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Aelred de Rievaulx quelques écrits
Aelred de Rielvaux (1110-1167), moine cistercien
Liste des lectures
On lui donnera le nom d'Emmanuel
Qui peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ?
Sur cette pierre, je bâtirai mon Église
On lui donnera le nom d’Emmanuel
Pierre et Jean : la diversité dans l’unité
Restez éveillés et priez...: ainsi vous serez jugés dignes...de paraître devant le Fils de l'homme
Entrer dans la vraie paix du sabbat
Désormais tous les âges me diront bienheureuse
.......
Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent
Le Fils de l'homme est maître du sabbat
Le sabbat a été fait pour l'homme
Syméon prit l'enfant dans ses bras
Entrer dans la vraie paix du sabbat
Pierre et Jean : l'unité dans la diversité
Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous
Aelred de Rielvaux (1110-1167), moine cistercien
« Aimez vos ennemis »
Rien ne nous encourage tant à l'amour des ennemis, en lequel consiste la perfection de l'amour fraternel, que de considérer avec gratitude l'admirable patience du plus beau des enfants des hommes . Il a tendu son beau visage aux impies pour qu'ils le couvrent de crachats. Il les a laissés mettre un bandeau sur ces yeux qui d'un signe gouvernent l'univers. Il a exposé son dos au fouet. ~ Il a soumis aux pointes des épines sa tête, devant laquelle doivent trembler princes et puissants. Il s'est livré lui-même aux affronts et aux injures. Et enfin il a supporté patiemment la croix, les clous, la lance, le fiel, le vinaigre, demeurant au milieu de tout cela plein de douceur et de sérénité. Il fut mené comme une brebis à l'abattoir, il s'est tu comme un agneau devant celui qui le tondait, et il n'ouvrit pas la bouche. ~
En entendant cette admirable parole, pleine de douceur, d'amour et d'imperturbable sérénité : Père pardonne-leur , que pourrait-on ajouter à la douceur et à la charité de cette prière ?
Et pourtant le Seigneur ajouta quelque chose. Il ne se contenta pas de prier, il voulut aussi excuser ; Père , dit-il, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu'ils font . Ils sont sans doute de grands pécheurs, mais ils en ont à peine conscience ; c'est pourquoi, Père, pardonne-leur . Ils crucifient, mais ils ne savent pas qui ils crucifient, car s'ils l'avaient su, ils n'auraient jamais crucifié le Seigneur de gloire . C'est pourquoi, Père, pardonne-leur . Ils pensent qu'il s'agit d'un transgresseur de la Loi, d'un usurpateur de la divinité, d'un séducteur du peuple. Je leur ai dissimulé mon visage. Ils n'ont pas reconnu ma majesté. C'est pourquoi, Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu'ils font.
Pour apprendre à aimer, que l'homme ne se laisse donc pas entraîner par les impulsions de la chair. Et afin de n'être pas pris par cette convoitise, qu'il porte toute son affection à la douce patience de la chair du Seigneur. Pour trouver un repos plus parfait et plus heureux dans les délices de la charité fraternelle, qu'il étreigne aussi ses ennemis dans les bras du véritable amour.
Mais afin que ce feu divin ne diminue pas à cause des injures, qu'il fixe toujours les yeux de l'esprit sur la sereine patience de son bien-aimé Seigneur et Sauveur.
LE MIROIR DE LA CHARITÉ
« On lui donnera le nom d'Emmanuel »
« Emmanuel, qui se traduit ‘ Dieu avec nous. ’ » Oui, Dieu avec nous ! Jusqu'alors, il était Dieu au-dessus de nous, Dieu en face de nous, mais aujourd'hui il est « Emmanuel ». Aujourd'hui il est Dieu avec nous dans notre nature, avec nous dans sa grâce ; avec nous dans notre faiblesse, avec nous dans sa bonté ; avec nous dans notre misère, avec nous dans sa miséricorde ; avec nous par amour, avec nous par lien de famille, avec nous par tendresse, avec nous par compassion.
Dieu avec nous ! Vous n'avez pas pu, vous les fils d'Adam, monter au ciel pour être avec Dieu (cf Dt 30,12) ; Dieu descend du ciel pour être Emmanuel, Dieu avec nous. Il vient chez nous pour être Emmanuel, Dieu avec nous, et nous, nous négligeons de venir à Dieu pour être avec lui ! « Vous, humains, jusqu'à quand votre cœur sera-t-il appesanti ? Pourquoi aimer le néant et chercher le mensonge ? » (Ps 4,3) Voici venue la vérité : « pourquoi aimer le néant ? » Voici venue la parole vraie et inaltérable : « pourquoi chercher le mensonge ? » Voici Dieu avec nous.
Comment pourrait-il être davantage avec moi ? Petit comme moi, faible comme moi, nu comme moi, pauvre comme moi — en tout, il est devenu semblable à moi, prenant ce qui est mien et donnant ce qui est sien. Je gisais mort, sans voix, sans sens ; la lumière même de mes yeux n'était plus avec moi. Aujourd’hui est descendu cet homme si grand, « ce prophète puissant en œuvres et en paroles » (Lc 24,19). Il a « posé son visage sur mon visage, sa bouche sur ma bouche, ses mains sur mes mains » (2R 4,34), et il s'est fait Emmanuel, Dieu avec nous !
