- Accueil
- BIBLIOTHEQUE VIRTUELLE
- Biblio virtuelle R
- Rafaël Arnaiz-Baron
- Rafaël Arnaiz-Baron quelques écrits
Rafaël Arnaiz-Baron quelques écrits
Saint Raphaël Arnaiz Baron (1911-1938), moine trappiste espagnol
Liste des lectures
Parce qu’elles ne s’étaient pas converties
Être lumière du monde parce qu’on a reçu la lumière du monde
Pour la première fois il leur enseigna qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup
Le Fils de Dieu rejette la tentation d'autres voies et obéit à la volonté de son Père
Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits….
Donnez en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous
Je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple
En entrant dans la maison, ils virent l’enfant
Dieu, crée pour moi un cœur pur
................
Aime-Moi, souffre avec Moi, c’est Moi, Jésus.
L’homme se mit à voir, et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu
Même vos cheveux sont tous comptés, soyez sans crainte
Le Christ nous appelle tous à la conversion
Je vous ai dit tout cela pour que vous trouviez en moi la paix
Là où je suis, vous serez aussi
Vous purifiez l'extérieur, mais Dieu se trouve à l'intérieur
Abandonnant tout, l'homme se leva et se mit à le suivre
Saint Raphaël Arnaiz Baron (1911-1938), moine trappiste espagnol
« Parce qu’elles ne s’étaient pas converties »
Quels chemins tortueux faut-il parcourir pour atteindre la simplicité !... Très souvent, si nous ne pratiquons pas la vertu, c’est dû à notre manière d’être compliquée, qui rejette la simplicité. Très souvent, nous n’arrivons pas à comprendre la grandiosité qui se cache dans un acte de simplicité. Nous cherchons ce qui est grand dans ce qui est compliqué ; nous cherchons la magnificence des choses dans leur difficulté…
La vertu, Dieu, la vie intérieure : comme il me semblait difficile de vivre cela ! Maintenant, ce n’est pas que j’aie la vertu, ou que mes connaissances sur Dieu et la vie de l’esprit soient complètement claires, mais j’ai vu qu’on arrive à cela précisément par tout le contraire, par la simplicité du cœur et par la pureté de l’esprit… Oui, effectivement ; pour avoir la vertu il n’est pas nécessaire de faire un plan de carrière, ni de se consacrer à de longues études ; il suffit de l’acte simple de vouloir ; il suffit souvent de la simple volonté. Pourquoi donc n’avons-nous pas plus souvent la vertu ? Parce que nous ne sommes pas simples ; parce que nous compliquons nos désirs ; parce que, tout ce que nous voulons, notre peu de volonté nous le rend difficile. Elle se laisse entraîner par ce qui lui plaît, par ce qui est commode, par ce qui n’est pas nécessaire, et très souvent par les désirs déréglés… Si nous le voulions, nous serions saints, et c’est beaucoup plus difficile d’être ingénieur que d’être saint
Écrits spirituels, 25/01/1937 (trad. Cerf 2008, p. 306 rev.)
Être lumière du monde parce qu’on a reçu la lumière du monde (Jn 8,12)
J’ai cherché la vérité, et je ne l’ai pas trouvée ; j’ai cherché la charité, et j’ai seulement vu chez les hommes quelques étincelles qui n’ont pas rempli mon cœur assoiffé d’elle ; j’ai cherché la paix, et j’ai vu qu’il n’y a pas de paix sur terre. Cette illusion est passée ; elle est passée doucement, sans que je m’en aperçoive ; le Seigneur, qui m’avait illusionné pour m’attirer à lui, m’a ouvert les yeux, et comme je suis heureux maintenant ! « Que cherches-tu parmi les hommes ?, me dit-il. Que cherches-tu sur cette terre dans laquelle tu es un pèlerin ? Quelle paix désires-tu ? » Le Seigneur est bon…; je vois maintenant clairement que la paix véritable se trouve en Dieu ; qu’en Jésus se trouve la véritable charité ; que le Christ est l’unique vérité…
Puisque tu m’as donné la lumière pour voir et comprendre, donne-moi maintenant, Seigneur, un cœur très grand, très grand, pour aimer ces hommes, qui sont tes enfants, mes frères, et dans lesquels mon énorme orgueil voyait des fautes, sans me voir moi-même par contre. Si tu avais donné ce que tu m’as donné au dernier d’entre eux ? Mais tu fais bien toutes choses. Mon âme pleure mes anciennes manies, mes anciennes habitudes ; elle ne cherche plus la perfection dans l’homme ; elle ne pleure plus quand elle ne trouve pas d’endroit « pour se reposer » (Mt 8,20). Elle possède tout. Toi, mon Dieu, tu es celui qui remplis mon âme ; tu es ma joie ; tu es ma paix et mon réconfort. Toi, Seigneur, tu es mon refuge, ma forteresse, ma vie, ma lumière, ma consolation, mon unique vérité et mon unique amour. Je suis heureux ! Je possède tout !
Écrits spirituels, 12/04/1938 (trad. Cerf 2008, p. 408)
« Pour la première fois il leur enseigna qu’il fallait que le Fils de l’homme souffre beaucoup »
Jésus béni, que m’ont enseigné les hommes que tu ne m’aies enseigné depuis ta croix ? Hier j’ai clairement vu qu’on apprend seulement en accourant à toi, et que toi seul tu donnes des forces dans les épreuves et tentations ; que seulement au pied de ta croix, te voyant cloué sur elle, on apprend le pardon, on apprend l’humilité, la charité, la bonté. Ne m’oublie pas, Seigneur, regarde-moi prostré devant toi et accorde-moi ce que je te demande. Que viennent ensuite les mépris, que viennent les humiliations…, que m’importe ! Avec toi à mes côtés je peux tout. La prodigieuse, l’admirable, l’inexprimable leçon que tu m’apprends depuis ta croix me donne des forces pour tout.
