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Bernard de Clairvaux quelques écrits
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
Liste des lectures
C'est votre intérêt que je m'en aille
Deux possédés sortirent du cimetière à sa rencontre
N'est-il pas le fils du charpentier ?
Un couffin plein de la miséricorde de Dieu
Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l'on appelle Christ
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur
Seigneur, que veux-tu que je fasse ?
Votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu'un seul de des petits soit perdu
Elle parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem
Guérissant toute maladie et toute infirmité
L'ignorance de ceux qui ne se convertissent pas
C'est à cause de son grand amour
O Dieu, crée pour moi un cœur pur
Les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur
Le publicain...n'osait même pas lever les yeux vers le ciel
Fête de la dédicace d'une église, fête du peuple de Dieu
Soudain viendra dans son temple le Seigneur que vous cherchez
Là où le péché s'était multiplié, la grâce a surabondé
Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie
Nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui
Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur
Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas
Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple
Répandre le parfum de la compassion sur les pieds du Christ
Tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui
Beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez
Restez éveillés et priez en tout temps
Le Fils de l'homme viendra nous prendre avec lui
Sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur
Le martyre de saint André, apôtre
C’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra
Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse
La terre entière sera remplie de la majesté de Dieu
Les anges montent et descendent
Les degrés de la contemplation
Celui qui va naître de toi sera appelé Fils de Dieu
Le monde entier attend la réponse de Marie.
Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu
Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie
Il vient à eux vers la fin de la nuit
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
« C'est votre intérêt que je m'en aille »
L'Esprit Saint a couvert la Vierge Marie de son ombre (Lc 1,35) et, le jour de la Pentecôte, il a fortifié les apôtres ; pour elle, c'était en vue d'adoucir l'effet de la venue de la divinité en son corps virginal et, chez eux, en vue de les « revêtir de la force d'en haut » (Lc 24,49), c'est-à dire de la charité la plus ardente... Comment, dans leur faiblesse, auraient-ils pu remplir leur mission de triompher de la mort sans cet « amour aussi fort que la mort » et de ne pas laisser « les portes de l'enfer prévaloir contre eux » sans cet « amour aussi inflexible que l'enfer » ? (Mt 16,18; Ct 8,6) Or, en voyant ce zèle, certains les croyaient ivres (Ac 2,13). Effectivement, ils étaient ivres, mais d'un vin nouveau..., celui que la « vraie vigne » avait laissé couler du haut du ciel, celui « qui réjouit le cœur de l'homme » (Jn 15,1; Ps 103,15)... C'était un vin nouveau pour les habitants de la terre, mais au ciel il se trouvait en abondance..., il coulait à flot dans les rues et sur les places de la cité sainte, où il répandait la joie du cœur...
Ainsi, il y avait au ciel un vin particulier que la terre ignorait. Mais la terre avait aussi quelque chose qui lui était propre et qui faisait sa gloire -- la chair du Christ -– et les cieux avaient une grande soif de la présence de cette chair. Qui pourrait empêcher cet échange si sûr et si riche en grâce entre le ciel et la terre, entre les anges et les apôtres, de sorte que la terre possède l'Esprit Saint et le ciel la chair du Christ ?... « Si je ne m'en vais pas, dit Jésus, le Défenseur ne viendra pas à vous. » C'est-à-dire, si vous ne laissez pas partir ce que vous aimez, vous n'obtiendrez pas ce que vous désirez. « C'est votre intérêt que je m'en aille » et que je vous transporte de la terre au ciel, de la chair à l'esprit ; car le Père est esprit, le Fils est esprit, et l'Esprit Saint est aussi esprit... Et le Père « qui est esprit, recherche des adorateurs qui l'adorent en esprit et en vérité » (Jn 4,23-24).
3ème sermon pour la Pentecôte
« Deux possédés sortirent du cimetière à sa rencontre »
« Je suis avec lui dans la détresse, dit le Seigneur...; je le délivrerai de ses peines et je le glorifierai » (Ps 90,15) ; « je mets mes délices à être avec les enfants des hommes » (Pr 8,31). Voilà bien l'Emmanuel, Dieu avec nous (Mt 1,23)... Il est descendu pour être près de ceux dont le cœur est en détresse, pour être avec nous dans notre détresse. Mais viendra un jour où « nous serons emportés à la rencontre du Christ sur les nuées, pour être avec le Seigneur pour toujours » (1Th 4,17), si toutefois nous nous efforçons de l'avoir toujours avec nous comme compagnon de route, lui qui nous donnera en retour la patrie. Mieux : alors lui-même il sera notre patrie, pourvu que maintenant il soit notre route.
Il est donc bon pour moi, Seigneur, d'être dans la détresse, pourvu que tu y sois avec moi ; cela me vaut mieux que de régner sans toi, de me réjouir sans toi, d'être sans toi dans la gloire. Mieux vaut pour moi de me serrer contre toi dans la détresse, de t'avoir avec moi dans le creuset, que d'être sans toi, même dans le ciel. En effet, « qu'est-ce que je souhaite dans le ciel et qu'est-ce que je désire sur la terre sinon toi ? » (Ps 72,25) « L'or est éprouvé dans la fournaise, et les justes dans l'épreuve de la détresse » (Si 2,5). C'est là que tu te tiens, au milieu de ceux qui se rassemblent en ton nom, comme autrefois les trois jeunes gens dans la fournaise de Babylone (Dn 3,92)... Pourquoi donc tremblons-nous ?... « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? » (Rm 8,31) Si Dieu nous arrache des mains de nos ennemis, qui pourra nous arracher de ses mains ?
Sermon 17 sur le psaume 90, § 4 ; PL 183, 252.
« N'est-il pas le fils du charpentier ? »
Frères, souvenez-vous du patriarche Joseph..., de qui Joseph, l'époux de Marie, n'a pas hérité seulement le nom, mais la chasteté, l'innocence et les grâces... Le premier a reçu du ciel l'intelligence des songes (Gn 40; 41) ; le second a eu non seulement la connaissance des secrets du ciel mais l'honneur d'y participer. Le premier a pourvu à la substance de tout un peuple en lui fournissant le blé en abondance (Gn 41,55) ; le second a été établi gardien du pain vivant qui doit donner la vie au monde entier comme à lui-même (Jn 6,51). Il n'y a pas de doute que Joseph, qui a été fiancé à la mère du Sauveur, n'ait été un homme bon et fidèle, ou plutôt le « serviteur sûr et avisé » (Mt 25,21) que le Seigneur a établi sur sa famille pour être la consolation de sa mère, le père nourricier de son humanité, le coopérateur fidèle de son dessein sur le monde.
Et il était de la maison de David..., descendant de la race royale, noble par sa naissance, mais plus noble encore par le cœur. Oui, il état vraiment fils de David, non seulement par le sang, mais par sa foi, par sa sainteté, par sa ferveur au service de Dieu. En Joseph, le Seigneur a trouvé vraiment, comme en David, « un homme selon son cœur » (1S 13,14), à qui il a pu confier en toute sécurité le plus grand secret de son cœur. Il lui a révélé « les intentions les plus cachées de sa Sagesse » (Ps 50,8), lui a fait connaître une merveille qu'aucun des princes de ce monde n'a connue ; il lui a accordé enfin de voir « ce que tant de rois et de prophètes ont désiré voir et n'ont pas vu », d'entendre celui que beaucoup ont désiré « entendre et qu'ils n'ont pas entendu » (Lc 10,24). Et non seulement de le voir et de l'entendre, mais de le porter en ses bras, de le conduire par la main, de le presser sur son cœur, de l'embrasser, de le nourrir et de le garder.
2ème homélie sur ces paroles de l'Évangile : « L'ange Gabriel fut envoyé », § 16
"De même qu’une petite goutte d’eau versée dans une grande quantité de vin semble ne plus exister, prenant le goût du vin et sa couleur ; et de même que le fer rougi à blanc est parfaitement semblable à du feu, ayant dépouillé sa forme première et propre ; et de même que l’air traversé par la lumière du soleil revêt l’éclat même de la lumière, au point qu’il semble non seulement illuminé mais lumière même, ainsi faudra-t-il que dans les Saints le sentiment humain se fonde, d’une certaine manière qu’il n’est pas possible de dire, se fonde tout entier dans la volonté de Dieu. Autrement, comment Dieu serait-il "tout en tous" si quelque chose de l’homme restait en l’homme ? Sa substance, certes, restera, mais en une autre forme, une autre gloire, une autre puissance."
(Traité de l’Amour de Dieu, X, 28)
Un couffin plein de la miséricorde de Dieu
"Voici que la paix n'est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. C'est comme un couffin plein de sa miséricorde que Dieu le Père a envoyé sur la terre ; oui, dis-je, un couffin que la Passion devra déchirer pour laisser se répandre ce qu'il contient : notre paix ; un couffin, peut-être petit, mais rempli. Un petit enfant nous a été donné, mais en lui habite toute la plénitude de la divinité. Lorsqu'est venue la plénitude des temps est venue aussi la plénitude de la divinité. Elle est venue dans la chair, afin de se faire voir même de ceux qui sont charnels, et que son humanité ainsi manifestée permette de reconnaître sa bonté. En effet, dès que l'humanité de Dieu se fait connaître, sa bonté ne peut plus rester cachée."
(Sermon pour l'Epiphanie, I, 1)
"Que ton amour se convertisse de sorte que tu n'aimes rien sinon le Seigneur ou bien que tu n'aimes rien que pour Dieu. Que ta crainte se tourne aussi vers lui car toute crainte qui nous fait redouter quelque chose en dehors de lui et non pas à cause de lui est mauvaise. Que ta joie et ta tristesse se convertissent à lui ; il en sera ainsi si tu ne souffres ou ne te réjouis qu'en lui. Si donc tu t'affliges pour tes propres péchés ou pour ceux du prochain, tu fais bien et ta tristesse est salutaire. Si tu te réjouis des dons de la grâce, cette joie est sainte et tu peux la goûter en paix dans l'Esprit Saint. Tu dois te réjouir, dans l'amour du Christ, des prospérités de tes frères et compatir à leurs malheurs selon cette parole : "Réjouissez-vous avec ceux qui sont dans la joie, pleurez avec ceux qui pleurent.""
(2e Sermon pour le premier jour du Carême, 2-3, 5, cité in Lectionnaire pour les dimanches et pour les fêtes de Jean-René Bouchet, p. 143).
"Vous me demanderez comment j’ai pu connaître sa présence. C’est qu’il est vivant et actif : à peine était-il en moi qu’il tira du sommeil mon âme assoupie. Mon cœur était dur comme la pierre et malade : il l’a secoué, amolli et blessé. Il se mit aussi à sarcler, à arracher, à construire, à planter, à arroser les terres arides, à illuminer les endroits obscurs et à ouvrir les chambres closes, à embraser les parties glacées ; mieux encore, il redressa les voies tortueuses et aplanit les terrains raboteux, tant et si bien que mon âme bénit le Seigneur et que tout moi-même se prit à chanter les louanges de son saint nom."
(Homélies sur le Cantique des Cantiques, 74, 6).
"Frères, vous à qui le Seigneur, comme à des petits, révèle ce qui est caché aux sages et aux habiles, vous devez appliquer votre pensée à ce qui concerne vraiment le salut et trouver le sens de cet avent : Cherchez donc quel est celui qui vient, d'où et de qui il vient, cherchez aussi le motif de sa venue. Cette curiosité est sans aucun doute louable et salutaire : l'Eglise ne célèbrerait pas le présent Avent avec tant de ferveur s'il ne recélait en lui quelque grand sacrement. Et tout d'abord, avec l'Apôtre stupéfait et plein d'admiration, regardez vous aussi celui qui fait son entrée : Il est, au témoignage de Gabriel, le Fils du Très-Haut, Très-Haut lui-même. Vous avez entendu, frères, quel est celui qui vient, écoutez, maintenant, d'où il vient et où il va. Il vient du coeur de Dieu le Père dans le sein de la Vierge Mère. Il vient du plus haut des cieux jusqu'aux régions inférieures de la terre."
(1er sermon pour l'Avent, 1, cité d'après le Lectionnaire pour les dimanches et fêtes de Jean-René Bouchet, Cerf, 1994, pp. 34 ).
"Il doit en être du pécheur par rapport à son Créateur, comme du malade par rapport à son médecin, et tout pécheur doit prier Dieu comme un malade prie son médecin. Mais la prière du pécheur rencontre deux obstacles, l'excès ou l'absence de lumière. Celui qui ne voit ni ne confesse point ses péchés est privé de toute lumière; au contraire celui qui les voit, mais si grands qu'il désespère du pardon, est offusqué par un excès de lumière : ni l'un ni l'autre ne prient. Que faire donc ? Il faut tempérer la lumière, afin que le pécheur voie ses péchés, les confesse, et prie pour eux afin d'en obtenir la rémission. Il faut donc d'abord qu'il prie avec un sentiment de confusion, c'est ce qui a lieu quand le pécheur n'ose point encore s'approcher lui-même de Dieu et cherche quelque homme saint, quelque saint pauvre d'esprit qui soit comme la frange du manteau du Seigneur, et par qui il puisse s'approcher de lui."
(107e sermon "sur les sentiments qu'il faut avoir dans la prière")
"...qui pourra se faire une juste idée de la gloire au sein de laquelle la reine du monde s'est avancée aujourd'hui, de l'empressement plein d'amour avec lequel toute la multitude des légions célestes s'est portée à sa rencontre ? Au milieu de quels cantiques de gloire elle a été conduite à son trône, avec quel visage paisible, quel air serein, quels joyeux embrassements, elle a été accueillie par son Fils, élevée par lui au-dessus de toutes les créatures avec tout l'honneur dont une telle mère est digne, et avec toute la pompe et l'éclat qui conviennent à un tel Fils ? Sans doute, les baisers que la Vierge mère recevait des lèvres de Jésus à la mamelle, quand elle lui souriait sur son sein virginal, étaient pleins de bonheur pour elle, mais je ne crois pas qu'ils l'aient été plus que ceux qu'elle reçoit aujourd'hui du même Jésus assis sur le trône de son Père, au moment heureux où il salue son arrivée, alors qu'elle monte elle-même à son trône de gloire, en chantant l'épithalame et en disant : "Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche." Qui pourra raconter la génération du Christ et l'Assomption de Marie ? Elle se trouve dans les cieux comblée d'une gloire d'autant plus singulière que, sur la terre, elle a obtenu une grâce plus insigne que toutes les autres femmes. Si l'œil n'a point vu, si l'oreille n'a point entendu, si le cœur de l'homme n'a point connu dans ses aspirations ce que le Seigneur a préparé à ceux qui l'aiment, qui pourrait dire ce qu'il a préparé à celle qui l'a enfanté, et, ce qui ne peut être douteux pour personne, qui l'aime plus que tous les hommes ? Heureuse est Marie, mille fois heureuse est-elle, soit quand elle reçoit le Sauveur, soit quand elle est elle-même reçue par lui; dans l'un et dans l'antre cas, la dignité de la Vierge Marie est admirable, et la faveur dont la majesté divine l'honore, digne de nos louanges."