Sermon pour l'Annonciation (trad. cf coll. Pain de Cîteaux, n°24, p. 216 et Solesmes, Lectionnaire, t. 1, p. 395)
« Qui peut pardonner les péchés sinon Dieu seul ? »
O malheureux Adam ! Que cherchais-tu de plus que la présence divine ? Mais, ingrat, te voilà ruminant ton méfait : « Non, je serai comme Dieu ! » (cf Gn 3,5) Quel orgueil intolérable ! Tu viens d'être fait d'argile et de boue et, dans ton insolence, tu veux être semblable à Dieu ?... C'est ainsi que l'orgueil a engendré la désobéissance, cause de notre malheur... Quelle humilité pourrait compenser un tel orgueil ? Quelle obéissance d'homme pourrait racheter une telle faute ? Captif, comment l'homme pourrait-il libérer un captif ; impur, comment pourrait-il libérer un impur ? Ta créature va-t-elle donc périr, mon Dieu ? « Oublierais-tu d'avoir pitié ? Renfermerais-tu ta bonté dans ta colère ? » (Ps 76,10) Oh, non ! « --Mes pensées sont des pensées de paix, et non de malheur », dit le Seigneur (Jr 29,11). Hâte-toi donc, Seigneur ; viens vite ! Vois les larmes des pauvres ; vois, « la plainte des captifs monte jusqu'à toi » (Ps 78,11). Quel temps de bonheur, quel jour aimable et désiré, quand la voix du Père s'écrie : « A cause de la misère des malheureux et des larmes des pauvres, maintenant je me lève » (Ps 11,6)... Oui, « Viens nous sauver, Seigneur, viens toi-même, car il n'y a plus de saints » (Ps 11,2).
Sermon pour la Nativité
« Sur cette pierre, je bâtirai mon Église »
Colonnes de la terre (Ps 74,4), tous les apôtres le sont, mais en premier lieu les deux dont nous célébrons la fête. Ils sont les deux colonnes qui portent l'Église par leur enseignement, leur prière et l'exemple de leur constance. Ces colonnes, c'est le Seigneur lui-même qui les a fondées. D'abord, ils étaient faibles et ne pouvaient se porter, ni eux, ni les autres. Et ici apparaît le grand dessein du Seigneur : s'ils avaient été toujours forts, on aurait pu penser que leur force venait d'eux. Aussi le Seigneur, avant de les affermir, a voulu montrer de quoi ils étaient capables afin que tous sachent que leur force vient de Dieu. C'est le Seigneur qui a fondé ces colonnes de la terre, c'est-à-dire de la Sainte Église. C'est pourquoi nous devons louer de tout cœur nos saints pères qui ont supporté tant de peines pour le Seigneur et qui ont persévéré avec tant de force. Ce n'est rien de persévérer dans la joie, dans la prospérité et la patience. Mais voilà qui est grand, d'être lapidé, flagellé, frappé pour le Christ, et en tout cela persévérer avec le Christ (2Co 11,25). Il est grand avec Paul d'être maudit et de bénir..., d'être comme le rebut du monde et d'en tirer gloire (1Co 4,12-13)... Et que dire de Pierre ? Même s'il n'avait rien supporté pour le Christ, il suffirait pour le fêter qu'aujourd'hui il ait été crucifié pour lui. La croix a été sa route.
Sermon 16, pour la fête de Saints Pierre et Paul ; PL 195, 298-302 (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 451-452).
Dans un premier temps, il nous faut transpirer en faisant de bonnes œuvres, pour nous reposer ensuite dans la paix de notre conscience... C'est la célébration joyeuse d'un premier sabbat où l'on se repose des œuvres serviles du monde...et où l'on ne transporte plus les fardeaux des passions. Mais on peut quitter la chambre intime où on a célébré ce premier sabbat et on peut rejoindre l'auberge de son cœur, là où on a coutume de « se réjouir avec ceux qui sont dans la joie, de pleurer avec ceux qui pleurent » (Rm 12,15), « d'être faible avec ceux qui sont faibles, de brûler avec ceux qui sont scandalisés » (2Co 11,29). Là on sentira son âme unie à celle de tous ses frères par le ciment de la charité ; on n'y est plus troublé par les aiguillons de la jalousie, brûlé par le feu de la colère, blessé par les flèches des soupçons ; on est libéré des morsures dévorantes de la tristesse. Si on attire tous les hommes dans le giron pacifié de son esprit, où tous sont étreints, réchauffés par une douce affection et où l'on n'est plus avec eux « qu'un cœur et qu'une âme » (Ac 4,32), alors, en savourant cette merveilleuse douceur, le tumulte des convoitises fait aussitôt silence, le vacarme des passions s'apaise, et à l'intérieur s'opère un total détachement de toutes choses nuisibles, un repos joyeux et paisible dans la douceur de l'amour fraternel. Dans la quiétude de ce deuxième sabbat la charité fraternelle ne laisse plus subsister aucun vice... Imprégné de la douceur paisible de ce sabbat, David a éclaté en un chant de jubilation : « Voyez comme il est bon, comme il est doux d'habiter en frères tous ensemble » (Ps 132,1).
Le Miroir de la charité, III, 3,4 (trad. cf. Brésard, 2000 ans B, p. 80 et Bellefontaine 1992, p. 186)
« Mon joug est facile à porter »
Ceux qui se plaignent de la rudesse du joug du Seigneur n'ont peut-être pas rejeté complètement le joug si pesant de la convoitise du monde, ou s'ils l'ont rejeté, ils s'y sont à nouveau asservis, à leur plus grande honte. Au dehors ils portent le joug du Seigneur, mais au-dedans ils soumettent leurs épaules au fardeau des préoccupations du monde. Ils mettent sur le compte de la pesanteur du joug du Seigneur les peines et les douleurs qu'ils s'infligent à eux-mêmes… Quant au joug du Seigneur, il est « doux et son fardeau léger ». En effet, quoi de plus doux, quoi de plus glorieux que de se voir élevé au-dessus du monde par le mépris que l'on en fait et, installé au faîte d'une conscience en paix, d'avoir ce monde entier à ses pieds ? On ne voit alors rien à désirer, rien à craindre, rien à envier, rien à soi qui pourrait vous être enlevé, rien de mal qui pourrait vous être causé par un autre. Le regard du coeur se dirige vers « l'héritage incorruptible, exempt de souillure et de flétrissure, qui nous est réservé dans les cieux » (1P 1,4). Avec une sorte de grandeur d'âme, on fait peu de cas des richesses du monde : elles passent ; des plaisirs de la chair : ils sont souillés ; des fastes du monde : ils se fanent ; et dans la joie, on reprend cette parole du prophète : « Toute chair n'est qu'herbe des champs, toute sa grâce n'est qu'herbe en fleur ; l'herbe a séché, la fleur s'est fanée, mais la Parole du Seigneur demeure pour toujours » (Is 40,6-8)... Dans la charité, et rien que dans la charité résident la vraie tranquillité, la vraie douceur, car c'est elle le joug du Seigneur.