On t’a craché dessus, on t’a insulté, on t’a flagellé, on t’a cloué sur une croix et, étant Dieu, tu pardonnais, tu te taisais humblement, et tu t’offrais même. Que pourrais-je dire de ta Passion ? Il vaut mieux ne rien dire, et que, au fond de mon cœur, je médite ce que l’homme ne peut jamais arriver à comprendre ; que je me contente d’aimer profondément, passionnément, le mystère de ta Passion…
Qu’elle est douce la croix de Jésus ! Qu’il est doux de souffrir en pardonnant !... Comment ne pas devenir fou ? Il me montre son cœur ouvert aux hommes et méprisé. Où a-t-on jamais vu, et qui a jamais rêvé d’une douleur pareille ? Comme on vit bien dans le cœur du Christ !
Écrits spirituels 07/04/1938 (trad. Cerf 2008, p. 400)
Le Fils de Dieu rejette la tentation d'autres voies et obéit à la volonté de son Père
Moi aussi, quand j'étais dans le monde, je courais quelquefois sur les routes de l'Espagne, ravi de faire monter le compteur de la voiture à 90 kilomètres à l'heure : quelle bêtise ! Quand je me suis aperçu qu'il n'y avait plus d'horizon, j'ai subi la déception de celui qui possède la liberté de ce monde, car la terre est petite, et on en fait vite le tour. Des horizons petits et limités entourent l'homme. Pour celui qui a une âme assoiffée d'horizons infinis, ceux de la terre ne lui suffisent pas : ils l'étouffent, il n'y a pas de monde assez grand pour lui, et il ne trouve ce qu'il cherche que dans la grandeur et l'immensité de Dieu. Hommes libres qui parcourez la planète, je n'envie pas votre vie en ce monde ; enfermé dans un couvent et aux pieds du crucifix, j'ai une liberté infinie, j'ai un ciel, j'ai Dieu. Quelle chance si grande que d'avoir un cœur amoureux de lui !...
Pauvre frère Raphaël !... Continue à attendre, continue à espérer avec cette douce sérénité qui donne l'espérance certaine ; reste immobile, cloué, prisonnier de ton Dieu au pied de son tabernacle. Écoute au loin le vacarme que font les hommes qui goûtent les jours brefs de leur liberté dans le monde ; écoute au loin leurs voix, leurs rires, leurs pleurs, leurs guerres. Écoute et médite un moment ; médite en un Dieu infini, dans le Dieu qui a fait le ciel et la terre et les hommes, le Maître absolu des cieux et de la terre, des fleuves et des mers ; en celui qui en un instant, seulement en le voulant, a fait sortir du néant tout ce qui existe.
Médite un moment en la vie du Christ, et tu verras qu'en elle il n'y a ni libertés, ni bruit, ni éclats de voix ; tu verras le Fils de Dieu soumis à l'homme ; tu verras Jésus obéissant, soumis et qui, dans une paix sereine, a pour loi de sa vie seulement d'accomplir la volonté de son Père. Et finalement, contemple le Christ cloué sur la croix. A quoi bon parler de libertés ?
Écrits spirituels, 15/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 271)
« Jonas est resté dans le ventre du monstre marin trois jours et trois nuits ; de même le Fils de l'homme restera au cœur de la terre trois jours et trois nuits » (Mt 12,40)
Pour se consacrer à un art, pour approfondir une science, l'esprit a besoin de solitude et d'isolement ; il a besoin de recueillement et de silence. Mais pour l'âme enamourée de Dieu, pour l'âme qui ne voit plus d'autre art ni d'autre science que la vie de Jésus, pour l'âme qui a trouvé dans la terre le trésor caché (Mt 13,44), le silence ne suffit pas, ni le recueillement dans la solitude. Il lui faut se cacher de tous, il lui faut se cacher avec le Christ, chercher un coin de la terre où les regards profanes du monde n'arrivent pas, et là, se tenir seule avec son Dieu. Le secret du Roi (Tb 12,7) se gâte et perd son éclat en se dévoilant. C'est ce secret du Roi qu'il faut cacher pour que personne ne le voie, ce secret que beaucoup croiront être fait de communications divines et de consolations surnaturelles ; ce secret du Roi, que nous envions aux saints, se réduit souvent à une croix.
Ne mettons pas la lumière sous le boisseau, nous dit Jésus (Mt 5,15)... Proclamons aux quatre vents notre foi, remplissons le monde de cris d'enthousiasme pour un Dieu si bon, ne nous lassons pas de prêcher son Évangile et de dire à tous ceux qui veulent nous entendre que le Christ est mort aimant, cloué sur le bois, qu'il est mort pour moi, pour toi, pour celui-là. Si nous l'aimons vraiment, ne le cachons pas ; ne mettons pas la lumière qui peut éclairer les autres sous le boisseau.
Mais par contre, Jésus béni, portons intérieurement, et sans que personne ne soit au courant, ce secret divin, ce secret que tu confies aux âmes qui t'aiment le plus, cette particule de ta croix, de ta soif, de tes épines. Cachons dans le coin le plus reculé de la terre nos larmes, nos peines et nos chagrins ; ne remplissons pas le monde de tristes gémissements, ni ne faisons parvenir à personne la plus petite part de nos afflictions... Cachons-nous avec le Christ, pour le rendre participant, lui seul, à ce qui, à bien regarder, est seulement son affaire : le secret de la croix. Apprenons une fois pour toutes, en méditant sa vie, sa passion et sa mort, qu'il n'y a qu'un seul chemin pour parvenir à lui : le chemin de sa sainte croix.