(1er Sermon sur l'Assomption de la Vierge Marie, 4)
« Marie, de laquelle fut engendré Jésus, que l'on appelle Christ »
« Le nom de la vierge était Marie » (Lc 1,27). Ce nom signifie, dit-on, « étoile de la mer », et il convient admirablement à la Vierge mère. Rien n'est plus juste que de la comparer à une étoile qui donne ses rayons sans être altérée, comme elle enfante son fils sans dommage à son corps vierge. Elle est bien cette noble « étoile issue de Jacob » (Nb 24,17), dont la splendeur illumine le monde entier, qui brille dans les cieux et pénètre jusqu'aux enfers... Elle est vraiment cette étoile belle et admirable qui devait se lever au-dessus de la mer immense, étincelante de mérites, éclairant par son exemple.
Vous tous, qui que vous soyez, qui vous sentez aujourd'hui en pleine mer, secoués par l'orage et la tempête, loin de la terre ferme, gardez vos yeux sur la lumière de cette étoile, pour éviter le naufrage. Si les vents de la tentation se lèvent, si tu vois approcher l'écueil de l'épreuve, regarde l'étoile, invoque Marie ! Si tu es ballotté par les vagues de l'orgueil, de l'ambition, de la médisance ou de la jalousie, lève les yeux vers l'étoile, invoque Marie... Si tu es troublé par la grandeur de tes péchés, humilié par la honte de ta conscience, épouvanté par la crainte du jugement, si tu es sur le point de sombrer dans le gouffre de la tristesse et du désespoir, pense à Marie. Dans le péril, l'angoisse, le doute, pense à Marie, invoque Marie !
Que son nom ne quitte jamais tes lèvres ni ton cœur... En la suivant, tu ne t'égareras pas ; en la priant, tu désespéreras pas ; en pensant à elle, tu éviteras toute fausse route. Si elle te tient par la main, tu ne sombreras pas ; si elle te protège, tu ne craindras rien ; sous sa conduite, tu ignoreras la fatigue ; sous sa protection, tu arriveras jusqu'au but. Et tu comprendras par ta propre expérience combien sont justes ces paroles : « Le nom de la vierge était Marie ».
Homélies sur ces paroles de l'Évangile : « L'ange fut envoyé », n°2, 17
« Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur »
J'ai lu que Dieu est amour (1Jn 4,16), non pas qu'il serait honneur ou dignité. Ce n'est pas que Dieu ne veut pas être honoré, puisqu'il dit : « Si je suis votre père, où est l'honneur qui me revient ? » (Ml 1,6) Il parle là en père. Mais s'il se montrait époux, je pense qu'il changerait de discours et dirait : « Si je suis votre époux, où est l'amour qui m'est dû ? » Car déjà il avait dit : « Si je suis votre Seigneur, où est la crainte que vous me devez ? » (ibid.) Il demande donc d'être respecté comme Seigneur, honoré comme Père, aimé comme Époux.
Entre ces trois sentiments, lequel a le plus de prix ? L'amour, sans aucun doute. Car sans amour, le respect est pénible et l'honneur reste sans retour. La crainte est servile, tant que l'amour ne vient pas l'affranchir, et un honneur qui n'est pas inspiré par l'amour n'est pas honneur, il est adulation. A Dieu seul, certes, honneur et gloire, mais Dieu ne les accepte qu'assaisonnés du miel de l'amour.
L'amour se suffit, il plaît par lui-même, il est son propre mérite et sa propre récompense. L'amour ne veut pas d'autre cause, pas d'autre fruit que lui-même. Son vrai fruit, c'est d'être. J'aime parce que j'aime. J'aime pour aimer... De tous les mouvements de l'âme, de ses sentiments et de ses affections, l'amour est le seul qui permette à la créature de répondre à son créateur, sinon d'égal à égal, du moins de semblable à semblable (cf Gn 1,26).
Sermons sur le Cantique des Cantiques, n°83 (trad. Œuvres mystiques, p. 849 rev.)
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
« Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
C'est avec raison, frères bien-aimés, que la conversion de « celui qui enseigne les nations » (1Tm 2,7) est une fête que tous les peuples célèbrent aujourd'hui avec joie. En effet nombreux sont les surgeons qui ont poussé de cette racine ; une fois converti, Paul est devenu l'instrument de la conversion du monde entier. Autrefois, lorsqu'il vivait encore dans la chair mais non selon la chair (cf Rm 8,5s), il a converti beaucoup à Dieu par sa prédication ; aujourd'hui encore, alors qu'il vit en Dieu une vie plus heureuse, il ne cesse de travailler à la conversion des hommes par son exemple, sa prière et sa doctrine...
Cette fête est une grande source de biens pour ceux qui la célèbrent... Comment désespérer, quelle que soit l'énormité de nos fautes, quand on entend que « Saul, ne respirant encore que menace et meurtre contre les disciples du Seigneur » a été changé soudainement en « un instrument de choix » ? (Ac 9,1.15) Qui pourrait dire, sous le poids de son péché : « Je ne peux pas me relever pour mener une vie meilleure », alors que, sur la route même où le conduisait son cœur assoiffé de haine, le persécuteur acharné est devenu subitement un prédicateur fidèle ? Cette seule conversion nous montre en un jour magnifique la grandeur de la miséricorde de Dieu et la puissance de sa grâce...
Voilà bien, mes frères, un modèle parfait de conversion : « Mon cœur est prêt, Seigneur, mon cœur est prêt... Que veux-tu que je fasse ? » (Ps 56,8; Ac 9,6) Parole brève, mais combien pleine, vivante, efficace et digne d'être exaucée ! Qu'il se trouve peu de gens dans cette disposition d'obéissance parfaite, qui aient renoncé à leur volonté au point que leur cœur même ne leur appartienne plus. Qu'il se trouve bien peu de gens qui à chaque instant cherchent non pas ce qu'ils veulent eux-mêmes mais ce que Dieu veut et qui lui disent sans cesse : « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »
1er Sermon pour la fête de la conversion de saint Paul, 1, 6 ; PL 183, 359 (trad. cf Orval)
« Votre Père qui est aux cieux ne veut pas qu'un seul de des petits soit perdu »
« Voici que le nom du Seigneur vient de loin » dit le prophète (Is 30,27). Qui pourrait en douter ? Il fallait à l'origine quelque chose de grand pour que la majesté de Dieu daigne descendre de si loin en un séjour si indigne d'elle. Oui, effectivement, il y avait là quelque chose de grand : sa grande miséricorde, son immense compassion, sa charité abondante. En effet, dans quel but croyons-nous que le Christ est venu ? Nous le trouverons sans peine puisque ses propres paroles et ses propres œuvres nous dévoilent clairement la raison de sa venue. Il est venu en toute hâte des montagnes pour chercher la centième brebis égarée.
Il est venu à cause de nous pour que les miséricordes du Seigneur apparaissent avec plus d'évidence, ainsi que ses merveilles à l'égard des enfants des hommes (Ps 106,8). Admirable condescendance de Dieu qui nous cherche, et grande dignité de l'homme ainsi recherché ! Si celui-ci veut s'en glorifier, il peut le faire sans folie, non que de lui-même il puisse être quelque chose, mais parce que celui qui l'a créé l'a fait si grand. En effet, toutes les richesses, toute la gloire de ce monde et tout ce qu'on peut y désirer, tout cela est peu de chose et même n'est rien en comparaison de cette gloire-là. « Qu'est-ce donc que l'homme, Seigneur, pour en faire si grand cas, pour fixer sur lui ton attention ? » (Jb 7,17)
Sermon 1 pour l'Avent, 7-8 (trad. Orval)
« Elle parlait de l'enfant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem »
O Rameau de Jessé, toi qui es un signe pour tous les peuples, « combien de rois et de prophètes ont désiré te voir et ne t'ont pas vu ». Heureux celui qui dans sa vieillesse a été comblé du don divin de ta vue ! Il a tremblé du désir de voir le signe ; « il l'a vu et il a été dans la joie ». Ayant reçu le baiser de paix, il a quitté ce monde la paix au cœur, mais non sans avoir proclamé que Jésus était né pour être un signe de contradiction. Et cela s'est accompli : à peine apparu, le signe de paix a été contredit -- mais par ceux qui ont la paix en haine. Car il est « la paix pour les hommes de bonne volonté », mais pour les mal intentionnés « une pierre d'achoppement ». Hérode, lui, « se troubla et tout Jérusalem avec lui ». Le Seigneur est venu chez lui, « mais les siens ne l'ont pas reçu ». Heureux les pauvres bergers qui, veillant dans la nuit, ont été jugés dignes de voir ce signe !
En ce temps-là déjà, il se cachait aux prétendus sages et prudents, mais il se révélait aux humbles. Aux bergers l'ange a dit : « Voici pour vous un signe ». Il est pour vous, les humbles et les obéissants, pour vous qui ne vous targuez pas de science orgueilleuse mais qui veillez « jour et nuit, méditant la loi de Dieu ». Voici votre signe ! Celui que promettaient les anges, celui que réclamaient les peuples, celui qu'avaient prédit les prophètes ; maintenant Dieu l'a fait et il vous le montre...
Voici donc votre signe, mais signe de quoi ? De pardon, de grâce, de paix, d'une « paix qui n'aura plus de fin ». « Voici votre signe : un enfant enveloppé de langes et couché dans une crèche. » Mais Dieu est en lui, se réconciliant le monde... C'est le baiser de Dieu, le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus homme et Christ, vivant et régnant pour les siècles.
(Références bibliques : Is 11,10; Lc 10,24; Lc 2,30; Jn 8,56; Lc 2,14; Lc 2,34; Jn 1,11; Mt 11,25; Lc 2,12; Ps 1,2; Is 9,6; 1Tm 2,5)
2ème homélie sur le Cantique des Cantiques, §8 (trad. Seuil 1953, p. 98)
« Guérissant toute maladie et toute infirmité »
Frères, vous connaissez celui qui vient ; considérez maintenant d'où il vient et où il va. Il vient du coeur de Dieu le Père dans le sein d'une Vierge Mère. Il vient des hauteurs du ciel dans les régions inférieures de la terre. Quoi donc ? Ne nous faut-il pas vivre sur cette terre ? Oui, s'il y demeure lui-même ; car où serons-nous bien sans lui ? « Qu'y a-t-il pour moi au ciel, qu'ai-je voulu sur la terre, sinon toi, le Dieu de mon coeur, mon partage à jamais ? » (Ps 72,25-26)...
Mais il fallait qu'un grand intérêt soit en cause pour qu'une majesté si haute daigne descendre de si loin en un séjour si indigne d'elle. Oui, il y avait là un grand intérêt en jeu, puisque là, la miséricorde, la bonté, la charité se sont manifestées dans une large et abondante mesure. Pourquoi en effet Jésus Christ est-il venu ?... Ses paroles et ses oeuvres nous le montrent clairement : il est venu en toute hâte des montagnes pour chercher la centième brebis, celle qui était perdue, pour faire éclater sa miséricorde à l'égard des enfants des hommes.
Il est venu pour nous. Admirable condescendance du Dieu qui cherche ! Admirable dignité de l'homme ainsi cherché ! L'homme peut s'en glorifier sans folie : non que de lui-même il soit quelque chose, mais celui qui l'a fait l'a estimé à un si haut prix ! En comparaison de cette gloire, les richesses et la gloire du monde et tout ce que l'on peut y ambitionner ne sont rien. Qu'est-ce que l'homme, Seigneur, pour que tu l'élèves ainsi et que tu y attaches ton coeur ?
C'était à nous à aller vers Jésus Christ... Or un double obstacle nous arrêtait : nos yeux étaient bien malades, et Dieu habite la lumière inaccessible (1Tm 6,16). Paralytiques gisant sur notre grabat, nous étions incapables d'atteindre la demeure si élevée de Dieu. C'est pourquoi le très bon Sauveur et doux médecin des âmes est descendu de là-haut où il habite. Il a adouci pour nos yeux malades l'éclat de sa lumière.
1er sermon pour l'Avent
« Il n'y a que cet étranger ! »
Il est heureux, ce lépreux samaritain qui reconnaissait qu'il « n'avait rien qu'il n'ait reçu » (1Co 4,7). Il a « sauvegardé ce qui lui avait été confié » (2Tm 1,12) et il est revenu vers le Seigneur en lui rendant grâces. Heureux celui qui, à chaque don de la grâce, revient à celui en qui se trouve la plénitude de toutes les grâces, car si nous nous montrons reconnaissants à son égard pour tout ce que nous avons reçu, nous préparons en nous la place à la grâce...en plus grande abondance. En effet, il n'y a que notre ingratitude qui arrête nos progrès après notre conversion...
Heureux donc celui qui se regarde comme un étranger, et qui rend de grandes actions de grâces même pour les moindres bienfaits, dans la pensée que tout ce qu'on donne à un étranger et à un inconnu est un don purement gratuit. Au contraire, que nous sommes malheureux et misérables lorsque, après nous être montrés d'abord timorés, humbles et dévots, nous oublions ensuite combien était gratuit ce que nous avons reçu...
Je vous en prie donc, mes frères, tenons-nous de plus en plus humblement sous la main puissante de Dieu (1P 5,6)... Tenons-nous avec une grande dévotion dans l'action de grâces, et il nous accordera la grâce qui seule peut sauver nos âmes. Montrons notre reconnaissance, non seulement en paroles et du bout des lèvres, mais par les oeuvres et en vérité.
Sermons divers, n°27
L'ignorance de ceux qui ne se convertissent pas
L'apôtre Paul dit : « Quelques uns sont dans l'ignorance de Dieu » (1Co 15,34). Je dis, moi, que sont dans cette ignorance tous ceux qui ne veulent pas se convertir à Dieu. Car ils refusent cette conversion pour l'unique raison qu'ils imaginent solennel et sévère ce Dieu qui est toute douceur ; ils imaginent dur et implacable celui qui n'est que miséricorde ; ils pensent violent et terrible celui qui ne désire que notre adoration. Ainsi l'impie se ment à lui-même en se fabriquant une idole au lieu de connaître Dieu tel qu'il est.