Le Miroir de la charité, I, 30-31 (trad. Brésard, 2000 ans A, p. 188 rev.)
« On lui donnera le nom d’Emmanuel »
« Emmanuel, qui se traduit ‘ Dieu-avec-nous ’ ». Oui, Dieu avec nous ! Jusqu'alors, il était « Dieu au-dessus de nous », « Dieu en face de nous », mais aujourd'hui il est « Emmanuel ». Aujourd'hui il est Dieu avec nous dans notre nature, avec nous dans sa grâce ; avec nous dans notre faiblesse, avec nous dans sa bonté ; avec nous dans notre misère, avec nous dans sa miséricorde ; avec nous par amour, avec nous par lien de famille, avec nous par tendresse, avec nous par compassion… Dieu avec nous! Vous n'avez pas pu, vous les fils d'Adam, monter au ciel pour être avec Dieu ; Dieu descend du ciel pour être Emmanuel, Dieu-avec-nous. Il vient chez nous pour être Emmanuel, Dieu-avec-nous, et nous, nous négligeons de venir à Dieu pour être en lui ! « Vous, humains, jusqu'où votre coeur sera-t-il engourdi ? Pourquoi aimez-vous le néant et cherchez-vous le mensonge ? » (Ps 4,3) Voici venue la vérité ; « pourquoi aimer le néant et chercher le mensonge ? » Voici venue la parole vraie et inaltérable ; « pourquoi chercher le mensonge ? » Voici Emmanuel, voici Dieu-avec-nous. Comment pourrait-il être davantage avec moi ? Petit comme moi, faible comme moi, nu comme moi, pauvre comme moi -- en tout, il est devenu semblable à moi, prenant ce qui est mien et donnant ce qui est sien. Je gisais mort, sans voix, sans sens ; la lumière même de mes yeux n'était plus avec moi. Il est descendu aujourd'hui, cet homme si grand, « ce prophète puissant en oeuvres et en paroles » (Lc 24,19). « Il a posé sa face sur ma face, sa bouche sur ma bouche, ses mains sur mes mains » (2R 4,34) et il s'est fait Emmanuel, Dieu-avec-nous !
Sermon pour l’Annonciation (trad. cf. Solesmes, Lectionnaire, t.1, p. 395)
Pierre et Jean : la diversité dans l’unité
Certaines personnes à qui l'on ne peut pas accorder une promotion en déduisent qu'on ne les aime pas ; si on ne les implique pas dans les affaires et les fonctions, elles se plaignent d'être laissées pour compte. C'est la source de graves discordes entre des gens qui passaient pour être des amis, nous le savons bien ; au comble de l'indignation, ces gens se séparent et en arrivent à se maudire… Que personne n'aille se dire laissé pour compte parce qu'on ne lui a pas accordé de promotion. À ce sujet, le Seigneur Jésus a préféré Pierre à Jean. Toutefois, en conférant la primauté à Pierre, il n'en a pas pour autant retiré son affection à Jean. Il a confié son Eglise à Pierre ; il a remis à Jean sa mère tendrement aimée (Jn 19,27). Il a donné à Pierre les clés de son royaume (Mt 16,19) ; il a découvert à Jean les secrets de son coeur (Jn 13,25). Pierre occupe donc un poste élevé, mais la place de Jean est plus sûre. Pierre a beau avoir reçu le pouvoir, quand Jésus dit : « L'un de vous me livrera » (Jn 13,21), il tremble et s'affole avec les autres ; Jean, enhardi par sa proximité du Seigneur, l'interroge, à l'instigation de Pierre, pour savoir de qui il parle. Pierre doit se livrer à l'action ; Jean est mis à part pour témoigner son affection, selon la parole : « Je veux qu'il demeure ainsi jusqu’à ce que je vienne ». Il nous a donné l'exemple afin que nous aussi fassions de même.
L’Amitié spirituelle, III, 115s (trad. Bellefontaine 1994, p. 90)
« Restez éveillés et priez...: ainsi vous serez jugés dignes...de paraître devant le Fils de l'homme » (Lc 21,36)
Ce temps de l'Avent représente les deux avènements de notre Seigneur : d'abord le très doux avènement du « plus beau des enfants des hommes » (Ps 44,3), du « Désiré de toutes les nations » (Ag 2,8 Vulg), du Fils de Dieu qui a manifesté visiblement dans la chair à ce monde sa présence longtemps attendue et ardemment désirée par tous les saints pères : l'avènement où il est venu dans le monde pour sauver les pécheurs. Ce temps rappelle aussi l'avènement que nous attendons avec une ferme espérance et que nous devons très souvent nous remémorer avec des larmes, celui qui aura lieu lorsque le même Seigneur viendra manifestement dans la gloire...: c'est-à-dire au jour du jugement lorsqu'il viendra manifestement pour juger. Le premier avènement a été connu de très peu d'hommes ; dans le second, il se manifestera aux justes et aux pécheurs comme l'annonce le prophète : « Et toute chair verra le salut de Dieu » (Is 40,5; Lc 3,6)... Suivons donc, frères très chers, les exemples des saints pères, ravivons leur désir et embrasons nos esprits de l'amour et du désir du Christ. Vous savez bien que la célébration de ce temps a été instituée pour renouveler en nous ce désir que les anciens pères avaient de la première venue du Seigneur et pour que, par leurs exemples, nous apprenions aussi à désirer son retour. Pensons à tout le bien que le Seigneur a accompli pour nous en sa première venue ; combien plus encore n'en accomplira-t-il pas lorsqu'il reviendra ! Cette pensée nous fera aimer davantage sa venue passée et davantage désirer son retour... Si nous voulons connaître la paix quand il viendra, efforçons-nous d'accueillir avec foi et amour sa venue passée. Demeurons fidèlement dans les œuvres qu'il nous a manifestées et nous a enseignées alors. Nourrissons en nos cœurs l'amour du Seigneur, et par l'amour, le désir, afin que lorsqu'il viendra, le Désiré des nations, nous puissions porter les yeux sur lui en toute confiance.