Écrits spirituels, 14/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 266)
« Celui qui se sera prononcé pour moi devant les hommes, le Fils de l’homme se prononcera pour lui devant les anges »
Je prends aujourd’hui la plume pour que mes paroles, s’estampant sur la feuille blanche, servent de louange perpétuelle au Dieu béni, auteur de ma vie, de mon âme, de mon cœur. Je voudrais que l’univers entier, avec les planètes, tous les astres et les innombrables systèmes stellaires, soit une immense étendue, polie et brillante, où je pourrais écrire le nom de Dieu. Je voudrais que ma voix soit plus puissante que mille tonnerres, et plus forte que le fracas de la mer, et plus terrible que le grondement des volcans, pour seulement dire : Dieu ! Je voudrais que mon cœur soit aussi grand que le ciel, pur comme celui des anges, simple comme celui de la colombe (Mt 10,16), pour y mettre Dieu ! Mais puisque toute cette grandeur dont tu rêves ne peut pas devenir réalité, contente-toi de peu et de toi-même qui n’es rien, frère Raphaël, car le rien même doit te suffire…
Pourquoi se taire ? Pourquoi le cacher ? Pourquoi ne pas crier au monde entier et publier aux quatre vents les merveilles de Dieu ? Pourquoi ne pas dire aux gens et à tous ceux qui veulent l’entendre : voyez-vous ce que je suis ? Voyez-vous ce que j’ai été ? Voyez-vous ma misère se traînant dans la boue ? Car peu importe ; émerveillez-vous : malgré tout ça, je possède Dieu. Dieu est mon ami ! Que le sol s’effondre, et que la mer se dessèche de stupeur ! Dieu m’aime, moi, d’un tel amour que, si le monde entier le comprenait, toutes les créatures deviendraient folles et hurleraient de stupeur. Et encore, cela c’est peu. Dieu m’aime tellement que même les anges n’y comprennent rien !
La miséricorde de Dieu est grande ! M’aimer, moi ; être mon ami, mon frère, mon père, mon maître. Être Dieu, et moi, être ce que je suis !... Comment ne pas devenir fou ; comment est-il possible de vivre, manger, dormir, parler et traiter avec tout le monde ?... Comment est-il possible, Seigneur ! Je sais ; tu me l’as expliqué : c’est par le miracle de ta grâce.
Écrits spirituels, 04/03/1938 (trad. Cerf 2008, p. 374)
« Donnez en aumône ce que vous avez, et alors tout sera pur pour vous »
Dieu se trouve dans le cœur détaché, dans le silence de la prière, dans la souffrance comme sacrifice volontaire, dans le vide du monde et de ses créatures. Dieu est dans la croix et, tant que nous n’aimerons pas la croix, nous ne le verrons pas, nous ne le sentirons pas. Taisez-vous, les hommes, qui n’arrêtez pas de faire du bruit !
Ah, Seigneur, que je suis heureux dans ma retraite, comme je t’aime dans ma solitude, comme je voudrais t’offrir ce que je n’ai plus, car je t’ai tout donné ! Demande-moi, Seigneur. Mais qu’est-ce que je peux te donner ? Mon corps, tu l’as déjà, il est à toi ; mon âme, Seigneur, vers quoi soupire-t-elle, si ce n’est vers toi, pour qu’à la fin tu finisses par la prendre ? Mon cœur est aux pieds de Marie, pleurant d’amour, et sans plus rien vouloir que toi. Ma volonté : par hasard, Seigneur, je désire ce que tu ne désires pas ? Dis-le moi ; dis-moi, Seigneur, quelle est ta volonté et je mettrai la mienne à l’unisson. J’aime tout ce que tu m’envoies et me donnes, aussi bien la santé que la maladie, aussi bien être ici qu’être là, aussi bien être une chose qu’une autre ; ma vie, prends-la, Seigneur, quand tu voudras. Comment ne pas être heureux ainsi ?
Si le monde et les hommes savaient. Mais ils ne sauront pas : ils sont très occupés avec leurs intérêts, ils ont le cœur très plein de choses qui ne sont pas Dieu. Le monde vit beaucoup pour une fin terrestre ; les hommes rêvent de cette vie, dans laquelle tout est vanité, et ainsi, ils ne peuvent pas trouver le vrai bonheur qui est l’amour de Dieu. Peut-être qu’on arrive à comprendre ce bonheur, mais pour le ressentir il y en a très peu qui renoncent à eux-mêmes et prennent la croix de Jésus (Mt 16,24), même parmi les religieux. Seigneur, quelles choses tu permets ! Ta sagesse sait ce qu’elle fait. Moi, tiens-moi dans ta main, et ne permets pas que mon pied glisse, car, sans toi, qui viendra à mon aide ? Et « si tu ne bâtis la maison » (Ps 126,1)... Ah, Seigneur, comme je t’aime ! Jusqu’à quand, Seigneur ?
Écrits spirituels, 04/03/1938 (trad. Cerf 2008, p. 374)
« Si quelqu’un veut marcher derrière moi, qu’il renonce à lui-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive »
Comme on vit bien dans le cœur du Christ ! Qui pourrait se plaindre de souffrir ? L’insensé seul, qui n’adore pas la Passion du Christ, la croix du Christ, le cœur du Christ, peut désespérer dans ses propres souffrances… Comme on vit bien auprès de la croix de Jésus !
Christ Jésus..., montre-moi ce savoir qui consiste à aimer le mépris, les injures, l’abjection ; enseigne-moi à souffrir avec la joie humble et sans cris des saints ; enseigne-moi à être doux avec ceux qui ne m’aiment pas ou qui me méprisent ; montre-moi cette connaissance que toi, du haut du Calvaire, tu montres au monde entier.
Je sais : une voix intérieure, très douce, m’explique tout ; je sens en moi quelque chose, qui vient de toi et que je ne sais pas définir, qui me déchiffre tant de mystères que l’homme ne peut pas comprendre. Moi, Seigneur, à ma manière, je comprends tout. C’est l’amour. Tout est là. Je le vois, Seigneur, je n’ai besoin de plus rien. C’est l’amour ! Qui peut expliquer l’amour du Christ ? Que les hommes et les créatures se taisent ; taisons-nous, pour que, dans le silence, nous entendions les chuchotements de l’amour, de l’amour humble, de l’amour patient, de l’amour immense, infini, que Jésus nous offre, cloué sur sa croix, les bras grands ouverts. Le monde, dans sa folie, ne l’écoute pas.
Écrits spirituels 07/04/1938 (trad. Cerf 2008, p. 401 rev.)