Que craignent ces gens de peu de foi ? Que Dieu ne veuille pas pardonner leurs péchés ? Mais de ses propres mains, il les a cloués à la croix. Que craignent-ils donc encore ? D'être eux-mêmes faibles et vulnérables ? Mais il connaît bien l'argile dont il nous a faits. De quoi ont-ils donc peur ? D'être trop accoutumés au mal pour délier les chaînes de l'habitude ? Mais le Seigneur a libéré ceux qui étaient dans les fers (Ps 145,7). Craignent-ils donc que Dieu, irrité par l'immensité de leurs fautes, hésite à leur tendre une main secourable ? Mais là où abonde le péché, la grâce surabonde (Rm 5,20). Ou encore, l'inquiétude pour leurs vêtements, la nourriture ou les autres besoins de leur vie, les empêche-t-elle de quitter leurs biens ? Mais Dieu sait que nous avons besoin de tout cela (Mt 6,32). Que veulent-ils de plus? Qu'est-ce qui fait obstacle à leur salut ? C'est qu'ils ignorent Dieu, qu'ils ne croient pas à nos paroles. Qu'ils se fient donc à l'expérience d'autrui.
Sermon 38 sur le Cantique des Cantiques (trad. Béguin, Seuil 1953, p. 442 rev.)
« C'est à cause de son grand amour »
« Qu'il me donne un baiser de sa bouche. » (Ct 1,2) Qui parle ainsi ? L'épouse [du Cantique des cantiques]. Et qui est cette épouse? L'âme assoiffée de Dieu. Et à qui parle-t-elle? A son Dieu... On ne saurait trouver de noms plus tendres, pour exprimer la tendresse réciproque de Dieu et de l'âme, que ceux d'Époux et d'épouse. Tout leur est commun, ils ne possèdent rien en propre ni à part. Unique est leur héritage, unique leur table, unique leur maison, unique même la chair qu'ensemble ils constituent (Gn 2,24)...
Si donc le mot aimer convient spécialement et en premier lieu aux époux, ce n'est pas sans de bonnes raisons qu'on donne le nom d'épouse à l'âme qui aime Dieu. La preuve qu'elle aime, c'est qu'elle demande à Dieu un baiser. Elle ne souhaite ni la liberté, ni une récompense, ni un héritage, ni même un enseignement, mais un baiser, à la manière d'une chaste épouse, soulevée par un saint amour et incapable de cacher la flamme dont elle brûle...
Oui, son amour est chaste puisqu'elle désire seulement celui qu'elle aime, et non quelque chose qui serait à lui. Son amour est saint, puisqu'elle aime non pas dans un désir lourd de la chair mais dans la pureté de l'esprit. Son amour est ardent, puisqu'enivrée de cet amour même, elle en oublie la grandeur de Celui qu'elle aime. N'est-ce pas lui, en effet, qui d'un regard fait trembler la terre ? (Ps 103,32) Et c'est à lui qu'elle demande un baiser ? N'est-elle pas ivre ? Oui, elle est ivre d'amour pour son Dieu... Quelle force dans l'amour! Quelle confiance et quelle liberté dans l'Esprit! Comment manifester plus clairement que « l'amour parfait bannit la crainte » ? (1Jn 4,18)
Sermon 7 sur le Cantique des cantiques
« O Dieu, crée pour moi un coeur pur » (Ps 50,12)
« Déchirez vos coeurs, dit le prophète, et non vos vêtements ». Quel est celui parmi vous dont la volonté est particulièrement sujette à l'entêtement ? Qu'il déchire son coeur avec le glaive de l'Esprit qui n'est autre que la Parole de Dieu. Qu'il le déchire et qu'il le réduise en poussière, car on ne peut se convertir au Seigneur qu'avec un coeur brisé... Écoute un homme que Dieu a trouvé selon son coeur : « Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt ». Il est prêt pour l'adversité, il est prêt pour la prospérité, il est prêt pour les choses humbles, il est prêt pour celles qui sont élevées, il est prêt pour ce que tu ordonneras... « Mon coeur est prêt, ô Dieu, mon coeur est prêt. » Qui est, comme David, prêt à sortir et à entrer et à marcher selon la volonté du Roi ?
(Références bibliques : Jl 2,13; Ep 6,17; Ps 50,19; Ps 56,8; 2S 5,2)
2ème sermon pour le 1er jour du Carême, 5 ; PL 183, 172-174 (trad. Bouchet, Lectionnaire, p. 143)
Quand le Sauveur est-il venu ? Il n'est pas venu au commencement du temps, ni au milieu, mais à la fin. Et cela, il ne l'a pas fait sans raison. Mais très sagement, la Sagesse divine, qui n'ignorait pas que les fils d'Adam sont portés à l'ingratitude, a disposé qu'elle ne leur apporterait ses premiers secours que lorsqu'ils seraient dans le plus grand besoin.
Déjà, en vérité, « le soir tombait et le jour baissait », « le soleil de la justice » avait à peu près disparu (Lc 24,29; Ml 3,20) ; il ne répandait plus sur terre qu'une lueur incertaine et une faible chaleur. De fait, la lumière de la connaissance de Dieu s'était bien amoindrie et la chaleur de la charité refroidie, par suite de l'iniquité croissante (Mt 24,12). Il n'y avait plus d'apparition d'anges, plus d'oracles de prophètes ; ils avaient pris fin, comme vaincus par le désespoir devant l'extrême endurcissement des hommes et leur obstination. C'est alors que le Fils affirma : « Maintenant je dis : Voici que je viens » (Ps 39,8). Oui, à l'heure où tout reposait en silence et que la nuit était au milieu de sa course, ta Parole toute-puissante, Seigneur, est descendue du ciel, de son trône royal (Sg 18,14). Comme le dit l'apôtre Paul : « Quand est venue la plénitude des temps, Dieu a envoyé son Fils » (Ga 4,4).
Sermon 1 pour l'Avent (trad. cf. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 137)
« J'ai prié pour toi, afin que ta foi ne sombre pas. Toi donc, quand tu seras revenu, affermis tes frères » (Lc 22,32)
Le Christ Médiateur « n'a pas commis de péché et sa bouche n'a pas prononcé de mensonge » (1P 2,22). Comment oserais-je m'approcher de lui, moi pécheur, très grand pécheur, dont les péchés sont plus nombreux que le sable de la mer ? Il est tout ce qu'il y a de plus pur, et moi, de plus impur... C'est pour cela que Dieu m'a donné ces apôtres, qui sont des hommes et des pécheurs, et de très grands pécheurs, qui ont appris en eux-mêmes et par leur propre expérience à quel point ils devaient être miséricordieux envers les autres. Coupables de grandes fautes, ils accorderont aux grandes fautes un pardon facile et ils nous rendront la mesure qui a servi pour eux (cf Lc 6,38).
L'apôtre Pierre a commis un grand péché, peut-être même n'y en a-t-il pas de plus grand. Il en a reçu un pardon aussi prompt que facile, à tel point qu'il n'a rien perdu du privilège de sa primauté. Et Paul, qui avait déchaîné une fureur sans borne contre l'Église naissante, est amené à la foi par l'appel du Fils de Dieu lui-même. En retour de tant de maux, il est comblé de si grands biens qu'il devient « l'instrument choisi pour porter le nom du Seigneur devant les nations, les rois et les enfants d'Israël » (Ac 9,15)...
Pierre et Paul sont nos maîtres : ils ont pleinement appris du seul Maître de tous les hommes les chemins de la vie, et ils nous instruisent encore aujourd'hui.
Premier sermon pour la fête des Ss. Pierre et Paul, 1,3,5 (trad. Orval)
Frères, nous devons veiller à ce que la Parole sortie de la bouche du Père et venue jusqu'à nous par l'intermédiaire de la Vierge Marie ne s'en retourne pas vide (cf Is 55,11), mais à ce que nous lui rendions grâce pour grâce, par cette même Vierge. Sans arrêt donc ramenons à notre esprit le souvenir du Père, aussi longtemps que nous serons réduits à soupirer après sa présence. Faisons remonter à leur source les flots de la grâce, afin qu'ils en reviennent plus abondants...
Vous gardez le Seigneur à l'esprit : alors ne vous taisez pas, ne gardez pas le silence à son égard. Ceux qui vivent déjà en sa présence n'ont pas besoin de cet avertissement...; mais ceux qui vivent encore dans la foi doivent être exhortés à ne pas répondre à Dieu par le silence. Car « le Seigneur parle, il adresse des paroles de paix à son peuple », à ses saints, à ceux qui rentrent en eux-mêmes (Ps 84,9). Il écoute ceux qui l'écoutent ; il parlera à ceux qui lui parlent. Autrement lui aussi, il gardera le silence, si vous vous taisez, si vous ne le glorifiez pas. « Ne vous taisez donc pas, ne répondez pas au Seigneur par le silence, jusqu'à ce qu'il restaure Jérusalem et l'érige en gloire sur la terre » (Is 62,6-7). Car la louange de Jérusalem est douce et belle...
Mais, quelle que soit l'offrande que vous présentez à Dieu, souvenez-vous de la confier à Marie, afin que la grâce remonte à sa source par le même canal qui nous l'a apportée... Ayez bien soin de présenter à Dieu le peu que vous avez à lui offrir par les mains de Marie, ces mains très pures et dignes de recevoir le meilleur accueil.
Sermon pour la Nativité de Marie « L'Aqueduc », §13, 18 (trad. Œuvres mystiques, Seuil 1953, p. 892 rev.)
« Les parents de Jésus le portèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur »
Offre ton fils, Vierge sainte, et présente au Seigneur le fruit béni de ton sein (Lc 1,42). Offre pour notre réconciliation à tous la victime sainte qui plaît à Dieu. Dieu acceptera sans aucun doute cette offrande nouvelle, cette victime de grand prix, dont il a dit lui-même : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé ; en lui j'ai mis tout mon amour » (Mt 3,17).
Mais cette offrande, frères, semble assez douce : elle est seulement présentée au Seigneur, rachetée par des colombes et remportée aussitôt. Viendra le jour où ce Fils ne sera plus offert au Temple, ni dans les bras de Syméon, mais hors de la cité, dans les bras de la croix. Viendra le jour où il ne sera plus racheté par le sang d'une victime, mais où il rachètera les autres par son propre sang... Ce sera le sacrifice du soir. Celui-ci est le sacrifice du matin : il est joyeux. Mais celui-là sera plus total, offert non au temps de la naissance mais dans la plénitude de l'âge. À l'un et à l'autre peut s'appliquer ce qu'avait prédit le prophète : « Il s'est offert, parce que lui-même l'a voulu » (Is 53,7 Vulg). Aujourd'hui en effet, il s'est offert non parce qu'il avait besoin de l'être, non parce qu'il était sujet de la Loi, mais parce que lui-même l'a voulu. Et sur la croix de même, il s'offrira non parce qu'il avait mérité la mort, non parce que ses ennemis avaient pouvoir sur lui, mais parce que lui-même l'a voulu.
C'est donc « volontairement que je t'offrirai un sacrifice », Seigneur (Ps 53,8), parce que c'est volontairement que tu t'es offert pour mon salut... Nous aussi, frères, offrons-lui ce que nous avons de meilleur, c'est à dire nous-mêmes. Lui, il s'est offert lui-même, et toi, qui es-tu pour hésiter à t'offrir tout entier ?
3e Sermon pour la Présentation, §2
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
Chercher la sagesse.
Travaillons pour une nourriture qui ne périt pas, travaillons à l'œuvre de notre salut. Travaillons dans la vigne du Seigneur pour obtenir le denier — le salaire de la journée. Travaillons dans la sagesse, elle qui dit : Ceux qui travaillent en moi ne pécheront pas. Le champ, c'est le monde, dit la Vérité, creusons-le. Un trésor y est caché, trouvons-le c'est la sagesse, elle que l'on tire des profondeurs cachées. Tous, nous le cherchons, tous, nous le désirons.
Si vous cherchez, cherchez bien , dit le prophète : convertissez-vous et venez . Tu te demandes de quoi il faut te convertir ? Détourne-toi de ta volonté propre , est-il écrit. Mais, dis-tu, si je ne trouve pas la sagesse dans ma volonté propre, où la trouverai-je ? Mon âme, en effet, la désire avec force, et s'il lui arrive de la trouver, elle ne se contentera pas de cela, mais elle en voudra une mesure bien pleine, tassée, secouée, débordante , que je puisse verser dans mon tablier . Elle a raison, certes : Heureux en effet l'homme qui a trouvé la sagesse et qui acquiert l'intelligence . Cherche-la donc tant qu'on peut la trouver, et tant qu'elle est proche, appelle-la. Tu veux savoir à quel point elle est proche ? La Parole est près de toi, dans ta bouche et dans ton cœur , mais seulement à la condition que tu la recherches d'un cœur droit. De la sorte, tu trouveras la sagesse avec ton cœur, et l'intelligence abondera dans ta bouche. Qu'elle y abonde, oui, mais qu'elle n'en déborde pas : prends garde de ne pas la vomir !
C'est vraiment du miel que tu as trouvé, en trouvant la sagesse. Pourtant n'en mange pas trop, pour ne pas la vomir d'écœurement. Manges-en de manière à rester toujours sur ta faim. Car c'est elle qui dit : Ceux qui me mangent auront encore faim . Ne va pas estimer comme une grande quantité ce que tu as ; ne t'en gorge pas pour ne pas la vomir : cela même que tu parais avoir te serait enlevé, car avant qu'il ne soit temps tu te serais arrêté dans ta recherche. Or, tant qu'on peut la trouver, tant qu'elle est proche, il ne faut cesser de la chercher et de l'appeler. Sinon il en sera comme de celui qui mange beaucoup de miel : Salomon lui-même le dit bien : Cela ne lui vaut rien, car celui qui aura cherché sans discrétion la majesté sera écrasé par la gloire.
En effet, de même qu'il est écrit : Heureux l'homme qui a trouvé la sagesse , de même : Heureux l'homme , et même plus heureux, s'il persévère dans la sagesse , et de fait, c'est peut-être bien en cela que consiste son abondance.
