Saint Silouane (1866-1938), moine orthodoxe
« Toujours prier sans se décourager »
J'ai passé ma vie et dans le bien et dans les péchés, et, au cours de soixante années, j'ai reconnu quelle force a l'habitude. L'âme et l'intelligence peuvent aussi acquérir des habitudes. Et l'homme fait ce dont il a l'habitude. S'il s'est habitué au péché, il sera constamment attiré par le péché, et les démons l'y pousseront ; mais s'il s'habitue au bien, Dieu l'assistera de sa grâce.
Si tu prends l'habitude de prier sans cesse, d'aimer ton prochain et de pleurer dans la prière pour le monde entier, ton âme sera attirée vers la prière, les larmes et l'amour. Et si tu t'habitues à donner des aumônes, à être obéissant, à être ouvert à l'égard de ton père spirituel lors de la confession, tu agiras constamment de cette manière, et ainsi tu trouveras la paix en Dieu.
Écrits (trad. Eds. Présence 1973, p. 422)
« Des serviteurs quelconques »
Il y a bien des degrés d'humilité. L'un est obéissant et se fait des reproches à lui-même en toutes choses ; cela, c'est de l'humilité. Un autre se repent de ses péchés et se considère comme un misérable devant Dieu. Cela, c'est aussi de l'humilité. Mais autre est l'humilité de celui qui a connu le Seigneur par le Saint Esprit : sa connaissance et ses goûts sont différents.
Lorsque, dans le Saint Esprit, l'âme voit combien le Seigneur est doux et humble, elle s'humilie elle-même jusqu'au bout. Cette humilité est tout à fait particulière et personne ne peut la décrire. Si les hommes pouvaient savoir par le Saint Esprit quel Seigneur nous avons, ils changeraient entièrement : les riches mépriseraient leurs richesses ; les savants, leur science ; les gouvernements, leur pouvoir et leur prestige. Tous vivraient dans une paix profonde et avec amour, et sur terre régnerait une grande joie.
Écrits (trad. Eds. Présence 1973, p. 289)
« Apprends-nous à prier »
Si tu veux prier l'esprit uni au coeur et si tu n'y parviens pas, dis la prière avec les lèvres et fixe ton esprit sur les mots de la prière, comme il est dit dans l’Echelle sainte [de St Jean Climaque]. Avec le temps, le Seigneur te donnera la « prière du coeur », sans distraction, et tu prieras avec facilité. Certains, dans l’oeuvre de la prière, ayant forcé leur intelligence à descendre dans leur coeur, l'ont abîmé à tel point qu'ils ne pouvaient même plus prononcer la prière avec les lèvres. Mais, toi, connais la loi de la vie spirituelle : les dons ne sont accordés qu'à l'âme simple, humble et obéissante. A celui qui est obéissant et retenu en tout -- en nourriture, en paroles et en mouvements -- le Seigneur donnera la prière, et elle s'accomplira avec facilité dans son coeur.
La prière incessante procède de l'amour, mais on la perd par les jugements, les vaines paroles et l'intempérance. Celui qui aime Dieu peut penser à lui jour et nuit, car aucune occupation ne peut empêcher d'aimer Dieu. Les apôtres aimaient le Seigneur sans que le monde ne les dérange, et cependant ils se souvenaient du monde, ils priaient pour lui et ils s'adonnaient à la prédication. Il a été dit à saint Arsène, par contre : « Fuis les hommes », mais l'Esprit divin nous enseigne, même dans le désert, à prier pour les hommes et pour le monde entier.
Ecrits (trad. Eds. Présence 1975, p. 277)
« Près de la croix de Jésus se tenait sa mère »
Nous ne parvenons pas à la plénitude de l'amour de la Mère de Dieu, et c'est pourquoi nous ne pouvons pas non plus pleinement comprendre sa douleur. Son amour était parfait. Elle aimait immensément son Dieu et son fils, mais elle aimait aussi d'un grand amour les hommes. Et que n'a-t-elle pas enduré lorsque ces hommes, qu'elle aimait tant et pour lesquels jusqu'à la fin elle voulait le salut, ont crucifié son fils bien-aimé ?
Nous ne pouvons pas le comprendre, car notre amour pour Dieu et pour les hommes est trop faible. Comme l'amour de la Mère de Dieu n'a pas de mesure et dépasse notre compréhension, de même sa douleur est immense et impénétrable pour nous.
Ecrits (trad. Eds. Présence 1975, p. 356)
« Ne pas riposter au méchant »
Il y a des hommes qui souhaitent à leurs ennemis et aux ennemis de l'Église les peines et les tourments du feu éternel. Ils ne connaissent pas l'amour de Dieu en pensant ainsi. Qui a l'amour et l'humilité du Christ pleure et prie pour tout le monde.