Sermon pour l'Avent du Seigneur ; PL 195, 363 ; PL 184, 818 (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 42 rev.)
Entrer dans la vraie paix du sabbat
Lorsque l’homme, s’arrachant au brouhaha extérieur, s’est recueilli au secret de son coeur, qu’il a fermé sa porte à la foule bruyante des vanités…, quand il n’y a plus rien en lui d’agité ni de désordonné, rien qui le tiraille, rien qui le tenaille…, c’est la joyeuse célébration d’un premier sabbat. Mais on peut quitter cette chambre intime pour l’auberge de son coeur…, pour entrer dans le repos joyeux et paisible de la douceur de l’amour fraternel. C’est un deuxième sabbat, celui de la charité fraternelle… Une fois purifiée dans ces deux formes d’amour [de soi-même et de son prochain], l'âme aspire d'autant plus ardemment aux joies de l'étreinte divine qu'elle est plus assurée. Brûlant d'un désir extrême, elle passe au-delà du voile de la chair et, entrant dans le sanctuaire (He 10,20), où le Christ Jésus est esprit devant sa face, elle est totalement absorbée par une lumière indicible et une douceur inhabituelle. Le silence s'étant fait par rapport à tout ce qui est corporel, sensible, changeant, elle fixe d'un regard pénétrant Ce qui Est, Ce qui est toujours tel, identique à soi-même, Ce qui est Un. Libre pour voir que le Seigneur lui-même est Dieu (Ps 45,11), elle célèbre sans aucun doute le sabbat des sabbats dans les douces étreintes de la Charité elle-même.
Le Miroir de la charité, III, 3-6 (trad. Bellefontaine 1992, p. 193)
« Désormais tous les âges me diront bienheureuse »
Si sainte Marie-Madeleine –- qui a été pécheresse et de qui le Seigneur a expulsé sept démons –- a mérité d'être glorifiée par lui au point que sa louange demeure toujours dans l'assemblée des saints, qui pourra mesurer à quel point « les justes jubilent devant la face de Dieu et dansent de joie » au sujet de sainte Marie, qui n'a pas connu d'homme ?... Si l'apôtre saint Pierre –- qui non seulement n'a pas été capable de veiller une heure avec le Christ, mais qui est même allé jusqu'à le renier –- a obtenu par la suite une telle grâce que les clés du Royaume des cieux lui ont été confiées, de quels éloges sainte Marie n'est-elle pas digne, elle qui a porté dans son sein le roi des anges en personne, que les cieux ne peuvent contenir ? Si Saul, qui « ne respirait que menaces et carnages à l'égard des disciples du Seigneur »..., a été l'objet d'une telle miséricorde...qu'il a été ravi « jusqu'au troisième ciel, soit en son corps soit hors de son corps », il n'est pas étonnant que la sainte Mère de Dieu –- qui a demeuré avec son fils dans les épreuves qu'il a endurées dès le berceau –- ait été enlevée au ciel, même en son corps, et exaltée au-dessus des chœurs angéliques. S'il y a de la « joie au ciel devant les anges pour un seul pécheur qui fait pénitence », qui dira quelle louange joyeuse et belle s'élève devant Dieu au sujet de sainte Marie, qui n'a jamais péché ?... Si vraiment ceux qui « jadis ont été ténèbres » et sont devenus par la suite « lumière dans le Seigneur » « brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père », qui sera en mesure de raconter « le poids éternel de gloire » de sainte Marie, qui est venue en ce monde « comme une aurore qui se lève, belle comme le lune, choisie comme le soleil », et de qui est née « la lumière véritable qui illumine tout homme venant en ce monde » ? Par ailleurs, puisque le Seigneur a dit : « Celui qui me sert, qu'il me suive, et là où je suis, là aussi sera mon serviteur », où pensons-nous que soit sa mère, elle qui l'a servi avec tant d'empressement et de constance ? Si elle l'a suivi et lui a obéi jusqu'à la mort, nul ne s'étonnera qu'à présent, plus que quiconque, elle « suive l'Agneau partout où il va ». (Références bibliques : Lc 8,2; Ps 149,1; Ps 67,4; Lc 1,34; Mt 26,40.70; Mt 16,19; Ac 9,1; 1Co 7,25; 2Co 12,2; Lc 22,28; Lc 15,7; Ep 5,8; Mt 13,43; 2Co 4,17; Ct 6,9; Jn 1,9; Jn 12,26; Ap 14,4)
2ème sermon pour l'Assomption, coll. de Durham (trad. Pain de Cîteaux, n°24, p. 118 rev.)