Voilà les trois manières dont tu peux avoir la bouche pleine de sagesse et d'intelligence : d'abord par l'aveu de ta propre injustice, ensuite par l'action de grâce et la proclamation de la louange, enfin par une parole qui édifie. Car celui qui croit du fond de son cœur devient juste, celui qui, de sa bouche, affirme sa foi, parvient au salut. C'est vrai d'ailleurs : Dès qu'il se met à parler, le juste se fait son propre accusateur . En deuxième lieu, il faut qu'il exalte le Seigneur, et en troisième lieu (s'il lui reste encore de la sagesse), il doit édifier son prochain.
http://www.aelf.org/
« Alors ils jeûneront »
Pourquoi le jeûne du Christ ne serait-il pas commun à tous les chrétiens ? Pourquoi les membres ne suivraient-ils pas leur Tête ? (Col 1,18). Si nous avons reçu les biens de cette Tête, n'en supporterions-nous pas les maux ? Voulons-nous rejeter sa tristesse et communier à ses joies ? S'il en est ainsi, nous nous montrons indignes de faire corps avec cette Tête. Car tout ce qu'il a souffert, c'est pour nous. Si nous répugnons à collaborer à l'oeuvre de notre salut, en quoi nous montrerons-nous ses aides ? Jeûner avec le Christ est peu de chose pour celui qui doit s'asseoir avec lui à la table du Père. Heureux le membre qui aura adhéré en tout à cette Tête et l'aura suivie partout où elle ira (Ap 14,4). Autrement, s'il venait à en être coupé et séparé, il sera forcément privé aussitôt du souffle de vie...
Pour moi, adhérer complètement à toi est un bien, ô Tête glorieuse et bénie dans les siècles, sur laquelle les anges aussi se penchent avec convoitise (1P 1,12). Je te suivrai partout où tu iras. Si tu passes par le feu, je ne me séparerai pas de toi, et ne craindrai aucun mal, car tu es avec moi (Ps 22,4). Tu portes mes douleurs et tu souffres pour moi. Toi, le premier, tu es passé par l'étroit passage de la souffrance pour offrir une large entrée aux membres qui te suivent. Qui nous séparera de l'amour du Christ ? (Rm 8,35)... Cet amour est le parfum qui descend de la Tête sur la barbe, qui descend aussi sur l'encolure du vêtement, pour en oindre jusqu'au plus petit fil (Ps 132,2). Dans la Tête se trouve la plénitude des grâces, et d'elle nous la recevons tous. Dans la Tête est toute la miséricorde, dans la Tête le débordement des parfums spirituels, comme il est écrit : « Dieu t'a oint d'une huile de joie » (Ps 44,8)...
Et nous, qu'est-ce que l'évangile nous demande en ce début du carême ? « Toi, dit-il, quand tu jeûnes, oins de parfum ta tête » (Mt 16,17). Admirable condescendance ! L'Esprit du Seigneur est sur lui, il en a été oint (Lc 4,18), et pourtant, pour évangéliser les pauvres, il leur dit : « Oins de parfum ta tête ».
Sermon 1 pour le premier jour du carême,1,3,6 (trad Brésard, 2000 ans B, p. 84)
« En ce temps déjà, le centuple »
« Semez dans la justice, dit le Seigneur, et récoltez l’espérance de la vie ». Il ne vous renvoie pas au dernier jour, où tout vous sera donné réellement et non plus en espérance ; il parle du présent. Certes, notre joie sera grande, notre allégresse infinie, lorsque commencera la vraie vie. Mais déjà l’espérance d’une si grande joie ne peut pas être sans joie. « Réjouissez-vous dans l’espérance », dit l’apôtre Paul (Rm 12,12). Et David ne dit pas qu’il sera dans la joie, mais qu’il y a été le jour où il a espéré entrer dans la maison du Seigneur (Ps 121,1). Il ne possédait pas encore la vie, mais déjà il avait moissonné l’espérance de
Quiconque parmi vous, après les commencements amers de la conversion, a le bonheur de se voir soulagé par l’espérance des biens qu’il attend…a récolté dès maintenant le fruit de ses larmes. Il a vu Dieu et l’a entendu dire : « Donnez-lui les fruits de ses oeuvres » (Pr 31,31). Comment celui qui a « goûté et vu combien le Seigneur est doux » (Ps 33,9) n’aurait-il pas vu Dieu ? Le Seigneur Jésus paraît bien doux à celui qui reçoit de lui non seulement la rémission de ses fautes, mais encore le don de sainteté et, mieux encore, la promesse de la vie éternelle. Heureux celui qui a déjà fait une aussi belle moisson… Le prophète dit vrai : « Ceux qui sèment dans les larmes récolteront dans la joie » (Ps 125,5)… Aucun profit ni honneur terrestre ne nous paraîtra au-dessus de notre espérance et de cette joie d'espérer, désormais profondément enracinée dans nos coeurs : « L'espérance ne trompe pas, car l'amour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » (Rm 5,5).
Sermon 37 sur le Cantique des Cantiques
« Le publicain...n'osait même pas lever les yeux vers le ciel »
Quel est le vase où la grâce se déverse de préférence ? Si la confiance est faite pour recevoir en elle la miséricorde, et la patience pour recueillir la justice, quel récipient pourrons-nous proposer qui soit apte à recevoir la grâce ? Il s'agit d'un baume très pur et il lui faut un vase très solide. Or quoi de plus pur et quoi de plus solide que l'humilité du coeur ? C'est pourquoi Dieu « donne sa grâce aux humbles » (Jc 4,6) ; c'est à juste titre qu'il « a posé son regard sur l'humilité de sa servante » (Lc 1,48). À juste titre parce qu'un coeur humble ne se laisse pas occuper par le mérite humain et que la plénitude de la grâce peut s'y répandre d'autant plus librement...
Avez-vous observé ce pharisien en prière ? Il n'était ni un voleur, ni injuste, ni adultère. Il ne négligeait pas non plus
3e sermon sur l'Annonciation, 9-10
Fête de la dédicace d'une église, fête du peuple de Dieu
Aujourd'hui, mes frères, nous célébrons une grande fête ; c'est la fête de la maison du Seigneur, du temple de Dieu, de la cité du Roi éternel, de l'Epouse du Christ... Demandons-nous maintenant ce que peut bien être la maison de Dieu, son temple, sa cité, son Epouse. Je ne peux le dire qu'avec crainte et respect : c'est nous. Oui, c'est nous qui sommes tout cela, mais dans le coeur de Dieu. Nous le sommes par sa grâce et non par nos mérites... L'humble aveu de nos peines provoque sa compassion. Cet aveu dispose Dieu à subvenir lui-même à notre faim comme un père de famille, et à nous faire trouver auprès de lui du pain en abondance. Nous sommes donc bien sa maison où ne manque jamais la nourriture de vie...
« Soyez saints, est-il dit, parce que moi, votre Seigneur, je suis saint » (Lv 11,44). Et l'apôtre Paul nous dit : « Ne savez-vous pas que vos corps sont le temple du Saint Esprit et que l'Esprit Saint a chez vous sa demeure ? » Mais la sainteté elle-même peut-elle suffire ? Au témoignage de l'apôtre, la paix est nécessaire, elle aussi : « Recherchez, dit-il, la paix avec tout le monde et aussi la sainteté, sans laquelle nul ne verra Dieu » (Hé 12,14). C'est cette paix qui nous fait habiter ensemble, unis comme des frères, c'est elle qui construit pour notre Roi une cité toute nouvelle appelée Jérusalem, ce qui veut dire : vision de paix...
Enfin, c'est Dieu lui-même qui nous dit : « Je t'ai épousée dans la foi, je t'ai épousée dans le jugement et la justice » (la sienne, non la nôtre), « je t'ai épousée dans la tendresse et la miséricorde » (Os 2,22.21). Ne s'est-il pas comporté en époux ? Ne vous a-t-il pas aimés comme un époux , avec la jalousie d'un époux ? Alors comment pourriez-vous ne pas vous considérer comme l'épouse ? Ainsi, mes frères, puisque nous avons la preuve que nous sommes la maison du Père de famille à cause de l'abondance de nos vivres, le temple de Dieu à cause de notre sanctification, la cité de grand Roi à cause de notre communion de vie, l'épouse de l'Epoux immortel à cause de l'amour, il me semble que je peux l'affirmer sans crainte : cette fête est bien notre fête.
Sermon 5 pour la Dédicace (trad. Orval)
Qui mieux que ceux qui ont la charge d’une communauté méritent qu’on leur applique ces paroles : « Marthe, Marthe, tu te soucies de bien des choses » ? Qui s'inquiète de beaucoup de choses sinon celui à qui il incombe de s'occuper aussi bien de Marie la contemplative que de son frère Lazare et d’autres encore ? Vous reconnaissez Marthe inquiète et accablée de mille soucis : c'est l'apôtre qui a « le souci de toutes les Eglises » (2Co 11,28), qui veille à ce que les pasteurs prennent soin de leurs ouailles. « Nul n’est faible que je ne le sois avec lui, dit-il, et nul n’est scandalisé sans que je sois brûlé aussi » (v. 29). Que Marthe reçoive donc le Seigneur dans sa maison, puisque c'est à elle qu’est confié la direction du ménage… Que ceux qui partagent ses tâches reçoivent aussi le Seigneur, chacun selon son ministère particulier ; qu'ils accueillent le Christ et qu'ils le servent, qu'ils l'assistent dans ses membres, les malades, les pauvres, les voyageurs et les pèlerins.
Tandis qu'ils assument ces activités, que Marie demeure en repos, qu'elle connaisse « combien le Seigneur est doux » (Ps 33,9). Qu’elle ait bien soin de se tenir aux pieds de Jésus, le coeur plein d’amour et l’âme en paix, sans le quitter des yeux, attentive à toutes ses paroles, admirant son beau visage et son langage. « La grâce est répandue sur ses lèvres ; il est plus beau que tous les fils des hommes » (Ps 44,3), plus beau même que les anges dans leur gloire. Connais ta joie et rends grâce, Marie, toi qui as choisi la meilleure part. Heureux les yeux qui voient ce que tu vois, les oreilles qui méritent d'entendre ce que tu entends ! (Mt 13,16) Que tu es heureuse surtout d'entendre battre le coeur de Dieu dans ce silence où il est bon pour l'homme d'attendre son Seigneur !
3ème Sermon pour l’Assomption (trad. Béguin, Seuil 1953, p. 1002 rev.)
« Soudain viendra dans son temple le Seigneur que vous cherchez » (Ml 3,1)
Aujourd'hui
Ne sauveras-tu que ceux-là, Seigneur ? Ton corps va grandir, ta tendresse elle aussi grandira... Je vois maintenant une seconde procession où des foules précèdent le Seigneur, où des foules le suivent ; ce n'est plus la Vierge qui la porte, mais un petit âne. Il ne dédaigne donc personne..., si du moins il ne leur manque pas ces vêtements des apôtres (Mt 21,7) : leur doctrine, leur moeurs, et la charité qui couvre une multitude de péchés (1P 4,8). Mais j'irai plus loin et je dirai qu'à nous aussi, il nous a réservé une place dans cette procession-là... David, roi et prophète, s'est réjoui de voir ce jour. « Il l'a vu et s'en est réjoui » (Jn 8,56) ; sinon aurait-il chanté : « Nous avons reçu ta miséricorde, ô Dieu, au milieu de ton temple » ? (Ps 47,8) David a reçu cette miséricorde du Seigneur, Syméon l'a reçue, et nous aussi nous l'avons reçue, comme tous ceux qui sont prédestinés à la vie, puisque « le Christ est le même hier, aujourd'hui et pour toujours » (He 13,8)...
Embrassons donc cette miséricorde que nous avons reçue au milieu du temple, et comme
1er sermon pour la Purification (trad. Brésard, 2000 ans A, p. 272 rev.)
« Là où le péché s'était multiplié, la grâce a surabondé »
Où donc notre fragilité peut-elle trouver repos et sécurité, sinon dans les plaies du Sauveur ? Je m'y sens d'autant plus protégé que son salut est plus puissant. L'univers chancelle, le corps pèse de tout son poids, le diable tend ses pièges : je ne tombe pas, car je suis campé sur un roc solide. J'ai commis quelque grave péché : ma conscience se trouble, mais elle ne perd pas courage, puisque je me souviens des plaies du Seigneur, qui a été transpercé à cause de mes fautes . Rien n'est à ce point voué à la mort que la mort du Christ ne puisse le libérer. Dès que je pense à cette médecine si forte et efficace, la pire des maladies ne m'effraie plus.
Il se trompait donc, celui qui a dit : Mon péché est trop grand pour que j'en obtienne pardon . Il est vrai qu'il n'était pas un membre du Christ, et que les mérites du Christ ne le concernaient pas ; il n'avait pas le droit de les revendiquer pour lui, comme un membre peut dire siens les biens de la tête.
Pour moi, ce qui me manque par ma faute, je le tire hardiment des entrailles du Seigneur, car la miséricorde y abonde, et elles sont percées d'assez de plaies pour que l'effusion se produise. Ils ont percé ses mains, ses pieds, et d'un coup de lance son côté. Par ces trous béants, je puis goûter le miel de ce roc et l'huile qui coule de la pierre très dure , c'est-à-dire goûter et voir combien le Seigneur est bon . Il formait des pensées de paix et je ne le savais pas. Qui, en effet, a connu la pensée du Seigneur ? Qui a été son conseiller ? Mais le clou qui pénètre en lui est devenu pour moi une clef qui m'ouvre le mystère de ses desseins. Comment ne pas voir à travers ces ouvertures ? Les clous et les plaies crient que vraiment, en la personne du Christ, Dieu se réconcilie le monde. Le fer a transpercé son être et touché son cœur afin qu'il n'ignore plus comment compatir à mes faiblesses
Le secret de son cœur paraît à nu dans les plaies de son corps ; on voit à découvert le grand mystère de sa bonté, cette miséricordieuse tendresse de notre Dieu, Soleil levant qui nous a visités d'en haut . Et comment cette tendresse ne serait-elle pas manifeste dans ses plaies ? Comment montrer plus clairement que par tes plaies que toi, Seigneur, tu es doux et compatissant et d'une grande miséricorde, puisqu'il n'est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour des condamnés à mort ?
Tout mon mérite, c'est connaître la pitié du Seigneur, et je ne manquerai pas de mérite tant que la pitié ne lui fera pas défaut. Si les miséricordes de Dieu se multiplient, mes mérites seront nombreux, Mais qu'arrivera-t-il, si j'ai à me reprocher quantité de fautes ? Là où le péché s'était multiplié la grâce a surabondé . Et si la bonté du Seigneur s'étend de toujours à toujours , de mon côté je chanterai sans fin les miséricordes du Seigneur . Est-ce là ma justice ? Seigneur, je ferai mémoire de ta seule justice, car c'est elle qui est devenue ma justice, puisque pour moi tu es devenu justice de Dieu.
HOMELIE DE SAINT BERNARD SUR LE CANTIQUE DES CANTIQUES
« Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie »
«Ils s’en vont en pleurant, ils jettent la semence. » Vont-ils donc pleurer toujours ? Certainement pas : « Ils reviendront dans la joie, rapportant les gerbes » (Ps 125,8). Et ils auront raison de se réjouir, puisqu'ils porteront des gerbes de gloire. Mais, direz-vous, cela n'arrivera qu'au dernier jour, au temps de la résurrection, et l'attente est bien longue. Ne perdez pas courage, ne cédez pas à ces enfantillages. En attendant, vous recevrez, « des prémices de l'Esprit » (2Co 1,22), assez pour moissonner dès aujourd'hui dans
Homélies sur le Cantique des cantiques, n° 37 (trad. Beguin, Seuil 1953, p. 435 rev.)