« Je viens vous annoncer une bonne nouvelle, une grande joie pour tout le peuple »
Il fait très froid sur terre. Les cieux sont brodés d’étoiles qui se devinent seulement sur le fond bleu foncé de la voûte céleste inondée de ténèbres. Sur la terre, une des plus petites étoiles de l’immense système planétaire, sont en train de se produire cette nuit des prodiges qui étonnent les anges… : un Dieu qui, par amour pour l’homme, descend humilié dans la chair mortelle, et naît d’une femme dans une des étoiles les plus petites, une des plus froides, sur la terre…
Les hommes ont aussi de la glace dans leur cœur. Personne n’accourt assister au miracle de la naissance de Dieu. Le monde entier se réduit seulement à une femme appelée Marie, à un homme aux yeux bleus, qui s’appelle Joseph, et à un enfant nouveau-né, qui, enveloppé dans des langes, ouvre ses yeux pour la première fois sous le souffle chaud d’un âne et d’un bœuf, reposant sur une poignée de paille que la pauvreté de Joseph, la sollicitude et l’amour de Marie lui ont procurée. Le monde entier dort, inconscient, dans le lourd sommeil de la chair. Il fait très froid cette nuit-là sur la terre de Juda. Les étoiles brodées dans les cieux sont les yeux des anges qui chantent « Gloire à Dieu dans les hauteurs ! », chant entonné pour Dieu, et entendu par quelques bergers qui surveillent leurs troupeaux et accourent adorer, avec leur âme d’enfant, Jésus qui vient de naître. C’est la première leçon de l’amour de Dieu…
Bien que mon âme n’ait ni la chasteté de Joseph ni l’amour de Marie, j’ai offert au Seigneur mon absolue pauvreté de tout, mon âme vide. Si je ne lui ai pas entonné des hymnes comme les anges, j’ai essayé de lui chanter quelques refrains de bergers, la chanson du pauvre, de celui qui n’a rien ; la chanson de celui qui ne peut offrir à Dieu que misères et faiblesses. Mais qu’importe, car les misères et les faiblesses offertes à Jésus avec un cœur vraiment amoureux sont acceptées par lui comme si elles étaient des vertus. Grande, immense est la miséricorde de Dieu ! Ma chair mortelle n’entend pas les louanges du ciel, mais mon âme devine que, aujourd’hui aussi comme alors, les anges regardent étonnés la terre, et entonnent le « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur terre aux hommes de bonne volonté ! »
Écrits spirituels, 27/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 278)
« En entrant dans la maison, ils virent l’enfant »
Adoration des rois : les puissants de ce monde baissent leur tête devant l’humble berceau d’un enfant. De l’or, de l’encens, de la myrrhe venus d’Orient ; anxiété dans les cœurs, poussière des chemins parcourus la nuit, guidés par une étoile. « Où est-il, celui qui vient de naître ? »… Vingt siècles sont passés : beaucoup d’âmes parcourent les chemins de la terre comme les mages d’Orient et continuent à demander en passant : « Avez-vous vu celui qu’aime mon âme ? » (Ct 3,3) C’est aussi une étoile de lumière qui, illuminant notre chemin, nous conduit à l’humilité d’une crèche, et nous montre ce qui nous a fait sortir « en dehors des murailles de la ville » (He 13,13; cf Lc 16,27). Elle nous montre un Dieu qui, tout en étant Maître de tout, manque de tout. Le Créateur de la lumière et de la chaleur du soleil souffre du froid ; celui qui vient au monde par amour pour les hommes est oublié des hommes.
Maintenant aussi, comme alors, il y a des âmes qui cherchent Dieu... Par malheur, tous n’arrivent pas à le trouver, ils ne regardent pas tous l’étoile qui est la foi ; ils n’osent pas non plus s’aventurer sur ces chemins qui conduisent à lui, qui sont l’humilité, le renoncement, le sacrifice et presque toujours la croix…
Quand cette nuit, dans le chœur, je me souvenais, sans le vouloir, de mes jours d’enfance, de ma maison, des rois, mon habit monastique me disait autre chose : moi aussi, comme les mages, je suis venu à la recherche d’une crèche. Je ne suis plus un enfant auquel il faut donner des jouets : les rêves sont maintenant plus grands et ils ne sont pas de cette vie. Les rêves du monde, comme les jouets des enfants, font le bonheur quand on les attend, mais ensuite tout n’est que du carton. Les rêves de ciel — rêve qui dure toute la vie et ne déçoit pas après. Comme ils ont dû s’en retourner heureux, les mages, après avoir vu Dieu ! Moi aussi je le verrai, il s’agit seulement d’attendre un peu. Le matin arrivera bientôt, et avec lui la lumière. Quel heureux réveil ce sera !
Écrits spirituels, 06/01/1937 (trad. Cerf 2008, p. 287)
« Celui qui fait la volonté de mon Père qui est aux cieux, celui-là est pour moi un frère, une sœur, une mère »
Vouloir seulement ce que Dieu veut est logique pour celui qui est vraiment amoureux de lui. En dehors de ses désirs, nos désirs n'existent pas, et si un seul existait, il existerait parce qu'il est conforme à sa volonté, et s'il ne l'était pas c'est qu'alors notre volonté ne serait pas unie à la sienne. Mais si vraiment nous sommes unis par l'amour à sa volonté, nous ne désirerons rien qu'il ne désire, nous n'aimerons rien qu'il n'aime et, tout abandonnés à sa volonté, quoi qu'il nous envoie, où qu'il nous mette nous sera indifférent. Tout ce qu'il voudra de nous nous sera, non seulement indifférent, mais aussi, en plus, agréable.
Je ne sais pas si je me trompe en tout ce que je dis ; je me soumets en tout à celui qui entend ces choses ; je dis seulement ce que je sens. Vraiment, je ne désire rien de plus que de l'aimer, et tout le reste je le remets entre ses mains. Que sa volonté s'accomplisse ! Chaque jour je suis plus heureux, dans mon complet abandon entre ses mains..
Écrits spirituels 10/04/1938 (trad. Cerf 2008, p. 404)
« Dieu, crée pour moi un cœur pur » (Ps 50,12)
Que les savants viennent, demandant où est Dieu. Dieu se trouve là où le savant, avec toute la science orgueilleuse, ne peut pas arriver. Dieu se trouve dans le cœur détaché, dans le silence de la prière, dans la souffrance comme sacrifice volontaire, dans le vide du monde et de ses créatures. Dieu est dans la croix et, tant que nous n’aimerons pas la croix, nous ne le verrons pas, nous ne le sentirons pas. Taisez-vous, les hommes, qui n’arrêtez pas de faire du bruit !
