; s'oubliant soi-même pour prendre la place de Jésus, continua de « rendre à Marie les mêmes devoirs, et de la servir avec le même amour filial que Jésus lui témoignait. Je voudrais bien, ajoutait le P. de Condren, renouveler dans les esprits cette grâce, cette première odeur du ciel, cette bénédiction singulière qui fut donnée au commencement; mais parce que je n'en suis pas digne, je supplie Notre-Seigneur de donner abondamment son esprit à quelques autres pour un si bon effet. » On peut croire que M. Olier, disciple du P. de Condren, fut l'un de ceux en qui cette prière a été exaucée. Au moins s'efforça-t-il d'inspirer à tous les chrétiens, surtout aux prêtres, la tendre confiance et l'amour filial de saint Jean pour Marie. Il donna aussi pour patron au séminaire le grand saint Joseph, dont la vocation a eu des rapports si particuliers avec celle des prêtres. « C'est aux prêtres surtout, dans lesquels Dieu réside en sa fécondité pure et vierge, dit-il, à se conduire sur le modèle de ce grand saint, à l'égard des enfants qu'ils engendrent à Dieu. Il conduisait et dirigeait l'enfant Jésus dans l'esprit de son Père, dans sa douceur, dans sa sagesse, sa prudence. Ainsi en devons-nous faire de tous les membres de Jésus-Christ qui nous sont confiés, et qui sont d'autres Christs, les traitant avec la même révérence que saint Joseph traitait l'enfant Jésus. »
En donnant la très-sainte Vierge pour première (380) patronne au séminaire, M. Olier choisit comme fête principale de la maison celle de sa Présentation au temple, à cause des rapports que son grand esprit de foi lui montrait entre la consécration de Marie à Dieu et celle que les ecclésiastiques font d'eux-mêmes en entrant dans l'état clérical. Il considérait, en effet, ainsi qu'on l'a vu déjà, le mystère de la Présentation comme le modèle le plus accompli de la séparation du siècle et de la consécration à Dieu, qui forment l'essence de la profession cléricale. Pour honorer un mystère si cher à tout le clergé, comme aussi pour porter les ecclésiastiques du séminaire de Saint-Sulpice à entrer dans les dispositions de Marie, s'offrant à Dieu dans le temple, il établit une cérémonie assez semblable à celle qui était en usage dans la plupart des maisons religieuses, pour se renouveler dans l'esprit de l'institut : ce fut une rénovation publique des promesses cléricales, que tous devaient faire en ce jour. Il voulut donc que chacun, s'unissant aux dispositions intérieures de la fille bien-aimée du Roi des rois, vînt de nouveau se donner au Seigneur, par le dépouillement du cœur le plus sincère et le renoncement le plus universel, en prononçant aux pieds de quelque évêque les paroles : Dominus pars hoereditatis meoe et calicis mei, tu es qui restitues hoereditatem meam mihi. Quelques jours avant la fête de la Présentation, M. Olier, par un mouvement de sa tendre confiance envers la très-sainte Vierge, eut le désir d'aller à l'église cathédrale de Notre-Dame de Paris, pour l'inviter à se rendre présente à cette cérémonie. Il voulut que chacun s'y préparât en jeûnant la veille. Enfin le 21 novembre, jour de cette solennité, le nonce du pape célébra pontificalement les saints mystères dans la chapelle du séminaire, et ce fut aux pieds du représentant du vicaire de Jésus-Christ que M. Olier, et après lui tous les ecclésiastiques de la maison, renouvelèrent ainsi pour la première fois la profession qu'ils avaient faite en recevant la tonsure, et se consacrèrent de nouveau sur les pas de Marie au service de Dieu, l'unique partage des clercs.
La ferveur extraordinaire dont tous ces ecclésiastiques se trouvèrent pénétrés fit comprendre à chacun que cette rénovation serait une nouvelle source de grâces pour le séminaire. « On ne l'a jamais renouvelle depuis, écrivait dans la suite M. de Bretonvilliers, sans une bénédiction toute particulière, comme l'expérience l'a fait voir. » M. Olier dit lui-même dans ses Mémoires : « Le soir de notre fête, comme plusieurs me témoignaient avoir été touchés extraordinairement, et que, remerciant la grande bonté de la très-sainte Vierge d'avoir été présente à notre solennité, je lui demandais ce qu'elle désirait de moi et ce que je pouvais faire qui lui fût agréable, n'y ayant rien que je ne voulusse faire pour son contentement, elle me fit l'honneur de me dire : Prépare-moi des cœurs ; et ensuite elle me faisait sentir que rien ne lui était plus agréable que d'avoir ainsi des cœurs, afin de servir son cher Fils dans l'Église.»
Ce pieux usage, introduit d'abord dans toutes les (382) maisons de Saint-Sulpice, et adopté ensuite parla plupart des séminaires de France, est devenu l'un des exercices les plus édifiants des retraites pastorales, auxquelles il sert de clôture. Dans cette pieuse cérémonie, on chante une hymne que nous mettons ici, pour l'édification des enfants de la sainte Vierge :
Qu'elle est belle la démarche de la fille du prince, se hâtant de toucher au parvis du Seigneur! Elle prélude, en s'immolant elle-même, au sacrifice plus précieux qu'elle offrira bientôt. Encore enfant,elle accourt,non d'un pas incertain, des bras de sa Mère dans le sein de Dieu; et cette Vierge, dont le coeur est un autel consacré à la Divinité, se présente devant les autels comme victime. En prenant Dieu pour son Époux, elle lui voue son tendre corps; elle lui dédie l'intérieur de son coeur virginal, et consacre déjà son propre sein au Verbe, dont elle doit être la Mère. O Vierge qui vouez à Dieu toutes choses avec vous, de quel accroissement de grâces le Dieu qui habite dans votre coeur ne paye-t-il pas les biens que vous lui sacrifiez? Pourquoi de misérables joies nous retiennent-elles? Pourquoi différer encore de rompre tous nos liens? Vierge et prêtre, elle nous ouvre la voie: qu'il nous soit donné de marcher à sa suite ! C'en est donc fait, ô Dieu, votre tribu se consacre à vous seul; donc vous demeurez notre unique partage, vous qui, né de la Vierge, daignez chaque jour renaître à notre voix. Gloire suprême au Père, gloire suprême au Fils, égale gloire à vous, Esprit-Saint ! si vous nous enflammez intérieurement, nous offrirons d'un coeur pur le divin sacrifice. Ainsi soit-il.
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Quam pulchre graditur filia principis, Templi cum properat limina tangere ! Praeludit meliori Quam mox offeret hostiam. E matris gremio, Numinis in sinum Infans non dubiis passibus advolat; Virgo Numinis ara, Aris victima sistitur. Sponso membra Deo mollia devovet; Cordis Virginei dedicat intima Verbo debita Mater, Verbo viscera consecrat. Tecum cuncta Deo prodiga dum voves, Numen, Virgo fui pectoris incola, Quanto foenore pensat Terras qua bona despicis ! Quid nos illa queant improba gaudia? Cur nos jam pigeat vincula rumpere? Dux est Virgo sacerdos : Fas sit quo properat sequi ! Ergo nunc tua gens se tibi consecrat; Ergo nostra manes portio tu Deus, Qui de Virgine natus, Per nos sape renasceris. Sit laus summa Patri, summaque Filio; Sit par, sancte, tibi gloria, Spiritus ! Si nos intus aduris, Puro corde litabimur. Amen.
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Date de dernière mise à jour : 2021-07-04
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