« Nous viendrons chez lui, nous irons demeurer auprès de lui »
« Le Père et moi, disait le Fils, nous viendrons chez lui, c'est-à-dire chez l'homme qui est saint, nous irons demeurer auprès de lui. » Et je pense que le prophète n'a pas parlé d'un autre ciel lorsqu'il a dit : « Tu habites chez les saints, toi la gloire d’Israël » (Ps 21,4 Vulg). Et l'apôtre Paul dit clairement : « Par la foi, le Christ habite en nos coeurs » (Ep 3,17). Il n'est donc pas surprenant que le Christ se plaise à habiter ce ciel-là. Alors que pour créer le ciel visible il lui a suffi de parler, il a lutté pour acquérir celui-là, il est mort pour le racheter. C'est pourquoi, après tous ses travaux, ayant réalisé son désir, il dit : « Voici le lieu de mon repos à tout jamais, c'est là le séjour que j'avais choisi » (Ps 131,14)…
Maintenant « pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? » (Ps 41,6). Penses-tu trouver en toi aussi une place pour le Seigneur ? Quelle place en nous est digne d'une telle gloire ? Quelle place suffirait à recevoir sa majesté ? Est-ce que je peux l'adorer seulement aux lieux où se sont arrêtés ses pas ? Qui m'accordera de pouvoir au moins suivre les traces d'une âme sainte « qu'il s'est choisie pour son domaine » ? (Ps 32,12)
Puisse-t-il daigner répandre en mon âme l'onction de sa miséricorde, si bien que je sois capable de dire, moi aussi : « Je cours dans la voie de tes volontés, car tu mets mon coeur au large » (Ps 118,32). Je pourrai peut-être, moi aussi, montrer en moi, sinon « une grande salle toute prête, où il puisse manger avec ses disciples » (Mc 14,15), du moins « un endroit où il puisse reposer sa tête » (Mt 8,20).
Sermon 27, 8-10 (trad. Delhougne, Les Pères commentent p. 370)
« Je prierai le Père et il vous donnera un autre Défenseur »
Rien de plus doux en Dieu que son Esprit Saint ; il est la bonté même de Dieu ; il est Dieu… Au début -- c’était nécessaire -- l’Esprit invisible manifestait sa venue par des signes visibles. Mais aujourd’hui, plus les signes sont spirituels, plus ils conviennent et semblent dignes de l’Esprit Saint. Ainsi il est venu sur les apôtres sous la forme de langues de feu afin qu’ils annoncent à tous les peuples des paroles de feu et prêchent dans une langue de feu une loi de feu. Que personne ne se plaigne de ce que l’Esprit ne se manifeste pas à nous de la même façon. « A chacun, en effet, l’Esprit se révèle pour le bien de tous » (1Co 12,7). Ainsi -- est-il besoin de le dire ? -- c’est pour nous plus que pour les apôtres qu’a eu lieu cette manifestation. En effet, à quoi leur auraient servi les langues étrangères sinon à convertir les peuples ?
Mais il y avait une autre révélation qui les a touchés plus intimement, et c’est ainsi qu’aujourd’hui encore l’Esprit se manifeste en nous. C’était clair pour tous qu’ils avaient été revêtus de « la force d’en haut » (Lc 24,49) quand, d’un esprit si peureux, ils sont passés à une telle assurance. Ils ne fuient plus, ils ne se cachent plus par crainte ; à présent ils déploient plus d’énergie à prêcher qu’ils n’en déployaient naguère à s’enfuir. Cette transformation, qui est l’oeuvre du Très-Haut, apparaît clairement dans Pierre, le prince des apôtres ; hier effrayé à la voix d’une servante (Mt 26,69), il est maintenant inébranlable sous les menaces des grands prêtres. « Ils s’en allèrent du Grand Conseil, dit l’Ecriture, tout joyeux d’avoir été dignes de subir des humiliations pour le nom de Jésus » (Ac 5,41). Et pourtant, voici peu, alors qu’on amenait celui-ci au Conseil, ils avaient pris la fuite et l’avaient abandonné.
Qui pourrait douter de la venue de l’Esprit de force dont la puissance invisible a illuminé leurs coeurs ? C’est de la même manière que ce que l’Esprit opère en nous rend témoignage de sa présence en nous.
1er sermon pour la Pentecôte
« Je suis venu au nom de mon Père, et vous ne me recevez pas »
Plus que tout, bon Jésus, je t'aime pour ce calice que tu as bu afin de nous racheter… C'est cet acte qui attire plus doucement notre amour, qui l'exige à plus juste titre, l'attache de plus près, le rend plus véhément. Notre Sauveur a beaucoup peiné ce jour-là, et le Créateur n'a pas eu autant de mal à former l'univers entier. Car il n'a eu qu'à dire et tout a été fait, à commander et tout a été créé, tandis que le Sauveur devait affirmer ses paroles devant des contradicteurs, défendre ses actes contre une surveillance hostile, subir la torture devant des railleurs et la mort au milieu des insultes. Il nous a aimés jusque-là.
En plus, ce n'était pas un amour qu'il rendait à quelqu'un, mais qu'il apportait de lui-même. En effet, « Qui lui a donné en premier, pour mériter de recevoir en retour ? » (Rm 11,35) Comme dit encore saint Jean l'évangéliste : « Ce n'est pas nous qui avons aimé Dieu, mais lui qui nous a aimés le premier » (1Jn 4,10). Pour tout dire, il nous a aimés lorsque nous n'existions pas encore, et de plus il nous a aimés lorsque nous lui résistions, ainsi qu'en témoigne Saint Paul : « Alors que nous étions ses ennemis, Dieu nous a réconciliés avec lui par la mort de son Fils » (Rm 5,10). S'il ne nous avait pas aimés lorsque nous étions ses ennemis, il n'aurait pas eu d'amis, et s'il n'avait pas aimé ceux qui n'existaient pas encore, il n'aurait jamais eu personne à aimer.
Sermons sur le Cantique des Cantiques, n°20, § 2 (trad. Seuil 1953, p. 240 rev.)
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
« Il vaut mieux qu’un seul homme meure pour le peuple »
Afin de blanchir la multitude, un seul s'est laissé noircir…, car « il est bon, dit l'Ecriture, qu'un seul homme meure pour le peuple ». Il est bon qu’un seul prenne « la ressemblance de la chair de péché » (Rm 8,3), et que toute la race ne soit pas condamnée pour le péché. La splendeur de l'essence divine se voile donc en la forme d'esclave, pour sauver la vie de l’esclave. L'éclat de la vie éternelle s’assombrit dans la chair pour purifier
Mais sous cette tente noire (Ct 1,5)…, je reconnais le roi… Je le reconnais et je l’embrasse. Je vois sa gloire qui est à l'intérieur ; je devine l’éclat de sa divinité, la beauté de sa force, la splendeur de sa grâce, la pureté de son innocence. La couleur misérable de l’infirmité humaine le couvre ; son visage est comme caché, défait, à l’heure où pour nous ressembler il est éprouvé comme nous, mais n’a pas péché.
Je reconnais aussi la forme de notre nature souillée, je reconnais cette tunique de peau, le vêtement de nos premiers parents (Gn 3,21). Mon Dieu s’en est revêtu, prenant la forme de l'esclave, devenu semblable aux hommes (Ph 2,7) et habillé comme eux. Sous cette peau de chevreau, signe du péché, dont se couvrit Jacob (Gn 27,16), je reconnais la main qui n’a pas péché, la nuque jamais courbée sous l'emprise du mal. Je sais, Seigneur, que par nature tu es doux, humble de coeur, abordable, paisible, souriant, toi qui as été « oint de l’huile de joie plus que tes compagnons » (Mt 11,29;Ps 44,8). D'où te vient donc cette rude ressemblance d'Esaü, cette affreuse apparence du péché ? Ah, c'est la mienne !... Je reconnais mon bien, et sous mon visage je vois mon Dieu, mon Sauveur.
Sermon 28 sur le Cantique des cantiques (trad. Solms, Christs romans, Zodiaque 1963, p. 147 rev.)
Répandre le parfum de la compassion sur les pieds du Christ
Je vous ai déjà parlé de deux parfums spirituels : celui de la contrition, qui s'étend à tous les péchés –- il est symbolisé par le parfum que la pécheresse a répandu sur les pieds du Seigneur : « toute la maison fut remplie de cette odeur » ; il y a aussi celui de la dévotion qui renferme tous les bienfaits de Dieu... Mais il y a un parfum qui l'emporte de loin sur ces deux-là ; je l'appellerai le parfum de
Ainsi, un grand nombre de misères réunies sous un regard compatissant sont les essences précieuses... Heureuse l'âme qui a pris soin de faire provision de ces aromates, d'y répandre l'huile de la compassion et de les faire cuire au feu de la charité ! Qui est, à votre avis, « cet homme heureux qui a pitié d'autrui et qui prête son bien » (Ps 111,5), enclin à la compassion, prompt à secourir son prochain, plus content de donner que de recevoir ? Cet homme qui pardonne aisément, résiste à la colère, ne consent pas à la vengeance, et en toutes choses regarde comme siennes les misères des autres ? Quelle que soit cette âme imprégnée de la rosée de la compassion, au coeur débordant de pitié, qui se fait toute à tous, qui n'est pour elle-même qu'un vase fêlé où rien n'est jalousement gardé, cette âme si bien morte à elle-même qu'elle vit uniquement pour autrui, elle a le bonheur de posséder ce troisième parfum qui est le meilleur. Ses mains distillent un baume infiniment précieux (cf Ct 5,5), qui ne tarira pas dans l'adversité et que les feux de la persécution n’arriveront pas à dessécher. Car Dieu se souviendra toujours de ses sacrifices.
Sermon 12 sur le Cantique des Cantiques (trad. Béguin, Seuil 1953, p. 165 rev.)
« Tombant à genoux, ils se prosternèrent devant lui »
Le dessein de Dieu n’a pas été seulement de descendre sur terre, mais d'y être connu ; non seulement de naître, mais de se faire connaître. De fait, c'est en vue de cette connaissance que nous avons cette célébration de l'Epiphanie, ce grand jour de sa manifestation. Aujourd'hui, en effet, les mages sont venus d'Orient à la recherche du Soleil de Justice à son lever (Ml 3,20), lui de qui nous lisons : « Voici un homme, Orient est son nom » (Za 6,12). Aujourd'hui ils ont adoré l’enfantement nouveau de la Vierge, suivant la direction tracée par une nouvelle étoile. Ne trouvons-nous pas là, frères, un grand motif de joie, comme aussi dans cette parole de l’apôtre Paul : « La bonté de Dieu notre Sauveur et son amour pour les hommes nous sont apparus » (Tt 3,4)…
Que faites-vous, mages, que faites-vous ? Vous adorez un enfant à la mamelle, dans une chaumière vulgaire, dans des langes misérables ? Celui-ci serait-il donc Dieu ? Mais « Dieu réside dans son temple saint, le Seigneur a son trône dans les cieux » (Ps 10,4), et vous, vous le cherchez dans une vulgaire étable, sur le sein d'une mère ? Que faites-vous ? Pourquoi offrez-vous cet or ? Celui-ci serait-il donc roi ? Mais où est sa cour royale, où est son trône, où est la foule de ses courtisans ? Une étable est-elle un palais, une crèche un trône, Marie et Joseph les membres de sa cour ? Comment des hommes sages sont-ils devenus fous au point d'adorer un petit enfant, méprisable tant par son âge que par la pauvreté des siens ?
Fous, ils le sont devenus, oui, pour devenir sages ; l'Esprit Saint leur a enseigné d'avance ce que plus tard l'apôtre Paul a proclamé : « Celui qui veut être sage, qu'il se fasse fou pour être sage. Car puisque le monde, avec toute sa sagesse, n'a pas pu reconnaître Dieu dans sa Sagesse, il a plu à Dieu de sauver les croyants par cette folie qu'est la proclamation de l'Evangile » (1Co 1,21)… Ils se prosternent donc devant ce pauvre enfant, lui rendent hommage comme à un roi, l’adorent comme un Dieu. Celui qui les a guidés au dehors par une étoile a répandu sa lumière au secret de leur coeur.
1er sermon pour l’Epiphanie (trad. Brésard, 2000 ans C, p. 44 rev.)
Marie est bienheureuse, comme sa cousine Elisabeth le lui a dit, non seulement parce que Dieu l'a regardée, mais parce qu'elle a cru. Sa foi est le plus beau fruit de la bonté divine. Mais il a fallu l'art ineffable du Saint Esprit survenant en elle pour qu’une telle grandeur d'âme s’unisse à une telle humilité, dans le secret de son coeur virginal. L’humilité et la grandeur d’âme de Marie, comme sa virginité et sa fécondité, sont pareilles à deux étoiles qui s'éclairent mutuellement, car en Marie la profondeur de l'humilité ne nuit en rien à la générosité d'âme et réciproquement. Alors que Marie se jugeait si humblement elle-même, elle n'en a été pas moins généreuse dans sa foi en la promesse qui lui était faite par l’ange. Elle qui se regardait uniquement comme une pauvre petite servante, elle n'a nullement douté qu'elle soit appelée à ce mystère incompréhensible, à cette union prodigieuse, à ce secret insondable. Et elle a cru tout de suite qu'elle allait vraiment devenir la mère de Dieu-fait-homme.
C'est la grâce de Dieu qui produit cette merveille dans le coeur des élus ; l'humilité ne les rend pas craintifs et timorés, pas plus que la générosité de leur âme ne les rend orgueilleux. Au contraire, chez les saints, ces deux vertus se renforcent l'une l'autre. La grandeur d'âme non seulement n’ouvre la porte à aucun orgueil, mais c'est elle surtout qui fait pénétrer plus avant dans le mystère de l'humilité. En effet, les plus généreux au service de Dieu sont aussi les plus pénétrés de la crainte du Seigneur et les plus reconnaissants pour les dons reçus. Réciproquement, quand l'humilité est en jeu, aucune lâcheté ne se glisse dans l'âme. Moins une personne a coutume de présumer de ses propres forces, même dans les plus petites choses, plus elle se confie dans la puissance de Dieu, même dans les plus grandes.