Ah, Seigneur, qu’est-ce que je suis heureux dans ma retraite ! Comme je t’aime, dans ma solitude ! Comme je voudrais t’offrir ce que je n’ai plus, car j’ai tout donné ! Demande-moi, Seigneur. Mais que puis-je te donner ? Mon corps, tu l’as déjà, il est à toi ; mon âme, Seigneur, vers quoi soupire-t-elle, si ce n’est vers toi, pour qu’à la fin tu finisses par la prendre ? Mon cœur est aux pieds de Marie, pleurant d’amour, et sans plus rien vouloir que toi.
Ma volonté : par hasard, Seigneur, je désire ce que tu ne désires pas ? Dis-le-moi ; dis-moi, Seigneur, quelle est ta volonté et je mettrai la mienne à l’unisson. J’aime tout ce que tu m’envoies et me donnes, aussi bien la santé que la maladie, aussi bien être ici qu’être là, aussi bien être une chose qu’une autre ; ma vie, prends-la, Seigneur, quand tu voudras. Comment ne pas être heureux ainsi ? Si le monde et les hommes savaient. Mais ils ne sauront pas, ils sont très occupés avec leurs intérêts, ils ont le cœur très plein de choses qui ne sont pas Dieu.
Écrits spirituels, 04/03/1938 (trad. Cerf 2008, p. 374)
Saint Raphaël Arnaiz Baron (1911-1938), moine trappiste espagnol
..........
Aime-Moi, souffre avec Moi, c’est Moi, Jésus.
Dans mes va-et-vient précipités à travers le noviciat, sans savoir quoi faire, j’ai regardé à travers la fenêtre, contre mon habitude et mon règlement qui me l’interdit. Le soleil commençait à poindre. Une grande paix régnait sur la nature. Tout commençait à s’éveiller : la terre, le ciel, les oiseaux. Tout, peu à peu, s’éveillait doucement au commandement de Dieu. Tout obéissait à ses divines lois, sans plaintes et sans soubresauts, doucement, calmement, la lumière aussi bien que les ténèbres, le ciel bleu aussi bien que la terre dure couverte de la rosée de l’aube. Comme Dieu est bon, pensai-je. La paix habite partout sauf dans le cœur humain.
Et doucement, tranquillement, Dieu m’a appris à obéir, à moi aussi, par l’intermédiaire de cette aurore douce et tranquille. Une très grande paix s’empara de mon âme. Je pensai que Dieu seul est bon ; que tout est ordonné par Lui. Que m’importe ce que disent ou font les hommes. Il ne doit y avoir pour moi qu’une seule chose dans le monde : Dieu. Dieu qui ordonne tout pour mon bien. Dieu, qui tous les matins fait se lever le soleil, qui fait fondre le givre, qui fait chanter les oiseaux et change les nuages du ciel en mille suaves nuances. Dieu qui m’offre un coin sur la terre pour prier, qui me donne un coin où pouvoir attendre ce que j’attends. Dieu si bon avec moi, qui parle à mon cœur dans le silence, et m’apprend peu à peu, parfois avec des larmes, toujours avec des croix, à le détacher des créatures, à ne chercher la perfection qu’en Lui, à me montrer Marie, et me dire : "Voici la seule créature parfaite. En Elle tu trouveras l’amour et la charité que tu ne trouves pas chez les hommes". De quoi te plains-tu, Frère Raphaël ? Aime-Moi, souffre avec Moi, c’est Moi, Jésus.
Ah ! Vierge Marie, voilà la grande miséricorde de Dieu. Voilà comme Dieu oeuvre dans mon âme, tantôt dans la désolation, tantôt dans la consolation, mais toujours pour m’apprendre que ce n’est qu’en Lui seul que je dois mettre mon cœur, que ce n’est qu’en Lui seul que je dois vivre, que c’est Lui seul que je dois aimer, désirer, espérer, dans la foi pure, sans consolation ni secours d’humaine créature . Quel bonheur, ma Mère . Combien dois-je en être reconnaissant à Dieu. Comme Jésus est bon !
Quand je cessai de regarder le ciel par la fenêtre du noviciat, je pensai : le Seigneur fait d’un mal un bien. Si quelqu’un m’avait vu, il se serait dit : "Voilà un novice qui perd son temps !". Est-ce perdre son temps que d’adorer amoureusement Dieu ? La tentation a passé, le trouble aussi, et avec lui, je n’ai plus pensé à ce que j’avais entendu et qui m’avait troublé. Et après avoir fait un acte d’union à la volonté divine, chose que je fais à chaque fois que je m’en souviens, je suis descendu à l’église pour entendre la sainte messe ; et là, au pied du Tabernacle, j’ai élevé mon cœur vers Dieu et vers la Très Sainte Mère Marie.
Toi seul, mon Dieu, Toi seul ! Plus je me suis approché des créatures, plus je me suis vu loin d’elles, et plus je suis loin de l’homme, plus je suis proche de Dieu
Le dernier cahier, 23 février 1938. C’EST MOI, JÉSUS
Tristesses et consolations
Ma vie est une continuelle alternance de désolations et de consolations. Les premières sont des tristesses et des peines, parfois très profondes, des pensées qui me troublent, des tentations qui me font souffrir. Les consolations sont la même chose, mais à l’envers : joies intérieures inconnues, désirs de souffrir et amour pour la Croix de Jésus, qui remplissent mon âme de paix et de tranquillité au milieu de ma solitude et de mes douleurs, ce que je ne changerais pour rien au monde.
Voici un exemple récent. L’autre jour, je voyais tout en noir : ma vie obscure et enfermée dans l’infirmerie, sans soleil, sans lumière, sans rien pour l’aider à supporter la charge que Dieu m’a imposée. Maladie, silence, abandon, je ne sais pas, mon âme souffrait beaucoup ; le souvenir du monde, de la liberté, m’accablait. Mes pensées étaient tristes, lugubres. Je me voyais sans amour pour Dieu, oublié des hommes, sans foi et sans lumière. L’habit me pesait. J’avais froid et sommeil. Je ne sais pas, tout s’accumulait. L’obscurité de l’église me rendait triste. Je regardais le Tabernacle, et il ne me disait rien. Je me voyais mort vivant, je me voyais enfermé dans le monastère, comme un mort dans un tombeau, et même pis que dans un tombeau, puisque là au moins on trouve le repos. Bref, voilà quelles étaient mes pensées, l’autre jour avant de recevoir le Seigneur à la communion.