Seigneur, de même que tu as prié pour tes ennemis, de même enseigne-nous par ton Saint Esprit à les aimer et à prier pour eux avec des larmes. Ceci est cependant bien difficile pour nous, pécheurs, si ta grâce n'est pas avec nous !...
Si la grâce de l'Esprit Saint habite le coeur d'un homme, même en une mesure infime, cet homme pleure pour tous les hommes ; il a plus encore pitié de ceux qui ne connaissent pas Dieu ou qui lui résistent. Il prie pour eux jour et nuit afin qu'ils se convertissent et reconnaissent Dieu. Le Christ priait pour ceux qui le crucifiaient : « Père, pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (Lc 23,34). Etienne, lui aussi, priait pour ses persécuteurs afin que Dieu ne leur impute pas ce péché... (Ac 7,60). Il faut prier pour nos ennemis si nous voulons conserver la grâce, car celui qui n'a pas compassion du pécheur n'a pas en lui la grâce du Saint Esprit. Louange et grâce à Dieu et à sa grande miséricorde, car il nous a accordé, à nous autres hommes, la grâce de l'Esprit Saint.
Écrits spirituels
« Comme je vous ai aimés »
Pourquoi est-ce que l'homme souffre sur terre ? Pourquoi est-ce qu’il endure des peines et subit des maux ? Nous souffrons parce que nous n'avons pas d'humilité. Dans une âme humble vit le Saint Esprit, et il lui donne la liberté, la paix, l'amour et le bonheur.
Nous souffrons parce que nous n'aimons pas notre frère. Le Seigneur dit : « Aimez-vous les uns les autres, et vous serez mes disciples » (Jn 13,35). Quand nous aimons notre frère, l'amour de Dieu vient à nous. L'amour de Dieu est d'une grande douceur ; c'est un don du Saint Esprit, et on ne le connaît en plénitude que par le Saint Esprit. Mais il existe un amour modéré, celui que l'homme obtient quand il s'efforce d'accomplir les commandements du Christ et craint d'offenser Dieu ; et cela aussi est bien. Il faut chaque jour s'efforcer au bien et, de toutes ses forces, apprendre l'humilité du Christ.
Ecrits (trad. Sophrony, Starets, Eds. Présence 1975, p. 384 rev.)
« En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire »
Les apôtres ont vu le Seigneur dans sa gloire lorsqu'il a été transfiguré sur le Mont Thabor ; mais, plus tard, à l'heure de sa Passion, ils ont pris la fuite avec crainte. Telle est la fragilité de l'homme. En vérité, nous sommes bien de cette terre ; même plus : de cette terre pécheresse. C'est pourquoi le Seigneur a dit : « Sans moi, vous ne pouvez rien faire. » Et il en est ainsi.
Quand la grâce est en nous, nous sommes vraiment humbles ; alors notre intelligence est plus vive, et nous sommes obéissants, doux, agréables à Dieu et aux hommes. Mais quand nous perdons la grâce, nous nous desséchons comme un sarment retranché de la vigne. Si quelqu'un n'aime pas son frère pour lequel le Seigneur est mort au milieu de grandes souffrances, c'est qu'il s'est retranché de la Vigne. Mais celui qui lutte avec le péché sera porté par le Seigneur, comme le cep porte le sarment.
Ecrits (trad. Eds. Présence 1975, p.445)
« Je vous ai dit tout cela pour que vous trouviez en moi la paix »
N’est-ce pas le Seigneur lui-même qui a dit : « Le Royaume de Dieu est en vous » (Lc 17,21) ? C'est maintenant que commence la vie éternelle… Je vous en prie, mes frères, faites-en la preuve ! Si quelqu'un vous offense, vous calomnie, vous enlève ce qui vous appartient, et même s’il est un persécuteur de la sainte Eglise, priez Dieu et dites : « Seigneur, nous sommes tous tes créatures, aie pitié de tes serviteurs et amène leur coeur à la pénitence ». Alors tu sentiras la grâce dans ton âme. Certes, au début, tu dois faire effort pour aimer tes ennemis ; mais le Seigneur, voyant ta bonne volonté t'aidera en toutes choses et l'expérience elle-même t'indiquera le chemin. Par contre, celui qui médite de mauvaises choses contre ses ennemis ne peut pas posséder l'amour et donc connaître Dieu.