Sermon pour l’octave de l’Assomption, Sur les douze prérogatives de Marie
« Beaucoup de prophètes et de rois ont voulu voir ce que vous voyez »
Le désir ardent des patriarches appelant la présence corporelle de Jésus Christ est pour moi le sujet de méditations fréquentes. Je ne peux pas y penser sans que des larmes de honte me viennent aux yeux. Car je mesure alors la tiédeur et la somnolence de notre époque misérable. Nous avons reçu cette grâce, le corps du Christ nous est montré à l'autel, mais personne d'entre nous n'en éprouve une joie aussi intense qu'était le désir inspiré à nos ancêtres par la simple promesse de l'Incarnation.
Noël est proche et bien des gens s'apprêtent à le célébrer ; puissent-ils se réjouir vraiment de la Nativité, et non pas des vanités ! L'attente des anciens, leur impatience fébrile me paraissent exprimées à merveille par les premiers mots du Cantique des Cantiques : « Qu'il me baise d'un baiser de sa bouche ! » (1,2). En ces temps-là, quiconque était doué du sens spirituel devinait la grâce immense répandue sur ces lèvres (Ps 44,3), et par ces paroles lourdes de tous les désirs, souhaitait passionnément ne pas être privée d'une si grande douceur.
Toute âme parfaite disait en effet : « A quoi me servent désormais les textes obscures des prophètes ? J'attends que vienne ‘ le plus beau des enfants des hommes ’ (Ps 44,3), qu'il vienne me baiser du baiser de sa bouche. La langue de Moïse est confuse (Ex 4,10), les lèvres d'Isaïe sont impures (6,5), Jérémie est un enfant qui ne sait pas parler (1,6) ; tous les prophètes sont privés du don des langues. C'est lui-même, c'est celui dont ils parlent, qui doit parler maintenant et me baiser du baiser de sa bouche ; je ne souhaite plus qu'il s'exprime en eux et par eux, car l'eau reste opaque tant qu’elle est retenue par les nuages. J'attends la présence divine, les eaux ruisselantes de la doctrine admirable, qui deviendront en moi une source jaillisant jusqu'en la vie éternelle » (Jn 4,14).
Sermon 2 sur le Cantique des Cantiques (trad. Béguin, Seuil 1953, p. 92 rev.)
« Restez éveillés et priez en tout temps »
Celui qui veut prier en paix ne tiendra pas seulement compte du lieu, mais du temps. Le moment du repos est le plus favorable et lorsque le sommeil de la nuit établit partout un silence profond, la prière se fait plus libre et plus pure. « Lève-toi la nuit, au commencement des vigiles, et épanche ton coeur comme de l'eau devant le Seigneur ton Dieu » (Lm 2,19). Avec quelle sûreté la prière monte dans la nuit, quand Dieu seul en est témoin, avec l'ange qui la reçoit pour aller la présenter à l'autel céleste ! Elle est agréable et lumineuse, teinte de pudeur. Elle est calme, paisible, lorsqu'aucun bruit, aucun cri ne viennent l'interrompre. Elle est pure et sincère, quand la poussière des soucis terrestres ne peut pas
C'est pourquoi l'Épouse [du Cantique des Cantiques] agit avec autant de sagesse que de pudeur lorsqu'elle choisit la solitude nocturne de sa chambre pour prier, c'est-à-dire pour chercher le Verbe, car c'est tout un. Tu pries mal si en priant tu cherches autre chose que le Verbe, la Parole de Dieu, ou si tu ne demandes pas l'objet de ta prière par rapport au Verbe. Car tout est en lui : les remèdes à tes blessures, les secours dont tu as besoin, l'amendement de tes défauts, la source de tes progrès, bref tout ce qu'un homme peut et doit souhaiter. Il n'y a aucune raison de demander au Verbe autre chose que lui-même, puisqu'il est toutes choses. Si, comme il est nécessaire, nous paraissons demander certains biens concrets, et si, comme nous le devons, nous les souhaitons par rapport au Verbe, c'est moins ces choses elles-mêmes que nous demandons, que celui qui est la cause de notre prière.
Sermon 86 sur le Cantique des Cantiques (trad. Béguin, Seuil 1953, p. 876 rev.)
Le Fils de l'homme viendra nous prendre avec lui
« Ce Jésus qui, en se séparant de vous, s'est élevé dans les cieux en reviendra un jour de la même manière que vous l'y avez vu monter » (Ac 1,11). Il viendra, disent ces anges, de la même manière. Viendra-t-il donc nous chercher dans ce cortège unique et universel, descendra-t-il précédé de tous les anges et suivi de tous les hommes pour juger les vivants et les morts ? Oui, il est bien certain qu'il viendra, mais il viendra de la même manière qu'il est monté aux cieux, non pas comme il en est descendu la première fois. En effet, lorsqu'il est venu autrefois pour sauver nos âmes, c'était dans l'humilité. Mais quand il viendra pour tirer ce cadavre de son sommeil de mort, pour « le rendre semblable à son corps glorieux » (Ph 3,21) et remplir d'honneur ce vase si faible aujourd'hui, il se montrera dans toute sa splendeur. Alors nous verrons dans toute sa puissance et dans sa majesté celui qui jadis s'était caché sous la faiblesse de notre chair...
Etant Dieu, le Christ ne pouvait pas grandir, car il n'y a rien au-delà de Dieu. Et pourtant il a trouvé le moyen de croître -– c'était en descendant, en venant s'incarner, souffrir, mourir pour nous arracher à la mort éternelle. « C'est pourquoi Dieu l'a exalté » (Ph 2,9). Il l'a ressuscité, il s'est assis à la droite de Dieu. Toi aussi, va et fais de même : tu ne pourras pas monter sans commencer par descendre. « Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé » (Lc 14,11).
Heureux, Seigneur Jésus, sera celui qui n'a que toi pour guide ! Puissions-nous te suivre, nous « ton peuple et les brebis de ton bercail » (Ps 78,13), puissions-nous aller par toi vers toi, parce que tu es « la voie, la vérité, la vie » (Jn 14,6). La voie par l'exemple, la vérité par tes promesses, la vie parce que c'est toi notre récompense. « Tu as les paroles de la vie éternelle, et nous savons et nous croyons que tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant » (Jn 6,69;Mt 16,16) et Dieu lui-même, plus haut que toutes choses, béni à jamais.
2ème sermon pour l'Ascension
Il nous faut être vigilants et attentifs à l'oeuvre du salut qui s'accomplit en nous, car c'est avec une admirable subtilité et la délicatesse d'un art divin que le Saint Esprit accomplit continuellement cette oeuvre au plus intime de notre être. Que jamais cette onction, qui nous enseigne tout, ne nous soit enlevée sans que nous en ayons conscience et que jamais sa venue ne nous prenne à l'improviste. Il s'agit au contraire d'avoir le regard toujours aux aguets et le coeur grand ouvert pour recevoir cette bénédiction généreuse du Seigneur. Dans quelles dispositions l'Esprit veut-il nous trouver ? « Soyez semblables à des gens qui attendent leur maître à son retour de noces. » Il ne revient jamais les mains vides de la table céleste et de toutes les joies qu'elle prodigue.
Il nous faut donc veiller, et veiller à toute heure, car nous ne savons jamais à quelle heure l'Esprit va venir, ni à quelle heure il s'en ira une nouvelle fois. L'Esprit va et vient (Jn 3,8) ; si grâce à lui on tient debout, lorsqu'il se retire, on tombe inévitablement, mais sans se briser, car le Seigneur nous retient par
Sermon sur le cantique n°17, 2 (trad. Emery rev.)
Seul le sens de l'ouïe peut atteindre la vérité, parce lui seul entend la parole... « Ne me touche pas », dit le Seigneur, c'est-à-dire perds l'habitude de te fier à tes sens trompeurs, appuie-toi sur mes paroles, accoutume-toi à la foi. La foi ne peut pas se tromper, elle comprend les choses invisibles et ne souffre pas de l'indigence des sens. Elle dépasse même les limites de la raison humaine, les usages de la nature, les bornes de l'expérience. Pourquoi veux-tu apprendre de tes yeux ce qu'ils ne peuvent pas savoir ? Et pourquoi ta main s'efforce-t-elle à sonder ce qu'elle n'atteindra jamais ? Ce que l'une et l'autre font connaître de moi est bien peu de chose. C'est à la foi de se prononcer sur moi sans diminuer ma majesté ; apprends à croire avec plus de certitude et à suivre avec plus de confiance ce qu'elle te dit.
« Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père. » Comme s'il devrait ou pourrait se laisser toucher lorsqu'il sera monté : oui, sans doute, il pourra être touché, mais seulement par le cœur, non par les mains, par le désir, non par les yeux, par la foi, non par les sens. « Pourquoi, dit-il, cherches-tu à me toucher maintenant...? Ne te souviens-tu pas que lorsque j'étais encore mortel, les yeux de mes disciples n'ont pas pu soutenir la gloire de mon corps transfiguré, alors qu'il devait encore mourir ? Je te fais encore cette faveur de te montrer ma condition de serviteur (Ph 2,7), mais ma gloire m'éloigne de toi désormais... Suspends donc ton jugement..., réserve à la foi l'éclaircissement d'un si grand mystère... Pour être digne de me toucher, il faut que tu me contemples assis à la droite de mon Père (Mc 16,19; Ps 109,1), non plus dans ma condition d'abaissement mais dans mon état glorifié. C'est encore le même corps, mais sous un autre aspect. Pourquoi veux-tu me toucher dans ma laideur ? Attends de pouvoir le faire dans ma beauté. »
Sermons sur le Cantique des Cantiques, n° 28, 9
« Sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur » (Lc 2,51)
« Si quelqu’un m’aime, il gardera mes paroles, et mon Père l’aimera et nous viendrons à lui » (Jn 14,23). Ailleurs, j’ai lu : « Celui qui craint Dieu fera le bien » (Si 15,1). Mais je perçois qu’ici Jésus exprime quelque chose de plus en disant de celui qui l’aime : « Il gardera mes paroles ». Où les gardera-t-il ? Dans son cœur, sans aucun doute. Comme dit le prophète : « Dans mon cœur je conserve tes ordres pour ne point faillir envers toi » (Ps 118,11). Comment conserver la parole dans son cœur ? Est-ce qu’il suffit de l’apprendre par cœur, de la garder en mémoire ? L’apôtre Paul dit de ceux qui la gardent ainsi : « La connaissance nous gonfle d’orgueil » (1Co 8,1), et l’oubli efface vite ce que nous avons confié à la mémoire.
Conservez donc la parole de Dieu comme vous savez conserver la nourriture…, car cette parole est « pain de vie » (Jn 6,35), la vraie nourriture de l’âme… Voilà comment il faut garder la parole de Dieu ; en effet, « Heureux ceux qui la gardent ». Qu’on la fasse donc entrer dans ce qu’on peut appeler les entrailles de l’âme ; qu’elle passe dans les mouvements de ton cœur et dans ta conduite. Nourris-toi de ce qui est bien, et ton âme y trouvera avec joie de quoi s’y nourrir largement. N’oublie pas de manger ton pain pour ne pas laisser ton cœur se dessécher : rassasie ton âme d’une nourriture bonne et riche. Si de la sorte tu t’es mis à garder en toi la parole de Dieu, sans nul doute elle te gardera aussi. Le Fils viendra à toi, avec le Père ; il viendra, le grand prophète qui rétablira Jérusalem et « qui fera toutes choses nouvelles » (Ac 3,22; Jl 4,1; Ap 21,5).
Sermon pour l’Avent (trad. cf bréviaire 1er jeudi Avent)
Le martyre de saint André, apôtre
« Ô croix si longtemps désirée, offerte maintenant aux aspirations de mon âme, je viens à toi, plein de joie et d'assurance. Reçois-moi avec allégresse, moi le disciple de celui qui pendait à tes bras... » Ainsi parlait saint André [selon la tradition], apercevant de loin la croix qui était dressée pour son supplice. D'où venaient en cet homme une joie et une exultation si étonnantes ? D'où venait tant de constance dans un être si fragile ? D'où cet homme tenait-il une âme si spirituelle, une charité si fervente et une volonté si forte ? Ne pensons pas qu'il tirait de lui-même un si grand courage ; c'était le don parfait issu du Père des lumières (Jc 1,17), de celui qui seul fait des merveilles. C'était l'Esprit Saint qui venait en aide à sa faiblesse, et qui diffusait dans son cœur un amour fort comme la mort, et même plus fort que la mort (Ct 8,6).
Plaise à Dieu que nous ayons part à cet Esprit, nous aussi aujourd'hui ! Car si maintenant l'effort de la conversion nous est pénible, si veiller dans la prière nous ennuie, c'est uniquement à cause de notre indigence spirituelle. Si l'Esprit Saint était avec nous, i1 viendrait sûrement en aide à notre faiblesse. Ce qu'il a fait pour saint André face à la croix et à la mort, il le ferait aussi pour nous : enlevant au labeur de la conversion son caractère pénible, il le rendrait désirable et même délicieux... Frères, recherchons cet Esprit, apportons tous nos soins à l'obtenir, ou à le posséder plus pleinement si nous l'avons déjà. Car « celui qui n'a pas l'Esprit du Christ n'appartient pas au Christ » (Rm 8,9). « Nous n'avons pas reçu l'esprit de ce monde, mais l'Esprit qui est de Dieu » (1Co 2,12)... Nous devons donc prendre notre croix avec saint André, ou plutôt avec celui qu'il a suivi, le Seigneur, notre Sauveur. La cause de sa joie c'était qu'il mourait non seulement avec lui, mais comme lui, et qu'uni si intimement à sa mort, il règnerait avec lui... Car notre salut est sur cette croix.
2e sermon pour la fête de saint André (trad. Orval)
« C’est à l’heure où vous n’y pensez pas que le Fils de l’homme viendra »
Il est juste, frères, de célébrer l’avènement du Seigneur avec toute la dévotion possible, tellement son réconfort nous réjouit…et tellement son amour brûle en nous. Mais ne pensez pas seulement à son premier avènement, quand il est venu « chercher et sauver ce qui était perdu » (Lc 19,10) ; pensez aussi à cet autre avènement, quand il viendra pour nous emmener avec lui. Je voudrais vous voir sans cesse occupés à méditer sur ces deux avènements…, « vous reposer entre ces deux bercails » (Ps 67,14), car ce sont là les deux bras de l’Époux entre lesquels reposait l’Épouse du Cantique des Cantiques : « Son bras gauche est sous ma tête, et sa droite m’entoure » (2,6)…
Mais il y a un troisième avènement entre les deux que j’ai évoqués, et ceux qui le connaissent peuvent s’y reposer pour leur plus grand bonheur. Les deux autres sont visibles : celui-ci ne l’est pas. Dans le premier, le Seigneur « est apparu sur la terre et a conversé avec les hommes » (Ba 3,38)…; dans le dernier « Tout homme verra le salut de Dieu » (Lc 3,6; Is 40,5)… Celui du milieu est secret ; c’est celui où seuls les élus voient le Sauveur au-dedans d’eux-mêmes, et où leurs âmes sont sauvées.