L’idée que j’étais enterré vif m’obsédait, me rendait fou. Le démon s’attachait à me faire souffrir avec le souvenir du monde, de la lumière, de la liberté ; il évoquait en moi la joie de vivre. Les moines me semblaient des âmes en peine, eux qui étaient aussi des morts vivants, eux qui souffraient l’enfermement du tombeau.
Bon, je n’arrive pas à m’expliquer : j’aurais aimé, à cet instant, mourir vraiment, mais mourir pour ne plus souffrir. J’ai vu ensuite que c’était une tentation. C’est dans cet état d’âme que je me suis approché pour recevoir le Seigneur. Je venais de me mettre à genoux, avec le désir de demander à Jésus la tranquillité pour mon esprit, quand j’ai senti une ferveur très grande, un amour immense pour Jésus, et un oubli absolu de toutes mes pensées antérieures, au rappel de quelques mots que Jésus, je crois, m’inspira en cet instant : "Je suis la Résurrection et la Vie".
Comment exprimer combien mon âme fut consolée ! Je pleurais presque de joie en me voyant aux pieds de Jésus, enterré vif. Mes mains serraient le crucifix et mon cœur aurait voulu mourir, mais cette fois par amour pour Jésus, par amour pour la vie véritable, pour la véritable liberté. J’aurais voulu mourir à genoux en embrassant la Croix, en aimant la volonté de Dieu, en aimant ma maladie, mon enfermement, mon silence, mon obscurité, ma solitude. En aimant mes douleurs, qui, en un instant de lumière, et avec une étincelle d’amour de Dieu, sont si vite oubliées. Comme tout me paraissait petit : le monde avec toutes ses créatures ; comme ma vie me semblait insignifiante avec tant et tant d’attentions puériles. Comme les affaires humaines, le monastère me paraissait insignifiant, ses moines si petits, bref, comme tout disparaissait devant l’immense bonté d’un Dieu qui descend jusqu’à moi pour me dire : "Pourquoi souffres-tu ? Je suis le salut. Je suis la Vie. Que cherches-tu ici-bas ?".
Ah ! bon Jésus, si les hommes savaient ce que c’est que de t’aimer sur la Croix ! Si les hommes soupçonnaient ce que c’est que de renoncer à tout pour Toi ! Quelle joie de vivre sans volonté. Quel grand trésor que de n’être rien, d’être le dernier ! Quel grand trésor que la Croix de Jésus, et comme l’on vit bien en l’embrassant ! Personne ne peut s’en douter !
Le dernier cahier, 23 février 1938. TRISTESSES ET CONSOLATIONS !
« L’homme se mit à voir, et il suivait Jésus en rendant gloire à Dieu »
Je possède un si grand trésor. Je voudrais crier de joie et le proclamer à toute la création : louez le Seigneur, aimez le Seigneur qui est si grand, qui est Dieu… Le monde ne voit pas ; le monde est aveugle et Dieu a besoin d'amour. Dieu a besoin de beaucoup d'amour. Je ne peux pas lui donner tout ce qu'il demande, je suis petit, je deviens fou, je voudrais que le monde l'aime, mais le monde est son ennemi. Seigneur, quel supplice si grand ! Je le vois et je ne peux pas y apporter le remède. Je suis trop petit, insignifiant. L'amour que j'ai pour toi m'écrase, je voudrais que mes frères, tous mes amis, tout le monde, t'aime beaucoup…
Quelle pitié me font les hommes qui, voyant le cortège de Jésus et de ses disciples, demeurent insensibles. Quelle joie devaient ressentir les apôtres et les amis de Jésus chaque fois qu'une âme ouvrait les yeux, se détachait de tout et les rejoignait à la suite du Nazaréen, lui qui ne demandait rien d'autre qu'un peu d'amour. Allons-nous le suivre, ma chère sœur? Il voit notre intention et nous regarde, sourit et nous aide. Il n'y a rien à craindre ; nous irons pour être les derniers dans le cortège qui parcourt les terres de Judée, en silence, mais nourris d'un amour énorme, immense. Il n'a pas besoin de paroles. Nous n'avons pas à nous mettre à sa portée pour qu'il nous voie. Nous n'avons pas besoin de grandes œuvres, ni de rien qui attire l'attention : nous serons les derniers amis de Jésus, mais ceux qui l'aiment le plus.
Écrits spirituels, lettre à sa tante, 16/11/1935 (trad. Cerf 2008, p. 156)
« Même vos cheveux sont tous comptés, soyez sans crainte »
Dieu m’envoie la croix... Bénie soit-elle car, comme dit Job, « si nous accueillons joyeusement tous les bienfaits de la main de Dieu, pourquoi ne pas accueillir pareillement les épreuves ? » (2,10) Tout nous vient de lui, santé et maladie, biens temporels, malheurs et infortunes ; tout, absolument tout, est parfaitement ordonné. Si quelquefois la créature se rebelle contre le dessein de Dieu, elle commet un péché, car tout est nécessaire, tout est bien fait, et les rires sont aussi nécessaires que les larmes. Nous pouvons tirer profit de tout pour notre perfection, à condition de voir, dans un esprit de foi, l’œuvre de Dieu en tout, et de demeurer comme des petits enfants dans les mains du Père. Car nous, tout seuls, où irions-nous ?...
Je ne cherche pas à m’arracher aux sentiments [que m’inspirent mes épreuves], c’est évident ; mais ce que Dieu veut c’est les perfectionner en moi. Pour cela, il me mène par ici et par là, comme un jouet, me faisant abandonner un peu partout des morceaux de mon cœur. Dieu est grand, et il accomplit tout parfaitement ! Comme il m’aime, et comme je le lui rends mal ! Sa providence est infinie, et nous devons nous y confier sans réserve.