Voici arrivé pour nous, frères très chers, le temps où nous devons « chanter amour et jugement pour le Seigneur » (Ps 100,1). C'est l'Avent du Seigneur, l'avènement du Maître de tout qui vient et qui va venir (Ap 1,8). Mais comment et où va-t-il venir ; comment et où vient-il ? N'a-t-il pas dit : « Je remplis le ciel et la terre ? » (Jr 23,24) Comment vient-il donc au ciel et sur terre celui qui emplit ciel et terre ? Écoute l'Évangile : « Il était dans le monde et le monde a été fait par lui et le monde ne l'a pas connu » (Jn 1,10). Il était donc présent et absent à la fois : présent, car il était dans le monde ; absent car le monde ne l'a pas connu... Comment n'aurait-il pas été loin, celui qui n'était pas reconnu, en qui l'on ne croyait pas, qui n'était pas craint, que l'on n'aimait pas ?... Il vient donc pour qu'on le connaisse, celui qui n'était pas reconnu ; pour qu'on le croie, celui en qui l'on ne croyait pas ; pour qu'on le craigne, celui qui n'était pas craint ; pour qu'on l'aime, celui qui n'était pas aimé. Celui qui était présent par sa nature vient dans sa miséricorde... Pensez un peu à Dieu et voyez ce que cela représente pour lui de déposer une si grande puissance, comment il humilie un si grand pouvoir, comment il affaiblit une si grande force, comment il rend déraisonnable une si grande sagesse. Était-ce un devoir de justice envers l'homme ? Certainement pas !... Vraiment, Seigneur, ce n'est pas ma justice, mais ta miséricorde, qui t'a conduit ; ce n'est pas ton indigence, mais mon besoin. Tu as dit en effet : « La miséricorde est bâtie dans les cieux » (Ps 88,3). C'est bien cela, parce que la misère abondait sur la terre. Voilà pourquoi « je chanterai pour toi, Seigneur, la miséricorde » que tu as manifestée lors de ta venue... Quand il s'est montré humble dans son humanité, puissant en ses miracles, fort contre la tyrannie des démons, doux dans l'accueil des pécheurs, tout cela provient de sa miséricorde, tout cela vient de ses entrailles de bonté. Voilà pourquoi, « je chanterai, Seigneur, la miséricorde » que tu as manifestée lors de ta première venue. Et à juste titre, car « la terre est remplie de la miséricorde du Seigneur » (Ps 118,64).
Sermon pour l'Avent, coll. de Durham (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 32 rev ; cf Pain de Cîteaux, n°23, p. 10)
Aelred de Rielvaux (1110-1167), moine cistercien
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« Mes brebis écoutent ma voix ; je les connais et elles me suivent »
Bon Pasteur, Jésus, pasteur vraiment bon, pasteur plein de bienveillance et de tendresse, vers toi monte le cri d'un pasteur pauvre et misérable : pasteur fragile, pasteur maladroit, pasteur quelconque (cf Lc 17,10), mais malgré tout, pasteur de tes brebis. Oui, vers toi, Bon Pasteur, monte le cri de ce pasteur qui est loin d'être bon ; vers toi il crie, inquiet pour lui-même, inquiet pour tes brebis... Tu connais mon cœur, Seigneur : tu sais que mon souhait est de dépenser entièrement pour ceux que tu m'a confiés tout ce que tu as donné à ton serviteur..., et plus que tout, me dépenser pour eux sans compter (2Co 12,15)...
Toi-même, tu n'as pas dédaigné de te dépenser pour eux. Apprends-moi donc, Seigneur, à moi ton serviteur, apprends-moi, par ton Esprit Saint, comment me dépenser pour eux... Donne-moi, Seigneur, par ta grâce inexprimable, de supporter avec patience leurs faiblesses, d'y compatir avec bonté, de les secourir avec discrétion. Que l'enseignement de ton Esprit m'apprenne à consoler les affligés, à fortifier les craintifs, à relever ceux qui tombent, à être faible avec les faibles, à partager la brûlure de ceux qui trébuchent, à me faire tout à tous pour les gagner tous (2Co 11,29; 1Co 9,19.22). Mets sur mes lèvres une parole vraie, une parole droite, une parole juste, afin qu'ils grandissent dans la foi, l'espérance et l'amour, en chasteté et en humilité, en patience et en obéissance, en ferveur d'esprit et pureté de cœur. Puisque c'est toi qui leur as donné ce guide aveugle (Mt 15,14), cet enseignant ignorant, ce chef incapable, enseigne celui que tu as établi comme enseignant, conduis celui à qui tu as ordonné de conduire les autres.
Prière d'un pasteur, 1.7 (trad cf coll. Pain de Cîteaux, n°24, p. 261s)
« À cause de mon nom »
Nous avons encore en nos bras le fils de la Vierge..., les anges chantent encore la gloire de Dieu et les bergers se réjouissent... Qui détournerait les yeux d'une telle naissance ? Or, tandis que nous restons émerveillés, Étienne, plein de grâce et de vérité, « accomplit signes et prodiges au milieu du peuple » (Ac 6,8). Devrions-nous nous éloigner du roi pour jeter les yeux sur le soldat ? Le roi lui-même qui nous y invite ; le fils du roi assiste, dans la douleur de son cœur, au combat de son soldat victorieux...
Étienne, « rempli de grâce et de puissance », revêtu de grâce et protégé par le bouclier de la puissance divine, « accomplissait de grands signes et des prodiges dans le peuple ». « Alors, certains se sont levés » contre ce témoin (Ac 6,8). Mais la voix de l'homme libre se lève ; à partir de leurs livres, il leur présente la parole de vérité. L'Esprit de Dieu s'empare du martyr... ; il regarde le ciel mais ne voit plus le ciel ; « il voit, dit-il, les cieux ouverts, et Jésus se tenant à la droite de la puissance de Dieu » (Ac 7,58)... Le Seigneur se tient debout avec celui qui est debout, il combat avec celui qui lutte, il est lapidé en celui qu'on lapide... Oui, à bon droit il mérite la première place parmi les martyrs, celui qui exprime de façon si admirable la ressemblance avec le Seigneur pendu à la croix. Étienne crie d'une voix forte : « Seigneur, ne leur impute pas cela comme un péché ! » (Ac 7,60 ; Lc 23,34). Grand est son cri, car grand est son amour. Il s'endort dans le Seigneur...et repose entre les bras de Dieu.