Dans son premier avènement le Christ est venu dans notre chair et dans notre faiblesse ; dans son avènement intermédiaire il vient en Esprit et puissance ; dans son dernier avènement il viendra dans sa gloire et dans sa majesté. Mais c’est par la force des vertus que l’on parvient à la gloire, comme il est écrit : « Le Seigneur des armées, c’est lui le roi de gloire » (Ps 23,10), et dans le même livre : « Pour que je voie ta puissance et ta gloire » (62,3). Le second avènement est donc comme la voie qui conduit du premier au dernier. Dans le premier, le Christ a été notre rédemption ; dans le dernier, il apparaîtra comme notre vie ; dans sa venue intermédiaire, il est notre repos et notre consolation.
Sermons 4 et 5 pour l’Avent
Saint Bernard (1091-1153), moine cistercien et docteur de l'Église
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« Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ton épouse »
« Joseph, l'époux de Marie, était juste et ne voulait pas la dénoncer ; il décida donc de la renvoyer secrètement. » (Mt 1,19) Parce qu'il était juste, il ne voulait pas la déshonorer. Il n'aurait pas été juste, ni s'il s'était fait son complice après l'avoir jugée coupable, ni si, reconnaissant son innocence, il l'avait condamnée. C'est pourquoi il prit le parti de la renvoyer secrètement. Mais pourquoi la renvoyer ?... Pour la même raison, disent les Pères, qui incitait Pierre à repousser le Seigneur en disant : « Eloigne-toi de moi, Seigneur, car je suis un pécheur » (Lc 5,8). De même le centurion lui fermait sa porte en disant : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres sous mon toit » (Mt 8,8) .
Joseph, qui se considérait comme pécheur, se disait qu'il était indigne de garder plus longtemps dans sa maison une femme dont l'excellence et la supériorité lui inspiraient la vénération et la crainte. Il la voyait porter en elle le signe indubitable de la présence divine ; incapable de comprendre le mystère, il voulait la renvoyer. Saint Pierre a craint la toute-puissance divine ; le centurion a été effrayé par la présence de la majesté du Christ. Joseph, en homme qu'il était, a été saisi d'épouvante devant un miracle si neuf et un mystère si impénétrable ; c'est pour cela qu'en secret il méditait de renvoyer Marie. Ne vous étonnez pas de voir Joseph se juger indigne de vivre aux côtés de la Vierge enceinte ; sainte Elisabeth non plus n'a pas pu supporter sa présence sans être saisie de crainte et de respect : « Comment se fait-il que la Mère de mon Seigneur vienne à moi ? » (Lc 1,43)...
Pourquoi la renvoyer en secret ? Pour qu'on ne cherche pas la cause de leur séparation et qu'on ne vienne pas exiger des explications. Qu'aurait pu répondre ce juste à...des gens toujours prêts à contester ? S'il avait dévoilé ses pensées, s'il s'était dit convaincu de la pureté de sa fiancée, ces gens sceptiques l'auraient tourné en dérision, et ils auraient lapidé Marie... Joseph a eu donc raison, lui qui ne voulait ni mentir ni diffamer... Mais l'ange lui dit : « Ne crains pas ! Ce qui est né en elle vient de l'Esprit Saint ».
Homélies sur ces paroles de l'Évangile : « L'ange fut envoyé », n°2, 13-15 (trad. Œuvres mystiques, Seuil 1953, p. 924 rev.)
La terre entière sera remplie de la majesté de Dieu
Un jour le Sauveur doit venir pour refaire la force de notre corps, comme le dit l'apôtre Paul : « Nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux » (Ph 3,20-21)...
Le Dieu Sabaoth, le Seigneur des puissances, le Roi de gloire, viendra du ciel transformer lui-même nos corps, pour les rendre semblables à son corps glorieux. Quelle gloire, quelle joie quand le Créateur de l'univers, qui s'était caché sous une apparence tout humble quand il est venu nous racheter, apparaîtra dans toute sa gloire et sa majesté..., à tous les regards, pour glorifier nos corps de misère ! Qui se rappellera alors l'humilité de son premier avènement, quand on le verra descendre dans la lumière, précédé des anges qui tireront notre corps de la poussière, au son de la trompette, pour l'enlever ensuite au-devant du Christ ? (1Th 4,16s)...
Que notre âme se réjouisse donc et que notre corps repose dans l'espérance en attendant notre Sauveur et Seigneur Jésus Christ qui le transformera pour le rendre semblable à son corps de gloire. Un prophète écrit : « Si mon âme a soif de toi, combien plus mon corps ne te désire aussi ! » (Ps 62,2 Vulg) L'âme de ce prophète appelait de tous ses vœux le premier avènement du Sauveur qui devait le racheter ; mais sa chair appelait encore plus vivement le dernier avènement où elle doit être glorifiée. C'est alors que tous nos vœux seront comblés : la terre entière sera remplie de la majesté de Dieu. Puisse la miséricorde de Dieu nous conduire à cette gloire, à ce bonheur, à cette paix qui dépasse tout ce qu'on peut imaginer (Ph 4,7) et que notre Seigneur Jésus Christ ne permette pas que notre attente ardente de notre Sauveur soit déçue.
.6ème sermon pour l'Avent
Dans la communion des saints
Pourquoi notre louange à l'égard des saints, pourquoi notre chant à leur gloire, pourquoi cette fête même que nous célébrons ? Que leur font ces honneurs terrestres, alors que le Père du ciel, en réalisant la promesse du Fils, les honore lui-même ? De nos honneurs les saints n'ont pas besoin, et rien dans notre culte ne peut leur être utile. De fait, si nous vénérons leur mémoire, c'est pour nous que cela importe, non pour eux. ~ Pour ma part, je l'avoue, je sens que leur souvenir allume en moi un violent désir. ~
Le premier désir, en effet, que la mémoire des saints éveille, ou plus encore stimule en nous, le voici : nous réjouir dans leur communion tellement désirable et obtenir d'être concitoyens et compagnons des esprits bienheureux, d'être mêlés à l'assemblée des patriarches, à la troupe des prophètes, au groupe des Apôtres, à la foule immense des martyrs, à la communauté des confesseurs ; au chœur des vierges, bref d'être associés à la joie et à la communion de tous les saints. Cette Église des premiers-nés nous attend, et nous n'en aurions cure ! Les saints nous désirent et nous n'en ferions aucun cas ! Les justes nous espèrent et nous nous déroberions !
Réveillons-nous enfin, frères ; ressuscitons avec le Christ, cherchons les réalités d'en haut ; ces réalités, savourons-les. Désirons ceux qui nous désirent, courons vers ceux qui nous attendent, et puisqu'ils comptent sur nous, accourons avec nos désirs spirituels. ~ Ce qu'il nous faut souhaiter, ce n'est pas seulement la compagnie des saints, mais leur bonheur, si bien qu'en désirant leur présence, nous ayons l'ambition aussi de partager leur gloire, avec toute l'ardeur et les efforts que cela suppose. Car cette ambition-là n'a rien de mauvais : nul danger à se passionner pour une telle gloire. ~
Et voici le second désir dont la commémoration des saints nous embrase : voir, comme eux, le Christ nous apparaître, lui qui est notre vie, et paraître, nous aussi, avec lui dans la gloire. Jusque là, il ne se présente pas à nous comme il est en lui-même, mais tel qu'il s'est fait pour nous : notre Tête, non pas couronnée de gloire, mais ceinte par les épines de nos péchés. ~ Il serait honteux que, sous cette tête couronnée d'épines, un membre choisisse une vie facile, car toute la pourpre qui le couvre doit être encore non pas tant celle de l'honneur que celle de la dérision. Viendra le jour de l'avènement du Christ : alors on n'annoncera plus sa mort de manière à nous faire savoir que nous aussi sommes morts et que notre vie est cachée avec lui. La Tête apparaîtra dans la gloire, et avec elle les membres resplendiront de gloire, lorsque le Christ restaurera notre corps d'humilité pour le configurer à la gloire de la Tête, puisque c'est lui la Tête.
Cette gloire, il nous faut la convoiter d'une absolue et ferme ambition. ~ Et vraiment, pour qu'il nous soit permis de l'espérer, et d'aspirer à un tel bonheur, il nous faut rechercher aussi, avec le plus grand soin, l'aide et la prière des saints, afin que leur intercession nous obtienne ce qui demeure hors de nos propres possibilités.
HOMÉLIE DE S. BERNARD POUR LA TOUSSAINT
Les anges montent et descendent
« Vous verrez les anges monter et descendre sur le Fils de l'Homme. » Ils montent pour eux, ils descendent pour nous, ou plutôt ils descendent avec nous. Ces bienheureux esprits montent par la contemplation de Dieu, et ils descendent pour avoir soin de nous et pour nous garder dans tous nos chemins (Ps 90,11). Ils montent vers Dieu pour jouir de sa présence ; ils descendent vers nous pour obéir à ses ordres, car il leur a commandé de prendre soin de nous. Toutefois, en descendant vers nous, ils ne sont pas privés de la gloire qui les rend heureux, ils voient toujours le visage du Père…
Lorsqu'ils montent à la contemplation de Dieu, ils cherchent la vérité dont ils sont comblés sans interruption en la désirant, et qu'ils désirent toujours en la possédant. Lorsqu'ils descendent, ils exercent envers nous la miséricorde, puisqu'ils nous gardent dans toutes nos voies. Car ces esprits bienheureux sont les ministres de Dieu qui nous sont envoyés pour nous venir en aide (He 1,14) ; et dans cette mission ce n'est pas à Dieu qu'ils rendent service, mais à nous. Ils imitent en cela l'humilité du Fils de Dieu qui n'est pas venu pour être servi, mais pour servir, et qui a vécu parmi ses disciples, comme s’il avait été leur serviteur (Mt 20,28)...
Dieu a donné ordre à ses anges, non pas de te retirer de tes chemins, mais de t'y garder soigneusement, et de te conduire dans les chemins de Dieu par ceux qu'ils suivent eux-mêmes. Comment cela, me diras-tu ? Les anges, bien sûr, agissent en toute pureté et par seule charité ; mais toi, du moins, contraint et averti par la nécessité de ta condition, descends, condescends à ton prochain en faisant preuve de miséricorde envers lui ; puis, toujours à l’imitation des anges, élève ton désir et, de toute l’ardeur de ton cœur, efforce-toi de monter jusqu’à la vérité éternelle.
11ème Sermon sur le Psaume 90 « Qui habitat » 6, 10-11 (trad. En Calcat)
Le martyre de la Vierge nous est connu tant par la prophétie de Siméon que par le récit même de la Passion du Seigneur. De l'enfant Jésus, ce vieillard disait : Il sera un signe de division ; et toi, disait-il à Marie, une épée transpercera ton âme .
Oui, Mère bénie, un glaive a transpercé ton âme : il n'aurait pu, sans transpercer celle-ci, pénétrer dans la chair du Fils. C'est vrai : ce Jésus qui est le tien — qui est à tous, certes, mais à toi tout particulièrement — , après avoir remis son esprit, ne fut pas atteint dans son âme par la lance meurtrière sans épargner un mort, auquel elle ne pouvait pourtant plus faire de mal, elle lui ouvrit le côté ; mais c'est ton âme qu'elle transperça. La sienne assurément n'était plus là mais la tienne ne pouvait s'enfuir. Ton âme, c'est la force de douleur qui l'a transpercée, aussi pouvons-nous très justement te proclamer plus que martyre, puisque ta souffrance de compassion aura certainement dépassé la souffrance qu'on peut ressentir physiquement.
N'a-t-elle pas été plus qu'une épée pour toi, n'a-t-elle pas percé ton âme et atteint jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit, cette parole :Femme, voilà ton fils ? Ô quel échange ! Jean t'est donné en lieu et place de Jésus, le serviteur à la place du Seigneur, le disciple au lieu du Maître, le fils de Zébédée à la place du Fils de Dieu, un simple homme au lieu du vrai Dieu. Comment l'écoute de cette parole ne transpercerait-elle pas ton âme pleine d'affection, quand le seul souvenir de cette parole brise déjà nos cœurs, qui sont pourtant de roc et de fer ?
Ne vous étonnez pas, frères, qu'on puisse dire de Marie qu'elle a été martyre dans son âme. S'en étonnerait celui qui aurait oublié comment Paul mentionne, parmi les fautes les plus graves des païens, le fait qu'ils ont été sans affection . Un tel péché était bien loin du cœur de Marie ; qu'il le soit aussi de ses modestes serviteurs.
Mais on dira peut-être : ne savait-elle pas d'avance qu'il devait mourir ? — Sans nul doute. N'espérait-elle pas qu'il ressusciterait aussitôt ? — Oui, assurément. Et malgré cela elle souffrit de le voir crucifié ? — Oui, et violemment. Qui donc es-tu, frère, et d'où vient ta sagesse, pour que tu puisses t’étonner davantage de la compassion de Marie que de la passion du fils de Marie ? Lui a pu mourir dans son corps, et elle, n'aurait-elle pas pu mourir avec lui dans son cœur ? Voilà (dans la passion du Christ) ce qu'a accompli une charité telle que personne n'en a éprouvé de plus grande ; et voici (dans la compassion de Marie) ce qu'a accompli une charité qui, après celle de Jésus, n'a pas son pareil.
HOMÉLIE DE S. BERNARD POUR LE DIMANCHE APRÈS L'ASSOMPTION
Les degrés de la contemplation
Fixons-nous solidement au rempart ; appuyons-nous de toutes nos forces sur le roc inébranlable qu'est le Christ, selon cette parole de l'Écriture : Il m'a fait reprendre pied sur le roc, il a raffermi mes pas . Ainsi établis et réconfortés, mettons-nous à contempler : nous verrons ce qu'il nous dit et ce que nous répondrons à qui nous fait reproche.
Le premier degré de la contemplation en effet, mes bien-aimés, c'est que sans cesse nous considérions ce que veut le Seigneur, ce qui lui plaît, ce qui lui est agréable. En beaucoup de choses nous l'offensons tous, notre manque de simplicité heurte la droiture de sa volonté, et cela nous empêche de nous unir, de nous attacher à lui. Humilions-nous donc sous la main puissante du Dieu très-haut et hâtons-nous d'exposer toute notre misère devant les yeux de sa miséricorde en disant : Guéris-moi, Seigneur, et je serai guéri, sauve-moi et je serai sauvé, et encore : Prends pitié de moi, Seigneur, guéris mon âme, car j'ai péché contre toi.