Écrits spirituels, 11/08/1934 (trad. Cerf 2008, p. 123)
Le Christ nous appelle tous à la conversion
Nous n’avons pas de vertu, pas parce que c’est difficile, mais parce que nous ne voulons pas. Nous n’avons pas de patience, parce que nous ne voulons pas. Nous n’avons pas de tempérance, parce que nous ne voulons pas. Nous n’avons pas de chasteté, pour la même raison. Si nous le voulions, nous serions saints, et c’est beaucoup plus difficile d’être ingénieur que d’être saint. Si nous avions la foi !...
Vie intérieure, vie de l’esprit, vie d’oraison : mon Dieu, que ça doit être difficile ! Pas du tout. Enlève de ton cœur ce qui gêne, et tu y trouveras Dieu. Avec ça, le travail est fait. Très souvent nous cherchons ce qu’il n’y a pas, et, par contre, nous passons à côté d’un trésor que nous ne voyons pas. C’est pareil avec Dieu, que nous cherchons…dans un maquis de choses, qui plus elles sont compliquées, plus elles nous semblent meilleures. Et pourtant, Dieu nous le portons en dedans, et là, nous ne le cherchons pas ! Recueille-toi au dedans de toi-même ; regarde ton néant ; regarde le néant du monde ; mets-toi au pied d’une croix et, si tu es simple, tu verras Dieu…
Si Dieu n’est pas en notre âme, c’est parce que nous ne voulons pas. Nous avons un tel amoncellement d’attentions, de distractions, de penchants, de désirs, de vanités, de présomptions, nous avons tellement de monde en nous, que Dieu s’éloigne. Dès qu’on le veut, Dieu remplit l’âme de telle manière qu’il faut être aveugle pour ne pas le voir. Une âme veut-elle vivre selon Dieu ? Qu’elle enlève tout ce qui n’est pas lui, et c’est fait. C’est relativement facile. Si nous le voulions, si nous le demandions à Dieu avec simplicité, nous ferions de grands progrès dans la vie de l’esprit. Si nous le voulions, nous serions des saints, mais nous sommes si bêtes que nous ne voulons pas ; nous préférons perdre le temps en des vanités stupides.
Écrits spirituels, 25/01/1937 (trad. Cerf 2008, p. 307)
« Je vous ai dit tout cela pour que vous trouviez en moi la paix »
« Seigneur mon Dieu, je vois combien la patience m’est nécessaire ; car cette vie est pleine de contradictions. Elle ne peut jamais être exempte de douleurs et de combats, quoi que je fasse pour avoir la paix. —Il en est ainsi, mon enfant ; mais je ne veux pas que tu cherches une paix telle que tu n’aies ni tentations à vaincre, ni contrariétés à souffrir. Crois, au contraire, avoir trouvé la paix lorsque tu seras exercé par beaucoup de tribulations et éprouvé par beaucoup de contrariétés » (L'Imitation de Jésus Christ, 3, 12)…
Comme nous nous trompons quelquefois, nous qui cherchons la vraie paix de Dieu !... C’est que, souvent, ce que nous cherchons n’est pas la paix de Dieu, mais plutôt la paix du monde…Quand le monde cherche la paix, c’est ainsi qu’il la conçoit : silence, quiétude, amour sans larmes, beaucoup d’égoïsme camouflé. L’homme cherche cette paix-là pour se reposer, pour ne pas souffrir ; il cherche la paix des hommes, la paix sensible, cette paix que le monde représente dans un cloître sous le soleil, avec des cyprès et des oiseaux ; cette paix sans tentations et sans croix...
Aujourd’hui je bénis du fond de mon âme ce Dieu qui m’aime tant… Il m’aime avec mes misères, mes péchés, mes larmes et mes joies ; il me veut dans cette paix dont parle Thomas de Kempis [dans L’Imitation]… Que Dieu est grand ! La paix de mon âme est la paix de celui qui n’attend rien de personne. Ce que l’âme attend en ce monde, c’est seulement le désir de vivre unie à sa volonté ; et cette attente est sereine, dans la paix, malgré la triste fatigue de ne pas voir Dieu encore. L’accompagner sur la croix coûte quelquefois des larmes abondantes. Considérer que nous avons encore une volonté propre, tant de misères, de défauts, de péchés, ne peut pas ne pas causer du chagrin… Tout est combat, douleur, mais Jésus est au centre, cloué sur une croix, et il encourage l’âme à poursuivre. Au milieu de la bataille que nous livrons dans le monde, Jésus est là, le visage serein, qui nous dit que « celui qui le suit ne marche pas dans les ténèbres » (Jn 8,12).
Écrits spirituels, 20/01/1937 (trad. Cerf 2008, p. 300)
« Là où je suis, vous serez aussi »
Si le monde savait ce qu'est aimer Dieu, ne serait-ce qu'un petit peu, il aimerait aussi son prochain. Quand on aime Jésus, quand on aime le Christ, on aime forcément ce qu'il aime. N'est-il pas mort d'amour pour les hommes ? Car, en transformant notre cœur en cœur du Christ, nous ressentons et nous percevons ses effets, et le plus grand d'entre eux c'est l'amour, l'amour de la volonté du Père, l'amour envers tout le monde qui souffre, qui peine, le frère lointain, qu'il soit anglais, japonais ou moine, l'amour envers Marie. Enfin, qui pourra comprendre l'amour du Christ ? Personne ; mais il y en a qui possèdent quelques petites étincelles, très cachées, très en silence, et sans que le monde le sache.
Mon Jésus, que tu es bon ! Tu fais tout merveilleusement bien. Tu me montres le chemin, tu me montres le but. Le chemin est la douce croix, le sacrifice, la renonciation à soi-même, quelquefois la bataille sanglante qui se résout, en larmes, sur le Calvaire ou dans le jardin des Oliviers. Le chemin est, Seigneur, d'être le dernier, le malade, le pauvre... Mais peu importe, au contraire !... Ces renoncements sont agréables quand ils suscitent dans l'âme la charité, la foi et l'espérance ; c'est ainsi que tu transformes les épines en roses.