Sermon pour la fête de St Étienne, PL 184, 845-850 (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 537 rev)
« Le Fils de l'homme est maître du sabbat »
Chaque jour de la création est grand, admirable, mais nul ne peut se comparer au septième : alors ce n'est pas la création de l'un ou l'autre élément naturel qui est proposée à notre contemplation, mais le repos de Dieu lui-même et la perfection de toutes les créatures. Car nous lisons : « Le septième jour, Dieu acheva son œuvre qu'il avait faite, et il se reposa de toute l'œuvre qu'il avait créée » (Gn 2,2). Grand est ce jour, insondable ce repos, magnifique ce sabbat ! Ah, si tu pouvais comprendre ! Ce jour n'est pas tracé par la course du soleil visible, ne commence pas à son lever, ne finit pas à son couchant ; il n'a ni matin ni soir (cf Gn 1,5)...
Écoutons celui qui nous invite au repos : « Venez à moi, vous tous qui peinez sous le fardeau ; je restaurerai vos forces » (Mt 11,28). C'est la préparation du sabbat. Quant au sabbat lui-même, écoutons encore : « Prenez sur vous mon joug, et apprenez de moi que je suis doux et humble de cœur ; alors vous trouverez le repos » (v. 29). Voilà le repos, la tranquillité, voilà le vrai sabbat....
Car ce joug ne pèse pas, il unit ; ce fardeau a des ailes, non du poids. Ce joug, c'est la charité ; ce fardeau, c'est l'amour fraternel. C'est là où on trouve le repos ; là, on célèbre le sabbat ; là, on est délivré de tout travail d'esclave... Même s'il arrive que quelque péché s'y glisse, à cause de notre faiblesse, la célébration de ce sabbat n'est pas interrompue, car « la charité couvre une multitude de péchés » (1P 4,8). Il est donc juste que cette libération soit réservée pour le septième jour car « la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l'Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5).
Le Miroir de la charité, I, 19.27 ; PL 195,522-530
« Le sabbat a été fait pour l'homme »
Quand un homme s'est retiré du tumulte extérieur pour rentrer dans le secret de son cœur, qu'il a fermé sa porte à la foule bruyante des vanités et a fait le tour de ses trésors intérieurs, quand il n'a plus rien rencontré en lui d'agité ni de désordonné, rien qui puisse le tourmenter ou le contrarier mais que tout en lui est plein de joie, d'harmonie, de paix, de tranquillité, quand tout le petit monde de ses pensées, paroles et actions lui sourit comme le ferait la maisonnée d'un père de famille dans une demeure où règne l'ordre et la paix — alors se lève soudain une merveilleuse assurance. Et de cette assurance vient une joie extraordinaire et de cette joie jaillit un chant d'allégresse qui éclate en louanges de Dieu. Ces louanges sont d'autant plus ferventes que l'on voit plus clairement combien tout ce qui est bon en soi-même est un don de Dieu.
C'est la joyeuse célébration du sabbat qui doit être précédée de six autres jours, c'est-à-dire de l'achèvement complet des œuvres. Nous transpirons d'abord en faisant des œuvres bonnes, pour nous reposer ensuite dans la paix de notre conscience. À partir des œuvres bonnes naît la pureté de la conscience qui conduit au juste amour de soi-même, qui nous permettra d'aimer notre prochain comme nous-mêmes (Mt 22,39).
Miroir de la charité, III, ch. 3 (trad. Bellefontaine 1992, p. 185)
« Syméon prit l'enfant dans ses bras »
« Syméon vint au temple, poussé par l'Esprit. » Et toi, si tu as bien cherché Jésus partout, c'est-à-dire si — comme l'Épouse du Cantique des Cantiques (Ct 3,1-3) — tu l'as cherché sur la couche de ton repos, tantôt en lisant, tantôt en priant, tantôt en méditant, si tu l'as cherché aussi dans la cité en interrogeant tes frères, en parlant de lui, en échangeant sur lui, si tu l'as cherché par les rues et les places en profitant des paroles et des exemples des autres, si tu l'as cherché auprès des guetteurs, c'est-à-dire en écoutant ceux qui ont atteint la perfection, tu viendras alors au temple, « poussé par l'Esprit. » Certes, c'est le meilleur endroit pour la rencontre du Verbe et de l'âme : on le cherche partout, on le rencontre dans le temple... « J'ai trouvé celui qu'aime mon âme » (Ct 3,4). Cherche donc partout, cherche en tout, cherche auprès de tous, passe et dépasse tout pour passer enfin au lieu de la tente, jusqu'à la demeure de Dieu, et alors tu trouveras.
« Syméon vint au temple, poussé par l'Esprit. » Lors donc que ses parents apportèrent l'Enfant Jésus, lui aussi le reçut dans ses mains : voici l'amour qui goûte par le consentement, qui s'attache par l'étreinte, qui savoure par l'affection. Oh, frères, qu'ici la langue se taise... Ici, rien de plus désirable que le silence : ce sont les secrets de l'Époux et de l'Épouse..., l'étranger ne saurait y avoir part. « Mon secret est à moi, mon secret est à moi ! » (Is 24,16 Vlg) Où est, pour toi, ton secret, Épouse qui seule a expérimenté quelle est la douceur qu'on éprouve quand, dans un baiser spirituel, l'esprit créé et l'Esprit incréé vont au-devant l'un de l'autre et s'unissent l'un à l'autre, au point qu'ils sont deux en un, bien mieux, dis-je, un seul : justifiant et justifié, sanctifié et sanctifiant, déifiant et déifié ? ...
Puissions-nous mériter de dire aussi ce qui suit : « Je l'ai tenu et je ne le lâcherai pas » (Ct 3,4). Cela, saint Syméon l'a mérité, lui qui dit : « Maintenant, Seigneur, laisse aller ton serviteur dans la paix. » Il a voulu qu'on le laisse aller, délivré des liens de la chair, pour étreindre plus étroitement de l'embrassement de son cœur Jésus Christ notre Seigneur, à qui est gloire et honneur dans les siècles sans fin.