Lorsque l'œil du cœur est purifié par ce genre de pensées, nous ne vivons plus le cœur plein d'amertume mais dans les délices qui se trouvent en l'Esprit de Dieu. Déjà nous ne considérons plus quelle est la volonté de Dieu sur nous, mais quelle est cette volonté en elle-même. Car c'est dans sa volonté qu'est la vie, et absolument rien n'est plus utile et plus avantageux que de s'accorder à sa volonté. Et c'est pourquoi l'empressement que nous mettons à vouloir conserver notre vie, mettons-le aussi, dans la mesure du possible, à ne point dévier du chemin qui y mène.
Ensuite, lorsque nous aurons progressé quelque peu dans l'ascèse spirituelle en suivant comme guide l'Esprit Saint qui scrute les profondeurs mêmes de Dieu, représentons-nous combien le Seigneur est tendresse, combien il est bon en lui-même. Demandons avec le prophète de voir la volonté du Seigneur, demandons-lui de nous faire visiter non plus notre cœur mais son temple. Et avec lui nous dirons encore : Mon âme en moi s'est troublée, c'est pourquoi je me souviendrai de toi.
Ces deux choses résument le contenu de toute la vie spirituelle : au spectacle de nous-mêmes, nous sommes troublés et contrits pour notre salut, tandis que, dans la contemplation de Dieu, nous respirons et la joie du Saint-Esprit nous procure la consolation. D'une part, crainte et humilité; d'autre part, espérance et charité.
SERMON
« Cette parole est dure »
Nous le lisons dans l'Évangile : lorsque le Seigneur s'est mis à prêcher et, sous le mystère de son corps donné en nourriture, à instruire ses disciples sur la nécessité de participer à ses souffrances, certains ont dit : Cette parole est dure , et dès lors ils cessèrent de l'accompagner. Mais comme Jésus demandait à ses disciples si eux aussi voulaient le quitter, ils répondirent : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle.
De même, je vous le dis, frères, jusqu'aujourd'hui il est manifeste pour certains que les paroles de Jésus sont esprit et vie ; aussi marchent-ils à sa suite. Mais à d'autres elles paraissent dures, si bien qu'ils cherchent ailleurs une misérable consolation. C'est qu'en effet la Sagesse élève la voix sur les places ; et plus précisément sur la route large et spacieuse qui conduit à la mort, pour rappeler ceux qui s'y sont engagés.
Par ailleurs, quarante ans , dit le psaume, je me suis tenu proche de cette génération, et j'ai dit : ce peuple a toujours le cœur égaré. Et dans un autre psaume : Une fois Dieu a parlé . Une fois, oui, parce que toujours. Sa Parole est unique, en effet, parce qu'elle est sans interruption, continue et perpétuelle.
Il rappelle les pécheurs à leur cœur, il les reprend sur l'égarement de leur cœur, puisque c'est là qu'il habite, lui, là qu'il parle. Et c'est ainsi qu'il accomplit ce qu'il a annoncé par le prophète : Parlez au cœur de Jérusalem .
Vous voyez, frères, combien l'avertissement du prophète concerne notre salut, afin que si aujourd'hui nous entendons sa voix, nous n'endurcissions pas nos cœurs. Et dans l'Évangile vous lisez presque les mêmes paroles que chez le prophète. Dans l'Évangile le Seigneur dit : Mes brebis entendent ma voix . Et David dans le psaume : Vous, son peuple (c'est-à-dire assurément celui du Seigneur),vous, les brebis de son pâturage, si aujourd'hui vous entendez sa voix, n'endurcissez pas vos cœurs.
Écoute encore comment le prophète Habaquq, loin de négliger la réprimande du Seigneur, s'en préoccupe au contraire avec grand soin. Il dit en effet : Je tiendrai bon à mon poste de garde, je resterai debout sur les retranchements. Je guetterai pour voir ce qu'il dira contre moi et ce que je répondrai au rappel à l'ordre. Nous aussi, frères, je vous en supplie, tenons-nous à notre poste de garde, car c'est l'heure du combat.
Dans notre cœur, là où le Christ fait sa demeure, conduisons-nous avec jugement et intelligence, de manière à ne pas mettre notre confiance dans notre propre vie et à ne pas prendre appui sur un fragile rempart.
SERMON DE SAINT BERNARD
« Celui qui va naître de toi sera appelé Fils de Dieu »
Naître d’une vierge était la seule naissance digne de Dieu ; et donner le jour à Dieu était le seul enfantement qui puisse convenir à une vierge. Aussi le Créateur des hommes, pour se faire homme en prenant naissance dans l’humanité, dut, entre tous les humains, se choisir ou plutôt se préparer une mère dont il sût qu’elle serait digne de lui et qu’elle lui plairait.
Il voulut donc qu’elle fût vierge, afin de naître sans tache d’une femme immaculée, lui qui allait laver de leurs taches tous les hommes. Il a voulu de même que soit humble celle dont il naîtrait doux et humble de cœur, lui qui allait être, de ces vertus, l’exemple dont tous avaient besoin pour être sauvés. Il donna donc à la Vierge d’enfanter, lui qui avait déjà inspiré en elle le vœu de virginité et lui avait dispensé par avance cette valeur précieuse qu’est l’humilité.
Autrement, comment l’ange, par la suite, pourrait-il la déclarer comblée de grâce , s’il y avait en elle quoi que ce soit d’imparfait, qui ne viendrait pas de la grâce ? Ainsi, pour que fût sainte de corps celle qui devait concevoir puis enfanter le Saint des saints, elle reçut le don de la virginité, et le don de l’humilité pour être sainte en son esprit.
Parée des joyaux de ces deux vertus, la Vierge royale, resplendissante d’un double éclat, celui de l’esprit et celui du corps, et connue jusqu’au ciel pour son éclat et sa beauté, attira sur elle les regards des habitants de la cité céleste ; c’est pourquoi elle éveilla même l’attention du Roi, qui se mit à la désirer et dépêcha d’en haut vers elle un messager céleste. ~
L’ange , dit l’Évangile, fut envoyé par Dieu à une Vierge , vierge de corps, vierge d’esprit, vierge aussi par décision et engagement — bref la vierge telle que la décrira l’Apôtre : sainte d’esprit et de corps . Elle ne fut pas trouvée au dernier moment ni par hasard, mais elle avait été choisie dès l’origine, comme d’avance par le Très-Haut, qui l’avait préparée pour lui ; les anges l’avaient gardée, les patriarches l’avaient annoncée en figure, les prophètes l’avaient promise.
SERMON À LA LOUANGE DE LA VIERGE MÈRE
Le monde entier attend la réponse de Marie.
Tu l'as entendu, ô Vierge : tu concevras un fils, non d'un homme tu l'as entendu — mais de l'Esprit Saint. L'ange, lui, attend ta réponse : il est temps pour lui de retourner vers celui qui l'a envoyé. Nous aussi, nous attendons, ô Notre Dame. Accablés misérablement par une sentence de condamnation, nous attendons une parole de pitié. Or voici, elle t'est offerte, la rançon de notre salut. Consens, et aussitôt nous serons libres. Dans le Verbe éternel de Dieu, nous avons tous été créés ; hélas, la mort fait son œuvre en nous. Une brève réponse de toi suffit pour nous recréer, de sorte que nous soyons rappelés à la vie.
Ta réponse, ô douce Vierge, Adam l'implore tout en larmes, exilé qu'il est du paradis avec sa malheureuse descendance ; il l'implore, Abraham, il l'implore, David, ils la réclament tous instamment, les autres patriarches, tes ancêtres, qui habitent eux aussi au pays de l'ombre de la mort. Cette réponse, le monde entier l'attend, prosterné à tes genoux. Et ce n'est pas sans raison, puisque de ta parole dépendent le soulagement des malheureux, le rachat des captifs, la délivrance des condamnés, le salut enfin de tous les fils d'Adam, de ta race entière.
Ne tarde plus, Vierge Marie. Vite, réponds à l'ange, ou plutôt, par l'ange réponds au Seigneur. Réponds une parole et accueille la Parole ; prononce la tienne et conçois celle de Dieu ; profère une parole passagère et étreins la Parole éternelle.
Pourquoi tarder ? Pourquoi trembler ? Crois, parle selon ta foi et fais-toi tout accueil. Que ton humilité devienne audacieuse, ta timidité, confiante. Certes il ne convient pas en cet instant que la simplicité de ton cœur virginal oublie la prudence ; mais en cette rencontre unique ne crains point la présomption, Vierge prudente. Car si ta réserve fut agréable à Dieu dans le silence, plus nécessaire maintenant est l'accord empressé de ta parole. Heureuse Vierge, ouvre ton cœur à la foi, tes lèvres à l'assentiment, ton sein au Créateur. Voici qu'au dehors le Désiré de toutes les nations frappe à ta porte. Ah ! Si pendant que tu tardes il allait passer son chemin, t'obligeant à chercher de nouveau dans les larmes celui que ton cœur aime . Lève-toi, cours, ouvre-lui : lève-toi par la foi, cours par l'empressement à sa volonté, ouvre-lui par ton consentement.
Voici , dit-elle, la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi selon ta parole .
SERMON SUR LES LOUANGES DE LA VIERGE MARIE
« Beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l'ont pas vu »
Même avant la venue du Sauveur, les saints n’ont pas ignoré que Dieu avait pour le genre humain des desseins de paix. Car « il ne faisait rien sur la terre sans le révéler à ses serviteurs les prophètes ». Ce dessein, pourtant, restait caché à beaucoup…; mais ceux qui pressentaient la rédemption d’Israël annonçaient que le Christ viendrait dans la chair et, avec lui, la paix… : « Il y aura la paix sur la terre quand il viendra »…
Cependant, tandis qu’ils prédisaient la paix et que l’auteur de la paix tardait à venir, la foi du peuple chancelait, puisque personne n’était là pour le racheter et le sauver. On se plaignait de ces retards ; si souvent « annoncé autrefois par la bouche des saints prophètes », le Prince de la paix semblait ne devoir jamais venir… Comme si quelqu’un dans la foule répondait aux prophètes : « Combien de temps nous tiendrez-vous encore en suspens ? Voilà longtemps que vous annoncez la paix et elle ne vient pas. Vous promettez des merveilles, et c’est toujours le trouble. Cette promesse nous a été redite ‘ de bien des manières et sous des formes variées ’, les anges l’ont annoncée à nos pères, et nos pères nous l’ont racontée : ‘Paix, paix : or il n’y a pas de paix ’… Que Dieu prouve que « ses messagers sont dignes de foi », si du moins ils sont ses messagers ! Qu’il vienne lui-même »…
De là, ces promesses douces et consolantes : « Voici que le Seigneur va paraître, il ne mentira pas. S’il tarde, attends-le, car il va venir, il ne tardera pas » ; ou encore : « Son temps est proche ; ses jours ne tarderont pas. » Et enfin, dans la bouche de celui qui est promis, ces paroles : « Me voici, je vais faire couler vers vous comme un fleuve de paix, et la gloire des nations comme un torrent qui déborde. »
(Références bibliques : Am 3,7; Mi 5,5; Lc 1,70; Is 9,5; He 1,1; Jr 6,14; Si 36,15; cf Ha 2,3; Is 14,1 Vulg; Is 33,12)
Sermons sur le Cantique des Cantiques, n°2, 4s (trad. Sr Isabelle de la Source, Lire la Bible, t. 6, p. 60)
« Vous serez dans la peine, mais votre peine se changera en joie »
« Ils s'en vont en pleurant, ils jettent la semence. » Vont-ils donc pleurer toujours ? Certainement pas : « Ils reviendront dans la joie, rapportant les gerbes » (Ps 125,8). Et ils auront raison de se réjouir, puisqu'ils porteront des gerbes de gloire. Mais, direz-vous, cela n'arrivera qu'au dernier jour, au temps de la résurrection, et l'attente est bien longue. Ne perdez pas courage, ne cédez pas à ces enfantillages. En attendant, vous recevrez, « des prémices de l'Esprit » (2Co 1,22), assez pour moissonner dès aujourd'hui dans la joie. Semez dans la justice, dit le Seigneur, et récoltez l'espérance de la vie. Il ne vous renvoie plus au dernier jour, où tout vous sera donné réellement et non plus en espérance. Il parle du présent. Bien sûr, notre joie sera grande, notre allégresse infinie, lorsque commencera la vraie vie. Mais l'espérance d'une si grande joie ne peut pas être sans joie dès maintenant.
Homélies sur le Cantique des cantiques, n° 37 (trad. Beguin, Seuil 1953, p. 435 rev.)
« Il vient à eux vers la fin de la nuit »
« Voici manifestées la bonté et la bienveillance, l’humanité de Dieu notre Sauveur » (Tt 3,4 Vulg). Rendons grâce à Dieu qui nous donne sa consolation en abondance, dans cet état de pèlerins qui est le nôtre, dans cet exil, dans cette misère d’ici-bas… Avant que n’apparaisse son humanité, sa bonté aussi demeurait cachée. Certes, elle existait auparavant, car « la miséricorde du Seigneur est de toujours » (Ps 102,17). Mais comment aurions-nous pu savoir qu’elle était si grande ? Elle faisait l’objet d’une promesse, non d’une expérience. Voilà pourquoi beaucoup n’y croyaient pas…
Mais maintenant, les hommes peuvent croire à ce qu’ils voient, car « les témoignages du Seigneur sont vraiment sûrs » ; et pour qu’ils ne soient cachés de personne, « il a dressé sa tente en plein soleil » (Ps 92,5; 18,5). Voici que la paix n’est plus promise mais envoyée, non plus remise à plus tard mais donnée, non plus prophétisée mais proposée. Voici que Dieu a envoyé sur terre le trésor de sa miséricorde, ce trésor qui doit être ouvert par la Passion, pour répandre le prix de notre salut qui y est caché… Car si ce n’est qu’un petit enfant qui nous a été donné (Is 9,5), « en lui habite toute la plénitude de la divinité » (Col 2,9). À la plénitude des temps, elle est venue dans la chair pour être visible à nos yeux de chair, et qu’en voyant son humanité, sa bienveillance, nous reconnaissions sa bonté… Est-il rien qui prouve mieux sa miséricorde que de voir qu’il a pris notre misère ? « Qu’est-ce que l’homme, Seigneur, pour que tu tiennes tellement à lui, et pour que ton cœur s’attache à lui ? » (Ps 143,3; Jb 7,17 Vulg)
1er Sermon pour l’Épiphanie
Date de dernière mise à jour : 2018-02-12
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