N'être jamais violent avec son frère ; ne le juger jamais ; convaincre dans la douceur et l'amour. L’orgueil et la dureté enlèvent la paix. Aime donc celui qui ne t'aime pas et prie pour lui ; ainsi la paix ne sera point troublée.
Ecrits spirituels (trad. Bellefontaine 1971, p.51)
« Ne vous faites pas tant de souci pour votre vie »
Le Seigneur a dit à ses disciples : « Je vous donne ma paix » (Jn 14,27). Cette paix du Christ, il faut la demander à Dieu, et le Seigneur la donnera à celui qui demande. Lorsque nous la recevons, nous devons veiller saintement sur elle et la faire croître.
Celui qui, dans ses afflictions, ne s'abandonne pas à la volonté de Dieu ne peut pas connaître la miséricorde de Dieu. Si un malheur te frappe, ne te laisse pas abattre, mais souviens-toi que le Seigneur te regarde avec bonté. N'accepte pas cette pensée : « Le Seigneur va-t-il jeter un regard sur moi alors que je l'offense ? », car le Seigneur est bonté par nature. Mais tourne-toi avec foi vers Dieu et dis comme l'enfant prodigue de l'Evangile : « Je ne suis pas digne d'être appelé ton fils » (Lc 15,21). Alors tu verras combien tu es cher au Père, et ton âme connaîtra une joie indescriptible.
Écrits (trad. Eds. Présence 1973, p. 384)
« Apprenez de moi, car je suis doux et humble de coeur, et vous trouverez le repos »
Le Seigneur aime les hommes, mais il permet que des épreuves les frappent. Ainsi, ils peuvent reconnaître leur impuissance et s'humilier, et, grâce à leur humilité, recevoir le Saint Esprit. Et avec le Saint Esprit, tout va bien, tout est plein de joie... Celui qui vit dans l'humilité sera content dans tout ce qui peut lui arriver, parce que le Seigneur est sa richesse et sa joie ; tous les hommes s'étonneront de la beauté de son âme.
Tu dis : « Ma vie est pleine de souffrances ». Mais je te répondrai, ou plutôt c'est le Seigneur lui-même qui te dit : « Sois humble, et tu verras que tes épreuves se changeront en repos », à tel point que tu t'étonneras toi-même et que tu te diras : « Pourquoi donc étais-je autrefois si tourmenté et affligé ? » Maintenant tu es heureux parce que tu es devenu humble et que la grâce divine est venue ; maintenant, quand bien même tu serais seul dans la pauvreté, la joie ne te quittera pas, car tu as dans l'âme cette paix dont le Seigneur a dit : « Je vous donne ma paix » (Jn 14,27). C'est ainsi que le Seigneur donne la paix à toute âme humble.
Ecrits (trad. Eds Présence 1975, p. 285)
« Quand il viendra, l’Esprit de vérité, il vous guidera vers la vérité tout entière »
Si tu veux prier en ton coeur et que tu n'en sois pas capable, contente-toi de dire la prière avec les lèvres, et tiens ton esprit attentif à ce que tu dis. Peu à peu, le Seigneur te donnera aussi la grâce de la prière intérieure, et tu sauras alors prier sans distraction. Ne cherche pas à réaliser la prière du coeur par des moyens techniques ; tu endommagerais ton coeur, et à la fin, tu ne prierais que des lèvres. Reconnais l'ordre de la vie spirituelle : Dieu accorde ses dons à l’âme humble et sincère. Sois obéissant, conserve la mesure en tout, dans la nourriture, dans la parole, en toute démarche. C'est alors que le Seigneur lui-même te donnera la grâce de la prière intérieure...
Le silence spirituel naît du désir d'accomplir le commandement du Christ : « Aime le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de toutes tes forces » (Mc 12,33). Ce silence est suscité par la recherche du Dieu vivant, chez celui qui veut se libérer des tentations de ce monde pour trouver le Seigneur dans la plénitude de l'amour, pour vivre en sa présence dans la prière pure. Seigneur, comment pourrais-je ne pas te chercher ? Tu t'es révélé à mon âme d'une façon si incroyable ! Tu l'as faite prisonnière de ton amour, elle ne peut pas t'oublier. Soudain, en effet, l'âme reconnaît le Seigneur dans l'Esprit Saint ; qui peut décrire cette joie et cette consolation ? Le Saint Esprit agit dans l'homme tout entier, dans l’intelligence, l’âme et le corps ; ainsi Dieu est-il reconnu sur la terre comme au ciel. Dans son infinie bonté, le Seigneur m’a accordé cette grâce, à moi qui suis pécheur, pour que les hommes le connaissent et se tournent vers lui.
Ecrits spirituels (trad. Bellefontaine 1971, p.41)