In Ypapanti Domini. (Sermons inédits p. 51-52, trad. Brésard, 2000 ans B, p. 272)
Entrer dans la vraie paix du sabbat
Lorsque l'homme, s'arrachant au brouhaha extérieur, s'est recueilli au secret de son cœur, qu'il a fermé sa porte à la foule bruyante des vanités..., quand il n'y a plus rien en lui d'agité ni de désordonné, rien qui le tiraille, rien qui le tenaille..., c'est la joyeuse célébration d'un premier sabbat. Mais on peut quitter cette chambre intime pour l'auberge de son cœur..., pour entrer dans le repos joyeux et paisible de la douceur de l'amour fraternel. C'est un deuxième sabbat, celui de la charité fraternelle...
Une fois purifiée dans ces deux formes d'amour [de soi-même et de son prochain], l'âme aspire d'autant plus ardemment aux joies de l'étreinte divine qu'elle est plus assurée. Brûlant d'un désir extrême, elle passe au-delà du voile de la chair et, entrant dans le sanctuaire (He 10,20), où le Christ Jésus est esprit devant sa face, elle est totalement absorbée par une lumière indicible et une douceur inhabituelle. Le silence s'étant fait par rapport à tout ce qui est corporel, sensible, changeant, elle fixe d'un regard pénétrant Ce qui Est, Ce qui est toujours tel, identique à soi-même, Ce qui est Un. Libre pour voir que le Seigneur lui-même est Dieu (Ps 45,11), elle célèbre sans aucun doute le sabbat des sabbats dans les douces étreintes de la Charité elle-même.
Le Miroir de la charité, III, 3-6 (trad. Bellefontaine 1992, p. 193)
Pierre et Jean : l'unité dans la diversité
Certaines personnes à qui l'on ne peut pas accorder une promotion en déduisent qu'on ne les aime pas ; si on ne les implique pas dans les affaires et les fonctions, elles se plaignent d'être laissées pour compte. C'est la source de graves discordes entre des gens qui passaient pour être des amis, nous le savons bien ; au comble de l'indignation, ces gens se séparent et en arrivent à se maudire...
Que personne n'aille se dire laissé pour compte parce qu'on ne lui a pas accordé de promotion. À ce sujet, le Seigneur Jésus a préféré Pierre à Jean. Toutefois, en conférant la primauté à Pierre, il n'en a pas pour autant retiré son affection à Jean. Il a confié son Eglise à Pierre ; il a remis à Jean sa mère tendrement aimée (Jn 19,27). Il a donné à Pierre les clés de son royaume (Mt 16,19) ; il a découvert à Jean les secrets de son cœur (Jn 13,25). Pierre occupe donc un poste élevé, mais la place de Jean est plus sûre. Pierre a beau avoir reçu le pouvoir, quand Jésus dit : « L'un de vous me livrera » (Jn 13,21), il tremble et s'affole avec les autres ; Jean, enhardi par sa proximité du Seigneur, l'interroge, à l'instigation de Pierre, pour savoir de qui il parle. Pierre doit se livrer à l'action ; Jean est mis à part pour témoigner son affection, selon la parole : « Je veux qu'il demeure ainsi jusqu'à ce que je vienne ». Il nous a donné l'exemple afin que nous aussi fassions de même.
L'Amitié spirituelle, III, 115s (trad. Bellefontaine 1994, p. 90)
« Le temple de Dieu est sacré, et ce temple, c'est vous » (1Co 3,17)
On a souvent entendu dire que Moïse, après avoir fait sortir Israël d'Égypte, a construit dans le désert un tabernacle, une tente de sanctuaire, grâce aux dons des fils de Jacob... Il faut bien voir, comme le dit l'apôtre Paul, que tout cela était un symbole (1Co 10,6)... C'est vous, mes frères, qui êtes maintenant le tabernacle de Dieu, le temple de Dieu, comme l'explique l'apôtre : « Le temple de Dieu est saint, et ce temple, c'est vous ». Temple où Dieu régnera éternellement, vous êtes sa tente parce qu'il est avec vous sur la route ; il a soif en vous, il a faim en vous. Cette tente est encore portée...dans le désert de cette vie, jusqu'à ce que nous parvenions à la Terre de la Promesse. Alors la tente deviendra Temple et le véritable Salomon en fera la dédicace « durant sept jours et encore sept jours » (1R 8,65), c'est-à-dire le double repos...de l'immortalité pour le corps et la béatitude pour l'âme.
Mais pour le moment, si nous sommes de vrais fils spirituels d'Israël, si nous sommes spirituellement sortis d'Égypte, faisons chacun, faisons tous des offrandes pour la construction du tabernacle... : « Car chacun reçoit de Dieu son don particulier, l'un celui-ci, l'autre celui-là » (1Co 7,7)... Que tout soit donc commun à tous... Que personne ne considère le charisme qu'il a reçu de Dieu comme son bien propre ; que personne ne soit jaloux d'un charisme que son frère aurait reçu. Mais que chacun regarde ce qui est à lui comme étant à tous ses frères, et qu'il n'hésite pas à considérer comme sien ce qui est à son frère. Selon son dessein miséricordieux, Dieu agit envers nous de telle sorte que chacun ait besoin des autres : ce que l'un n'a pas, il peut le trouver en son frère... « A plusieurs nous ne formons qu'un seul Corps dans le Christ et, chacun pour sa part, nous sommes membres les uns des autres » (Rm 12,5).
Sermon 8, pour la fête de saint Benoît
Aujourd'hui, le Père souverain nous a envoyé le véritable Joseph « pour revoir ses frères et les troupeaux » (Gn 37,14). Assurément, il est bien ce Joseph aimé par son père « plus que tous ses frères » (v. 3)... C'est lui, plus aimé que tous, plus sage que tous, plus magnifique que tous ; c'est bien lui que Dieu le Père a envoyé aujourd'hui... « Qui donc enverrai-je, dit Dieu le Père, et qui ira pour nous ? » (Is 6,8) Le Fils répond : « Voici que j'irai moi-même à la recherche de mes brebis » (Ez 34,11). Quittant le plus haut des cieux, il descend « dans la vallée d'Hébron » (Gn 37,14).