Et le but ? Le but c'est toi, et rien d'autre que toi. Le but c'est l'éternelle possession de toi dans le ciel, avec Marie, avec tous les anges et tous les saints. Mais ce sera là-haut, dans le ciel. Et pour encourager les chétifs, les faibles, les peureux comme moi, tu te manifestes quelquefois dans le cœur, et tu lui dis : « Que cherches-tu ? Que veux-tu ? Qui appelles-tu ? Tiens, regarde ce que je suis. Je suis la Vérité et la Vie »... Alors, Seigneur, tu remplis l'âme de tes serviteurs de douceurs inexprimables qu'on rumine en silence, que l'homme ose à peine expliquer. Mon Jésus comme je t'aime, malgré ce que je suis. Et plus je suis pauvre et misérable et plus je t'aime. Je t'aimerai toujours ; je m'agripperai à toi et je ne te lâcherai pas : je ne sais plus comment dire.
Écrits spirituels, 12/04/1938 (trad. Cerf 2008, p. 410 rev.)
« Si Dieu habille ainsi l'herbe des champs, ne fera-t-il pas bien davantage pour vous, hommes de peu de foi ? »
Au nom du Dieu saint, je prends aujourd'hui la plume pour que mes paroles, s'estampant sur la feuille blanche, servent de louange perpétuelle au Dieu béni, auteur de ma vie, de mon âme, de mon cœur. Je voudrais que l'univers entier, avec les planètes, tous les astres et les innombrables systèmes stellaires, soient une immense étendue, polie et brillante, où je pourrais écrire le nom de Dieu. Je voudrais que ma voix soit plus puissante que mille tonnerres, et plus forte que le fracas de la mer, et plus terrible que le grondement des volcans, pour seulement dire : Dieu ! Je voudrais que mon cœur soit aussi grand que le ciel, pur comme celui des anges, simple comme celui de la colombe (Mt 10,16), pour y mettre Dieu ! Mais puisque toute cette grandeur dont tu rêves ne peut pas devenir réalité, contente-toi de peu et de toi-même qui n'es rien, Frère Raphaël, car le rien même doit te suffire...
Pourquoi se taire ? Pourquoi le cacher ? Pourquoi ne pas crier au monde entier et publier aux quatre vents les merveilles de Dieu ? Pourquoi ne pas dire aux gens et à tous ceux qui veulent l'entendre : voyez-vous ce que je suis ? Voyez-vous ce que j'ai été ? Voyez-vous ma misère se traînant dans la boue ? Car peu importe : émerveillez-vous ; malgré tout ça, je possède Dieu. Dieu est mon ami ! Dieu m'aime, moi, d'un tel amour que, si le monde entier le comprenait, toutes les créatures deviendraient folles et hurleraient de stupeur. Et encore, cela est peu. Dieu m'aime tellement que même les anges n'y comprennent rien ! (cf 1P 1,12) La miséricorde de Dieu est grande ! M'aimer, moi, être mon ami, mon frère, mon père, mon maître. Être Dieu, et moi, être ce que je suis !
Ah, mon Jésus, je n'ai ni papier, ni plume. Que puis-je dire ! Comment ne pas devenir fou ?
Écrits spirituels, 04/03/1938, (trad. Cerf 2008, p. 372)
Vous purifiez l'extérieur, mais Dieu se trouve à l'intérieur
Si le monde qui cherche Dieu savait ! Si ces savants qui cherchent Dieu dans la connaissance intellectuelle et les vaines discussions savaient ; si les hommes savaient où se trouve Dieu ! Combien de guerres seraient empêchées ; combien il y aurait de paix dans le monde, combien d'âmes seraient sauvées. Insensés et sots, vous qui cherchez Dieu là où il n'est pas ! Ecoutez et soyez étonnés : Dieu est dans le cœur de l'homme, moi, je le sais. Mais, voyez, Dieu vit dans le cœur de l'homme quand ce cœur vit détaché de tout ce qui n'est pas lui, quand ce cœur se rend compte que Dieu frappe à sa porte (Ap 3,20) et, balayant et astiquant tous ses appartements, il se dispose ainsi à recevoir celui qui seul rassasie vraiment.
Qu'il est doux de vivre ainsi, avec Dieu au plus profond du cœur ; quelle douceur si grande que de se voir plein de Dieu !... Comme il en coûte peu, ou plutôt ne coûte rien, de faire tout ce qu'il veut, car on aime sa volonté, et même la douleur et la souffrance deviennent paix, car on souffre par amour. Dieu seul rassasie l'âme et la remplit pleinement... Que les savants viennent, demandant où est Dieu : Dieu se trouve là où le savant, avec toute la science orgueilleuse, ne peut pas arriver.
Écrits spirituels, 04/03/1968 (trad. Cerf 2008, p. 372 rev)
« Abandonnant tout, l'homme se leva et se mit à le suivre »
Il y a des jours où des avions traversent le ciel à des vitesses prodigieuses, survolant le monastère. Le bruit de leurs moteurs effraye les petits oiseaux qui nichent dans les cyprès de notre cimetière. En face du couvent, traversant les champs, il y a une route goudronnée où circulent à toute heure des camions et des voitures de tourisme qui ne s'intéressent pas à la vue du monastère. Une des principales voies ferrées de l'Espagne traverse aussi les terres du monastère... On dit que tout cela est liberté... Mais l'homme qui médite un peu verra comme le monde se trompe, au milieu de ce qu'il appelle liberté...
Où se trouve donc la liberté ? Elle se trouve dans le cœur de l'homme qui n'aime que Dieu. Elle est dans l'homme dont l'âme n'est attachée ni à l'esprit ni à la matière, mais seulement à Dieu. Elle est dans cette âme qui n'est pas soumise au moi égoïste ; dans l'âme qui s'envole au-dessus de ses propres pensées, de ses propres sentiments, de son propre souffrir et jouir. La liberté est dans cette âme-là dont la seule raison d'exister est Dieu ; dont la vie est Dieu et rien de plus que Dieu.
L'esprit humain est petit, il est réduit, il est sujet à mille variations, des hauts et des bas, des dépressions, des déceptions, etc., et le corps, avec une telle faiblesse. La liberté est donc en Dieu. L'âme qui passant vraiment par-dessus tout fonde sa vie en lui, on peut dire qu'elle jouit de la liberté, dans la mesure du possible pour celui qui est encore dans ce monde.
Écrits spirituels, 15/12/1936 (trad. Cerf 2008, p. 268)
Date de dernière mise à jour : 2017-03-09
Ajouter un commentaire