Adam avait escaladé la montagne de l'orgueil ; le Fils de Dieu descend dans la vallée de l'humilité. Il trouve aujourd'hui une vallée où descendre. Où se trouve-t-elle ? Non pas en toi, Ève, mère de notre malheur, non pas en toi..., mais en la bienheureuse Marie. Elle est bien cette vallée d'Hébron en raison de son humilité et à cause de sa force... Elle est forte parce qu'elle participe à la force de celui dont il est écrit : « Le Seigneur est fort et puissant » (Ps 23,8). Elle est cette femme vaillante ardemment désirée par Salomon qui disait : « Une femme vaillante, qui la trouvera ? » (Pr 31,10)...
Ève, bien que créée dans le paradis, sans corruption, sans infirmité ni douleur, s'est révélée si faible, si infirme. « Qui trouvera donc la femme vaillante ? » Pourra-t-on trouver dans le malheur d'ici-bas ce qu'on n'a pas pu trouver dans le bonheur de là-bas ? Pourra-t-on la trouver en cette vallée de larmes, alors qu'on n'a pas pu la trouver en la béatitude du Paradis ?... Aujourd'hui, oui aujourd'hui, elle a été trouvée. Dieu le Père a trouvé cette femme pour la sanctifier ; le Fils l'a trouvée pour l'habiter ; l'Esprit Saint l'a trouvée pour l'illuminer... L'ange l'a trouvée pour la saluer ainsi : « Salut, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ». La voici, la femme vaillante. En elle, le sérieux, l'humilité et la virginité s'opposent à la curiosité, la vanité, la volupté. « L'ange entra chez elle », est-il écrit. Elle n'a donc pas été trouvée tournée vers l'extérieur, au-dehors ; elle était à l'intérieur, dans sa chambre secrète où elle priait son Père dans le secret (Mt 6,6).
Sermon 59, 3ème pour l'Annonciation dans la collection de Durham (trad. cf coll. Pain de Cîteaux, n°23, p. 172)
Jonathan, le plus remarquable des jeunes hommes, sans attendre les insignes de la royauté et le pouvoir royal, fit un pacte avec David, et par amitié institua une égalité entre le serviteur et le maître. Si bien qu’il préféra à lui-même celui qui fuyait loin de son père et se cachait au désert, voué à la mort et destiné à être assassiné. S’humiliant lui-même et exaltant David, il lui disait : C’est toi qui seras roi, et moi, j’aurai le second rang après toi .
Quel remarquable miroir de la vraie amitié ! Quelle chose admirable ! Le roi Saül était en fureur contre son serviteur David et soulevait tout le pays comme pour se défendre contre un homme qui aurait convoité sa royauté ; il convainc les prêtres de trahison, les massacre sur la seule base d’un soupçon ; il fouille les forêts, ratisse les vallées, occupe à main armée les monts et les rochers, et tous s’engagent à venger l’affront fait au roi. Seul Jonathan, le seul qui aurait pu, avec plus de raison, porter envie à David, a estimé devoir résister à son père, organiser la fuite de son ami, l’aider de ces conseils dans une telle adversité. Faisant passer l’amitié avant le désir de régner, il lui dit : C’est toi qui seras roi, et moi, j’aurai le second rang après toi . Et remarque comme le père du jeune homme s’efforçait de faire naître en lui l’envie contre son ami, en l’accablant d’injures, en le menaçant d’être privé du trône, en lui rappelant qu’il allait ainsi perdre l’honneur d’être roi.
En effet, bien qu’une sentence de mort fût portée contre David, Jonathan n’abandonna pas son ami. « Pourquoi David, devrait-il mourir ? En quoi a-t-il péché ? Qu’a-t-il fait ? Il a risqué sa vie en combattant le Philistin, et tu en as été heureux. Pourquoi donc devrait-il mourir ? » À cette voix qui s’oppose à la folle fureur du roi, celui-ci brandit sa lance pour clouer à la paroi Jonathan, ajoutant à ses menaces des injures : Fils d’une mère dévoyée, je sais que tu aimes David, pour ta honte, et la honte de ta mère adultère . Puis tout le venin qu’il pouvait jeter dans le cœur du jeune homme, il le vomit, en ajoutant une phrase qui visait à exciter l’ambition, à faire naître l’envie, à susciter la jalousie et l’amertume ; il dit : Tant que le fils de Jéssé continuera de vivre, ton règne restera menacé.
À ces mots, qui ne serait ému, saisi par l’envie ? Chez quel être humain pourraient-ils ne pas corrompre l’amour, ne pas diminuer l’affection, ne pas étouffer l’amitié ? Eh bien, le jeune homme est si rempli d’amour qu’il reste fidèle au serment de l’amitié, courageux devant les menaces, patient sous les injures. En regard de l’amitié, il méprise la royauté, oublie la gloire, mais se souvient seulement de la grâce. C’est toi qui seras roi , dit-il à David, et moi, j’aurai le second rang après toi. ~
Voilà la véritable amitié, parfaite, stable, éternelle. L’envie ne peut la corrompre, ni le soupçon la diminuer, ni l’ambition la dissoudre. En butte à une telle tentation, elle demeure fidèle ; sous de tels coups de boutoir, elle reste intacte ; sous tant d’outrages, elle se montre inflexible ; déchirée par tant d’injures, elle ne bronche pas. Va, et toi aussi fait de même .
TRAITÉ SUR L'AMITIÉ SPIRITUELLE
"Si nous voulons [...] connaître la paix quand [le Christ] reviendra, efforçons-nous d'accueillir avec foi et amour sa venue passée. Demeurons fidèlement dans les oeuvres qu'il nous manifesta et nous enseigna alors. Nourrissons en nos coeurs l'amour du Seigneur, et par l'amour le désir afin que, lorsqu'il viendra, le désiré des nations, nous puissions porter les yeux sur lui en toute confiance."
(Sermon I sur la venue du Seigneur, inLectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 44)
Date de dernière mise à jour : 2019-03-19
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